L'herbe entre les pavés2024-02-08T10:23:55+01:00Max Vincenturn:md5:8f0e7b5ea955bbb43c88ab343e5a1306DotclearMODESTES PROPOSITIONS SUR UN « CINÉMA POLITIQUE »urn:md5:5590cf4b90b87e11728808e1ab5ce9742024-02-08T10:46:00+01:002024-02-08T10:48:06+01:00Max VincentCinéma2024 <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-4280c26d-7fff-aa78-dff5-aa836e1eafa1"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">MODESTES PROPOSITIONS SUR UN « CINÉMA POLITIQUE »</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Évoquer un « cinéma politique » s’apparente à une gageure. Il n’est pas question de faire ici l’historique d’une notion qui, comme on le verra dans la première partie de ces « modestes propositions », n’est pas également sans relever d’une définition par défaut. Secondairement, je ne reprends pas à mon compte la proposition selon laquelle « tout film serait politique », non pour lui retirer toute pertinence, mais par souci de ne pas céder au vertige de l’exhaustivité : les limites de ce texte m’en dispensant. Et puis, pour en venir à ce que j’entends par « cinéma politique », les cinq films convoqués dans la seconde partie - </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(Alain Tanner), </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(Jean-Luc Godard), </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum imus nocte et consumimur igni </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(Guy Debord), </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La comédie du travail </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(Luc Moulet), </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(Michael Haneke) - ne renverraient pas, selon certains critères, à ce qu’à d’explicite cette formulation. Une troisième partie mettra paradoxalement en relation Debord et Godard. D’où la nécessité de tenter malgré tout de définir en amont ce « cinéma politique », non sans convenir - j’y reviens - qu’il me faut d’abord préciser, en raison de l’aspect polysémique de l’adjectif « politique », ce qu’il ne serait pas.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A travers ce que j’appelle « cinéma politique », je n’entends pas par exemple me référer à un « cinéma militant ». Non qu’il ne soit pas à proprement parler « politique » (toujours selon les mêmes critères), mais parce qu’il se trouve surchargé de signes qui clignotent tous dans la même direction, ne laissant pas d’autre choix au spectateur que d’adhérer sans coup férir, ou rejeter sur le même mode tel film « militant ». Et puis ce cinéma privilégie expressément le contenu au détriment de la forme. Ce qui, indépendamment de ce qu’a de critiquable ce positionnement, s’apparente pour le mieux à un exercice de pédagogie politique, mais d’où le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">cinéma </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">serait généralement absent. On peut également établir un parallèle entre la critique ici de ce « cinéma militant » et le procès que de bons auteurs, dans le domaine littéraire, ont instruit au siècle dernier contre la « poésie de circonstance » : de Breton à Bataille, en passant par Péret, Char et Reverdy. Pour nuancer mon propos, deux expériences de « cinéma militant », toutes deux apparues au lendemain de mai 68, celles des groupes Dziga Vertov et Medvedkine, remettaient résolument en cause les modes de production propres au cinéma, et privilégiaient la notion de collectif contre celle d’auteur. Le mieux, la réinvention d’une écriture filmique, composant avec le pire, l’adhésion à une idéologie plus ou moins maoïste. Ceci aussi pour ajouter que quelques unes des questions, soulevées en leur temps par ces deux collectifs, se reposeraient nécessairement dans une situation véritablement révolutionnaire, remettant en perspective le projet d’une société sans classes, non marchande.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En second lieu, je n’entends pas me référer à un « cinéma social ». Pour prendre un exemple significatif (dans le meilleur sens du terme), le cinéma de Ken Loach remplit plus que d’autres les pages du cahier des charges d’un « cinéma social ». A condition de ne pas vouloir confondre à tout prix l’homme, engagé politiquement à l’extrême gauche, d’un cinéma, le sien, qui de mon point de vue s’avère plus « social » que « politique ». D’abord parce que le cinéma de Loach est résolument réaliste. Ensuite, c’est l’une des conséquences, parce que les personnages des films de Ken Loach appartiennent très majoritairement aux classes populaires (et parmi elles, principalement, au monde ouvrier), voire aux classes moyennes inférieures. Enfin, facteur plus déterminant, cette volonté de susciter de l’empathie chez les spectateurs (envers les personnages des films de Loach), c’est-à-dire d’oeuvrer dans un processus d’identification, se révèle étrangère à la conception brechtienne (politique), selon laquelle il importe au contraire que le spectateur ne s’identifie pas à ces personnages pour, en raison de cette distanciation, « remplacer la participation émotive du spectateur par la prise de conscience des implications idéologiques de l’art ». C’est ce qui principalement, sans vouloir transformer cette constatation en mode d’emploi, distingue « cinéma politique » et « cinéma social ». Remarquons aussi que des critiques émanant des presses de droite et mainstream, donc ne partageant nullement les idées politiques de Ken Loach, ont pu défendre tel ou tel film du cinéaste anglais pour les raisons exposées ci-dessus.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je ne sais pas si un cinéaste comme Robert Guédiguian appartient plus à un cinéma « social » que « politique ». Il a du moins le mérite de nous confronter d’un film à l’autre à une communauté, celle d’un groupe de prolétaires (renforcé, au fil des années, par des personnages appartenant aux classes moyennes), qui résiste autant contre la domination et l’exploitation capitaliste ambiante que contre ce sentiment « d’inappartenance » qui entend dissoudre toute conscience de classe dans les eaux saumâtres du populisme. Une expression communautaire, je le souligne, totalement étrangère au communautarisme.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Même incertitude avec le cinéma d’Ari Kaurismaki, et ses personnages de laissés pour compte de l’existence. Mais sans misérabilisme : l’humour du cinéaste, et cette sorte d’empathie (qui lui est propre) envers les « cabossés de la vie » l’en protégeant. Avec une mention particulière pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La fille aux allumettes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">:</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un film qui depuis l’exposé presque bressonnien d’une « vie minuscule », change radicalement de perspective pour déboucher sur une jubilatoire revanche sociale digne de Violette Nozière et des soeurs Papin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ici, pour tenter de préciser depuis un autre questionnement ce que serait alors un « cinéma politique », je reprendrai plusieurs des thématiques abordées dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pourquoi l’ouverture d’une rubrique sur le cinéma ?</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (le premier texte mis en ligne sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans la section « cinéma »).</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">D’abord le cinéma, de manière générale, ne se distingue pas, fondamentalement, sur un plan historico-esthétique, des autres formes d’expression artistique. C’est dire qu’il s’inscrit dans une même échelle de temporalité historique (prémices, le cinéma muet ; âge classique, le parlant jusqu’à la fin des années 1950, voire après ; modernité, en distinguant une « première modernité » (fin des années 1950, début de la décennie suivante) d’une « seconde », dix ans plus tard ; postmodernité, tendance apparue vers la fin du XXe siècle). J’indiquais que pareille modernité remettait en cause les représentations dominantes au cinéma, et l’académisme qui, sous ce rapport, en résultait. Ceci se rapportant au cinéma hollywoodien, et également à celui, dans l’hexagone, qualifié de « qualité française ». Il aurait été difficile de tenir pareil discours dans un temps où le cinéma, contrairement là aux autres formes d’expression, pouvait encore être considéré comme un art populaire. Tout comme les limites de ce texte ne permettent pas de tenter de confirmer ou d’infirmer, ou de laisser en suspens, l’hypothèse d’une « mort du cinéma ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un second temps, toujours dans la continuité de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pourquoi l’ouverture d’une rubrique sur le cinéma ?, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">je soulignerai que, plus que toute autre forme d’expression artistique, le cinéma a été à un moment de son histoire (les lendemains de la Seconde guerre mondiale), principalement en France, l’objet dans des cercles restreints d’une fascination confinant à la fétichisation. Ce qui prend ici le nom de cinéphilie privilégiait principalement un cinéma américain qui avait été interdit d’écrans durant l’Occupation (flanqué de trois quatre cinéastes européens), ceci au détriment des cinématographies du reste du monde. Cette focalisation sur le cinéma hollywoodien n’a pas été sans donner naissance dans l’hexagone à une critique dont la « théoricité », se prévalant d’une certaine idée de la forme, occultait tout ce que l’américan way of life ainsi promu avait de proprement idéologique. Ou alors, quand elle était avancée dans les rangs staliniens, cette critique se délitait à mesure qu’il s’agissait pour elle de célébrer le modèle soviétique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On sait ce qui s’en est ensuite ensuivi : ce cinéma made in USA, lequel comptait certes dans ses rangs des cinéastes dont les indéniables qualités formelles entraient en contradiction avec l’aspect idéologique du contenu de leurs films, n’a pas été sans fabriquer par la suite, une fois terminé l’âge d’or hollywoodien, des produits formatés pour les publics de la mondialisation. Relevons dans cette séquence « cinéphilique » un paradoxe : les jeunes turcs qui dans les pages des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers du cinéma </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ruaient dans les brancards, en fustigeant à juste titre les cinéastes de type « qualité France » (mais ceci depuis une défense et illustration du cinéma américain, plus Renoir, Bresson, Rosselini, et quelques autres), une fois devenus réalisateurs, ont représenté l’une des composantes de cette modernité dont j’ai dit plus haut qu’elle entendait rompre avec le cinéma dominant (en France, mais également en Italie et au Japon).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En troisième lieu, l’indication selon laquelle cette réflexion sur le cinéma débouchait sur un constat mélancolique, ne saurait être développée, ni même reprise pour l’instant, sinon pour préciser que cette notion de « cinéma politique » ne se rapporte pas à un état du cinéma contemporain, lequel, ajoutais-je, avait majoritairement cessé de m’intéresser. D’ailleurs les dates des cinq films convoqués dans notre seconde partie (1969, 1975, 1978, 1987, 2005) sont significatives.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Et puis, pour souligner plus encore la complexité de l’exercice, certains films ne sont-ils pas « politiques » par surcroît ? Je prendrai deux exemples représentatifs, l’un depuis le film même, l’autre depuis sa réception. Dans le premier cas, entre autres exemple, citons celui de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paris nous appartient </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Jacques Rivette. Presque à la fin du film, l’un des personnages, s’adressant à « l’héroïne » de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paris nous appartient, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la rabroue en ces termes : « L’organisation est une idée, elle n’a jamais existé que dans l’imagination de Philippe. C’est tellement simple de tout expliquer par une idée, et en plus de son inaction et de sa lâcheté. Il y a des organisations plus sournoises, plus diffuses : l’argent, les polices, les partis, toutes les figures du fascisme. Le mot a plus qu’un visage, sinon ce serait trop facile ». Ce qui nous oblige, spectateurs du film, à reconsidérer sous cet éclairage la signification de ce que nous venons de voir, durant presque une heure trente. Ce qui ne veut pas dire que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paris nous appartient, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">jusqu’à ce moment-là, aurait un caractère de gratuité. Bien au contraire ! Rivette dès son premier film se colletait avec l’idée de complot, une idée chez lui relevant autant du réel que de l’imaginaire (ce qui interdit toute interprétation en terme de « complotisme »). Plusieurs films du cinéaste, ensuite, intégreront cette dimension « version complot » qui singularise le cinéma de Jacques Rivette. Mais sans pour autant reprendre le « mode d’emploi » plus haut signalé de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paris nous appartient. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A l’exception, peut-être, de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La bande des quatre, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dont le carton remplaçant le mot « fin » (ce film est dédié « aux prisonniers, à celles et ceux qui les attendent ») souligne, pour qui en douterait, l’aspect fable politique de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La bande des quatre. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Claude Chabrol (à mes yeux son meilleur film), le commentaire porte moins sur le film même (j’y reviendrai plus tard) que sur la réception critique des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en 1960. En prenant connaissance de la copieuse biographie qu’Antoine de Baecque a consacré à Chabrol, en 2021, le lecteur ne peut être que très surpris par cet accueil comprenant plusieurs choeurs de plaignants : dans l’ordre les communistes, une certaine gauche, les catholiques, et des voix féminines. Dans la presse communiste il est question d’un « remugle de putréfaction, de cynisme bon marché, de perversion volontaire des données de la réalité ». Ou encore nous relevons que « le cinéaste sombre dans le nihilisme le plus parfait, le goût du dégoût, le piétinement des choses sacrées (…) film trop noir, trop désespéré et désespérant pour que l’on puisse y prendre le moindre plaisir (…) symptôme de la bassesse et de l’ignominie ». Pour ce qui concerne une partie de la presse de gauche, le titre de l’article des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps modernes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">annonce la couleur : « Claude Chabrol et Paul Gegauff, ou la nostalgie du Walhala » </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Premier plan </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">va même plus loin : « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sur un scénario de Gegauff est le premier film à s’avouer un film fasciste, le premier à ne plus cacher son mépris ouvert à tout le public ». Freddy Buache, dans ce registre, dénonce lui « la mentalité d’un cinéaste encore indécis, qui semble posséder les meilleures prédispositions pour prendre un jour, si les événements l’y engageaient, la relève de Vent Harlam ». La presse catholique n’est pas en reste. On y lit : « Voilà un cinéaste en pleine déconfiture morale. Jusqu’où l’oeuvre de Chabrol descendra-t-elle ? Nous le savons à présent. Jusqu’à mépriser les « âmes simples », jusqu’à une falsification sans excuses de la vie de quatre jeunes vendeuses uniformément présentées comme des sottes et des dévergondées ». C’est d’ailleurs toute la Nouvelle vague, dans cette presse catholique, qui en prend pour son grade : « Ce qui est « dégueulasse » c’est l’usage de plus en plus répugnant que les jeunes réalisateurs français font du cinéma. Il ne s’agit plus de raconter une histoire, il s’agit à travers une histoire d’avilir le spectateur, de le conditionner à l’ignoble ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une soixantaine d’années plus tard, nous restons confondus devant ce qu’il faut bien appeler un sottisier. Avant de tenter de l’expliquer citons Françoise Sagan, qui louait elle « la vivacité du film, l’humour, la rapidité, la poésie, un sens de l’érotisme ». Et ajoutait : « Si je ne soutiens pas que 90% de la population parle comme les personnages des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">je serai modeste. Et que les rues, les piscines, les dancings sont tous peuplés d’individus semblables je serai juste. Mais que se passe-t-il ? Les critiques ne fréquentent-ils plus le bon peuple de Paris ? ». Car c’est plutôt paradoxal de relever que les commentaires de Sagan sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se révèlent plus justes, plus exacts, non encombrés de considérations moralisatrices et prétendument politiques que le florilège de la critique cinématographie plus haut cité. A croire que les représentants de cette dernière, y compris dans la presse soi-disant la plus à gauche, n’avaient jamais croisé ou rencontré l’une ou l’autre de ces « bonnes femmes ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Qu’est ce qui déplaisait donc tant dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">? Chabrol, comme de Baecque l’indique, « parvient à se maintenir à distance de son sujet, sans jamais lui imposer un jugement de goût, ou moral, une signification, sans dénoncer qui que ce soit ni en faire l’apologie ». Mais ces éléments-là, pourtant fondamentaux, ne pouvaient être pris en compte par qui s’indignait de ce que Chabrol lui montrait. Car que voit-on à l’écran ? Des vendeuses qui s’ennuient à cent sous de l’heure sur leur lieu de travail. Cette vérité, presque universelle, n’est certes pas acceptée par tout le monde, « valeur travail « oblige. Sur les déplacements de nos « bonne femmes » à l’extérieur, dans leurs relations avec les hommes, ce qui en ressort nous est montré sans fard. La bêtise est davantage l’attribut de la gent masculine. L’humour chabrolien peut le cas échéant virer au noir (le prince charmant à motocyclette, qui se révèle être un assassin, fait écho à la relique secrète de Madame Louise, le mouchoir trempé dans le sang de Weidmann, le célèbre dernier guillotiné). Contre le cinéma dominant de l’époque, celui hollywoodien, comme celui relevant de la « qualité France », </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">brosse les portraits de quatre vendeuses, des prolotes, s’affranchissant des stéréotypes habituels : parce que ces jeunes femmes ne sont ni des potiches, ni des faire-valoir, ni des ravissantes idiotes, ni, pour tordre le bâton dans l’autre sens, des personnages de femmes « sublimées ». Chabrol et ses amis n’étaient certes pas les seuls à faire un sort aux clichés véhiculés par ce cinéma dominant à l’époque. Antonioni, j’y reviendrai, s’y trouvait aussi confronté depuis une autre approche.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est pourquoi, en regard de la justesse de l’analyse des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par Antoine de Baecque, citée plus haut, comment ne pas s’étonner ensuite, depuis le crédit qu’il accorde aux rares critiques femmes de l’époque, lesquelles s’offusquent de la passivité des quatre personnages féminins face aux hommes (premier contresens), et « surtout vis à vis de ce que la société leur inculque ou attend d’elle » (second contresens), de constater que le biographe de Chabrol n’est pas sans contredire ce qu’il écrivait précédemment en évoquant maintenant un « malaise » devant « la cruauté du duo Gegauff-Chabrol » envers les femmes. Comme s’il convenait de revoir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">depuis une grille de lecture #MeToo, en prétendant que dans ce film « les femmes sont immanquablement les victimes sans aucune conscience du moindre refus possible ». Comment peut-on dire une chose et son contraire ! On constate que de Baeque reprend, non sans complaisance, un certain air du temps, le doigt posé sur la couture du pantalon. En plus il en rajoute quand il avance que « le meilleur titre pour ce film, alors qu’aujourd’hui « les bonnes femmes » n’est plus possible, serait donc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les proies</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Cette terminologie reprend pourtant l’une des apostrophes d’un personnage masculin du film ! Plus insidieusement, un certain révisionnisme pointe le bout de son nez. Pour terminer là-dessus, était-ce bien la peine de citer longuement cette recension critique des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonnes femmes</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, qui détaillée de la sorte relève d’un bêtisier (en invitant le lecteur à s’en gausser), pour, in fine, rejoindre le gros de la troupe des contempteurs de cet opus chabrolien, en sacrifiant ainsi </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sur l’autel de #MeToo ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est la raison pour laquelle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui paraissait ne remplir aucune des cases de ce qu’est un « film politique », appartient à cette catégorie d’oeuvres cinématographiques qui le seraient « par surcroît » : ici en raison de la cécité de la critique qui, du moins en partie, condamnait </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">depuis un discours prétendument politique. Alors que l‘on aurait pu penser, les clameurs s’étant ensuite tues (Chabrol devenu un cinéaste respectable, apprécié du grand public) que les qualificatifs très négatifs du film en 1960 n’étaient plus de saison. Bien entendu, il n’est plus question de qualifier </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les bonnes femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de film fasciste, nihiliste, ou ignominieusement immoral, mais en 2021, actualité oblige, depuis une plus petite échelle référentielle l’accusation porte sur le sexisme (prétendu tel) du film.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sur ce thème, je renvoie le lecteur à un texte précédemment mis en ligne sur L’herbe entre les pavés, www.lherbentrelespaves.fr/ (« Apories de l’émancipation : féminisme, arts et lettres, sexualité »), aux pages de la seconde partie consacrées à l’analyse critique d’un article de Laure Murat sur le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Blow up </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’Antonioni.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un autre registre, la manière d’appréhender l’oeuvre de certains cinéastes, validée par l’usage, fait écran pour ainsi dire. Je prendrai, pour rester avec Antonioni, l’exemple du qualificatif « d’incommunicabilité », rapporté au cinéaste, du moins pour les films de sa période médiane. Ceci à l’aune de ce que certains critiquent, voire condamnent en taxant ce cinéma « d’intellectualiste », « d’élitiste », ou de « nombriliste ». Cette focalisation sur « l’incommunicabilité » (illustrée à travers le malaise du « couple moderne » et à ses difficultés de communication) occulte ou évacue plus ou moins consciemment ce en quoi la modernité d’Antonioni - celle de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Avventura, La Notte, L’éclipse, Le désert rouge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- est moins la prise en compte d’éléments de nature sociologique et psychologique significatifs que la remise en cause de la notion de temps au cinéma : le cinéaste considérant que cet « usage du temps » se révèle généralement mensonger. En ce sens, Antonioni tourne résolument le dos au néoréalisme italien de l’après guerre. Dès son premier long métrage (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chronique d’un amour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1950), Antonioni se rebelle contre « certains schémas établis » au cinéma, et s’en prend à ce que véhiculent les représentations de la « victime », du « héros », du « bon, et du « méchant ». Mais c’est avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Avventura </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qu’Antonioni peut pleinement exprimer sur l’écran ce qu’il demande au cinéma : ce film étant l’un des deux manifestes (avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Godard, la même année) de cette première modernité au cinéma. Même en 1975, avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Profession reporter, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Antonioni entend « réduire au minimum le suspens (…) qui devait demeurer comme un élément indirect, médiat ». Ceci pour ne pas retomber dans les facilités du cinéma dit de « genre ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce qui, avec également Godard et Oshima, ou auparavant Bresson, s’oppose au cinéma dominant, eu égard la radicalité d’une démarche formelle et d'une exigence critique, relève du politique dans le meilleur sens du terme. Plus près de nous, l’oeuvre de Mikael Haneke l’est en raison de son contenu critique vis à vis des nouvelles formes d’aliénation de notre monde contemporain. Je regrette de ne pas pouvoir évoquer des cinéastes de la facture de Robert Kramer (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ice, Milestones</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), Fredi Murer (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Zone grise</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), ou Koji Wakamatsu. Mais, pour les deux premiers, il aurait fallu créer une rubrique relevant à la fois de la dystopie et d’une typologie « fictions documentaires », et la singularité du troisième apparaît moins flagrante dans ses films plus directement politiques.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin, pour aborder un dernier aspect de ces « modestes propositions », à la confluence des données politique et morale, je citerai le court mais célèbre article de Jacques Rivette (« De l’abjection »), publié dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Cahiers du cinéma </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en 1961. Il y déclare que « faire un film, c’est donc montrer certaines choses, c’est </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en même temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et par la même opération, les montrer sous un certain biais : ces deux actes étant rigoureusement indissociables ». Rivette renouvelle cette récurrente question de l’indissociabilité entre la forme et le contenu depuis l’analyse critique d’une fiction (le film </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Kapo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Gilles Pontecorvo) se déroulant dans un camp de concentration nazi. Ce que Rivette reproche justement à Pontecorvo se trouve concentré dans les lignes suivantes, souvent citées (se rapportant au plan durant lequel le personnage de déportée, joué par Emmanuel Riva, se suicide en se jetant sur les barbelés électrifiés) : « L’homme qui décide à ce moment-là, de faire un travelling avant pour recadrer le cadavre en contre-plongée, en prenant soin d’inscrire exactement la main levée dans un angle de son cadrage final, cet homme n’a droit qu’à un profond mépris ». Auparavant Rivette citait </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nuits et brouillard </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ce qui devenait un contre-exemple) pour indiquer que la force du film d’Alain Resnais « venait moins des documents que du montage, de la science avec laquelle les faits bruts, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">réels, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">hélas ! étaient offerts au regard ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Vingt-deux ans plus tard, Serge Daney consacrait un long article (« Le travelling de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Kapo</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ») au texte de Jacques Rivette. Il citait un autre film de Resnais (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Hiroshima </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mon amour) pour ajouter que « C’est parce que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nuits et brouillard </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avait été possible que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Kapo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">naissait périmé et que Rivette pouvait écrire son article ». Celui de Daney s’avère trop riche pour être ici développé. Je retiens néanmoins cette citation extraite de « De l’abjection » (« Il est des choses qui ne doivent être abordées que dans la crainte et le tremblement »), qui permet à Daney de comparer le travelling de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Kapo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avec un extrait des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Contes de la lune vague après la pluie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Mizogushi, celui de la mort de Miyagi. La différence fondamentale, ici en l’occurrence, entre ces deux films étant précisément celle de « la crainte et du tremblement » : « Pontecorvo, lui, ne tremble ni ne craint : les camps ne le révoltent qu’idéologiquement. C’est pourquoi il s’inscrit « en rab » dans la scène sous les espèces gougnafières d’un travelling joli ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Donc, pour résumer, la meilleure bonne conscience du monde (comme celle de Pontecorvo, cinéaste de gauche) ne peut s’abstraire de la donnée suivante, fondamentale : la signification de ce qui est filmé n’est jamais indépendante de la façon dont les choses, les personnages sont filmés. Avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Kapo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(premier film de fiction sur les camps de concentration nazies), cela se trouve aggravé par le fait que le cinéaste, travelling à l’appui, esthétisme un plan, comme l’indiquent Rivette et Daney, ce qui dans un tel contexte relève de l’abjection. Le travers de Pontecorvo étant également celui d’un cinéaste qui vise à être </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">efficace</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (cela n’a pas été assez souligné) et qui s’y adonne sans s’interroger sur la manière d’y parvenir. Je ferai un pas de côté, vis à vis des articles de Rivette et Daney, en indiquant que je partage certes leurs critiques sur ce qu’a d’abject cette finalité esthétisante, mais ce n’est que l’un des côtés d’une même pièce. Ceci parce que des Laure Murat, suivie d’Iris Brey, s’en sont pris ces dernières années au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Blow up </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">D’Antonioni en prétendant que l’esthétisme de ce film « étouffe et écrase le scandale qu’il recèle ». Par conséquent l’argument peut se trouver repris pour dénoncer une prétendue « culture du viol » dans le film d’Antonioni (je renvoie de nouveau au texte cité plus haut). J’ajoute donc que Pontecorvo (en revenant sur l’efficacité soulignée plus haut) avait comme modèle un certain cinéma américain, et non celui représenté par les deux films d’Alain Resnais (son antinomie, en quelque sorte). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Par ailleurs le mot « efficacité » (ou encore « la quête d’efficacité ») est celui qu’utilise Edwy Plenel pour qualifier et louer les films de Costa-Gavras. Pour Plenel (son ouvrage, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tous les films sont politiques, avec Costa-Gavras</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), il s’agit d’un « nouveau cinéma politique, aux ressorts supposés « hollywoodiens » pour ses détracteurs jaloux de son efficacité ». On comprend que le box-office représente in fine l’élément décisif d’appréciation pour le directeur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce que confirme Costa-Gavras d’une certaine façon quand il déclare : « Je crois que le cinéma est un spectacle (…) On va au cinéma pour voir un spectacle, pas pour entendre un discours ». Je dirais que le public (de gauche, selon les critères de Plenel) qui fait le succès des films de Costa-Gavras, y trouve ce qu’il est venu y chercher : être conforté dans qu’il sait déjà. Et donc que ce cinéma, qui fonctionne sur des ressorts de type hollywoodien, n’a rien de nouveau, ni de vraiment politique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour revenir sur la question des camps, je précise qu’un film indigent comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La vie est belle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Roberto Benigni ne mériterait pas d’être cité s’il n’avait obtenu pareil succès public et même critique lors de sa sortie en 1996 (sans parler de l’ahurissante pluie de récompenses obtenues). C’est toute la partie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La vie est belle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui se déroule dans un camp d’extermination qui est abjecte, ceci pour des raisons différentes du travelling de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Kapo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(film qui, en dehors de ce fameux travelling, n’a rien d’indigne). Cette grotesque façon - la fable a bon dos ! - de décrire et de traiter l’univers des camps de la mort prouve, si besoin était, la déperdition de tout esprit critique, ici renforcée par l’ignorance crasse de critiques et de spectateurs devant les mensonges d’une fiction prétendument « humaniste ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">2</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">CHARLES MORT OU VIF</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Disons le d’emblée : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est, à nos yeux, le film qui - plus que d’autres - a le mieux exprimé l’esprit de mai 68. Cela peut paraître paradoxal puisqu’il s’agit d’un film suisse, le premier en date d’Alain Tanner (sorti en 1969). L’oeuvre de ce cinéaste, disparu en 2022, ne se situe pas entièrement dans ce registre politique, mais la partie de celle, conséquente, qui nous importe le plus (et l’on pourrait citer ici, à la suite de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">:</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La salamandre, Le milieu du monde, Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000, Messidor, No man’s land…</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) y répond assurément. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le destin de Charles Dé, quinquagénaire, chef d’une petite entreprise familiale fabricant des ressorts de montres, se scelle le jour où une équipe de télévision vient l’interviewer pour le centième anniversaire de l’entreprise. Charles évoque son grand père horloger, son père (un mélange d’horloger et d’industriel), son fils (« un homme d’affaire, lui »). Devant l’étonnement du reporter, qui s’étonne de l’absence de Charles dans cette liste, ce dernier élude la question, mal à l’aise. Pierre, le fils, reproche plus tard à son père de manquer d’ambition pour l’entreprise. Il se dit prêt, pour sa part, à prendre la succession. En partie pour se rattraper, Charles accepte de participer à une émission de télévision intitulée « Les gens comme ça », durant laquelle ceux-ci racontent leur vie.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Lors d’une longue interview filmée, Charles Dé joue le jeu (et même au delà !). Il revient sur son grand père, décrit comme « un vieux libertaire », son père et lui. Charles évoque alors ses difficultés, vers l’âge de 20 ans, à s’intégrer dans un monde dominé par l’argent, le respect des conventions, le conformisme social, le sens de la hiérarchie et de l’autorité. Et pourtant, par faiblesse, par obligation familiale, parce qu’il ne pouvait pas faire autrement, il s’était retrouvé peu après la guerre à la tête de l’entreprise au lendemain de la mort de son père. Charles enchaîne sur sa tentative, non suivie d’effets, d’améliorer la condition de ses salariés. Puis il se livre davantage en se décrivant comme un homme pris dans un piège. De là, explique Charles, sa propension à se détacher de l’entreprise, et son incapacité à donner du sens à sa vie. Il attendait quelque événement qui ne se produisait pas. Autour de lui tout se délitait, il en arrivait à ne plus croire à sa propre existence. Et Charles conclut par ces mots : « Je suis comme dans un bain de coton, sans angoisse véritable, sans espoir, enfermé dans le confort et la sécurité ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">décrit ensuite la lente et inexorable progression, autant jubilatoire, exemplaire que critique, de Charles Dé vers son destin de « déserteur social et familial », et d’homme que l’on finit par enfermer dans une clinique psychiatrique. Déjà, Charles prenait ostensiblement congé de ce qui l’encombrait en se débarrassant des lunettes (celles du chef d’entreprise) qui l’empêchaient de voir clair. Durant l’importante scène suivante, celle cathartique, de la « confession » devant une caméra de télévision, Charles en prendra acte. Ce processus de « perte d’identité » perdure dans l’hôtel où Charles se réfugie : il donne alors un faux nom. Plus tard, une fois adopté par Paul et Adeline, Charles deviendra « Carlo » pour le couple.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plusieurs scènes illustrent ce lent décrochage. Après la diffusion de l’émission « Les gens comme ça » (vue dans un une salle de café), Charles coupe les ponts avec son entreprise et sa famille. Il s’installe dans un premier temps à l’hôtel. Charles rencontre ensuite un couple, avec qui il sympathise. Paul et Adeline lui proposent d’abord l’hospitalité pour la nuit, puis de rester chez eux le temps qui lui conviendra. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">jusqu’à la fin du film, va décrire la vie au quotidien de ce trio (ou quatuor, lorsque Marianne, la fille étudiante et contestataire de Charles vient les rejoindre). Paul et Adeline peuvent être qualifiés de marginaux. Lui exerce le métier de peintre en lettres, à son compte et à ses heures. Elle, fille de juge, a rompu avec son milieu.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’hospitalité du couple s’avère chaleureuse : Charles y trouve le cadre le plus adapté à sa situation de « déserteur ». Son mode de vie devient l’exact opposé de celui de son ancienne existence. Charles aide Paul dans son travail, cuisine, lit beaucoup, rêvasse et va se saouler au bistrot du coin. Un sourd changement se fait en lui. Le ratage de sa vie précédente, cette réussite soi-disant « exemplaire », devient alors, dans ce nouveau cadre, cet « échec exemplaire » que Charles explicite par : « Il me semble que la seule chose qui me reste à faire, c’est de bien me défaire ». Charles sait qu’il n’y a pas pour lui de solution. Lorsque les infirmiers de la clinique Flickmann viendront le chercher, il n’opposera pas de résistance.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une scène d’anthologie fait le lien entre les deux parties du film (ou les deux vies, en quelque sorte, de Charles Dé). Après la rencontre, dans un café, entre Charles et le jeune couple, le premier ramène Paul et Adeline chez eux. En chemin ils s’arrêtent dans un lieu, qualifié de « c’est notre endroit préféré », au bord d’un ravin, non loin du domicile du couple. Paul, alors que tous trois sont descendus du véhicule, pour reprendre une discussion entamée auparavant dans la voiture de Charles, demande à son interlocuteur : « Pourquoi vous n’aimez pas les bagnoles ? ». Charles répond alors, en rassemblant ses idées, par une argumentation dont la teneur critique et sans appel surprend, puis stupéfie Paul (« Et bien… : premièrement, la position du conducteur est très mauvaise. Elle coupe la digestion, comprime l’estomac et engraisse le coeur. Deuxièmement, la circulation est devenue l’art dramatique des imbéciles. Les accidents sont de misérables tragédies et les risques de la route, tout ce qui nous reste d’aventure. Troisièmement… : l’automobilisme est un système d’accumulation, d’entassement, mais qui n’apporte pas le moindre échange, à part bien entendu celui de grossièretés, et où les gens ne se rencontrent jamais. C’est un système de dispersion sociale : chacun dans sa petite caisse. Et pour terminer, à travers l’automobile, les compagnies pétrolières et les marchands de tôle, imposent leur loi, détruisent les villes, font dépenser des fortunes en routes et en flics, empuantant le monde, et surtout font croire aux gens que ceux-ci ne désirent plus rien d’autre »). Ce discours radical sur les méfaits de la civilisation automobile reçoit une réponse non moins radicale puisque Paul (disant « on va arranger ça »), dessert le frein à main du véhicule, avant pousser l’automobile qui bascule pour s’écraser dans le ravin. La clef de la voiture, que Charles jette ensuite d’un geste désinvolte, traduit le passage d’une vie à l’autre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pose la question, pendant cette seconde partie, de l’émancipation d’une manière paradoxale. Paul et Adeline apportent à Charles tout ce dont celui-ci a été privé durant sa vie précédente : la générosité, l’affection, des relations égalitaires, un mode de vie « bohème » et précaire, la possibilité de s‘extraire de son rôle social. Charles y aspirait plus ou moins consciemment depuis son adolescence, mais il lui fallait rompre avec son milieu (celui de la moyenne bourgeoisie) pour trouver un cadre ou un univers susceptible de correspondre à ses désirs (contrariés par les contraintes professionnelles, la pression sociale, les obligations familiales). Cependant, et ceci renvoie à l’exemplarité de ce film, en réalité la place du sujet émancipateur incombe plus à Charles qu’au jeune couple. La marginalité de Paul et Adeline, par delà l’exercice de la liberté et l’indépendance qui la valorisent, trouve ses limites quand la question plus globale de leur relation au monde se trouve posée. D’autre part, Charles débusque chez Paul les illusions que celui-ci entretient sur sa condition, ainsi que sa propension à une médiocrité nationale et son manque d’exigence. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">fait un usage de la citation qui n’a pas d’équivalent (Godard excepté) dans le meilleur cinéma de l’époque. Partant d’une proposition autant ludique que pédagogique (Paul doit apprendre par coeur, chaque jour de la semaine, une phrase, un proverbe ou une maxime, afin que chaque citation, comme le lui expliquent Charles et Marianne, puisse lui permette un tant soit peu de faire, en s’aidant de sa signification, « la relation avec ce qui se passe »), l’exercice excède le jeu proprement dit par son usage critique. Ici la fable brechtienne rejoint le détournement situationniste (les proverbes sont d’ailleurs détournés : « Il n’y a pas de sottes gens, il n’y a que de sots métiers », et « Le malheur des uns fait le malheur des autres »). Dans la dernière scène Charles lit à haute voix, dans une ambulance, à l’adresse de deux infirmiers, un extrait de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La vie quotidienne dans le monde moderne </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’Henri Lefebvre (une réflexion depuis la célèbre phrase de Saint-Just « sur l’idée neuve du bonheur en France et en Europe » qui se termine par l’interrogation suivante : « Ne serait-ce pas là le secret du malaise généralisé ? ») et demande aux deux infirmiers ce qu’ils en pensent. Ceux-ci le font taire en actionnant la sirène de l’ambulance, tandis qu’en surimpression on peut lire sur l’écran : VENDREDI : RIRA BIEN QUI RIRA LE DERNIER (à la place du mot « fin »). Cette ultime citation résume, parmi d’autres, l’esprit de ce film : l’ironie devient une force subversive.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’une des clefs de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nous est donnée à travers l’échange suivant, vers les deux tiers du film. Paul et Charles peignent des panneaux. A la question du premier :« Tu es malheureux, toi ? », le second répond : « Ça va. L’espoir s’en va, doucement ». Quelques secondes plus tard, citant à la demande de Charles « sa » phrase de la veille, Paul dira : « Lundi. C’est seulement par ceux qui sont sans espoir que l’espoir peut nous être rendu. Walter Benjamin ». </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avance au pas de cette dialectique. Dans une autre scène, plus tard, toujours lors d’un échange avec Paul, Charles lui fera part (en le rabrouant) de ce qui pour lui s’avère essentiel : « Il faut partir d’une exigence absolue, même si elle peut paraître lointaine à première vue, et te dire : je ramène tout à cette exigence… et à partir d’elle, je regarde ce qui est possible, non pas rafistoler les bouts de ficelle à la petite semaine pour accommoder le sordide présent, comme n’importe quel politicien centre-gauche ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On conclura sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charles mort ou vif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en relevant que le personnage Charles bénéficie de l’exceptionnelle interprétation de François Simon (le fils de Michel). Cette rencontre, mémorable, entre un cinéaste et un acteur (plus encore que Bulle Ogier dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La salamandre, ou </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bruno Ganz avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans la ville blanche, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou Myriam Mézières pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une flamme dans mon coeur, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">voire Jean-Luc Bideau et Jacques Denis, acteurs tanneriens par excellence) n’a pas dans le cinéma d’Alain Tanner d’équivalent.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">NUMÉRO DEUX</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est une co-réalisation de Jean-Luc Godard et d’Anne-Marie Miéville. Cela doit être d'emblée rappelé, même si ce film est très généralement associé au nom du seul Godard. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci précisé, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ne figure pas parmi les films les plus connus, les plus appréciés, ni même les plus commentés de l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierrot le fou</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. C’est regrettable parce qu’il représente sur le plan formel une véritable rupture, plus que les films de la période « militante » (qui est davantage une mise entre parenthèse). D’ailleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">inaugure la séquence dite « vidéo » dans la filmographie de Godard (illustrée, dans l’ordre, par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Comment ça va, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et surtout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Six fois deux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> France tour détour, deux enfants </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: tous trois également co-réalisés avec Anne-Marie Miéville), qui ne sera pas sans influencer, formellement parlant, le cinéma à venir de Jean-Luc Godard.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Au départ </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est une commande du producteur Georges de Beauregard désirant que Godard fasse un remake de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avec le même budget. Ce film, comme on pouvait s’y attendre, prendra toutes les libertés du monde avec le projet initial. Godard concédant juste que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« pose une réflexion sur la base d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». En réalité cette réflexion porte sur le cinéma dans son devenir, le pouvoir des images, et plus généralement sur l’état de la société en 1975. Ceci étant documenté à travers la vie quotidienne de personnages, les six membres d’une famille, appartenant à la classe moyenne. Ce dont traite </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sur le mode d’une enquête ethnographique - une chronique familiale intergénérationnelle, depuis la faconde du grand père (racontant ses souvenirs de délégué syndical CGT et de militant de la Troisième Internationale), au mutisme de la grand mère (occupée à des tâches ménagères), en passant par les relations du couple père-mère (y compris dans leur intimité), mais également par les questionnements des deux enfants - nous est rendu sur le plan formel par un écran découpé en parfois deux, fois ou quatre parties (ici des écrans vidéos qui se répondent, se complètent, voire se contredisent). Un écran brisé pour illustrer l’aspect parcellaire de vies que Guy Brincourt traduit par une « destructuration du champ cinématographique par le biais de multiples écrans vidéos, d’images s’injectant, se superposant, se fondant ». Dont certaines, principalement en amont, ou images télévisuelle captées dans l’espace familial, renvoient à différents aspects de la société du spectacle.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant (la première partie du film), et après (la fin, plus brève), nous découvrons Godard dans son studio-atelier de Sonimage à Grenoble, se présentant comme le patron et l’ouvrier d’une usine où « on a pris le pouvoir ». Il y évoque des questions pratiques liées à la réalisation d’un film. A la fin, Godard qui semble s’être entre temps assoupi, se réveille avant de refermer devant lui le clavier, et ainsi conclure le film. Je reviendrai sur ce final un peu plus loin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sur deux aspects, différents, l’accent doit être maintenant mis. Pour le premier (ce que Godard a appelé dans un entretien « l’économie sexuelle chez les habitants du Bas-Grenoble »), que la critique de l’époque n’avait nullement occulté, on dira qu’il prend encore plus d’importance en 2024 (pour des raisons que l’on pourrait qualifier de paradoxales). </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comporte une scène durant laquelle un acte sexuel n’est pas simulé : la mère masturbe le père tout en lui tenant un discours très godardien sur les relations entre les sexes. Dans une autre scène, le père et la mère, dans leur lit, donnent un cours d’éducation sexuelle à leurs enfants en leur désignant chaque fois l’organe concerné (comme on pourrait le faire au tableau noir). Ou encore la grand mère, vue nue de dos, fait sa toilette ; alors que le grand-père, face à la caméra, termine l’une de ses péroraisons par « parfois je regarde ma queue, mais ça c’est pas du cinéma ». Ou, pour finir, la petite fille surprend ses parents en train de faire l’amour (avec en incrustation la phrase « Les affaires de famille c’est peut-être ça »).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Toutes ces scènes sont filmées en plan large, et le procédé formel adopté, indiqué plus haut, les éloigne de tout caractère pornographique. Revoir presque un demi siècle plus tard </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un film pourtant féministe sous certains aspects (discours tenu en voix off alors que l’on voit la grand mère faire le ménage), nous permet de mesurer l’écart qui nous sépare en 2024 de la manière dont cette « économie sexuelle grenobloise » était documentée et perçue en 1975. J’entends-là dire combien un film comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’inscrit en faux sous ce chapitre contre un discours devenu dominant : celui d’un puritanisme à la mode de ce temps, en phase avec une grille de lecture de nature féministe, sur laquelle viendrait se greffer les doléances d’associations de protection de l’enfance. Il est vrai que cette mise sous tutelle contemporaine d’une sexualité devenue irreprésentable, voire innommable s’accorde bien avec ce discours révisionniste pour qui #MeToo serait la première remise en cause sérieuse du patriarcat. A savoir que les féministes des années 1970, trop focalisées sur les combats à mener sur la contraception et surtout l’avortement, ce qui garantissait leur « liberté sexuelle », les incitait à négliger le sexisme et le machisme, et donc de baisser la garde vis à vis des « prédateurs » (ou considérés tels). Ce qui paraît bien ingrat envers celles (mais également ceux) qui luttaient concrètement contre le patriarcat sans dissocier égalité et liberté sexuelle. C’est vouloir dire, en revenant à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qu’un tel film ne pourrait aujourd’hui être ni produit, ni réalisé, ni diffusé. Un constat éminemment politique, compte tenu de ce qui vient d’être avancé. Seul le prestige du nom « Godard » permet aujourd’hui à ce film d’être montré ou évoqué, ceci de manière parcimonieuse.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Politique, certes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’est de façon plus explicite, même fragmentairement, par l’utilisation de la bande son. L’exemple le plus flagrant étant la manière dont Godard, présent alors à l’écran sous les traits de Jeannot ou de Monsieur Jean, clôt le film en refermant le clavier, devant lui, sur les derniers vers de la chanson </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Oppression </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Léo Ferré (« Ces yeux qui te regardent et la nuit et le jour / Et que l’on dit braqués sur les chiffres et la haine / Ces choses défendues vers lesquelles tu te traînes / Lorsque tu fermeras / Les yeux de l’oppression »). Ce qui dans ce contexte-là, à l’aune de ce que nous venons de voir pendant presque une heure et demie, est l’indication essentielle. Auparavant, comme énième illustration du travail de Godard sur la bande son, les vers précédents de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’oppression </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nous étaient parvenus sous une forme fragmentaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La bande son de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ne se limite pas ce seul aspect avec Léo Ferré. Tout au début du film, lors d’un rapide prélude où se trouvent pour ainsi dire présentés à l’écran les six protagonistes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le grand père, en conversant, citait l’un des vers d’une autre chanson de Ferré, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le conditionnel de variété </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Comme si je vous disais, à Rhône-Poulenc ou ailleurs, que l’humiliation devrait pourtant s’arrêter devant ces femmes des industries chimiques avec leurs doigts bouffées aux acides »). Une troisième chanson (extraite comme la précédente de l’album « La solitude » de 1972), </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tu ne dis jamais rien, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est citée deux fois, du moins les deux premiers vers (« Je vois le monde un peu comme on voit l’incroyable / L’incroyable c’est ça c’est ce qu’on ne voit pas »). Tandis que l’on entend plusieurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La solitude </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(sous une forme très fragmentée : soit le mot « solitude » sur la voix de Ferré, soit comme extrait orchestral). Dans une autre chanson citée plusieurs fois, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Richard </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(qui elle figure dans le même album de 1973, « Il n’y a plus rien », que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Oppression</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), ce sont les vers suivants, ceux du refrain, parlé, que l’on entend (« Les gens il conviendrait de ne les connaître que disponibles / A certaines heures pâles de la nuit / Près d’une machine à sous, avec des problèmes d’homme, simplement / Des problèmes de mélancolie / Alors, on boit un verre, en regardant loin derrière la glace du comptoir / Et l’on se dit qu’il est bien tard… »). Relevons que la contraction de deux vers (« des problèmes d’homme, des problèmes de mélancolie ») reviendra dans plusieurs films des décennies suivantes, en particulier </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Détective.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Toutes ces bribes de chansons, dites par les protagonistes du film, ou provenant de la bande son, constituent l’une des « basses continues » de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sinon la principale. La citation du grand père, tout au début du film, prend toute sa signification lorsque, ensuite, il raconte ses souvenirs. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La solitude </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Richard </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">viennent illustrer ou appuyer l’un ou l’autre propos des protagonistes. L’incipit de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tu ne dis jamais rien, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">cité dans plusieurs autres films, fait figure de leitmotiv godardien (que le « dernier Godard » reprendra sous une autre forme en citant le mot de Claude Monet sur « peindre ce qu’on ne voit pas »). Durant tout le film, en insistant ici sur le dispositif mis en place par Godard, la bande son se révèle être un élément critique déterminant pour radiographier la société sous divers aspects aliénants, donc oppresseurs. Ceci et cela convergeant vers les derniers vers de la chanson </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Oppression, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pleinement indicatifs (pour ce qui concerne la signification de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il s’agit de faire appel, y compris en le heurtant, à l’intelligence du spectateur. C’est, pour conclure, ce qui différencie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de ces « films politiques » qui caressent le spectateur dans le sens du poil, pour lui délivrer un message qu’il connaît déjà.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">France tour détour deux enfants, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un documentaire de 1978 en douze épisodes (une commande d’Antenne qu’elle honorera difficilement, à la sauvette) on y découvre - les épisodes 6 et 12 - deux chansons de Léo Ferré, in extenso cette fois-ci : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ton style </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Richard. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La première mérite que l’on s’y attarde. C’est sur des images de jeunes filles courant sur la piste d’un stade, dans un cadre urbain, que l’on entend </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ton style. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Juste après, comme il en va habituellement dans chaque épisode, les deux mêmes intervenants commentent ces images. On y dit, partant du « style » de ces jeunes coureuses, qu’il « faut du style pour rendre sensible l’atrocité de cette ville trop grande ». Puis après l’évocation du style de Soljenitsyne, qui a été en capacité de rendre sensible auprès de nombreux lecteurs les pages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’archipel du Goulag, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le commentateur ajoute : « Il n’y a que le style, la forme, pour rendre visibles les monstres informes qui rôdent dans notre inconscience sociale. Il faut du style, comme ces nanas, et qu’il y ait du cul pour envoyer chier tout ce bruit et ce béton ». C’est vouloir mettre en situation l’une des plus belles chansons de Léo Ferré. Et répondre sur ce mode aux imbéciles qui prétendent que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ton style </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est une chanson sexiste !