SUR L’OUVRAGE LE SEXE POLÉMIQUE (QUAND LA PARANOÏA S’EMPARE DES CAMPUS AMÉRICAINS), DE LAURA KIPNIS

et ce en quoi il contribue à prolonger notre réflexion sur le néoféminisme de ce côté-ci de l’Atlantique

« Annonçons d’emblée la couleur, ce qui nous évitera les procès en sorcellerie, et pourra peut-être nous en tenir au sujet qui va nous occuper : je suis partisan du mariage pour les couples homosexuels, je trouve très bien que ces couples puissent avoir des enfants ; toute forme de racisme m’est odieuse, et je considère que les femmes ont mille fois raisons de lutter contre les injustices, les inégalités et les violences dont elles font l’objet »

Pierre Jourde

Ce texte comporte deux parties. La première est une recension de l’ouvrage de Laura Kipnis (Unwanred Advances : Sexual Paranoia Comes to Campus) paru aux États-Unis en 2017, puis en décembre 2019 aux Éditions Liber pour l’édition française. La seconde partie reprend quelques unes des thématiques exposées précédemment en les traitant depuis l’exemple hexagonal. Il s’agit de notre troisième contribution à une analyse critique du néoféminisme, après celles de février 2018 et de février 20201.

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En préambule à la lecture du Sexe polémique : quand la paranoïa s’empare des camus américains plusieurs précisions s’imposent.

- L’auteure de cet ouvrage (qui enseigne le cinéma à l’université Northwestern) se dit féministe. Comme elle l’indique dans un entretien : « Une partie de mon ambition, et de ce livre, a donc été d’essayer de démêler ce que je pense être les versions émancipatrices du féminisme de celles conservatrices ». C’est là une donnée fondamentale même si ce conservatisme apparaît rarement pour ce qu’il est, recouvre et représente.

- La nature des faits rapportés dans Le sexe polémique… est peu connue, ou relativement méconnue du lecteur français (la littérature féministe sur le viol et les agressions sexuelles occultant très généralement ce dont traite Laura Kipnis dans son ouvrage). Ce livre brosse un tableau plus exact et plus exhaustif de l’université américaine aujourd’hui (voire des USA sur la thématique abordée) que ne le font les ouvrages féministes américains publiés ces dernières années en France.

- Laura Kipnis, à l’exception des chapitres introductif et conclusif, s’appuie sur de nombreux exemples concrets (dénonciations, accusations, enquêtes universitaires, procès, congédiements, carrières brisées) pour dresser un constat sans appel du monde universitaire américain en ce début du XXIe siècle (qui sous certains aspects ressemble à l’univers de Kafka), mais également de la place de la sexualité aujourd’hui (perçue « comme plus dangereuse qu’elle ne l’a été par le passé »).

- L’auteure, ce qui concourt à l’agrément du livre, avoue qu’elle a « tendance à faire de l’ironie. J’aime l’ironie : elle donne du recul et en cela aide à penser ». On ne saurait mieux dire. Et puis cela nous change de ces pensums néoféministes écrits dans la langue du ressentiment. D’ailleurs Laura Kipnis, depuis ce qu’elle revendique haut et fort (« La capacité d’agir des femmes ») paraît proche de quelques unes de nos amies libertaires du siècle dernier, qui il est vrai n’éprouvaient pas le besoin de se dire féministes.

- Laura Kipnis appartient à la gauche américaine, une gauche « plutôt marxiste » selon elle. Il y a également comme un fort accent libertaire dans de nombreuses pages de ce livre. Bien que traitée de « gauchiste » par ses adversaires, Kipnis indique qu’elle est devenue durant un laps de temps « la coqueluche » d’une « certaine aile libertarienne de la droite » qui l’applaudissait « pour avoir tenu tête au « politiquement correct » » (tout en relevant à d’autres égards qu’elle n’était « pas digne de confiance »). Cela se vérifie des deux côtés de l’Atlantique. J’y reviendrai dans la seconde partie.

- L’ouvrage de Laura Kipnisn’est pas passé inaperçu lors de sa publication en France (articles dans Le Monde, Libération, Le Figaro, Causeur, Le Point, généralement favorables). En revanche, que je sache, les associations féministes comme les penseurs des deux sexes campant sur des positions néoféministes l’ont superbement ignoré. Il s’agit pourtant d’un livre important. Mais ceci expliquant cela nous serions porté à croire qu’en parler devenait problématique dès lors les faits relevés dans l’ouvrage s’inscrivent particulièrement en faux contre l’idéologie néoféministe.

Ce qui n’exclut pas une autre approche, plus distanciée. Un tel livre ne pouvait voir le jour qu’aux États-Unis. Il ne traite du féminisme que depuis l’angle observé par une universitaire américaine (dont l’histoire personnelle finit par se confondre avec celles qui avaient auparavant retenu son attention sur le campus de Northwestern), et ne se positionne qu’indirectement sur ce dont débattent les féministes américaines depuis une vingtaine d’années. Cependant, mieux que n’importe quel texte théorique contemporain dans ce registre (qui après la lecture du Sexe polémique… apparaît encore plus comme relevant d’une critique « hors sol »), l’ouvrage de Laura Kipnis nous confronte aux effets du féminisme - de ce que j’appelle néoféminisme - là ou ceux-ci sont les plus efficients dans la société américaine, à l’intérieur de l’université. De ces effets l’auteure nous précise qu’ils relèvent de « la paranoïa sexuelle ». C’est vouloir dire que celle-ci « transforme de manière fondamentale le climat intellectuel des universités dans leur ensemble, à tel point que les idées deviennent des menaces (…) et que les libertés qui nous semblaient acquises se font laminer quand elles ne disparaissent pas carrément ». Cette paranoïa sexuelle, déjà la cause d’une certaine « rigidité intellectuelle », en progressant dans les campus « y abrutit l’esprit » et ce qu’elle charrie dans le registre de la platitude mais également de la peur « étouffe l’idéal traditionnel de l’université comme refuge de la complexité et lieu par excellence du libre échange des idées ».

Comment en est-on donc arrivé là ? L’explication, d’abord générale, entrera plus loin dans le détail des faits. Disons d’emblée que la question sexuelle s’avère centrale : à travers ce en quoi le sexe représente aujourd’hui un danger qui ne peut être imputé qu’aux seules féministes. D’ailleurs Laura Kipnis évoque « la génération post sida » de ce début de millénaire. Et revient sur ce qui auparavant distinguait la génération à laquelle elle appartient de celle de ses étudiants (« nous ne pensions pas au sexe comme à ce qui aurait pu nous nuire »). D’où ce constat, parmi d’autres, selon lequel les relations sexuelles entre enseignants et étudiants (qualifiées « d’instructives » par l’auteure en référence à son passé d’étudiante) n’étaient pas taboues, ni vécues de manière traumatique. Ceci valant pour le reste : « De nos jours, c’est le danger qui façonne le récit dominant, au moins sur les campus américains ».

Laura Kipnis, ceci posé, n’entend pas tant se faire l’avocate de la « libération sexuelle » du siècle précédent que de s’y référer pour démontrer en quoi le nouvel état d’esprit qui vient d’être relevé renforce la « féminité traditionnelle » (« qui a toujours retenu les récits des dangers auxquelles la femme est exposée plutôt que ceux inspirés par sa capacité d’agir »). C’est là un point essentiel pour Kipnis. Cette « capacité d’agir des femmes » que revendique l’auteure entre en totale contradiction avec les discours mettant la focale sur « le viol, le danger permanent que courent les femmes et leur perpétuelle vulnérabilité ». Ainsi « le pouvoir des hommes est d’emblée accordé au lieu d’être remis en question : les hommes doivent être surveillés, les femmes doivent être protégées ». Et puis, ajoute Laura Kipnis, « si le viol devient la norme, alors la sexualité masculine devient prédatrice par définition » : les femmes étant alors réduites à l’état de proies. Dans cet ordre d’idée Kipnis ne cautionne nullement l’expression « culture du viol » (l’un des mantras du néoféminisme) : tous les exemples cités dans Le sexe polémique… en démontrent la vacuité. Cette expression, que je discuterai dans la seconde partie, n’est pas sans rencontrer un certain succès, y compris de ce côté-ci de l’Atlantique.

Le portait au vitriol que brosse Laura Kipnis du monde universitaire américain serait pour les lecteurs européens peu compréhensif sans une définition préalablement du titre IX. C’est, comme l’explique le préfacier et traducteur de l’édition française, « le nom abrégé d’un amendement apporté en 1972 à une loi fédérale américaine visant à interdire aux instituts d’enseignement qui reçoivent un financement d’État d’exercer toute discrimination basée sur le sexe dans ses programmes, dans l’attribution des bourses d’études ou de sport, par exemple, ou dans tout autre aspect de leur organisation et de leurs activités ». Ceci dit en ces termes on pourrait s’étonner de la volée de bois vert adressée par Kipnis tout au long de son livre à cette disposition légale. Ici il convient de préciser que « les agents fédéraux qui doivent veiller au respect de cette loi » l’ont pour ainsi dire vidé de sa substance en privilégiant depuis 2011 « la question des inconduites sexuelles » ». A partir de cette date, les universités qui doivent doivent veiller à l’application du titre IX le font donc prioritairement depuis des plaintes pour des faits « d’inconduite sexuelle » sur les campus. Relevons que Laura Kipnis n’aurait jamais écrit ce livre si elle même n’était tombée sous le coup de cette réglementation après la plainte de deux étudiantes se rapportant à un article publié par notre auteure dans une revue professionnelle : cet article traitant de « la paranoïa sexuelle à l’université ». Kipnis en avait été informée par un courriel de l’administratrice en charge du titre IX à Northwestern. La plainte ne visait pas que l’article (ce qui aurait constitué une première dans l’histoire du titre IX) mais également des « déclarations publiques conséquentes » (en réalité un seul tweet !).

Laura Kipnis ajoute qu’en même temps qu’on l’informait que l’université faisait appel à des enquêteurs pour instruire cette procédure la concernant, son interlocutrice lui demandait expressément de ne pas ébruiter le contenu de ce courriel. C’est là une donnée importante du titre IX sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir. Auparavant, dans les lendemains de la parution de l’article incriminé (en mars 2015) des étudiants de Northwestern s’étaient mobilisés contre Kipnis : le journal étudiant de l’université exigeant par la voie pétitionnaire la condamnation de l’article publié dans la revue The Chronicle. Que contenait-il donc de si répréhensible pour ces étudiants ? Laura Kipnis y soutenait que « les nouveaux codes de conduite infantilisaient les étudiants et aggravaient le climat de suspicion, tout en renforçant considérablement le pouvoir des administrateurs de l’université ». Précisons que Kipnis s’était trouvée confrontée à une réalité dont elle ignorait tout, ou presque, avant d’écrire son article. Une ignorance partagée par la plupart des étudiants et enseignants de Northwestern, du moins parmi ceux n’ayant pas encore fait l’objet d’accusations. Ceux qui entraient dans ce cas de figure ayant eux « trop peur de s’exprimer car, à en croire la demande de confidentialité et les menaces qui accompagnaient habituellement les plaintes, le seul fait d’en parler pouvait conduire au licenciement ou à l’expulsion ». C’est là l’un des effets pervers du titre IX : encourager la pratique de la dénonciation (dans le domaine sexuel) tout en demandant à ceux qui ainsi accusés font l’objet d’une procédure de n’en rien dire sous peine d’être sanctionnés. Pourtant, plus pernicieux encore, pour mettre en relation cette donnée avec la dangerosité du sexe exposée précédemment, la réglementation de titre IX, en se focalisant sur ce qui devient dans le discours des plaignantes des « relations sexuelles non désirées », transforme la réalité (certes toujours complexe dans ce registre-là) en son contraire : le récit selon lequel toute accusatrice serait de facto une victime et tout défendeur un prédateur s’avère alors dominant, jusqu’à prendre un caractère indiscutable.

A l’attention des lecteurs qui auraient des difficultés à le croire, ou même à l’entendre il nous faut maintenant donner des exemples concrets pour étayer ce qui vient d’être avancé. Deux chapitres dans l’ouvrage sont consacrés au professeur Peter Ludlow (qui alors enseigne à Northwestern la philosophie du langage) à travers deux affaires d’abord distinctes. La première à être exposée concerne une étudiante de première année, Eunice Cho. Inscrite à un cours de philosophie du cyberespace cette étudiante écrit régulièrement à Ludlow, sur son enseignement mais également sur d’autres sujets. Elle interviewe son professeur pour un devoir sur le journalisme que Ludlow l‘aide à faire publier en revue. Tous deux se retrouvent l’après midi du 10 février 2012 au bureau de Ludlow pour se rendre à une manifestation « d’art performance ». A cette époque aucune réglementation n’interdit les liaisons entre étudiants et enseignants. Cho et Ludlow (qui n’est plus en février 2012 son professeur) passent la soirée ensemble (dînent, se rendent dans des lieux artistiques, un club de jazz), puis se retrouvent dans l’appartement de Ludlow. Tous deux dorment dans le même lit, tout habillés : ils déclareront ne pas avoir eu de rapports sexuels. Le lendemain matin Peter Ludlow raccompagne Eunice Cho sur le campus.

Deux jours plus tard la jeune fille se retrouve à l’hôpital. Elle y a été adressée par les services médicaux étudiants après une tentative de suicide (dans le lac Michigan). Le responsable en titre IX de l’université, Joan Slavin, en est informée par une enseignante qui évoque en l’occurrence le « cas d’un professeur qui abuse de son autorité pour profiter d’une étudiante de première année ». Cho lui ayant rapporté qu’elle avait deux nuits plus tôt consommé de l’alcool avec un professeur qui l’encourageait à boire. Elle l’avait suivi dans son appartement, où tous deux s’étaient embrassés sans aller plus loin. Cho refusait de donner le nom de cet enseignant mais il n’avait pas été difficile à cette collègue de découvrir qu’il s’agissait de Ludlow. D’ailleurs les pages Facebook des deux protagonistes le confirmaient.