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le douzième et dernier épisode se clôt sur une scène de bistrot (qui dure le temps de la chanson </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Richard</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : un plan, presque fixe, sur un personnage accoudé au bar (derrière lui on distingue deux hommes jouant au flippers ; et plus loin, également debout le long du zinc, une femme qui semble absente). Le personnage, vers la fin de la séquence, échange alors quelques mots avec le barman (sans que ce dernier apparaisse à ce moment-là dans le champ). On ne sait pas ce qu’ils se disent puisqu’on entend en continu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Richard</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Comment expliquer le fort contenu émotionnel de cette scène de bistrot, a priori banale, sinon par l’adéquation entre ce que l’on voit et ce que l’on entend ? </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">IN GIRUM IMUS NOCTE ET CONSUMIMUR IGNI</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Rien ne ressemble dans l’histoire du cinéma à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum imus nocte et consumimur igni . </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ni même le précédent long métrage de Guy Debord, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La société du spectacle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1973), l’adaptation cinématographique du livre éponyme. D’ailleurs ce film-là ne nous avait pas entièrement convaincus : la « mise en image » de l’un des ouvrages majeurs de la seconde moitié du XXe siècle s’apparentant à une gageure. Parmi les singularités d</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">’In girum</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">… relevons que le scénario (et le découpage) de ce film avait été publié en 1978 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Oeuvres cinématographiques complètes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Guy Debord, c’est à dire trois ans avant la diffusion de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en salle. D’où l’interrogation suivante : le film de 1981 confirmait il la lecture en amont des scénario et découpage ? En grande partie oui.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Autant commencer par ce qui a le plus indisposé les commentateurs, lors de la sortie du film (les critiques d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum…, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">positives ou négatives, figurent dans les </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Oeuvres complètes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Guy Debord, sous l’intitulé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ordures et décombres déballées à la sortie du film </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum…</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> par différentes sources autorisées</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). C’est-à-dire ce que d’aucuns ont appelé « L’insupportable prétention pour gogos en quête de gourou « ou « de l’auto-célébration » ou encore « l’autoportrait d’un homme vieillissant ». Il est vrai que les raisons, pour une telle critique, de se plaindre ne manquent pas. Citons (entre autres) : « J’ai mérité la haine universelle de la société de mon temps, et j’aurais été fâché d’avoir d’autres mérites aux yeux d’une telle société «, ou « Depuis lors, je n’ai pas comme les autres, changé d’avis une ou plusieurs fois, avec le changement des temps, ce sont plutôt les temps qui ont changé selon mes avis « , ou « Quant à moi je n’ai jamais regretté de ce que j’ai fait, et j’avoue que je suis encore complètement incapable d’imaginer ce que j’aurais pu faire d’autre, étant ce que je suis », ou « Il faut donc admettre qu’il n’y avait pas de succès ou d’échec pour Guy Debord, et ses prétentions démesurées ». On peut toujours extraire l’une ou l’autre de ces phrases en dehors de son contexte, celui du film, pour lui faire dire ce que l’on veut. Deux éléments doivent être ici pris en compte. D’abord ces commentateurs ignorent, ou veulent ignorer l’ironie souvent présente dans les propos de Guy Debord. Ensuite, nul plus que l’auteur d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est en mesure de justifier pareilles « prétentions démesurées ». Debord n’a jamais accordé de sa vie d’entretien à un journaliste, ni ne s’est exprimé dans un quelconque média. On ne trouve pas d’équivalent chez un penseur de sa notoriété. La sourde hostilité qui s’attachait à sa personne en 1981 vient principalement de là. Ajoutons que le refus de cautionner par cela même le système médiatique s’accompagnait d’un mépris bien dosé à l’égard des journalistes, il va de soi, mais également de la quasi totalité des universitaires et des intellectuels professionnels.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sinon, pour revenir au film, d’emblée Debord annonce ne vouloir faire « aucune concession au public ». Ce qu’il étaye tout au long d’un long plan où, comme l’indique le découpage, se trouve représenté « le public actuel d’une salle de cinéma, regardant fixement devant lui, fait face, en un parfait contre-champ, aux spectateurs qui ne voient qu’eux-mêmes sur cet écran «. Ici, je me permets de faire la comparaison suivante. Deux ans plus tôt, lors de la fameuse et controversée première représentation du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ring </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à Bayreuth par Boulez/Chéreau, juste à la fin du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Crépuscule des dieux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(là où le livret de Wagner précise « Les hommes et les femmes, saisis d’une profonde émotion, regardent l’incendie qui se propage dans le ciel« ), la mise en scène de Chéreau l’illustre tout d’abord, ensuite, tandis que résonnent les dernières mesures du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Crépuscule des dieux, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une femme se retourne face au public, puis les personnes composant cette foule font de même, progressivement. L’orchestre s’étant tu, le peuple sur scène regarde alors les spectateurs. A vous de réaliser l’humanité, semble-t-il leur dire. Le texte de Wagner n’est nullement sollicité : le révolutionnaire de 1848 ne pensait pas autrement en rédigeant peu de temps après le livret du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ring. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est vouloir, depuis ce dernier exemple, antinomique à celui de Debord, indiquer que ce positif-là (avec Chéreau), et ce négatif-là (avec Debord) sont les deux faces d’une même pièce.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ensuite, partant de ce souci de ne pas ménager le public, reprend sans avoir besoin de la réactualiser l’une des thèses de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La véritable scission </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Debord et Sanguinetti, sur les nouvelles formes de domination et d’aliénation dans les pays développés (en l’illustrant sur l’écran à travers le mode de vie des cadres et des nouvelles classes moyennes). Debord prolonge ce propos en s’inscrivant en faux contre le discours selon lequel « une vérité énoncée au cinéma, si elle n’est pas prouvée par des images, aurait quelques chose de dogmatique «. D’où la volonté de l’auteur de ne pas « ajouter un film à des milliers de films quelconques ». Ce « qui revient à remplacer les aventures futiles que conte le cinéma par l’examen d’un sujet important : moi-même ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">bascule alors dans une autre temporalité. On pourrait d’ailleurs considérer ce qui suit comme un préambule au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Panégyrique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de 1988. Debord tient à spécifier que, contrairement à ce que l’on dit, il n’est pas « une sorte de théoricien des révolutions » et ajoute « aucune époque vivante n’est partie d’une théorie ; c’était d’abord un jeu, un conflit, un voyage «. Debord s’efforce d’expliquer ce qu’il entend-là en revenant sur ce qu’ont représenté pour lui les années cinquante. Avec, comme toile de fond, le terrain des affrontements dans le Paris de ces années-là : « Une ville qui était alors si belle que bien des gens ont préféré y être pauvres, plutôt que riches n’importe où ailleurs « . Un Paris qui « alors, dans les limites de ses vingt arrondissements, ne dormait jamais tout entier, et permettait à la débauche de changer trois fois de quartier dans chaque nuit «. 25 ans plus tard, le constat tombe comme un couperet : « Paris n’existe plus ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Debord n’en a pas pourtant terminé avec l’évocation de ce passé et d’un quartier (« sur la rive gauche du fleuve ») où « le négatif tenait sa cour ». L’auteur évoque alors les compagnons de ce temps-là (et quelques autres à travers desquels, extraits de films à l’appui, il se reconnaîtrait : en particulier le Lacenaire des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Enfants du paradis, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et le diable des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Visiteurs du soir</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), tous associés à « l’intraitable pègre ; le sel de la terre ; des gens sincèrement prêts à mettre le feu au monde pour qu’il ait plus d’éclat ». Ce sont certainement les passages les plus inspirés du film, ceux durant lesquels la langue de Debord se déploie superbement pour illustrer les aspirations de tous ces « réprouvés » : « la formule pour renverser le monde » tous ceux-ci ne l’ont « pas cherchée dans les livres, mais en errant », en se livrant à d’incessantes dérives. Ce qui en résulte, la création de l’Internationale situationniste, se trouve évoqué à l’aide de métaphores. Cependant, comme en contrepoint, ceci plus haut suggéré à travers « une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue », le caractère de cette mélancolie se précise dès lors que « cette ville qui pour nous fut si libre, il faudrait bientôt la quitter ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les considérations tactiques et stratégiques qui suivent reprennent, toujours de façon métaphorique, les péripéties liées à l’histoire de l’I.S.. Ce que Debord appelle « une splendide dispersion » (en ayant précisé que « l’attaque avait été menée jusqu’au terme de sa dissolution ») a incité notre auteur à se « mettre à l’abri d’une célébrité trop voyante ». Ce qui supposait d’autres modes d’interventions. En particulier ceux se rapportant à un séjour florentin se terminant par l’expulsion de Debord d’Italie.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce sont sur des images, récurrente dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum…, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que se clôt le film : « Il n’y aura pour moi ni retour, ni réconciliation; La sagesse ne viendra jamais ». Le lecteur serait en droit d’estimer que j’ai largement privilégié le texte au détriment, non des images mais d’une analyse filmique de ce film. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comme dans ses précédents films, Debord détourne des images provenant du monde du cinéma, de celui de la publicité, ou puisées dans les pages des magazines : comme illustrations de ce que le commentaire dénonce. Et quand la voix du commentateur se tait, lors des deux extraits des films de Carné cités plus haut, le discours tenu alors à l’écran épouse le pont de vue de l’auteur. Cependant, et là nous en venons à ce qu’à de plus spécifique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">In girum…, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Debord a intercalé, parmi cette multitude d’images détournées, plusieurs plans qu’il a lui-même filmés, qui tous nous permettent de découvrir différents visages de Venise à l’aide de travellings effectués depuis la lagune. Louis Seguin, dans l’article « Venise, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Whippet not </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et le palindrome », je finirai là-dessus, l’illustre en le documentant très précisément sur le plan topographique, puis ajoute : « Prendre le film par ce bout-là a un double avantage, esthétique et sensible. Cela permet de rendre compte d’une pratique imprévisible et subtile de la beauté, d’un art en quelque sorte transverse qui privilégie le parcours et le défilement contre l’immobilité et la contemplation ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">LA COMÉDIE DU TRAVAIL</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La vie, la vraie vie, commence dès lors que nous ne sommes pas obligés de la gagner. Ce travail destructeur, dénué de l’intérêt que certains disent y trouver, nous le détestons d’autant plus qu’il nous ôte la possibilité de nous livrer à tous les plaisirs sans lesquels l’existence aurait peu de prix. Le travail salarié n’est pas sans nous contraindre, nous limiter même en dehors de sa sphère proprement dite. La servitude volontaire, c’est d’abord celle du salarié qui croit aimer son travail, ou qui s’y résigne comme il se résigne devant l’existence qui lui est imposée. Et que dire de ceux qui en jouissent, quand cette jouissance se confond avec le pouvoir qu’ils exercent sur d’autres ! Pour ce qui concerne la « valeur travail », ou prétendue telle, je citerai les lignes suivantes d’André Breton, extraites de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nadja </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Et qu’on ne me parle pas, après cela, du travail, je veux dire de la valeur morale du travail. Je suis contraint d’accepter l’idée du travail comme une nécessité matérielle, à cet égard je ne suis on ne peut plus favorable à sa meilleure, à sa plus juste, répartition. Que les sinistres obligations de la vie me l’imposent, soit, qu’on me demande d’y croire, de révérer le mien, et celui des autres, jamais ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> D’ailleurs ce sont les écrivains, au XXe siècle, qui ont le mieux exprimé ce que l’on traduira ici par « Je ne mange pas de ce pain-là ». Ainsi Albert Cossery, dans son roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mendiants et orgueilleux, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dont le héros qui enseigne la philosophie brûle tous ses vaisseaux pour s’en aller vivre l’existence d’un mendiant. Les récits de Jean-Claude Pirotte comportent maintes digressions relatives à la haine du travail. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La légende des petits matins, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par exemple : « Je l’ai dit, j’abomine le travail. Aucune activité n’exhale en moi cette certitude des lendemains qui m’afflige et m’étonne chez mes contemporains affairés ». Et l’on ne saurait oublier son aîné et ami André Dhôtel, dont l’oeuvre romanesque est une ode à la paresse. Tout comme, pour finir là-dessus, s’il me fallait résumer en une seule phrase tout ce qui vient d’être dit, je retiendrais celle écrite par Guy Debord sur un mur de la rue de Seine en 1953 : « Ne travaillez jamais ! ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce long préambule était nécessaire pour en venir à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La comédie du travail, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Luc Moullet (1987), afin d’inscrire ce film dans ce courant de critique radicale du travail. Par conséquent de le doter, d’emblée, d’un contenu politique qui, de ce point de vue-là, n’a pas d’équivalent dans l’univers cinématographique. Certes nous sommes en présence, comme il en va ordinairement avec le cinéma de Moullet, du film comique, voire burlesque d’un cinéaste (qualifié de « Courteline revu et corrigé par Brecht » par Godard, et de « Seul héritier à la fois de Bunuel et de Tati » par Straub) qui, dans des genres très différents, auparavant avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Anatomie d’un rapport </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Genèse d’un repas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ne s’interdisait pas de traiter également par l’humour des sujets aussi sérieux que la crise d’un couple, le sien (partant de l’insatisfaction sexuelle exprimée par sa compagne dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Anatomie d’un rapport</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), et la description exhaustive et argumentée de la provenance des aliments se retrouvant dans son assiette (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Genèse d’un repas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">étant aussi une dénonciation de l’exploitation du tiers-monde par le capitalisme occidental). Mais avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La comédie du travail, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’accent, comme le titre l’indique, se trouve délibérément mis sur l’aspect « comédie » de la chose. Il s’agit également d’une fable, dont la moralité doit faire grincer quelques dents, pour parler de manière euphémiste.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Trois personnages tiennent principalement le devant de la scène, d’abord séparément, avant que le scénario ne les fasse se rencontrer vers le milieu du film. Le premier, Benoît Constant, qui travaille dans une banque, représente le type du parfait employé, du moins dans les intentions, également bon époux et bon père de famille. Sa vie quotidienne, faite d’habitudes, ritualisée, est réglée comme du papier à musique. Sauf que Constant (« La crise n’est-ce pas ») perd son emploi. L’employé modèle le vit très difficilement, et éprouve un sentiment de honte, de déchéance même, devant ce nouveau statut de demandeur d’emploi. D’ailleurs Benoît Constant le tait à son épouse, et se comporte comme si rien n’avait changé dans sa vie professionnelle. Moullet indique bien en quoi le conformisme de Constant n’est que le corollaire de son aliénation sociale. Notre ancien employé s’avère tellement soumis à la « valeur travail » (souligné par l’aspect insupportable de ce qu’il vit depuis son licenciement) que son comportement en est affecté. Par exemple, en réagissant agressivement devant l’interpellation d’un chômeur lui rappelant que tous deux se sont croisés la veille dans les locaux de l’ANPE. Par ailleurs, Benoît Constant reconstitue à l’extérieur, en s’organisant pour rechercher du travail, l’univers de son emploi précédent : on le voit, en rase campagne, éplucher méthodiquement les petites annonces, puis y répondre en s’aidant d’une machine à écrire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Françoise Duru, agent ANPE, pourrait sur un certain plan, celui de la valeur travail, ressembler à Benoît Constant. A la différence près, conséquente, qu’il s’agit d’une idéaliste : cette jeune femme rêve d’éradiquer le chômage. Elle s’avère être, de loin, l’agent le plus compétent et le plus productif de l’agence : presque tout chômeur qui passe entre ses mains retrouve un emploi. Ce qui n’est pas du goût de son directeur qui voudrait qu’elle comprenne que son attitude s’avère préjudiciable à la bonne marche de l’agence, voire à celle de la société. L’ANPE a besoin pour fonctionner, lui explique-t-il, de préserver un certain contingent de demandeurs d’emploi. Et il en va de même pour la société. En se comportant ainsi, mademoiselle Duru va jusqu’à mettre en péril l’existence de l’agence, et contrarie ainsi toute possibilité d’avancement pour le directeur.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le troisième personnage, Sylvain Berg, représente presque l’exact contraire de Benoît Constant. Il s’agit d’un « chômeur professionnel », ancien régisseur de théâtre, qui cumule période de chômage sur période de chômage pour se livrer pleinement à sa double passion, l’escalade et l’alpinisme. Ses allocations chômage lui permettent de se déplacer dans le vaste monde, d’un massif montagneux à l’autre. Il n’en demande pas davantage. Ses retours à la civilisation sont nécessités par l’obligation mensuelle de venir pointer à l’ANPE, ou par une convocation aux ASSEDIC (on apprend qu’il ne répond pas à celles de l’ANPE). Il sait pertinemment que retrouver un poste de régisseur de théâtre s’avère illusoire. Ajoutons que ce « chômeur professionnel », à travers ses aspirations, sa manière de vivre, et son positionnement dans la société, entre tout à fait dans le cadre de notre préambule. Tout ce que documente Moullet en termes de contrôle et de gestion par l’ANPE et les ASSEDIC (à cette époque séparées) est rigoureusement exact. Par exemple, un compère pointera à la place de tel demandeur d’emploi. Sans parler des nombreuses combines évoquées entre Berg et un autre « chômeur professionnel ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Comme je l’indiquais plus haut, le scénario fait se rencontrer nos trois protagonistes vers le milieu du film. La rencontre entre Benoît Constant et Françoise Duru se signale par sa brièveté. La jeune femme écoute distraitement ce nouveau demandeur d’emploi (elle a autre chose en tête), et l’éconduit précipitamment lorsque Constant ne retrouve pas sa convocation. En revanche la rencontre entre notre agent ANPE et Sylvain Berg, qui lui succède, s’avère déterminante. Elle se trouve précédée d’une scène durant laquelle, observant la file de chômeurs venus pointer, Françoise Duru désigne à l’attention de l’une de ses collègues Sylvain Berg, dont elle dit être éprise sans pourtant le connaître (il ne s’est pas présenté à l’une de ses convocations). Cette fois-ci elle fait passer un mot à l’accueil pour convoquer le récalcitrant. Une fois Sylvain Berg dans son bureau, Françoise Duru ne lui cache pas qu’elle ne peut pas l’aider à retrouver un poste de régisseur de travail, et lui propose de postuler un autre emploi. Pour ce faire elle se rend avec lui dans une entreprise pharmaceutique qui recrute sur un poste de directeur des ventes. Tous deux, sur place, y croisent Benoît Constant, qui vient d’être reçu dans le cadre d’un entretien d’embauche, pour ce même poste, et qui présente toutes les garanties pour l’obtenir. En pure perte puisque Françoise Duru met tout le poids de l’ANPE dans la balance pour que son candidat obtienne le poste. Sylvain a beau, durant une courte absence de Françoise, s’efforcer de torpiller sa candidature (il sort ostensiblement le journal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rouge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’une poche, puis roule une cigarette avec du shit) rien n’y fait. Ensuite, dans la rue, une voiture tente de faucher la jeune femme. Françoise accepte le proposition de Sylvain, de se rendre dans l’appartement du jeune homme pour se remettre de ses émotions. Elle y passera la nuit. L’explication entre eux a lieu au petit matin. Sylvain, pour dissiper un malentendu entre eux, précise qu’il avait tout lieu de sa plaindre de l’attitude de Françoise. Et lui explique pourquoi. La jeune femme tombe des nues et réalise qu’elle s’est trompée sur toute la ligne. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous sommes à la veille du week-end, et nous retrouvons nos deux tourtereaux se livrant aux joies de l’escalade en montagne. C’est une façon de parler car Françoise constate qu’elle ne possède pas les capacités physiques requises. Cependant, de retour à l’agence l’ANPE, elle aura au moins compris qu’il lui fallait tracer définitivement un trait sur son passé de « stakhanoviste du travail ». Ce dont ne peuvent que se féliciter son directeur, et accessoirement ses collèges.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Benoît Constant prend en stop Sylvain Berg, équipé de pied en cap pour de nouvelles aventures montagnardes. Il reconnaît le chômeur croisé auparavant dans l’entreprise pharmaceutique. Sylvain lui avoue ingénument avoir décroché ce poste (qu’il ne voulait pas). Une fois embauché, il avait fait le nécessaire pour être rapidement licencié. C’en est trop pour Constant qui demande à son passager de quitter son véhicule en rase campagne, l’accusant de lui avoir pris son travail. Alors que Berg s’exécute, sans vraiment comprendre le comportement du conducteur, il demande à récupérer son piolet, resté dans la voiture. Constant le lui tend, puis le frappe avec (Berg reste hors champ). On rapprochera ici cet instrument avec le piolet ayant servi à Ramon Mercader, l’assassin de Trotsky (rappel de la scène où Sylvain, dans l’entreprise pharmaceutique, sort ostensiblement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rouge</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Un trait d’humour noir qui sans doute a échappé à de nombreux spectateurs de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La comédie du travail. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est d’ailleurs dans ce registre que se conclut le film. Nous retrouvons Benoît Constant en Cour d’Assises, entendant le verdict le condamnant à 20 ans de réclusion. Alors que son avocat lui propose de faire appel, Constant l’en dissuade vivement : « En réclusion on a droit à un travail, comme ça ma vie est tracée jusqu’à la retraite. Pour la première fois depuis longtemps je me sens bien dans ma peau ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">CACHÉ</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le cinéma de Michael Haneke est depuis un quart de siècle l’un des plus controversés, sinon davantage par une partie de la critique cinématographique. Encore faut-il distinguer entre ces critiques l’explicite (j’en donnerai le détail avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), et l’implicite. Dans ce dernier registre on dira que le cinéma d’Haneke remet en cause celui, dominant, du modèle américain, ou de ceux qui à travers le monde s’en inspirent (ou en reprennent la facture et les recettes), voire plus en amont le cinéma hollywoodien ou tout cinéma dit « de genre » (appellation de moins en moins contrôlée en fonction de la prolifération des genres). Cela relèverait donc d’un crime de « lèse cinéma » qui ne doit pas resté impuni pour les contempteurs du cinéaste autrichien. D’où cette hostilité envers Haneke depuis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui n’a depuis cessé de perdurer. Elle paraît autant alimentée par les propos tenus par Haneke (à travers les nombreux entretiens accordés ici et là par le cinéaste : du moins ceux sur lesquels s’est focalisé cette même critique) que par ses films mêmes. C’est évidemment plus commode d’isoler un propos d’Haneke pour renchérir sur tel ou tel aspect considéré « insupportable » de son cinéma. A ce titre, citons quelques uns des qualificatifs que lui adressent ses détracteurs : « moralisateur », « professoral », « démonstratif », « pervers », « ennuyeux », « obsessionnel », « manipulateur », « rabat-joie », et j’en passe.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il est vrai, pour prolonger l’indication ci-dessus sur le cinéma américain, que pour Haneke, comme il le précise dans un entretien avec Sarah Chiche, « beaucoup de film de « divertissement » ne sont rien d’autre que des films de propagande. Un grand nombre de films américains, sous couvert, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’entertainment, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sont des films de propagande politique ». On comprend mieux les réticences ou l’hostilité d’une certaine critique devant pareille déclaration. Il va sans dire que je la partage entièrement. Nous verrons plus loin en quoi, contrairement à ce que prétendent les détracteurs du cinéaste, Haneka s’adresse à l’intelligence du spectateur. Nous aurons l’occasion de le vérifier avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le film que j’ai préférentiellement choisi dans la filmographie du cinéaste autrichien pour illustrer ce propos sur le cinéma politique. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Relevons tout d’abord que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(2005) s’avère exemplaire en ce qui concerne le point de vue adopté par Michael Haneke pour chacun de ses films : donner au spectateur la possibilité de se faire sa propre idée en laissant la porte ouverte à plusieurs interprétations. Cela paraît encore plus évident avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisque la vérité qui nous est peu à peu révélée (un souvenir d’enfance refoulé) ne contribue pas pour autant à résoudre la question posée dès le début du film : qui envoie les inquiétantes cassettes reçues par le couple Laurent ? En ce sens il y a comme une parenté entre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Château </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Kafka (adapté en 1996 par Haneke pour la télévision autrichienne) : plus nous approchons de la « vérité » de Georges Laurent, le principal personnage du film (interprété par un excellent Daniel Auteuil), plus l’incertitude prévaut pour désigner un coupable (ceci malgré les indices qui s’accumulent). A l’exception du dernier plan du film, qui semble donner la clef de l’énigme. Mais sans qu’on sache à quel moment de l’histoire (avant, pendant, après) la rencontre insolite qui se présente à nos yeux a eu lieu. Une rencontre d’ailleurs qui peut échapper à certains spectateurs en raison de la nature de ce plan (un plan large, fixe, délimitant un cadre dans lequel se déplacent de nombreuses personnes).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est un autre plan fixe qui ouvre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: le générique défile alors que rien, ou presque rien n’apparaît dans un plan de rue. Ce « presque rien » se rapporte à l’apparition sur l’écran de quelques silhouettes de passants, dont celles de Georges et d’Anne, son épouse, sortant de leur domicile à des moments différents. On apprend rapidement que tous deux le découvrent en visionnant une cassette vidéo réceptionnée devant la porte de leur habitation parisienne. Pourtant, comme Georges le vérifie dans un second temps en se déplaçant dans la rue, il ne comprend pas comment, refaisant son itinéraire, il n’a pas remarqué la présence d’une caméra. Une seconde cassette, identique à la première, se trouve elle enveloppée dans un dessin, d’enfant a priori, représentant une tête d’où s’échappe du sang d’une bouche à demi-ouverte. Un appel téléphonique, où une voix inconnue demande à parler à Georges Laurent, puis raccroche ; ensuite un dessin d’enfant, identique au premier, reçu sur le lieu de travail de Georges (précisons que ce dernier est l’animateur d’une émission littéraire sur une chaîne de télévision), décide le couple a en informer la police qui se contente d’enregistrer sa déclaration. Ensuite, Pierrot, le fils de douze ans, reçoit à l’école (soi-disant adressé par son père) le même dessin d’enfant. Puis une troisième cassette (enveloppée dans un dessin représentant un coq, la gorge maculée de sang) est réceptionnée alors que les Laurent reçoivent des amis. Celle-ci, contrairement aux deux précédentes, a été filmée depuis une voiture sur une route de campagne, le véhicule s’immobilisant devant une habitation : « la maison de mon enfance », reconnaît Georges.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un souvenir d’enfance, désagréable, va peu à peu ressurgir de la mémoire de Georges. C’est à ce moment-là que ses soupçons se portent sur une personne bien précise, sans qu’il se décide à en informer son épouse. Une quatrième cassette, permettant d’identifier une commune, une avenue, un immeuble et un numéro de porte (il s’agit d’une cité HLM de Romainville, en banlieue parisienne, où Georges n’a jamais mis les pieds), l’incite à refaire le même chemin, comme on semble vouloir l’inviter. Georges frappe à la porte de ce logement. L’homme qui y vit se révèle être, comme il le soupçonnait, Majid, le jeune arabe que ses parents, quarante ans plus tôt, envisageaient d’adopter. Un projet que le petit Georges avait contribué à faire échouer.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les événements alors s’enchaînent en lien avec le dévoilement du « secret » de Georges. L’association se faisant entre la mauvaise conscience de notre personnage envers Majid (qu’il refuse d’admettre) et le massacre des manifestants algériens du 17 octobre 1961 par la police de Papon (où le père et la mère de Majid, qui travaillaient dans la ferme des parents de Georges, avaient très certainement trouvé la mort). Haneke dans ses entretiens a bien précisé qu’il n’avait pas voulu faire un film sur la guerre d’Algérie, mais que ce refoulé-là dans un film produit et tourné en France s’imposait. En ajoutant qu’il aurait pu trouver des équivalents dans n’importe quel autre pays. Ce souvenir désagréable de Georges, longtemps refoulé, se rapporte à la décapitation d’un coq par Majid, et au sang qui avait alors giclé sur le visage de l’enfant (Georges prétextant que son père demandait que Majid, plus âgé que Georges, tue ce coq). Le petit Georges avait ensuite dit à ses parents que Majid crachait du sang, puis qu’il avait décapité le coq pour lui faire peur. Les parents ayant certainement compris que Georges ne désirait pas qu’ils adoptent Majid. D’où l’hypothèse d’une certaine mauvaise conscience aussi de leur côté, ceci se trouvant accrédité par l’attitude de sa mère, que Georges vient visiter lors d’un déplacement dans le sud de la France, devant qui il dit avoir rêvé de Majid (anticipant le cauchemar de la nuit suivante, où l’on voit Majid décapiter le coq, puis s’approcher menaçant, la hache à la main, du petit Georges). Dans l’avant dernier plan de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Georges se remémore le moment où les professionnels de l’aide à l’enfance viennent chercher Majid à la ferme, non sans difficulté : l’enfant s’enfuyant en criant qu’il ne veut pas partir. La place de la caméra indiquant l’endroit où se trouve Georges, assistant à la scène.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vocabulaire de la psychanalyse, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Laplanche et Pontalis précisent que pour Freud le souvenir-écran est un « souvenir infantile se caractérisant à la fois par sa netteté particulière et l’apparente insignifiance de son contenu ». Et qu’il distingue « des souvenirs écrans « positifs » et « négatifs » selon que leur contenu est ou non dans un rapport d’opposition avec le contenu refoulé ». Un contenu évidemment négatif avec Georges. La manière dont ce refoulé se manifeste, d’abord inconsciemment, puis consciemment se trouve remarquablement traitée par Haneke : par un rapide plan d’insert, puis un autre, plus long. dans un premier temps. C’est lorsque Georges prend connaissance de la troisième cassette (enveloppé du dessin d’un coq, la gorge maculée de sang), celle de la maison de son enfance, que ce souvenir refait consciemment surface. La mauvaise conscience de Georges va se trouver redoublée par celle qu’il éprouve envers Anne, à qui il cache toute la vérité, puis une partie de celle-ci (sous le prétexte de les protéger, elle et Pierrot). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous en venons par conséquent à la cinquième cassette (l’échange filmé qu’ont Georges et Majid dans l’appartement de ce dernier). Pris pour ainsi dire en flagrant délit, Georges se trouve dans l’obligation d’avouer à son épouse la vérité. Ce n’est pourtant que la partie (la plus avouable, croit-on) de cette vérité, puisque Georges évoque certes le contexte de guerre d’Algérie, la manifestation suivie du massacre du 17 d’octobre 1961, la disparition des parents de Majid ce jour-là, le désir de ses parents d’adopter Majid (et celui du petit Georges d’y contrevenir), mais il se garde bien de préciser la nature de son « caftage » (il dit ne plus s’en souvenir), tout en reconnaissant cependant que Majid s’était sans doute retrouvé dans un home d’enfant. Plus tard, autant bouleversé que traumatisé sur le moment par le suicide de Majid, se tranchant la gorge devant lui, Georges finit par avouer à Anne ce qu’il lui avait précédemment caché, l’épisode de la décapitation du coq et ce qui s’en était ensuivi.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On subodore que pour son épouse rien ne sera plus comme avant dans leur relation de couple. Elle risque à l’avenir de mépriser Georges. Soit en prenant sur elle, comme tout à la fin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Avventura, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quand le personnage joué par Monica Vitti pose une main consolatrice sur la nuque de son pitoyable compagnon, parce que les hommes sont faibles, n’est ce pas. Soit en réagissant comme Bardot envers Piccoli dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Mépris. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est dans ce registre qu’il faut replacer la conversation tendue, vers la fin du film, entre Georges et le fils de Majid. Le jeune homme le quittant sur ce constat : « Je voulais savoir comme on se sent, quand on a un homme sur la conscience. C’était tout ». En laissant Georges, qui s’en défendait quelques secondes auparavant (« Tu n’arriveras pas à me convaincre d’avoir mauvaise conscience parce que la vie de ton père a peut-être été triste ou bousillée ! Je ne suis pas responsable »), le méditer. L’échange suivant (« Bon alors, qu’est ce que tu veux ? Que je te demande pardon ? - A qui ? A moi ? ») le souligne. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Si l’on s’en tient à l’exposé des faits, l’on ne saurait douter de la culpabilité de Georges Laurent. Cependant, si l’on prend de la distance, si l’on tire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du côté de la fable, n’est-on pas tenté de rééquilibrer les deux partis en présence ? Sans rien ajouter en ce qui concerne Georges, tout a été dit. Mais alors en face, ne faut-il pas évoquer, provoqué par l’esprit de vengeance, un dispositif particulièrement pervers. Sans que l’on sache si le suicide de Majid en fait réellement partie (qui serait le point culminant de ce dispositif pervers, eu égard la décapitation du coq). Il est pourtant permis d’en douter, voire même de le récuser puisque nulle cassette n’a été adressée aux Laurent après la cinquième (la cassette réceptionnée par le supérieur hiérarchique de Georges n’étant qu’une copie de la cinquième). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une question se pose au sujet de la mort de Majid : pourquoi Haneke dont le cinéma relègue habituellement la violence hors champ, qui a pour ainsi dire théorisé cette démarche, filme-t-il frontalement le geste meurtrier de Majid sur sa personne (un geste d’autant plus terrifiant - il se tranche la gorge - qu’il est inattendu) ? J’ai plus haut évoqué un « dispositif pervers », illustré par l’envoi de cassettes insolites et de dessins d’enfant. Mais ce dispositif n’est-il pas enrayé par la disparition de Pierrot ? En réalité une fausse disparition, le jeune adolescent ayant oublié de prévenir ses parents qu’il dormait chez un camarade. Car le ravisseur ne peut être que Majid dans l’esprit de Georges. Une pseudo disparition dont les conséquences - l’irruption de la police (avec Georges) au domicile de Majid, l’interrogatoire de ce dernier et de son fils au commissariat - sont-elles de nature à expliquer ce suicide ? C’est là qu’il convient d’ajouter que la cinquième cassette (Georges la découvre en compagnie d’Anne, qui l’avait déjà visionnée) montrait l’entretien tendu entre Georges et Majid, mais également l’attitude du second après le départ du premier : un Majid effondré, se tenant la tête entre les mains. Un moment bouleversant, si l’on tente de reconstituer ce qu’a été la vie de cet homme, élevé dans un orphelinat, qui pourtant, malgré l’aversion que lui inspire Georges, reste digne lors de cette rencontre. Et l’on pourrait dire la même chose de son fils, lors de cet échange non moins tendu avec Georges, sur le lieu de travail du dernier. Un lien peut d’ailleurs être fait à travers le propos suivant du fils : « Vous avez privé mon père de la possibilité de recevoir une bonne éducation. A l’orphelinat on apprend la haine mais pas vraiment la politesse. Et pourtant mon père m’a bien éduqué ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fragments du monde : retour sur l’oeuvre de Michael Haneke </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">contient des contributions d’universitaires américains, dont celle de Scott Loren et Jorg Metelmann pour qui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">serait « la projection extériorisée d’un traumatisme interne portant sur la culpabilité post coloniale et l’espace domestique compromis ». Ce qui est déjà forcer le trait, pour rester mesuré. Plus loin on se demande si ces deux universitaires pêchent par méconnaissance de la société française ou si leur grille d’interprétation post coloniale ne peut que déformer leur perception de la réalité, par exemple au sujet de la scène suivante. Lorsque le couple Laurent sort du commissariat après avoir en vain alerté la police, un Georges, énervé, s’engage entre une voiture et une camionnette pour traverser la rue. Un cycliste (jeune noir, assez grand) surgit brusquement et manque de le renverser. Georges lui crie alors : « Ça va pas, connard ! ». D’où s’ensuit une altercation à laquelle Anne met rapidement fin en disant que les torts sont partagés, tous deux n’ont pas fait attention. Ce cycliste devient sous la plume de nos deux universitaires « un migrant africain d’une classe inférieure » (sic). Que ce jeune noir soit d’origine africaine (plus qu’antillaise), c’est fort probable. Mais ce n’est nullement un migrant (rien dans son absence d’accent, son langage, ses expressions, son attitude, ne l’accrédite). Et le fait de circuler à vélo dans les rues de Paris ne vous identifie pas pour autant, a contrario même, comme appartenant aux « classes inférieures ». Cette altercation n’est là que pour signifier le degré de nervosité de Georges à ce moment-là. A l’opposé, si l’on peut dire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rivarol </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">a cru discerner à travers « les manipulations hypercérébrales et ultra-politiquement correctes » d’Haneke dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> comme un manifeste de « l’anti-France ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant la palme revient à Jean-Baptiste Thoret, promu détracteur en chef du cinéaste, écrivant dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie-Hebdo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Haneke ne filme pas à hauteur d’homme mais de mirador, comme un juge sinistre et peu inspiré, sans jamais donner à ses personnages cobaye - qu’au fond il méprise - la moindre planche de salut. Pas d’explication, pas de nuances, pas de rachat possible : de même que Georges est pathétique dans sa volonté de refouler ce trauma historico-intime avec lequel Haneke le pilonne, de même ceux qui le pourchassent paraissent ontologiquement innocents ». Tout est faux, spécieux, indéfendable, dans ce commentaire acrimonieux, très en dehors du sujet. Ces contresens patents de Thoret sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">cachent difficilement la mauvaise foi du critique. Et puis, pour qui se souvient des éditoriaux à l’époque de Philippe Val (qui avait embauché Thoret à la mort du regretté Boujut) dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie-Hebdo, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">il y a comme une proximité dans le discours entre l’un et l’autre. D’ailleurs (se rapporter ici à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Défense du cinéma de Michael Haneke…</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), l’aversion de Thoret envers le cinéma d’Haneke prendra même un caractère pathologique avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne voudrais pas conclure ce texte sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sans revenir sur cette notion de culpabilité. Citons Pierre Bourdieu, relevant la « sorte de complaisance à base de culpabilité qui, autant que l’essentialisme racisme, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">enferme</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> et enfonce les colonisés ou les dominés en portant à tout trouver parfait, à tout accepter de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font ». Ce propos se révèle encore plus pertinent en 2024 qu’en 1985. Il faut ici renverser cette donne pour prolonger notre démonstration. En citant maintenant Adèle Haenel (lors de son célèbre entretien vidéo à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : « Si, en tant que femme blanche, je ne fais pas un travail de reconstruction sur comment j’ai été construite, je me fais moi-même le véhicule du racisme parce que j’ai été constituée dans cette société ». Ce propos est certes emberlificoté mais il traduit bien la nature de dimension culpabilisante d’un nombre conséquent de nos élites « blanches » et progressistes. J’ajoute que c’est dans ce cas de figure son statut de « femme privilégiée », ce qu’en d’autres temps on appelait une « bourgeoise », qui explique l’exercice de contrition d’Adèle Haenel. Il est recommandé de lire quelques bons auteurs (ici Nietzsche, plus précisément) pour ne pas tomber dans ce genre de complaisance. Il n’y a pas de quoi se sentir coupable de ce qu’est cette société (ou serait) sur un plan particulièrement dépréciatif dans la mesure où l’on s’oppose résolument à elle.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci pour dire qu’il échoit aux Arts et aux Lettres, nonobstant l’activité politique proprement dite, et donc au cinéma de traiter ce genre de question. Sachant qu’il y a évidemment une différence de traitement entre celui de x ou y et celui de Michael Haneke. Car c’est, je le répète, l’une des forces et spécificités de ce cinéaste : mettre à jour des ressorts de culpabilité chez plusieurs personnages de ses films pour amorcer un discours critique sur le monde. Cela apparaît par exemple dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">où le couple, dont Juliette Binoche est la femme, n’est pas exempt de mauvaise conscience vis à vis de certains aspects de la « misère du monde ». Cela s’avère encore plus flagrant avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisque c’est le dispositif mis en place par Haneke, depuis la réception de cassettes vidéo adressées par un inconnu, qui concourt à révéler progressivement la culpabilité du personnage principal vis à vis d’un « souvenir d’enfance » depuis longtemps refoulé, mais qui par association entre brutalement en résonance abec le massacre de manifestants algériens le 17 octobre 1961 par la police de Papon. La manière dont ce refoulé se manifeste, d’abord inconsciemment, plus plus consciemment, se trouvant remarquablement traité et illustré par Haneke. C’est à ce titre que nous considérons que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est un film plus politique (ce que se garde d’avancer son auteur) qu’une pléthore de films ayant cette prétention.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">3</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Jean-Luc Godard, qui selon toute vraisemblance ignorait tout de Guy Debord avant 1968 (mais il avait certainement entendu parler des situationnistes), ne s’est jamais référé à l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La société du spectacle</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> dans l’un de ses films ou texte quelconque, ni même à l’occasion d’une interview. Il faut attendre l’année 2004, lors d’un entretien du cinéaste avec Stéphane Zagdanski, pour que le nom « Debord » soit prononcé : Jean-Luc Godard remarquant brièvement « Je suis d’accord avec Debord, il l’a dit avant moi ». De l’autre côté, Godard n’est cité qu’une seule fois dans les </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Oeuvres complètes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Guy Debord. Ceci dans un texte de 1961 (« Pour un jugement révolutionnaire de l’art ») dont on s’étonne tout d’abord qu’il ne se soit pas retrouvé au sommaire du numéro 6 de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Internationale situationniste. C</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">omme il s’agit d’une réponse à un article de S. Chatel (« </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Jean-Luc Godard »), publié dans la revue du groupe Socialisme ou Barbarie, Debord, dont la proximité alors avec SouB ne sera connue que plus tard, avait sans doute préféré que son texte (pourtant pas ouvertement polémique), qui présente l’article de Chatel « comme une critique de cinéma dominé par des préoccupations révolutionnaires », se retrouve dans la plus confidentielle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Notes critiques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, bulletin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">recherche et d’orientation révolutionnaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour revenir à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Debord reproche à Chatel de ne pas préciser « que Godard n’a pas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">explicitement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">fait le procès « du délire culturel dans lequel nous vivons » », et de se situer dans un registre de « critique d’art ». D’où, par rapport à l’argumentation de Chatel, attribuant à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une valeur d’exemple (puisque la fraction la plus critique de la population se reconnaîtrait dans ce film), le constat que « l’adéquation d’une certaine vérité dans la description du comportement des gens, n’est pas forcément positive » dans la mesure où Godard « leur présente tout de même une image fausse où ils se reconnaissent faussement ». Ensuite, le discours de Debord se veut plus volontiers critique à l’égard des ciné-clubs et de la critique cinématographique. L’importance de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour un jugement révolutionnaire de l’art » est à replacer dans l’histoire de l’Internationale situationniste (comme illustration, pour le cinéma, des thèses défendues six mois plus tôt par Guy Debord et Daniel Blanchard dans « Préliminaires pour une définition de l’unité des programmes révolutionnaires »). D’ailleurs Debord s’en prend plus à certains aspects de l’argumentation de Chatel qu’il ne commente </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(à la différence de Michèle Bernstein, rendant compte exhaustivement de deux films d’Alain Resnais, l’un favorable avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Hiroshima mon amour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’autre critique avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’année dernière à Marienbad,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> dans l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">I.S</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). La postérité d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> confirmera le jugement de Godard qui, disant se situer dans le prolongement de Bresson et de Resnais, déclarait en 1962 : « Ce que je voulais, c’était de partir d’une histoire conventionnelle et refaire, mais différemment, tout le cinéma qui avait déjà été fait ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La correspondance de Guy Debord s’avère un peu plus prolixe, même si le nom Godard se trouve davantage cité de manière indirecte (comme phénomène générationnel, ou associé à Cohn-Bendit ou encore au producteur Rassam). Dans cette substantielle correspondance, Godard, plus directement, est cité en deux occasions. D’abord en 1967 : à un correspondant yougoslave, Debord indique que « Godard n’est pas un cinéaste d’avant-garde ». Ensuite, en 1975, dans une lettre à Gérard Lebovici, Godard se trouve taxé de « plagiaire récupérateur ». De notre cinéaste, ensuite, il ne sera plus question.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons en arrière. Un article en 1966 dans le n° 10 de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">I.S </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Le rôle de Godard »), certainement écrit par René Viénet, va devenir la matrice de ce que les situationnistes diront à l’avenir du cinéma de Godard. Ce qu’il en est peut être résumé dans la première phrase de l’article : « Dans le cinéma Godard représente actuellement la pseudo liberté formelle, et la pseudo critique des habitudes et des valeurs, c’est à dire les deux manifestations inséparables de tous les </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ersatz </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de l’art moderne récupéré ». Ce qui nous paraît le moins convainquant, aujourd’hui, réside dans la phrase suivante : « En dernière analyse, la fonction présente du godardisme est d’empêcher l’expression situationniste au cinéma ». Ceci parce que l’I.S. était encore relativement confidentielles en 1966, elle le sera moins l’année suivante, celle du « scandale de Strasbourg » (la parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">De la misère en milieu étudiant</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), et encore moins en 1968. Précisons donc qu’à la date de la parution de l’article « Le rôle de Godard », ce cinéaste, tout comme la partie de la critique qui défendait son cinéma, ignorait l’existence de l’I.S. (surtout connue dans les milieux anarchistes, ultra-gauchistes, en y ajoutant quelques urbanistes et une fraction du monde universitaire, dont des représentants patentés se trouvaient alors épinglés par les situationnistes). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On remarque que cet article ne cite que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierrot le fou </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans la filmographie de Godard. C’est là un premier paradoxe puisqu’il s’agit de l’un des meilleurs films de Godard, sinon le meilleur. Cette manière de se focaliser sur ce film-là</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’explique principalement par la raison suivante. Ce qui a le plus desservi Godard à l’époque (cela dépasse bien évidemment le cadre de l’I.S.) étant l’éloge par Aragon la gâteuse de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierrot le fou. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">D’où le rejet de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Positif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(proche des surréalistes), ou plutôt l’accentuation critique de cette revue envers le cinéma de Godard (l’un des épisodes du différend opposant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Positif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers du cinéma</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Pourtant Aragon, dans son article des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lettres françaises </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Qu’est ce que l’art, Jean-Luc Godard ? »), parle davantage de lui et de sa marotte du moment, le collage, qu’il ne commente pertinemment </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierrot le fou. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Et puis, d’une certaine façon, cela n’avait pas échappé au rédacteur du « Rôle de Godard » qui relève dans la posture d’Aragon quelque « variante togliattiste du stalinisme français », illustrée par « Garaudy et Aragon », lesquels alors « s’ouvrent à un modernisme artistique « sans rivages » ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> René Viénet, dans un article signé lui du n° 11 de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">I.S. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en octobre 1967 (« Les situationnistes et les nouvelles formes d’action contre la politique et l’art »), y écrit qu’il se fait « fort de tourner </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le déclin et la chute de l’économie spectaculaire-marchande </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(l’un des textes essentiels de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">I.S.</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), et traite Godard - ce qui fera florès (y compris en dehors du milieu situationniste) - de « plus célèbre des suisses pro-chinois ». Puis il reprend les critiques, formulées précédemment dans « Le rôle de Godard », pour conclure que ce cinéaste « est effectivement un enfant de Mao et du coca-cola » (reprise de la non moins célèbre formule de Godard à l’égard de la jeunesse représentée dans le film </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Masculin-féminin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Viénet se réfère ici à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La chinoise, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui venait juste de sortir. Pourtant ce dernier opus godardien se révèle au contraire ironique et critique envers le groupe pro-chinois de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La chinoise </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(surtout à l’égard de l’activisme de Véronique, l’âme du groupe). Godard n’était pas maoïste en 1967 : son maoïsme, plus tard, même s’il faut le nuancer en indiquant que Godard n’a jamais adhéré à l’un ou l’autre des groupes pro-chinois, se rapporte aux deux années d’existence du groupe Dziga Vertov (qui était davantage travaillé par la question du cinéma que par celle de la Chine).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bien qu’avertissant le lecteur dans la troisième édition de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La société du spectacle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qu’il n’était « pas quelqu’un qui se corrige », Debord n’en avait pas moins reconnu, quatre années plus tôt, dans une lettre à Annie le Brun évoquant « les circonstances, sans doute regrettables, qui ont pu autrefois nous tenir éloignés, par attachement à des nuances ou, mieux, à des personnes », qu’il convenait de considérer « ce qui est advenu depuis ». Ce qui n’infirme pas le propos de 1993 mais introduit une nuance d’importance, même si cet extrait de lettre se rapporte ici au surréalisme. D’ailleurs, d’après Jean-Jacques Pauvert (et on peut le vérifier dans sa correspondance avec Annie le Brun), Debord, vers la fin de sa vie, était redevenu vis à vis de Breton dans les dispositions d’esprit de son adolescence. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je vais revenir plus en arrière, vers la fin des années 1970 et le début de la décennie suivante, pour préciser que mon désaccord alors, avec mes amis situationnistes, portait sur la question de l’art. Ce différend d’ailleurs, qui aurait été sans objet durant les douze années d’existence de l’I.S., se rapportait à la situation présente, celle de ce moment de reflux. Je partageais toujours le postulat selon lequel l’art devait se fondre dans la vie, tout en constatant que seule une véritable révolution politique et sociale permettait de réaliser pareil « programme ». Ceci pour dire que les promesses contenues dans mai 68 n’ayant pas, dix ans plus tard, été tenues, je prenais acte du fait qu’il me fallait reconsidérer cette sempiternelle « question de l’art ». C’est là que le désaccord devenait patent entre ceux, pour qui l’art relevait désormais d’une catégorie obsolète et n’avait plus grande signification, et ceux qui récusaient cette interprétation. En ce qui concerne les premiers, l’oukase (Debord) selon lequel il n’y avait plus d’artistes dignes de ce nom depuis le milieu des années cinquante permettait d’évacuer ladite question. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> J’ai quasiment vu tous les films de Jean-Luc Godard, ceux des années soixante, durant la période de marginalisation du cinéaste (du groupe Dziga Vertov), Godard ayant disparu de l’activité cinématographique. Un intérêt ravivé ensuite par les « films expérimentaux » de l’époque suivante, parmi lesquels </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">prit la place que l’on sait. En même temps, la lecture des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers du cinéma </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- revue qui sous la direction de Serge Daney mettait fin à la période « théoriciste » des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- n’était pas étrangère à ce renouveau d’intérêt pour le cinéma de Godard. J’ajoute que j’aurais dû, normalement, en raison de ce que représentait déjà le surréalisme dans mon existence, leur préférer la lecture de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Positif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(lu de façon intermittente). Il est vrai que l’hostilité de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Positif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à l’égard de Godard expliquait en partie ma préférence pour les </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sans parler de la manière dont l’une ou l’autre revue défendait ce cinéma que dans la première partie j’ai associé à la modernité. Il me fallut attendre le retour de Godard à un cinéma plus « traditionnel » (à partir de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sauve qui peut la vie</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) pour éprouver quelque chose de comparable, certes un tantinet atténué (à l’exception de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Prénom Carmen</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), à ce qui, dix ans plus tôt, avait été le cas lors de la découverte du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mépris, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Carabiniers, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bande à part, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une femme mariée, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Week-end,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierrot le fou. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ensuite l’intérêt pour le cinéma de Godard s’est partiellement maintenu, mais sur un tout autre plan (plus poétique que politique). Comme dernier témoignage de ce que le cinéma aurait pu être (mais qu’il n’était plus).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Fabien Danesi dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le cinéma de Guy Debord, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’ouvrage le plus pertinent écrit sur le sujet, s’inscrit en faux contre un réductionnisme plus ou moins présent chez les commentateurs de Debord à l’égard de Godard. C’est dire aussi qu’il ne reprend pas à son compte des polémiques qui, 40 ans plus tard, n’étaient plus de saison. Au contraire même, en indiquant ce qu’il peut y avoir - non de comparable - mais d’analogique chez l’un et l’autre. Par exemple, Danesi écrit que le film « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les carabiniers </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">affirme son caractère composite de façon abrupte en associant à l’histoire des héros Ulysse et Michel Ange, partis au combat, des images d’archives et des interlignes issus de diverses correspondances de guerre. Tout ici sert à déjouer la croyance du spectateur, de la pantomime absurde des personnages à l’absence d’explication contextuelle. Une telle distanciation corrosive s’immisce dans le réalisme sur un mode brechtien, et prend la forme d’une farce où l’acidité se substitue à toute signification ». Une analyse en tous points pertinente de l’un des premiers films de Jean-Luc Godard. Lequel Godard s’avère parfois injuste, de longues années plus tard, avec ses films des années 1960 (on ne partage nullement son sentiment dépréciatif envers </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bande à part</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Ce qui n’est pas le cas des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Carabiniers, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisque dans la première partie du court métrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Prière pour refuzniks </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(2004), Godard reprend une séquence des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Carabiniers </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(celle précédant l’exécution d’une militante) où il remplace en fond sonore les dialogues du film par la chanson </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’oppression </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Léo Ferré.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Fabien Danesi indique plus loin que « Jean-Luc Godard a assumé un réel engagement politique » qu’il date de l’interdiction du film </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Jacques Rivette. Rappelons que Godard s’était retrouvé en première ligne, lors des actions de protestation contre cette interdiction. Ici signalons la présence, au milieu de l’activité déployée pour faire reculer le gouvernement, de deux lettres ouvertes de Jean-Luc Godard. La première, adressée à Yvon Bourges, le secrétaire d’État à l’Information signataire de cette interdiction, établit un parallèle provocateur entre ce qu’avaient pu connaître les résistants pendant l’Occupation nazie et ce qu’il en résultait d’un pouvoir qui aujourd’hui interdisait le film de Rivette : « Hier, brusquement tout a changé : « Ils ont arrêté Suzanne » (…) Merci, Yvon Bourges, de m’avoir fait voir en face le vrai visage de l’intolérance actuelle ». Mais on a surtout retenu la « Lettre à André Malraux, ministre de la Kulture », écrite d’une plume alerte, qui appelle la censure « cette Gestapo de l’esprit », et se termine par ces lignes assassines : « Comment pouvez-vous donc m’entendre, André Malraux, moi qui vous téléphone de l’extérieur, d’un pays lointain, la France libre ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’année suivante (1967), Jean-Luc Godard collabore au projet collectif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Loin du Vietnam </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avec une contribution intitulée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caméra-oeil. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La commentant, Danesi remarque que « l’enjeu du cinéaste fait écho à la mise en abîme insatisfaisante, développée quelques années plus tôt dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sur le passage… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Critique de la séparation</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> »</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(les deux courts métrages de Debord). Il faut revenir, plus dans le détail, sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caméra-oeil, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un opus godardien pas suffisamment mis en valeur dans l’oeuvre du cinéaste. Il représente pourtant le premier témoignage en date d’un genre, appelons le « essai cinématographique », que le dernier Godard illustrera depuis diverses thématiques. La « question vietnamienne », était déjà présente dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierrot le fou </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(incluse, lors du tournage, deux mois après le débarquement des troupes américaines au Vietnam), sous la forme d’une saynète des deux protagonistes, rejouant « le drame du peuple vietnamien » devant des touristes américains. Ensuite, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Masculin-féminin, Made in USA, Deux trois choses que je sais d’elle, La chinoise, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">contiennent des plans et des séquences dénonçant la guerre du Vietnam. En avril 1967, Godard participe aux premières assises des Comités Vietnam. Il avait été précédemment contacté par Christ Marker, qui s’emploie alors à fédérer un collectif de cinéastes dans la perspective d’un film de soutien au peuple vietnamien. Godard donne son accord, aux côtés de Resnais, Varda, Klein, Lelouch, pour ne citer qu’eux. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En juin 1967, Godard tourne sa propre contribution. Se différenciant des approches de la majorité des membres du collectif, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caméra-oeil </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sera plutôt fraîchement accueilli lors de la sortie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Loin du Vietnam, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à l’automne 1967. Il est vrai que Godard se livre dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caméra-oeil </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à une réflexion politique sur le sens de l’engagement qui n’a pas été sans décontenancer ceux qui attendaient du cinéaste une contribution plus directement liée à la guerre. Pourtant Godard prend au pied de la lettre l’intitulé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Loin du Vietnam, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quand il observe, l’oeil collé au viseur de sa caméra, qu’il paraît difficile de « parler des bombes, alors qu’on ne les reçoit pas sur la tête ». Godard avoue qu’Hanoï avait auparavant refusé de lui donner l’autorisation de venir filmer au Vietnam. Ce qu’il comprend. D’où une réflexion sur la meilleure façon d’aider les vietnamiens qui puisse, depuis Paris, y répondre. Godard mentionne différents conflits dans le monde susceptible de l’illustrer, y compris en France par un soutien aux ouvriers de la Rhodiaceta à Saint-Nazaire. Mais l’on ne saurait s’arrêter là, puisque Godard reconnait qu’il est, en tant que cinéaste, « coupé d’une partie de la population française, de la classe ouvrière en particulier ». Il indique alors que le meilleur moyen pour lui de soutenir les vietnamiens, « c’est de lutter contre le cinéma américain, contre l’impérialisme économique et esthétique qui a gangrené le cinéma mondial ». Ne l’a-t-il pas exprimé de façon partielle dans ses films précédents ? Pourtant, Godard y revient, « le public ouvrier ne va pas voir mes films ». Lui, comme cinéaste, se trouve enfermé « dans une sorte de prison culturelle », tandis que l’ouvrier de la Rhodiaceta l’est « dans une sorte de prison économique ». D’où, pour le dépasser, le recours au Vietnam comme « symbole plus général de résistance ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans sa conclusion, Godard se réfère à André Breton. Il faut citer entièrement ce passage, dont j’indique préalablement qu’il figure dans l’une des notes ajoutées au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Second manifeste du surréalisme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ceci en réponse aux jocrisses qui reprochaient vertement à Breton d’avoir écrit « L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule », sans citer la phrase suivante, qui en est l’indispensable complément). Breton donc, après s’être interrogé sur la manière de composer, ou pas, avec la violence, ajoute : « Je crois à la vertu absolue de tout ce qui s’exerce, spontanément ou non, dans le sens de l’inacceptation, et ce ne sont pas les raisons d’efficacité générale dont s’inspire la longue patience prérévolutionnaire, raisons devant lesquelles je m’incline, qui me rendront sourd au cri que peut nous arracher à chaque minute l’effroyable disproportion de ce qui est gagné à ce qui est perdu, de ce qui est accordé à ce qui est souffert ». Godard entend souligner ici « longue patience prérévolutionnaire » et là ce « cri », avant d’ajouter, pour conclure, : « Nous qui ne sommes pas dans une situation révolutionnaire en France, nous devons crier au contraire plus fort (…) Il faut écouter et retransmettre ces cris le plus souvent possible ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sans doute fallait-il procéder par tâtonnements successifs, évoluer selon un principe d’incertitude, avancer quelque peu de guingois, à l’instar de ce </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caméra-oeil, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour dire en quoi l’idée plus ou moins recevable, plus ou moins discutable, ou plus ou moins pertinente d’un « cinéma politique » selon les critères avancés dans la première partie, se renforçait dès lors qu’elle allait dans le sens d’une </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">inacceptation </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que l’on pouvait moduler depuis des exemples cinématographiques choisis. Ces « modestes propositions » n’ont pas d’autre ambition.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">février 2024</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>LOLITA PRIS EN OTAGE PAR LES « FAUX AMIS » DE NABOKOVurn:md5:af3b018607c6fe9de02edbe1951575af2024-01-14T11:24:00+01:002024-02-08T11:23:52+01:00Max VincentEssais littéraires2024 <h2 style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span id="docs-internal-guid-b975f4d3-7fff-5f35-8568-0c8ad4c9e2d3"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 29pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 29pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">LOLITA</span><span style="font-size: 29pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> PRIS EN OTAGE PAR LES « FAUX AMIS » DE NABOKOV</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 20pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">UN POINT DE VUE LIBERTAIRE SUR QUELQUES APORIES CONTEMPORAINES</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Petite Nymphe folâtre / Nymphette que j’idolâtre / Ma mignonne dont les yeux / Logent mon pis et mon mieux / Ma doucette, ma sucrée / Ma Grâce, ma Cythérée / Tu me dois pour m’apaiser / Mille fois le jour baiser ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Pierre de Ronsard, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Amours</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">« </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le jour où ça ne m’ira plus / Quand sous ta robe il n’y aura plus / Le code pénal</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> »</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Léo Ferré, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Petite</span></p>
<br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Tout le monde, ou presque, s’accorde à dire que les plus grandes oeuvres du patrimoine universel (littéraires, picturales, musicales, cinématographiques…) ne sont pas sans provoquer, par cela même, de nombreuses interprétations, parfois contradictoires, y compris du vivant de leurs auteurs. C’est là une donnée qui depuis la disparition du réalisme socialiste ne soulevait pas d’objection particulière, du moins le pensait-on. Cependant, soit frontalement, soit de manière biaisée, ce qui relevait ici d’une relative évidence se trouve battu en brèche dans notre monde contemporain depuis des postures, des relations au monde, des modes de raisonnement, des idéologies pour résumer, qui n’ont pas ou peu grand chose à voir avec la dimension émancipatrice de la littérature la plus exigeante (cela valant également, depuis cet éclairage, pour la peinture, la musique, ou encore le cinéma). C’est vouloir dire que pour d’aucuns, aujourd’hui, il n’existe qu’une seule et unique manière d’interpréter telle oeuvre, ou telle autre. Cela doit être évidemment modulé et ne concerne qu’un corpus d’oeuvres bien précises. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Parmi celles-ci, dans le domaine littéraire plus précisément, l’exemple le plus flagrant, et le plus pernicieux de la tendance relevée ci-dessus, n’est autre que le roman </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Vladimir Nabokov. C’est sur lui que je vais m’appuyer pour, dans un premier temps, opposer ce qui relève d’un </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">littérairement parlant, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">illustré par des lectures plurielles, à ce qui (la dite tendance) le récuse implicitement pour privilégier une lecture univoque, dictée par des considérations morales, prétendument éthiques ou pseudo politiques, qui relèvent in fine d’un </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">littéralement parlant. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">le principal enjeu porte sur la manière d’aborder un mode de relation plus qu’auparavant condamné par la société, celui ici d’un personnage adulte avec une jeune adolescente (la sexualité, toute essentielle soit-elle, n’étant que l’une des modalités de leurs échanges). On dira que le talent d’écrivain de Nabokov transcende ce contenu, et élève au niveau d’une oeuvre d’art, ce qui, sous la plume de tâcherons de l’écriture, relèverait de nos jours d’une indignation de bon aloi devant le spectacle d’amours répréhensibles. C’est ce à quoi réduisent </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> les « faux amis » de Nabokov depuis la dernière grille de lecture en cours, celle se réclamant de #MeToo. Le caractère absolutiste de cette réclamation ne tolérant d’autre interprétation que la sienne. Pour que le personnage Lolita puisse cocher toutes les cases de la parfaite victime, il convenait, en retour, que l’autre protagoniste du roman, Humbert Humbert, ne nous soit présenté que sous le seul angle de la pédocriminalité. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cependant il importe (d’où une seconde partie) de replacer le « cas </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita » </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans un contexte plus général, excédant la chose littéraire, pour démontrer que cette lecture de type « littéraliste » (ou « révisionniste » ou « puritaine ») du roman de Nabokov</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">s’inscrit dans une tendance globale, qu’il convient de questionner sous l’angle de la sexualité et des moeurs tout d’abord, en documentant sa dimension émancipatrice, puis ses nombreux côtés régressifs ; avant d’en venir au dernier état d’un féminisme sacrifiant cette dimension-là sur l’autel des « violences et offenses faites aux femmes ». Il sera alors temps de décrypter quelques uns des aspects d’une telle « moralisation de la société » (ce qu’elle suscite en termes d’intimidation, d’effacement et de censure dans le domaine des Arts et des Lettres) depuis des exemples puisés dans les disciplines cinématographique, musicale, plastiques, graphique et littéraire (de « l’affaire Bastien Vivès » à celle « Gabriel Matzneff » en passant par Polanski, Antonioni, Bizet, Gauguin, Picasso et Brassens).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Dois-je ajouter que malgré tout, malgré les malentendus qui peuvent en résulter, le point de vue défendu tout au long de ce texte se veut libertaire ? Nos héroïnes ne s’appellent pas Adèle Haenel, Sandra Muller, Vanessa Springora ou Virginie Despentes, mais restent indéfectiblement Germaine Berton, Bonnie Parker, Violette Nozières, les soeurs Papin et Gudrun Ensslin.</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 20pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">1</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">A mes yeux, une oeuvre de fiction n’existe que dans la mesure où elle suscite en moi ce que j’appellerai crûment une jubilation esthétique, à savoir le sentiment d’être relié quelque part, je ne sais comment, à d’autres modes d’existence où l’art (la curiosité, la tendresse, la gentillesse, l’extase) constitue la norme. Ce genre de livre n’est pas très répandu. Tout le reste n’est que camelote de circonstance ou ce que certains baptisent littérature d’idées </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">«.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Vladimir Nabokov : </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">A propos d’un livre intitulé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> L’ouvrage le plus connu de Vladimir Nabokov, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">est un grand roman, l’une des oeuvres romanesques majeures du XXe siècle, et à ce titre ne pouvait et ne peut que susciter diverses interprétations. Certaines ce sont avérées contradictoires dès la parution du roman. Celui-ci, nul ne l’ignore, a bénéficié ou pâti (c’est selon) d’un « succès de scandale » qui, durant des décennies, lui a attiré des commentaires peu amènes (de « dégueulasse » en « immonde »). Cette manière abrupte de commenter </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">étant très sensiblement revue à la baisse aujourd’hui. Ces affirmations péremptoires, particulièrement négatives, avaient néanmoins le mérite de témoigner sans fard d’un sentiment de lecteur. Une attitude que je préfère à celle, a priori non rejetantes, que je vais maintenant commenter. Pour tordre le bâton dans l’autre sens, je citerai une phrase du milieu du roman, qui vient conclure l’une des scènes les plus importantes de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> : « Une ambition plus haut me guide ; fixer à jamais la magie périlleuse des nymphettes ». D’ailleurs, au début du roman, Nabokov, à travers la « confession » du personnage Humbert Humbert, nous explique de manière brillantissime ce qu’il entend par nymphisme. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce sont certainement ces pages, superbes (où Nabokov est au sommet de son art), qui suscitent le plus d’hostilité, manifeste ou latente, de lecteurs pour qui le louche Humbert Humbert exprimerait-là, de façon perverse et retorse, son désir de prédation. Je reviendrai plus loin sur le tour de passe passe, depuis ce genre de considération, qui transforme Nabokov en précurseur par exemple de #MeToo. Même chose, en termes d’hostilité, pour la scène du milieu du roman, signalée plus haut : c’est la petite Lolita, douze ans et six mois, qui prend l’initiative dans la chambre d’hôtel des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Chasseurs enchantés. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Une scène dont l’importance n’a pas échappé à la plupart des lecteurs, même si les commentaires diffèrent. J’ajoute juste, pour qui n’aurait pas lu le roman, que Humbert Humbert sera ainsi instruit de la nature des jeux que pratique Lolita en copulant avec Charlie Homes, treize ans. Ici Nabokov (à travers Humbert Humber) précise, en parlant de sa jeune héroïne : « A ses yeux l’acte sexuel était partie intégrante du monde furtif de l’enfance, et les adultes en ignoraient tout. Ce que les grandes personnes faisaient aux fins de procréation ne lui importait point ». Des lignes vertigineuses que nous proposons à la méditation des détracteurs de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et surtout de ses « faux amis ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Parlons de ces derniers, justement. Je citerai d'abord Vanessa Springora, puisque dans son ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le consentement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">elle consacre un long paragraphe au roman de Nabokov. J’ai préféré commencer ma recension par cette autrice en raison du succès critique et public remporté par son livre : plus de 200 000 exemplaires du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Consentement</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ont été vendus (sans compter les chiffres de ventes de l’édition de poche). Donc de très nombreux lecteurs ont pris connaissance d’une lecture « révisionniste » de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">qui, à l’origine, n’était pas censée atteindre le grand public. Ce qui doit être relativisé si l’on observe que ces deux pages de Vanessa Springora sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">n’ont pas fait l’objet de commentaires particuliers parmi la pléthore d’articles, d’interventions et de témoignages en faveur du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Consentement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: ceux-ci portant presque exclusivement sur la partie l’essentielle de l’ouvrage, la relation passée de l’autrice avec Gabriel Matzneff. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce que nous dit Vanessa Springora du roman de Nabokov s’ouvre sur cette affirmation, catégorique : « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">est tout sauf une apologie de la pédophilie ». Elle ajoute : « C’est au contraire la condamnation la plus forte, la plus efficace qu’on ait pu dire sur le sujet ». Franchement ! Nabokov, nous le savons, l’a prétendu pour des raisons que chacun comprendra, liées au contexte américain, très puritain, du moment. Sa délectable préface à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">signée John Ray jr, docteur en philosophie), « pathologise » autant que possible le cas Humbert Humbert, et en appelle à une « vigilance inflexible pour élever des générations meilleures dans un monde plus sûr ». Mais qui en est dupe ? Il y a une ambiguïté fondamentale chez Nabokov (on l’imagine félicitant Springora et compagnie pour leur « remarquable perspicacité » tout en riant sous cape) qui contribue au plaisir de la lecture de ce grand roman. L'écrivain a joué dans ce registre une partie de sa vie non sans une certaine délectation. La naïveté (à moins qu’elle soit simulée) de Vanessa Springora paraît confondante quand elle écrit avoir « toujours douté d’ailleurs que Nabokov ait pu avoir été pédophile ». C’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit du propos d’une éditrice. Enfin, j’y reviens, comme si la question était là ! Nabokov n’a jamais été pédophile, et l’on se fiche bien de savoir « s’il a lutté contre certains penchants ». Mais son imaginaire s’est plu à créer le personnage Lolita - une affriolante nymphette, nous comprenons Humbert Humbert - en la caractérisant de la sorte ; et celui, plus tard, d’Ada (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ada et l’ardeur, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">autre grand roman, autour de la thématique incestueuse). C’est ce qui dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">nous intéresse et nous séduit (tout comme le portrait d’une Amérique au vitriol). Tout lecteur de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">même le plus obtus, n’est pas sans comprendre que « jamais Nabokov n’entend faire passer Humbert Humbert pour un bienfaiteur et encore moins pour un type bien ». Comme si les mauvais lecteurs que nous sommes, selon les critères des Springora et consort, prétendaient le contraire ! Cette lecture révisionniste de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans les termes mêmes qui viennent d’être mentionnés, s’explique par la volonté de nier « qu’un ouvrage comme celui de Nabokov, publié aujourd’hui, se heurterait nécessairement à la censure ». Encore faudrait-il pouvoir le lire, puisque de nos jours un tel livre ne trouverait pas d’éditeur !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On retrouve en 2023 le nom de Vanessa Springora au sommaire du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Cahier de l’Herne </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">consacré à Vladimir Nabokov. Dans son article (« Dolorès dans le texte »), Springora relit </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">depuis la grille de lecture qui déjà se dessinait dans son commentaire précédent. D’emblée elle soutient que son « histoire a croisé celle de Lolita lorsque j’avais, à peu près, le même âge qu’elle ». </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">A peu près, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dit-elle. Deux remarques. Entre douze ans (l’âge de Lolita lorsqu’elle rencontre Humbert Humbert) et quatorze ans (l’âge de Vanessa Springora quand elle fait la connaissance de Gabriel Matzneff), la différence, entre la fillette et l’adolescente (ou la jeune fille), peut s’avérer conséquente. D’ailleurs Nabokov indique que 14 ans est l’âge limite pour une nymphette. Au-delà de cet âge, la magie du nymphisme n’opère plus. Le nympholepte, qui doit avoir au minimum le double de l’âge de la nymphette, se désintéresse alors de ces jeunes personnes, trop âgées selon ses critères. Deuxième remarque. Si l’on se réfère à la liste des « conquêtes » de Matzneff, aucune d’elles n’avait moins de 14 ans. L’identification alors de la jeune Vanessa à la plus jeune Dolorès Haze ne convainc pas.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Juste après, Vanessa Springora prétend que « Lolita n’est jamais qu’un personnage secondaire de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ». Elle ajoute, au sujet de « ce roman écrit à la première personne » que « nous ne saurons donc de Dolorès que ce qu’il veut bien nous dire » (Humbert Humbert, soit). Il y a de quoi s’étonner. Springora raisonne comme si nous étions dans la vraie vie, et non dans un roman ! C’est là l’un des traits flagrants au travers duquel d’aucuns entendent réviser </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Leur focalisation sur Humbert Humbert (qui réduit Lolita au rang d'un « personnage secondaire ») occulte ce pourquoi </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">nous intéresse tant sur le plan littéraire. En plus, Vanessa Springora (mais elle n’est pas la seule) croit de nouveau pouvoir s’appuyer sur certaines déclarations de Nabokov sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pour justifier ce qu’elle avance. J’en ai déjà dit un mot précédemment, et j’y reviendrai plus dans le détail dans mon commentaire critique d’un autre article des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Cahiers de l’Herne.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Je relève que depuis #MeToo, l’on confond plus qu’auparavant les pouvoirs de la littérature avec une bienséance propre à l’époque. En particulier, pour ne pas quitter le roman de Nabokov, dans cette université américaine où Ann Dwyer, professeure de littérature russe, rapporte que des étudiants lui ont demandé si « la lecture de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">était obligatoire », tout en se plaignant que ce roman, que pourtant ils n’avaient pas lu, « participait d’une culture du viol ». En Espagne, la romancière Laura Freixas, déclare elle que « Lolita est écrit de telle manière qu’il réussit à nous faire oublier qu’il est mal de violer les petites filles ». Je pourrais citer d’autres exemples, tout autant caricaturaux, surfant sur les vagues #MeToo et #Balance ton porc. Pour rester dans ce dernier registre, je précise le fait suivant : lorsque, dans la dernière partie du roman, Lolita balance le porc Humbert Humbert, c’est pour partir avec un autre porc, Quilty, pire peut-être. Décidément ce roman de Nabokov est indéfendable !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Je resterai maintenant dans le domaine français pour signaler qu’en amont, en guise de premier exemple des « faux amis » de Nabokov, la « question </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> » agitait déjà certains esprits, y compris dans des sphères extra-littéraires. Ce qui suit, très peu connu, prend d’autant plus de relief. Lors d’une conférence en 2008 de Pierre Fedida sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(recueillie après le décès du psychanalyste), parmi les échanges ensuite avec le conférencier, Martine Coppel-Batsch, psychiatre et psychanalyste, déclarait : « Par des touches très subtiles on perçoit, on ressent le drame que vit cette petite fille, alors que dans la première partie elle n’existe que de façon très extérieure, comme une fillette attirante. Dans la deuxième partie, l’auteur se sépare du narrateur pour s’identifier à la fillette et je trouve cela très bien fait d’ailleurs - réellement Nabokov a compris, me semble-t-il, ce que peut vivre une jeune fille abusée sexuellement ». Nous sommes déjà en présence d’une manière d’interpréter préventivement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">avant #MeToo, puisque, selon ce discutable commentaire, la nymphette du roman se trouve uniment réduite au statut de victime. La subtilité de Nabokov n’est nullement dans ce que MCB croit percevoir - qui ne nous renseigne que sur les présupposés (et préjugés) de cette lectrice - mais dans la nature changeante, indécise et réversible des relations entre Humbert Humbert et Lolita. En plus, prétendre que « l’auteur se sépare du narrateur » dans la seconde partie du roman, pour s’identifier à la fillette, relève, pour rester mesuré, d’un flagrant contresens de lecture. On peut être analyste, et mal-comprendre un roman dont la subtilité, en substance, échappe à une telle lectrice ; ou plutôt, celle-ci n’est pas en mesure de comprendre littérairement parlant ce qui se joue ici dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">puisqu’elle élimine tout ce que son entendement refuse pour ne retenir que la fiction d’un Nabokov choisissant de s’identifier dans le milieu du roman à une victime (ou prétendue telle). Je ne connais pas les travaux de Marthe Coppel-Batsch, « psychiatre et psychanalyse renommée » paraît-il, mais j’incline à penser que son nom restera dans les mémoires comme étant celui de la première victime mortelle du Vélib.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Le second exemple, plus sérieux, qui date de 2023, ne prend pas à son compte quelques unes des hypothèses hasardeuses qui viennent d’être mentionnées avec les deux précédentes intervenantes. Il s’agit d’un article (« Le vertige visionnaire de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">#DitdeDolly</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), qui figure à la suite de celui de Vanessa Springora dans le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Cahier de l’Herne </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">précédemment cité. Son autrice, Agnès Edel-Roy, a été présidente de la Société française Vladimir Nabokov de 2014 à 2017. Selon </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’Herne « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">elle prépare actuellement un ouvrage sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et #MeToo ». En préalable, pour éviter toute confusion dans les citations, je signale que je me suis auparavant référé (tout comme Vanessa Springora) à la première des traductions de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">celle de Éric Kahane, tandis que Agnès Edel-Roy s’appuie elle sur la seconde, réalisée par Maurice Couturier. Cet article, lu avec l’attention requise, représente à ce jour le nec plus ultra de la tendance évoquée au début de mon texte. Nabokov s’y trouve enrôlé comme étant, à travers </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">l’un des précurseurs d’une prise de conscience débouchant sur #MeToo (son « génie visionnaire » l’expliquerait). Ce qui ne manque pas de sel quand on connaît les fortes réticences de l’écrivain devant tout enrôlement de type idéologique. A cette fin, donc, Agnès Edel-Roy (que nous appellerons AER par commodité), nous assène qu’il a fallu « attendre la récente libération de la parole des victimes d’abus sexuels pour mesurer, dans toute son ampleur vertigineuse, à quel point </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">publié à Paris en 1955, est un roman visionnaire ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dès les premières lignes de cet article la messe est dite. Ceci contre des interprétations qui ont prévalu dès la parution du roman. Plus particulièrement celles, par exemple, qui amarraient </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans le rafiot de la « libération sexuelle ». Lorsque AER évoque, « En France, la responsabilité de l’élite masculine » (« sidérante », à l’entendre), elle traduit euphémiquement ce que dans un entretien à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">RTS</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> elle désigne plus crûment comme étant « des hommes blancs, quadragénaires, en position de domination ». En d’autres temps nous aurions traité sur le mode de la dérision ce genre de propos, en tous points caricatural, d’ailleurs interchangeable, qui entend dénoncer, fustiger, condamner et surtout disqualifier l’adversaire (l’ennemi plutôt). On se rend compte que Nabokov, parmi tant d’autres exemples, ne devient qu’un prétexte. Cependant, en raison de ce qui - certes en le révisant à la baisse - tend à devenir une </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">doxa, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">il me faut poursuivre la lecture de cet article, que je suis bien obligé de prendre au sérieux. Dans la mesure, surtout, où ce type de discours se trouve repris ici ou là dans d’autres situations, des discours qui n’ont pas grand chose à voir avec l’art en général et la littérature en particulier. D’où des confusions regrettables, relevées déjà plus haut avec Vanessa Springora, entre le littéraire et le littéral.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mais revenons à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Bien entendu, AER occulte ce fait, loin d’être anodin, que lors de la première nuit passée dans la chambre d’hôtel des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Chasseurs enchantés</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, c’est Lolita (« Ce fut elle qui me séduisit ») qui prend l’initiative au petit matin. Les pages suivantes, qui l’illustrent non sans délicatesse, j’insiste là-dessus, sont également celles où Lolita instruit Humbert Humbert de ce qu’est pour elle « l’acte sexuel » (dans les termes rapportés plus haut en réponse à Vanessa Springora). Mais une lectrice telle que AER ne peut y souscrire. Alors elle évoque ce qu’elle</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">appelle « l’asymétrie de l’acte », que pourtant dément le texte de Nabokov, pour se focaliser sur « la première pénétration » (ce sont ses mots, et non ceux de Nabokov : la délicatesse peut aller se rhabiller !), puis sur deux autres pénétrations. Depuis #MeToo, nous explique-t-elle, on ne peut plus nous raconter des histoires sur « le désir véritable de la préadolescente «, c’est bien fini. D’où, en amont, la dénonciation de la transformation d’un fantasme (celui de Humbert Humbert) en « mythe, celui de la lolita, fillette érotisée par le regard masculin (…) déclarée sexuellement précoce ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> J’y répondrai dans la seconde partie sur un plan plus général, en m’appuyant sur des exemples concrets. Mais restons avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pour éviter de nous disperser. Ce mythe, poursuit AER, « a rétabli de l’univocité contre l’un des principes esthétiques essentiels du roman : celui de l’impossibilité d’en donner un sens unique qui puisse être déclaré vrai - impossibilité de l’univocité fabriquée par toutes les divergences et discordances parsemant le roman ». Où l’on voit que Agnès Edel-Roy se révèle être, malgré tout, une critique plus subtile que d’autres Elle subodore que l’argument #MeToo ne peut convaincre que les convaincus (et les suivistes), c’est-à-dire tous ceux qui n’ont pas lu </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(ou qui auraient oublié le roman, ou encore qui seraient dépourvus de la moindre exigence littéraire), et non les bons lecteurs du roman de Nabokov. C’est d’ailleurs assez habile de sa part de retourner l’argumentation en arguant que le « mythe Lolita » ferait écran à toute autre interprétation que celle qu’induit le mythe. Ceci au détriment de la complexité du roman si l’on en croit « les divergences et discordances » qui le parsèment. Même si le terme « univocité » paraît ici arbitraire (et puis il faudrait d’abord s’entendre sur la pertinence de ce « mythe Lolita »), il importe de souligner la complexité de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">contre toute lecture univoque du roman. Cependant là où une discussion devenait possible, en termes de lectures plurielles, AER revient sur son « asymétrie originelle de l’acte sexuel » en indiquant que la première discordance qui la signale, « relevée par Humbert Humbert lui-même », réside dans la constatation suivante : « Elle ne s’attendait pas à certaines discrépances entre la vie d’un garnement et la mienne ». Ledit « garnement » étant Charlie Holmes, qui avait dépucelé Lolita quelques semaines plutôt. Le lecteur qui s’interroge sur la signification de ces « discrépances » doit impérativement remplacer « vie » par le mot « vit » (et non le verbe). Puisque AER l’explique « par la différence de taille entre le pénis de Charlie (13 ans) » et celui de Humbert Humbert. Elle semble mieux renseignée que nous, qui ayant lu </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les exploit d’un jeune Don Juan </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’Apollinaire, roman dans lequel le héros a également 13 ans, n’avons pas ce genre de certitude. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ces constatations anatomiques faites, AER peut dérouler le tapis jusqu’à la fin de son article. Tout ce qui relève de la spécificité de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de sa complexité, le fait que ce roman, par quel bout qu’on le prenne d’un épisode à l’autre, ne peut qu’inciter à la discussion ouverte, à la confrontation des points de vue, se trouve balayé d’un revers de la main par AER : seule entre en ligne de compte « la tyrannie sexuelle subie par Dolly », victime, par excellence, tout au long du roman, d’un prédateur, l’ignoble Humbert Humbert. Par ailleurs, dans sa « confession », Humbert Humbert « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">s’emploie à masquer, par tous les moyens narratifs et littéraires à sa disposition, toute interprétation contredisant son discours</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> » (c’est nous qui soulignons ces lignes confondantes). Vous avez bien lu : Nabokov n’y est pour rien. Comme si AER reprochait vertement à Humbert Humbert ce dont elle absout Nabokov. Ce salaud de prédateur l’étant d’autant plus qu’il usurpe l’identité et la plume de Nabokov pour tenter de masquer ce que subit cette pauvre Dolly ! S’il existe encore un critique littéraire susceptible de justifier les lignes que je viens de souligner, je lui conseillerais gentiment de changer de spécialité. Je remarque également que AER (et avant elle Springora) préfère appeler notre nymphette « Dolorès » (ou Dolly), pour lui rendre sa véritable identité, détournée abusivement par ce pervers d’Humbert Humbert avec sa « Lolita ». Ce qui permet aussi, croit-on comprendre, de lui ôter son potentiel érotique. Sur un autre plan, secondairement, Agnès Edel-Roy, comme précédemment Vanessa Springora, raisonne comme si Humbert Humbert était un personnage de la vraie vie qui s’efforcerait, devant des enquêteurs, un magistrat instructeur, des jurés de Cour d’assise, de minimiser ou d’occulter par la magie du verbe ce pourquoi il se trouve accusé. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Et puis, peut-on véritablement parler avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de « tyrannie sexuelle » ? Il y a certes, à première vue dirais-je, rien de vraiment égalitaire ou exemplaire dans la relation, tout au long de leur vie commune, entre Humbert Humbert et Lolita. Mais après tout cette dernière ne manque pas de répondant. Humbert Humbert doit sans cesse composer (tout comme Lolita sait jusqu’où elle peut aller avec son « beau père ») pour obtenir des satisfactions, pas toutes d’ordre sexuel d’ailleurs. Ce qui réduit sensiblement l’aspect « tyrannique » de la chose. On parlera plus volontiers d’une « prison dorée » puisque le couple, une année durant, voyage à travers l’Amérique, découvre les sites les plus fameux des USA, et Lolita reçoit cadeaux, fringues, confiseries, magazines et babioles diverses. Ne parler d’emprise que d’un seul côté ne rend pas justice au roman. Lolita est dépendante d’Humbert Humbert, mais la réciproque n’en est pas moins vraie, pour de toutes autres raisons bien évidemment. Je remarque que pour notre autrice, ladite « tyrannie sexuelle » débute dès la « première pénétration » (en rappelant que Nabokov n’utilise jamais ce vocabulaire : le langage n’est jamais innocent), dont AER nous affirme, montre en main, qu’elle n’a duré qu’un quart d’heure. Et donc de tenir pour une assertion, et non une constatation que selon Humbert Humbert (mais c’est Nabokov qui l’écrit) « nous étions techniquement amants ». Je ne sais pas ce que Agnès Edel-Roy connaît de la vraie vie, car, pour répondre à son objection, nous constatons que de nombreuses relations amoureuses débutantes vont directement à cet « assaut » (dixit AER) sans passer par la case « des préliminaires amoureux d’un désir partagé » (toujours AER).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Comme convenu je reviens sur cette argumentation, souvent reprise, d’un Nabokov récusant à multiples reprises « l’interprétation de Lolita en tentatrice perverse ». Ce que cette dernière est aussi d’une certaine façon, mais pas seulement ! Ici AER se réfère, comme d’autres avant elle, à l’intervention de Nabokov en 1975 dans l’</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Apostrophe </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">qui lui était consacré (« Lolita n’est pas une jeune fille perverse, c’est une pauvre enfant, une enfant que l’on débauche, et dont les sens ne s’éveillent jamais sous les caresses de l’immonde Humbert »). Il tenait le même discours dans un entretien accordé à cette époque à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’Express </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: un discours « rôdé » depuis de nombreuses années. Je répète donc, compte tenu du contenu « explosif » de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que Nabokov, qui savait très bien à quoi s’en tenir là-dessus, avait d’emblée adopté (le fameux « avant-propos » du docteur John Ray jr) une attitude de retrait. Ceci pour ne pas porter le flanc à des accusations susceptibles de lui causer des ennuis, à lui et à son roman, mais également à l’enseignant (dont les émoluments constituaient l’essentiel de ses revenus)), dans l’Amérique puritaine. Il faut se replacer dans le contexte de 1954, préalable à la parution de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en France (chez un éditeur dont le catalogue comporte des ouvrages pornographiques), celui des tentatives de publication du roman aux États-Unis, mais aussi dans le contexte de 1958, année de la parution de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">chez un éditeur américain. Nabokov s’est efforcé de récuser toute interprétation de nature à qualifier </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> de livre obscène, voire à le classer dans le rayon des ouvrages pornographiques. Une ligne de défense, dans laquelle Nabokov « chargeait » Humbert Humbert, que l’on retrouvait d’un entretien à l’autre au mot près (rappelons que lors de cet </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Apostrophe, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">les réponses de Nabokov à Pivot avaient été précédemment écrites, l’écrivain se contentant de les lire lors de l’émission). On pourrait me rétorquer que son épouse Véra, qui tenait le même discours (dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les Nouvelles littéraires </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en 1959), l’évoque de surcroît dans son </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Journal. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ce qu’elle dit alors de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> paraît très peu compatible avec l’ironie nabokovienne, pourtant bien présente dans le roman, si l’on en croit son interprétation d’ordre christique : la malheureuse enfant, « pour l’essentiel très bonne », rachète sa vie dissolue (à son corps défendant certes), en épousant ce « pauvre Dick » qui peut lui offrir « une vie décente » dans un mariage « sordide » mais « essentiellement pur et sain ». Ne riez pas, il s’agit bien de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> et non des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Deux orphelines </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">!</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On connaît les fortes réticences de Nabokov en ce qui concerne Freud et la psychanalyse. On dira à ce sujet que sa méfiance, pour ne pas dire plus, envers tout ce qui relève de l’inconscient, le sien de prime abord, laisse la porte ouverte à la question, incontournable avec des romans de la facture de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ada ou l’ardeur, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans des domaines où la sexualité s’avère déviante, voire perverse. Comme je l’ai plus haut indiqué, en répondant à Vanessa Springora, on se fiche bien de savoir si Nabokov aurait pu être pédophile, ou même s’il avait lutté à ce sujet contre certains penchants coupables. La question, naïve, ne se pose pas. En revanche, il est permis de s’interroger sur celle des fantasmes avec un individu aussi « défendu » (comme disent les psychiatres) que Vladimir Nabokov, qui n’a rien laisser filtré - dans ses entretiens, sa correspondance, voire même son « autobiographie » - pouvant nous renseigner, en substance, sur les fantasmes qui habitent tout un chacun. C’est du côté de l’oeuvre, justement, et plus particulièrement des deux romans que je viens de citer, que l’on peut déceler quelque chose de cet ordre. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Agnès Edel-Roy, nous la retrouvons, n’en veut rien entendre, et se lance dans des explications qui seraient plausibles avec d’autres écrivains de moindre envergure, mais qui là, concernant l’auteur de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, jouent le rôle d’un écran de fumée. A moins de s’adresser à des lecteurs qui, n’ayant jamais lu une ligne de Nabokov (ou qui auraient mal lu </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), seraient eux en mesure d’adhérer sans restriction à la thèse selon laquelle l’oeuvre de Nabokov est traversée « par la hantise de la violence et du mal faits aux enfants innocents par l’Histoire et par les hommes ». AER s’étonne que personne, avant elle, ait fait cette hypothèse. Personne, évidemment, ayant </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">véritablement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">lu </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ou l’ayant commenté, ne s’est avisé de formuler pareille hypothèse, que l’on qualifiera de ridicule ou d’absurde, au choix (et cela vaut, sinon plus, pour tout le reste de l’oeuvre de Nabokov). Si AER n’était pas une « spécialiste » de Nabokov nous aurions tout lieu de penser qu’elle se trompe d’écrivain. Mais ce n’est pour elle qu’une façon, un peu contournée certes, d’en venir à ce que le titre de son article suggérait : </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">serait une anticipation de « la libération de la parole de victimes et d’abus sexuels » et se révèle ainsi être « un roman visionnaire ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Toute la seconde partie de son article, ensuite, reprend cette grille de lecture. Tous les signes, mêmes les plus improbables, vont alors clignoter dans ce sens. Depuis la réponse, un rien provocatrice, de Lolita à Humbert Humbert (« Le mot est inceste »), que l’on peut interpréter de différentes manières, mais au sujet de laquelle Nabokov aurait été étonné d’apprendre qu’il fait là « preuve d’une lucidité très contemporaine sur la responsabilité de l’individu qui abuse de l’enfant qu’il a la charge de protéger ». Sa grille de lecture bien installée, AER peut alors passer Nabokov et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">au tamis #MeToo pour doter ce roman d’une seule et unique interprétation. Ce qui fait l’intérêt de l’une des plus grandes oeuvres littéraires du XXe siècle, en termes d’indécision entre les pôles esthétique et éthique, de dynamitage des conventions, de sublimation de la perversité, de plaisir de la langue, de souveraine ironie, de complexité des personnages, et j’en passe, se trouve occulté, nié, récusé, pour ne laisser place qu’au discours, ici interchangeable, selon lequel nous sommes uniquement conviés « à reconstituer nous-mêmes le calvaire et la parole de la victime ». comme « équivalent de l’emprise et de la domination exercées sur tous les êtres de condition infrahumaine ». Nous est donc livré, clefs en main, un Nabokov qui n’en peut mais, revu et surtout corrigé pour les besoins de la cause : ce qui fait de lui « un observateur et un dénonciateur avant l’heure de ce système d’oppression ». </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">terminons là-dessus, devient alors le livre étalon de « tous les mécanismes de la prédation, de l’emprise et de la domination » qui, plus tard, seront documentés « dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le consentement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La Familia grande</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ». On ne peut plus alors parler d’une interprétation, toute discutable soit-elle du roman de Nabokov, mais d’un impératif fictionnel. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Un mot sur la terminologie « révisionniste » utilisée durant cette première partie. Je reprends ici la définition proposée par Enzo Traverso dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le passé, modes d’emploi </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(2005). A savoir qu’il y a des révisions de nature différentes : fécondes (à l’instar des « nouveaux historiens israéliens », révisant la version officielle de la création de l’État d’Israël) ; discutables (tel </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le passé d’une illusion </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de François Furet, « remise en cause radicale de toute la tradition révolutionnaire ») ; et profondément néfastes (de Nolte et de Félice, entreprises de réhabilitation de « l’image du fascisme et du nazisme »). Je qualifierais le révisionnisme ici des « faux amis » de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de « discutable » à « très discutable ». Il reste à indiquer ce contre quoi ceux-ci révisent Nabokov. Je le préciserai davantage, sur un plan général, dans la seconde partie. Mais déjà on peut avancer que la caricaturale désignation « hommes blancs, quadragénaires, en position de domination » se rapporte là, implicitement, aux bataillons de la « libération sexuelle » du siècle dernier. Mais cela reste vague, n’est pas vraiment étayé. Pour revenir à ce qu’à de « discutable », voire « très discutable » pareille révision avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ce qui la motive et l’impulse principalement relève de la chose littéraire : ses « faux amis » récusent tout ce qui sous ce chapitre nous importe, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">littérairement parlant</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> dans le roman de Nabokov,</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pour le réduire à l’état d’une coquille vide, en sein de laquelle seul l’air du temps (le prétendu « esprit #MeToo ») aurait droit de cité. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Il serait fastidieux, et nous avons d’autres chats à fouetter, de donner le détail de ce qui, dans le discours hors sol des « faux amis » de Nabokov, dénature et dévitalise ainsi </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita. J</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">e ferai juste quelques rapides remarques sur des chapitres du roman que ces « lecteurs » négligent. La scène dite « du dimanche matin » (dans le chapitre 13 de la première partie : Humbert Humbert se retrouve pour la première fois seul avec Lolita, en l’absence de Charlotte Haze), n’a pas échappé à la sagacité de nombreux lecteurs. Nous sommes d’accord avec Maurice Couturier, le second traducteur de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pour qualifier cette scène de « passage le plus érotique du roman ». Cependant nous restons dans le registre de la suggestion, et Nabokov le suggère magistralement. C’est pourquoi une phrase telle que (« ma bouche gémissante toucha presque son cou nu tandis que j’écrasais contre sa fesse gauche le dernier spasme de l’extase la plus longue qu’ait connu homme ou monstre »), l’acmé de ce passage donc, laisse place à l’interprétation. Pour Couturier (il l’exprime dans la notice de l’édition de la Pléiade) « le protagoniste va se masturber sans se dénuder avec la complicité peu innocente de Lolita ». Cette indéniable « complicité peu innocente » (que l’on retrouve dans d’autres chapitres de la première partie, qui résume au plus juste l’attitude de Lolita) se rapporte à l’ensemble de la scène et non à la seule phrase citée (Lolita ne peut l’induire, ou un appel téléphonique alors l’en empêche). Et puis je ne suis pas certain que le verbe « se masturber » corresponde à ce que suggère Nabokov : « le dernier spasme de l’extase » vient remplacer ce que le lecteur traduit par « éjaculation ». Cette scène, pour conclure, s’inscrit au faux, parmi d’autres de la première partie, contre les lectures réductionnistes qui font uniment de Humbert Humbert un prédateur et Lolita sa victime. Car, si l’on relit sans oeillères toute cette scène du « dimanche matin », il y a une complicité entre eux dans ce qui ressemble ou s’apparente à un jeu érotique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Également, l’important chapitre 29 de la seconde partie (celui des retrouvailles, du dernier entretien entre nos deux protagonistes), nous confronte à un autre Humbert Humbert (et l’on pourrait dire la même chose de Lolita). Il y a comme un basculement dans le roman qui change alors la donne. C’est ce que traduit le très dense et essentiel chapitre 32, celui dans lequel Humbert Humbert, profondément ébranlé à la suite de cet ultime entretien, se remémore ses « années Lolita ». La duplicité jusqu’alors propre à Humbert Humbert vole en éclat : l’homme devient nu (comme dirait Simenon). Ce n’est plus le « monstre pantapode » , le suborneur « méprisable et brutal, et plein de turpitude » qui s’exprime, mais un homme qui réalise combien il a aimé Lolita. Et ce qu’il en résultait de l’aimer pareillement. Comme Humbert Humbert l’avoue en conclusion : « Au cours de notre singulière et bestiale cohabitation, il était devenu peu à peu évident aux yeux de ma conventionnelle Lolita que la plus méprisable des vies de famille était préférable à cette parodie d’inceste qui, à la longue, était le mieux que j’eusse à offrir à cette enfant perdue ». Ce pathétique-là (qui l’est en raison du talent littéraire de Nabokov), d’un Humbert Humbert retrouvant trois ans plus tard une Lolita de 17 ans, vieillie, défraîchie, engrossée, bien éloignée de l’image de la nymphette aimée et possédée quelques années plus tôt, nous le ressentons d’autant plus qu’Humbert Humbert réalise, après avoir quittée Lolita, qu’il l’aime toujours, désespérément. On ne risque pas d’en trouver le moindre écho sous la plume des Edel-Roy et consort. C’est pourtant, parmi les qualités qui se rapportent à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ce qui rend ce roman particulièrement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">émouvant.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La pourtant très significative et indispensable postface du roman, ce « A propos d’un livre intitulé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> », semble avoir complètement échappé à l’attention des « faux amis » de Nabokov. Je précise qu’elle ne figurait pas dans la première édition du roman, celle des Éditions Olympia Press à Paris. Écrite en 1956, Nabokov la joignit à la première édition américaine, due à Putnam’s Sons en 1958. Elle figure depuis dans toutes les éditions de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">y compris d’une traduction à l’autre. Un mot d’abord sur la présence de cette postface. En 1958, le positionnement de Nabokov vis à vis d’un roman comme </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> n’est plus celui de 1954 (l’année où le manuscrit du roman avait été refusé par cinq éditeurs américains). L’édition française, en anglais (à l’automne 1955), puis des facteurs inhérents à la situation américaine expliquent ce changement d’attitude.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dans ce « A propos d’un livre intitulé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> », Nabokov indique d’emblée avoir « usurpé l’identité du suave John Ray ». Ce qui rend caduc le propos tenu par ce dernier. On ne peut plus désormais être dupe de celui que tient ce bon docteur sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Du moins jusqu’à ce que les « faux amis » du roman reprennent un discours moins éloigné qu’on ne pourrait le croire des appréciations de John Ray. Nabokov y revient plus loin en indiquant que « quoi qu’en dise John Ray, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ne trimbale derrière lui </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">aucune morale</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ». C’est nous qui soulignons « aucune morale » pour ajouter que cette affirmation, à laquelle nous souscrivons bien évidemment, précède le commentaire suivant, essentiel à la compréhension de Nabokov en général, et de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en particulier. Des lignes que le moindre commentateur de l’écrivain devrait avoir en permanence à l’esprit (d’ailleurs Maurice Couturier les cite en conclusion de sa préface à l’édition de poche de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) : « A mes yeux, une oeuvre de fiction n’existe que dans la mesure où elle suscite en moi ce que j’appellerai crûment une jubilation esthétique, à savoir le sentiment d’être relié quelque part, je ne sais comment, à d’autres modes d’existence où l’art (la curiosité, la tendresse, la gentillesse, l’extase) constitue la norme. Ce genre de livre n’est pas très répandu. Tout le reste n’est que camelote de circonstance ou ce que certains baptisent littérature d’idée ». J’arrête là. Le lecteur a compris que cette « littérature d’idée », et plus encore cette « camelote de circonstance », par un détour que Nabokov ne pouvait prévoir, s’applique excellemment au Nabokov revu et corrigé depuis plusieurs pages : une « camelote de circonstance » qui entend réduire </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à une seule idée directrice, absente du roman. Une idée qui, de surcroît, réfute toute interprétation qui s’écarterait un tant soit peu de sa grille de lecture #MeToo.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> En revanche, sur d’autres thématiques présentes dans cette postface, Nabokov prend des précautions que l’on sait dictées par l’aspect « scandaleux » du roman. Ce qu’il met sur le compte de l’adoption d’un « anglais de seconde catégorie », alors qu’il doit abandonner cette « langue russe déliée, riche, infiniment docile » ne peut aujourd’hui leurrer personne. On comprend que là Nabokov entendait désamorcer une certaine critique, sur un mode il est vrai paradoxal. Également, les « images » de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> que l’écrivain préfère mentionner, correspondant à ce qu’il appelle sa « délectation particulière », éludent tout ce qui dans le roman s’avérait problématique, scandaleux, voire pornographique pour les contempteurs de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">On apprécie pleinement l’ironie de Nabokov qui, dans cette énumération, y intègre une péripétie absente du roman (à savoir « l’irrécupérable Dolly Schiller enceinte mourant à Gray Star »).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Quand Nabokov se plaint que « certains lecteurs ont aussi accusé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’antiaméricanisme », il ajoute, nous le croyons : « Cela me fait infiniment plus de peine que l’accusation idiote d’immoralité ». Cependant les explications qui suivent ne sont qu’à moitié convaincantes. Il est vrai que Nabokov, nul ne le contredira, condamnait fermement les deux totalitarismes (le soviétique et le nazi) et défendait le type de « démocratie » que pour lui représentaient les États-Unis. Ceci sur un plan strictement politique. Par contre, l’écrivain Nabokov nous brosse dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">le portrait d’une Amérique qui sous certains aspects, aliénants dirais-je, s’avèrent implicitement critiques envers un modèle américain en train de devenir hégémonique : la préfiguration, déjà, de ce qu’on appellera plus tard du nom de « société de consommation » (illustrée par de nombreuses scènes avec Lolita en Guest-star). Un dernier mot sur l’affirmation selon laquelle « Humbert, le personnage que j’ai créé, est un étranger et un anarchiste, et il y a maintes choses, en plus des nymphettes, sur lesquelles je suis en désaccord avec lui », qui n’est là que pour ranger </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à la suite de ses romans russes « tout autant fantasques et personnels que ne l’est mon nouveau ». Sachant que ses romans-là, nous dit Nabokov, étaient inconnus des américains, le lecteur comprendra qu’il s’agit là de l’un de ces arguments rhétoriques au travers duquel, une fois de plus, notre écrivain entendait se protéger des critiques qui l’accusaient d’avoir écrit</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">un roman obscène.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Cependant, cet inventaire effectué, force nous est de constater que le discours des « faux amis » de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">malgré son caractère réducteur, régressif, moralisateur, simplificateur, voire inepte, n’est pas pour autant rejeté, minimisé, discuté, interrogé, par de nombreux représentants de cette critique qui a pour vocation de rendre compte de ces questions littéraires. Et il semblerait que ce bataillon de suivistes fasse des adeptes, jusqu’à dessiner les contours d’un « lectorat » acquis aux thèses des « faux amis » du roman de Nabokov. La mise entre guillemets de « lectorat » s’impose parce qu’une bonne partie de ces lecteurs n’ont pas lu </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ou se dispensent de lire 500 pages d’un roman dont on a résumé à leur attention ce qu’il fallait en retenir ; ou, s’ils l’ont lu, rejoignent la cohorte de ces lecteurs « sous influence », ayant abandonné toute exigence littéraire par souci de se conforter aux mots d’ordre du jour. Ici l’on imagine, pour citer une dernière fois Agnès Edel-Roy, que la mention d’un Nabokov « observateur et dénonciateur avant l’heure de ce système d’oppression », </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">devenant l’emblème de « tous les mécanismes de prédation, de l’emprise et de la domination », s’adresse à la partie de ce public « sous emprise », c’est-à-dire le plus perméable à ce qui dans ce genre de discours viendrait le caresser dans le sens du poil. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On a compris que pour ce lecteur un tel « système d’oppression » ne se rapporte qu’à ce qu’auraient de systémiques dans nos sociétés occidentales, développées, le sexisme et les violences sexuelles. Le conditionnel est ici de rigueur, s’il faut comparer ces violences-là à celles que subissent au quotidien les femmes iraniennes et afghanes (pour ne citer qu’elles). Comme dit le proverbe, « on ne prête qu’aux riches ». Mais on ne saurait s’arrêter là. Il reste à poser la sempiternelle question : comment en sommes nous arrivés là ? Ce questionnement, bien entendu, excède la seule littérature (qui n’est d’ailleurs pas la plus maltraitée dans l’histoire). Cette tendance à l’oeuvre, sur laquelle nous nous attarderons dans la seconde partie, n’a pas attendue #MeToo pour s’exprimer. C’est d’ailleurs abusif d’évoquer là quelque chose de décisif, #MeToo n’a été qu’un accélérateur. Pourtant, je ne saurais répondre à la question posée au sujet de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sans avoir préalablement documenté sur le plan sociétal, à travers des exemples puisés chez de bons auteurs (mais également personnels), la thématique « scandaleuse » du roman de Nabokov.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> « D’où le goût des petites filles pour les hommes tire-t-il son origine ? ». L’interrogation de Georg Groddeck, dans son remarquable </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le Livre du Ça, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">reste sans réponse. Comme il l’avoue à sa correspondante fictive : « C’est là une question qui reste provisoirement insoluble pour moi et je vous abandonne le soin d’y répondre ». En avançant plus loin que la femme lui paraît plus libre « dans son érotisme » et le choix d’un partenaire sexuel, (tous sexes confondus), Groddeck y répond par la bande. Je conserve le souvenir, pour tenter également d’y répondre, de trois scènes datant du siècle dernier (reprises d’un Journal que je tenais alors). Dans la première, j’attends le RER sur le quai de la station Le Vésinet. En face de moi, sur l’autre quai, deux fillettes « genre nymphettes » discutent avec animation. Je les regarde ostensiblement. Une rame arrive dans l’autre sens. Les deux fillettes, juste avant de disparaître derrière le train, m’envoient des baisers. La deuxième scène, à la même époque, est presque identique. Je marche le long d’une rue d’une banlieue populaire. Un autobus me dépasse, avec deux fillettes derrière la vitre arrière du véhicule dans le même registre. La troisième scène est plus ancienne (mais j’avais déjà l’âge requis, celui du père). Je fais de l’auto-stop dans le Calvados, à la sortie de Port-en-Bessin. Un groupe de jeunes adolescentes s’attardent en ma compagnie, alors que la nuit commence à tomber. Une des fillettes me propose de partager son lit avec l’une de ses copines. Quelques autres « provocations » s’ensuivent. Une des gamines, en partant, me fait un geste obscène. Toutes pouffent de rire. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Des scènes presque banales, qui n’ont rien d’extraordinaire. D’autres hommes pourraient témoigner de même. C’est la manifestation d’un érotisme diffus, de jeux de séduction primaires, débouchant rarement sur des échanges amoureux ou sexuels. L’adulte homme, le vrai, celui qui à l’âge du père, émoustille d’autant plus nos fillettes qu’il représenterait un danger potentiel. Il y a toujours un phénomène collectif d’émulation, de surenchère, de groupe, dans ces situations où des gamines prendront l’initiative. Seule, la fillette fera rarement le premier pas vers l’adulte, sauf si une relation de confiance l’y autorise. Catherine Breillat, dans son film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">36 fillette, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">renverse la question de Groddeck. Une femme d’âge mûr, à l’adresse du quadragénaire qui s’affiche avec ladite fillette, la désigne ainsi : « De la chair fraîche ». Serions nous des ogres, aurions nous parfois besoin de consommer de la « chair fraîche » pour nous régénérer ? C’est là l’une des explications possibles, moins poétique cependant que celle de Vladimir Nabokov dans les pages de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> où l’écrivain évoque « la magie périlleuse des nymphettes ». Une affaire de poésie plus que d’âge, bien entendu. Car des femmes de cinquante ans et plus restent séduisantes. Pas de ce charme relatif que l’on accorde sur le tard à celles qui ne l’ont jamais vraiment été, séduisantes, et sur qui le passage du temps ne semble pas laisser de traces. Non, celles qui furent belles et qui vieillissent comme vous et moi. Et dont la beauté devient émouvante, quand bien même leur miroir leur renverrai l’image d’une femme vieillissante. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pour compléter ce tableau, une autre anecdote (qui n’en est pas vraiment une) sort par contre de l’ordinaire. Durant la décennie 80, dans un cadre professionnel x, j’avais sympathisé avec une collègue de travail. Nous nous étions retrouvés en dehors de ce contexte professionnel dans un lieu où elle m’avait présenté sa fille (14 ou 15 ans, je ne sais plus). Le surlendemain, elle me faisait part de l’intérêt de sa fille à mon égard (et avait cru comprendre qu’il en allait de même pour moi). Par conséquent, en s’exprimant de manière allusive, elle ne s’opposait pas à ce que, etc. etc. A vrai dire j’avais trouvé cette adolescente agréable, sans plus. Et nous en sommes d'ailleurs restés-là. Mais je n’exclus pas que, confronté à une autre donzelle, genre nymphette disons, mon attitude aurait pu être différente. Dois-je ajouter que je ne condamne nullement, sur le plan moral, le comportement de cette collègue ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Freud et Fourier - sur qui je reviendrai - sont présents dans de nombreuses pages d’un numéro de la revue </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Recherches </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">intitulé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Coïre : album systématique de l’enfance,</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> aux côtés de Carroll, Deleuze, Groddeck, James, Musil, Tournier, et bien entendu Nabokov. En 1976 déjà, les deux auteurs, René Schérer et Guy Hocquenghem, identifiaient un « lecteur sans humour de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> », dont ils étaient loin de penser que celui-ci s’efforcerait presque, un demi siècle plus tard, de récuser toute autre interprétation du roman que la sienne. Les auteurs, parmi plusieurs manières de l’aborder, évoquent ainsi </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> (« Le délire d’espionnite d’un vieux garçon européen séduit par une pute impubère bouffeuse d’ice-creams ») d’une façon que je qualifierai de plaisante. Il est dommage que Valéry Larbaud et ses </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Enfantines </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ne figurent pas au sommaire de cet </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Album systématique de l’enfance. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Dans ces délicieuses nouvelles, Larbaud avoue une préférence pour les petites filles. Telle cette Rose Lourdin, douze ans, amoureuse d’une fillette d’un an plus âgée, avec le rappel de ces « dimanches matin, quand je sentais devant moi un grand jour sans leçons, pour ne penser qu’à elle » ; ou </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Portrait d’Éliane à quatorze ans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(peut-on mieux décrire comment la sensualité vient aux jeunes filles ?) ; ou encore </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Gwenny toute seule, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">comme l’indique le narrateur : « Les baisers de Ruby sont une des meilleures choses que j’aurais eues dans ma vie. La douce bouche pure et confiante s’appuyait avec un souffle tiède, et me disait qu’une petite fille me respectait beaucoup et m’aimait bien ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Charles Fourier est l’auteur du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Nouveau monde amoureux, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">un ouvrage dont on ne saurait trop recommander la lecture. Chacun trouve sa place dans le monde harmonien décrit par Fourier, y compris les individus qui feraient preuve d’extravagance sexuelle, ou se livreraient dans ce registre à des pratiques illicites (condamnées par la loi et les bonnes moeurs). Fourier renverse, ou détourne ce qui en Civilisation paraît aberrant, monstrueux, pervers, bizarre, pour doter chacun de ces adjectifs de contenus positifs. Fourier privilégie même les manies amoureuses les plus rares, les plus étranges, les plus décriées. Il s’agit évidemment d’une utopie, mais celle qu’illustre </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le Nouveau monde amoureux </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">n’a rien de contraignant, ni de totalitaire. C’est </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">tout </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">le possible de l’homme qui se trouve mis à l’épreuve avec Fourier. On l’a bien sûr traité de fou. Une telle folie, a joliment répondu Simone Debout « est le plus haut défit jeté au malheur ». Car le malheur des hommes, parmi d’autres raisons, vient de leur impossibilité à projeter leur imagination au-delà des limites que le monde nous assigne. Fourier nous répète, comme Sade d’ailleurs, qu’il ne faut pas croire la nature limitée au moyens connus. Je signale ici, en me limitant aux cinquante dernières années, que les meilleurs commentateurs de ces deux penseurs appartiennent au sexe féminin : Annie le Brun avec Sade, et Simone Debout pour Fourier.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pour faire le lien avec ce dont nous allons ensuite entretenir le lecteur dans de nombreuses pages, Fourier indique que tous les goûts « ont un emploi précieux dans l’état sociétaire et y deviennent utiles » à condition qu’ils ne soient « pas nuisibles ou vexatoires pour autrui ». Fourier inclut d’ailleurs l’inceste dans cet « emploi précieux », parce que pour lui l’inceste n’est « ni crime naturel, puisqu’il est très généralement conseillé par la nature, ni crime social puisqu’il est un objet d’accommodement avec les lois humaines ». Si son monde harmonien met fin à la prohibition de l’inceste, Fourier reste cependant conscient de ce tabou lorsqu’il dit vouloir précéder par étapes : d’abord en privilégiant l’innovation sur les « coutumes d’ambition, d’économie domestique, industrielle », l’organisation de la vie en société donc, pour ensuite avancer « par degrés » avec « les innovations morales qui heurteraient les consciences ». Ici Fourier cite l’inceste, mais n’en justifie pas moins sa présence en Harmonie, parce qu’il convient « d’autoriser tout ce qui multiplie les liens et fait le bien de plusieurs personnes sans faire le mal d’aucune ». Je ne saurais trop associer les lignes précédentes à celles qui suivent, qui ont trait à l’émancipation de la femme dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le nouveau monde amoureux </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: « Une femme peut avoir à la fois un époux dont elle a deux enfants, un géniteur dont elle n’a qu’un enfant, un favori qui a vécu avec elle et conserve le titre, plus de multiples possesseurs qui ne sont rien devant la loi ». Ce qui n’est pas fondamentalement différent, je peux en témoigner, de ce que certaines femmes ont pu vivre en des temps plus favorables il est vrai à l’expérimentation amoureuse. Et je ne crois pas me souvenir que ces « femmes libres », des libertaires je précise, se disaient féministes. </span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 20pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">2</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ici encore, rien que de très banal. Le professeur était accusé de porter atteinte par ses écrits à la dignité féminine, de sorte que ce libelle (le condamnant) rallia à la cause des plaignantes la frange extrémiste des mouvements féministes qu’on pouvait s’étonner de voir ainsi se ranger sous le mot d’ordre des vraies valeurs, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’annonce pas un programme novateur »</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> .</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Jacques Abeille : </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La vie de l’explorateur perdu</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cette exploration en terrain miné s’imposait pour reformuler la question posée plus en amont dans la première partie : comment en sommes nous arrivés là ? Pour ce faire, je vais procéder en deux temps. D’abord en prolongeant ce qui vient d’être plus haut avancé dans le domaine de la sexualité et des moeurs, mais en le documentant depuis le relevé, a contrario, d’une « instruction à charge » (et non « à décharge » comme précédemment) sur la question. Ensuite, plus en écho avec la thématique </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> je procèderai de même pour établir un état des lieux dans le domaine des Arts et des Lettres, non sans l’introduire par un substantiel questionnement sur le féminisme.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce qui se présente à nos yeux comme une « réaction », ou « régression » dans le domaine précisément des moeurs, s’avère concomitant du reflux des idées issues de mai 68 (celles ayant préalablement essaimées de nombreux secteurs de la société durant les années post-soixante-huitardes). Ce qu’on a appelé du nom de « libération sexuelle » s’est trouvé battu en brèche - de façon encore diffuse durant les années 1980 - avant d’être mis en accusation vers la fin du XXe siècle. Ceci depuis différents aspects qui ne sont pas sans se recouper. Lors de l’affaire dite du Coral en 1982 (du nom d’un lieu de vie éducatif), la remise en cause explicite de pratiques éducatives alternatives, s’accompagne plus implicitement de celle d’un mode de vie libertaire et autogestionnaire. Elle se conclura en 1986 par la condamnation de plusieurs éducateurs pour « attentats à la pudeur sans violence sur mineur de moins de 15 ans ». Entre temps, sur fond de manipulations politiques et policières, des intellectuels seront accusés d’avoir inspiré ces pratiques éducatives.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dix ans plus tard, avec la retentissante « affaire Dutroux », l’onde de choc concerne la société tout entière. Il y a un avant et un après cette « affaire ». C’est à partir de ce moment-là que la pédophilie, encore relativement tolérée dans certains discours (mais de moins en moins depuis les années 1980), représente ce qu’il y a de plus intolérable dans la société. Tout a été dit et redit par les médias qui tenaient là, avec Marc Dutroux, l’incarnation du mal absolu. Je reviendrai plus loin sur quelques unes des conséquences en France de cette « onde de choc », mais j’aimerais auparavant dire comment les milieux analytiques l’ont reçue.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> En 1997, en pleine « affaire Dutroux » donc, le psychanalyste André Green, publiait </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les chaînes d’éros, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">un ouvrage comportant une « Note sur la pédophile ». Dans cette « Note » Green indiquait que « les pervers spéculent sur l’importance, indéniable, d’une sexualité infantile ; ils en exploitent les poussées et les désirs pour se déculpabiliser ». Voilà qui nous incite à faire retour sur Freud, dont l’un des ouvrages les plus célèbres (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Trois essais sur la sexualité</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) date de 1905. On sait l’importa</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">nce que revêt dans la théorie freudienne la découverte d’une sexualité infantile. Celle-ci « en tant qu’elle est soumise au jeu des pulsions partielles, étroitement liées à la diversité des zones érogènes et en tant qu’elle se développe avant l’établissements des fonctions génitales proprement dites, peut être décrite comme </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">disposition perverse polymorphe</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ». Cette terminologie, soulignée par Freud, a depuis fait couler beaucoup d’encre. D’ailleurs, presque un siècle plus tard, des analystes comme André Green regrettaient que cette découverte puisse susciter des malentendus ou des interprétations malencontreuses. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> L’un des disciples « hétérodoxe » de Freud, Sandor Ferenczi, publie en 1932 l’article « Confusion de langue entre les adultes et l’enfant », devenu depuis une référence courante pour qui, en milieu analytique, entend se colleter avec la « question pédophile ». Il parait difficile de rendre compte en quelques lignes de ce long et dense article qui, sur certains points précis, me paraît cependant discutable. Je ne le mentionne que pour en extraire les lignes suivantes, qui témoignent du différend opposant Freud et Ferenczi après 1930 : « L’objection, à savoir qu’il s’agissait des fantasmes de l’enfant lui-même, c’est à dire de mensonges hystériques, perd malheureusement de sa force, par suite du nombre considérable de patients, en analyse, qui avouent eux-mêmes des voies de fait sur des enfants ». Ce qui, même indirectement, remet en cause l’abandon en 1897 par Freud de la « théorie de la séduction », qu’il avait élaboré deux ans plus tôt. Et dont l’abandon représente « un pas décisif dans l’avénement de la théorie psychanalytique et dans la mise au premier plan des notions de fantasme inconscient, de réalité psychique, de sexualité infantile spontanée, etc » (Laplanche et Pontalis : </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Vocabulaire de psychanalyse</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">). Pourtant le mot « séduction » refait surface à la fin du XXe siècle dans la littérature analytique se rapportant à la pédophilie. Quoi que Freud ait abandonné très tôt sa « théorie de la séduction », celle-ci revient donc par la bande sous la plume de nombreux psys. Cette séduction n’a évidemment pas grand chose à voir avec le donjuanisme. Le pendant de « l’adulte séducteur » devenant « l’enfant innocent », et réciproquement (tiens, tiens, rebonjour </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">). Pour cette nouvelle génération de psys, le pédophile est d’abord un malade, alors que pour d’autres intervenants, à l’instar du sociologue François de Singly écrivant dans les lendemains de « l’affaire Dutroux » que le pédophile « profite de la dévalorisation des statuts du père et de la mère pour exploiter au maximum les possibilités que lui offrent la fin de l’autorité et des interdits », c’est pour le mieux un coucou et pour le pire un salaud.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Sachant que l’abandon d’une « théorie de la séduction » par le père de la psychanalyse s’explique par la mise en cause chez Freud de la véracité des scènes de séduction décrites par plusieurs de ses patients, celles-ci relevant d’une reconstruction fantasmatique, la voie se trouvait alors tracée pour creuser les fondations de ce qui deviendra le chantier de la sexualité infantile exposée dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Trois essais sur la théorie de la sexualité. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La « théorie de la séduction », ainsi reprise, réhabilite la notion « d’innocence sexuelle » de l’enfant. Ou d’une innocence tout court, pour mieux évacuer cette sexualité que l’on ne saurait voir. Comme l’écrivent pertinemment Laplanche et Pontais : « Ce que refuse Freud, c’est que l’on puisse parler d’un monde de l’enfant ayant son existence propre avant que cette effraction, ou cette perversion, se produise. Il semble que ce soit pour cette raison qu’il range en dernière analyse la séduction parmi les « fantasmes originaires » dont il reporte l’origine à la préhistoire de l’humanité. La séduction ne serait pas essentiellement un fait réel, situable dans l’histoire du sujet, mais une donnée structurale qui ne pourrait être transposée historiquement que sous la forme d’un mythe ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Parmi les conséquences de l’épisode Dutroux, la ligne de fracture qui apparaît alors dans certains milieux psys va opposer partisans et adversaires de la « théorie de la séduction ». Des professionnels, en plus grand nombre, vont désormais se référer à cette « théorie de la séduction », même de façon diffuse, pour étayer « l’innocence sexuelle » de l’enfant. C’est le cheval qu’enfourche la psychanalyste Catherine Bonnet dans son livre </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’enfant cassé. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">On peut parler ici de « révisionnisme ». Freud devient responsable d’une « diabolisation de l’enfant » que cette analyste croit observer dans notre monde contemporain. Catherine Bonnet va encore plus loin quand elle désigne à la vindicte publique un « courant pro-agresseur », coupable, écrit-elle, de faire régner à nouveau « le temps des enfants menteurs et vicieux ». De là des propos manichéens (un tantinet complotistes) : avec d’un côté les « bons », un monde de « chevaliers blancs » et de « croisés » unis pour la meilleure des causes, celle de l’enfance en danger ; de l’autre les « méchants », les pervers et ceux qui objectivement les soutiennent. Bonnet se réfère ici aux interrogations critiques des derniers (sur la suggestibilité de l’enfant, sa manipulation par l’un des parents lors d’un divorce, sur le syndrome des faux souvenirs, sur les campagnes antipédophiles) : des questionnements qui feraient le jeu des pervers.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Les quatre faits suivants (une opération juridico-policière de grande envergure, un « pan sur le bec » adressé au </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Canard enchaîné, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">la condamnation du libraire Antoine Soriano, et une triviale affaire d’assassinat de pédophile) témoignent de l’onde de choc provoquée par « l’affaire Dutroux ». En premier lieu on a appelé « Ado 71 » l’opération spectaculaire qui, en juin 1997, visait à démanteler un important réseau de pédophiles : 700 personnes dont les noms figuraient dans les fichiers d’un éditeur de cassettes vidéos (dont certaines présentant un aspect pornographique, voire pédopornographique) sont arrêtées. Comme le confirmera le procès de Macon en 2000, ce dont on accusait la quasi totalité des personnes inculpées relevait du voyeurisme, et non de la pédophilie active (les condamnations se rapportant presque exclusivement au « recel d’objets obtenus à l’aide de corruption de mineur »). A la suite de ces arrestations, fortement médiatisées, cinq personnes s’étaient suicidées lors de la garde à vue. En définitive, le bilan de cette opération « Ado 71 » s’avérait désastreux. Ce que reconnaissait l’avocat général, à Macon. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Secondement, un article non signé du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Canard enchaîné </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">s’en prenait en novembre 1999 à l’universitaire canadien Ian Hacking, auteur de l’ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’âme réécrite. Essai sur les personnalités multiples et les sciences de la nature </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(publié deux ans plus tôt aux Empêcheurs de penser en rond) : cet auteur étant accusé de défendre des thèses ambiguës sur la pédophilie. Ce qui se discutait, sinon plus. Mais il y avait une victime collatérale dans l’histoire : la collection Les Empêcheurs de penser en rond était priée par les laboratoires Sanofi, qui la finançait, de se trouver un autre éditeur. L’association peut être faite avec le troisième exemple, puisque un an plus tôt, sous la plume de Nicolas Beau, le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Canard </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">avait été plus inspiré. Cet article, qui démontrait que la dernière émission de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ligne de vie </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sur France 2 (consacrée à la pédophilie) était uniquement « à charge », précisait par ailleurs que l’un des accusés cités dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ligne de vie,</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> le libraire et éditeur Antoine Soriano (condamné à dix ans de prison pour des faits qu’il niait depuis le début de l’instruction), se trouvait encore sur le terrain judiciaire en attendant la décision de la chambre de Cassation. Nicolas Beau ajoutait que l’un des psychiatres, le docteur Sabourin, co-auteur de l’émission, « était à la fois juge et partie » puisqu’il venait de témoigner contre Antoine Soriano lors du procès en assises de ce dernier ». Et l’on apprenait également que le patient de ce psychiatre, la présumée victime de Soriano, jouait dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ligne de vie </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">le rôle de l’accusateur !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Enfin, en quatrième lieu, lors d’un verdict rendu en mai 2000, un tribunal grenoblois, condamnait à trois ans de prison ferme l’assassin d’un « papy pédophile ». Une telle clémence signifiait que désormais le meurtre de toute personne qualifiée à tort ou à raison de « pédophile » était en quelque sorte toléré. D’autant plus que la victime, un vieil homme de 78 ans qui avait reconnu l’existence d’attouchement sexuels sur les enfants de son futur meurtrier (des histoires de main dans la culotte qui, selon les gendarmes, n’avaient pas traumatisé les deux enfants) faisait juste l’objet d’une mesure d’éloignement. La comparaison entre ces trois ans d’emprisonnement (pour un meurtre,) et les dix ans d’Antoine Soriano (pour un viol sur son beau-fils que Soriano niait, et qui n’a jamais pu être prouvé) indique combien la justice, à l’instar d’autres corps constitués, marchait sur la tête depuis l’onde de choc Dutroux. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Trois de ces quatre exemples, pour conclure là-dessus, possèdent des traits communs. Chaque fois l’accusation de pédophilie, ou de complaisance envers elle, permettait soit (l’article du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Canard enchaîné</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) de disqualifier un universitaire s’interrogeant sur l’abus sexuel « comme véritable objet de connaissance », ceci relativisant l’antienne selon laquelle « il y aurait du traumatisme partout » ; soit (la condamnation d’Antoine Soriano) d’instrumentaliser la justice à travers la fabrication d’un « coupable idéal » par un groupe de thérapeutes, malgré l’absence de preuves ; soit encore (le jugement de Grenoble) de créer les conditions d’une incitation au meurtre de pédophile. En revanche (avec l’opération « Ado 71 »), la montagne pédocriminelle avait accouché d’une souris voyeuriste.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> La justice, à elle seule, n’était pas responsable de ce désastre. Ici il convient d’évoquer l’existence d’un lobby antipédophile, particulièrement dopé par « l’affaire Dutroux » : un réseau articulé autour d’un noyau dur, de psychiatres et de thérapeutes familiaux, dont les thèses, qui dessinent les contours d’une « thérapie policière », ne sont pas alors sans rencontrer de larges échos auprès de magistrats, de travailleurs sociaux, et de psys divers (mais également, en dehors d’un cadre institutionnel, auprès des associations de défense de l’enfance). Un ouvrage paru en 1991, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La violence impensable </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(dont l’un des auteurs s’appelle Pierre Sabourin)</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">resté confidentiel durant des années, représente en cette fin de siècle le nec plus ultra de cette tendance. On y apprend, à la suite d’une longue énumération, que tous les enfants sans exception sont victimes d’abus sexuels. L’enfant, qui dit toujours la vérité, ne peut que vouloir protéger son agresseur s’il se rétracte dans un second temps. La planète psys a trouvé là ses intégristes. Dans un ouvrage qui semble avoir été écrit par le Père Ubu.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Autre conséquence de « l’affaire Dutroux », les écrans télévisés deviennent particulièrement investis par ce genre de thérapeutes, ainsi que par les associations de défense de l’enfance. Tous y trouvent un terrain à leur convenance puisque ces émissions, traitant peu ou prou de la pédophilie et des agressions sexuelles, en privilégiant l’émotionnel et l’indignation sélective, ceci au détriment de toute réflexion critique, favorisent l’expression de discours répressifs et régressifs. Le spectacle télévisuel jouant le rôle d’un écran de fumée devant les généralisations abusives, les affirmations réductrices, et l’indigence théorique de ces « spécialistes » pour ne retenir que l’attitude bienveillante et militante de thérapeutes et consort ayant déclaré la guerre aux pédophiles, aux pervers et autres agresseurs sexuels.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> De là, nous revenons à la justice, la construction de « coupables idéals » ne pouvant se constituer qu’à travers la construction de « victimes idéales », et réciproquement. D’ailleurs, l’affirmation selon laquelle « la guérison de mon patient, ou de ma patiente, passe par la condamnation de son agresseur », fait florès lors d’un procès (repris alors par l’avocat de la victime). C’est l’une des explications de la situation en ce début de XXIe siècle, inédite dans l’histoire judiciaire, de tribunaux condamnant plus, du moins dans certains cas, un viol ou une agression sexuelle sur enfant, qu’un crime de sang. Le violeur, ainsi, ne prend pas davantage de risque en étranglant l’enfant ou l’adolescent qu’il vient d’abuser. C’est là faire le constat d’un important changement de paradigme, sur lequel il aurait été nécessaire de réfléchir, pour l’analyser par exemple sur le plan anthropologique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Un mot sur les politiques. Une anecdote tout d'abord. En 2003, déjeunant avec une collègue psychologue (mais également membre d’une association de défense de l’enfance), j’avais été abasourdi de l’entendre, entre la poire et le fromage, me certifier que de très nombreux hommes politiques étaient pédophiles, qu’ils allaient bientôt être dénoncés, et que ce serait un tremblement de terre comme jamais encore connu dans le monde politique, etc. Pourtant cette collègue, nullement un « perdreau de la veille », avait publié vingt plus tôt un ouvrage dit « de référence » dans la collection </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Que sais-je </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">! Bien entendu, c’était le genre de rumeur qui circulait dans son association. Un palier va être franchi la même année, en novembre, quand 71 parlementaires de la majorité de droite déposent une proposition de loi « visant à lutter contre l’inceste en donnant du crédit à la parole de l’enfant ». On lit dans l’exposé des faits la phrase suivante : « Il nous paraît important que la présomption de la crédibilité de la parole de l’enfant puisse être retenue comme un principe dans toutes les procédures le concernant ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous étions alors au lendemain de la clôture de l’instruction de « l’affaire d’Outreau », qui avait eu en France un retentissement comparable à « l’affaire Dutroux ». Je ne reviens pas sur le contenu de cette instruction, bien connu, pour en venir aux procès des accusés « d’Outreau » : celui de Saint-Omer, mais surtout celui de Paris en novembre 2005, qui remettaient sur ses deux pieds une société qui, depuis le « moment Dutroux », avait tendance à marcher sur la tête. La justice reconnaissait sa faillite, avec l’écrasante responsabilité du juge Burgaud, mais également celle des membres de la chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Douai, du procureur général de cette même juridiction, de l’avocat général au procès de Saint-Omer, et du garde des Sceaux de l’époque. En y ajoutant l’incompétence, et la partialité des deux experts psychologues. Cela valait aussi pour les deux associations « parties civiles », d’une bêtise crasse. Enfin il ne fallait pas absoudre de cette responsabilité la presse écrite dans sa quasi totalité, ainsi que les médias radiophoniques et télévisés, coupables d’avoir commis des articles, des reportages ou des dossiers qui, depuis le début de « l’affaire d’Outreau », jusqu’aux premières audiences du procès de Saint-Omer, avaient amplifié les rumeurs les plus fantaisistes sur les protagonistes de cette « affaire », s’étaient complus dans une vision misérabiliste d’Outreau, et n’avaient en aucune manière rapporté des éléments susceptibles de remettre en cause l’enquête et l’instruction.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mis en quelque sorte sur la touche après le procès de Paris, le lobby identifié plus haut n’a jamais accepté, contrairement à ce qu’on pu observer de manière implicite dans la société, les enseignements d’Outreau. Il s’est retrouvé sur le devant de la scène de longues années plus tard lors de la parution de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La Familia grande, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">l’ouvrage de Camille Kouchner traitant de l’inceste. Cette « affaire Kouchner-Duhamel », entre autres incidences, remettait en selle des discours et des intervenants marginalisés depuis le procès de Paris. Avec, comme cheval de bataille, la demande auprès du législateur de « l’imprescriptibilité des viols et agressions sexuels » : donc son alignement sur celle des crimes contre l’humanité (ce qui relativise, minore ou banalise l’importance de ces derniers !). Les principaux représentants de ce lobby se sont retrouvés au sein de la CIIVISE (commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants), en particulier la psychiatre Muriel Salmona et le juge Edouard Durand, dont le fanatisme rappelle celui des moines-soldats du monde médiéval.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> En ce qui concerne la « question féministe », il importe de bien distinguer ce qui relève d’un côté de l’émancipation, d’une totale égalité entre les sexes dans tous les registres du social, mais également comme remise en cause de l’assignation faite aux femmes dans les sociétés patriarcales (comme épouse, mère et femme au foyer) ; de ce qui, sous un angle différent, sous couvert de « violences et d’offenses faites aux femmes », entend condamner, proscrire, voire censurer toute expression artistique censée l’illustrer ou s’y rapporter. Ce qui, entre autres conséquences, détermine de nouveaux critères de moralité (indexés sur des « modèles culturels » en provenance des USA), rarement revendiqués en tant que tels. Ou encore, dans une moindre mesure, en invoquant l’impératif de ne pas séparer l’oeuvre de l’auteur, de jeter ainsi le discrédit sur un auteur quand bien même l’oeuvre, reconnaît-on, ne serait pas condamnable. Cette propension à l’amalgame se retrouve dans d’autres domaines, qui n’en noient pas moins l’émancipation dans les eaux saumâtres de l’identitarisme. Mais sous le chapitre des Arts et des Lettres, la « question féministe » prend davantage valeur d’exemple. Ceci, comme nous le verrons, parce que derrière l’affichage des « violences et offenses faites aux femmes », le discours qui entend principalement l’illustrer (là nous faisons le lien avec les pages écrites précédemment) s’inscrit délibérément en faux contre ce qu’on a appelé du nom de « libération sexuelle » durant la seconde moitié du siècle dernier.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ceci posé, je reconnais que l’une des difficultés est de parler de « féminisme » alors qu’il existe différentes façons d’être féministe, ou que le féminisme des unes ne se confond pas nécessairement avec le féminisme des autres. Même la terminologie « néoféminisme » traduit imparfaitement aujourd’hui le féminisme impulsé par de nouvelles générations, plus en phase que leurs devancières du MLF avec des théorisations et des modes d’action importés des États-Unis. Récemment, la ligne de fracture apparue dans le mouvement féminisme : entre d’une part celles qui, à travers la dénonciation de viols et de crimes sexuels massifs de femmes Israéliennes par le Hamas le 7 octobre 2023, entendaient secondairement dénoncer le silence d’une partie du mouvement ; et d’autre part celles qui se taisaient sur ces crimes, ou les mentionnaient sans évoquer directement le sort des femmes israéliennes. Cette ligne de fracture donc est patente. On a même pu évoquer à ce sujet un féminisme « à géométrie variable ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cela précisé, je reviens sur la question soulevée précédemment. Les violences exercées contre les femmes sont intolérables, inacceptables et condamnables, comme les sont toutes les violences exercées contre des êtres humains. Sachant que l’on ne saurait se contenter d’une société pacifiée, en termes de relation entre les deux sexes, quand une violence parfois plus diffuse s’exerce uniment contre les femmes et les hommes, la violence d’un pouvoir qu’il convient de combattre dès lors qu’on se situe dans le camp de ceux qui veulent qu’une telle société, inégalitaire, liberticide, répressive, aliénée, disparaisse. L’on ne saurait transiger sur l’indispensable égalité des droits, des fonctions, et des revenus entre les deux sexes, et sur la « domination masculine », eu égard le sexisme ambiant, mais également parce qu’elles bafouent ce principe égalitaire. Ceci parce que les différenciations en l’occurence entre les deux sexes, sont le corollaire de l’inégalité sociale. Seule une profonde transformation politique et sociale, traduisant en acte l’égalité entre les sexes, permettrait d’y répondre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Venons en au mouvement #MeToo. De son élément déclencheur, « l’affaire Weinstein », je ferai une autre lecture que celle qui, de la presse mainstream à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">s’avère très largement dominante. N’a-t-on pas dit et redit que pareille focalisation sur « l’affaire « Weinstein », devenu un événement planétaire à partir du moment où des actrices célèbres avouaient avoir été violées et agressées sexuellement par un producteur tout puissant, avait permis par la suite d’étendre cette « libération de la parole » à celle de toutes les femmes ayant subi des viols et des agressions sexuelles un peu partout dans le monde. L’exemple venait par le haut, et l’on ajoutait que cette « parole libérée » n’avait rencontré un tel succès, ne s’était pareillement répandue dans tous les secteurs de la société, que parce qu’à l’origine elle avait été tenue par des actrices connues d’un large public. Un discours se transformant progressivement en doxa. Hollywood donnait l’exemple. Comme si la Mecque du cinéma, qui inonde la planète de ses produits et sous-produits cinématographiques, devait également donner le ton en matière d’agressions sexuelles.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Posons plusieurs questions. Pourquoi, dans une liste comportant 90 noms, aucune des stars victimes de ce prédateur ne s’était auparavant exprimé ? Pourquoi ne pas avoir fait connaître sur le moment la gravité de tels actes ? Pourquoi aucun dépôt de plainte devant la justice avant octobre 2017 (à une exception près, mais il s’agissait d’un modèle et non d’une star) ? Ces actrices, on pense aux plus célèbres, avaient-elles consenti ou pas ? J’ajoute que Weinstein avait dédommagé huit d’entre elles pour acheter leur silence. Ces actrices, qu’elles aient eu des relations sexuelles ou pas avec ce puissant producteur, avaient fait le choix de se taire. C’est vouloir dire, pour les premières, qu’elles avaient consenti sur le mode bartlebyen (« J’aimerais mieux ne pas »). Une façon de consentir sans consentir dont on ne discute pas qu’elle ait pu être éprouvante, voire traumatisante pour certaines. Mais en se taisant, parlons clair, ces actrices faisaient un choix, celui de privilégier leur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">carrière </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(à travers l’accès à un rôle, et pas importe lequel). Auraient-elle parlé, elles se seraient comportées en « femmes libres », qui préfèrent cette liberté-là à tout plan de carrière. Une femme libre ne consent pas à devenir la partenaire sexuelle (ne serait-ce qu’une seule fois) d’un homme qu’elle compare à un porc. Sauf que ce cochon-là leur ouvrait les portes du paradis. Ces stars, en raison de leur silence, sont en partie responsables de cette omerta. Pour le reste, c’est tout un système qui s’accommodait autant que faire se peut de cette « loi du silence ». Toutes considérations, pour conclure là-dessus, qui incitent à penser que les éléments déclencheurs de « l’affaire Weinstein » s’avèrent moins exemplaires qu’on ne l’a prétendu. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Sur un certain plan #MeToo devient victime de son succès, puisqu’on va jusqu’à lui attribuer des réussites discutables ou inappropriées. Cela peut prendre un aspect insolite avec l’historienne Laure Murat déclarant que « #MeToo est la première remise en cause sérieuse du patriarcat ». Cela tient de l’article de foi et occulte allègrement les combats féministes des années 1970. C’est là un discours tenu par ce courant féministe qui, de nos jours, jette un regard critique sur ces combats-là, illustrés au siècle dernier par la contraception, puis l’avortement surtout, lesquels en garantissant la « liberté sexuelle » des intéressées (rendue en quelque sorte possible par la maîtrise de leur fécondité), incitait objectivement à minimiser - Murat et consort dixit - machisme et sexisme. Ce qui contribuait à négliger le rôle des prédateurs dans ce contexte de « libre circulation des désirs ». De plus, un tel discours, révisionniste s’il en est, s’avère bien ingrat envers celles qui luttaient concrètement contre le patriarcat sans dissocier égalité et liberté sexuelle. Des combats, faut-il l’ajouter, auxquels ont participé les deux sexes. On ne quitte pas le patriarcat en ajoutant que celui-ci n’est plus aujourd’hui ce qu’il était un demi siècle plus tôt, pour les raisons principalement que je viens d’évoquer. Sa dénonciation, de nos jours, relève plus de l’incantation rhétorique qu’elle ne traduit dans les faits un état de la société qui, dans l’hexagone, ne concerne plus que ses aspects les plus rétrogrades. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Quel bilan pouvait-on faire au début de l’année 2018, plusieurs mois après le déclenchement de « l’affaire Weinstein » ? D’abord, comme corollaire de l’extrême médiatisation de ladite affaire, on remarquait que les cas d’agressions sexuelles relevés provenaient des lieux de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pouvoir </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: pouvoir exercé par des hommes influents, y compris en matière de satisfactions sexuelles, dans les sphères politique, artistique, médiatique, sportive. Une telle focalisation autour de personnalités connues n’était pas sans occulter la forêt des violences conjugales. C’est dire aussi que la manière #MeToo de mettre en spectacle cette « parole libérée » a pu parfois pervertir ou brouiller la réalité de ces violences sexuelles, toutes catégories confondues. Enfin, si d’un côté ce mouvement s’avérait positif dans la mesure où se trouvait justement dénoncé à une grande échelle le pouvoir que des hommes exercent sur des femmes, plus particulièrement dans le domaine sexuel (y compris à travers toute la gamme des comportements sexuels), on pouvait en revanche déplorer, de l’autre côté de la pièce, que quelques unes des formes prises par ce mouvement - de #MeToo à l’inepte #Balance ton porc - contribuent à ouvrir la boite à Pandore : cette « libération de la parole » pouvant ici s’apparenter à de la délation, là relever de règlements de comptes, et surtout avoir des effets délétères dans le domaine de la création (comme nous le verrons plus loin).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le Monde </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">publiait le 10 janvier 2018 une tribune signée par cent femmes. Ce premier contre-feu collectif à #MeToo va provoquer de nombreuses réactions, parfois indignées, dans les milieux féministes. Deux éléments, étrangers au contenu de cette tribune, expliquent en partie son retentissement en France, et même à l’étranger : d’abord en raison du titre accrocheur, et inexact, de la version numérique, « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » (alors que les rédactrices avaient intitulé cette tribune, comme on peut le vérifier dans la version papier, « Cent femmes pour une autre parole »), reprise par l’ensemble des médias et des commentateurs ; ensuite par la focalisation sur le nom de Catherine Deneuve (l’une des cent signataires de la tribune, qui n’avait pourtant pas participé à sa rédaction). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Malgré ses insuffisances, ses maladresses, ses limites, le texte de « Cent femmes pour une autre parole » ne méritait pas la volée de bois vert reçue dans les lendemains de sa parution. Sans que les rédactrices de cette tribune le mettent au premier plan, ce qu’elles dénonçaient avec pertinence relevait de ce qu’avait de plus négatif cette « libération de la parole » (comme je l’ai souligné plus haut). Plus généralement, « Cent femmes contre une autre parole » avait le mérite de s’inscrire en faux contre le climat idéologique, d’ordre moral, initié par « l’affaire Weinstein ». Plutôt que de discuter, en argumentant, le contenu de cette tribune, ses contemptrices les plus virulentes se sont efforcées de dévaloriser, délégitimer, disqualifier, et déprécier les cent signataires, traitées de « bourgeoises », de « vieilles », de « blanches », ou encore de « membres des élites », de « défendeuses des lobbys de la prostitution ». La palme revenant à Caroline de Haas (et aux intellectuelles et militantes ayant contresigné son texte) pour qui les cent femmes signataires « sont pour la plupart des récidivistes en matière de défense des pédocriminels et d’apologie du viol ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> « Le viol est un crime » était pourtant la première phrase de cette tribune ! Heureusement qu’un fin limier comme Caroline de Haas y débusque là une « apologie du viol ». Ce qui permet, par association, d’aborder la notion de « culture du viol », que des militantes féministes, et même des universitaires et des journalistes reprennent sans trop de discernement. Ou en oubliant de l’utiliser à bon escient. Son usage devrait par exemple être étendu à ces « faits de guerre » par lesquels, depuis des temps immémoriaux, la soldatesque, plus ou moins encouragée par le poste de commandement, viole systématiquement les femmes se trouvant en terrain conquis. Et l’on sait que s’y greffent des considérations raciales ayant pour objectif de polluer l’ethnicité d’une communauté. Cette « culture du viol », en accusant le trait, pourrait aussi s’appliquer à ce qui, dans les siècles passés, relevait du « devoir conjugal ». De nombreux discours, qui mentionnent pour la condamner cette « culture du viol », relèvent eux de l’intimidation ou de l’abus de langage, quand on entend là ostraciser, voire criminaliser tout comportement jugé délictueux depuis des présupposés moraux. Je partage l’incompréhension d’Hélène Merlin-Kajman lorsque, dans son ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La littérature à l’heure de #MeToo, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">elle écrit « si, par « culture du viol » on entend que tous les hommes qui aiment séduire dans le registre d’un jeu érotique, actif, voire un peu « chasseur », sont des violeurs en puissance, et que les femmes qui aiment entrer dans ce jeu sont des violées en puissance, dans une configuration où pourtant les uns et les autres trouvent leur plaisir à ce jeu érotique fondé tendancieusement sur ces rôles, alors je ne comprends plus ce que désigne l’expression « culture du viol » ». Auparavant, l’universitaire américaine Laura Kipnis (dans son indispensable </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le sexe polémique, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">publié en 2019 aux Éditions Liber), précisait que l’expression « « culture du viol » décrit moins les conditions sexuelles sur le terrain qu’elle ne sert de prétexte pour discuter ce qui, du sexe, sera </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">déclaré </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">consensuel et des asymétries qui seront </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">déclarées </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">significatives ». Elle ajoutait que si on allait jusqu’au bout de cette logique, alors « bientôt, presque toute relation sexuelle sera apparentée à un viol ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Il convient maintenant de décrypter pareille moralisation de la société depuis des exemples puisés dans les disciplines littéraire et artistique (arts plastiques, cinéma, musique, BD). Préalablement, les précisions suivantes s’imposent. Le racialisme - tout comme le féminisme évoqué jusqu’à présent - disent vouloir remettre en cause, chacun dans son registre, des modèles culturels « obsolètes » et « dépassés », ou dénoncer une culture, taxée ici de « blanche », et là de « patriarcale » ; ou encore rapporter les doléances de tous les « offensés », y compris sur le plan religieux. Ceci et cela relevant d’une assignation identitaire que l’on a pu traduire sur le plan culturel en termes de « cancel culture » et de « culture woke ». Cependant le succès, certes paradoxal, remporté par ces deux notions, autant chez ceux qui les combattent que chez ceux qui s’y réfèrent positivement, tend à se transformer en un affrontement que les seconds, à dessein, circonscrivent en termes d’opposition entre les progressistes, la gauche, les défenseurs des minorités, c’est à dire eux, aux conservateurs, réactionnaire, la droite, les autres donc. Ceux qui se reconnaîtraient explicitement dans ces derniers qualificatifs n’étant pas en reste pour dénoncer, à travers le wokisme et la cancel culture, l’adversaire (le progressisme, la gauche, etc). Les uns accusant les autres, et réciproquement, depuis le même schéma binaire. La convocation de l’une ou l’autre de ces deux notions s’avère par conséquent piégeuse, sujette à des malentendus, confusionnante, et parfois déconnectée de la réalité. C’est pourquoi je n’y aurai pas recours, sinon pour en critiquer l’utilisation à des fins partisanes (ou encore dans le cadre d’une citation).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ceci précisé, comment ne pas constater que les courants féministes engagés sur ce front culturel, dont on a vu qu’ils convoquaient « le côté sombre de la sexualité » (sur le mode de l’insupportable, du condamnable, de l’inadmissible), que ce féminisme-là donc n’est pas sans provoquer des effets d’intimidation, d’effacement, de censure, dans le domaine des Arts et des Lettres ; et sans doute, sans qu’on puisse à ce stade l’évaluer, d’autocensure. C’est par un détour que nous ne soupçonnions pas, ou peu, trente ans plus tôt (du moins dans l’hexagone), qu’il importe de reprendre cette sempiternelle question de l’art à l’aune de l’état des choses que je vais maintenant m’efforcer d’identifier et de documenter depuis des exemples précis. En établissant un relevé, certes partiel, qui renverrait à ce qu’il faut bien appeler de l’interdit dans les représentations littéraires et artistiques convoquées. A ce compte, comme je viens de le souligner, celles qui ont trait à la sexualité - en l’élargissant aux relations entre les sexes - mobilisent plus que les autres nos modernes censeurs. A se demander même, depuis un questionnement qui aurait été inapproprié au siècle précédent, si Ernest Pinard, le fameux procureur ayant instruit le procès des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Fleurs du mal </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Madame Bovary, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ne prend pas une sorte de revanche posthume ? Ce que l’on retient, en laissant la question posée, étant que ce ne sont pas ceux, à l’instar du procureur Pinard, sa postérité pour ainsi dire, qui se sont évertués depuis plus d’un siècle à incriminer toute oeuvre jugée par eux immorale, obscène, pornographique, ou relevant d’un prétendu mauvais goût, ou encore jugée offensante selon des critères religieux (ceux du christianisme, très majoritairement), donc tous ceux que l’on qualifiait de « réactionnaires », identifiés peu ou prou à la » droite », à la » calotte », au « conservatisme ». Non pas, ou plus tous ceux-là, car ce sont aujourd’hui d’autres protagonistes qu’il nous faut retenir, lesquels, tout en prétendant se situer dans la descendance de ceux qui dénonçaient au siècle dernier ces « réactionnaires », se montrent suspicieux, sinon plus, envers des oeuvres de l’esprit qui ne correspondraient pas aux exigences d’un cahier des charges qualifié par eux de « progressiste ». Dès lors que nous entrons dans le détail de ce qui motive leurs mises en garde, mises en demeure, ou dénonciations, ces divers relevés ne sont pas sans présenter de nombreux points communs avec ce dont on accusait précédemment les « réactionnaires » : par exemple, depuis un puritanisme s’avançant masqué, qui de façon plus général s’inscrit dans le cadre d’un « ordre moral » (que les intéressés récusent, il va de soi).