Dans sa première version (celle retranscrite par l’enquêtrice de titre IX), Cho affirme qu’ayant trop bu elle ne savait pas comment elle s’était retrouvée dans l’appartement de Ludlow (se souvenant pourtant que ce dernier l’avait tripotée dans l’ascenseur). Elle s’était réveillée alors que Ludlow lui caressait les seins et les fesses. En réalité, comme Cho pressée plusieurs mois plus tard par les questions de l’avocat de Ludlow le reconnaîtra, elle n’avait bu durant six heures que trois verres. Ce qui réduit très sensiblement la thèse de l’ivresse. Une version (pour revenir à la première) en tous points opposées à celle de Ludlow disant avoir voulu renvoyer Cho chez elle vers la fin de la soirée. A l’étudiante qui lui demandait si elle pouvait coucher dans le canapé, le professeur lui avait proposé la chambre d’amis. Ce qu’il regrettait puisqu’il reconnaissait que tous deux avaient dormi tout habillés dans le même lit. Mais il ne s’était pour autant rien passé entre eux, selon lui.

L’enquêtrice en titre IX ne tiendra compte que de la version de la jeune fille : selon Joan Slavin la soirée du 10 février avait provoqué « un stress émotionnel extrême » chez la plaignante. D’où cette tentative de suicide, suivie d’une courte hospitalisation en psychiatrie. En raison du « syndrome de stress traumatique ». qui en résultait Slavin en concluait que « les résultats scolaires » de la jeune fille et plus encore « sa vie personnelle » en avaient été affectés. Parallèlement Cho s’attirait les services d’un avocat qui adressait une lettre à Ludlow, dans laquelle il réclamait « un dédommagement en réparation du préjudice ». Ce à quoi l’intéressé ne répondait pas. La jeune fille contactait alors un autre avocat, spécialisé lui en « préjudices corporels », lequel intentait « une action contre Ludlow en invoquant la loi de l’Illinois sur les violences sexuelles (…) réclamant des dommages punitifs et des dommages supplémentaires pour trouble émotionnel et pour d’éventuels frais médicaux ». Ici Ludlow réagira en poursuivant Cho pour diffamation.

Lors de la procédure civile initiée par cette dernière plaintes, les réponses embarrassées ou incohérentes de Cho aux questions posées par l’avocat de Ludlow permettent de douter fortement de la véracité de la tentative de suicide. Comme se le demande Laura Kipnis : « Si pourtant l’épisode de la tentative de suicide devient invraisemblable quels autres aspects de son histoire ont pu se révéler improbables ». L’existence ou pas de cette « tentative de suicide » n’est pas sans importance pour ce qui s’ensuit. Elle n’a jamais été mise en doute par Slavin. D’ailleurs, autre élément important, durant le cours de l’enquête menée par Joan Slavin, Ludlow n’avait jamais été informé des preuves qu’on disait détenir contre lui. Ainsi il ne savait pas que Cho l’accusait de l’avoir tripotée dans l’ascenseur qui montait jusqu’à son appartement. S’il en avait été alors informé il aurait pu demander la consultation des vidéos de surveillance de son immeuble afin de prouver que les allégations de Cho étaient mensongères. Il ne l’apprit qu’à la lecture du rapport de Slavin : trop tard puisque les vidéos de février 2012 avaient été depuis longtemps effacées.

Même si l’on a des doutes, sinon plus sur la version des faits rapportée par Cho à l‘enquêtrice en titre IX, on pourrait néanmoins évoquer quelque chose de l’ordre d’une emprise d’un professeur (parmi les plus brillants de son université) sur une étudiante de première année. Cho assurément (au vu des échanges précédant la soirée du 10 février entre l’étudiante et l’enseignant) était fascinée par Ludlow. Mais en février 2012, je le rappelle, Cho n’était plus l’étudiante de Ludlow : ce dernier « n’avait plus un pouvoir institutionnel » sur elle. Quand Slavin et d’autres évoquent la fragilité de Cho lors de cette fameuse soirée avec son ancien professeur, Laura Kipnis renvoie aux photos prises alors par les deux protagonistes durant la soirée (plus celles d’un tiers) : « Cho parait heureuse et détendue ». Des photos d’ailleurs diffusées par l’étudiante sur son compte Instagram. Plus tard la jeune fille niera d’abord avoir publié ces photos devant l’avocat de Lindlow, puis confrontée à leur existence elle avancera que c’était pour se protéger « juste au cas où les choses tourneraient très mal (…) J’avais peur qu’il exerce des représailles contre moi ».

Une argumentation qui laisse dubitatif. C’est pourtant ce qu’auparavant Joan Slavin avait retenu dans son rapport en indiquant que Lindlow avait créé « comme un environnement intimidant, hostile ou choquant » dans ses relations avec la jeune étudiante. Laura Kipnis résume l’esprit de ce rapport de la façon suivante : « La crédibilité de principe envers la plaignante n’a d’équivalent que la méfiance de principe à l’égard de tout ce que dit l’accusé ». Pour Slavin, la version des faits selon Ludlow s’avère globalement mensongère. Cependant elle reconnaissait ne pas pouvoir se prononcer sur le fait que le défendeur aurait touché les seins et les fesses de la plaignante en raison des versions contradictoires de Cho. Pas plus qu’elle ne semblait convaincue quand le jeune étudiante affirmait que Ludlow lui aurait dit qu’il l’aimait. Cela restait néanmoins secondaire pour elle en regard de tout ce qui vient d’être mentionné. A titre d’hypothèse Laura Kipnis avance que n’importe quel psychiatre confronté aux témoignages discordants des deux protagonistes conviendrait, pour ce qui concerne Cho, que l’on « retrouve très souvent de pareilles manifestations chez ceux et celles à qui l’on diagnostique un « trouble de la personnalité limite », dont les motifs incluent autant l’impulsivité sexuelle que la victimisation ». Elle ajoute que devraient tout autant relever de l’hypothèse « les stéréotypes prédominants sur le campus de professeurs masculins prédateurs et de leurs pauvres proies féminines sans défense ».

Ce n’était pas tout à fait par hasard si Peter Ludlow se trouvait ainsi dans l’oeil du cyclone. Ce professeur de philosophie du langage n’avait pas que des amis dans son université. Les raisons de cette hostilité plus ou moins larvée ne nous éloignent nullement de notre sujet. Les cours de philosophie du cyberespace, dans lesquels Ludlow projetait « des vidéos d’avatars pornographiques », s’ils intéressaient une bonne partie des étudiants en indisposaient d’autres. Cela valant aussi pour quelques uns de ses collègues enseignants. Un article d’un étudiant en journalisme s’y référant n’avait été du goût du directeur du département de philosophie qui s’était plaint auprès de la doyenne de l’université, puis de la responsable du titre IX, une certaine Joan Slavin. Nous étions à la fin de l’année 2011, peu de temps avant cette fatidique soirée du 10 février 2012. Furent également évoquées entre eux des rumeurs concernant le comportement de Ludlow envers deux doctorantes en philosophie (depuis le témoignage d’une collègue de Ludlow auprès du directeur du département de philosophie). Ceci en l’absence de tout dépôt de plainte visant notre professeur. Slavin demanda à rencontrer les deux doctorantes : la première déclinait l’invitation tandis que la seconde, convoquée, affirmera ne pas vouloir s’en mêler.

Cette digression faite revenons à l’affaire Eunice Cho. Le rapport de Slavin rendu (nous en connaissons la teneur) L’université ne congédia pas Ludlow mais le déchut de sa chaire, réduisit son salaire et le contraignit à suivre une formation de prévention du harcèlement. C’était encore trop peu pour Cho qui poursuivit en justice Northwestern. Cette mesure à ses yeux trop clémente n’avait pas dissipé son syndrome de stress traumatique, bien au contraire. L’université paya ses frais médicaux et accepta plus de flexibilité sur sa présence en cours et lors de la remise de ses travaux. L’un des enseignants de la jeune fille l’encouragea à déposer une plainte contre Ludlow en dehors du cadre universitaire et l’accompagna au poste de police. La déposition de Cho différait sensiblement de celle rapportée par Slavin puisque, selon cette nouvelle version, Ludlow l’avait menacée pendant la soirée avant de tenter de la violer durant la nuit. Entre temps le rapport Slavin s’était retrouvé dans le journal étudiant de l’université, mais également dans la presse locale. Ludlow ne put alors plus mettre les pieds dans une salle de cours, et sous la pression étudiante l’université lui demanda de ne pas enseigner durant le trimestre suivant. Lorsque la presse locale le traita de violeur Ludlow entama des poursuites pour diffamation. La justice ne la retint pas, estimant qu’il n’y avait pas de différence entre un viol et une agression sexuelle.

Lors du bilan de cette première « affaire Peter Ludlow » Laura Kipnis constate. Premièrement : personne ne savait ce qui s’était passé dans l’appartement de Ludlow entre ce dernier et Cho (les versions du premier ne différant pas, à l’inverse de celles de la seconde). Deuxièmement : Ludlow n’avait pas été suffisamment prudent alors que le climat universitaire, sur ces questions sensibles précisément, évoluait dans un sens régressif. Troisièmement : l’âge légal pour consommer de l’alcool aux USA étant fixé à 21 ans, le fait d’avoir payé toutes leurs consommations cette soirée-là passait pour un facteur aggravant (Cho n’ayant que 19 ans). Il reste à relever que Slavin puis Kipnis ont toutes deux pris connaissance des nombreux messages adressés avant le 10 février par Cho à Ludlow sans en tirer le même enseignement. Là où la première affirme que les courriels de Cho ne traduisent « aucun béguin ou élan amoureux de sa part » (possibilité évoquée par Ludlow) mais que la jeune étudiante voulait tout simplement « faire bonne impression », la seconde lui répond qu’en « rester là, c’est faire preuve d’une acuité psychologique digne d’un mollusque ».

Nous sommes maintenant en février 2014, plusieurs mois après que le rapport Slavin ait été rendu public. Lors d’un colloque, une doctorante en philosophie du nom de Nola Hartley et sa directrice de thèse, Jocelyn Packer (une collègue de Peter Ludlow : l’enseignante qui avait « dénoncé » ce dernier au directeur du département de philosophie à la fin 2011) ont un échange sur le contenu de ce rapport. Ludlow et Packer qui entretenaient des liens amicaux sont brouillés depuis plusieurs années. Nola Hartley confie à sa directrice de thèse que cette « affaire Cho- Ludlow » ressemble à ce qui lui est arrivé deux ans et demi plus tôt. A la différence - ce qui n’est pas rien ! - que leurs liens (ceux d’une étudiante de cycle supérieur et d’un enseignant) avaient débouché sur une liaison. Précisons que les règlements universitaires ne les interdisaient pas dans la mesure où « le professeur n’occupait pas une position d’autorité ». Ce qui était le cas. Cette liaison, soulignons-le, se trouve particulièrement documentée puisque Ludlow et Hartley avaient constamment communiqué durant leurs trois mois de relations, s’échangeant jusqu’à 80 textos par jour au début de leur liaison. De quoi se faire une idée précise de la vie des deux amants sur une courte période : la totalité des textos, G Chat et Facebook se chiffrant à 2000 messages (communiqués plus tard par Ludlow à Kipnis). Parallèlement Nola Hartley entretenait une relation avec un garçon de son âge, vivant à Boston. Dans l’obligation, pressée par Ludlow, de faire un choix elle finira par rompre avec lui. Laura Kipnis relève que dès le début de leur liaison Nola Hartley avait pourtant obtenu de son nouvel amant qu’il cesse de voir une autre femme.

Cette histoire, jusqu’ici anodine, prend une tout autre tournure lorsqu’on connait la suite. Plusieurs semaines après cet échange entre Hartley et Packer, la première « révélait » à la seconde que « Ludlow avait déjà eu avec elle des rapports sexuels sans son consentement alors qu’elle était ivre ». Packer en informait rapidement Slavin qui écrira alors à Hartley pour lui demander si elle désirait se confier. Celle-ci lui répondra qu’elle craignait de parler à quiconque sur le campus parce que « Ludlow était trop puissant » (pourtant nous savons qu’en ce début d’année 2014 ce professeur de philosophie était devenu persona non grata à Northwestern). C’est ici que cette histoire devient particulièrement instructive puisqu’en février 2014 Nola Hartley n’était pas sans ignorer (contrairement à la quasi totalité des lecteurs du rapport Slavin) que Ludlow avant février 2012 avait déjà fait l’objet d’une enquête officieuse de la responsable du titre IX puisqu’elle-même était l’une des deux doctorantes convoquées par Slavin (suite à l’intervention du directeur du département de philosophie, lui même alerté par la vigilante Jocelyn Packer) comme ayant pu avoir des relations sexuelles avec Ludlow. Harley étant celle des deux qui disait vouloir ne pas sans mêler. Elle avait été ensuite recontactée par Slavin lors « l’affaire Eunice Cho ». Nola Hartley se contentait de préciser que cette relation « n’avait pas toujours été plaisante » en indiquant cependant que ce qu’on lui rapportait sur Cho différait de ce qu’elle avait vécu avec Ludlow. A ce moment là (elle venait de rompre plusieurs mois plus tôt avec lui) il s’agissait entre eux de relations consenties. L’idée selon laquelle Ludlow aurait abusé d’elle ne lui était venue qu’après la lecture du rapport Slavin qui, en raison de son contenu, faisait en quelque sorte appel d’offre.

Joan Slavin ayant déjà enquêté sur Ludlow il ne lui était pas possible de récidiver. L’enquête en titre IX fut alors confiée à une avocate de Chicago, Patricia Bob (dépourvue de toute expérience en titre IX). A ce sujet Laura Kipnis remarque que « son manque de familiarité avec le milieu universitaire s’est révélée préjudiciable sur de nombreux points ». Venons en à l’accusation. Dans le rapport établi par Bob, Hartley y précise qu’en une occasion « elle s’était réveillée sans sous-vêtements dans le lit de Ludlow », en réalisant qu’ils avaient eu « des rapports sexuels sans son consentement ». Ce qu’elle expliquait par le fait qu’elle avait bu trop de vin la veille et ne se trouvait plus en capacité de se souvenir de ce qui s’était passé. C’est à dire presque le copié-collé de la version donnée par Cho à l’enquêtrice du titre IX, et entérinée par le « rapport Slavin », à la différence certes conséquente que Nola Hartley était l’amante de Peter Ludlow. Patricia Bob rencontre alors ce dernier pour l’informer qu’elle enquêtait sur la base d’un signalement de « relation non appropriée » avec une doctorante, et d’allégation d’un rapport sexuel non consenti. Ludlow en déduit qu’il ne peut s’agir que de Nola Hartley et confectionne un épais dossier chronologique sur sa relation avec la jeune femme (comprenant les 2000 messages et de nombreuses photos). Ce qui prouvait sans contestation possible qu’il s’agissait bien sur un plan général de relations tout à fait consenties. D’ailleurs les textos échangés entre eux le lendemain de la nuit du présumé viol ne concernaient que l’état difficile de leur relation (Hartley se confondant même en excuses pour trop hésiter entre lui et le petit ami de Boston). Bob en informa Hartley qui revint en partie sur sa déclaration en confirmant l’existence d’une relation amoureuse sanctionnée par l’existence d’un seul rapport sexuel (elle avait passée plusieurs nuits chez Ludlow, mais tous deux étaient restés habillés : toujours le copié-collé !). Quant au viol elle ne se souvenait plus à quelle date il avait eu lieu.

Pourquoi, contre toute logique, contre l’évidence même, contre le monceau de preuves apporté par Ludlow, Patricia Bob allait finalement retenir la seconde version de Nola Hartley ? En premier lieu parce qu’elle était déjà convaincue avant de le rencontrer que Ludlow était un menteur et un manipulateur. Non seulement, l’ayant auditionné, elle ne le croit pas mais dans son rapport elle réécrit l’histoire de cette liaison, en réinterprétant un certain nombre de données, voire en en falsifiant d’autres. Laura Kipnis relève à la lecture de ce rapport que ce qui paraîtrait évident à tout lecteur de bonne foi se heurte aux convictions de l’avocate « selon lesquelles le désir est à sens unique, et l’homme seul maître à bord ». Bob écrivant que « étant donné son âge et le déséquilibre de pouvoir entre eux, Nola Hartley était vulnérable et sensible à la conduite de Ludlow ». La doctorante avait alors 25 ans, et la correspondance des deux protagonistes infirmait pourtant ce genre d’assertion. A tout prendre, il paraît préférable de se trouver confronté à une Joan Slavin, à sa « psychologie de mollusque » et son « exploitation des préjugés éculés sur la nature des hommes et des femmes », mais au moins en bonne administrative elle ne faisait pas preuve d’imagination. Car Patricia Bob au lieu de rédiger un rapport en titre IX écrit un roman dans lequel Hartley devient une petite fille sans défense victime d’un méchant prédateur. Les extraits de ce rapport cités par Laura Kipnis seraient du plus haut comique si on ne connaissait pas la suite. D’ailleurs Kipnis soupçonne Bob de n’avoir que survolé le substantiel dossier des échanges de messages communiqué par Ludlow (à l’exception de ceux du lendemain du prétendu viol) puisque sa conviction était déjà faite.

Cependant, malgré tout, Patricia Bob ne peut se résoudre à se prononcer sur l’allégation de viol en raison des versions contradictoires de Nola Hartley. En revanche, dans les conclusions de son rapport, elle écrit que Ludlow « a profité du pouvoir qu’il tenait de l’asymétrie de leur relation universitaire entre professeur et étudiante (…) Cette relation ayant causé de sérieux dommages émotionnels » à la doctorante. Elle va jusqu’à en déduire que « Ludlow emploiera tous les moyens possibles pour ruiner sa carrière ». Non seulement c’est faux mais ce dernier aidera Hartley, après leur rupture, « à organiser un séjour de recherche ». Malgré la restriction relevée plus haut, des blogs de « féministes en colère » persisteront ensuite à associer le qualificatif de violeur au nom de Ludlow.

Comment Nola Hartley, qui avait pourtant pris la responsabilité de la rupture, en était arrivée presque deux ans et demi plus tard à réviser ainsi ces trois mois de liaison ? Ce n’était pas la parole de l’un contre la parole de l’autre puisque cette relation se trouvait authentifiée et illustrée par maints messages de nature amoureuse. C’est ici qu’entre en scène un personnage que nous retrouverons plus tard, une philosophe féministe du nom de Heidi Lockwood (qui passe pour être une spécialiste du « consentement sexuel »), promue conseillère de Nola Hartley. C’est elle qui a inspiré en grande partie le rapport de Patricia Bob, laquelle y indique d’ailleurs que Lockwood « avait convaincu Hartley que sa relation avec Ludlow ne pouvait pas avoir été consensuelle, compte tenu de l’illégalité de pouvoir entre eux ». Les conclusions du rapport de Bob allaient tout à fait dans ce sens. Le propos de Lockwood n’est pas tout à fait nouveau puisqu’il prolonge, en en gommant les aspects les plus outranciers, le point de vue des féministes anti-pornographie du siècle dernier, MacKinnon et Dworkin (pour qui toute relation sexuelle s’apparente à un viol). Selon Lockwood (relève Laura Kipnis) « Le facteur décisif servant à déterminer si un rapport sexuel a été consenti ou pas n’est pas « le consentement sexuel » en tant que tel mais plutôt « le contexte ». Dans le cas de rapports de force inégaux entre les deux parties le consentement alors serait obtenu par « la contrainte, ou par la peur de dire non » ». Ainsi, relève encore Kipnis, « pour Heidi Lockwood l’autonomie sexuelle des femmes en elle-même paraît n’être en somme qu’un mythe ».

J’imagine que maints lecteurs ignorant la situation qui vient d’être exposée seraient prêts à abonder dans le sens de la thèse de Lockwood (sur la foi de « relations inégalitaires »). Pourtant, dès lors que l‘autonomie sexuelle des femmes serait un mythe, ajoute Kipnis, « qui peut bien consentir à une relation sexuelle ? Pas les femmes évidemment. Comment le pourrions nous ? Quelqu’un pourrait être en train de nous manipuler mentalement ». Ce n’est même pas pousser le raisonnement de Lockwood jusqu’à l’absurde que de constater qu’ainsi « toute personne ayant plus de pouvoir (un homme, un professeur, un salarié ayant des revenus élevés) qui a une relation sexuelle avec une personne ayant moins de pouvoir (une femme, un étudiant, une salariée à faibles revenus) est un violeur même si cette personne au moindre pouvoir a consenti ». Patricia Bob, dans son rapport en titre IX, n’a pas été jusque là, laissant planer le doute en raison des imprécisions de la mémoire de Nola Hartley, mais ses conclusions entérinent la thèse d’Heidi Lockwood.

Une féministe comme Laura Kipnis ne peut que s’indigner contre une thèse qui « vient nourrir (…) une vision sentimentalisme de l’impuissance féministe », qui transforme la réalité (celle des messages échangés fin 2011 entre nos deux protagonistes : Nola, indique Kipnis, « est confiante, drôle et maître de soi. Elle remet Ludlow à sa place, elle discute philosophie, elle le houspille lorsqu’elle se met en rogne. Elle ne parait pas le moins du monde déférente ou intimidée ») en son contraire : Nola Hartley est devenue plus de deux ans plus tard une victime. Ce qu’il y a de pire dans l’idéologie néoféministe est passée par là : dés lors que Hartley accède au statut de victime, Ludlow ne peut être qu’un prédateur sexuel.

Cette seconde action en titre IX de l’université contre Peter Ludlow réussira là où la première n’avait qu’en partie été suivie d’effets. Laura Kipnis consacre un chapitre à cette « audience de congédiement ». Elle avait quelques mois plus tôt publié son article sur « La paranoïa sexuelle à l’université » quand l’avocat de Ludlow la sollicita pour lui demander si elle acceptait de servir de soutien à son client. Laura Kipnis hésita (à cette époque elle ignorait l’essentiel des affaires Cho et Hartley, ou le rôle occulte d’une Heidi Lockwood), puis finalement accepta. C’est à cette occasion qu’elle rencontra pour la première fois Peter Ludlow. Lors des audiences elle eut la nette impression que Northwestern voulait se débarrasser de Ludlow alors que ce qui était retenu contre lui n’avait pas de caractère de gravité bien prononcé. Aucun des deux rapports de titre IX ne « l’avait déclaré coupable d’agression sexuelle », ne retenant pas par exemple l’accusation de viol de la seconde plaignante. Comme l’ombre de la précédente procédure en titre IX planait sur les audiences il était principalement reproché à Ludlow d’avoir bu en compagnie d’une étudiante n’ayant pas l’âge légal pour consommer de l’alcool ! Notre professeur avait été certes sanctionné mais il avait cependant conservé son emploi. Fait remarquable : ni Eunice Cho, ni Nola Hartley n’étaient présentes lors de l’audience (toutes deux avaient refusé d’y participer). Ce qui « signifiait que l’avocat de Ludlow n’aurait aucune occasion de les interroger sur leurs versions des faits ». Par conséquent, comme l’indique Kipnis, « toute cette affaire n’était donc, judiciairement parlant, qu’une formidable imposture ».

Mais pourquoi Northwestern tenait elle donc tant à sa débarrasser de Ludlow ? Parce qu’il « était devenu un cauchemar pour les relations publiques » universitaires. En raison de manifestations étudiantes, soutenues par une partie du corps professoral : un fort contingent d’étudiants se mobilisait contre les cas inconduites sexuelles en général et Ludlow en particulier. Ceci au moment du lancement par Northwestern d’une importante campagne de financement d’une valeur de 3,75 millions de dollars. Du point de vue des retours sur investissement le cas de ce professeur de philosophie faisait tâche. Malgré la déposition remarquée de Jessica Wilson (une philosophe féministe, amie proche de Ludlow depuis quinze ans) dont le témoignage sur l’homme contredisait point par point le « portrait à charge » de l’intéressé, ce dernier prit finalement la décision de démissionner, anticipant une décision qui ne pouvait que lui être défavorable (son défenseur, par exemple, ne faisant pas le poids devant les trois avocats de l’université rompus à ce genre d’exercice).

La suite en découle. Deux contrats d‘édition furent annulés, ainsi que la participation de Ludlow à une revue (sous la pression des autres collaborateurs). Ludlow dut vendre son appartement de Chicago. Quand Laura Kipnis le revit une année plus tard lors de la préparation de son ouvrage (Le sexe polémique…) Ludlow, devenu persona non grata dans toutes les universités américaines, résidait au Mexique (« où il pouvait vivre de manière plus économe »). Ainsi « il avait à peu près tout perdu (…) et ses perspectives d’emploi étaient nulles ». C’est ce qu’on appelle « une mort sociale ».

Il importe de souligner ici le fait suivant. Six mois après que l’université se fut débarrassée de ce professeur de philosophie, un accord entre Peter Ludlow et Eunice Cho mettait fin à la procédure civile : la jeune femme abandonnait les poursuites pour violences à caractère sexuel et son ancien professeur retirait sa plainte pour diffamation. Ludlow rendit alors publique la lettre que Cho avait adressé au jury du procès qui vient d’être évoqué : elle y expliquait les raisons de son absence à l’audience. En substance elle disait ne plus faire confiance en l’université, laquelle « ne pouvait plus compter sur son appui pour licencier le professeur Ludlow ». Il était regrettable que cette lettre n’ait pas été lue durant le procès. Pour conclure, Laura Kipnis indique que « Ludlow était coupable, mais pas de ce dont l’université l’avait accusé. Son crime avait été de penser que les femmes ayant l’âge du consentement avaient une pleine capacité d’agir en matière de sexualité, une opinion qui est devenu hérétique malgré le fait qu’elle ait jadis été une position féministe de la plus haute importance ».

Le troisième cas de plainte en titre IX concerne l’auteure de l’ouvrage que nous commentons. J’ai indiqué plus haut dans quelles conditions. Rapidement Laura Kipnis était contactée par un cabinet d’avocats de Kansas City, que l’université mandatait pour enquêter sur son cas. Kipnis eut toutes les peines du monde à connaître l’identité de ses accusatrices (Eunice Cho et Nola Hartley, le lecteur l’a sans doute deviné), puis le relevé écrit des accusations. On l’informa que l’une des deux plaignantes alléguait que l’article incriminé (traitant je le rappelle de « la paranoïa sexuelle à l’université ») avait eu « un effet dissuasif sur la capacité des étudiants à signaler des inconduites sexuelles ». Une telle opacité (l’un des effets pervers d’une demande de confidentialité lésant principalement les défendeurs) incitait Laura Kipnis à réfléchir sur la signification du titre IX, cette donnée étant relativement absente de son article. Les nombreuses lettres que cet article avait suscité provenaient d’enseignants, voire d’étudiants confrontés à cette même paranoïa sexuelle. Ces courriers émanaient le plus souvent de collègues professeurs qui tous l’informaient de leurs difficultés : les uns évitaient de discuter en cours de questions sexuelles « sensibles », d’autres l’informaient que des étudiants refusaient d’assister aux cours portant sur les aspects juridique du viol, un autre encore l’évoquait au sujet d’un ouvrage sur l’inceste. Sans parler des enseignants dont le sommeil se trouvait affecté quand ils tentaient la nuit de se remémorer l’anodine remarque en cours qui pourrait déboucher sur « des plaintes, des croisades sur les médias sociaux, un éventuel licenciement », etc. En recevant ces premiers courriers (elle n’avait pas encore été informée de la plainte la concernant), Laura Kipnis pensait que certains de ses correspondants exagéraient. Il n’en était rien, comme elle le vérifiera rapidement.

Kipnis n’avait pas encore rencontré de visu les deux enquêtrices quand paru, sur un site d’une certaine notoriété, un texte qui s’en prenait à son article sur « la paranoïa sexuelle ». On y apprenait que « deux étudiantes anonymes avaient déposé contre moi des plaintes pour représailles ». En raison du contenu de cet article, l’une des deux plaignantes (ou les deux) en était certainement l’auteure. Sans que l’on puisse en faire la preuve. Cependant Laura Kipnis n’était pas la seule visée dans ce texte puisque le président de l’université se trouvait lui aussi sur la sellette pour un article dans Wall Street Journal, une défense des libertés universitaires soupçonnée prendre implicitement le parti de l’article de Kipnis. Néanmoins c’était prendre le risque d’un effet boomerang. D’ailleurs, lors de cette rencontre de visu entre Laura Kipnis et les deux enquêtrices, ces dernières lui demandèrent si elle désirait porter plainte contre les plaignantes pour avoir transgressé la règle de confidentialité. Laura Kipnis n’en fit heureusement rien. Elle remit ce jour-là aux deux enquêtrices toute la documentation concernant la rédaction de son article. Kipnis était accompagnée d’une « personne de soutien » (le président du Conseil des professeurs de son université), comme toute personne sous le coup d’une procèdure en titre IX y avait droit.