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous allons entrer dans le vif du sujet en décryptant « le cas Polanski », exemplaire à bien des égards, puis rester dans ce registre cinématographique avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blown Up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’Antonioni</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Après un bref intermède musical, les situations respectives de Gauguin et de Picasso concerneront les arts plastiques. Leur succédera une invitée de dernière heure, la BD avec Bastien Vivès, puis Coco. Il sera alors temps d’aborder le continent littéraire, d’abord en chansons avec Georges Brassens, puis « l’affaire Matzneff-Springora » clôturera cet inventaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Énième séquence de ce vaste serpent de mer qu’est l’actualité médiatico-judiciaire associée à Roman Polanski », la rétrospective Polanski, programmée de longue date à la Cinémathèque française en octobre 2017, a eu lieu dans les lendemains de « l’affaire Weinstein ». Mais également deux mois après la relance des poursuites contre le cinéaste aux États-Unis, à l’initiative du juge Gordon. Des poursuites concernant des « rapports sexuels illégaux avec une mineure de 13 ans » en 1977, reconnus par Polanski à l’époque (et pour lesquels il avait été condamné à une peine d’emprisonnement de 90 jours, puis incarcéré dans une prison californienne). Deux remarques. D’abord le juge Gordon avait pris sa décision après l’audition de Samantha Geimer, la victime, qui pourtant avait demandé expressément (comme elle le faisait depuis plusieurs années) que l’on abandonne les poursuites faites en son nom, ce qu’elle dénonçait comme étant abusif, voire relever de l’acharnement judiciaire. Ensuite, la relance de ces poursuites faisait en quelque sorte appel d’offre, puisque des plaintes accusant Polanski de viols et d’agressions sexuelles étaient déposées entre septembre et décembre 2017 (pour des faits remontant aux années 1970). Des accusations bien tardives, niées par le cinéaste, et qui selon toute vraisemblance sont totalement infondées. Un examen du contenu de ces accusations ne plaidant nullement en faveur de leur véracité.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Les associations féministes, qui se sont élevées vent debout contre cette « rétrospective Polanski » à la Cinémathèque, ne mettaient pas le moins du monde en doute les récentes accusations portées contre le cinéaste, tout en s’abstenant de mentionner les déclarations de Samantha Geimer (il est vrai critiques sur la notion de victimisation, celle dont elle faisait l’objet mais également sur un plan général). Quant aux protestations contre l’impunité dont bénéficierait Polanski on verra plus loin ce qu’il en est. On a le droit de ne pas aimer son cinéma, de le critiquer sans ménagement, mais il est inadmissible de demander l’annulation d’une rétrospective au prétexte que l’homme Roman Polanski fait l’objet d’accusations qui relèvent uniquement du judiciaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mais ce n’était pour ainsi dire qu’un hors d’oeuvre. La sortie en novembre 2019 du film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">va relancer la polémique. Indiquons tout d’abord que, pour des raisons biographiques principalement, la légitimité de Polanski à vouloir réaliser un film sur « l’affaire Dreyfus » ne se discute pas. Les déclarations du cinéaste sur le film étaient plus nuancées que ce que ses contempteurs prétendaient. On pouvait juste lui reprocher, non pas de s’identifier à Dreyfus comme le martelaient ses accusateurs, mais de s’être laissé aller, même dans un autre registre, à une analogie n’ayant rien de scandaleux, ni de répréhensible, mais qui dans le contexte très particulier de la sortie de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pouvait paraître déplacé. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sorti, nous n’en sommes pas restés-là. Alors que les demandes d’interdiction d’un film émanaient jusqu’à présent de municipalités de droite, ou d’associations catholiques proches de l’extrême droite, pour la première fois des élues de gauche demandaient la déprogrammation de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en Seine-Saint-Denis. Des menaces heureusement non suivies d’effets devant les réactions négatives des programmateurs de salle. Citons Stéphane Goudet, le directeur du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Méliès </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à Montreuil, déclarant excellemment : « Nous demandons dès à présent à nos élus la liste des cinéastes dont nous n’aurons plus le droit de programmer les films et la définition de leurs critères. Un comité de vérification de la moralité est-il prévu, puisque la liberté individuelle des spectateurs n’est pas suffisante ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Une autre « première » avait eu lieu précédemment lors du festival de La Roche-sur-Yon : </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">se trouvant « encadré » par la direction du festival. C’est à dire que la programmation du film était précédé d’un débat portant sur « la question de la distinction entre l’artiste et son oeuvre ». L’animatrice de ce débat, Iris Brey, déclarant qu’elle n’entendait pas voir </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Nous entrons là dans de l’inédit. D’abord ce n’est pas le contenu d’un film qui est incriminé, mais la personnalité d’un cinéaste. Ensuite tout film mis à l’index, selon de pareils critères, risque à l’avenir d’être « encadré » selon le protocole de La-Roche-sur-Yon. Cette procédure n’étant pas sans effets pervers. La thématique de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sur l’antisémitisme, se trouvant occultée, pour ne pas dire niée, pour lui en substituer une autre, sans rapport avec le film. Cet « encadrement » n’entend pas le censurer mais se révèle plus pernicieux. Ici on se défend de toute accusation de censure tout en réduisant un film à l’état de coquille vide. Car l’on subodore que la grande majorité des personnes présentes durant le débat quitteront ostensiblement la salle avant la projection du film.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> L’exemple suivant, datant de février 2020, est peu connu. Dans le cadre d’un enseignement à Paris 8 (« L’histoire sous d’autres formes ») portant sur les usages publics de l’histoire, le cours du 11 février devait être consacré aux « représentations de l’affaire Dreyfus », et en particulier « à l’interprétation qui en a été proposée par le film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ». Les étudiants qui ne voulaient pas discuter de ce film (lequel ne serait pas projeté) n’étaient pas obligés d’être présents le 11 février. Ce jour-là, un groupe d’une dizaine de jeunes femmes (étrangères, à une exception près, au cours de l’enseignante, Pauline Peretz), surgissaient dans la salle de cours en affirmant qu’elles étaient-là pour empêcher toute discussion sur le film de Polanski. Elles accusèrent l’enseignante de complicité envers un violeur, puis lurent un texte dans lequel il était dit qu’étudier Polanski « c’était être complice de ses crimes ». Devant la violence verbale de ces jeunes femmes et « déstabilisée par l’impossibilité d’engager une discussion », Pauline Peretz quittait la salle de cours.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Un trac non signé, dans un second temps justifiait cette intervention. Les rédactrices (se disant « féministes ») y affirmaient une fois de plus qu’étudier l’oeuvre de Polanski « c’est cautionner le réalisateur et cautionner l’impunité judiciaire et médiatique des hommes puissants dans une société patriarcale ». C’est là un discours souvent entendu durant cette interminable « affaire Polanski »., articulé autour du refus de séparer l’homme de l’oeuvre. De cette dernière en réalité il n’en est pas question, puisque pour les contempteurs de Polanski seules entrent en ligne de compte les considérations morales (pour ne pas dire moralisatrices) sur l’homme. Ensuite il convient de rappeler que tout ce qui peut être reproché sous ce chapitre-là à Polanski relève du judiciaire. Quant au cinéaste, encore faut-il prouver que son oeuvre serait explicitement, et même implicitement une apologie du viol et de la prédation masculine. En empêchant manu militari toute discussion (dans le cadre d’un enseignement universitaire) depuis </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sur l’antisémitisme en général et le film de Polanski en particulier, les membres de ce commando, même si elles s’en défendraient, se situent de facto sur le terrain de la concurrence des victimes. A l’argument, réitéré selon lequel Polanski avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">se défausserait à bon compte de ce dont on l’accuse, nous renvoyons une fois de plus à la biographie du cinéaste et à celle de sa famille. Les rédactrices mentionnent que Pauline Peretz, avant qu’on ne lui retire définitivement la parole, avait évoqué les « méthodes fascisantes » de ses interlocutrices. Sans pour autant reprendre la formulation de l’enseignante, qui s’explique certainement par le climat de tension généré par cette intrusion, les rédactrices du tract ignorent sans doute que les étudiants nazis intervenaient sur un mode comparable dans les années précédant la prise de pouvoir d’Adolf Hitler. J’ajoute qu’analogie n’est pas comparaison : le comportement de ces étudiantes « féministes » renvoyant plus précisément dans ce cadre universitaire à celui des « gardes rouges » de la révolution culturelle chinoise.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> En réponse à une motion des personnels du département d’histoire de Paris 8, les rédactrices affirment dans la seconde partie du tract que « la seule « étude critique » qui vaille sur le pédocriminel Roman Polanski serait une étude sur les violences sexuelles et sexistes dans le monde du cinéma et leur impunité dans la société ». Elles s’élèvent aussi contre le qualificatif de « censure » concernant leur action. Les rédactrices n’ont pas tort d’ajouter que « la censure s’exerce d’un système et / ou d’un groupe dominant sur la production d’un groupe dominé ou dissident ». Mais ce n’est que la moitié de la question. Car des associations proches de l’extrême droite, qui pourraient également revendiquer un statut de « groupe dominé ou dissident », demandent que l’on censure des oeuvres au nom de causes qu’elles estiment non moins justifiées que celles avancées par nos militantes féministes. D’ailleurs les unes comme les autres, bien que situées a priori aux deux extrémités du spectre politique, entendent moraliser la société, plus explicitement certes pour les associations droitières. Enfin la censure n’est pas qu’étatique, comme le prétendent certaines associations féministes. Comme on le verra plus loin, exemples à l’appui, la grande majorité de tout ce qui de près ou de loin se rapporte à la censure s’observe en dehors de la sphère étatique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Le même mois, la cérémonie des Césars 2020, qui fit couler tant d’encre, a même été commentée par la sociologue Gisèle Sapiro dans son ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Peut-on dissocier l’oeuvre de l’auteur ? </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Elle y avance que les prix attribués à Polanski, lors de cette cérémonie, pourraient « signifier la perpétuation de la méconnaissance d’abus de jeunes femmes dans les milieux du cinéma et donc l’octroi d’une forme d’impunité ». Cette argumentation serait recevable s’il y avait une relation de cause à effet entre le contenu de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et la nature des accusations portées contre Polanski. Pourtant Gisèle Sapiro reconnaît qu’il n’en est rien. Alors elle prolonge son propos sur cette « impunité » par l’affirmation que « la reconnaissance publique », la consécration d’un artiste, « risquent d’occulter (…) voire de légitimer les violences faites aux femmes ». Tout d’abord cette « reconnaissance artistique » envers Polanski ne date pas d’aujourd’hui, ni même hier et d’avant hier, alors que les accusations portées contre lui datent principalement de l’année 2017. Il se trouve que </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(que je qualifierai de « film académique ») relève de la catégorie de films correspondant à des critères de césarisation. Ce que les « professionnels de la profession » avaliseront lors du vote. Et puis cette année 2019 n’étant pas celle d’un grand cru dans le paysage du cinéma hexagonal, il n’y avait pas de quoi s’étonner de la sélection, puis du vote.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Passons sur cette lamentable cérémonie 2020 pour conclure cette analyse du « cas Polanski » sur une note humoristique, avec la désormais célèbre tribune de Virginie Despentes (« On se lève et on se casse ») s’y rapportant. Cette écrivaine ne manque pas d’habileté puisque ce qu’elle dénonce (des puissants à la police, en passant par l’argent-roi, l’impunité du viol, de la pédophilie, la réforme des retraites, etc) circonscrit le monde de tous ceux qui, selon elle, soutiennent Polanski. Ces dénonciations, qui relèvent de l’amalgame, s’accompagnent pour faire bonne mesure de leurs lots de « victimes ». Mais là, il est permis de sourire devant le relevé qui nous est proposé. Ainsi une Florence Foresti qui, quittant la cérémonie des Césars avant la fin, « risque de se mettre la profession sur le dos » (à croire que Virginie Despentes vit totalement coupé du monde médiatique !) ; ainsi la fiction d’une Adèle Haenel que l’on refuse d’entendre (et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et consort, ça compte pour rien !) ; ou encore la quasi absence au palmarès du film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Portrait de la jeune fille en fleur, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">au prétexte que Adèle Haenel aurait parlé (une omerta, alors ?). Si Haenel s’était tue, ce film bien sûr aurait été couvert de prix. Élémentaire, n’est-ce pas ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Revenons en arrière, sans quitter le monde du cinéma, avec une tribune publiée en décembre 2017 - en pleine « affaire Weinstein » - par Laure Murat dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Libération </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(« </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-Up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">revu et inacceptable »). Il s’agit d’une attaque en règle contre le film d‘Antonioni censé représenter « de façon odieuse et continue (…) les rapports entre les hommes et les femmes », qui ferait « étalage d’une misogynie et d’un sexisme insupportable », dont l’une des scènes se trouve qualifiée de « viol », et j’en passe. Pour résumer, cette tribune dénonce « la promotion du viol », et met fortement en garde contre « la sempiternelle reconduction des violences sexistes » et « l’indulgence pour la domination masculine sous prétexte qu’elle serait le reflet de la société » : ceci depuis une lecture biaisée, déformée, binaire, confusionniste et partisane de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-Up. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Laure Murat nous assène un discours hors sol, qui reprend la grille de lecture du féminisme le plus outrancier, ne pouvant satisfaire que celles et ceux pour qui de telles considérations idéologiques prennent le pas sur toute analyse, y compris critique, d’une oeuvre artistique. Cette historienne (pas du cinéma certes !) connaît bien mal Antonioni, un cinéaste auquel on doit quelques uns des plus beaux personnages féminins du cinéma de la seconde moitié du XXe siècle. A vrai dire, on ne sait pas si Laure Murat crédite Antonioni de cet « étalage d’une misogynie et d’un sexisme insupportable » puisqu’elle avoue jésuitiquement n’en rien savoir</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">S’il ne le cautionne pas, l’article s’avère sans objet. Nous sommes bien obligés de penser qu’Antonioni cautionnerait cet « étalage » à lire ce qui suit. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On rappellera ici cette règle élémentaire : ce qu’il est convenu de penser d’un film n’est pas réductible à la personnalité de l’un ou l’autre des personnages. En ce qui concerne Antonioni, cinéaste dont la modernité se trouve ici illustrée par le regard distancié du cinéaste à l’égard de ses personnages, Serge Kaganski (dans un article des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Inrockuptibles</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> en réponse à Laure Murat) indique qu’ainsi ses personnages ne sont pas les dépositaires d’une « valeur morale absolue ». Et ajoute : « Antonioni n’a jamais recours au sentimentalisme, au pathos, aux processus d’identification usuels du cinéma grand public et notamment hollywoodien ». Cela devait être souligné pour mieux revenir à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-Up. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Laure Murat, à l’évidence, ne comprend pas le cinéma d’Antonioni lorsqu’elle évoque la complaisance du cinéaste vis à vis du principal personnage du film. C’est tout le contraire. D’ailleurs, élément significatif, elle ne mentionne pas - c’est certainement secondaire pour elle ! - que ce personnage, un photographe, fait preuve de la même arrogance et de la même rudesse à l’égard de son assistant qu’envers ses modèles féminins. J’ajoute, pour ces derniers, qu’il se comporte différemment selon leur notoriété. Vouloir évoquer une « scène de viol », entre le photographe et les deux apprenties modèles, relève d’un abus de langage consternant à l’égard des véritables victimes de viol.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pourquoi, longtemps après la sortie de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow Up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(1967), un tel article ? Laure Murat y répond en accusant « l’esthétique » du film (non perçue auparavant) : « La perfection formelle de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow Up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">écrase et étouffe le scandale qu’il recèle ». Il convient donc de « désacraliser l’esthétisme » (sic). C’est à dire de relire et réinterpréter le film d’Antonioni depuis une grille de lecture « féministe » (ou prétendue telle) qui entend récuser tout ce qui fait la singularité de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow Up</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, sa complexité et sa subtilité. Nous avons là un exemple patent de ce révisionnisme auquel s’adonnent certaines féministes dans le domaine des Arts et des Lettres. Force est de constater que celui des Murat et consort (la conséquence de leur regard dévoyé), qui voit à profusion dans de nombreuses oeuvres littéraires, artistiques et cinématographiques, ici du « viol », là des « agressions sexuelle », ici encore du « sexisme » (quand ces oeuvres n’en font pas « la promotion », Murat dixit), là où rien de tel n’existe, ou alors de façon très ténue, rejoint, à l’autre extrémité du spectre, le révisionnisme de ceux qui, depuis une lecture tronquée, fantasmatique, voire délirante de la réalité, se focalisent eux sur le « grand remplacement ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> L’intermède musical concerne la seule </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Carmen.</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous apprenions, au plus fort de la vague #MeToo, que l’opéra de Florence montait une </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Carmen </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans lequel l’héroïne ne succombait pas sous les coups de poignard donné par Don José, mais s’affranchissait de la lettre des sieurs Mérimée et Bizet pour révolvériser le jaloux. Ceci pour protester contre les violences faites aux femmes. Il était temps de mettre un terme à ce scandale, celui d’une Carmen mourant de la main de Don José. Ce n’était que réparation et justice en ces temps de libération de la parole des femmes. Carmen la prenait, et de belle manière puisqu’elle mettait un point final à sa condition de femme immolée en tuant ce salaud de Don José. En se vengeant pareillement, Carmen vengeait toutes les femmes avec elle.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On ne laissera pas dire que ce metteur en scène florentin (Léo Muscato) est du côté du bien, de la justice, de la cause des femmes, parce qu’en réalité ce Muscato n’a rien compris à l’opéra de Bizet. Car ce n’est pas comprendre que Carmen est l’une des incarnations de l’insatiable désir, de la femme libre par excellence (« Je suis née libre, et je mourrai libre »). Ce Muscato ignore que c’est la force de ce désir qui brûle les planches. Ainsi Carmen peut mourir de la main de Don José sur toutes les scènes du monde, mais non ce désir que la musique de Bizet illustre depuis la création de l’opéra. Ce correctif moscatien sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Carmen </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">inaugure un mode de censure inédit dans les arts vivants. Ici on censure une fin jugée » incorrecte » selon les critères du jour. Mais, plus pernicieux encore, ce précédent florentin peut faire appel d’offre. Et inciter d’autres Muscato à modifier telle fin, ou telle partie d’une oeuvre lyrique ou théâtrale, au nom des offenses et des violences faites aux catholiques, aux musulmans, aux homosexuels, aux transsexuels, aux handicapés, aux animaux, à la police, et que sais-je encore. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> En ce qui concerne les arts plastiques, je ne m’arrêterai que sur les situations respectives de Paul Gauguin et de Pablo Picasso. Un mot auparavant sur Balthus, qui paraît plus menacé que d’autres artistes d’interdit d’exposition. Ceci, parmi d’autres raisons, de la présence dans son oeuvre de l’incontournable </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Thérèse rêvant, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dont on a pu dire qu’elle dépeignait « une très jeune fille dans une position sexuellement suggestive ». Elle l’est assurément, et alors ! Il est vrai que dans ce climat délétère Balthus devient, pour nos modernes puritains, l’un des agents diffuseurs de la pédocriminalité. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Le cas de Paul Gauguin est exemplaire dans la mesure où les accusateurs du peintre s’expriment depuis deux postulations distinctes : féministe (sur le versant prétendument « pédophile ») et post-colonial (sur le versant relevant selon eux du « colonialisme » et du « racisme »). J’ajoute que ces accusations ne se rapportent qu’à la partie polynésienne de l’oeuvre de Gauguin. Pourtant, les nombreuses biographies du peintre breton font un sort à ces interprétations. Elles rappellent avec constance que Gauguin, en empathie avec les populations tahitienne, puis marquisienne, n’avait cessé de combattre toutes les formes d’autorités présentes sur ces îles (militaires, institutionnelles, religieuses), au point que sa dénonciation de la terreur exercée par les gendarmes le condamnera à une peine d’emprisonnement de trois mois. Et puis Gauguin vivait pauvrement parmi la population de ces îles. Passons sur l’inanité des commentaires faisant de Gauguin un personnage raciste et colonialiste, pour en venir à l’accusation de « pédophilie », plus susceptible d’alimenter l’argumentaire des censeurs. Dans une région du monde où des unions et des mariages devenaient effectifs dès la puberté, on relève que trois des compagnes de Gauguin avaient treize et quatorze ans. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Une polémique va naître en France après la sortie en 2017 du film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Gauguin - Voyage de Tahiti. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le journal </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Jeune Afrique </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">s’en fait l’écho en reprenant quelques uns des éléments à charge contre Paul Gauguin. Le rédacteur écrivant même que durant la vie du peintre « l’âge de ses partenaires aurait valu la prison à Gauguin s’il avait été en métropole ». C’est bien mal connaître l’époque en question, puisque ces années-là le Code pénal ne punissait que « les attentats à la pudeur sans violence en dessous de treize ans ». Relevons ensuite, dans l’ordre, un article en 2019 du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">New York Times </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">posant la question de l’interdiction d’une exposition consacrée à Paul Gauguin. Deux ans plus tard le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">National Gallery </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à Londres répondait en quelque sorte au </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">New York Times </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à travers une mise en garde adressée au public de l’exposition qui se terminait par la phrase suivante : « Gauguin a de façon indubitable profité de sa situation d’occidental privilégié pour s’accorder une grande liberté sexuelle ». Cette assertion mensongère va dès lors constituer le socle de l’argumentaire de ceux qui, dans les rangs féministes et décoloniaux, instruisent depuis cette date le procès de Gauguin en faisant fi de toutes les indications biographiques qui viennent contredire la fiction d’un Gauguin pédophile, colonialiste et raciste. Il y a de quoi s’étonner, sinon plus, de l’absence de réactions contre un tel déni de réalité. Seul, à ma connaissance, Philippe Lançon avait remarqué en janvier 2020 dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Charlie-Hebdo </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: « la morale de l’oeuvre n’est pas dans la vie de Gauguin, certes pas celle rêvée d’un ange, mais dans les formes qu’il crée. La censure - et l’imbécilité qu’inévitablement elle exige et produit - commence lorsqu’on se met à confondre les deux, au point de regarder celle-ci à la lumière de celle-là ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Un ami, qui enseigne le français dans un lycée de la banlieue parisienne, m’a raconté l’anecdote suivante. En classe de première, lors d’un cours sur Apollinaire, illustré entre autres par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les demoiselles d’Avignon</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, une élève s’était insurgée en affirmant que Picasso pratiquait « le viol conjugal », puis, l’échange devenant tendu, elle ajoutait que l’on devinait le sexisme de Picasso dans sa peinture même, « puisqu’il défigurait le corps des femmes » (en prenant l’exemple de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La femme qui pleure</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">). A ce moment-là, une autre élève, noire elle, avait parlé « d’appropriation culturelle » en évoquant l’influence des arts premiers sur le travail de Picasso (ceci précédemment évoqué par l’enseignant lors de son commentaire sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les demoiselles d’Avignon</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Il est vrai que depuis plusieurs années Picasso fait l’objet de violentes critiques concernant principalement son comportement envers les femmes. Celui de Picasso ne fut pas certes pas irréprochable, mais après tout, à l’aune d’une telle réprobation morale, s’il fallait, en l’élargissant à d’autres critères, lister l’étendue des reproches envers tous les créateurs, certaines icônes féministes passeraient également à la question. Quand nous lisons que Picasso « n’aimait pas les femmes, mais qu’il les maltraitait : viols, séquestrations, voies de fait, actes pédophiles ». qu’il était « le Weinstein de son époque », ou qu’il devrait aujourd’hui répondre de sa « pédocriminalité » (ceci parce que l’une de ses compagnes, Marie-Thérèse Walter, avait dix-sept ans lorsqu’ils se sont connus !), nous réalisons combien le poison du ressentiment se substitue à ce qui nous est présenté comme un exemplaire devoir d’inventaire biographique. Quant à l’oeuvre même de Picasso, prétendre qu’elle témoigne par excellence du sexisme du peintre, de sa vision patriarcale du monde, de sa propension au viol et à la prédation, et de ses violences envers les femmes - arrêtons-là ! -, participe de ce révisionnisme que j’ai plus haut illustré et commenté. Pour ne citer que l’exemple de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La femme qui pleure, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">cette oeuvre qui date de 1937 (donc contemporaine de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Guernica</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), a une toute autre signification que celle affichée par des zélotes qui semblent tout ignorer de ce contexte de guerre d’Espagne, mais connaissent bien en revanche les relations tumultueuses entre Picasso et Dora Maar, sa compagne du moment. D’ailleurs un </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Portrait de Dora Maar, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">également daté de 1937, se distingue très sensiblement des différentes versions de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La femme qui pleure </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(même si la jeune femme a servi ici de modèle).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On pourrait, pour revenir à l’anecdote et finir là-dessus, estimer que cette belle jeunesse, que l’on dit « inculte », l’est moins que ce que l’on prétend (la preuve ici par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La femme qui pleure, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et « l’appropriation culturelle »). Un constat cependant à relativiser. D’abord en constatant que les attaques visant Picasso sont principalement diffusées depuis plusieurs années par les réseaux asociaux. C’est là qu’une majorité, ou une forte minorité de jeunes internautes entendent - pour la première fois, peut-être - parler de Picasso. Ceci dans les termes qui viennent d’être évoquées. Ensuite, pareille « reconnaissance » s’explique en grande partie par le succès (presque 500 000 écoutes à ce jour !) de l’épisode « Picasso, séparer l’homme de l’artiste », du podcast </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Vénus s’épilait-elle la chatte ? </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Julie Beauzac. On peut, à ce stade, émettre l’hypothèse que la première lycéenne (voire les deux) avait trouvé son argumentaire dans ce podcast totalement à charge sur Picasso.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce qui est devenue une « affaire Bastien Vivès », du nom de ce dessinateur de bandes dessinées dont une partie de l’oeuvre devait faire l’objet d’une exposition lors de l’édition 2023 du Festival de la BD d’Angoulême, renvoie à d’autres exemples, cités précédemment, tout en en s’éloignant depuis des données précises sur lesquelles je m’attarderai. Plusieurs pétitions demandaient le retrait de cette exposition, en raison de « l’apologie de la pédocriminalité et de l’inceste » que cette oeuvre, selon elles, véhiculait. Elle obtenaient satisfaction alors que l’exposition, soulignons-le, ne devait concerner que l’importante production non pornographique de l’oeuvre de ce dessinateur. Donc ce n’était pas tant l’exposition par elle-même qui était visée que la personnalité de l’exposant. Deux associations déposaient des plaintes contre Vivès et les éditeurs de trois de ses ouvrages (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les melons de la colère, Petit Paul, La décharge mentale</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) pour « diffusion d’images pédopornographiques ». Je ne vais pas entrer dans tous les détails d’une « affaire » très largement médiatisée pour me concentrer sur les données suivantes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Il a été beaucoup question d’une polémique qui avait opposé plusieurs années plus tôt Emma Clit, autrice féministe, à plusieurs dessinateurs de BD, dont Bastien Vivès. Passons sur les propos indéfendables tenus à l’époque par Vivès sur Clit, pour en venir à l’essentiel, leurs oeuvres respectives. Emma Clit s’est fait connaître par une série de dessins visant à populariser le concept de « charge mentale ». Sans me prononcer sur la validité de ce concept, je remarque, en soulignant le simplisme désarmant de ces dessins, que le côté pédagogique de l’exercice se signale par son absence d’humour. D’ailleurs Emma Clit reconnaît faire « de la propagande ». La réponse de Vivès, l’année suivante, la publication d’une BD intitulée </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La décharge mentale </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(les tribulations d’une famille incestueuse), n’avait pas en 2018 suscité de polémique marquante.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> L’aspect le plus controversé du travail graphique de Bastien Vivès (les trois ouvrages cités plus haut, mis à l’index) s’inscrit dans la tradition du cartoon, et se signale par sa dimension burlesque, voire grotesque. Dans ces trois oeuvres, bien évidemment pornographiques, les personnages ne peuvent en aucun cas exister dans la réalité. C’est dire qu’ils relèvent uniquement de l’activité fantasmatique de l’auteur. Par exemple, dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Petit Paul, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">le personnage enfantin, héros de cette BD, est doté d’un sexe de 80 cm. Ce qui suscite la convoitise de femmes dotées elles de poitrines impressionnantes. Tout lecteur sachant lire sait à quoi s’en tenir sur les ressorts comiques de ce type de BD, carburant à l’exagération. Rien de bien nouveau sous le soleil, de ce point de vue-là. Comme le résume Vivian Petit, dans un article bien informé : « Pour peu que l’on prenne en compte la trame narrative, son caractère à la fois peu crédible et scandaleux, l’argument de « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">l’apologie</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> » semble relever du littéralisme le plus étroit ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Et pourtant, on a pu entendre et lire (en particulier sur les réseaux asociaux) que la dangerosité, la nocivité et l’impéritie de Bastien Vivès, à savoir « son apologie de la pédocriminalité et de l’inceste », devait être d’autant plus dénoncée et condamnée qu’elle valait comme encouragement auprès du public lisant et appréciant les BD pornographiques de ce dessinateur. D’autres intervenants, dans les médias, la sphère gouvernementale comprise, le laissaient entendre sans pour autant le formuler explicitement. Il suffisait, pour ce faire, d’avancer que cette « apologie » tombait sous le coup de la loi, que ces ouvrages « délictueux » devaient par conséquent être interdits pour protéger notre belle jeunesse. Cela renvoie, je reviens à cet « encouragement », à de fausses évidences, à l’ignorance de certains mécanismes psychiques, ou encore à la volonté de ne pas tenir compte de ces derniers par souci « de ne pas chercher des excuses ». Car l’observation et la clinique nous apprennent que cela fonctionne sur un tout autre mode. Les fantasmes de ces lecteurs de BD pornographiques ne sont pas, a priori, différents de ceux de leurs auteurs. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’activité fantasmatique du lecteur, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">nous le soulignons expressément, est justement ce qui permet </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de ne pas passer à l’acte. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">On pourrait ajouter, en exagérant juste un peu, que les Bastien Vivès et cie font, au contraire, preuve de salubrité publique en neutralisant ainsi, par le biais de leurs fictions pornographiques, d’éventuels passages à l’acte. Tout comme, parallèlement, nous avons constaté de longue date que les adultes qui abusent des enfants, y compris dans le domaine familial, ne le font pas parce qu’ils auraient été autorisés à le faire par tel livre, tel film, ou telle BD.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> C’est l’occasion ici de rappeler qu’une oeuvre littéraire et artistique, du moins correspondant à des critères auxquelles répondent les BD de Bastien Vivès, possède cette capacité de susciter diverses interprétations. C’est aussi dire que l’imaginaire nous travaille tous différemment, y compris depuis ces zones d’ombres que la morale réprouverait. Il importe de défendre un indéfectible « droit à l’imaginaire », comme garant de la liberté des créateurs. Un monde où la représentation des fantasmes sur le plan artistique deviendrait suspecte ressemble à un songe totalitaire. A vrai dire cette argumentation, dès lors que des oeuvres sont mises à l’index, est généralement contournée puisque l’accent se trouve le plus souvent mis sur une « nouvelle demande de justice des victimes ». Ce qui signifie que les auteurs incriminés se comporteraient comme des apprentis sorciers, insoucieux des effets que leurs oeuvres provoquent sur certaines personnes fragiles. C’est d’ailleurs devenu l’un des ponts-aux-ânes de ce « populisme pénal », que les plus ignorants reprennent sans trop de discernement, et qui pour les autres relève de l’intimidation. Jamais le terme « victime » n’a été tant galvaudé. Cela devient grotesque quand il est rapporté aux femmes qui se font siffler dans la rue (ce qui devient d’ailleurs rarissime). On aurait presque envie de le réserver à celles pour qui cela n’arrive jamais. Et puis, surtout, il y a quelque indécence à s’exprimer ainsi en regard des véritables victimes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Je range l’exemple suivant dans la case BD, pour une raison que le lecteur comprendra. Objet de la polémique, un film bien connu de Walt Disney datant de 1937 (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blanche Neige et les sept nains</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) : film que les auteurs d’un article banal, consacré à la réouverture post endémique du parc Disney, estimaient cependant « problématique » parce que le baiser par lequel le prince réveille Blanche Neige était « non consenti ». Nous aurions pu en rester là avec cette tempête dans un verre d’eau, illustrée dans la presse mainstream, si la production de « Affaire en cours » sur France Culture, n’avait consacré l’une de ses émissions à cette polémique en invitant l’historien André Gunther. Cet universitaire reprenait un discours déjà entendu sur l’instrumentalisation du problème « par ceux qui critiquent l’américanéité du débat en France tout en utilisant une terminologie (cancel culture, woke) qui crée de l’intimidation depuis un problème sans consistance ». Gunther retenant principalement la volonté des partisans de l’autre camp de conserver des « modèles culturels » remis en cause « par le camp progressif ». Soit le type de discours que j’ai plus haut mentionné avant d’en venir à des exemples concrets. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> A vrai dire, cela n’était rappelé que pour mieux s’en prendre à un dessin de Coco dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Libération, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">où l’on voit le prince, qui se penche sur Blanche Neige en lui demandant « Je peux t’embrasser ? », s’entend répondre : « Quel coincé… J’ai couché avec 7 nains, je te rappelle ». Pour Gunther « Coco rit avec Fox News » (…) se moque d’une préoccupation tout à fait légitime et contre laquelle il n’y a pas beaucoup d’arguments à opposer ». Allons donc ! D’abord en amalgamant Coco et Fox News, l’universitaire s’efforce de nous persuader que toute critique de ce qu’il appelle des « nouveaux paradigmes moraux » nous jetterait de facto dans les bras des néoconservateurs, sinon pire. C’est, au choix, insultant ou stupide. Ensuite, ce dont Coco se moque - et comment ne pas reconnaître qu’elle touche juste ! - rend évidemment ridicule tout discours se référant ici à un consentement mis en conformité avec ces fameux « nouveaux paradigmes moraux ». Mais Gunther n’en a pas terminé avec le dessin de Coco puisqu’il ajoute : « Faire dire à Blanche Neige que l’embrasser n’est pas très grave parce qu’elle a déjà couché avec les 7 nains, c’est problématique au niveau du consentement et de la culture du viol ». Enfin la messe est dite : le dessin de Coco renvoie à la culture du viol ! Là Gunther devient raccord avec ce que nous avons déjà entendu en provenance d’associations féministes : tout baiser volé doit être considéré comme une agression sexuelle relevant de cette « culture du viol ». Aujourd’hui François Truffaut ne pourrait plus intituler son film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Baisers volés, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ni Charles Trenet écrire le vers de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Que reste-t-il de nos amours </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">repris par Truffaut.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Le lendemain, le 8 mai 2021, André Gunther récidivait en publiant un billet (« Cancel culture, mode d’emploi ») sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">encore plus vindicatif envers Coco. Je citerai juste l’avant dernière phrase : « Coco ne se rend pas compte que l’émancipation ce n’est pas la libération sexuelle - qui a fait beaucoup de Pierre Menès - mais le respect du consentement ». On se demande bien ce que Gunther entend par « libération sexuelle » en mentionnant Pierre Menès, un parangon de la beaufitude. A croire que notre universitaire confond « libération sexuelle » et libération du sexisme ! </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous allons aborder le continent littéraire par la chanson, celle des textes de Georges Brassens. Antoine Perraud lui a consacré quatre articles dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en août 2021. C’est le quatrième article (sur Brassens et les femmes), totalement à charge, qui nous intéresse ici. En préambule, signalons que Perraud, un an et demi plus tôt, dans un autre article publié sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(« Mes quarante ans d’aveuglement volontaire avec Gabriel Matzneff ») revenait sur le contenu et les péripéties de cet « aveuglement ». J’ajoute que cet article était paru quelques jours après la parution, fort remarquée et élogieusement commentée, du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Consentement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Vanessa Springora. Je laisse au lecteur le soin de l’associer ou pas à ce qui suit.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Je serai bref. Le titre exact de l’article (« Brassens pris aux mots : misogynie guère à part, phallocratie galopante ») annonce la couleur. A l’exception d’une seule chanson, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Jeanne, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Perraud s’efforce de nous prouver que Brassens cumule tous les traits négatifs envers les femmes : misogyne, phallocrate et sexiste. Pas moins de 40 chansons sont convoquées pour en convaincre les lecteurs. Ceux que ce détail intéresse peuvent se reporter à l’article « Perraud et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">passent Brassens à la moulinette de la </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">cancel culture</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ».(disponible sur le blog l’herbe entre les pavés : </span><a href="http://www.lherbentrelespaves.fr/" style="text-decoration-line: none;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; color: rgb(0, 0, 0); background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; text-decoration-line: underline; text-decoration-skip-ink: none; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">www.lherbentrelespaves.fr/</span></a><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) Je le résumerai de la façon suivante. Les analyses à l’emporte pièce, les commentaires affligeants, et les nombreux contresens de l’article d’Antoine Perraud ne peuvent s’adresser aux bons connaisseurs de l’oeuvre de Georges Brassens. Mais après tout là n’était pas son intention. Il suffit de disposer d’un logiciel qui intègre les items « culture du viol », « consentement », échange esclavagiste », « patriarcat », « féminicide », « tournante », et de les mettre en correspondance avec quelques vers choisis de l’Oncle Georges. De quoi donc satisfaire les ignorants, les déjà convaincus, ou des lecteurs des deux sexes pour qui l’auteur de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La mauvaise réputation </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">appartient à un monde révolu. En passant ainsi Brassens à ce genre de moulinette, Perraud ne semble pas réaliser qu’il apporte sa contribution à la rétrogradation de la culture en idéologie ; ou qu’il joue à l’apprenti sorcier en donnant la possibilité à d’autres, de censurer ou plutôt d’effacer une bonne partie du répertoire de Georges Brassens.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Retour, pour boucler la boucle, sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le consentement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Vanessa Springora. Mais auparavant, il nous faut dire deux mots de l’affaire portant le nom de Cohn Bendit en 2001 (dont « l’affaire Matzneff - Springora » est presque le papier-collé). Par delà l’accusation de pédophilie portée contre l’ancien éducateur d’un jardin d’enfants de Francfort, ce sont les prolongements de mai 68, la « libération sexuelle » des années 1970, mais aussi une certaine pensée libertaire, que l’on entendait discréditer sous l’accusation d’apologie de la pédophilie. Comme si cette « permissivité », dès lors évoquée, portait la responsabilité des abus sexuels relevés depuis cette période. Pourtant les auteurs incriminés, libertaires et autres, qui avaient alors porté la réflexion et écrit sur les relations sexuelles entre adultes et jeunes adolescents rappelaient tous qu’il était exclu de faire à quiconque quelque chose contre son gréé. Ce qui se traduisait par : ni violence, ni contrainte, ni rapport de domination, ni propriété sur autrui. Je signale que durant ce grand déballage de 2001, le nom Matzneff, contrairement à d’autres intellectuels accusés de complaisance jadis envers la pédophilie, n’avait pour ainsi dire pas été cité. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On a resservi pratiquement le même couvert fin 2019, début 2020. A la différence, qu’en dehors des milieux littéraires personne ne connaissait ce Gabriel Matzneff qui accédait brusquement à la notoriété, non pas depuis son statut et sa qualité d’écrivain mais comme monstre pédophile, prédateur en chef, porc balancé par l’une de ses nombreuses anciennes maîtresses (alors âgée de 14 et 15 ans à l’époque), devenue depuis la responsable des Éditions Julliard. Par conséquent, il est faux d’en faire « un célèbre écrivain quinquagénaire » lors de sa rencontre avec Vanessa Springora, comme le prétend la quatrième de couverture du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Consentement. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lui prêter en 1980 une telle notoriété permettait de charger la barque Matzneff auprès d’un public nullement informé de la situation de l’écrivain au siècle dernier. Quand Vanessa Springora indique dans son livre (elle prenait alors connaissance des passages la concernant dans le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Journal </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Matzneff) « qu’il a transformé notre histoire en fiction parfaite », on pourrait lui renvoyer le compliment. Car le doute persiste à la lecture de plusieurs passages du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Consentement</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> (celui sur Cioran en particulier). Encore fallait-il du temps, une trentaine d’années, pour que cette « fiction parfaite » version Springora puisse être rendue publique. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pourquoi avoir écrit un tel livre ? Constater, de longues années plus tard, qu’aucune des adolescentes séduites autrefois par Matzneff ne s’étaient depuis manifestée, n’a pas été sans contrarier notre autrice. Elle avance alors que l’emprise exercée par le beau Gabriel sur des « jeunes filles solitaires, vulnérables, aux parents dépassés ou démissionnaires » l’expliquerait. L’explication vaut pour elle, mais les autres ? D’ailleurs, si l’on en croit des passages de la fin du livre, il semblerait que dans le tableau des conquêtes du séducteur Vanessa Springora fasse plus figure d’exception que de modèle. Il nous faudrait lire ce « journal » (intitulé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La prunelle de mes yeux</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) pour se faire une idée plus précise. Malheureusement cet ouvrage, retiré de la vente au plus fort de « l’affaire Matzneff » (comme les autres ouvrages de l’écrivain), est introuvable. Sabine Prokhoris, à qui l’on avait prêté </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La prunelle de mes yeux, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">relève (dans son livre </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le mirage MeToo</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) que Matzneff, « le Don Juan aux douze amantes simultanées, dont il prit alors congé pour être tout entier (moins son ineffable passé) à celle dont il était fou amoureux, envisagea, écrit-il, très romanesquement, de l’épouser » (…) « Vanessa, ce n’est pas une </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">liaison, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">c’est un </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">amour, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">écrit-il » ». Voilà qui n’est pas sans quelque peu remettre en cause la version, univoque, de cette liaison dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le consentement.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Quand Vanessa Springora écrit qu’elle a hésité de publier son livre par « crainte du petit milieu qui peut-être protège encore Matzneff », à qui le fait-elle croire ? Comme dirait le camarade Staline : les soutiens de Gabriel Matzneff, combien de divisions ? Dans le même registre elle ajoute qu’elle « pourrait faire face à de violentes attaques de la part de ses admirateurs ; mais aussi d’anciens soixante-huitards qui se sentiraient mis en accusation parce qu’ils étaient signataires de cette lettre ouverte dont il était l’auteur ; peut-être même de certaines femmes opposées au discours « bien pensant » sur la sexualité : bref de tous les pourfendeurs du retour à l’ordre moral ». Voilà qui liste très précisément ce qu’il nous importe de reprendre. Premièrement. Qui a osé attaquer </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le Consentement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">lors de sa parution ? Personne ! Deuxièmement. Les signataires de la « lettre ouverte » de 1977 (la dénonciation d’une détention préventive de plus de trois ans envers des personnes accusées de pédophilie), du moins ceux qui étaient encore vivants, avaient adopté un profil bas depuis de longues années. Troisièmement. Le lecteur aura peut-être reconnu les cent signataires de la pétition improprement appelée « Du droit d’être importunées ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> La mention de « pourfendeurs du retour à l’ordre moral », m’incite à conclure sur le mode de « la réponse du berger à la bergère ». Dans une tribune publiée par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le Monde </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en juillet 2020 (un énième article sur « l’affaire Matzneff »), l’écrivaine Cloé Korman s’y référait dans un registre se voulant burlesque, puisqu’à la lire « l’ordre moral désigne désormais un monde où l’on ne peut plus violer tranquillement les enfants, ou les femmes de ménage, ou les prostituées, sans que cela fasse des vagues, à moins que l’ordre moral, ce soit quand on ne ne peut plus préserver le bien-être libidinal de certains au détriment de tous les autres ». Nous violons certes une multitude d’enfants et toutes les femmes de ménages noires répondant au prénom de Nafissatou, mais quand nous allions chez les prostituées (avant que ne soient pénalisés les clients dans le cadre de la loi abolitionniste de 2016), nous n’avions pourtant pas l’impression de les violer (ni elles ne l’être par nous). Ces mêmes prostituées, dont un rapport de Médecins du monde souligne l’augmentation des agressions sexuelles dont elles sont victimes depuis 2016. Et puis, pour paraphraser Bakounine, le bien-être libidinal des autres n’étend-il pas le mien à l’infini ?</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">janvier 2024</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; font-variant-position: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<br /></span></h2>LÉO FERRÉ (1916-1993), TRENTE ANS PLUS TARDurn:md5:4aba1b6d915e781d062a1da71f7158732023-12-21T14:01:00+01:002024-01-19T09:06:30+01:00Max VincentMusique2023Ferré<p><br _moz_editor_blogus_node="TRUE" _moz_dirty="" /></p> <p align="center" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<h2 style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR">LÉO
FERRÉ (1916-1993), TRENTE ANS PLUS TARD</span></span></h2>
<div><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></div><div><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></div><div><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></div><div><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></div><div><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></div><div><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></div><div><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></div><div><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></div>
<p align="center" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">S’il
faut en croire la critique spécialisée, Léo Ferré n’aurait plus
la cote : certains l’estiment démodé, d’autres pensent qu’il
n’est pas resté populaire (ou qu’il ne l’a jamais été),
d’autres encore affirment que le public contemporain se serait
dépris de ce type de répertoire. Mais le plus souvent le silence
est de rigueur. Son nom ne revient plus, ou rarement, dans les
florilèges, bilans, ou palmarès que la profession dresse de temps à
autre. D’ailleurs l’appellation « chanson » se trouve
quasiment remplacée par celle de « variétés », plus
appropriée : ces « variétés » que Ferré raillait et
brocardait en son temps. Mais doit-on prendre au pied de la lettre le
bilan relevé plus haut, établi par des prescripteurs, des critiques
influents ou les rédactions en chef des magazines ? Car un
contre-exemple, bien que daté de 2012, l’infirmerait. Il n’a pas
été médiatisé mais correspond davantage à ce qu’on pouvait
attendre d’un choix des professionnels de la profession dans ce cas
d’espèce. Il s’agissait d’une vaste enquête établie auprès
de 345 personnes (chanteurs, chanteuses, auteurs-compositeurs,
critiques et spécialistes de la chanson française) à qui l’on
demandait de citer, dans l’ordre, leurs dix chansons préférées.
Le classement final (présent dans l’ouvrage </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
top des cent chansons que l’on devrait tous connaître par coeur,
</em></span></span><span lang="fr-FR">par
Baptiste Vignol) a pu dérouter, voire indisposer ce journalisme
prescripteur qui ne jure que par les « talents » du jour
(ou qui s’attarde le cas échéant sur quelques « vaches
sacrées » des variétés). D’où ce relatif silence autour
de la parution de l’ouvrage qui s’en faisait l’écho. Dans
cette liste de cent chansons, pour ne s’en tenir qu’à lui, on
trouvait sept chansons interprétées par Léo Ferré (n° 65 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ton
style </em></span></span><span lang="fr-FR">;
n° 57 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’affiche
rouge </em></span></span><span lang="fr-FR">;
n° 50 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Est-ce
ainsi que les hommes vivent ? </em></span></span><span lang="fr-FR">;
n° 39 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Comme
à Ostende </em></span></span><span lang="fr-FR">;
n° 33 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vie d’artiste </em></span></span><span lang="fr-FR">:
n° 7 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer </em></span></span><span lang="fr-FR">:
n° 1 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Pour un chanteur auteur-compositeur, dont une partie de la caste
journalistique aurait oublié l’existence, il y avait là comme un
démenti réjouissant.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Mais
après tout, ce choix n’étant pas celui du public la question
reste posée. Et puis cet oubli, de notre point de vue, a au moins un
avantage. En 2016, l’année du centenaire de la naissance de Léo
Ferré, les chaînes de télévision s’étaient bien gardées -
heureusement ! - de nous infliger l’un de ces spectacles lénifiants
et consensuels que l’on réserve à « nos grands disparus »
à des fins commémoratives. Également le trentième anniversaire de
la mort de Ferré (2023) est passé presque inaperçu. Cependant, si
l’on tente d’expliquer cette « désaffection » envers
l’auteur de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps</em></span></span><span lang="fr-FR">,
plusieurs raisons doivent être mises en avant.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">La
première se rapporte à la poésie, devenue au fil des ans la
« parente pauvre » de la littérature. Ce qui n’est pas
sans incidence sur la manière de recevoir les chansons (parmi
d’autres, mais plus que d’autres) de Léo Ferré en ce début de
XXIe siècle). C’est l’occasion de rappeler que Ferré fut le
premier chanteur auteur-compositeur à figurer dans la prestigieuse
collection « Poètes d’aujourd’hui », chez Seghers.
Et puis il n’est pas donné à tout le monde d’écrire </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer, Poète vos papiers </em></span></span><span lang="fr-FR">ou
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour
fou </em></span></span><span lang="fr-FR">(pour
se limiter à ces trois titres). Cette déprise, confinant à
l’ostracisation de la poésie (jamais avouée il va sans dire), ou
encore cette incompréhension d’époque expliquent partiellement ce
rejet de Ferré, ou du moins d’une partie de son répertoire (trop
élitiste, diront les jocrisses). Il n’est pas inutile d’ajouter
que Ferré s’est révélé par ailleurs être un incomparable
passeur dans ce domaine, en mettant de la musique sur les vers de
Baudelaire, Apollinaire, Verlaine et Rimbaud (et de quelle manière
!), permettant ainsi à ceux qui n’avaient pas accès à la poésie
(ou qui disaient la refuser sans toutefois la connaître) de
découvrir ces quatre poètes majeurs.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
second lieu, de façon plus directe, les reproches, voire les
accusations portent sur le contenu d’une autre partie du répertoire
de Léo Ferré : à savoir l’aspect caustique, la dimension
contestataire, ou encore la tonalité anarchisante de nombreuses
chansons (associés à la virulence de l’interprétation). D’aucuns
se rassurent à bon compte en estimant que ce côté
« soixante-huitard » s’avère dépassé. En oubliant
que Ferré, dès ses débuts, fustigeait les pouvoirs, l’autorité,
l’armée, l’Église, toutes les oppressions. D’ailleurs
l’engagement libertaire du chanteur remontait à l’époque où
Ferré, qui n’avait pas encore enregistré le moindre disque,
chantait dans les cabarets de la rive gauche, et répondait à
l’appel du journal </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
libertaire </em></span></span><span lang="fr-FR">lors
de l’une des fêtes antimilitaristes que programmaient les
anarchistes tous les 11 novembre (auxquelles André Breton et Jacques
Prévert parfois se joignaient). Léo Ferré fut le premier en 1953 à
faire preuve d’une verve critique envers ce qu’on n’appelait
pas encore « la société de consommation » (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vitrines,
</em></span></span><span lang="fr-FR">qui
ne le cède en rien d’un point de vue poétique), ou la publicité
brocardée dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vise
la réclame. </em></span></span><span lang="fr-FR">Nul
comme Ferré n’a célébré « l’Espagne des camarades »
(dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Franco
la muerte, </em></span></span><span lang="fr-FR">plus
particulièrement), ou plus tard le joli mois de mai. Quand il crée
en janvier 1969, sur la scène de Bobino, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Madame
la misère </em></span></span><span lang="fr-FR">(« Ce
sont des enragés qui dérangent l’histoire »), qui savait
que le texte de cette chanson datait du milieu des années 1950 !