Deux mois plus tard les enquêtrices informaient Laura Kipnis que « de nouvelles plaintes en titre IX avaient été déposées contre ma personne de soutien ». Celle-ci, indignée contre la procédure visant Kipnis, s’était exprimé publiquement lors d’une réunion de ce Conseil. Les deux plaignantes lui reprochant d’avoir rompu cette fameuse confidentialité. Ce qui ne manquait pas de sel. Peu de temps après Laura Kipnis publiait un nouvel article dans Chronicle (« My Title IX inquisition ») qui eut encore plus d’écho que le précédent. Les réactions débordèrent le cadre universitaire : de nombreux lecteurs découvrirent non sans étonnement que l’on pouvait être traîné devant une juridiction pour l’écriture d’un article. En ce qui concerne Kipnis tout alla très vite. Douze heures après la mise en ligne de « My Title IX inquisition » elle recevait un courriel de l’enquêtrice en chef l’informant « qu’elle avait été blanchie de toutes les accusations ». Quelques jours plus tard les plaintes contre sa personne de soutien étaient retirées. Par le même canal Laura Kipnis apprenait que Cho et Hartley avaient déposé de nouvelles plaintes contre elle. Des plaintes retirées peu de temps après.

Laura Kipnis reçut de nombreuses lettres après la publication de ce second article. Un de ses correspondants l’informait du rôle plus ou moins occulte d’Heidi Lockwood « parmi les acteurs d’arrière-scène impliqués dans les plaintes » contre elle. Voulant approfondir la question Kipnis constata que la philosophe féministe avait colporté « des rumeurs pernicieuses » sur les membres du département de philosophie de Northwestern en général, et sur Peter Ludlow en particulier. Elle dégageait ensuite sa responsabilité en affirmant qu’elle ne faisait que répéter ce qu’on dit, sans se porter garante de la véracité des propos ». D’où chez elle la formulation selon laquelle il peut y avoir « corruption pour une noble cause quand on est convaincu qu’une fin légitime des moyens frauduleux ». On retrouve l’antienne bien connue de la fin justifie les moyens. Je laisse le soin au lecteur de découvrir par lui-même dans Le sexe polémique… les raisons biographiques qui expliqueraient, selon Laura Kipnis, l’engagement néoféministe d’une Heidi Lockwood.

En terme de représentation du monde, pour cette philosophe, les femmes « ne sont que les passifs réceptacles » des hommes. Dans l’une de ses publications en ligne (The extrême badness of silence : depuis des conversations avec des étudiantes des cycles supérieurs), Lockwood avance que chacune d’elles « avait été presque détruite à cause d’une expérience avec un professeur sexuellement vorace ». Cela provoquant chaque fois « une variété de réactions apparentées au trouble de stress post-traumatique » : « des nausées » en retournant sur les lieux de l’incident, et même après la tentative d’un baiser, « un sentiment de terreur » à se retrouver « seules en classe avec un professeur masculin », ainsi que « la peur de suivre des cours avec des hommes dans la classe ». Un tableau caricatural et grotesque que l’on a dans un premier temps pas envie de prendre au sérieux. Moins cependant quand on prend en considération la responsabilité d’Heidi Lockwood dans le bannissement de Peter Ludlow, voire la procédure en titre IX contre Laura Kipnis. On ne saurait oublier une Jocelyne Parker, qui elle était intervenue chaque fois « à charge » contre Ludlow lors des deux affaires le concernant. Mais il s’agissait peut-être pour elle de régler des comptes puisque - comme Ludlow en informa Kipnis - tous deux étaient alors brouillés. Et puis Parker, « qui, en tant que directrice de thèse, était ce qu’on appelle un « rapporteur mandaté » (donc « tenue de transmettre toute information qu’on lui aurait communiquée concernant une agression sexuelle ») se trouvait pour ainsi dire mandatée par l’institution. Plus pernicieux étant le rôle davantage occulte d’une Heidi Lockwood, celui d’une idéologue néoféministe ayant conseillé Nola Hartley de la façon que l’on sait.

Il ne faudrait pas pour autant croire que seuls les enseignants feraient l’objet d’enquêtes dans le cadre du titre IX (pas plus que Northwestern relèverait de l’exception : toutes les universités américaines se trouvant concernées). Laura Kipnis cite de nombreux cas d’étudiants accusés d’inconduite sexuelle. Elle relève chaque fois ce qu’a de préjudiciable la procédure en question. Ses remarques corroborent le fait que pour « certaines de nos féministes les plus notoires, savoir si l’on accorde ou pas un traitement équitable aux étudiants masculins accusés d’inconduite sexuelle n’a pas vraiment d’importance ». Ce que traduit Zarline Maxwell dans un article publié par le Washington Post en 2014 : « Nous devrions d’office croire ce que dit une accusatrice. Car il en coûte plus de douter à tort d’une survivante que de désigner un violeur ». Nous reviendrons sur cette forte parole dans la seconde partie.

Comme on l’a vu, la procédure de titre IX concernant Laura Kipnis prolongeait en quelque sorte celles instruites auparavant contre Peter Ludlow. Il en est d’autres, auxquelles notre auteure ne s’est pas trouvée associée, mais qui rapportées dans son livre n’en sont pas moins significatives. La première histoire part d’un fait banal. Plusieurs étudiants des deux sexes se retrouvent à l’extérieur du campus d’une ville du Colorado lors d’une soirée bien arrosée. A ce point que dans un état d’ivresse bien avancé certains ne se souviennent plus le matin de ce qui s’est passé durant la nuit. Deux d’entre eux, Ann et Ben, se sont retrouvés nus dans une chambre à coucher. Sans pour autant penser qu’ils ont eu des rapports sexuels. Cependant, trois mois plus tard, Ann retrouvait la mémoire et déposait une plainte contre Ben pour « sexe forcé ». L’université, enquêtant, en conclut à la culpabilité de Ben sans pourtant l’avoir interrogé. En prenant connaissance de ce rapport Ben découvre que l’enquête a été particulièrement bâclée. N’ayant pas les moyens de se payer les services d’un avocat il s’adresse au professeur qui le dirige, David Barnett. Ce dernier prend à coeur la situation de Ben et se livre à une contre-enquête. Son rapport, certes officieux, infirme sur de nombreux points celui de l’université et souligne maintes omissions. Par exemple était absent le témoignage de l’amie présentée par Ann comme étant son témoin de moralité. A qui elle avait dit au lendemain de la beuverie qu’elle ne se souvenait plus de rien : l’amie en question la soupçonnant d’avoir ensuite inventé l’agression sexuelle par Ben pour apaiser son petit ami jaloux. L’université ripostait non sur le contenu de ce rapport mais sur sa forme en accusant Barnett « d’avoir enfreint les dispositions sur la discrimination et le harcèlement sexuel », de s’être conduit irrespectueusement envers les règles du professorat et d’avoir voulu se venger. L’université gagnait sur tous les tableaux : Ben avait déjà été exclu, et Barnett était « déclaré coupable des charges pesant contre lui ». David Barnett faisait appel, ce qui entraînait l’université à lui proposer un deal : 160 000 dollars de dommages et intérêts contre sa démission. Il convient d’ajouter que le co-locataire de Ben, Cary, pour la note burlesque, avait de son côté dans un second temps déposé une plainte contre Ann, qu’il accusait durant la fameuse nuit d’avoir « grimpé dans son lit pendant qu’il dormait » pour le tripoter. L’université reconnaissait Ann coupable d’inconduite sexuelle (après lui avoir auparavant versé une coquette somme d’argent) mais se contentait de lui infliger une peine de sursis.

Laura Kipnis signale également le cas d’un enseignant qu’une jeune fille avait abordé dans un bar, en dehors du campus. Tous deux, se revoyant, s’étaient embrassés lors de l’une de ces rencontres. La jeune femme s’inscrivait plus tard dans le département où enseignait ce professeur. La directrice de ce département (présentée comme « une féministe résolue ») avait convoqué les étudiants des cycles supérieurs pour les interroger sur les comportements sexuels non désirés. La jeune femme avait alors évoqué ce baiser, « ajoutant qu’il n’avait pas été désiré ». Ensuite interrogé, l’enseignant récusait cette version : selon lui la jeune femme « avait pris les devants ». La procédure engagée en concluait qu’il n’y avait pas de preuve suffisante pour soutenir l’accusation de harcèlement sexuel (de surcroît la plaignante n’était pas alors inscrite à l’université). Cependant la directrice du département convoquait l’enseignant pour lui signifier « qu’en cette troisième année de son contrat d’une durée de cinq ans, il était remercié ».

Laura Kipnis consacre plusieurs pages à la consommation d’alcool à l’université, dont nous rappelons qu’aux USA l’âge légal pour en consommer est fixé à 21 ans. Ce qui parait difficilement compréhensif si l’on sait que dans la quasi totalité des États américains la majorité civile se trouve fixée à 18 ans. Nous avons vu avec l’affaire Cho - Ludlow que ce rapport à l’alcool n’avait pas été sans incidence sur le déroulement de l’enquête universitaire. Kipnis constate que quand deux étudiants ivres ont une relation sexuelle, si elle est portée à la connaissance de l’université celle-ci la déclare non consentie. Laura Kipnis, partant du principe (exposé devant ses étudiantes) selon lequel il importe « de baiser tous les mecs que vous voulez », mais « de s’abstenir de baiser ceux dont vous ne voulez pas » ajoute : « Or c’est là que les choses se corsent, puisque cela exige justement des femmes qu’elles résistent à ce qu’elles ne veulent pas. Est exigée une certaine dose de lucidité qui ne vient pas naturellement quand on est dans les vapes ». Il s’agit bien évidemment d’un terrain miné au sujet duquel, « pour solution, les administrations universitaires ont cru bon ériger en délit les relations sexuelles dés lors que l’un ou l’autre des protagonistes consomme de l’alcool ». Ce qui revient à dire, « en cas de plainte, de tenir les hommes comme seuls responsables ». Certes, précise Laura Kipnis, un parallèle reste à faire entre la consommation d’alcool et l’agressivité masculine (du moins dans certains cas). L’auteure insiste aussi sur le fait que boire déresponsabilise. Mais si cela rend de nombreux hommes agressifs, la consommation d’alcool, dans les mêmes proportions, n’a t-elle pas tendance à rendre les femmes passives ? Ainsi Kipnis écrit, en faisant rimer beuverie et amnésie : « Ce que les hommes et les femmes ont tous principalement oublié, c’est la dernière cinquantième d’années marquée par le progrès vers l’autonomie des femmes. D’où cette pseudo expression de l’égalité des sexes : boire comme les mecs  ! ».

Par association Laura Kipnis aborde le sujet délicat de « l’ambivalence sexuelle ». Elle se réfère alors à un article de Veronica Ruckh traitant du « viol équivoque ». Une expression appelée à rencontrer un certain succès sur les campus américains. Ruckh se réfère ici « aux rapports sexuels auxquels les femmes participent sans en avoir envie, parce qu’elles ne disent pas non ou ne le peuvent pas, ou parce que l’homme n’a pas demandé leur consentement et s’est tout simplement exécuté ». A vrai dire Kipnis le mentionne parce qu’elle a retrouvé cette notion dans une procédure en titre IX où la future plaignante, lors d’un exposé sur le « viol équivoque » par la représentante en titre IX de son université, s’était retournée contre le collègue étudiant avec qui elle avait eu deux rapports sexuels huit mois plus tôt. Lors de cet exposé elle avait compris, ou plutôt cru comprendre que l’un des deux rapports sexuels n’avait pas été alors consenti. La même responsable en titre IX, enquêtant depuis la plainte de cette étudiante, y souscrira. Ce que l’université entérinait en expulsant l’étudiant incriminé pour « une relation non consentie ». D’où il ressort que la notion de « viol équivoque » risque d’être de plus en plus évoquée dans ce cadre-là pour requalifier des relations sexuelles d’abord consenties. C’est là l’un des aspects les plus pernicieux de la question. Cette notion s’inscrit en faux contre toute approche individualisée dans le domaine pour le moins complexe des relations sexuelles. C’est la version soft, depuis des pseudo justifications psychanalytiques, de l’assertion selon laquelle toute relation sexuelle s’apparente à un viol.

Une donnée relevée par ci par là dans les pages du Sexe polémique…, aurait pu faire l’objet d’un chapitre particulier. Celui relatif à l’existence d’un marché des « inconduites sexuelles » aux USA au travers duquel les universités américaines ne sont pas sans tirer un double bénéfice. D’abord du point de vue de la concurrence entre elles. Laura Kipnis indique que « le succès d’une université américaine dans « sa lutte contre les agressions sexuelles » se mesure à l’augmentation des plaintes retenues ». Ce qui fait appel d’offre et n’est pas sans incidences sur l’orientation des enquêtes en titre IX. Cela, indépendamment de cet aspect concurrentiel, conforte l’opinion selon laquelle « le monde universitaire se mobilise contre les agressions sexuelles ». Dès lors que les universités américaines se comportent de plus en plus comme des entreprises les étudiants deviennent des clients : la satisfaction du client doit alors primer. Et comment mieux le satisfaire que de lui accorder ce qu’il serait censé demander. Ce n’est pas anodin d’ajouter avec Kipnis « qu’il est de plus en plus facile de déposer des plaintes de façon anonyme », pour constater « que sont réunies dans nos établissements universitaires toutes les conditions favorables à une chasse aux sorcières ».

L’autre aspect de ce bénéfice est d’ordre pécuniaire. J’ai plus haut cité quelques exemples : il y a comme une surenchère dans le montant des dommages et intérêts, des honoraires d’avocats et des frais de justice qui met particulièrement à jour les inégalités sociales. Mais ce second aspect de la question n’ayant pas été développé par Laura Kipnis j’en resterai là.

En citant d’autres cas similaires à ceux déjà relevés, Laura Kipnis en conclut que « les nouveaux règlements universitaires ne préviennent pas les relations sexuelles non consenties mais les produisent ». Des politiques universitaires qui reproduisent ce que d’aucuns ont appelé « la comédie des sexes » puisqu’elles accréditent in fine l’idée, insiste Laura Kipnis, que « les hommes sont capables d’agir » alors que « les femmes subissent passablement les événements ». Ce qui peut paraître paradoxal parce que dans la réalité, comme nous venons de l’observer en plusieurs occasions, ce sont principalement les étudiants, voire les professeurs de sexe masculin qui en subissent les conséquences. Ce sentiment d’arbitraire, d’injustice, d’absurdité que nous éprouvons devant l’exposé de situations qui, pour certaines d’entre elles, dans le détail des investigations, relèvent de « la bêtise au front de taureau », nous en connaissons les causes : l’idéologie néoféministe et ce que conséquemment elle produit, en l’occurrence ce climat de paranoïa sexuelle sur les campus américains. D’où la question posée implicitement par Laura Kipnis dans Le sexe polémique… :le féminisme est-il du côté de l’émancipation (à travers entre autres « la capacité d’agir des femmes ») ou de l’asservissement (le ressentiment, la victimisation, le puritanisme…) ? Le féminisme que dénonce Kipnis « guide aujourd’hui les universités dans un esprit profondément conservateur et répressif, détournant les ressources financières destinées à l’éducation vers l’appareil punitif ». Dans cet ordre d’idée il importe d’appeler un chat un chat. Laura Kipnis l’illustre à travers les lignes suivantes : « On sait que les factions considérées comme les plus radicales du courant dominant du féminisme américain ont en fait souvent été des conservatrices qui s’ignoraient, se consacrant aux modèles les plus convenus de la vertu et de la délicatesse féminine ». D’ailleurs ces féministes soi-disant « radicales » n’ont pas hésité « à faire alliance avec les chrétiens conservateurs contre le démon de la pornographie ». Et de manière plus déterminante (et plus significative) les discussions sur les « questions de classe » se sont trouvées réduites à une peau de chagrin.

2

Cela n’arrive-t-il qu’aux États-Unis ? Oui pour ce qui concerne le dispositif titre IX (et ses effets délétères). Oui pour ce vieux fond de puritanisme qu’une partie des féministes américaines réactualise en percevant le sexe comme le lieu de tous les dangers (« On le percevra dangereux, plus souvent qu’en temps normal, et tout ce qui lui est assorti paraîtra menaçant, même ce qui est complètement inoffensif - une remarque audacieuse, une blague idiote » (Laura Kipnis)). Non en se référant à un courant néoféministe présent dans l’université française, parfaite réplique de l’exemple américain, quoique minoritaire lui. Non en indiquant que les thématiques rapportées depuis l’ouvrage de Laura Kipnis ne sont pas absentes de maints débats hexagonaux depuis une vingtaine d’années, y compris en dehors du féminisme proprement dit.

Je passe rapidement sur un premier exemple. En février 2002 le démographe Hervé le Bras était accusé d’avoir harcelé sexuellement une doctorante. La plainte déposée contre lui débouchera sur un non lieu en novembre de la même année. Dans cette séquence la Heidi Lockwood de service s’appelait Éric Fassin, un sociologue bien connu. Je renvoie le lecteur aux pages écrites sur cette significative et instructive « affaire le Bras » dans Néoféminisme et ordre moral2.

Le second exemple date de février 2020. Nous disposons de deux versions. La première émane de Pauline Peretz, maître de conférences à Paris 8 (co-auteure d’un ouvrage sur le dossier secret de « l’affaire Dreyfus »). Dans le cadre d’un enseignement (« L’histoire sous d’autres formes ») portant sur les usages publics de l’histoire, le cours du 11 février devait être consacré aux représentations de « l’affaire Dreyfus », et en particulier « à l’interprétation qui en a été proposée par le film J’accuse de Roman Polanski ». Dès le premier cours deux étudiantes émettaient des réserves. Une discussion collective s’ensuivait. Pauline Peretz justifiait son choix « par l’originalité du parti pris historiographique de ce film dans un champ où l’héroïsation de Dreyfus (ou non) pose encore question ». Il était également précisé aux étudiantes « qui ne voulaient pas discuter de ce film » (lequel ne serait pas projeté) « qu’elles n’étaient pas obligées d’être présentes le 11 février ».

Ce jour-là « un groupe de 12 à 15 jeunes femmes » étrangères au cours de Pauline Peretz (à une exception près) entraient dans la salle de cours en affirmant que « toutes étaient là pour empêcher la discussion sur le film de Polanski (…) qu’elles ne quitteraient la salle » que sous cette condition. Ce que l’enseignante refusait en proposant que l’on débatte « des raisons pour lesquelles je souhaitais maintenir cette discussion et des enjeux de liberté académique qui y étaient associés ». Elle se heurtait bien évidemment à une fin de recevoir. L’un des membres du commando néoféministe écrivit au tableau noir le nom de chacune des victimes présumées de Polanski, puis accusa Pauline Peretz de complicité envers un violeur. D’autres lurent un texte « dans lequel il était dit une nouvelle fois qu’étudier Polanski c’était être complice de ses crimes ». Il fut alors intimé à l’enseignante de se taire parce qu’elle était « dominante » en temps habituel. « Intimidée par la violence verbale et la présence physique de ces jeunes femmes » et « déstabilisée par l’impossibilité d’engager une discussion », Pauline Peretz décidait de quitter la salle de cours. Durant tout le temps qu’avait duré cet échange houleux, la totalité des étudiants présents, à l’exception d’une étudiante, étaient restés silencieux.

La seconde version, un tract non signé, a été rédigé par les étudiantes (se disant « militantes féministes ») venues perturber le cours de Pauline Peretz. Après un bref rappel des « crimes » de Polanski, les rédactrices affirment que « Étudier son oeuvre, c’est cautionner le réalisateur et cautionner l’impunité judiciaire et médiatique des hommes puissants dans une société patriarcale ». C’est là un discours souvent entendu durant le dernier épisode de cette interminable « affaire Polanski » : articulé autour du refus de séparer l’oeuvre de l’homme. Ce qui est une façon jésuitique de poser le problème. De l’oeuvre en réalité il n’en est pas question, puisque pour les contempteurs de Polanski seules entrent en ligne de compte les considérations morales sur l’homme (pour ne pas dire moralisatrices). Ensuite il convient de rappeler, une fois de plus, que tout ce qui peut être reproché à l’homme Polanski relève du judiciaire. Quant au cinéaste, à condition de quitter l’anathème moralisateur pour rester dans le débat d’idées, il reste à prouver que son oeuvre serait explicitement, ou même implicitement une apologie du viol et de la prédation masculine. En empêchant manu militari toute discussion depuis J’accuse sur l’antisémitisme en général, et le film de Polanski en particulier, les membres du commando néoféministe, même si elles s’en défendraient, se situent de facto sur le terrain de « la concurrence entre les victimes ». A l’argument, également souvent entendu, selon lequel Polanski avec J’accuse se défausserait à bon compte de ses accusations de viols, nous renvoyons les ignorants à la biographie du cinéaste.

Pour revenir au tract, le refus manifeste d’étudier l’oeuvre de Polanski ne se fait pas depuis un mode argumenté (je viens de l’illustrer) mais depuis celui de l’intimidation. Curieusement les rédactrices reconnaissent avoir « fait le choix de ne pas laisser parler la professeur (…) car elles connaissaient les arguments qui l’ont poussée à faire le choix (politique) d’étudier cette oeuvre ». Elles disent aussi l’avoir privé de parole « car le rapport de domination professeurs / étudiants qui se joue dans l’université ne permettait pas une discussion d’égale à égales ». Nous retrouvons là, par la bande, l’une des raisons selon lesquelles Peter Ludlow ne pouvait qu’être coupable d’après les critères d’une Heidi Lockwood. De chaque côté de l’Atlantique cela s’apparente à un argument d’autorité. Une discussion collective pourtant avait eu lieu lorsque deux étudiantes s’étaient interrogées sur la présence du film J’accuse dans le cours programmé le 11 février. Pauline Peretz, avant qu’on lui retire la parole, aurait évoqué, précisent les rédactrices, les « méthodes fascisantes » de ces dernières. Celles-ci lui demandant dans le tract de « relire ses cours d’histoire ». Sans pour autant reprendre la formulation de Pauline Peretz (qui s’explique certainement par le climat de tension généré par l’intrusion du commando dans la salle de cours) ses interlocutrices ignorent sans doute que les étudiants nazis intervenaient sur un mode comparable avant la prise de pouvoir d’Hitler.

Ensuite, dans une seconde partie, le tract répond à une motion émanant des personnels du département d’histoire de Paris 8. Les rédactrices persistent et signent en affirmant que « la seule « étude critique » qui vaille sur le pédocriminel Roman Polanski serait une étude sur les violences sexuelles et sexistes dans le monde du cinéma et leur impunité dans la société ». Elles s’élèvent aussi contre le qualificatif de « censure » concernant leur action. Elles n’ont pas tort d’ajouter que « la censure s’exerce d’un système et / ou d’un groupe dominant sur la production d’un groupe dominé ou de dissidents ». Mais ce n’est que la moitié de la question. Elles oublient de mentionner que des associations proches de l’extrême droite, qui pourraient également revendiquer un statut de « dominé », s’efforcent de censurer des oeuvres pour des causes qu’elles estiment non moins justifiées que celles de nos néoféministes étudiantes. D’ailleurs les unes comme les autres (quoique situées a priori aux deux extrémités du spectre politique) entendent moraliser la société, plus explicitement certes pour les associations droitières. Là encore nous retrouvons une collusion relevée précédemment par Laura Kipnis.

Les rédactrices du tract prêtent beaucoup à Polanski quand elles prétendent que « la culture du viol structure la société et que la présence de Roman Polanski dans l’univers médiatique et culturel en est la preuve ». Mais laissons là pour l’instant l’auteur du Bal des vampires et ses contemptrices pour nous attarder sur la notion de « culture du viol », laissée volontairement ce côté dans la première partie. Ce concept qualifie à l’origine un ensemble d’attitudes et de comportements masculins au sein de la société qui minimiseraient, normaliseraient ou encourageraient le viol. Ce qui devait être mis en relation avec certains rôles assignés aux deux sexes : depuis des injonctions contradictoires autour de la séduction et de la libre disposition des corps par exemple chez les femmes. Seuls des rapports sexuels égalitaires, librement consentis, cassant les codes dominants assignés aux deux sexes, pouvaient contribuer à rendre inopérante toute « culture du viol ». Sauf que, l’exemple américain l’illustrant, le néoféminisme a transformé une notion qui, mise à l’épreuve comme je viens de l’indiquer, serait condamnée à quasiment disparaître dans une société libre, égalitaire, émancipée, sans tabous, en un mantra dont l’usage vise à occulter ce possible pour ne se situer que sur le terrain de « la prédation masculine ».

C’est l’occasion de revenir sur l’ouvrage de Laura Kipnis. Elle y indique que sur les campus américains « l’idée de culture du viol est devenue l’équivalent du 11 septembre 2001 (…) En ce sens que l’expression « « culture du viol, comme avant elle le mot « terrorisme », en est venue à servir une rhétorique de l’urgence ». Reprise par maints responsables en titre IX dans les universités américaines, par conviction ou de manière plus démagogique, cette rhétorique leur permet de s’abstraire plus ou moins de l’examen des faits. Ce qui n’est possible qu’à partir du moment où « la culture du viol » devient quelque chose d’irréfutable, qui ne peut être démenti. Cette digression faite, pour revenir sur l’expression « la culture du viol structure la société », les rédactrices du tract induisent à travers cette formulation que dans notre société les hommes seraient uniment des prédateurs sexuels et les femmes leurs victimes. Par delà l’aspect caricatural et polémique de la formule c’est vouloir se situer sur le seul terrain de « la lutte des sexes », et simplifier outrageusement ce qu’ont de complexes, voire de problématiques maintes relations sexuelles.

Je n’ai pas de compétence particulière pour me prononcer sur l’accusation, présente dans la motion des personnels du département d’histoire, « de saper les libertés académiques au moment même où celles-ci sont menacées par le projet de loi LPRP ». Je relève cependant que la réponse des rédactrices du tract (« Nous considérons que les libertés académiques ne sont pas menacées par les militantes féministes. Les libertés des femmes sont menacées si elles existent partout et tout le temps par le régime patriarcal. L’université est pourrie par le sexisme structurel qui régit la société ») confirme ce qui vient d’être dit dans les paragraphes précédents. A la différence que le sexisme (et non la culture du viol) viendrait ici structurer la société. Le côté péremptoire d’une telle affirmation étonne puisqu’à l’université, de nos jours, en dehors de ceux qui rejoignent ou soutiennent ces associations féministes, de nombreux étudiants de sexe masculins adoptent un profil bas. D’ailleurs, lors de l’intrusion du commando néoféministe dans la salle de cours, seule, parmi les étudiants présents, une étudiante était intervenue pour soutenir Pauline Peretz. Le sexisme existe certes mais dans des proportions moindres à l’université que dans le reste de la société. C’est à se demander dans quel monde vivent nos néoféministes de Paris 8. Dans cet « entre soi » communautariste seules les questions relatives à la domination masculine, au patriarcat, ou encore à la « culture du viol » et au « sexisme » (lesquels, comme on l’a appris, « structurent la société ») se trouvent prises en considération.

Citons ici des extraits d’un mail adressé lors de la rentrée universitaire 2020 par le Comité féministe de Paris 1 aux étudiants de la Sorbonne. Ce comité qui entend, parmi d’autres actions, « lutter contre le viol et le harcèlement et d’autres problématiques rencontrées à la fac », se « revendique d’une gauche radicale orientée autour des valeurs anti-raciste, anti-homophobie, anti-transphobie, anti-validiste ». L’essentiel étant dans les lignes suivantes : « Le comité est en mixité choisie, c’est à dire qu’il réunit tout type de personnes, cis, trans, ou non binaires, à l’exception des hommes cisgenres, dans l’objectif de créer un espace safe de discussion ». Nous sommes là en présence d’une version postmoderne du néoféminisme surtout présente et active dans les universités (pour les lecteurs l’ignorant : un homme cisgenre ne différencie pas son sexe biologique de son genre). Cela confirme ce que nous relevions dans le paragraphe précédent avec cette précision supplémentaire : l’université s’avère être le lieu où prioritairement le néoféminisme recrute et prospère. Il faudrait réécrire l’équivalent de La Misère en milieu étudiant pour prendre toute la mesure de ce sectarisme, de cette novlangue importée des USA, ou de cette boursouflure qui s’habille en « gauche radicale ».