Ajoutons, revers de la médaille, que Ferré fut l’auteur-composteur
le plus censuré des années soixante, celles du gaullisme
(nombreuses étant ses chansons interdites sur les ondes des radios
nationales).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
troisième lieu, les reproches adressés au musicien Léo Ferré sont
en partie justifiés si l’on se réfère à certaines de ses
orchestrations, parfois redondantes, des quinze dernières années (à
la tête d’un orchestre symphonique). Mais que pèse cette
restriction par rapport à la diversité des genres musicaux que
Ferré, non sans bonheur, a emprunté : depuis la « musique de
guinche » des années 1950 jusqu’à la pop-music de l’après
68, en passant par la gageure de transformer </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson du mal aimé </em></span></span><span lang="fr-FR">d’Apollinaire
en oratorio (sans oublier l’apport, durant la plus grande partie
des « années Barclay », de l’excellent arrangeur
Jean-Michel Defaye). Les réussites abondent, y compris quand Ferré
entreprend d’écrire ses orchestrations (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ton
style</em></span></span><span lang="fr-FR">).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Enfin
Léo Ferré, sur qui maintes légendes ont été colportées, serait
un personnage détestable, outrancier, odieux, cabotin. Le
conditionnel s’impose, sinon plus. Ferré était d’abord un
écorché vif, d’une sensibilité exacerbée, un homme
d’indignation. En reconnaissant que le « personnage public «
a pu, dans une certaine mesure, interférer défavorablement sur
l’opinion d’une partie du public envers Ferré durant les années
1970, j’ajoute que les aléas et les servitudes du métier de
chanteur ne sont pas sans faire apparaître des contradictions chez
un artiste de la notoriété de Léo Ferré (en raison du contenu de
ses chansons, ou de ses déclarations publiques). Ce que ses
détracteurs n‘ont pas manqué de souligner. A ceux, dans un autre
registre, qui lui demandaient si cela ne le gênait pas de gagner de
l’argent avec ses idées, Ferré répondit dans « Et… basta
!</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>
« </em></span></span><span lang="fr-FR">que
cela ne le gênait pas non plus de n’en pas gagner autrefois avec
ses idées, restées les mêmes. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Il
est vrai que le Ferré de ces années post-soixanthuitarde, compte
tenu de son répertoire, et de son ascendant auprès de la « jeunesse
contestataire », jouait parfois avec le feu. D’aucuns, dans
les rangs de cette jeunesse-là, le prirent pour un « gourou
politique » (un fâcheux contresens), et cela étant lui
réclamèrent des comptes. Ceci bien entendu à l’aune de la
célébrité alors de Léo Ferré. Des incidents pendant plusieurs
années émaillèrent quelques uns de ses concerts. Certains
spectateurs refusaient de payer alors que les prix des places de ces
« concerts Ferré » étaient généralement plus bas que
ceux habituellement pratiqués par les « têtes d’affiche »
de la chanson. On ne peut passer sous silence la campagne
d’incitation à la haine, voire au meurtre, déclenchée par
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’idiot
International </em></span></span><span lang="fr-FR">et
son directeur, Jean-Edern Hallier (l’un des personnages abjects de
cette seconde moitié de XXe siècle). Dont l’évolution ensuite
vers une idéologie « rouge-brun » paraissait déjà
prévisible.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
1955, André Breton évoquait « la ramée qu’est de nos jours
la chanson de Léo Ferré en tant que parfaite fusion organique de
tous les dons de poète, de musicien, d’interprète », puis
l’illustrait par des titres représentatifs des volets « lyrique »
et « séditieux » de ce répertoire (plus ceux qui
prolongeaient « le Paris de Baudelaire et d’Apollinaire »
à l’instar de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
canaille</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Pourtant l’arbre Ferré n’avait pas encore donné tous ses
fruits, de très nombreux autres fruits - parmi les plus beaux ! -
restaient encore à cueillir. La postérité prend des allures de
garce quelquefois. C’est pourquoi on ne saurait trop rappeler que
Léo Ferré, pour conclure sur cette donnée essentielle, reste
indissociablement lié à Georges Brassens et Jacques Brel pour
désigner le meilleur de la chanson française au XXe siècle.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Ce
petit essai sur Léo Ferré privilégie l’oeuvre, conséquente, de
l’auteur-compositeur-interprète en s’attardant, le cas échéant,
sur les périodes les plus significatives ou les plus représentatives
d’une carrière débutée dans les lendemains de la Libération et
achevée en 1993, date de la mort du chanteur. L’élément
biographique n’est ici pris en compte que dans la mesure où il se
retrouve en chanson. Indépendamment de ce que l’exercice requiert
en terme d’exhaustivité, le projecteur sera mis sur plusieurs
chansons qui, pour des raisons diverses, n’ont pas la notoriété
de celles qui figurent dans ce que l’on retiendrait aujourd’hui
du répertoire de Léo Ferré.</span></span></p>
<p style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LE
CHANT DU MONDE</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Léo
Ferré, qui chante depuis 1946 dans les cabarets parisiens (et dont
trois chansons (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Elle
tourne la terre, La chambre, Les amants de Paris, </em></span></span><span lang="fr-FR">se
trouvent inscrites dans les répertoires respectivement de Renée
Lebas, d’Yvette Giraud et d’Édith Piaf) enregistre une série de
78 t pour le Chant du Monde. Les douze chansons enregistrées vont se
retrouver ensuite, à une exception près, sur un disque 25 cm (33 t
donc). Plusieurs d’entre elles sont depuis devenues des
« classiques » chers aux féréens de la première heure.
Nous sommes en 1950 : c’est déjà du Léo Ferré mais il ne s’agit
pas tout à fait encore de celui qui nous deviendra familier, par la
suite. Ce répertoire illustre, parmi d’autres, ce renouveau de la
chanson française de l’après guerre. En particulier à travers
l’apparition d'une génération d’auteurs-compositeurs dont Ferré
serait la tête de proue. Cependant, si l’on peut se permettre une
première comparaison, ces chansons gravées dans la cire du Chant du
Monde n’ont pas ce caractère de « totalement inédit »
ou de « singularité absolue » des premiers Brassens,
enregistrés deux ans plus tard. Ce disque 25 cm représente
néanmoins une date importante dans l’histoire de la chanson de ces
année-là, et apporte un témoignage précieux sur un mode
d’expression, celui du cabaret (signalons que Ferré s’accompagne
seul au piano) qui disparaîtra progressivement dans la seconde
partie des années 1950. En effet, cette manière qu’à Ferré, du
moins dans certaines chansons, de pousser sa voix sur un mode
déclamatoire ne peut que renvoyer à ce qui dans cette expression,
liée au cabaret, a le plus vieilli.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Au-delà
de l’interprétation proprement dite, ces chansons sont empreintes
d’un certain classicisme. Cette terminologie ne vient pas
naturellement sous la plume avec Léo Ferré. Pourtant, j’y
reviendrai avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’étang
chimérique </em></span></span><span lang="fr-FR">et
quelques autres titres, nous pourrions évoquer quelque tradition. A
vrai dire ce sont plusieurs traditions qu’il faudrait convoquer :
celle d’abord de la chanson dite « traditionnelle »,
mais aussi de « la chanson réaliste », voire du registre
« diseur ». Cependant, si l’on se replace dans le
contexte de l’après guerre, il n’est pas interdit d’entendre
dans ce disque Chant du monde comme un écho d’une modernité
propre à l’époque. Cela vaut surtout pour les textes. Enfin
parler à la fois de classicisme et de modernité signifie que Ferré,
alors à la croisée des chemins, n’a pas encore tout à fait
trouvé sa voix (et sa voie).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Le
fait que Léo Ferré s’accompagne au piano n’est pas sans donner
une couleur particulière à ces chansons de la première heure. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
bateau espagnol, </em></span></span><span lang="fr-FR">de
ce point de vue-là, n’est rien moins qu’emblématique. D’emblée
on prend la mesure des qualités du compositeur. De surcroit
l’accompagnement pianistique s’avère remarquable : on y entend
des réminiscences espagnoles mais aussi quelque chose d’implacable
qui n’est pas sans évoquer certaines oeuvres de Janacek. Le
classicisme du texte (« J’étais un grand bateau descendant
la Garonne / Farci de contrebande et bourré d’espagnols / Les gens
qui regardaient saluaient la madone / Que j’avais attaché en poupe
par le col ») explique la longévité d’une chanson qui
trouvait naturellement sa place dans les derniers récitals de Ferré.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">L’Espagne
se retrouve également au programme du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Flamenco
de Paris </em></span></span><span lang="fr-FR">(l’accompagnement
au piano l’illustre particulièrement), et pas n’importe laquelle
! Celle dont Ferré nous entretient réapparaîtra plusieurs fois
sous sa plume. Ici elle n’est encore que suggérée : la violence
du propos et les références explicitement libertaires viendront
plus tard. On pourrait dire la même chose de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
Tout-Blanc. </em></span></span><span lang="fr-FR">Il
s’agit d’un « adresse au Pape » version Léo Ferré.
René Belleret, dans son ouvrage biographique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Léo
Ferré</em></span></span><span lang="fr-FR">,
rappelle justement que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
Tout-Blanc </em></span></span><span lang="fr-FR">« était,
et reste sans doute, la seule chanson à dénoncer, par une allusion
explicite, l’impardonnable silence du pape Pie XII face à la
déportation massive des Juifs par les nazis et aux camps
d’extermination de la Seconde guerre mondiale » : (« Monsieur
Tout-Blanc entre nous dites / Rappelez-vous / Y’a pas longtemps /
Vous vous taisiez »). Pour la première fois Ferré monte au
créneau pour fustiger le personnage principal de la chrétienté.
Après, il s’en prendra directement à Dieu.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Les
textes de deux chansons de ce 25 cm ont été écrits en
collaboration avec Francis Claude : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vie d’artiste </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’île
saint-Louis. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
première est le seul exemple (avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson triste </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
copains d’la neuille</em></span></span><span lang="fr-FR">)
d’un titre enregistré trois fois dans la carrière du chanteur. Je
reviendrai plus longuement sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vie d’artiste </em></span></span><span lang="fr-FR">lors
de sa troisième version. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’île
Saint-Louis </em></span></span><span lang="fr-FR">nous
paraît appartenir à un temps où les chansons savaient raconter des
histoires. Les tribulations de cette île, qui largue ses amarres
pour s’en aller vivre loin de son « vieux Paris », nous
rendent l’île Saint-Louis plus attachante que sa voisine de la
Cité. Il est vrai que Ferré y met toute sa conviction, même si
l’on peut trouver son interprétation quelque peu affectée. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">La
chanson la plus diffusée alors à la radio, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson du scaphandrier</em></span></span><span lang="fr-FR">
(également dans la version d’Henri Salvador) flirte, l’air de
rien, avec le surréalisme. C’est l’un des deux textes de René
Baert (l’autre étant </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chambre, </em></span></span><span lang="fr-FR">d’une
autre envergure), mis en musique par Léo Ferré. Dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
Saint-Germain des Prés </em></span></span><span lang="fr-FR">(aussi
interprétée par Henri Salvador), Ferré évoque - et encore en
direct - ses années de galères dans le Paris de l’immédiate
après guerre, celles des courses au cacheton dans les cabarets de la
rive gauche. Ferré, cependant, personnalise moins sa situation qu’il
ne convoque poètes connus et moins connus pour en témoigner :
« Regardez-les tous ces voyous / Tous ces poètes de deux sous
et leur teint blême / Regardez-les tous ces fauchés / Qui font
semblant de ne jamais finir la s’maine ». Et il ajoute :
« Ils sont riches à crever, d’ailleurs ils crèvent ».
Tout est dit, et dans le ton convenu. Pus tard Ferré reviendra sur
ces « années cabarets ». Sans trop de nostalgie cependant,
l’heure sera plutôt celle des règlements de compte.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Parmi
les autres chansons de ce 25 cm, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
forains </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Barbarie
</em></span></span><span lang="fr-FR">se
situent dans la tradition de « la chanson réaliste »,
tout en la renouvelant. Ce sont deux petits bijoux, chacun dans leur
genre. Leur atmosphère évoque celui du cinéma dit « réaliste
poétique » que Ferré ne pouvait ne pas connaître. On
imagine, pour clore la liste, que les illustratives </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’esprit
de famille </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’inconnue
de Londres </em></span></span><span lang="fr-FR">faisaient
un tabac dans certains cabarets, et un bide dans d’autres (cela
dépendait du public). L’esprit chansonnier s’y fait entendre par
la bande. D’ailleurs Ferré en rajoute, dans l’interprétation.
C’est en ce sens que ces deux chansons datent plus que les autres,
et resteront sans véritable descendance. On ne boudera néanmoins
pas son plaisir en citant par exemple dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’esprit
de famille </em></span></span><span lang="fr-FR">:
« Ma mère avait alors un tic / C’était le complexe d’Oedipe
/ Ce n’est peut-être pas très chic / Mais j’avais déjà des
principes ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Seule,
de toutes les chansons d’abord sorties en 78 t, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
temps des roses rouges </em></span></span><span lang="fr-FR">ne
figure pas sur ce 25 cm (elle se retrouvera plus tard sur le 33 t
Barclay reprenant les chansons que nous venons de citer). Est-ce son
contenu (« Mon couteau s’en ira / Faire de la poésie »,
ou « On éteindra le jour / De tous ces gens de cour »)
qui a dissuadé Chant du monde de la reporter sur ce 25 cm ?
L’interprétation de 1950 il est vrai dessert plutôt cette
chanson. Il est préférable de l’entendre dans la version
orchestrale de 1969. Sachant que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
temps des roses rouges </em></span></span><span lang="fr-FR">est
la plus ancienne des chansons de Léo Ferré enregistrées sur 78 t
en 1950, comment ne pas reconnaître que ce coup d’essai se
révélait être un coup de maître.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">DE
SAC ET DE CORDES</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Du
vivant de Léo Ferré fut diffusé sur France Culture une émission
radiophonique (« De sac et de cordes ») datant du 12
janvier 1951. Il s’agit d’un document précieux, essentiel, sur
le « premier Ferré ». Écrit par Léo et Madeleine
Ferré, cet « oratorio radiophonique » nous permet
d’entendre une dizaine de chansons, dont certaines (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson foraine, Le bateau espagnol, Barbarie, L’inconnu de
Londres</em></span></span><span lang="fr-FR">)
avaient été enregistrées l’année précédente. On y entend
également </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Frères
humains </em></span></span><span lang="fr-FR">(sur
un poème de Villon), que Ferré reprendra en 1981 sur une musique
différente, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vison
l’éditeur </em></span></span><span lang="fr-FR">(reprise
elle encore plus tard sur l’album « Les vieux copains »),
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>En
amour </em></span></span><span lang="fr-FR">(qui
sera enregistrée deux ans plus tard pour Odéon), et plusieurs
chansons restées inconnues du vivant de Ferré. Toutes ces chansons,
précision utile (à l’exception de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’inconnue
de Londres, </em></span></span><span lang="fr-FR">chantée
par l’auteur), sont interprétées par des chanteurs de l’Opéra
Comique. Léo Ferré a orchestré tous les morceaux, et dirige
l’Orchestre de la Radio diffusion française. C’est l’autre
Ferré, le musicien, qui tient le devant de la scène. Ses
orchestrations, et les interprétations de la troupe, dans l’esprit
de l’opéra comique de ces années-là, portent indiscutablement la
marque de l’époque. Le compositeur Léo Ferré se situe dans une
postérité post-debussyste, ou post-ravelienne, La couleur musicale
peut renvoyer par moments à une esthétique de type « musique
de film », caractéristique du cinéma français de l’après
guerre (d’ailleurs souvent écrire par des compositeurs de musique
classique). Entre chaque chanson, ou chaque argument musical, un
récitant dit un texte. Là nous retrouvons un Ferré davantage
familier, auquel l’oeuvre à venir rendra justice. Il y est
question d’une vie « plus belle que le Technicolor »,
d’une jeune bohémienne, des gens du voyage, de Londres vu de la
Tamise, d’un bateau partant au grand large, de pirates, de l’amour
d’une femme, de la prison, des « Judas d’Europe ou bien
d’ailleurs », de « ce petit soldat qui deviendra
grand », etc. Donc un avant-goût de l’univers du Ferré que
l’on apprendra à découvrir disque par disque. Un dernier mot sur
le nom du récitant : Jean Gabin. Comme si le comédien, alors plutôt
au creux de la vague, renouait avec le Gabin d’avant guerre pour
retrouver, le temps d’une émission radiophonique, le personnage
des films de Carné, voire de Duvivier, Gremillon ou Renoir.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LES
ANNÉES ODÉON EN 78 TOURS</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
1953 Léo Ferré retrouve le chemin des studios d’enregistrement.
Il y inaugure ce que nous appelons « les années Odéon ».
De 1953 à 1958 il y enregistrera sous ce label une cinquantaine de
titres en studio, deux disques en public, le premier des albums
consacrés à Baudelaire, et un oratorio d’après </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson du mal aimé </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Guillaume Apollinaire. Parmi les chansons créées durant cette
période, une trentaine d’entre elles figuraient sur plusieurs
albums de compilation disponibles depuis les années 1960. Le tiers
de ces « chansons Odéon » était donc passé à la
trappe. Il faudra attendre 1993 pour que paraisse l’indispensable
coffret CD regroupant toutes les chansons enregistrées sous la firme
Odéon. Ce qui signifie que durant la plus grande partie de la
carrière de Léo Ferré, du moins depuis le début des « années
Barclay », nous n’avions pas la possibilité d’entendre des
chansons du calibre de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Et
des sous, Vise la réclame, L’été s’en fout, Tahiti </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>En
amour </em></span></span><span lang="fr-FR">:
seul l’ouvrage de Charles Estienne sur Ferré les mentionnait dans
sa discographie en fin de volume.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Durant
ces cinq années Léo Ferré se fait connaître autant comme
auteur-compositeur que comme l’interprète de ses chansons. Ferré,
qui déjà « se trouve » en tant qu’auteur (quelques
unes des chansons de cette époque font partie de ses « grands
crus), continue à se chercher sur le plan de l’interprétation. Il
suffit de comparer les enregistrement studio et publics pour le
vérifier. Je distinguerai trois type de chansons dans ce « cycle
Odéon » : celles chantées par le seul Léo Ferré, celles
marquées par d’autres interprétations que la sienne, et celle
composées sur des textes de Jean-Roger Caussimon (à qui je
consacrerai un chapitre).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
1953 Léo Ferré enregistre une série de 78 t, soit onze chansons.
Deux d’entre elles connaissent le succès, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
William </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
Canaille, </em></span></span><span lang="fr-FR">autant
la première que la seconde dans d’autres interprétations,
également. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Sous
le pont Mirabeau </em></span></span><span lang="fr-FR">inaugure
le cycle « Ferré chante les poètes ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chambre </em></span></span><span lang="fr-FR">(le
second texte de René Baert a être mis en musique) est un inventaire
au charme suranné, néanmoins transfiguré par le « miracle de
l’art ». Passons sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
cloches de Notre Dame </em></span></span><span lang="fr-FR">(sur
ce thème un brin populiste, Ferré fera mieux par la suite), pour en
venir aux deux « curiosités » de cette première salve
Odéon : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Martha
la mule </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
grandes vacances. </em></span></span><span lang="fr-FR">Il
y avait de quoi en 1993 s’interroger sur pareille découverte.
Parce que c’est sans doute l’unique exemple dans cette longue
carrière où nous n’avons pas l’impression d’entendre du Léo
Ferré. Ces deux bluettes évoquent plutôt Trenet, voire (pour la
seconde) le Brel « idéaliste » des tous premiers
disques. Cette veine, on le comprend en connaissant la suite, restera
sans lendemain. Ferré avait certainement conservé un faible pour </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>En
amour, </em></span></span><span lang="fr-FR">puisqu’il
reprendra cette chanson dans « Les vieux copains ». Plus
significatives, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Judas
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Et
des sous </em></span></span><span lang="fr-FR">témoignent
de l’évolution de Ferré depuis 1950. Ces deux chansons ouvrent de
nouvelles perspectives, du moins musicales : c’est principalement
le son que l’on entendra durant ces « années Odéon ».
</span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
Canaille </em></span></span><span lang="fr-FR">est
indissociablement liée à Catherine Sauvage, l’exceptionnelle
interprète de la plupart des succès de Léo Ferré dans les années
1950. Il faut dire que sa gouaille fait merveille dans ce répertoire.
Certaines de ses versions s’avèrent même supérieures à celles
de l’auteur, les arrangements musicaux du tout jeune Michel Legrand
n’y étant pas étrangers. Mais il convient de s’arrêter sur
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
Canaille </em></span></span><span lang="fr-FR">car
Ferré créait là un style. Je veux parler de celui qui deviendra sa
« marque de fabrique » pour les années à venir. Mettre
de la musique sur de tels vers ne semblait pas à la portée de tout
le monde. Il y avait de quoi être surpris par ce texte casse-gueule
: mais inventif au possible dans ce registre populaire où Ferré
excelle (« Hold up savants / Pour la chronique / Tractions
avants / Pour la tactique / Un p’tit coup sec / Pour l’diapason /
Rang’ tes kopecks allons ! / Sinon t’es bon ») et qui ne
ressemble qu’à lui. Signalons que Catherine Sauvage créait à la
même époque </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
amoureux du Havre, </em></span></span><span lang="fr-FR">une
chanson que Léo Ferré n’a jamais enregistré.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Je
reviendrai longuement plus loin sur la onzième chanson, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vitrines.
</em></span></span><span lang="fr-FR">Un
an plus tard (1954), Léo Ferré enregistrait quatre chansons
(toujours sur 78 t). Sa première adaptation d’un texte de
Jean-René Caussimon (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
la Seine</em></span></span><span lang="fr-FR">),
la négligeable </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
parvenu</em></span></span><span lang="fr-FR">)
qui fait figure de « parent pauvre » dans un ensemble
comprenant deux titres phares de ces « années Odéon » :
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’homme
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
piano du pauvre</em></span></span><span lang="fr-FR">.
La première, un portrait à charge du « sexe fort »
(« La chasse à courre chez Bertrand / Le dada au bois de
Boulogne / Deux ou trois coups pour le faisan / Et le reste pour
l’amazone / C’est l’homme ») l’est concomitamment
d’une bourgeoisie brocardée avec bonheur. Tout est juste dans
cette galerie de portraits, y compris sur la façon dont l’homme
s’arrange avec le temps qui passe (« Les tempes grises sur la
fin / Les souvenirs qu’on raccommode / Avec de vieux bouts de satin
/ Et des photos sur la commode »). Tout comme </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
Canaille </em></span></span><span lang="fr-FR">on
peut préférer la version de Catherine sauvage. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
piano du pauvre </em></span></span><span lang="fr-FR">sera
l’une des chansons les plus diffusées de Léo Ferré durant cette
période Odéon puisque de nombreux interprètes l’inscriront dans
leur tour de chant, dont Catherine Sauvage. Il s’agit de la
première des chansons consacrées par Ferré au piano à bretelles.
Ici le ton reste badin, bon enfant, populeux, et l’on y « joue
sans façon / des javas perverses ». Tout le contraire, ou
presque, de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mister
Giorgina </em></span></span><span lang="fr-FR">crée
dix ans plus tard sur le même thème.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Six
mois seulement séparent ces enregistrements des suivants (quatre
autres 78 t). Ce n’est plus Jean Faustin qui tient la baguette de
chef d’orchestre mais Léo Ferré en personne. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Notre
Dame de la mouise </em></span></span><span lang="fr-FR">traite
comme son titre l’indique des difficultés matérielles de
l’existence, de la dèche donc. Un thème que Ferré déclinera
dans d’autres chansons de cette période Odéon. Avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Notre
Dame de la mouise </em></span></span><span lang="fr-FR">la
déploration se fait cependant discrète (« Allez, si les
fleurs sont trop chères / Je tâcherai de m’en passer »).
Dans un tout autre registre, la première référence explicite à
l’anarchie, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Graine
d’ananar, </em></span></span><span lang="fr-FR">promène
ses couplets goguenards d’un gibet à une potence, certes : « Mais
auparavant / J’aurais comm’ le vent / Semé quelque part / Ma
grain’ d’ananar ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Merci
mon dieu </em></span></span><span lang="fr-FR">inaugure
un genre, du moins sur le plan formel, Léo Ferré, ensuite,
reprendra en d’autres occasions cette forme psalmodiée, proche de
la prière. Celle-ci est adressée à Dieu, remercié en quelque
sorte pour toutes les saloperies qui font la condition humaine.
L’accompagnement musical, en s’amplifiant, renchérissant sur
cette « ferveur négative ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
p’tit voyou, </em></span></span><span lang="fr-FR">en
revanche, est desservie par une orchestration rutilante, ravelienne,
presque incongrue. Les mots se perdent dans ce malstrom musical. Il
est préférable d’entendre ce </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>P’tit
voyou </em></span></span><span lang="fr-FR">dans
la version, sobrement accompagnée au piano, enregistrée en 1955
lors du récital de Ferré à l’Olympia.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LES
ANNÉES ODÉON : LA CÉSURE</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
janvier et février 1955, Léo Ferré enregistre une dernière série
de 78 t. Ces huit titres ne figurent pas parmi les chansons les plus
connues de ces années Odéon. Cela s’avère particulièrement
regrettable pour </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vise
la réclame </em></span></span><span lang="fr-FR">(commentée
ci-dessous). Trois titres de ce cycle passés également à la trappe
seront cependant repris en 1990 dans l’album « Les vieux
copains ». En premier lieu </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson triste </em></span></span><span lang="fr-FR">(reprise
également en 1958 dans une version différente de celle de la
création), dont on souligne le caractère intemporel avec sa musique
qui semble venue du fond des âges. Le texte (« Et disant mes
vers à mes vers dociles / Qui m’auront rêvé autrement que moi »)
relève de cette « veine classique » signalée
précédemment. La seconde, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>En
amour, </em></span></span><span lang="fr-FR">représente
un cas particulier. Cette chanson n’est-elle pas passée à côté
de son destin ? Car elle possédait des qualités propres à la
rendre populaire : une mélodie relativement simple, et des paroles
qui viennent le plus naturellement du monde se greffer dessus. Son
insuccès serait-il dû à l’accompagnement musical rudimentaire,
voire austère. On aurait envie d’écrire une orchestration sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>En
amour, </em></span></span><span lang="fr-FR">avec
pourquoi pas la présence d’un choeur d’enfants pour le refrain.
Avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
fleuve des amants, </em></span></span><span lang="fr-FR">plus
anodine, indiquons que ces trois chansons sont accompagnées par une
seule guitare.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Les
autres titres de cette ultime série de 78 t sonnent différemment.
Nous retrouvons à la tête de l’orchestre le toujours excellent
Jean Faustin. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
rue, L’âme du rouquin, La vie </em></span></span><span lang="fr-FR">(« La
vie / Un’ foutue peau / Mais comme c’est la mienne / Moi j’y
tiens ») appartiennent à la veine populaire de Léo Ferré.
Dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
mon passé, </em></span></span><span lang="fr-FR">repassent
les ombres de Chaplin, d’un vieux banjo et d’un guignol : « Où
pour deux solos / On jouait des tas d’machins ». C’était
l’année 1925, précise l’auteur, alors, n’est pas, « Monsieur
mon passé, laissez-mois passer ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Au
mois de novembre de la même année sort le premier « vrai »
33 t de Léo Ferré : les précédents reprenaient des chansons déjà
gravées sur 78 t. C’est sans doute l’un des plus singuliers de
la carrière de notre chanteur : l’unique accompagnement à l’orgue
étant assuré par Ferré (à l’exception de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ma
vieille branche, </em></span></span><span lang="fr-FR">accompagnée
au piano). Dans ce lot, du point de vue de la notoriété se détache
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pauvre
Ruteboeuf. </em></span></span><span lang="fr-FR">Les
vers de Ruteboeuf, un poète méconnu du XIIIe siècle, reçoivent
l’une des plus belles mélodies de Léo Ferré. Nous ne sommes pas
près d’oublier ces « Que sont mes amis devenus / Que j’avais
de si près tenus / Et tant aimés ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pauvre
Ruteboeuf </em></span></span><span lang="fr-FR">à
d’ailleurs été reprise par de nombreux interprètes, dont Joan
Baez. Au sujet du vers suivant (« Et droit au cul quand bise
vente »), une légende, pourtant reprise dans l’excellente
biographie de Robert Belleret, impute à Cora Vaucaire sa
transcription en « Et droit au coeur quand bise vente ».
Ce qui paraissait étonnant de la part d’une interprète que Ferré
appréciait (se reporter dans le détail à « Et… basta ! »),
qu’il avait maintes fois croisée dans les cabarets de la rive
gauche, et même dans l’un des galas du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monde
libertaire. </em></span></span><span lang="fr-FR">Dans
la version en public de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pauvre
Ruteboeuf, </em></span></span><span lang="fr-FR">conservée
par l’INA, Cora Vaucaire chante bien « Et droit au cul »
et non « Et droit au coeur ». Ajoutons que Cora Vauraire
enregistra cette chanson en 1957 mais qu’il fallut attendre 1999
pour la retrouver sur un album de la « dame blanche de St
Germain des prés ». La responsable de ce ridicule escamotage
n’est autre que Nana Mouskouri qui, en remplaçant « droit au
cul » par « droit sur moi », provoqua la légitime
colère de Ferré.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Deux
autres titres de ce 25 cm méritent d’être distingués. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
temps du plastique </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour.
</em></span></span><span lang="fr-FR">Cette
dernière chanson traite évidemment de l’amour, ou plutôt de
l’amour fou (que Léo Ferré déclinera, littéralement parlant,
quinze ans plus tard). Mais ici (« Quand y’a la mer et puis
les ch’vaux / Qui font des tours comme au ciné / Mais qu’dans
tes bras c’est bien plus beau / Quand y’a la mer et puis les
ch’vaux »). L’interprétation de Ferré, et son subtil
accompagnement à l’orgue ne sont pas pour rien dans la réussite
de cette chanson. Il en sera également question dans la section
suivante consacrée aux relations du chanteur avec le surréalisme.
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
temps du plastique </em></span></span><span lang="fr-FR">s’apparente
à une pochade. L’ironie de Ferré fait merveille tout au long de
ce petit chef d’oeuvre plus grave qu’il n’y paraît.
L’accompagnement à l’orgue, dans un tout autre registre que dans
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour,
</em></span></span><span lang="fr-FR">ne
cède rien sur le plan de l’ironie à celle du texte. On ne trouve
pas dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
temps du plastique </em></span></span><span lang="fr-FR">de
référence directe à l’anarchie, mais le glissement sémantique
de plastique à plastic nous ramène plus d’un demi-siècle en
arrière, à la « belle époque » des attentats
anarchistes.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Je
n’en dirais pas de même, juste sur cet angle-là, avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
guinche. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
version enregistrée plus tard à Bobino, avec l’efficace soutien
de l’accordéoniste Jean Cardon, déménage davantage. Le piano à
bretelle c’est quand même mieux pour vous inviter à guincher ! La
comparaison s’impose également avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
fortune </em></span></span><span lang="fr-FR">(qui
ouvrira ce concert Bobino de janvier 1958) : l’interprétation en
public, avec un orchestre ad’hoc rend davantage justice à cette
chanson de bonne confection, typique du Ferré de ces années-là.
Huitième et dernière chanson de ce 25 cm, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
grande vie </em></span></span><span lang="fr-FR">prolonge
d’une certaine façon </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Notre
Dame de la mouise </em></span></span><span lang="fr-FR">:
les rêves certes des pauvres devant la « grande vie »
des riches, mais sans en être tout à fait dupe cependant. Quelque
chose d’une morale (ou d’un constat) étant délivré in fine :
« Rentrer chez nous comm’ des moineaux / P’têt’ sans un
sou mais comme il faut / Avec toujours dans un p’tit coin / Un coin
d’amour qui valait bien / La grand’ vie, moi j’te dis / La
grand’ vie ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">VITRINES
ET VISE LA RÉCLAME</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">Revenons
quelque peu en arrière avec deux chansons pas vraiment connue du
grand public. En revanche, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vitrines
</em></span></span><span lang="fr-FR">ne
l’était assurément pas des féréens toutes époques confondues,
puisque Ferré l’a reprise tout au long de sa carrière en public
où chaque fois elle faisait un tabac. N’étaient-elles pas
prémonitoires ces </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vitrines
</em></span></span><span lang="fr-FR">de
1953, de longues années avant ce qu’il conviendra d’appeler « la
société de consommation », brocardée ici par Ferré avec des
bonheurs d’écriture : « Les vitrines de l’avenue/ Font un
vacarme dans les yeux / A rendre aveugles tous les gueux / Des fois
qu’ils en auraient trop vu ». Sans oublier la musique,
soutenue par une orchestration (entre Kurt Weill et Maurice Jaubert)
qui s’accorde à la virulence du texte (« Le sang qui coul’
plein à la une / Et qui se caille aux mots croisés / « France
Soir », « Le Monde » et la fortune / Devant des
mecs qu’ont pas bouffé »). Et puis, pour ne rien oublier, ne
lisait-on pas en mai 68 sur les murs de Paris « La vitrine
appelle le pavé ». Il n’est pas interdit de trouver dans
cette chanson, l’une des meilleures de Léo Ferré, une critique
déjà avant la lettre de celle de la marchandise, avant ces
sociologues « radicaux » qui la documenteront, et les
situationnistes qui l’illustreront de manière plus décisive. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Sans
atteindre ces sommets, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vise
la réclame, </em></span></span><span lang="fr-FR">un
an plus tard, se situe néanmoins dans la continuité de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vitrines
</em></span></span><span lang="fr-FR">en
s’en prenant directement à la publicité (« Ma pin-up faut
pas t’gêner / Son corps est polycopié / Vis’ la réclame / Elle
a des bas remaillés / Par les yeux à tricoter / Vis’ la réclame
/ Arrête toi client / Accroche bien tes voyants / A son corsage /
Les murs ça fait bouger / Mais comm’ la môme est figée / Nib de
ramage »). Ferré, là aussi, le premier (en même temps que
Boris Vian qui avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
complainte du progrès </em></span></span><span lang="fr-FR">traitait
du même sujet sous un angle plus sociologique) brocardait la
publicité appelée encore en 1955 « la réclame ». On
regrette d’autant plus la disparition de cette chanson dans la
discographie de Ferré après 1960. Ou qu’elle n’ait pas été
reprise dans son tour de chant de l’après 68 : elle y aurait
trouvé naturellement son public. Il faudra donc attendre la parution
du coffret Odéon de 1993 pour la découvrir.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">JEAN-RENÉ
CAUSSIMON</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Dès
1953, et même avant, si l’on en croit les bandes exhumées par le
Chant de Monde pour ce qui concerne </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
William, </em></span></span><span lang="fr-FR">Léo
Ferré chantait Jean-René Caussimon, Ce sarcastique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
William</em></span></span><span lang="fr-FR">
(repris par Catherine Sauvage, Philippe Clay, Les Frères Jacques, et
d’autres) figure dans la première série des 78 t enregistrés
sous le label Odéon. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
la Seine, </em></span></span><span lang="fr-FR">enregistrée
un an plus tard, est moins connue. On ne peut que s’en plaindre. Le
son, l’accompagnement à l’accordéon (de l’excellent Jean
Faustin), rappellent le climat musical de certains films des années
1930. Le choix de ce poème de Caussimon, d’un abord plus difficile
que d’autres textes de cet auteur, ne peut qu’étonner l’auditeur
pour qui la mélodie de Ferré coule de source comme la Seine sous
les ponts de Paris. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Cette
collaboration se poursuit dans un second temps avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
Sébasto </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
indifférentes, </em></span></span><span lang="fr-FR">puis
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
temps du tango </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
camarade. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
nostalgique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
Sébasto </em></span></span><span lang="fr-FR">évoque
la jeunesse de Caussimon. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
temps du tango </em></span></span><span lang="fr-FR">y
souscrit également, du temps où « la belle jeunesse »
s’en allait danser le tango au Mikado, boulevard Rochechouart. Ce
temps est déjà loin, mais la nostalgie ne s’accompagne pas
nécessairement de regrets. Et Ferré signe là l’une de ses plus
prégnantes mélodies. Un dernier mot sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
camarade, </em></span></span><span lang="fr-FR">une
belle chanson sur l’amitié.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">FERRÉ,
BRETON ET LES SURRÉALISTES : UN RENDEZ-VOUS MANQUÉ</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Les
relations entre Léo Ferré et le surréalisme revêtent des aspects
paradoxaux, inspirent quelques regrets et le sentiment d’un
rendez-vous manqué. Lors de la sortie du disque où figure </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour,
</em></span></span><span lang="fr-FR">cette
chanson attire l’attention des surréalistes et est reproduite
(texte et partition manuscrits) dans le premier numéro du
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Surréalisme
même. </em></span></span><span lang="fr-FR">Un
commentaire de Georges Goldfayn accompagne le texte de Ferré :
« Pour avoir récemment écouté la magnifique chanson qu’est
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour,
</em></span></span><span lang="fr-FR">pour
l’avoir écouté plusieurs fois à la suite et l’avoir apprise
sur le champ, je n’ai pu, de quelques jours, écrire à l’amie
dont je suis momentanément éloigné, tant, me semblait-il, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>tout
était dit </em></span></span><span lang="fr-FR">de
ce que je voulais dire (…) De tels éblouissements sont tout ce que
j’attends de la vie ». Goldfayn ajoutant que, cette notule
écrite, « j’ai eu la grande joie de faire la connaissance de
Madeleine et Léo Ferré, désormais inséparables dans mon souvenir
comme ils le sont dans la vie. Il me plait de noter, maintenant,
combien leur présence humaine est irradiante, à la mesure de ces
chansons encore inédites de Léo Ferré, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’opéra
du ciel </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Dieu
est nègre</em></span></span><span lang="fr-FR">,
qui, si l’on m’en croit, sont parmi les plus véritablement beaux
poèmes de ce temps ». Mais cela n’est encore rien à côté
d’un texte non signé (mais écrit par André Breton), lequel
présente le chanteur en ces termes : « De la ramée qu’est
de nos jours la chanson de Léo Ferré en tant que parfaite fusion
organique de tous les dons de poète, de musicien et d’interprète
(depuis quand cela s’était-il vu ?). nous détachons ici cette
étoile à l’abri de tout clignement, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour.
</em></span></span><span lang="fr-FR">Avec
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ma
vieille branche </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chanson
triste </em></span></span><span lang="fr-FR">elle
appartient au volet purement lyrique du triptyque dont l’autre aile
est de sédition (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
tout blanc, Graine d’ananar, Merci mon Dieu</em></span></span><span lang="fr-FR">),
le panneau central rayonnant de ce qui, depuis Baudelaire et
Apollinaire, a été élevé de plus neuf et d’impérissable à la
gloire de Paris (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
rue, Paris canaille, Monsieur mon passé, </em></span></span><span lang="fr-FR">etc).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Il
s’agit, en cette année 1955, du plus précieux et plus
enthousiasme soutien reçu par Léo Ferré depuis le début de sa
carrière (et même après ?). De surcroît il émane des membres du
groupe surréaliste ! D’ailleurs, la même année, Benjamin Péret
inclut </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour
</em></span></span><span lang="fr-FR">dans
son </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Anthologie
de l’amour sublime </em></span></span><span lang="fr-FR">(Ferré
prenant place aux côtés des seuls Perse et Breton parmi les
écrivains vivants !). C’est également le début d’une amitié
entre Léo Ferré et André Breton. On en connaît un peu mieux le
détail depuis que des documents provenant des archives André Breton
ont été rendus publics en 2007. Parmi ces documents figurent des
lettres adressées par Léo et Madeleine Ferré à Breton. Les Ferré
invitent le couple Breton à dîner boulevard Pershing, au tout début
de l’année 1956. Léo Ferré écrit dès le lendemain à André
Breton. Dans cette lettre il mentionne qu’il désespérait « de
trouver des amis », et ajoute « je suis votre ami et
votre frère ». S’ensuivent plusieurs rencontres. Après
l’une d’elles Ferré écrit : « André, vous êtes la
première intelligence bonne que je rencontre ». Les uns et les
autres s’invitent durant l’été. Ferré ne peut se déplacer
dans le Lot à Saint-Cirq Lapopie parce qu’il travaille
d’arrache-pied sur la partition de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
Nuit. </em></span></span><span lang="fr-FR">A
l’automne, après l’insuccès critique du ballet </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
Nuit </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
affecte Ferré, Madeleine écrit à Breton en lui demandant
d’intervenir en faveur de son mari « selon la forme que vous
jugerez utile ». Breton passe ensuite plusieurs week-end dans
la petite maison que le couple Ferré vient d’acquérir en
Normandie. Dans la chambre mansardée, tapissée de rouge (il dira à
ses hôtes : « J’ai dormi dans une cerise »), André
Breton porte la dédicace suivante sur un exemplaire de son
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Anthologie
de l’humour noir </em></span></span><span lang="fr-FR">:
« A Léo Ferré, à qui l’on doit ces merveilles : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour,
Chanson triste, Merci mon Dieu, L’homme… </em></span></span><span lang="fr-FR">tant
d’autres. Au poète de génie dont la rose m’embrase le coeur ».
Léo Ferré évoquera cette époque et ses souvenirs sur Breton dans
un long monologue jamais repris en disque, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Dis
donc Ferré. </em></span></span><span lang="fr-FR">Son
témoignage se cristallise dans la rencontre d’un « homme
magique, capable d’une émotion fraternelle extraordinaire ».
</span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Lors
de la dernière de ces rencontres en Normandie, Léo Ferré informe
André Breton de la prochaine parution du recueil </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poète…
vos papiers ! </em></span></span><span lang="fr-FR">aux
Éditons de la Table ronde. Madeleine lit quelques uns de ces poèmes.
Breton dit les apprécier. Ferré, devant cet accueil favorable,
propose à son interlocuteur d’écrire une introduction ou une
préface à ce recueil. Breton donne un accord de principe, et monte
dans sa « cerise », en fin de soirée, pour lire le
manuscrit. Le lendemain, changeant complètement d’attitude, il
revient sur la « décision » prise la vieille : il
n’écrira pas cette préface (et déconseille même à Ferré de
publier ce recueil).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Léo
Ferré est revenu plusieurs fois sur ce petit matin chagrin. Nous ne
connaissons pas la version de Breton. Ce refus d’abord le mortifie,
puis le décide à écrire lui-même cette fameuse préface (dont un
large extrait se retrouvera plus tard sur l’album « Il n’y
a plus rien »). La parution de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poète.…
vos papiers ! </em></span></span><span lang="fr-FR">aggrave
le différend : des lettres de rupture sont adressées de part et
d’autre. De toute évidence, la préface de Ferré (et plus encore
le poème </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Art
poétique, </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
selon toute vraisemblance a été ajouté au dernier moment) ne
pouvait que fortement déplaire aux surréalistes. Une rupture
consommée en quelque sorte par la parution, courant 1957, d’un
numéro de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Surréalisme
même </em></span></span><span lang="fr-FR">où
figure un texte intitulé « Finie la chanson », consacré
à Léo Ferré (« M. Ferré, jugeant sans doute que nous lui
faisions trop d’honneur, n’a eu de cesse qu’il nous ait prouvé
qu’il était, non pas un poète, mais un chansonnier dont la langue
fourchait singulièrement dès qu’il s’évadait de son territoire
propre »). Une dernière fois, Breton et Ferré se croisèrent
lors des obsèques de Benjamin Péret. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Léo
Ferré, plus tard, dira regretter cette brouille. Au début des
années 1960, en tout cas, le souvenir d’André Breton demeurait
vivace. Un texte publié dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mauvaise graine </em></span></span><span lang="fr-FR">y
fait référence. Et </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
Chants de la fureur </em></span></span><span lang="fr-FR">également
: « Nous irons sonner le Breton / Au quarante-deux rue Fontaine
/ Réveille toi Dédé façons / C’est Benjamin qui se ramène /
Oui c’est Péret moi le filou / Le glob’trotteurs des Mayas
tristes / Oui c’est Péret moi le filou / Ferme ton bistre et vient
chez nous / A Guesclin je suis sur ta liste ». Après la
parution du disque « Léo Ferré chante Louis Aragon »,
toute réconciliation devenait impossible. Deux articles, l’un
publié en 1960 dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Bief
</em></span></span><span lang="fr-FR">(« Graine
de coco »), et l’autre en 1962 dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
Brèche </em></span></span><span lang="fr-FR">(« Le
temps, c’est de l’argent ») l’illustrent éloquemment.
Mais il n’est pas certain que Ferré en ait eu connaissance. En
1967 d’ailleurs, dans un </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Discorama,
</em></span></span><span lang="fr-FR">Léo
Ferré disait à Denise Glaser avoir beaucoup aimé André Breton, et
regrettait de ne pas l’avoir revu avant sa mort (survenue six mois
plus tôt). De l’autre côté, en revanche, nulle réconciliation
post mortem n’était envisageable. J’ai correspondu une quinzaine
d’années avec l’un des anciens membres du groupe surréaliste
(d’ailleurs auteur de l’un des articles qui s’en prenaient à
Léo Ferré). Le principal désaccord entre nous, de très loin, se
rapportait à ce différend entre Ferré et le groupe surréaliste.
Aucun de mes arguments, s’évertuant à dépasser, relativiser et
dépassionner cette « querelle », ne s’avéra
recevable.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Le
paradoxe étant, le différend acté, que la production strictement
poétique de Léo Ferré écrite après ce conflit va évoluer dans
une direction à laquelle le surréalisme n’était pas étranger,
bien au contraire. J’en veux pour preuve ces longs poèmes écrits
entre 1960 et 1963, soit ces </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chants
de la fureur </em></span></span><span lang="fr-FR">(d’où
Ferré extraira plus tard </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer, </em></span></span><span lang="fr-FR">trois
des chansons de l’album « La violence et l’ennui »,
plus deux autres titres), mais aussi ce poème sans titre dont
quelques strophes constitueront </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Écoute
moi. </em></span></span><span lang="fr-FR">Ces
poèmes vont rester dans les cartons de l’auteur durant des années.
Léo Ferré, donc, continue d’écrire des chansons sur le mode
habituel, celui que l’a fait connaître. Il faudra attendre 1969,
et les adaptations de cette « poétique surréalisante »,
pour voir plusieurs des chansons écrites pendant la décennie 70
subir une sorte de contamination par l’image (surréaliste
s’entend) : l’exemple le plus accompli étant </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Night
in day.</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Pour
l’instant nous ne disposons pas des lettres d’André Breton
adressées à Léo Ferré. Nous pensions qu’elles avaient vocation
à figurer (en espérant qu’y soit incluses des lettres de son
correspondant) dans la </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Correspondance
</em></span></span><span lang="fr-FR">Breton</span><span lang="fr-FR">inaugurée
en 2016. Mais celle-ci, pourtant partie sur de bonnes bases les
premières années, semble aujourd’hui sensiblement marquer le pas.
Je referme ce dossier d’un malentendu, voire d’un ratage,
regrettables de mon point de vue, en signalant que dans le dernier
tome (2008) des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Oeuvres
complètes </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Breton en Pléiade figure un texte inédit d’importance (« Quelle
ma chambre au bout du voyage ») puisqu’il s’agit des
dernières lignes écrites par Breton. Dans ce projet d’un livre
destiné à prendre place dans la collection « Les sentiers de
l’art » d’Albert Skira, André Breton entretient un ultime
dialogue « avec les livres, les objets et les oeuvres qui
composent et ont jadis composé le décor de son atelier ».