Nous revenons à Paris 8. Signalons aussi (mais cela vaut pour tout le courant néoféministe et même au-delà) la qualification de pédocriminel accolée régulièrement à Roman Polanski. De quoi faire oublier qu’accessoirement l’intéressé serait cinéaste. Et puis, puisque son nom se trouve cité dans le tract, nous conseillons à ses rédactrices de faire venir à Paris 8 Samantha Geimer (la victime du seul viol reconnu par Polanski), qui depuis une vingtaine d’années intervient sur cette première « affaire Polanski » pour donner son point de vue (que l’on peut résumer par : « personne n’est en droit de dire à une victime ce qu’elle doit penser »). Il en ressortirait un échange d’un grand intérêt, pour ne pas dire réjouissant. Aucun des auteurs féministes citant le nom de Samantha Geimer (toujours décrite comme une victime de Polanski) ne prend la peine, ou plutôt se garde bien de citer les propos pertinents qu’elle tient sur la victimisation dont elle fait l’objet, et surtout ce qu’elle en retient de manière plus générale.

Pour comparer, depuis l’angle choisi, la situation de l’université aux États-Unis et en France, les actions et déclarations parmi d’autres qui viennent d’être mentionnées indiquent-t-elle que le ver serait dans le fruit ? Toutes les conditions ne sont pas réunies pour que cet activisme débouche sur une reconnaissance de type institutionnel au sein de l’université française (à l’instar des USA). Cependant il n’est pas sans recueillir un certain écho, y compris en dehors du cadre universitaire, toujours en ce qui concerne le cas devenu emblématique de Roman Polanski. A travers par exemple la volonté de certains édiles de gauche (en Seine-Saint-Denis) de censurer J’accuse lors de sa sortie, ou pour d’autres intervenants de mettre ce film sous tutelle (en encadrant les projections par des débats sur les violences faites aux femmes), ou encore via les remous consécutifs aux nominations de J’accuse dans le cadre des Césars 2020. Mais également à travers l’affaire Adèle Haenel, ou celle associée à Gabriel Matzneff (le succès rencontré par l’ouvrage de Vanessa Springora en étant la parfaite illustration).

C’est là qu’il convient de revenir au livre de Laura Kipnis pour remettre en perspective ce qui vu de France passe pour être « progressiste ». On pourrait lister maints aspects « régressifs » de l’idéologie néoféministe mentionnés par Kipnis et leur trouver quelque équivalent hexagonal. Par exemple en se référant au tableau caricatural et victimaire brossé par la philosophe féministe Heidi Lockwood dans l’un de ses ouvrages, celui « d’étudiantes presque détruites à cause d’une expérience avec un professeur sexuellement vorace »), il serait malvenu de prétendre que ce genre de discours ne se retrouve qu’aux États-Unis. Dans ce registre nous pourrions citer parmi tant d’autres les « thèses » d’un livre comme La violence impensable (publié il y a une vingtaine d’années par un trio de thérapeutes familiaux), qui dans le domaine de « la protection de l’enfance », depuis des relevés de symptômes qui parfois semblent sortir de la plume du Père Ubu, ne laisse pas de place au doute : tous les enfants, sans exception, seraient victimes d’abus sexuels (les « parents voraces » remplaçant les professeurs).

D’ailleurs beaucoup d’intervenants oeuvrant sur le front de la protection de l’enfance soutenaient mordicus au tout début de ce XXIe siècle que « l’enfant dit toujours la vérité » (dont une certaine Ségolène Royal). Ceci jusqu’aux deux procès d’Outreau où cette vérité s’était trouvée particulièrement malmenée. Cette même conviction figure en bonne place dans le catachisme néoféministe. Telle, je le rappelle, une Zarline Maxwell répétant : « Nous devrions d’office croire ce que dit une accusatrice ». Un propos entendu maintes fois de ce coté-ci de l’Atlantique. C’est là l’un des mérite du livre de Laura Kipnis d’y répondre dans le détail des situations exposées. Comme nous l’avons vu avec l’une ou l’autre des « accusatrices » citées dans Le sexe polémique…, ces accusations - déjà relevant de la géométrie variable - se trouvent sensiblement révisées à la hausse lors de l’intervention d’une militante ou d’une idéologue néoféministe (ou alors elles s’apparentent au registre de la « révélation » lorsque, par exemple, un exposé quelques mois plus tard sur « le viol équivoque » transforme dans l’esprit de l’auditrice une relation consentie en son contraire). Je n’entends nullement minorer, minimiser, ou même nier ces accusations de viol ou d’agressions sexuelles dans « la vie ordinaire » mais juste souligner que la question doit être chaque fois être posée dès lors que des Heidi Lockwood ou leurs équivalents hexagonaux entrent en action.

Le lecteur se souvient que parmi les griefs adressés à Laura Kipnis par ses deux accusatrices l’une d’elles alléguait que l’article incriminé (traitant de la paranoïa sexuelle à l’université) avait un effet dissuasif sur la capacité des étudiants à signaler des inconduites sexuelles. Ce genre d’argumentation, modulé d’une situation à l’autre, n’a pas manqué d’être repris en France dans les lendemains du mouvement #meetoo. Je citerai deux cas. D’abord celui de Sandra Muller, à l’origine du hashtag #balance ton porc », condamnée en septembre 2019 par un tribunal parisien pour avoir diffamé Éric Brion (le porc en question). Cette décision judiciaire provoquait l’ire de militantes néoféministes pour qui ce jugement, à leurs yeux inique, bafouait la cause des femmes et entendait les faire taire dans toute situation de harcèlement sexuel. Ces protestations évitaient d’entrer dans le détail du différend opposant les deux protagonistes pour ne poser que la question, certes légitime (voire très légitime) que rencontrent de nombreuses femmes pour se faire entendre lors du dépôt d’une plainte pour viol, agressions et harcèlement sexuel. Sauf que Sandra Muller n’était pas la bonne personne dans ce cas de figure. Ce genre de réaction sur le mode indigné contribue à noyer le poisson. Le lecteur qui n’a pas oublié ce qu’est devenu Peter Ludlow ignore peut-être que le personnage ainsi balancé par Sandra Muller, insulté et vilipendé sur les réseaux sociaux, s’était trouvé progressivement réduit à un état de « mort sociale ». Entre d’un côté la remarque indiscutablement sexiste de Brion à l’adresse de Muller (qui quelques années plus tard donnera naissance au fameux hashtag) et de l’autre les conséquences de ce #balance ton porc dans la vie de l’intéressé, il n’y a pas d’équivalence possible. Prétendre le contraire est un déni à tout sens élémentaire de justice. C’est du moins ce qu’ont compris les juges ayant condamné Sandra Muller3.

Dans un registre plus grotesque, cette argumentation, toujours modulée, était reprise par l’avocat de Solveig Halloin (une activiste féministe et animaliste) après le classement sans suite en février 2020 de la plainte déposée contre le comédien Philippe Caubère (accusé de harcèlement, viol et menaces de mort : ce qui donnait lieu à des investigations policières) : Maître Haddad déclarait que « c’est le sort que l’on réserve à un certain nombre de femmes qui portent plainte, notamment dans des affaires agression sexuelle » à qui « on fait endurer une procédure très lourde, dans laquelle on remet toujours en cause leur parole ». Plus encore que Sandra Muller, Solveig Halloin n’était pas ici la bonne personne. Heureusement que la parole de cette dernière avait été remise en cause parce que sinon Caubère aurait passé de longues années en prison pour des accusations relevant de l’affabulation. Dans cette histoire lamentable, soulignons-le, la « parole des femmes » avait été instrumentalisée par des médias peu regardants4. Enfin l’on ne saurait trop mettre en garde contre des affirmations du genre du genre « nous devrions d’office croire ce que dit une accusatrice », d’autant plus irresponsables quand des Zerline Maxwell et consort ajoutent « il en coûte plus de douter à tort d’une survivante que de désigner un violeur ». Cette féministe ignore certainement que son propos se situe dans la lignée du fameux « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens », de Simon de Montfort.

De plus en plus fréquemment, des deux côtés de l’Atlantique, des penseurs ou des militantes néoféministes qualifient de « survivantes » des femmes ayant porté des accusations de viol, d’agressions sexuelles, voire de harcèlement sexuel (même avant les éventuelles condamnations des auteurs présumés). Cette terminologie, dans l’usage devenu courant du mot, désigne à l’origine les rescapés des camps de la mort. Elle s’est ensuite élargie aux personnes victimes d’un attentat terroriste, également rescapées. Il y a plus que de l’abus à vouloir la reprendre dans le cadre de « présumés » (tant qu’ils n’ont pas été jugés) viols ou agressions sexuelles. On relève comme une perte de l’esprit critique quand une juriste et chroniqueuse judiciaire du New York Time soutient que « le terme ne fait pas débat dans les rédactions : on essaye de respecter la façon qu’ont les gens de se définir eux-mêmes, si la terminologie est pertinente bien sûr ». En tout état de cause considérer cette terminologie ici comme pertinente contribue à mettre sur le même plan l’extermination nazie ou le terrorisme islamique, de ce que les intéressées appellent patriarcat, ou domination masculine, ou violences sexistes.

Dans Néoféminisme et ordre moral deux je commentais les effets produits par le livre de Vanessa Springora, Le Consentement5. Un ouvrage à ce point exemplaire, selon ses innombrables admirateurs, que toute crique le concernant se trouvait pour ainsi dire frappée de vacuité. On lut même sous la plume d’un sociologue que le livre de Vanessa Springora « venait renverser la domination masculine » (sic). Je ne l’avais pas lu à l’époque. Il y a de quoi s’étonner quand, de manière rétrospective, cet oubli réparé, on se confronte de nouveau au concert de louanges qui avaient accompagné la sortie de cet ouvrage. La figure du « mal absolu » étant incarnée par Gabriel Matzneff, Vanessa Springora ne pouvait représenter que son exact contraire.

Alors, ce Consentement, que faut-il en penser ? Il faut d’abord dissiper ce qui tend à devenir une « vérité » pour la majorité des lecteurs de Springora, principalement ceux n’ayant pas connu « en direct » la période principalement traitée dans Le consentement, c’est à dire le milieu des années 1980. Parce que la célébrité aujourd’hui de Matzneff (de celle dont on préfèrerait se passer) est récente : elle ne s’explique que par le succès du Consentement et plus encore par ses conséquences. Gabriel Matzneff n’était connu (dans les années 1970, 1980, et cela déclinait dans les années 1990) que de lecteurs qui s’intéressaient de près à la littérature. Ce que l’on appelle le « grand public cultivé » ne le connaissait que de de nom, voire de réputation, ou pour l’avoir vu lors de ses deux passages à Apostrophes, ou pour avoir lu l’une de ses « chroniques » du Monde dans les années 1980. Il est faux d’en faire, comme le prétend la quatrième de couverture du Consentement, « un célèbre écrivain quinquagénaire » lors de sa rencontre avec Vanessa Springora. Sans doute son passage alors chez Pivot lui avait donné une visibilité que d’autres écrivains ne recherchent pas nécessairement. Mais son lectorat restait modeste : les ventes de ses ouvrages en apportent la preuve. Ceci pour dire que Matzneff, contrairement à ce que l’on affirme ici ou là, était un auteur de « second rayon » (mais il en est d’excellents) durant ses meilleures années, avant de devenir ensuite un écrivain confidentiel, davantage soutenu par ses éditeurs que par ses lecteurs (dont beaucoup avaient oublié son existence à l’avènement du XXIe siècle). Gabriel Matzneff n’est devenu ce « monstre », le pire des pédocriminels encore en vie, qu’à la faveur de la parution du Consentement et de la cascade de réactions que ce livre a suscitées.

On aura compris que l’évocation d’un « célèbre écrivain quinquagénaire » par Vanessa Springora et les Éditions Grasset entend charger la barque Matzneff auprès d’un public peu informé de la situation de l’écrivain au siècle précédent. Je rappelle par exemple que lors du déballage médiatique au tout début de ce siècle, provoqué par l’exhumation dans les colonnes de L’Express de passages taxés de « pédophiles », extraits d’un ouvrage de Cohn-Bendit datant des années 1970 (déballage durant lequel les deux fameuses pétitions de 1977, soi-disant favorables à la pédophilie, avaient déjà fait l’objet d’un traitement que l’on retrouvera à l’identique durant l’hiver 2020), le nom de Matzneff, parmi les protagonistes des années 1970 (censés défendre la pédophilie), n’avait pas pour ainsi dire été cité.

Quand Vanessa Springora indique dans son livre (elle prenait alors connaissance des nombreux passages consacrés « en grande partie à notre rupture » dans le Journal de Matzneff) « qu’il a transformé notre histoire en fiction parfaite », on pourrait lui renvoyer le compliment. A les lire, les commentateurs du Consentement sont tous persuadés, ou du moins veulent faire accroire que ce récit serait authentique d’un bout à l’autre. On peut fortement en douter à la lecture par exemple du passage concernant Cioran (qui pour de bons connaisseurs de l’oeuvre du philosophe misanthrope, et plus encore pour ceux qui l’on bien connu relève de l’invention), et de quelques autres.

Il fallait du temps, une trentaine d’années, pour que cette « fiction parfaite » versus Springora puisse être écrite. Contrairement à ce que croient les lecteurs les plus naïfs du Consentement ce livre n’a pas été écrit pour se libérer d’une emprise, trente cinq ans plus tard (de ses séquelles psychologiques, plutôt). Ce travail, cathartique diraient certains, avait été effectué plus tôt, lors d’une psychanalyse. Alors pourquoi ce livre ? Le constat fait par l’auteure dans les dernières pages de son ouvrage (que nulle des adolescentes séduites par Matzneff ne se soit manifestée depuis 20, 30, 40 ans) n’est pas sans l’étonner et la contrarier. Vanessa Springora avance alors que l’emprise exercée par le beau Gabriel sur des « jeunes filles solitaires, vulnérables, aux parents dépassés ou démissionnaires » l’expliquerait (elle parle pour elle). Elle ajoute que Matzneff « savait pertinemment qu’elles ne menaceraient jamais sa réputation ». Comment en être certaine ? Cependant il semblerait que dans ce tableau des « conquêtes » du séducteur Vanessa Springora fasse plutôt figure d’exception que de modèle. Nous subodorons, en nous référant à quelques uns des passages de la fin du Consentement, que pour Matzneff également cette relation n’a pas été sans laisser des traces.