Dans ce court brouillon (deux pages de l’édition Pléiade)
apparait la mention : « Bouteille : scaphandrier (Léo
Ferré) ». Étienne Alain Hubert apporte la précision suivante
: « La bouteille de verre soufflé en forme de hublot appelle
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson du scaphandrier </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Léo Ferré ». Que ce nom puisse figurer - entre ceux de
Fourier et d’Apollinaire ! - dans le dernier texte écrit par André
Breton confirme, si besoin était, ce sentiment d’un « rendez-vous
manqué ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Un
dernier mot, d’humeur, adressé aux commentateurs de Léo Ferré
qui nous bassinent avec Aragon. C’est bien parce que Ferré s’était
fâché avec Breton que ce rapprochement inattendu avec le stalinien
Aragon a pu avoir lieu, et permettre l’existence d’un disque
d’adaptation par Ferré de poèmes d’Aragon. Pour celui-ci, et
son entourage, il s’agissait toutes proportion gardée d’une
« prise de guerre ». Mais il n’y eut pas entre Ferré
et Aragon de véritables liens d’amitiés. D’ailleurs Ferré n’a
jamais rien prétendu de tel. Cela méritait d’être rappelé.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LES
ANNÉES ODÉON, SUITE ET FIN</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Après
la parution du recueil </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poètes
vos papiers ! </em></span></span><span lang="fr-FR">la
firme Odéon sortait un curieux 33 t, intitulé de même, dans lequel
Madeleine Ferré, qui lisait treize poèmes de ce recueil, était
accompagnée par la guitare de Barthelemy Rosso. Sur ce disque
figurent deux chansons interprétées par Léo Ferré (également
extraites de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poètes
vos papiers ! </em></span></span><span lang="fr-FR">et
soutenues par la guitare de l’ami Rosso, alias « Mimi la
guitare ») : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’été
s’en fout </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>les
copains d’la neuille. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
première fait partie de ces rares « chansons d’été »
(avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Plein
soleil </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Bécaud) que l’on distinguera du tout venant, c’est à dire pour
l’essentiel de ces ineptes rengaines aux clichés usés jusqu’à
la corde que la plupart des producteurs de radio se croyaient - je
parle du vivant de Léo Ferré - obligés de programmer pour
renchérir sur la bêtise estivale ambiante. Ce qui n’est
évidemment pas le cas de ces deux minutes cinquante de poésie qui
s’ouvrent sur les vers suivants « De cette rose d’églantine
/ qui pleure sous la main câline / Et qui rosit d’un peu de sang /
Le blé complice de Saint-Jean ». Mais « L’été s’en
fout », n’est ce pas ! </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
copains d’la neuille </em></span></span><span lang="fr-FR">est
l’une des cartes de visite du Ferré des années Odéon. Il existe
trois versions de cette belle chanson sur l’amitié : celle-ci, une
deuxième (plus connue) figurant sur le 30 cm à venir, plus une
troisième beaucoup plus tard sur l’album « L’opéra du
pauvre ». Les années passent, mais « les copains d’la
neuille », comme les appelle Léo Ferré, restent présents :
« Ceux qu’ont la vie brève / Comm’ la fleur des champs /
Et qui vivent en rêve / Pour gagner du temps ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Dernier
disque enregistré chez Odéon, le 30 cm « Encore… du Léo
Ferré » date du printemps 1958. Je reviendrai dans la section
« Léo Ferré chante les poètes » sur le disque
enregistré l’année précédente, consacré aux </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Fleurs
du mal </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Baudelaire. C’est certainement le disque le plus diversifié sur le
plan musical de ces années Odéon. Ce 33 t avait été précédé
d’un 45 t six mois plus tôt comprenant trois chansons reprises sur
cet album : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
Sébasto, Java partout </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
zizique. </em></span></span><span lang="fr-FR">On
retrouve également sur ce dernier disque Odéon les deux chansons
incluses dans l’album « Poète vos papiers », </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’été
s’en fout </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
copains d’la neuille, </em></span></span><span lang="fr-FR">plus
une rescapée de l’un des 78 t de 1955, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson triste </em></span></span><span lang="fr-FR">(toutes
trois étant réengistrées avec des arrangements différents). Deux
titres sur des textes de Jean-Roger Caussimon, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
temps du tango </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
camarade </em></span></span><span lang="fr-FR">complètent
la liste des chansons déjà commentées.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Quatre
chansons de ce 30 cm se réfèrent explicitement à la musique et à
des musiciens. Côté java, celle-ci se trouve représentée par </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Java
partout </em></span></span><span lang="fr-FR">(« A
Paris y’a Mimi / Qui a r’mis son pinson / Dans l’commerce /
Pour jouer d’la java »). Un ton doux amer dans lequel Ferré
excelle. Côté jazz, le traitement s’avère différent d’une
chanson à l’autre. Dans l’entraînante </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
zizique </em></span></span><span lang="fr-FR">(»
La zizique / Ça t’agrippe / Et te pique / Tout’s tes nippes »)
on y entend un jazz de l’entre-deux guerre, plutôt bon enfant.
Même si comme en contrepoint le texte laisse planer quelque
ambiguïté sur la zizique en question. D’ailleurs dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
jazz band </em></span></span><span lang="fr-FR">Ferré
s’exprime plus explicitement sur cette musique (« Le piano
qu’était pas Chopin / S’donnait pourtant un mal de chien »)
ou (« La guitare s’est arrangée / Pour planquer Bach à la
Pitié »). En revanche, ce ton caustique n’est plus de saison
avec la sobre et néanmoins émouvante </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Dieu
est nègre </em></span></span><span lang="fr-FR">(une
incursion dans le domaine du blues tout à fait réussie). Il s’agit
d’un hommage rendu aux musiciens de jazz à travers la figure du
« Pauvre Jimmy » (« Y’avait dans la gorge à
Jimmy / Tant de soleil à trois cent balles / Du blues du rêve et du
whisky / Tout comm ‘ dans les bars à Pigalle »). C’est
toute la différence entre une certaine mythologie du jazz (ou une
martyrologie à laquelle Ferré s’avère sensible, toutes musiques
confondues), et la perception d’un genre musical au sujet duquel
Ferré reste ambivalent.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Rien
par contre ne relie les trois dernières chansons de ce disque :
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’étang
chimérique, Tahiti, La vie moderne</em></span></span><span lang="fr-FR">.
La présence de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’étang
chimérique </em></span></span><span lang="fr-FR">étonne
dans cet ensemble. Cette chanson semble avoir été écrite dix ans
plus tôt. Elle relève d’un classicisme, musique et texte
confondus (« Nos plus beaux souvenirs fleurissent sur l’étang
/ Dans le lointain château d’une lointaine Espagne ») que
Léo Ferré avait abandonné depuis des années. Il est dommage que
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Tahiti
</em></span></span><span lang="fr-FR">soit
restée méconnue. D’abord pour le texte (« J’mettrais la
Tour Eiffel / Dans mon chapeau et d’en haut / Je confondrai les
ciels / De Tahiti à Paris »), l’un des plus inspirés dans
un genre qu’affectionne Ferré : une narration où l’imaginaire
s’en vient buter contre le réel : (quoique là, en l’occurence,
la poésie reprenne tous ses droits : « Quant la Seine
ressemble / A Tahiti / Comme une amie / On est partout / Quand on est
/ A Paris, à Paris »). Et pour l’accompagnement musical : un
piano et un orgue sonnant terriblement « moderne » en
cette année 1958 (le son, ou presque, que l’on entendra en 1980
dans quelques unes des chansons de l’album « La violence et
l’ennui »). Mais personne ne put le constater puisque </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Tahiti
</em></span></span><span lang="fr-FR">ne
fut réédité qu’en 1993 dans l’intégrale Odéon. D’une
longueur inhabituelle à l’époque pour le format chanson (sept
minutes et plus), </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vie moderne </em></span></span><span lang="fr-FR">clôt
cet excellent cru 1958. Ferré y brocarde une « vie moderne »
débitée en tranche, et débinée dans un registre proche de
l’esprit chansonnier (genre auquel se rattachera plus tard, entre
autres exemples, le cycle des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Temps
difficiles</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Ici les référence sont cependant moins politiques que branchées
sur l’air du temps (« C’est comm’ les machin’s à laver
/ Ça vous lessiv’ tout un quartier / Et puis ça passe incognito /
C’est pas comm’ cell’ du Portugal / Si ell’ lavaient…
y’aurait pas d’mal / Mais elles repassent… à la radio / La vie
moderne, vie moderne »). Une curieuse musique, à la fois
désuète et sarcastique, vient redoubler le texte en y renforçant
l’aspect ironique.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
ne quitte pas ces années Odéon sans mentionner les deux disques
enregistrés en public. Le premier à l’Olympia en 1955, et le
second à Bobino en janvier 1958 (donc avant la parution du dernier
30 cm). A l’Olympia un orchestre, celui de Gaston Lapeyronnie,
reprend grosso modo les arrangements des disques studio. On peut lui
préférer le concert Bobino (déjà évoqué), mieux capté. Il se
trouve précédé de l’annonce (délicieuse) de la présentatrice :
« Voici, accompagné par ses copains, Léo Ferré ». A
part </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
indifférentes </em></span></span><span lang="fr-FR">(sur
un texte de Jean-Roger Caussimon), et </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Comme
dans la haute, </em></span></span><span lang="fr-FR">toutes
les chansons avaient déjà été enregistrées en studio. Un dernier
mot sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Comme
dans la haute, </em></span></span><span lang="fr-FR">que
l’on situera dans la lignée de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
grande vie</em></span></span><span lang="fr-FR">,
chute comprise (« Pourtant y’m’manque un je n’sais quoi /
Quand on s’regarde au fond d’la nuit / Tu m’dis plus rien alors
j’m’ennuie / Comm’ dans la haute »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LE
DÉBUT DES ANNÉES BARCLAY</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Deux
années s’écoulent avant que ne paraisse un disque de Léo Ferré.
C’est sous le label Barclay que sort en 1960 l’important 25 cm
qui permet à Ferré de recevoir le meilleur des accueils critiques
de sa carrière, et de rencontrer le grand public (tout comme
Brassens quelques années plus tôt, et Brel plus récemment). Léo
Ferré est désormais considéré comme un
auteur-compositeur-interprète à part entière. Il ne va d’ailleurs
plus écrire pour d’autres interprètes. Certains d’entre eux,
Catherine Sauvage en premier lieu, reprendront quelques unes des
chansons de la période à venir, cela pourtant ira en se raréfiant,
sans pour autant concurrencer les interprétations de Ferré (à
l’exception, remarquée, de Juliette Greco avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Jolie
môme</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Il est vrai que le répertoire de Léo Ferré se radicalisant, les
candidats deviendront rares, voire rarissimes au fil des ans. Plus
tard, à partir des années 1970, du temps s’écoulera entre la
création d’une chanson par Ferré et sa reprise par un autre
interprète (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps </em></span></span><span lang="fr-FR">le
plus souvent, et </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Mais cela s’apparentera davantage, les temps ayant changé, à de
la « reconnaissance ». Pour revenir à ce premier 33 t de
l’ère Barclay, ce disque se distingue des précédents, et plus
particulièrement du dernier d’entre eux (« Encore… du Léo
Ferré »), par le choix d’orchestrations plus homogènes,
mais aussi plus traditionnelles, confiées à Paul Mauriat et
Jean-Michel Defaye. Un choix, par conséquent, au détriment de
celui, plus hétérogène, de la liberté de ton musicale relevée
avec le dernier disque des années Odéon. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Ceci
dit, indépendamment de cet aspect strictement musical, ce disque, à
l’aune de la carrière de Léo Ferré, comprend des titres de
l’importance de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Jolie
môme, Comme à Ostende, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
l’archétypique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
poètes. </em></span></span><span lang="fr-FR">Toute
sa vie Ferré chantera les poètes, jouant par cela même un rôle de
passeur auprès d’auditeurs qui, sans cette médiation, n’auraient
sans doute pas pris connaissance, même fragmentairement, des oeuvres
d’Apollinaire, de Baudelaire, de Verlaine et de Rimbaud. Ces
poètes-là, et bien d’autres, hommage leur est donc rendu par Léo
Ferré dans la chanson </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
poètes. </em></span></span><span lang="fr-FR">Un
hommage « à la Ferré », il va sans dire, car pareille
reconnaissance se situe dans la tradition verlainienne du « poète
maudit ». Ici « Ce sont de drol’s de typ’s qui vivent
de leur plume / Ou qui ne vivent pas c’est selon la saison / (…)
/ Leur âme est en carafe sous les ponts de la Seine / Leurs sous
dans des bouquins qu’ils n’ont jamais vendus / (…) / Leurs bras
tout déplumés se souviennent des ailes / Que la littérature
accrochera plus tard / A leur spectre gelé au-dessus des poubelles /
Où remourront leurs vers comme un effet de l’art ». Et puis
cette chute que l’on aime tant, tellement féréenne : « Ils
ont des paradis que l’on dit d’artifice / Et l’on met en prison
leurs quatrains de dix sous / Comme si l’on mettait aux fers un
édifice / Sous prétexte que les bourgeois sont dans l’égout… ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
entendit davantage </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Panane
</em></span></span><span lang="fr-FR">en
1960, que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
poètes </em></span></span><span lang="fr-FR">ou
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Comme
à Ostende, </em></span></span><span lang="fr-FR">deux
chansons pourtant d’une autre étoffe (et que la postérité a
retenu). Dans doute fallait-il une chanson de transition, entre le
Ferré précédent et celui-ci : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paname</em></span></span><span lang="fr-FR">
(dans la lignée des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
Canaille, L’homme, </em></span></span><span lang="fr-FR">mais
un ton en dessous) faisait l’affaire. La seconde chanson de ce
disque à bénéficier de nombreux passages radio, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Jolie
môme, </em></span></span><span lang="fr-FR">reste
l’un des titres les plus connus de Léo Ferré. Parce que, dans
cette veine populaire, comment mieux l’évoquer en quatre vers de
trois pieds : « T’es tout’ nue / Sous ton pull / Y’a la
rue qu’est maboule / Jolie même ». Même si nous avons comme
une préférence pour « T’as qu’un’ source / Au milieu /
Qu’éclabousse / Du bon dieu », </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Jolie
môme </em></span></span><span lang="fr-FR">avec
Ferré s’habille en dévergondée, alors qu’avec Greco elle
s’encanaille en talons hauts. Léo ou Juliette, qu’importe : nous
ne cessons de la croquer cette jolie môme !</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Trois
chansons ont été composées sur des textes de René Rouzaud (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Quand
c’est fini ça recommence</em></span></span><span lang="fr-FR">),
de Pierre Seghers (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Merde
à Vauban</em></span></span><span lang="fr-FR">),
et de Jean-René Caussimon (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Comme
à </em></span></span><span lang="fr-FR">Ostende).
Les deux premiers titres s’intègrent parfaitement dans l’univers
de Léo Ferré : la première raconte l’histoire toujours
renouvelée de la rengaine, alors que la seconde sait trouver les
mots les plus justes pour décrire la condition d’un bagnard (« On
voit passer les nuages / Qui vont crevant / Moi j’vois s’faner la
fleur de l’âge / Merde à Vauban »). Le troisième titre est
le sommet de la collaboration entre Ferré et Caussimon. D’aucuns,
à cause de cette chanson, se déplacèrent jusqu’à Ostende et
s’en revinrent déçus. Mieux vaut découvrir une ville « en
toute innocence » et laisser les chansons dans un coin de notre
imaginaire. Mais cela est-il possible avec une chanson de ce
tonneau-là ? A travers cette incomparable évocation du port belge,
la voix de Ferré se souvient de tous les ports du monde, comme s’il
fallait, pour rameuter tous ces souvenirs, les chanter dans le
registre de l’opéra. : « Mais voilà qu’tout au bout d’la
rue / Est arrivé un limonaire / Avec un vieil air du tonnerre / A
vous fair’ chialer tant et plus ». Et nous, réécoutant
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Comme
à Ostende, </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
avons les larmes aux yeux une fois de plus.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Aucun
titre n’est négligeable sur ce 25 cm. Les deux dernières
chansons, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Si
tu t’en vas </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
maffia </em></span></span><span lang="fr-FR">ne
déparent nullement dans cet ensemble relevé. Surtout la savoureuse
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Maffia,
</em></span></span><span lang="fr-FR">qui
n’a pas été sans contribuer à la « mauvaise réputation »
de Ferré dans le milieu de la chanson : « Tu vas traînant tes
rengaines / Le long de la longue scène / En crachant sur ceux qui
t’gênent / Et la maffia, elle aim’ pas ça ! ». Comment ne
pas signer des deux mains, en laissant le dernier mot à Léo Ferré
: « Si tu chant’ ma chansonnette / Pour fair’ ton métier
d’vedette / T’as qu’à barrer c’qui t’embête / Avec des x
avec des X / Ou bien chanter en angliche / Les conn’ries qui
plaisent aux riches / Alors tu s’ras sur l’affiche / A Coquatrix
à Coquatrix ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Il
s’agit bien d’une embellie que va amplifier le succès, plutôt
inattendu, de l’album consacré à Aragon peu de temps après. Nous
sommes en 1961. Du premier disque Barclay (courant 1960), à celui
reprenant une bonne partie des chansons crées sur la scène de
l’Alhambra (fin 1961), Léo Ferré grave quarante chansons dans la
cire. On ne trouve pas d’équivalent dans sa carrière. Durant les
deux années précédentes, Ferré, alors « libéré »
par la firme Odéon, avait certes écrit de nombreuses chansons. Il
importe maintenant de faire le point sur l’année 1961, importante
à bien des égards.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉE
1961 : LE RÉCITAL DE L’ALHAMBRA</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Léo
Ferré devait sortir un nouveau 25 cm au printemps 1961. Nous savons
par René Belleret que ce troisième opus Barclay sera gravé et
pressé mais jamais distribué, pour finalement passer au pilori ! Il
comptait huit titres qui, selon toute vraisemblance, auraient tous
été censurés sur les ondes des radios nationales. En ces temps de
gaullisme triomphant le ministre de l’Information, le sinistre
Alain Peyrefitte, contrôle de très près cette même information :
Anastasie ne chôme pas, y compris et surtout en matière de
chansons. Des années durant, de nombreuses chansons de Ferré seront
interdites d’antenne. Il nous faut citer les huit titres composant
ce disque pilonné : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
général, Regardez-les, La gueuse, Pacific blues, Les rupins, Miss
guéguerre, Thank you Satan, Les quatre-cent coups. </em></span></span><span lang="fr-FR">Cela
promettait ! La première, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
général, </em></span></span><span lang="fr-FR">datait
de 1947. Elle sera enregistrée un an et demi plus tard sur la scène
de l’ABC : un enregistrement public au tirage restreint (donc
rapidement indisponible et non repressé). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
gueuse </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Thank
you Satan </em></span></span><span lang="fr-FR">se
retrouveront sur l’album public enregistré à l’Alhambra (sorti
fin 1961). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Regardez-les
</em></span></span><span lang="fr-FR">complètera,
avec d’autres chansons créées à l’Alhambra (mais non reprises
sur ce même disque), le 25 cm « Paname » pour passer à
l’état de 30 cm. Autres chansons crées à l’Alhambra, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Miss
guéguerre, La gueuse, Les rupins, Thank you Satan, </em></span></span><span lang="fr-FR">se
retrouveront sur un curieux 45 t intitulé « Les chansons
interdites de Léo Ferré ». Quant à l’excellente </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pacific
bues, </em></span></span><span lang="fr-FR">l’album
de l’année 1967 l’accueillera.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Un
45 t précède ce fameux concert à l’Alhambra. Il comporte l’une
des chansons les plus connues de Léo Ferré, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vingt
ans </em></span></span><span lang="fr-FR">(qui
sera la dernière de cette première époque Barclay à bénéficier
de nombreux passages radios). Elle traite d’un thème cher à
l’auteur : le passage du temps. Ici Ferré s’attarde sur ce que
d’aucuns appellent « le plus bel âge de la vie »,
vingt ans soit. Comment ne pas être pris par la voix de Ferré et la
justesse de ses images : « Quand on aim’ c’est jusqu’à
la mort / On meurt souvent et puis l’on sort / On va griller un’
cigarette / L’amour ça s’prend et puis ça s’jette ». Et
puis c’est l’occasion de dire combien l’orchestration de
Jean-Michel Defaye - magnifiques cuivres ! - contribue à la réussite
d’une chanson sur laquelle le temps n’aurait pas de prise. Sur ce
même 45 t la collaboration entre Ferré et Caussimon se poursuit
avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Nous
deux. </em></span></span><span lang="fr-FR">Et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
chéris</em></span></span><span lang="fr-FR">
témoigne, si besoin était, de l’amour de Ferré pour les chevaux.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">La
quatrième chanson de ce 45 t, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
temps difficiles, </em></span></span><span lang="fr-FR">relève
d'un traitement particulier. Là il est préférable d’écouter
l’enregistrement de l’Alhambra en raison de la participation du
public. Deux autres versions des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Temps
difficiles </em></span></span><span lang="fr-FR">suivront
: la deuxième lors du concert de l’ABC en 1962 plus haut évoqué,
la troisième en 1966 au Casino de Trouville. Dans ce cycle des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Temps
difficiles </em></span></span><span lang="fr-FR">Ferré
cultive une veine chansonnière. On peut le préférer dans d’autres
registres tout en reconnaissant l’efficacité de ces chansons sur
le public en concert. Enfin il n’est nullement question de bouder
son plaisir devant les saillies bienvenues du chanteur/pamphlétaire.
Et puis, pour revenir à la version de 1961, qui se référait alors
à la torture pendant la guerre d’Algérie dans une chanson ?
(« Fil’ moi ta part, mon p’tit Youssef / Sinon j’te
branche sur l’EDF ») ; personne, sinon Léo Ferré ! Le
chanteur y brocarde l’époque, du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Figaro
</em></span></span><span lang="fr-FR">à
Vadim, en passant par Hallyday, BB et Aznavour (« Si d’Aznavour
j’avais la voix / Je pourrais m’voir au cinéma / Mais la petite
vague m’a laissé là / Moi moi moi qui m’voyait déjà »),
les deux K, et les productions de Mille. Dans la seconde version des
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Temps
difficiles, </em></span></span><span lang="fr-FR">ce
sont les référendums gaullistes, Gabin, la télé-censure, le Pape,
Kennedy et Cuba (« A cuba y’a pas qu’du tabac / D’la
canne à sucre et d’la rumba / Y’a du suspens et d’la
terreur ») sur lequel s’exerce la verve de Ferré. Dans la
dernière version,, il s’en prend à Malraux (censurant </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
religieuse</em></span></span><span lang="fr-FR">),
Courrège, Zitrone, Barrault, les Américains (« Johnson
perçait sous Kennedy »), de Gaulle, la SFIO, Mireille Mathieu.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Quatre
chansons créées sur la scène de l’Alhambra ne figurent pas sur
disque en public sorti en décembre 1961. Elles se retrouveront sur
l’album 30 cm qui rependra l’intégralité des titres du 25 cm de
1960. Trois de ces chansons, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chanson
mécanisée, Le vent, Nous les filles, </em></span></span><span lang="fr-FR">paraissent
un ton en dessous dans le contexte de cette riche année 1961 (on en
excepte </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Regardez-les,
</em></span></span><span lang="fr-FR">co-signée
avec Francis Claude, une chanson antimilitariste qui de surcroît
incite le soldat à retourner son fusil contre ceux qui l’ont
armé). Ce qui n’est pas le cas des « chansons censurées »
du printemps 1961, crées sur cette même scène, qui comme je l’ai,
précisé se retrouveront sur le 45 t « Les chansons interdites
de Léo Ferré ». Ce concert Alhambra contribue à ranger Léo
Ferré parmi les « grands » de la scène hexagonale.
Précédé d’un récital au Théâtre du Vieux Colombier, l’auteur
de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Jolie
môme </em></span></span><span lang="fr-FR">donne
enfin la mesure de son talent scénique. Un nouveau public s’est
déplacé en ce début de décennie pour venir entendre Léo Ferré.
Les années Odéon semblent déjà loin.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
peut différencier dans ce récital à l’Alhambra les chansons
contestataires, politiques, de critique sociale des autres. Ces
dernières couvrent un large spectre et convoquent des thèmes déjà
traités par l’auteur. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vingt
ans </em></span></span><span lang="fr-FR">mise
à part, elles sont à classer dans la rubrique « bons
Ferré », sans plus. Passons sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
parisiens, </em></span></span><span lang="fr-FR">Paris
inspire davantage Ferré que ses habitants, pour davantage
l’illustrer avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ta
parole </em></span></span><span lang="fr-FR">(« Ta
parole / Ma parle / Ça fera chanter ») et </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
femmes. </em></span></span><span lang="fr-FR">Léo
Ferré, on s’en souvient, s’en était pris à la gent masculine
(</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’homme</em></span></span><span lang="fr-FR">)
dans l’une de ses meilleures chansons des années Odéon. On dira
que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
femmes,</em></span></span><span lang="fr-FR">
sorte de pendant à la précédente, est une chanson « bien
roulée », enlevée, qui souvent fait mouche, mais un tantinet
misogyne. Et pourtant les auditrices, à l’époque, ne semblaient
pas s’en offusquer. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chanson
pour elle </em></span></span><span lang="fr-FR">fait
entendre un tout autre son de cloche. Citons les vers suivants : « Si
ton astre noir où je m’illumine / Était le calice et si j’étais
Dieu / J’y boirais la mort jusqu’à la racine / Et puis je m’en
irais refaire les cieux »). On comprend difficilement que Ferré
et la maison Barclay n’aient pas retenu </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chanson
pour elle </em></span></span><span lang="fr-FR">sur
l’album en 1972 consacré aux « Chansons d’amour de Léo
Ferré ». La concurrence, il est vrai, étant rude.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Ce
récital en tout état de cause installait Léo Ferré tête de proue
d’une chanson plus contestataire que véritablement engagée. Cette
dernière qualité n’a d’ailleurs jamais été revendiquée par
un Ferré plutôt rétif sur la notion d’engagement. Encore faut-il
préciser de quoi l’on parle. On peut aussi bien s’engager à
gauche qu’à droite. Et puis un « engagement libertaire »
(si ceci à un sens) ne saurait se confondre avec un « engagement
communiste ». (qui rime encore avec staliniste en ce début des
années soixante, et cela perdurera encore une bonne dizaine
d’années). La contestation chez Ferré prend souvent la forme
d’une satire politique, sociale, ou dans le domaine des moeurs.
Dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Cannes
la braguette </em></span></span><span lang="fr-FR">(nous
revenons à l’Alhambra 61), il brocarde la faune qui se retrouve à
la belle saison sur la Côte d’Azur. Un genre à mi chemin de la
critique sociale et d’une veine chansonnière. On pourrait dire la
même chose de la sarcastique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
rupins, </em></span></span><span lang="fr-FR">nonobstant
le féroce dernier couplet (« On coupe une têt’ par ci par
là / Vingt ans après vous r’voilà / Les rupins c’est comm’
la chienlit / Plus qu’on l’arrach’ plus ça s’produit »).
Le programme des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Quatre
cent coups </em></span></span><span lang="fr-FR">consiste
à mettre la poésie dans la rue, et le cinéma dans la vie (« Aller
au cinéma palace / Et s’engouffrer dedans l’écran / Prendre
Bardot par la tignasse / Et la carrer dans nos divans »). Dans
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Miss
guéguerre </em></span></span><span lang="fr-FR">l’antimilitarisme
de Ferré concilie violence et ironie. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Parmi
ces chansons inédites, la ferveur du public se porta naturellement
sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Thank
you Satan. </em></span></span><span lang="fr-FR">Régulièrement
reprise sur la scène tout au long de la carrière de Léo Ferré
(dommage que la version avec les Zoo, lors d’une série de concert
à l’Olympia, n’ait pas été enregistrée), </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Thank
you Satan </em></span></span><span lang="fr-FR">figure
parmi les chansons emblématiques de l’auteur. A croire que Léo,
comme il l’annonce, avait reçu « une commande du diable ».
Celle-ci ressemble à s’y méprendre à une profession de foi
signée Léo Ferré : « Pour les étoiles que tu sèmes / Dans le
remords des assassins / (…) / Pour les idées que tu maquilles /
Dans la tête des citoyens / Pour la prise de la Bastille / Même si
ça ne sert à rien (…) / Pour les poètes que tu glisses / Au
chevet des adolescents / Quand poussent dans l’ombre complice / Des
fleurs du mal de six sept ans / (…) / Pour le péché que tu fais
naître / Au sein des plus rudes vertus »). L’anarchie, bien
sûr, dans ces superbes quatre vers : « Pour l’anarchiste à
qui tu donnes / Les deux couleurs de ton pays / Le roug’ pour
naître à Barcelone / Le noir pour mourir à Paris / Thank you
Satan »). Enfin, pour conclure : « Et qu’on ne me fasse
point taire / Et que je chante pour ton bien / Dans ce monde où les
muselières / Ne sont pas faites pour les chiens / Thank you Satan
! »). A chacun son diable, dirions nous. Celui chanté par les
Rollingstones vers la fin des années 1960 paraît conventionnel en
regard de celui de Léo Ferré, qui prend les traits du « grand
subversif ». Un mot sur l’accompagnement musical, tout à
fait en accord avec le texte, sarcastique à souhait.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Ce
récital se termine par </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Y’en
a marre, </em></span></span><span lang="fr-FR">l’exemple
même de ces chansons qui prennent une autre dimension en public.
Nous sommes également dans un registre de type « profession de
foi », celle-ci s’avérant cependant plus « brut de
décoffrage » et moins ironique que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Thank
you Satan, </em></span></span><span lang="fr-FR">sans
pour autant que l’on nie son efficacité sur scène (« Un
jour nous ferons notre pain / Dans vos pétrins / Avec nos armes »).
Quelques années plus tard, Brassens reprendra dans le couplet final
du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Grand
Pan </em></span></span><span lang="fr-FR">une
thématique proche de celle des derniers vers de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Y’en
à marre. </em></span></span><span lang="fr-FR">Mais
là où le Christ de Brassens descend du « calvaire en disant
dans sa lippe / Merde je ne joue plus pour tous ces pauvres types /
Je crois bien que la fin qui monde soit bien triste », celui de
Ferré lâche là sa croix, ses épines et sa rédemption pour s’en
aller gueuler « Y’en à marre ! ». N’est-ce pas
significatif de ce qui, entre autres exemples, sépare Brassens et
Ferré ?</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉES
1962, 1963, 1964 : DÉBUT DE LA TRAVERSÉE DU DÉSERT</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Léo
Ferré reprend un an plus tard le chemin de la scène. Cette fois
c’est à l’ABC qu’il se produit. Trois des chansons
enregistrées sur la scène de l’ABC (dans un disque, je le
rappelle, limité à la vente) ne figurent pas sur le 30 cm sorti la
même année. La première, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
général, </em></span></span><span lang="fr-FR">faisait
partie du disque « censuré » du début 1961. Crée en
1948 au cabaret (alors que de Gaulle venait de quitter ses fonctions
de chef du gouvernement pour prendre la tête du RPF), elle
réapparaît dans le tour de chant de Ferré lors du retour aux
affaires du général. A vrai dire cette « adresse » n’a
pas le côté irrespectueux qu’on s’attendrait à y trouver
(présent, ici ou là, dans plusieurs chansons à venir des années
1960), eu égard l’ancienneté de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
général. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
censure n’a retenu que le titre de la chanson et le nom de
l’interprète pour l’interdire ! Autre chanson non reprise de
l’ABC, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>T’as
payé </em></span></span><span lang="fr-FR">s’inscrit
dans la veine chansonnière des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Temps
difficiles </em></span></span><span lang="fr-FR">(dont
la seconde version vient compléter cette liste de trois chansons).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Deux
trois mois plus tard Léo Ferré sort ce 33 t plus haut évoqué. On
peut parler d’un disque inégal, tout comme le seront les deux
suivants. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
langue française </em></span></span><span lang="fr-FR">est
un brillant exercice de style sur les ravages du franglais. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>T’es
chouette, </em></span></span><span lang="fr-FR">ressemble
à un remake de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Jolie
môme, </em></span></span><span lang="fr-FR">un
ton en-dessous cependant. Dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vie est louche, </em></span></span><span lang="fr-FR">cette
vie s’avère d’autant plus louche que la rime est riche (« La
nuit s’isole / et dégringole / la lune obscène / à l’avant-scène
/ fait la retape / et puis se tape / l’ombre qui rime / avec la
frime »). Ferré reprend (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
tziganes</em></span></span><span lang="fr-FR">)</span><span lang="fr-FR">une
figure familière de la chanson des années cinquante, voire
soixante, celle du gitan : avec le rythme en plus (les violons
décoiffent !) et les habituels clichés en moins. Une chanson
d’ailleurs reprise par d’autres interprètes, dont Yves Montand.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Dans
ce disque relativement « apaisé », après les coups de
gueule de l’année précédente, trois chansons sortent du lot. On
se souvient du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Piano
du pauvre </em></span></span><span lang="fr-FR">et
de ses « javas perverses ». Rien de tel avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mister
Giorgina </em></span></span><span lang="fr-FR">:
cette chanson nous entretient du métier d’accordéoniste qui ne
nourrit pas toujours son musicien (« Car la musiq’ foutu
métier / Ça chante ça gueul’ ça fait rêver / Et ça s’envol’
comm’ les paroles »). Le tragique n’est jamais loin quand
la tristesse affleure (« Et dans la rue tes récitals / Ça
nous fait un peu mal / Avec ton Pleyel en sautoir »). C’est
sur un tango déchirant que Ferré nous raconte la vie d’un
accordéoniste. Si cette pourtant belle chanson avait trouvé son
public, celui-ci aurait pu constater que ce Mister Giorgina, et le
Jimmy de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Dieu
est nègre </em></span></span><span lang="fr-FR">étaient
les deux faces d’une même pièce.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ça
t’va </em></span></span><span lang="fr-FR">ensuite,
ou l’amour magnifié par Léo Ferré. Nul autre que lui pouvait
écrire les vers suivants : « Tes plats mijotés / tell’ ment
qu’on dirait / manger d’la luxure ») ou (« Tu t’sape
chez l’couturier d’ton cru / qu’a des harnais démocratiques »)
ou encore (« et que j’te demand’ si t’es parée / tu
m’dis avec ton air anar / moi j’ai l’soleil sur la façade »).
D’aucuns objecteront : trop c’est trop, quand on connaît la
suite. Il s’agit certes d’une toute autre chanson. Mais
qu’importe ! La musique et l’orchestration jouent le jeu à fond,
tout comme l’interprétation. Et c’est beau comme peut l’être
l’excès chez Ferré. Suffisamment en tout cas pour mettre à
distance - trois minutes durant - toute réserve sur l’amour
conjugal.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Avec
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>T’es
rock coco ! </em></span></span><span lang="fr-FR">Léo
Ferré ne caressait nullement dans le sens du poil la nouvelle
génération, celle qui découvrait le rock and roll en plébiscitant
les pâles imitateurs de chanteurs, chanteuses et groupes made in
USA. C’est le ton, la manière de déclamer qui attirent d’abord
l’attention : la violence paraît de mise lorsqu’il s’agit de
vitupérer la société (« Avec nos journaux pansements / Qui
sèchent les plaies prolétaires / Et les cadavres de romans / Que
les Goncourt vermifugèrent / Avec la société bidon / Qui n’anonyme
et prospère / Et puis la rage au pantalon / Qui fait des soldats
pour la guerre / T’es rock coco ! ». On regrette, tout comme
pour </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Thank
you Satan,</em></span></span><span lang="fr-FR">
que Ferré n’ait pas repris plus tard cette chanson durant la
période où il était accompagné par les Zoo. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>T’es
rock coco </em></span></span><span lang="fr-FR">!
n’aurait rien perdu de sa virulence, bien au contraire.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Comme
l’indique le titre de l’album qui suit (« Ferré 64 »),
Léo Ferré sort un nouveau 30 cm en 1964. Dans ce disque où le
meilleur côtoie le plus convenu, comme dans l’album précédent,
une évolution cependant se fait sentir. L’aspect « apaisé »
de certaines chansons du Ferré 62 évolue ici vers quelque chose qui
ressemble à de la mélancolie (c’est d’ailleurs le titre de
l’une des chansons de ce cru 64). On parlera d’un disque de
transition, voire de « traversée du désert » (s’il
faut évoquer un processus de désaffection du « grand public »
qui perdurera jusqu’en 1968). Nous sommes en pleine vague yé yé
et Ferré se trouve rarement programmé sur les chaînes de radio. A
l’exception, toute relative, de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
le printemps. </em></span></span><span lang="fr-FR">Du
Ferré cousu main, classieux, attendu, bien servi par
l’interprétation. Dans un registre comparable, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Titi
de Paris </em></span></span><span lang="fr-FR">égraine
ses vers de quatre pieds entre la porte Maillot et celle de
Vincennes. Plus ambitieuse, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
marché du poète </em></span></span><span lang="fr-FR">réclame
une oreille attentive. Moins désinvolte qu’il n’y parait cette
chanson se révèle vacharde à souhait (« Au pays / de
Descartes / les conn’ries / S’foutent en carte / ou au quai
Conti »). Et que rapporte la femme du poète quand elle va
faire le marché ? Mais « Un cigar’ de Mexico / Gros comm’
un cachalot » ou « Des crayons pour fair’ les yeux /
Aux larmes du pot-au-feu ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
change de tonalité avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
gitane. </em></span></span><span lang="fr-FR">Ce
n’est pas tant le texte qui attire ici l’attention que la
musique. On retrouvera ensuite souvent chez Ferré un climat musical
comparable à celui de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
gitane. </em></span></span><span lang="fr-FR">Cette
ambiance douce-amère, ou mélancolique, est également présente
dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
retraités </em></span></span><span lang="fr-FR">(« Y’a
pas qu’au guignol / Qu’il y a des planches »). Une chanson
à des années lumières des fringants seniors d’aujourd’hui, du
moins de l’image qu’on en donne. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mélancolie, </em></span></span><span lang="fr-FR">soit,
restons y : « C’est revoir Charlot à l’âge de Chaplin /
C’est un chimpanzé / Au zoo d’Anvers / Qui meurt à moitié /
Qui meurt à l’envers / Qui donnerait ses pieds / Pour un
revolver »). Et puis surtout : « C’est un désespoir /
Qu’a pas les moyens »). Dans un tout autre genre, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
piano </em></span></span><span lang="fr-FR">séduit
par sa concision. Dans ce petit joyau d’un peu plus d’une minute,
les mots claquent comme des accords de piano. Il suffit d’une
homonymie, faim et fin, pour dire l’essentiel (« En quarant’
cinq Bela Bartok / Est mort à New York / Mort de faim d’piano /
Fin d’piano fin d’piano fin d’piano ». Le piano peut être
reconnaissant.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Sans
façons </em></span></span><span lang="fr-FR">ne
prend pas de gants avec le général (chanson évidemment censurée)
: « Et pour c’qui est d’ta forc’ de frappe / On a nos
poings et puis on frappe / Et ça nous coûte pas un radis / T’as
pas compris ». Ou bien, prémonitoire : « Et dans les
rues d’quatre-vingt-neuf / Où coul’ du sang qu’est encore
frais / Si t’y allais pour t’faire cuire un oeuf / Ça f’rait
d’l’effet / Vu qu’on machinait les pavés / Quand on faisait
valser l’histoire / Dans l’drapeau noir »). Une bonne
transition pour en venir à la « chanson phare » de ce
cru 64 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Franco
la muerte. </em></span></span><span lang="fr-FR">Comment
mieux concilier les expressions poétique et politique que dans cette
chanson ! Cela doit même être entendu d’un point de vue littéral
: « Vienne le temps des poésies / Qui te videront de ton lit /
Quand nos couteaux feront leur nid / Au coeur de ta dernière nuit ».
Cette chanson fut longtemps l’un des chevaux de bataille de Léo
Ferré en public. Le tout sur une musique haletante, comme cédant à
un sentiment d’urgence, où l’interprétation met en valeur
chacun des mots. L’Espagne toujours, celle « des camarades ».
Il faut entendre le sort fait par Ferré aux rimes en « arde »
: « Tu t’es marié à la camarde / Pour mieux baiser les
camarades / Les anarchistes qu’on moucharde / Pendant que l’Europe
bavarde »). Et puis ces deux vers, superbes : « Toi tu
fais pas d’littérature / T’es pas Lorca t’es sa rature ».
Chapeau Léo !</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Je
laissais entendre plus haut que ce cru 64 signait en quelque sorte le
divorce de Léo Ferré avec les médias (à l’aune principalement
de la diffusion radiophonique, la plus importante ces années-là).
Comment expliquer cette rapide désaffection ? Parce que le côté
« grande gueule » de Ferré déplaisait ? Parce que
l’intéressé ne se prêtait pas au jeu promotionnel ? Parce que la
vague yè yè lui était préjudiciable (plus qu’à Brel et
Brassens par exemple) ? A ce sujet nous disposons avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Épique
époque </em></span></span><span lang="fr-FR">d’un
document précieux sur l’époque en question. Ferré dans cette
chanson ne rate pas ses cibles, et ses formules assassines seront
diversement appréciées (pour faire dans la litote) : « Et cet
Europe Un / Et ce Luxembraque / Qui t’env’lopp’ les uns /
Pendant qu’les autres claquent / C’est l’époque opaque / Yé
yé / Lucien Morisse / C’est un très grand artiste / Et ce
Filipachi / C’est l’un de mes amis / Salut les copains / Vous
entendrez demain / De nouvelles salades / L’Europe est bien
malade »). On comprend mieux pourquoi les nouvelles chansons de
Ferré ne passaient plus sur les ondes de « Ces boit’s à
radio / A ragoût pour idiots ». Et l’agacement, pour ne pas
dire plus, de Ferré devant « Ces garçons qui chantent / Des
chansons idiotes / Qui t’mettent sur la jante / En roulant d’la
glotte »). Bien entendu, on a jamais entendu Léo Ferré dans
l’émission « Salut les copains » (alors que Brassens
quelquefois, et Brel plus rarement y ont été programmés). On
referme ce « Ferré 64 » avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Quand
j’étais môme, </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
traite d’un thème comparable à celui de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Épique
époque, </em></span></span><span lang="fr-FR">mais
sur un tout autre mode. Plus mélancolique dirais-je : les jeunesses
se suivent et se ressembleraient, quoique…</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LÉO
FERRE DANS « POÈTES D’AUJOURD’HUI »</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
peut parler d’un évènement : celui à la toute fin de l’année
1962 de la parution dans la prestigieuse collection « Poètes
d’aujourd’hui », chez Seghers, d’un </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Léo
Ferré </em></span></span><span lang="fr-FR">écrit
par Charles Estienne. On rappelle que cette collection, crée en 1944
par Pierre Seghers, adoptait le principe d’une étude consacrée au
poète choisi, suivie d’un choix de ses poèmes. Paul Éluard (par
Louis Parrot) avait inauguré cette collection avec un ouvrage qui
s’était vendu à 300 000 exemplaires ! Pour la première fois un
chanteur-auteur-compositeur se retrouvait au sommaire de « Poètes
d’aujourd’hui ». Il s’agissait du n° 93 de la collection
(devant, en quatre-vingt-quatorzième position, Mallarmé !!!).
Brassens (n° 99), puis Brel (n° 119) suivront. Il y avait de quoi
s’étonner, sinon plus de trouver ensuite Aznavour (n° 121,
précédant, excusez du peu, les Paz, Benn, Genet, Vian, Daumal,
Round, Akhmatova, Crevel, Mandelstam, etc) dans cette collection
(avant, pour rester dans la chanson, Leclerc, Trenet, Sylvestre,
Barbara, Gainsbourg, et d’autres, Nougaro devant attendre 1974 et
la trentième position pour y figurer !). C’est sans doute la
raison pour laquelle Seghers créera en 1966 la collection « Poésie
et chansons », en la confiant à Lucien Rioux, qui reprenait,
dans l‘ordre, Ferré, Brassens, Brel… Ferré, à l’époque
s’était insurgé contre cette nouvelle classification : il voulait
rester le n° 93 de « Poètes d’aujourd’hui (« entre
Dylan Thomas et Mallarmé ») et refusait d’être le n° 1 de
« Poésie et chansons ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">L’étude
de Charles Estienne, un critique d’art proche des surréalistes, ne
manque pas d’intérêt. Son auteur se livre à des rapprochements
pertinents, avec Bunuel, Perret et Breton par exemple, jamais
retrouvés ensuite dans la copieuse littérature consacrée à Léo
Ferré. Dans la partie « chanson » du « choix de
texte », le lecteur de décembre 1962 découvrait </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
poésie fout l’camp Villon !, </em></span></span><span lang="fr-FR">jamais
enregistrée par Ferré, ainsi que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
faim </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’art
d’aimer </em></span></span><span lang="fr-FR">(premier
titre de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>On
s’aimera</em></span></span><span lang="fr-FR">)
qui seront enregistrées en 1966. Mais également </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Où
vont-ils </em></span></span><span lang="fr-FR">(que
Ferré reprenait parfois en public), finalement enregistrée en 1990
dans « Les vieux copains ». Dans la partie « poèmes »
nous retrouvons non pas des poèmes présents dans le recueil </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poète
vos papiers !</em></span></span><span lang="fr-FR">
(n’ayant pas été mis en musique par Ferré), mais un long poème
(sans titre) dont la moitié des vers seront repris avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Écoute-moi,
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
un extrait de ces fameux </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chant
de la fureur </em></span></span><span lang="fr-FR">sur
lesquels je reviendrai plus loin. Enfin la partie « Proses »
nous mettait sous les yeux trois textes (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
style, Lettre au miroir, A la folie</em></span></span><span lang="fr-FR">)
qui déjà anticipent les longs monologues des décennies 70 et 80.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉES
1965, 1966 : UNE PREMIÈRE INFLEXION</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
1965, sort un disque 45 t de Léo Ferré comportant quatre chansons
nouvelles. Le recours à un tel format est inhabituel chez lui. Ce 45
t comporte l’un des titres les plus importants de l’oeuvre de Léo
Ferré, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ni
Dieu ni maître. </em></span></span><span lang="fr-FR">Cette
chanson, qui plus que d’autres se trouve liée à la personnalité
de son interprète, s’est d’abord fait connaître par la scène.
Quatre ans s’écouleront avant que les auditeurs d’une chaîne de
radio (l’émission Campus de Michel Lancelot sur Europe N°1)
puissent l’entendre. Entre temps, il est vrai, mai 68 était passé
par là. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ni
Dieu ni maître </em></span></span><span lang="fr-FR">va
rapidement devenir l’une des chansons emblématiques de Léo Ferré,
même en dehors des milieux libertaires. Ferré l’a conservé
toute sa vie dans son tour de chant et la reprendra sur le disque
« Et… basta ! ». Le propos de cette chanson</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>,
</em></span></span><span lang="fr-FR">un
manifeste contre la peine de mort, s’élargit à la condamnation de
toute oppression dans le sens de l’expression « Ni Dieu ni
maître » (« Cette parole d’évangile / Qui fait plier
les imbéciles / Et qui met dans l’horreur civile / De la noblesse
et puis du style / Ce cri qui n’a pas la rosette / Cette parole de
prophète / Je la revendique et vous souhaite / Ni Dieu ni maître »).
L’orchestration de Jean-Michel Defaye et la force de conviction de
l’interprète concourent à la réussite de cette « chanson
manifeste » contre la peine de mort : « Cette procédure
qui guette / Ceux que la société rejette / Sous prétexte qu’ils
n’ont peut-être / Ni Dieu ni maître ». </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
aurait tort de sous estimer les autres chansons de ce 45 t (excepté
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’enfance,
</em></span></span><span lang="fr-FR">plus
convenue). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson des amants </em></span></span><span lang="fr-FR">déroule
les « huit à seize mesures » d’une valse entraînante
(« Ça s’envoie des promesses / Des promesses qui cessent /
Dès que tourne le vent »). Dans un tout autre genre, la
caustique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
Barclay </em></span></span><span lang="fr-FR">fait
mouche. On ne sait si l’intéressé la prit (la mouche) mais dans
cette saynète le deal consiste, citation d’Eddie Barclay (« j’suis
pas salaud / et pour la peine / j’vendrai Rimbaud / avec
Verlaine »), ceci contre la promesse, le couplet précédent
(« Monsieur Barclay / m’a signifié / Léo Ferré / on met
l’paquet / afin que j’puisse / bien matraquer / à Europe UN / et
chez Fontaine / et chez Lourier / et chez Dufrêne / et moi pas fou /
du tac au tac / j’ai dit « Mon loup / v’la ta matraque »
/ yes yes, boum by / tira me la gamba / sui tramways »).
J’ajoute que cette chanson n’est jamais passée chez Fontaine, ni
chez Lourier, ni chez Dufrêne, les « programmateurs chansons »
respectivement de RTL, Europe n° 1 et France Inter (je ne suis pas
certain de l’ordre, les érudits rectifieront). Il existe une
version filmée (datant d’un </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Discorama
</em></span></span><span lang="fr-FR">de
1965) où Ferré chante </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monsieur
Barclay </em></span></span><span lang="fr-FR">en
s’accompagnant au piano, une interprétation savoureuse et vraiment
désopilante. Ce petit chef d’oeuvre de dérision vacharde (tout
comme un an plus tôt </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Épique
époque</em></span></span><span lang="fr-FR">)
n’a pas d’équivalent dans la chanson de ces années-là, voire
après.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Un
an plus tard, en 1966, sort un album intitulé curieusement « Léo
Ferré 1916 - 19…). Ce disque de transition, comme le précédent,
comprend des chansons de bonne facture et deux incontestables
réussites (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’âge
d’or </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>On
s’aimera</em></span></span><span lang="fr-FR">).
L’évolution, déjà perceptible avec le « Ferré 64 » vers
un registre plus grave, voire une certaine mélancolie, se fait
encore davantage entendre depuis l’habillage musical de plusieurs
des chansons de ce 30 cm. Presque deux ans après la parution du
double album « Ferré chante Verlaine et Rimbaud » (dont
il sera longuement question dans la section suivante), Léo Ferré
donne ici une définition de la poésie (une parmi d’autres, il y
reviendra constamment) dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
poésie </em></span></span><span lang="fr-FR">justement,
en la déclinant depuis de nombreuses occurrences (« J’ai la
blancheur du cygne / A blanchir tout Saint-Cyr / Et sur un de mes
signes / On meurt pour le plaisir ». Est-elle pour autant là
où l’on croit la trouver ? Pas sûr : « D’ailleurs ell’
n’est pas là / Mais dans la têt’ d’un fou / Ou bien chez des
voyous »). Durant les années Odéon, Ferré était revenu
plusieurs fois en chansons sur la période « de galère »
durant laquelle il courrait après le cacheton. Néanmoins le côté
gouailleur reprenait le dessus : le misérabilisme s’effaçant
devant l’ébauche d’une critique sociale. Ici avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
faim, </em></span></span><span lang="fr-FR">la
gravité paraît de mise : l’auteur l’exprime dans des vers secs
comme la trique (ou la misère) qui vont à l’essentiel :
l’incertitude des lendemains dont on ne sait pas de quoi ils seront
faits (« La faim / Quand ça m’prenait / Maintenant ça va /
du moins j’le crois »). Soutenue par une orchestration
idoine, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mort </em></span></span><span lang="fr-FR">annonce
la couleur tragique de quelques une des chansons à venir. Ceci « En
mettant du noir sur les yeux / Et du sang frais sur les cailloux ».