Sinon, pour revenir à la question posée plus haut, la quatrième de couverture en indique les enjeux : « Au delà de son histoire intime, elle questionne dans ce récit magnifique (sic) les dérives d’une époque et la complaisance d’un milieu littéraire aveuglé par le talent et la notoriété ». L’assertion selon laquelle les écrivains et les artistes bénéficiaient d’une tolérance (dans le cas de relations sexuelles entre adultes et mineurs de moins de quinze ans), non accordée au commun des mortels, s’expliquerait selon Vanessa Springora de la façon suivante : « Il faut croire que l’artiste appartient à une caste à part, qu’il est un être aux vertus supérieures auquel nous offrons un mandat de toute puissance, sans autre contrepartie que la production d’une oeuvre originale et subversive, une sorte d’aristocratie détenteur de privilèges exceptionnels devant lequel notre jugement, dans un état de sidération aveugle, doit s’effacer ». Cette enfilade de lieux communs aurait en d’autres temps été qualifiée de réactionnaire. Car nous sommes plus dans le registre de la « sagesse des nations » que dans celui d’une réflexion un tant soi peu conséquente sur l’art, les artistes et la société. Mais après tout cette charge contre une « élite artistique » qui serait au-dessus des lois morales a tout pour caresser dans le sens du poil les philistins à la mode de ce temps.

C’est pourtant, en recentrant son propos sur Matzneff, ce que reprend en substance une lectrice de Vanessa Springora, Cloé Korman (dans une tribune publiée par Le Monde), pour qui l’aide apportée à Gabriel Matzneff « a représenté, pendant des années, une opération réputationnelle qui allait au-delà de l’écrivain (…) Aider Matzneff, ou ne pas s’opposer à ce qu’il soit aidé a été le signe d’une audace morale, d’un « pas froid aux yeux », permettant de faire plaisir au sein d’une certaine élite ». Elle ajoute que nous vivons heureusement dans une autre époque, et que tout cela a bien changé. En reprenant ce que mentionnait plus haut Vanessa Springora, nous constatons qu’il existe cependant un monde entre les complicités d’un petit milieu germanopratin dont Matzneff a pu bénéficier et la volonté d’en tirer des généralités sur la situation d’une certaine catégorie d’artistes dans la société. Matzneff n’a pas les épaules suffisamment solides pour qu’on puisse, depuis son cas personnel, en tirer des conclusions définitives sur l’impunité de l’artiste ici en l’occurence. Et même à l’échelle de l’élite évoquée par Springora et Korman cela sonne curieusement si l’on prend l’exemple d’un autre écrivain de la même « génération littéraire » que Matzneff, dont le nom a pu se trouver associé plus que d'autres à celui du précédent dans la rubrique « pédophilie », Tony Duvert, décédé en 2008 dans une misère et une solitude complète (dont les livres durant les années 1970 et 1980, publiés aux Éditions de Minuit, avaient recueilli plus d’échos que ceux de Gabriel Matzneff) : un écrivain plus subversif (dans le sens plein du mot), plus politique, plus ancré dans la modernité que Matzneff (et dépourvu lui de tout narcissisme). Ceci précisé sur Tony Duvert, la preuve par Matzneff tourne plutôt à vide. Ce qui signifie que Matzneff ne s’explique que par Matzneff, ou par la petite coterie littéraire à laquelle il appartenait, une coterie aujourd’hui quasiment disparue.

Quand Vanessa Springora écrit qu’elle a hésité à publier son livre par « crainte du petit milieu qui peut-être protège encore Matzneff », à qui le fait-elle croire ? Comme dirait le camarade Staline : les soutiens de Gabriel Matzneff, combien de divisions ? Dans le même registre elle ajoute qu’elle « pourrait faire face à de violentes attaques, de la part de ses admirateurs ; mais aussi d’anciens soixante-huitards qui se sentiraient mis en accusation parce qu’ils étaient signataires de cette fameuse lettre ouverte dont il était l’auteur ; peut-être même de la part de certaines femmes opposées au discours « bien pensant » sur la sexualité ; bref de tous les pourfendeurs du retour à l’ordre moral ». On remercie ici Vanessa Springora de faciliter pareillement notre travail ; de lister précisément ce qu’il nous importait de reprendre dans le détail, la lecture du Consentement achevée.

Procédons par ordre. D’abord même le lecteur le mieux disposé envers notre auteure a compris que les « violences attaques » évoquées ci-dessus ne valaient que comme argument rhétorique. D’ailleurs qui a osé attaquer Le Consentement lors de sa parution : personne ! A la seule exception de Juan Asensio, qui n’est ni soixante-huitard, ni un défenseur de Matzneff, ni concerné par tout ce à quoi se réfère Vanessa Springora (seule l’intéresse la « valeur littéraire » du Consentement, qu’il déclare nulle). Il s’agirait même d’un livre « inattaquable » : si vous critiquez Vanessa Springora, vous êtes donc du côté de Gabriel Matzneff, alors ? Ensuite, quant aux signataires de la « fameuse lettre ouverte », ceux qui sont encore vivants ont adopté un profil bas depuis de longues années. J’en exclus cependant l’un d’eux. Mais je m’en voudrais de jeter ce nom en pâture dans ce climat de chasses aux sorcières. Enfin mentionnons le coup de patte adressé aux cent signataires de la tribune de janvier 2019 publiée par Le Monde, improprement appelée « Du droit d’être importunées ».

Reste le cas de l’ordre moral, ou plutôt le refus par Vanessa Springora d’y souscrire. Évoquer un quelconque « retour à l’ordre moral » est pour les néoféministes et leurs alliés irrecevable. Nous retrouvons là Cloé Korman affirmant que « parler d’ordre moral est assez consternant ». Comme elle possède quelques lectures elle reprend la définition proposée par des historiens au siècle dernier (relative aux années de présidence de Mac-Mahon). Mais il s’agit de tout autre chose depuis les années 1970, comme il en va de même pour d’autres notions. Ce qui relevait d’une catégorie historienne, connue des seuls spécialistes, a pris par la suite de manière plus conséquente et plus convaincante une toute autre signification. Je ne peux que renvoyer le lecteur aux pages écrites sur l’ordre moral dans Néoféminisme et ordre moral6 Ce changement de sens Cloé Korman s’y réfère d’ailleurs sur un mode se voulant burlesque puisqu’à la lire « l’ordre moral désigne désormais un monde où l’on ne peut plus violer tranquillement les enfants, ou les femmes de ménage, ou les prostituées, sans que cela fasse des vagues, à moins que l’ordre moral, ce soit quand on ne peut plus préserver le bien-être libidinal de certains au détriment de tous les autres ». Nous violons certes une multitude d’enfants consentants et toutes les femmes de ménages noires répondant au prénom de Nafissatou, mais quand nous allions chez les prostituées (avant que ne soient pénalisés les clients dans le cadre de la loi abolitionniste de 2016) nous n’avions pas pourtant l’impression de les violer (ni elles de l’être par nous). Mais est vrai que depuis cette date les viols de prostituées sont en nette augmentation. Nous remercions madame Korman de nous donner l’occasion de le rappeler. Sa courte liste parait bien réductrice et trop peu exhaustive. Cette plaisante caricature de l’ordre moral permet à Cloé Korman de ne pas aborder ce que recouvre généralement cette notion. Rien, par exemple, sur l’interdiction ou la mise sous tutelle des expositions Gauguin ; rien sur la volonté d’élues (de gauche de surcroît) de Seine-Saint-Denis de déprogrammer le film J’accuse des salles que gère le département ; rien sur la bouffonne réécriture de Carmen à Florence ; rien sur la suppression de la rétrospective Jean-Claude Brisseau à la Cinémathèque française sous le pression d’associations féministes ; rien sur l’anathème jeté par un collectif d’étudiantes féministes lyonnaises en 2017 sur un poème de jeunesse d’ André Chénier (L’Ouristys) censé représenter une scène de viol, et donc participant de la « culture du viol » (au moins ce Chénier-là n’avait pas été guillotiné pour rien !) ; rien sur la condamnation pour « apologie du viol » du poème Les Amours de Ronsard en 2019 par des agrégatives en lettres non moins féministes (ici l’étude du poème pouvant s’avérer « extrêmement violente » pour certaines étudiantes, et placer d’autres « en situation d’insécurité ») ; rien sur les demandes de suppression (en Angleterre et en Suisse) dans les recueils de Perrault, de Grimm, de La Mère L’Oye, du conte de La belle au bois dormant « pour cause de baiser non consenti » ; rien sur les nouvelles formes de censure en cours dans le monde de l’édition sur des passages sexuellement « problématiques » ou « condamnables », ou sur le fait que les personnages masculins et féminins ne correspondent pas à des stéréotypes féministes (ou, plus inquiétant encore, du recours à l’autocensure que cela entraîne) ; etc, etc.

J’ajoute, pour clore ce commentaire sur Le Consentement :rien sur les lectures révisionnistes du Lolita de Nabokov. Vanessa Springora consacre deux pages à ce roman, significatives d’un changement de doctrine, initié peut-être en France par la psychiatre et psychanalyste Marthe Coppel-Batsch7, chez ceux qui naguère trouvaient ce roman « déplaisant », « pervers », ou tout simplement « dégueulasse » (voire le condamnant comme « favorisant la pédophilie »). L’appréciation de Vanessa Springora se trouve précédée par ce propos catégorique : « Lolita est tout sauf une apologie de la pédophilie ». Elle ajoute dans la foulée : « C’est au contraire la condamnation la plus forte, la plus efficace qu’on ait pu dire sur le sujet ». Franchement Vanessa ? Nabokov, nous le savons, l’a prétendu pour des raisons facilement compréhensives dans le contexte américain, et même ailleurs. Sa délectable préface à Lolita (signée John Ray Jr, Docteur en philosophie) pathologise autant que possible le cas Humbert Humbert, et en appelle à une « vigilance inflexible, pour élever des générations meilleures dans un monde plus sûr » . Mais qui en est dupe ? Il y a quelque ambiguïté fondamentale chez Nabokov qui contribue au plaisir de la lecture de ce grand roman. L’écrivain a joué dans ce registre une partie de sa vie non sans une certaine délectation. La naïveté (à moins qu’elle soit simulée) de Vanessa Springora parait confondante quand elle écrit avoir « toujours douté d’ailleurs que Nabokov ait pu avoir été pédophile ». C’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit du propos d’une éditrice. Que retient-elle des manuscrits de romans qu’on lui adresse aux Éditions Juliard ? Voilà un éditeur à éviter pour des textes romanesques qui relèveraient d’une certaine complexité dans le domaine sexuel. Enfin, j’y reviens, comme si la question était là ! Nabokov n’a jamais été pédophile et l’on se fiche bien de savoir « s’il a lutté contre certains penchants » ! Mais son imaginaire s’est plu à créer le personnage Lolita (une affriolante nymphette, nous comprenons Humbert Humbert et l’envions, du moins sur un certain plan), et plus tard celui d’Ada (Ada ou l’ardeur, autre grand roman, autour du thème de l’inceste). C’est ce qui dans Lolita nous intéresse et nous séduit (tout comme le portrait au vitriol de l’Amérique). Tout lecteur de Lolita, même le plus obtus, comprend bien entendu que « jamais Nabokov n’essaie de faire passer Humbert Humbert pour un bienfaiteur, et encore moins pour un type bien ». Comme si ces mauvais lecteurs de Lolita que nous sommes, selon les critères de Springora et consort, prétendaient le contraire ! Cette lecture révisionniste de Lolita s’explique principalement par la volonté de nier « qu’un ouvrage comme celui de Nabokov, publié aujourd’hui, se heurterait nécessairement à la censure ». Allons donc Vanessa, de nos jours il ne trouverait pas d’éditeur !

Laura Kipnis, comme elle l’indique au début de son ouvrage, est devenue durant un certain temps la « coqueluche » d’une « certaine aile libertarienne de la droite », qui l’applaudissait pour avoir tenu tête au « politiquement correct » (non sans par ailleurs la traiter de « gauchiste » avec tout ce que cela implique). Elle ajoute : « Que la droite félicite une personne comme moi montre bien que la politique telle qu’on la connaissait est désormais tout à fait incompréhensible ». Plus haut elle constate : « Malgré l’incessant discours sur le gauchisme qui aurait envahi l’université, la culture politique actuelle sur les campus brouille toutes les distinctions traditionnelles entre la gauche et la droite ». Laura Kipnis relève ici que « les explications politiques ne suffisent pas, et les alliances habituelles ne tiennent plus : nous sommes dans l’ordre de l’hystérie ».

Sans vouloir commenter ce qui est spécifique aux États-Unis, que les limites de ce texte ne permettent pas de traiter, les lignes précédentes n’en inspirent pas moins plusieurs remarques. D’abord je rappelle qu’en France des médias comme Causeur et Figaro vox (aux côtés de Libération et du Monde) ont rendu compte favorablement du livre de Laura Kipnis. Et l’on peut subodorer qu’ils l’ont fait en des termes proches de ceux des libertariens de la droite américaine. D’ailleurs nous observons aujourd’hui que cette critique du « politiquement correct » se trouve davantage reprise dans l’hexagone sur le côté droit. L’accusation d’y céder visant principalement certains secteurs de la gauche (ou considérée telle), en particulier le néoféminisme. J’ajoute que cette droite ne dénonce le « politiquement correct » de ce féminisme-là que pour mieux en accuser la gauche, laquelle baisserait la garde sur le plan des libertés. C’est là qu’il convient de revenir au Sexe polémique. Moins explicitement certes qu’il nous importera de le démontrer plus loin, la dénonciation par Laura Kipnis d’un conservatisme propre au néoféminisme n’entend pas céder sur la question de l’émancipation (telle que Kipnis l’a depuis longtemps formulée depuis sa vie, dans son enseignement et ses différents engagements).

Si j’avance que du point de vie de la question sociale il n’y a pas lieu de distinguer fondamentalement l’émancipation de l’homme de celle de la femme, j’entends indiquer que la question de l’inégalité entre les deux sexes (celle des revenus, des fonctions, des places) n’est que le corollaire de l’inégalité sociale. Le féminisme a joué ici un rôle d’aiguillon mais ne s’est pas révélé à proprement parler un agent de transformation sociale, moins en tout cas que les forces politiques le revendiquant. En revanche force est de reconnaître le rôle plus particulier, disons plus décisif des féministes dans la remise en cause de la sempiternelle assignation faite à la femme (son rôle d’épouse, de mère, de gardienne du foyer…) dans notre civilisation judéo-chrétienne. Le mouvement des femmes apparu durant les années 1970 a en grande partie à travers ses mobilisations contraint le pouvoir en place à légiférer dans la direction souhaitée (la loi sur l’IVG en étant l’exemple le plus représentatif et le plus emblématique). Cette critique s’exerçait également sur un plan plus individuel à travers la remise en cause de la domination masculine au sein du couple, ou dans les relations entre les deux sexes. Ceci et cela renvoyant à la « capacité d’agir des femmes » revendiquée et illustrée tout au long de son livre par Laura Kipnis : cette « capacité d’agir » représentant ce que le féminisme a produit pour le mieux dès lors que ce qui se trouvait mis ici en jeu entendait émanciper les deux sexes (dans le sens du mot de Bakounine : « Ma liberté étend celle des autres à l’infini »).

L’historienne Christine Bard distingue trois vagues du féminisme (la première, originaire, était représentative de l’affirmation « d’une priorité des femmes dans l’espace public » ; la deuxième, celle des années 68 à la fin de XXe siècle, mettait « au coeur de son combat (…) la sexualité et le droit de disposer de son corps » ; la troisième, celle du XXIe siècle, mettant elle « au premier plan les violences faites aux femmes »). Si l’on reprend grosso modo les deux premières catégories, par contre un correctif doit être apporté en ce qui concerne la troisième vague, celle précisément de l’avènement du néoféminisme.

On reconnaîtra, cela ne se discute pas, que ces violences se trouvent incontestablement mises en avant depuis une vingtaine d’années (et plus encore depuis #meetoo) à condition d’apporter les précisions suivantes. Ces violences n’en existaient pas moins auparavant, sinon plus, mais le féminisme n’en faisait pas pour autant l’alpha et l’oméga de ses combats. Également, ces violences étaient davantage « tolérées » (les guillemets s’imposent) dans la société, voire dans la nébuleuse féministe. Parler ici de tolérance, même en le nuançant fortement, signifie que là ne résidait pas l’essentiel pour l’ensemble des courants féministes qui, comme l’indique Christine Bard, mettaient eux en avant le droit pour les femmes de disposer de leurs corps, et donc de leur sexualité. Il est important de souligner ici que cette sexualité était alors connotée de façon positive alors qu’elle se trouve aujourd’hui perçue de manière de plus en plus négative (l’ouvrage de Laura Kipnis le confirmant sur les plans théorique et pratique). Ce qui en découle n’est pas sans notable incidence sur la manière dont sont de nos jours perçues, appréhendées et traitées maintes affaires de viols, d’agressions sexuelles ou de harcèlement sexuel. Il ne s’agit évidemment pas de nier la réalité de ceux-ci dès lors que les faits se trouvent avérés mais de reconnaître qu’il y a comme une suspicion jetée sur la sexualité qui passe, entre autres condamnations morales, par celle de la « libération sexuelle » de l’après 68 (ou du moins ce qu’il est convenu d’appeler ainsi). Ce qui ressort de cette suspicion devient d’ailleurs une arme que d’aucuns utilisent dans l’espace public. Cela se vérifie plus particulièrement dans le monde politique, voire dans les médias ou l’entreprise. Les exemples bien connus de plaintes déposés contre x, y ou z, même si elles rencontrent des fortunes diverses, n’ont pas besoin d’être rappelées. A ce sujet, quand des commentateurs évoquent le traitement favorable dont bénéficieraient les hommes politiques dans ce genre d’affaire on leur rétorquera qu’en 2020 la tendance tend à s’inverser : un homme politique (ou tout personnage médiatique) risque aujourd'hui plus que le commun des mortels de connaître ce genre de désagrément (du moins à l’échelle de ce qui s’ensuit dès lors qu’une plainte est déposée). Les médias qui relaient ces plaintes servent alors plus ou moins de caisse de résonance selon la notoriété du suspecté.

L’un de ces exemples, pas le plus médiatisé, parait cependant davantage exemplaire dans le cadre de notre démonstration. Dans le prolongement de la création en décembre 2018 d’un Comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles (comité exclusivement féminin : qu’une militante peut également saisir si elle subit ou se trouve confrontée à des blagues sexistes ou à des propos misogynes), la France Insoumise a répertorié en juin 2020 dix-sept cas de violences au sein de l’organisation (se décomptant entre deux cas de violences conjugales, trois de viols, sept de harcèlement sexuel, quatre de sexisme ordinaire, et deux divers) ayant entraîné l’exclusion de dix militants. La seule à être connue en dehors de LFI, celle du politologue Thomas Guénolé, avait été provoquée par le signalement en mars 2019 d’une étudiante de Sciences-Po (auprès du Pôle de vigilance et d’écoute contre les violences faites aux femmes de LFI dénonçant des faits « pouvant s’apparenter à un harcèlement sexuel » : à savoir des compliments de Guénolé sur « la voix » de l’étudiante, sur sa « présence » : la plaignante disant s’être sentie « mal à l’aise à plusieurs reprises » (d’après Mediapart cette étudiante « se sentait un peu spéciale, désignée comme la préférée », trouvant les regards de Guénolé « gênants et ses mails bizarres »). Le « pouvant s’apparenter » n’en conclut pas à la réalité d’un harcèlement sexuel mais relève d’une forte présomption. Si le ressenti d’une étudiante doit être pris en compte dans ce cas d’espèce cela conduit à prendre des libertés avec la réalité des faits. Ce qui ouvre la porte à l’arbitraire avec tous les risques d’instrumentalisation qui peuvent en découler.

Informé par LFI de cette suspicion de harcèlement sexuel (émanant du Pôle de vigilance et d’écoute, lequel proposait en interne l’exclusion de Guénolé au Comité électoral), puis interrogé le 6 avril, le politologue réfutait toute accusation. Il publiait le 18 avril un communiqué remettant vivement en cause le fonctionnement de LFI et ses dirigeants. Précisons que Thomas Guénolé n’a fait l’objet à ce jour d’aucune plainte devant la justice, ni d’aucune enquête d’un service de police. En revanche, faute de disposer de toutes les informations, il parait difficile de savoir si Guénolé, informé officiellement de la nature du signalement, s’est alors retourné contre LFI, ou si l’organisation, étant elle précédemment avertie de critiques en interne par le politologue, a choisi de jouer la carte du harcèlement sexuel pour établir un contre-feu. Pourtant, on l’apprendra ensuite, le cas de Guénolé n’était pas unique. Un autre « insoumis », Laurent Courtois, figurant également sur la liste de LFI aux élections européennes, que l’on savait opposé à la direction de l’organisation, avait précédemment connu le même sort (pour des « comportements inacceptables envers les femmes » dont ne connait pas la nature). En octobre 2020 cette « affaire Guénolé » se situe sur le terrain judiciaire : le politologue poursuit LFI devant les tribunaux, pas pour « diffamation » ou « dénonciation calomnieuse » puisque LFI n’a pas accusé nominalement Guénolé de harcèlement sexuel, mais pour des manquements relatifs à la procédure disciplinaire interne organisée contre lui.

Cette « affaire Thomas Guénolé » n’est pas sans renvoyer une fois de plus à l’ouvrage de Laura Kipnis. Ce qui ressort de l’existence d’un Comité de suivi contre les violences sexuelles et sexistes (et du mode de fonctionnement d’un Pôle de vigilance et d’écoute contre les violences faites aux femmes) nous reconfronte à quelques unes des procédures en titre IX portées à notre connaissance dans Le sexe polémique. LFI n’est pas le seul parti à vouloir surfer sur la vague néoféministe mais sa volonté de traiter en interne les « violences sexuelles et sexistes », en se dotant de procédures ad hoc, n’est pas sans évoquer le fonctionnement des universités américaines dans le traitement des cas « d’inconduite sexuelle ». Dans l’un et l’autre cas une instruction est menée indépendamment d’une information et d’un traitement judiciaire, voire se substituant à eux : soulignons que les deux militants de LFI ont été exclus, l’un pour suspicion de harcèlement sexuel, l’autre pour des comportements sexistes, alors que nulle plainte n’avait été déposée à leur encontre par des plaignantes. On en déduit que LFI préfère faire la police et la justice elle-même dans ce cas d’espèce en se montrant plus tatillonne, ou plus exemplaire c’est selon que l’institution judiciaire. D’une façon plus générale, parmi les nombreuses façons de se débarrasser d’un adversaire politique au sein d’un parti affirmant vouloir lutter contre les violences faites aux femmes, l’accusation de harcèlement sexuel (pour s’en tenir là) a de beaux jours devant elle.

Christine Bard ne prend pas en considération une autre caractéristique liée à cette « troisième vague du féminisme », qui d’ailleurs prend de plus en plus d’importance au sein de la nébuleuse néoféministe : l’évolution vers des positions communautaristes. La version la plus caricaturale ou la plus sectaire se trouve en quelques sorte illustrée par Alice Coffin, dont le propos promu à la célébrité (« Moi, en tant que femme, ne pas avoir de mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée. Et cela évite que mes enfants le soient aussi ») a fait le tour de la toile. Contrairement à ce qu’affirment ses défenseurs qui estiment que les propos de la militante féministe ont été dénaturés, Alice Coffin persiste et signe dans Le désir lesbien (où « l’hétérosexualité de la femme reste pour elle un douloureux problème ») en prétendant que « les hommes mènent une guerre permanente contre les femmes et tentent de le dissimuler ». D’ailleurs auparavant, dans un entretien accordé à National géographic, la militante féministe exhortait ses soeurs en ces termes : « Évitons toute critique publique envers d’autres femmes en position de pouvoir », ceci devenant « indispensable si nous ne voulons pas entretenir la misogynie. Concentrons, en public, nos attaques contre les hommes ». Ou comme le dirait Houria Bouteldja dans un autre registre : « Un banquier noir c’est d’abord un noir ». Ici nous avons : « Marine le Pen c’est d’abord une femme », une soeur quoi.

Le communautarisme féministe (à l’instar de ceux, religieux, ou indigéniste, LGBT…) prend le particulier, le sien, pour le général. Ce qui revient à dire qu’il entend se substituer à ce que le féminisme a produit pour le mieux (lequel, dans sa version émancipatrice, en défendant la cause des femmes, n’en défendait pas moins une humanité plus libre, plus égalitaire, plus solidaire), afin de transformer cette cause en une « lutte des sexes » pour qui, plus ou moins certes d’un positionnement à l’autre, l’ennemi devient l’homme, le mâle, voire dans la version la plus postmoderne du néoféminisme « l’homme blanc hétérosexuel ». Ce communautarisme féministe se trouve parfois logé à l’enseigne d’un « féminisme radical ». Cette radicalité-là n’ayant qu’un lointain rapport avec ce qu’il est convenu d’appeler depuis Marx, à savoir « prendre les choses à la racine ». Il est vrai que l’adjectif « radical » et le nom « radicalisme » (ne parle-t-on pas d’un « radicalisme islamiste », ou « identitaire » ou « animaliste ») ainsi vulgarisé désigne aujourd’hui l’une ou l’autre forme d’un extrémisme. Le mot radicalité semble résister encore : mais pour combien de temps ?

Notre conclusion nous pourrions la tenir avec quelques uns des autres cas de communautarisme évoqués ci-dessus. En admettant comme l’auteur de ces lignes que la « question sociale » (qui ne correspond plus à la définition devenue aujourd’hui restrictive qu’en avaient les révolutionnaires du XIXe siècle) englobe toute les autres, il importe une fois de plus de défendre une critique unitaire contre l’une ou l’autre de ces idéologies qui a contrario se situent sur le seul terrain identitaire. Un féminisme - tel que l’exprime Laura Kipnis et toutes celles et ceux pour qui l’émancipation de la femme n’entend pas in fine être distinguée ou différenciée de celle de l’homme - participe depuis des modalités qui lui sont propres de cette critique unitaire8. En revanche le néoféminisme, en se repliant sur des positions communautaires et identitaires, contribue peu ou prou à substituer à la « question sociale » celle de la « lutte des sexes ». En ce sens il doit être combattu comme étant l’une des fausses réponses à la manière dont cette société devrait être réformée, et surtout transformée. Celle-ci est certes divisée, mais sur les seules bases susceptibles de créer les conditions révolutionnaires d’une société sans classes. Ou, pour le dire autrement avec un bon auteur : les habitants de cette société « se sont divisés en deux partis, dont l’un veut qu’elle disparaisse ».

Max Vincent

octobre 2020

1 La seconde partie de Sur louvrage Le sexe polémiquerenvoie le cas échéant à lune ou lautre de ces contributions.

2 Se reporter aux pages 11 à 13 : http://lherbentrelespaves.fr/public/neofeminisme.pdf

3 Se reporter pour un plus long développement sur cette « affaire Muller - Brion) aux pages 4 à 6 de Néoféminisme et ordre moral Deux : http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf

4 Se reporter également aux pages 11 à 13 du même texte.

5 Se reporter aux pages 38 à 40 de Néoféminisme et ordre moral Deux : http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf

7 Se reporter aux pages 18 et 19 de Néoféminisme et ordre moral Deux : http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf

8 Laquelle, en plus de la question sociale proprement dite, prend en compte la destruction des bases biologiques de la vie, la marchandisation du monde, la déculturation généralisée, les replis et illusions identitaires et populistes (en y ajoutant les questions raciales et féministes débarrassées de leurs avatars indigéniste et néoféministe).