Ce sont les qualités musicales (bien servies par une somptueuse
orchestration) qui priment dans ces </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Romantiques,
</em></span></span><span lang="fr-FR">version
1966. Autres temps, autres moeurs : « Ils regardaient la nuit
dans un chagrin d’enfant / Ils regardent l’ennui sur un petit
écran ». Après l’accordéon et le piano, Léo Ferré rend
un hommage au saxophone (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Beau
saxo</em></span></span><span lang="fr-FR">)
: ce parent pauvre, un peu louche, parfois canaille (« T’es
comme un rossignol / A la voix d’goéland / (…) / T’es comme un
soprano / Qu’aurait vendu Callas / Et chant’rai comme un pot / le
prologue de Paillasse ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">La
verve de Léo Ferré reste cependant intacte. Il suffit d’écouter
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
Paladium </em></span></span><span lang="fr-FR">:
une parodie pop/rock qui décrit à la manière d’un entomologiste
la « belle jeunesse » qui fait alors le succès de
l’établissement. On retrouve avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
complainte de la télé</em></span></span><span lang="fr-FR">
une autre cible du Ferré de l’époque : la télévision. Il y
brocarde dans une veine chansonnière cette « montreuse à tout
va (…) qu’on appelle la télé ». Le facétieux et presque
exhaustif inventaire de la télé de ces années-là (« C’est
leurs jeux interlopes qui me luxent les antennes ») ou (« Dans
mon lit à colonnes j’peux leur montrer ma Une ») ou (« Moi
pour prendre un coup d’air faut que j’me tap’ le rugby »)
prêterait moins à conséquence si les deux derniers vers (« Des
fois j’suis pas causeuse, c’est quand j’ai mes affaires / Alors
je dis Barka ! et j’prends l’frais mon p’tit père ») ne
nous remettaient en mémoire une actualité moins souriante. Le
Ferré contestataire est plus explicitement représenté par </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
la vie </em></span></span><span lang="fr-FR">(« La
loi qui met les gens au trou / Et celle qui te prend tes sous /
(…) / Les urnes de la connerie / Les plébiscites qui nous lient /
Le Tyran qui mourra demain / Les pissenlits des lendemains / (…) :
L’enfant que je je t’ai pas fait / Toujours un d’moins à
s’emmerder / Dans la vie »). La contestation prend une
tournure plus ironique avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
grève </em></span></span><span lang="fr-FR">(« Mais
faut jamais même en rêve / Faut jamais faire la grève »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
en vient aux deux chansons les plus représentatives de ce cru 1966.
Léo Ferré chante l’utopie dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’âge
d’or. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
sienne appartient d’abord à celle des poètes (« Nous auront
du pain / Doré comme des filles / Sous les soleils d’or / Nous
aurons du vin / De celui qui pétille / même quand il dort »).
C’est le « programme » de tous ceux qui « voient
l’incroyable », et s’efforcent de vivre en accord avec
leurs rêves plutôt que de subir passivement ce monde (« Nous
aurons la mer / A deux pas de l’étoile / Les jours de grands
vents »). Un monde qu’il faudrait transformer, cela va de
soi, mais sans le pouvoir de l’imagination qu’en est-il ? En
attendant, amis, reprenons en choeur : « Nous aurons l’hiver
/ Avec une cigale / Dans ses cheveux blancs / Nous aurons l’amour /
Dedans tous nos problèmes / Et tous les discours / Finiront par « je
t’aime » / Vienne et vienne alors / Vienne L’âge d’or ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>On
s’aimera </em></span></span><span lang="fr-FR">n’a
pas la même notoriété. C’est pourtant l’une des plus belles
chansons de Léo Ferré. Elle traite d’un thème éternel, celui du
passage des saisons, décliné ici par Ferré au grée de son
inspiration poétique. On y trouve des bonheurs d’expression, par
exemple lors de l’annonce du printemps (« on s’aimera ce
printemps / quand les soucis guignols / dansent le french cancan / au
son du rossignol / quand le chignon d’hiver / de la terre endormie
/ se défait pour refaire / l’amour avec la vie »), ou celle
de l’automne (« quand les oiseaux frileux / se prennent par
la taille / et qu’il fait encore bleu / dans le ciel en
bataille »). Mais ce sont les paroles de la chanson toute
entière qu’il faudrait citer. Tout s’en va et tout renaît, les
amours comme le reste. La musique le souligne en un contrepoint
nostalgique. Les mots alors se tendent sous la caresse d’un violon
(qui nous met presque les larmes aux yeux). Et l’on entend comme un
murmure, celui de la mélancolie peut-être.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LÉO
FERRÉ CHANTE LES POÈTES</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Tout
au long de sa carrière, Léo Ferré a mis en musique les textes de
poèmes qu’il aimait : du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pont
Mirabeau </em></span></span><span lang="fr-FR">d’Apollinaire
à </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Une
saison en enfer </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Rimbaud. Nous allons d’abord explorer le principal massif, entre
1953 et 1967, celui comportant deux albums consacrés à Baudelaire,
et un double Verlaine/Rimbaud. Cela fut diversement apprécié. Les
critiques, du moins certains d’entre eux, n’épargnèrent guère
Ferré lors de la sortie de l’un ou l’autre de ces albums, et
émirent parfois de fortes réserves, le plus souvent injustifiées
pour des raisons où l’on distinguera le général du particulier.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
premier lieu il serait question d’un interdit. Comment, après
Duparc, Fauré, Debussy, Ravel, Poulenc, et quelques autres, peut-on
mettre de la musique sur les vers d’Apollinaire, de Baudelaire, et
de Verlaine (sauf Rimbaud, non visité par ces compositeurs). Il faut
un sacré culot, pour ne pas dire de la prétention. Comparons ce qui
est comparable. En composant leurs mélodies, sur les vers d’untel,
ces musiciens font d’abord du Fauré, du Debussy, ou du Ravel.
Critiques et amateurs éclairés se sont toujours accordés pour
privilégier dans l’une ou l’autre de ces mélodies la ligne du
chant et le caractère de l’accompagnement pianistique (ou
orchestral). La lisibilité et la compréhension du texte restant
malgré tout secondaires. Gabriel Fauré, nous dit Vladimir
Jankelevitch, voulait « un texte mou et qui cède sous les
notes, et qui n’offre aucune résistance à la liberté de
l’imagination musicale ». C’est ainsi que Fauré fera ses
délices, et les nôtres musicalement parlant, des Silvestre, Samain,
Mendès, et autres Bussine, bien oubliés aujourd’hui (ce qu’on
comprend aisément), alors que ses trois rencontres avec Baudelaire
n’ajouteront pas grand chose à son talent mélodique.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Il
en va de même avec Claude Debussy, par exemple dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
promenoir des deux amants </em></span></span><span lang="fr-FR">:
les vers de Tristan Lhermite ne brillent guère par leur originalité,
mais en revanche ce cycle s’avère mélodiquement supérieur à
celui des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Cinq
poèmes </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Baudelaire. Et il ne faudrait pas croire pour autant que Baudelaire
serait inadaptable. Il suffit d’écouter </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’invitation
au voyage </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vie antérieure </em></span></span><span lang="fr-FR">mis
en musique par Henri Duparc pour se persuader du contraire. Ajoutons
que les poèmes de Tristan Klingsor du triptyque de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Shéhérazade
</em></span></span><span lang="fr-FR">pêchent
par leur exotisme de pacotille et paraissent aujourd’hui bien
datés. Et pourtant, ce qu’en fait Ravel confine à l’enchantement.
Des qualités mélodiques que l’on est loin de retrouver quand
l’auteur du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Boléro
</em></span></span><span lang="fr-FR">se
confronte à la poésie de Verlaine.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Les
exemples ci-dessus relèvent moins de l’évidence avec Francis
Poulenc. Plus que ses prédécesseurs, Poulenc s’attache à mettre
le texte en valeur, à le rendre audible. De surcroît les poètes
convoqués par Poulenc, Apollinaire et Éluard étant les mieux
représentés, témoignent du goût sûr de Francis Poulenc pour la
poésie. En fait la chanson pointe parfois le bout de son nez chez
Poulenc. On ne sait, à l’écoute du poème </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
disparu </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Desnos (où la musique se met totalement au service du texte), s’il
faut encore parler de mélodie ou déjà évoquer la chanson. Et
c’est remarquable !</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Voilà
qui permet de revenir à Léo Ferré. Vouloir comparer ses
adaptations à celles de ses illustres devanciers relève de
l’absurde. Il s’agit de deux domaines bien distincts. Ferré sert
davantage le texte que ne le font Fauré, Debussy et Ravel. Il
n’invente évidemment rien sur le plan musical en adaptant ses
quatre poètes de chevet. Il les a d’abord choisis en fonction de
sa sensibilité et de ses goûts esthétiques. Ceci avec les moyens
qui sont les siens, ceux de l’un des meilleurs mélodistes de la
chanson française, susceptible de trouver son miel dans la musique
savante comme dans celle dite populaire. En fait, Ferré propose son
interprétation d’un texte poétique. Elle me semble le plus
souvent convaincante, et je l’expliquerai dans le détail. Chaque
univers possède sa propre cohérence : celui de Baudelaire d’un
côté, comme ceux, dissemblables, quoi qu’associés, de Verlaine
et Rimbaud. Enfin, n’en alors déplaise aux gardiens du temple, la
poésie ne pouvait qu’y gagner, quand bien même il ne s’agissait
pas de celle qui s’écrivait durant les années cinquante et
soixante. Je parle à l’imparfait parce que l’interdit évoqué
plus haut (défense de mettre de la musique sur ses vers) n’est
plus de saison depuis un bon moment. Et plus personne ne reproche à
Léo Ferré, ou à quiconque, de transgresser ce qui n’a plus lieu
d’être. Et puis, qui s’intéresse encore à la poésie en 2023 ?
Pas grand monde.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Le
premier album entièrement consacré à un poète, Baudelaire en
l’occurence, date de 1957. Cela pouvait s’apparenter à une
gageure en raison de la notoriété de certains des poèmes des
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Fleurs
du mal</em></span></span><span lang="fr-FR">
mis ici en musique par Ferré, dont certains l’avaient déjà été
au siècle précédent par l’un ou l’autre des compositeurs cités
ci-dessus. Le résultat, ce disque intitulé « </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
fleurs du mal </em></span></span><span lang="fr-FR">chantées
par Léo Ferré », est mitigé. Le côté « disparate »
des mélodies, et des arrangement musicaux, l’expliquent en partie.
On peut même parler de « contre-emploi » pour certaines
orchestrations : celles là même qui habillent habituellement les
chansons de Ferré, dans une veine populaire disons, paraissent
quelque peu déplacées avec les poèmes de Baudelaire. Une perle
cependant doit être signalée (dans un ensemble inégal où l’on
distingue pour le mieux </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
serpent qui danse, Le léthé, A celle qui est trop gaie</em></span></span><span lang="fr-FR">)
: cette </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mort
des amants </em></span></span><span lang="fr-FR">que
Ferré reprendra souvent en public.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">De
1964 date le double album consacré à Verlaine et Rimbaud. Il
semblerait que ce disque ait pris plus d’importance au fil des
années. Je parlerais ici d’un chef d’oeuvre, auxquels Verlaine
comme Rimbaud se trouvent associés. Les réserves exprimées
ci-dessus sur le Baudelaire de 1957 sont balayées. Et bien
évidemment les orchestrations de Jean-Michel Defaye l’expliquent
principalement. Entrons dans le détail de ce riche inventaire.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Paul
Verlaine d’abord. Jamais la voix du « pauvre Lélian »
n’a été restituée avec autant de sensibilité et de justesse.
Avec ce qu’il faut de mélancolie, de déchirement, et d’ironie
aussi pour illustrer un univers poétique au sujet duquel, premier
paradoxe, des générations de lecteurs se sont accordés sur la
musicalité du vers de Verlaine. Pourquoi le mettre en musique alors
? Il n’est pourtant pas certain que tous l’entendent. Prenons
l’exemple de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Il
patinait. </em></span></span><span lang="fr-FR">Ne
fallait-il pas rameuter ces violons, à la fin de chaque couplet,
pour anticiper le dernier vers, essentiel quant à la compréhension
du poème : « Que sera-t-il advenu de lui ». Sur l’ultime
vers, célèbre celui-là, de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mon
rêve familier, </em></span></span><span lang="fr-FR">la
voix de l’interprète s’en vient se briser (« L’unisson
des voix chères qui se sont tues ») sur un rêve auparavant
détaillé avec ce qu’il faut de passion retenue pour se souvenir
d’un nom et d’un regard. Dans le même registre, celui d’un
allègement de la palette, citons le délicieux </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Je
vous vois encore </em></span></span><span lang="fr-FR">:
« Mais vous n’aviez plus l’humide gaité / Du plus délirant
de tous vos tantots ». A l’opposé, le caractère
mélancolique de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>O
triste</em></span></span><span lang="fr-FR">
se trouve renforcé par le dramatisme de la ligne orchestrale des
cordes. On aurait envie de citer le mot de Van Gogh (ou de Pialat) :
« La tristesse durera toujours ». A l’opposé presque,
quelques notes de saxophone en introduction aux </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pensionnaires</em></span></span><span lang="fr-FR">,
qui reviennent sur un mode plus passionné pour illustrer ensuite les
gestes de l’amour, restituent le climat de moiteur et d’érotisme
propre au poème.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">J’ai
gardé pour la fin ce pur joyau, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Âme
te souvient-il ? </em></span></span><span lang="fr-FR">D’emblée
le ton est donné par une ritournelle au piano, envoutante,
obsédante, bouleversante, qui reviendra après chaque couplet. Cela
tient du vertige d’entendre pareille musique, la parfaite
illustration de l’univers nostalgique et mélancolique du poème. A
croire que la musique aurait été composée auparavant. Une
merveille d’adaptation.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Arthur
Rimbaud ensuite. Le changement de climat musical devient sensible.
C’est sur un air de tango que la voix de Léo Ferré exhorte </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
corbeaux </em></span></span><span lang="fr-FR">avec
les mots de Rimbaud, tandis que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’étoile
a pleuré rose </em></span></span><span lang="fr-FR">cherche
ses couleurs du côté du blues. Le piano, seul, accompagne
l’interprète dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson de la plus haute tour. </em></span></span><span lang="fr-FR">Un
piano obsédant, fiévreux, impatient, véhément comme pouvait être
l’auteur du poème. Les deux grandes réussites de ce cycle Rimbaud
s’appellent </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
assis </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
poètes de sept ans. </em></span></span><span lang="fr-FR">Ici
la dette de l’auteur de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ni
Dieu ni maître </em></span></span><span lang="fr-FR">envers
l’adolescent révolté, le rebelle, le voleur de feu, l’homme aux
semelles de vent,</span><span lang="fr-FR">se
passe de commentaire. Dans les deux cas l’interprétation de Ferré
s’avère exemplaire il faut l’entendre chanter ces vers avec la
force, la violence, la conviction que réclame le texte de Rimbaud.
Cela aussi parce qu’on est pas près d’oublier cette montée
progressive en puissance de la voix et de l’orchestre dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
assis. </em></span></span><span lang="fr-FR">Quant
aux </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poètes
de sept ans </em></span></span><span lang="fr-FR">les
mots semblent d’un faible recours pour dire en quoi la musique,
l’orchestration et l’interprétation « habitée » de
Ferré nous laissent une énième fois sans voix.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Pour
en terminer avec ce double album, j’ajoute que l’alternance des
poèmes de Verlaine et de Rimbaud s’avère judicieuse. Par delà
les différences de style et de propos, les deux poètes sont ici
réunis pour le meilleur. Et Léo Ferré signe l’un de ses plus
grands disques. Il reste à saluer les orchestrations de Jean-Michel
Defaye. Trop peu cité, le nom de cet orchestrateur doit être
associé à cette réussite. Il est vrai que les musiques composées
par Ferré ne pouvaient tirer que vers le haut l’habillage
orchestral de ces 24 poèmes.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
1967, Léo Ferré remet le couvert avec un double album consacré à
Baudelaire. Là, contrairement au sentiment mitigé du disque « Léo
Ferré chante </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
fleurs du mal</em></span></span><span lang="fr-FR"> »</span><span lang="fr-FR">de
1957, il faut évoquer une réussite comparable à celle du
« Verlaine Rimbaud ». D’ailleurs le climat musical de
ce Baudelaire 67 se rapproche, sinon plus, de celui du précédent
disque (sorti en 1964). Une couleur qui sied davantage à l’auteur
des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Fleurs
du mal </em></span></span><span lang="fr-FR">avec
des tons passant de l’automnal au crépusculaire. Et puis Ferré,
avouons-le, plus que les grands musiciens qui l’ont précédée
dans ce genre d’exercice, rend exemplairement compte de la noirceur
de l’univers baudelairien. D’emblée, dès le </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Spleen
</em></span></span><span lang="fr-FR">d’ouverture,
nous y sommes confrontés. On a pu dire que Léo Ferré « en
rajoutait » dans ce registre. Mais ne fallait-il pas renchérir
sur le côté poisseux, angoissant, voire redondant du poème ? On ne
pouvait retrouver Baudelaire qu’en forçant le trait. Et Ferré le
fait admirablement. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
une Malabranaise </em></span></span><span lang="fr-FR">permet
de mettre la focale ce qui sépare ce double album du Baudelaire 57 :
la musique de Ferré et l’orchestration de Defaye soulignent
parfaitement la sensualité ici des vers de Baudelaire.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">A
l’écoute de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Tu
mettrais l’univers </em></span></span><span lang="fr-FR">on
a plutôt envie de parler d’évidence. En raison de l’adéquation
du texte et de la musique. A relire aujourd’hui ce poème (pas des
plus visités de l’auteur certes), comment ne pas entendre la voix
de Léo Ferré ! </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’albatros,
</em></span></span><span lang="fr-FR">plus
connu, illustre une thématique chère à l’auteur. Lui même
écrira plus tard la musique de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’albatros,
</em></span></span><span lang="fr-FR">le
film de Jean-Pierre Mocky (et inscrivait à la même époque la
chanson </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
albatros </em></span></span><span lang="fr-FR">à
son répertoire). Ferré met plus qu’ailleurs ses pas dans ceux de
Baudelaire lorsqu’il chante cette figure de poète que « ses
ailes de géant l’empêchent de marcher ». Dans le registre
sarcastique, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
vin de l’assassin </em></span></span><span lang="fr-FR">nous
agréé (ah le rire diabolique de Ferré à la fin de la chanson !)
qu’égale </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
charogne </em></span></span><span lang="fr-FR">dans
une tonalité plus morbide. Parmi les autres réussites de cet album
citons </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’étranger,
A une passante, Le flacon, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
vert paradis.</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Je
termine avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
servante au grand coeur </em></span></span><span lang="fr-FR">dont
j’ose affirmer qu’elle fut écrite par Baudelaire pour permettre
à Léo Ferré, un siècle et quelques années plus tard, de mettre
de la musique sur ces vers. Enfonçons le clou : ce poème devient
bouleversant, plus que nous l’accorde sa lecture, quand cette voix,
cette musique et cet accompagnement le font revivre ainsi, et lui
donnent cette touche pathétique. En écoutant ce choeur
« d’outre-tombe », cet admirable choeur d’hommes
(merci monsieur Defaye !), n’entend-on pas les morts, les « pauvres
morts » du poème ?</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Aux
lecteurs qui pourraient s’étonner de ne pas trouver mentionné
dans cette section l’album de 1960 « Léo Ferré chante Louis
Aragon », je conseille de se rapporter à l’entrée « Louis
Aragon » de notre </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Dictionnaire
« raisonné » de la chanson française au XXe siècle
</em></span></span><span lang="fr-FR">(</span><ins><a href="http://www.dicochansons.fr/"><span lang="fr-FR">www.dicochansons.fr</span></a></ins><span lang="fr-FR">)</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>.
</em></span></span><span lang="fr-FR">Il
pourra ainsi vérifier qu’Aragon (dit « la gâteuse »)
est mort en 1932 à Kharkov. Une information de date (1896-1932)
qu’ils ne trouveront que dans les bons dictionnaires. Pour les
lecteurs désireux d’en savoir davantage sur ce qualificatif de
« gâteuse », mon texte, « Aragon, le bonimenteur
du mentir vrai », est disponible sur le site de la revue en
ligne </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>d-fiction
</em></span></span><span lang="fr-FR">(https://d-fiction.fr).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉE
1967 : UN « GRAND FERRÉ » ALORS OCCULTÉ</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">La
première partie des années Barclay se termine avec l’album paru
en 1967. On ne remarqua pas tant cette parution, toute proportion
gardée, en raison des qualités propres à ce 30 cm que pour un acte
de censure : une chanson y avait été retirée in extremis avant le
pressage du disque. Dédiée et consacrée à Édith Piaf, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
une chanteuse morte </em></span></span><span lang="fr-FR">s’en
prenait dans le dernier couplet au margoulin qui « manageait »
la carrière de Mireille Mathieu (alors le clone de Piaf). Monsieur
Barclay eut le dernier mot devant un tribunal et le disque sorti
amputé de ce titre. Il fallut attendre 2003, dans un coffret
regroupant des enregistrements Barclay, pour prendre connaissance de
cette chanson que Ferré n’a pas repris - que je sache -
ultérieurement en public. Il s’agit surtout d’un hommage
« version Ferré » à Piaf (« T’aurais chanté
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>France
Soir </em></span></span><span lang="fr-FR">comme
de l’Apollinaire »). Précisons que l’on entendit pas plus
sur les chaînes de radio les autres chansons de ce disque que celles
des trois 30 cm qui le précédaient. Cet album, plus que les
précédents, trouva un nouveau public lors du « retour »
de Léo Ferré après 1969. Ce cru 67 il est vrai s’avère de très
bonne qualité : s’il clôt une époque, il annonce sous certains
aspects celle qui lui succèdera.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Fin
d’une époque en ce sens que l’aspect populaire, gouailleur,
argotique, voire « rengaine » des chansons de Léo Ferré
se fait une dernière fois entendre. Je force volontairement le trait
: il s’agit d’une tendance, bien évidemment. Ce qui signifie par
exemple que Ferré, sans complètement abandonner cet aspect-là,
privilégiera ensuite d’autres formes dans ses expressions écrites
et musicales. C’est en tout cas la fin d’un genre et de modèles
qui avaient principalement marqué les années Odéon. En d’autres
temps </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Cette
chanson, </em></span></span><span lang="fr-FR">le
premier titre de cet album 67, aurait pu jouer le rôle encore dévolu
à </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
le printemps </em></span></span><span lang="fr-FR">en
1964. Les années 1970 ne la retiendront pas : « rengaine ta
rengaine », comme le chantait Montand. La musique de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Cette
chanson </em></span></span><span lang="fr-FR">avait
d’ailleurs été composée une quinzaine d’années plus tôt. Il
en reste d’ailleurs un témoignage (avec d’autres paroles, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Moi
j’vois tout en bleu </em></span></span><span lang="fr-FR">étant
le titre d’origine) avec une bande de travail reprise
ultérieurement dans un disque posthume. Toujours dans cette
« première manière » citons </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>On
est pas des saints </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
un air. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
première pourrait être le lieu de rencontre entre </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
copains d’la neuille </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>l’âme
du rouquin </em></span></span><span lang="fr-FR">:
une fois éclusés « Cin-zano » et « Notre
Per’-Nod », « Monsieur le Curé / Entre deux vobiscomes
/ Ira s’rhabiller / A la façon des hommes ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
un air </em></span></span><span lang="fr-FR">possède
le charme de ces chansons que l’on fredonne comme ça, sans raison,
avec des mots de tous les jours : « C’est un air qui court
dans la rue / Qui fait l’tapin, qui fait la grue ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Tout
comme il existe une littérature de « second rayon » (qui
parfois vaut largement certains des exemplaires du « premier
rayon »), on pourrait parler de la chanson sur ce mode. J’en
veux pour preuve trois titres de cet album. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
bonheur, </em></span></span><span lang="fr-FR">pour
commencer. Ceux qui se plaignent que « Ferré en fait trop »
(le Ferré des années 1970), en auront ici un démenti. Quelques
vers, où il n’y a rien à retrancher ni à ajouter, font le tour
d’une vaste question. Et puis le bonheur, n’est ce pas « du
chagrin qui se repose ». Vous connaissez une meilleure
définition ? </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
gares les ports </em></span></span><span lang="fr-FR">avait
les qualités requise pour devenir l’hymne de tous ceux qui
préfèrent voyager dans les rayons de la NRF plutôt que dans les
trains de la SNCF. Les livres n’ont pas d’horaire, nous dit
Ferré. Un avantage appréciable. Et avec eux « on voyage en
douce (…) ça coûte rien ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
lit </em></span></span><span lang="fr-FR">n’est
pas exempte de réminiscences baudelairiennes (rappelons que la même
année, Léo Ferré consacrait un double album à Baudelaire). A cet
« antichambre du tombeau » fait écho « ce
tabernacle du plaisir ». Ou réciproquement. Ou encore : « Ce
frère de mes longues nuits / Et que l’on appelle l’ennui / Au
fond du lit des solitaires ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
procédant par strates, avant d’en venir à la couche la plus
profonde, dégageons le trio </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Quartier
latin, Salut beatnik, Ils ont voté. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
dernière chanson illustre ce vieux et sempiternel débat opposant
depuis des lustres les anarchistes d’un côté, et les différents
courants de la gauche et de l’extrême gauche de l’autre sur le
recours ou pas au suffrage universel. J’ajoute que les premiers, en
refusant ce vote-là, sont de facto les dépositaires d’une
exigence démocratique qui excède celle dont on nous rebat les
oreilles, à savoir la « démocratie représentative »
(rarement nommée en tant de telle). Il s’agit en quelque sorte
d’un pis-aller puisque le suffrage universel, à de rares
exceptions près, ne peut qu’avaliser un mode de fonctionnement
démocratique a minima, qui perpétue le système capitaliste sous
ses variantes de droite ou de gauche. Alors que la démocratie au
sens plein (celui de la « démocratie directe ») devrait
permettre aux citoyens de prendre collectivement en charge tout les
aspects de leur existence, depuis leurs lieux de production jusqu’à
la vie au quotidien. Mais revenons en 1967. Cette thématique, celle
des mirages de l’électoralisme, Léo Ferré l’avait déjà
évoquée dans des chansons antérieures, en nous laissant cependant
quelque peu sur notre faim. Avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ils
ont voté </em></span></span><span lang="fr-FR">nous
sommes comblés. Cette chanson fait partie des titres qui ont
contribué à camper le Ferré anar. Pour notre bonheur, il la
reprenait en public lors de chaque consultation électorale. Notons
cependant une modification en 1981 : la « France socialiste »
du dernier couplet devenant une « France anarchiste ».
Ceci pour éviter tout malentendu. « Ils ont voté… Et puis
après ? », n’est ce pas. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Salut
beatnik </em></span></span><span lang="fr-FR">change
de ton (en comparaison de l’ironie mordante des couplets de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ils
ont voté</em></span></span><span lang="fr-FR">)
mais non de registre. Dans la lignée de Woody Guntrie et de Bob
Dylan, la chanson folk, d’expression française, avait illustré
(pour le mieux) ou caricaturé (pour le pire) quelques figures de
beatniks. Avec Ferré nous entrons dans une autre dimension. Pour
l’introduire le propos devient délibérément politique (« Et
c’est la vie qui va et les politic-chiottes / Et d’la France et
du monde et des ordures aussi / Y’a du rouge à Pékin et des môm’s
qui font ça / Le fumier ça s’conjugue aussi dans ces coins-là ».
On rappelle que la même année Guy Debord publiait dans
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’Internationale
situationniste </em></span></span><span lang="fr-FR">un
long article intitulé « Le point de vue de l’idéologie en
Chine » qui expliquait avant tout le monde, ou du moins mieux
que « tout le monde », l’essentiel de ce qu’il
fallait savoir sur le régime maoïste. Là encore, seul Léo Ferré
était bien le seul dans le monde de la chanson à exprimer
publiquement son sentiment sur cette prétendue « révolution
culturelle ». Chez le beatnik Ferré reconnaît d’abord le
révolté, celui qui vit en marge et n’est pas « encore
pourri ». Plus loin, le pamphlétaire politique reprend le
dessus : « Beatnik fais toi anar et puis va boire un coup /
Avec ceux qu’ont trinqué en Espagne et puis partout / Avec ceux
qui dis’nt non toujours pour le principe / Avec ceux qui tout nus
ont l’air d’avoir des nippes ») non sans oublier de
fustiger au passage « Johnson », puis « les fidel
les mao les charlot les apôtres » jusqu’à cette chute de
« la tristesse parfois de vivre ». Cette tristesse n’est
pas moins prémonitoire que le « La France s’ennuie »
de Viansson-Ponté d’avril 1968. Elle pourrait d’ailleurs
introduire </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Quartier
latin. </em></span></span><span lang="fr-FR">Ferré
y évoque non sans nostalgie, sa belle mélodie y concourt, ce
quartier latin dont il ne « r’trouve plus rien / Tellement
c’est loin ». Comment, quand Ferré chante « Rue
Soufflot / Les vitrines / Font la gueule », ne pas penser aux
« événements » de l’année à venir ? Plus pour
longtemps (« La vitrine appelle le pavé » certes !).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Deux
chansons, plus encore, doivent être associées à l’excellence de
ce cru 67 : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
Marseillaise </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pacfic
blues. </em></span></span><span lang="fr-FR">Toutes
deux, dans des genres différents, appartiennent à la veine
antimilitariste de Léo Ferré. Cette superbe </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marseillaise
</em></span></span><span lang="fr-FR">excède
pourtant ce strict aspect-là, déjà illustré dans le répertoire
de notre auteur. Elle se trouve de surcroît particulièrement mise
en valeur par l’orchestration de Jean-Michel Defaye, et la
puissance de l’interprétation de Ferré. On ne sait s’il faut
d’abord mettre cette réussite sur le compte du talent poétique de
Léo Ferré (« J’connais un’ grue dans ce pays / Avec des
dents longu’s comm’ le bras / Et qui s’tapait tous les soldats
/ Qu’avaient la mort dans leur fusil ») ou de la force de
l’évocation (« C’est dans les champ qu’ell’ train’
son cul / Ou y’a des croix comm’ des oiseaux / Des croix blanch’s
plantées pour la peau / La peau des autr’s bien entendu »).
C’est le recours le plus souvent à l’ellipse qui distingue cette
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marseillaise
</em></span></span><span lang="fr-FR">des
autres chansons de Ferré dans ce même registre (« Arrête un
peu que j’vois / Si t’as d’la voix / Et si j’en aurais pour
mes galons / Arrête un peu que j’vois / Et puis que j’abreuv’
tous vos sillons / Et j’vous dirais / Combien ça fait »). On
ne risque pas de confondre cette </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marseillaise
</em></span></span><span lang="fr-FR">avec
la nationale, celle de Rouget de l’Isle, malheureusement plus
connue.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Cet
antimilitarisme Léo Ferré le décline sur un autre mode avec
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pacific
blues. </em></span></span><span lang="fr-FR">Seule
chanson du 25 cm « censuré » de 1961 à ne pas avoir été
reprise dans l’un ou l’autre des albums suivants, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pacific
blues </em></span></span><span lang="fr-FR">serait
plus ancienne encore. Dans l’émission radiophonique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>De
sac et de cordes </em></span></span><span lang="fr-FR">(1951),
le récitant, Jean Gabin, déclame le refrain de la chanson (« Petit
soldat deviendra grand / Pourvu que Dieu lui prête vie… »).
En revanche la musique semble avoir été écrite plus tard. Le texte
ne se réfère à aucune guerre précise mais devait sans doute à
l’origine évoquer celle d’Indochine, puis en 1961 celle
d’Algérie. Il raconte l’histoire d’un soldat qui, comme tant
d’autres, « s’en ira les pieds devant ». Entre le
refrain et les couplets, le contrepoint orchestral (on entend alors
que les instruments à vent), lancinant, obsédant, résonne comme en
un écho du destin tragique de ce pauvre soldat (l’arrangeur
Jean-Michel Defaye est au sommet de son art). On apprenait en 2003
que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pacific
bleues </em></span></span><span lang="fr-FR">ne
s'était retrouvée in fine sur ce disque que parce que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
une chanteuse morte </em></span></span><span lang="fr-FR">venait
d’y être retirée. Ce qui paraît invraisemblable compte tenu de
ce qui vient d’être précédemment dit en faveur de cette chanson.
Et puis, lors de l’un de ses rares passages ces années-là à la
télévision (mais à </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Discorama,
</em></span></span><span lang="fr-FR">certes),
Léo Ferré, qui venait de sortir cet album de 1967, y avait chanté
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pacific
blues </em></span></span><span lang="fr-FR">!
</span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉES
1968, 1969 : LE RETOUR FRACASSANT DE LÉO FERRÉ</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Mai
68 représente une date importante dans la carrière de Léo Ferré.
Le soir du 10 mai 1968, Ferré est à l’affiche d’un gala de
soutien au </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Monde
libertaire, </em></span></span><span lang="fr-FR">à
la Mutualité. Plus tard Maurice Joyeux écrira : « C’est de
la grande salle de la Mutualité, où ils étaient venus entendre Léo
Ferré (…) que les anarchistes monteront vers la rue Gay Lussac
pour participer à la nuit des barricades ». Cet événement
dans la carrière du chanteur, celui de ce printemps 1968, prend
d’autant plus de signification que la vie de Léo Ferré va se
trouver bouleversée, juste avant, pour une tout autre raison. Ironie
du calendrier, une grave dispute éclate le 22 mars entre Léo à sa
femme Madeleine, sa seconde épouse. Il quitte le domicile conjugal
le jour même, définitivement. Cette rupture se transforme en
tragédie quand, trois semaines plus tard, Ferré apprend la mort de
la guenon Pépée (que Madeleine a fait abattre). Cette tranche de la
vie de Léo Ferré est bien connue, et les torts seraient partagés.
Un épisode traumatique, c’est ce en quoi le biographique
m’intéresse ici, qui va se retrouver en chanson. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Ce
même mois d’avril 1968, Ferré écrit </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pépée.
</em></span></span><span lang="fr-FR">Cette
chanson se retrouve sur le 30 cm qui sort en janvier 1969. On
constate d’abord que les plus grandes douleurs ne sont pas
nécessairement dites avec les mots de la douleur. Il paraît parfois
préférable de les aborder par le sarcasme (« T’avais les
oreilles de Gainsbourg »), faire ensuite un détour par le port
d’Anvers (« Quand les marins ont l’âme verte / Et qu’il
leur faut des yeux d’rechange / Pour regarder la nuit des
autres »), évoquer « Jésus machin / Souffler sur ses
trent’ trois bougies », avant de remonter à la source du mal
jusqu’à cette vérité nue et déchirante de « J’voudrais
avoir les mains d’la mort / Pépée / Et puis les yeux et puis le
coeur / Et m’en venir coucher chez toi / On couche toujours avec
des morts / On couche toujours avec des morts / Pépée ». Là
aussi l’interprétation, la musique, l’orchestration (on y entend
pour la première fois, encore discrètement il est vrai, les accords
de piano que l’on retrouvera avec des variantes dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer, Avec le temps, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
quelques autres chansons de la décennie 70 : c’est à dire le
« son Ferré » pour les années à venir, du moins dans
cette tonalité-là). Il n’est pas besoin d’ajouter que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pépée
</em></span></span><span lang="fr-FR">prend
place parmi les meilleurs titres de notre interprète.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Cet
album signe le retour en force de Léo Ferré. Son passage sur la
scène de Bobino amplifie le phénomène. Ferré y rencontre un
nouveau public. Toute une génération découvre un chanteur de 53
ans (que d’aucuns considéraient « fini » ou
« dépassé ») qui, mai 68 étant passé par là, devient
le porte-drapeau de la jeunesse révoltée. Cet album de « la
renaissance » en porte le témoignage. Plus qu’aucun autre
« artiste de variétés », du moins de cette envergure,
Ferré se trouve associé à l’agitation et à la contestation de
l’après 68. Le beau mois de mai est d’ailleurs bien référencé
dans ce tour de chant de Bobino. Le mouvement refluant partir du
milieu des années 1970, Léo Ferré n’y reviendra qu’au détour
d’un vers, de temps à autre. Dans cet album de janvier 1969, la
chanson </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’été
68 </em></span></span><span lang="fr-FR">(qui
évoque au passage 1789) prend date : « Comme les enfants du
mois de mai / Qui reviendront cet automne ». Seconde référence
directe au mouvement, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Comme
une fille </em></span></span><span lang="fr-FR">chatouillait
très désagréablement certaines oreilles : « facile, démagogique,
outrancière », a-t-on pu entendre. C’est à voir. Cette
chanson qui certes expose frontalement la chose (les pavés
atterrissent sans coup férir dans la gueule des flics) n’en est
pas moins écrite : « Comme une fille / Qu’a les yeux qui
brillent / Et met ses grenades / Sur la barricade / La rue a ses
charmes / Et les flics en armes / Les prennent dans la tronche »).
Et puis cela faisait sacrément plaisir d’entendre Ferré chanter
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Comme
une fille </em></span></span><span lang="fr-FR">sur
scène, à l’époque. Et encore aujourd’hui sur le pick up. N’en
déplaise à ceux qui continuent d’agonir mai 68 plus de cinquante
ans plus tard (ou de ceux qui reprennent le relais en tenant le
discours du renard de la fable).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
anarchistes, </em></span></span><span lang="fr-FR">je
l’ai indiqué, fut créée sur la scène de la Mutualité le 10 mai
1968. Par un hasard du calendrier, cette chanson, restée dans les
cartons de Léo Ferré (son épouse Madeleine ne l’aimait pas),
rencontrait l’histoire en marche. Plus connue que les deux chansons
précédentes, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
anarchistes </em></span></span><span lang="fr-FR">deviendra
rapidement une sorte d’hymne, indissociablement associé au
chanteur. Puis Ferré cessera de la chanter en public. Plus tard, les
clameurs s’étant tues, il la reprendra dans son tour de chant.
Paradoxalement </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
anarchistes </em></span></span><span lang="fr-FR">retrouvait
une certaine fraîcheur, longtemps après sa création. Sans doute
fallait la réentendre dans un climat dépassionné pour prendre avec
ce recul la mesure du texte. Car il existe des réputations qui
peuvent faire ombrage, même en matière de chanson. Mais ne boudons
pas notre plaisir, les « professions de foi » libertaires
se faisant rares (« Ils ont un drapeau noir / En berne sur
l’espoir / Et la mélancolie / Pour traîner dans la vie / Des
couteaux pour trancher / Le pain de l’amitié / Et des armes
rouillées / Pour ne pas oublier »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Ce
disque représente également une césure dans la carrière de Léo
Ferré, parce que pour la première fois celui-ci y inclut des textes
qui figuraient dans le recueil </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poètes…
vos papiers !</em></span></span><span lang="fr-FR">.
Ferré y aura également recours dans le double album à venir. Ces
textes mis en musique, devenus des chansons (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Madame
la misère, Le testament, A toi</em></span></span><span lang="fr-FR">)
ne jurent nullement dans ce cru 69. En particulier </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Madame
la misère </em></span></span><span lang="fr-FR">où
l’on y entend « Ce sont des enragés qui dérangent
l’histoire ». Qui pouvait se douter, la découvrant, que
cette chanson avait été écrite treize ans auparavant, voire plus !
(« Madame la misère / Écoutez le silence / Qui entoure le lit
défait des magistrats / Le code de la peur se rime avec potence / Il
suffit de trouver quelques pendus d’avance / Et mon Dieu ça ne
manque pas »). La voix puissante de Ferré couvre une
orchestration pourtant haute en couleur, comme accordée au « tumulte
qui monte des bas fonds ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
testament </em></span></span><span lang="fr-FR">permet
à Ferré de brosser une sorte d’autoportrait à travers
« l’inventaire / De ce que j’ai mis de côté ». On y
trouve des objets divers, des noms (ceux de Van Gogh, Dante, Breton,
Balzac, Verlaine), des références (l’anarchie, les bistrots,
l’écriture, les animaux). C’est beaucoup mieux qu’un « maigre
inventaire ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
toi </em></span></span><span lang="fr-FR">clôt
cette liste. Le poème proprement dit était déjà l’un des plus
attachants du recueil de 1956 (« La forêt qui s’élance au
ciel comme une verge / Les serments naufragés qui errent sur les
berges / Les oiseaux dénoncés que le chasseur flamberge »).
L’interprétation de Ferré lui donne cependant une dimension
supplémentaire : il y a un souffle, une force dans l’expression
que soulignent une mélodie et une orchestration pour le moins
inspirées.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Malgré
la reconnaissance publique de cet album, nous étions loin de nous
douter que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
extra </em></span></span><span lang="fr-FR">deviendrait
l’un des tubes de l’été 69 ! Certainement pas son interprète
(qui d’ailleurs la retira rapidement de son tour de chant). Ce
succès, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
extra </em></span></span><span lang="fr-FR">le
devait principalement à l’arrangement musical, mitonné par le
fidèle Defaye. On pouvait danser dans les boites sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
extra </em></span></span><span lang="fr-FR">(une
première pour Ferré, après 25 ans de carrière !). Sinon ce texte
n’a rien d’indigne, bien au contraire. La « patte »
de Léo Ferré y est reconnaissable tout au long de la chanson :
« Un’ rob’ de cuir comme un oubli / Qu’aurait du chien
sans l’faire exprès/ Et dedans comme un matin gris / Un’ fille
qui tangue et qui se tait ») ou encore (« Et sous le
voile à peine clos / Cette touffe de noir jésus / Qui ruisselle
dans son berceau / Comme un nageur qu’on attend plus »). Dans
un autre registre, mais en conservant cette veine mélodique, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’idole
</em></span></span><span lang="fr-FR">traite
des servitudes du métier d’artiste, des malentendus qu’il
engendre, et de la solitude « des matins civils quand je me
prends pour moi ». Il y effleure comme en sourdine de
l’auto-ironie, voire de l’humilité (« Regarde moi bien /
J’suis qu’un artiste »). Avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
nuit </em></span></span><span lang="fr-FR">nous
retrouvons l’un des thèmes familiers de l’univers du chanteur
(il en fera l’héroïne de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’Opéra
du pauvre</em></span></span><span lang="fr-FR">)
: « C’est ma frangine en noir / Celle que j’appell’
bonsoir ». Celle qui cache, dérobe ou met à jour. La nuit de
tous les possible, des affranchis, des amours furtifs (« C’est
une copin’ qui vend / C’que d’habitude on prend / Et qui pour
cent sous d’plus / Se met sens dessous d’sus »). Et puis,
pour conclure cette chanson, un émouvant hommage est rendu à Paul
Castanier, le pianiste aveugle, et accompagnateur de Léo Ferré
depuis 1956 (« C’est cet homm’ qui s’promène / La nuit
en plein midi / Et sa canne qui l’entraîne / Dans les autos
d’Paris / C’est c’est homme qu’a pas vu / La pitié qui
passait / Et qu’attend dans la rue / Des fois qu’on lui
invent’rais / Le jour… le jour »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">Signalons
la sortie, cette même année 1969, d’un double album enregistré à
Bobino au tout début de l’année dans lequel figurent toutes les
chansons de cet album studio. Plusieurs d’entre elles (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Petite,
Paris c’est une idée, Rotterdam</em></span></span><span lang="fr-FR">)
se retrouveront elle sur l’un des deux disques 30 cm de « Amour
Anarchie ». </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
Révolution </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marizibill
</em></span></span><span lang="fr-FR">(sur
un poème d’Apollinaire) n’ont jamais été ensuite enregistrées
en studio. Les onze autres titres restant appartenaient déjà au
répertoire de Léo Ferré.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LA
MUTUALITÉ ET AUTRE CONCERTS DE LÉO FERRÉ</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Ma
première rencontre avec Léo Ferré, sur la scène, date de janvier
1970, lors de l’un de ces concerts mémorables de la Mutualité.
Mémorable parce qu’il s’agissait du premier de ces rendez-vous
pris avec un chanteur dont j’avais presque oublié l’existence
avant mai 68, et qui s’était rappelé à mon bon souvenir, un an
plus tôt, avec un album qui m’incitait, durant cette même année
1969, à découvrir, voire redécouvrir l’oeuvre déjà conséquente
de Léo Ferré. Et puis Ferré, ce soir-là, chanta une partie des
chansons que l’on retrouvera au printemps et à l’automne de la
même année sur le double album « Amour-Anarchie ».
Mémorable aussi parce la moyenne d’âge dans le public ne
dépassait guère 20 ans. Un public d’ailleurs survolté et prêt à
s’affronter physiquement après le concert avec les CRS. En effet,
en sortant de la salle de la Mutualité, nous découvrions plusieurs
cars de CRS, dont les occupants furent copieusement conspués.
J’avais été auparavant impressionné par le tour de chant de
Ferré : une prestation sans artifice (Madeleine n’étant plus là
pour « mettre en scène » Léo), mais terriblement
efficace, bien servie par le piano de Paul Castanier. Sans concession
aussi vis à vis du public : Léo Ferré quittant la salle sans les
salutations d’usage. C’est peu dire que l’esprit de mai 68
soufflait ce soir-là sur la scène de la Mutualité, et dans la
salle. C’est certainement ce qui explique la réaction du plumitif
du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Figaro,
</em></span></span><span lang="fr-FR">un
dénommé Paul Carrière, écrivant (l’une des perles d’un
bêtisier qui prendra de l’ampleur les années suivantes) : « Cette
fois Ferré a voulu se vêtir des couleurs de l’anarchie. Mais il
n’a déniché que le pantalon garance des tourlourous et la chemise
noire des balbas. Depuis que la clique de mai lui sert de claque, il
possède un vrai public ni snob ni blasé trépignant à la moindre
évocation des pavés ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">J’ai
ensuite revu Léo Ferré dans d’autres salles, toutes différentes
: Bobino, l’Olympia, l’Opéra comique, le Palais des congrès, le
TLP Dejazet (deux fois). A la différence de la plupart de ses pairs
(Brel, Brassens, Nougaro, par exemple), les tours de chant de Ferré
étaient imprévisibles. Il ne se croyait pas obligé, lors de la
sortie de l’un de ses disques, de reprendre la totalité ou presque
des titres y figurant (comme le veulent l’usage et le métier).
Indépendamment des « incontournables » qui constituaient
l’ossature de son tour de chant, Ferré exhumait d’anciennes
chansons, pas des plus connues et souvent oubliées. Ou bien il en
interprétait d’autres, qui n’avaient jamais été enregistrées,
que l’on retrouvait d’une scène à l’autre : dont on conserve
parfois le témoignage dans un « album public », ou qui
finiront pas être enregistrés en studio. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
se souvient également que durant une dizaine d’années (de 1975 à
1985, grosso modo), Léo Ferré « massacrait » le plus
souvent </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps </em></span></span><span lang="fr-FR">en
public</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>.
</em></span></span><span lang="fr-FR">Un
cas unique dans la profession. La preuve en tout cas que Ferré
n’était pas dupe de ce malentendu qu’est le succès. Celui en
l’occurrence de la chanson la plus connue (la plus populaire) de
son répertoire. Cela a pu choquer des spectateurs qui estimaient à
juste titre qu’</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps </em></span></span><span lang="fr-FR">était
une belle chanson. Mais il ne faudrait pas voir-là une marque
d’irrespect envers le public. C’est même le contraire. Léo
Ferré n’a jamais eu l’attitude démagogique de ces chanteurs des
deux sexes qui ne jurent que par « l’amour du public »,
tout en le caressant dans le sens du poil. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">AMOUR
ANARCHIE : LES DEUX VOLUMES</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">La
parution de l’album « Amour Anarchie » au printemps
1970, suivie six mois plus tard de « Amour Anarchie N°2 »,
représente un moment important, voire essentiel dans la carrière de
Léo Ferré. D’abord, bien entendu, pour la qualité des chansons
qui y figurent, dont l’une, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer, </em></span></span><span lang="fr-FR">est
régulièrement plébiscitée par les plus fervents supporters du
chanteur. Ensuite en raison du fort symbole représenté par le
titre. Enfin parce que Léo Ferré se trouve alors au sommet de sa
carrière. On pourrait également ajouter la présence, pour la
première fois d’un monologue, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
chien, </em></span></span><span lang="fr-FR">encore
relativement court par rapport à ceux encore à venir, sur d’autres
disques. Sans oublier l’incursion, également une première, de
Ferré dans l’univers de la pop music avec deux titres du premier
album.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
chien, </em></span></span><span lang="fr-FR">justement,
est l’un des deux titres où Léo Ferré se trouve accompagné par
le groupe pop les Zoo. Il avait été créé lors des mémorables
concerts « Léo Ferré chante à la mutualité » de
janvier 1970, avec un accompagnement piano par Paul Castanier
(version qui se retrouve sur un super 45 t intitulé « Un chien
à la Mutualité » avec sur la face B </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
je ne t’aime plus </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
crachat</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Sur la version présente dans « Amour Anarchie »,
l’accompagnement des Zoo, typique de la pop music de ces années-là
(avec quelque chose en plus dans un registre expérimental) se
substitue au piano de Castanier. Le résultat, d’abord surprenant,
finit par séduire. Le texte même prend du relief sous cet éclairage
électrique. Ce monologue, le premier d’une série qui perdurera
jusqu’en 1982, représente une sorte de révolution dans le monde
de la chanson. Léo Ferré, avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
chien,</em></span></span><span lang="fr-FR">
fait éclater le cadre classique de la chanson (basée depuis des
temps immémoriaux sur l’alternance du refrain et des couplets) et
ouvre ainsi de nouvelles perspectives. L’époque, il est vrai,
favorisait ce genre d’expérimentation sur les plans textuel et
musical puisqu’en cette même année 1970 sortait l’album « Comme
à la radio » de Brigitte Fontaine (« L’histoire de
Melody Nelson » de Serge Gainsbourg sortant un an plus tard).
Dans la brèche ouverte par </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
chien, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
plus encore </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Il
n’a plus rien </em></span></span><span lang="fr-FR">(dans
le disque éponyme sorti trois ans plus tard), vont s’engouffrer
plusieurs interprètes et non des moindres : de Catherine Ribeiro à
Claude Nougaro, en passant par Henri Tachan, Lenny Escudero, Jean
Vasca et Bernard Lavilliers. En attendant, Ferré criait en 1970 « Je
suis un chien ! », dans un texte qu’il dédiait « A
l’araignée la toile au vent / A bifteck baron du homard / (…) /
A bec d’azur du pif comptant / (…) / Aux spécialistes de la
scoumoune / etc. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">Seconde
chanson à être accompagnée par les Zoo, </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>La
the nana </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">connut
un sort analogue à </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>C’est
extra </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">:
elle se retrouva pareillement dans le hit parade. Même si, comme la
précédente, son succès s’explique d’abord pour des raisons
musicales, les paroles ne pouvaient avoir été écrites que par Léo
Ferré. Il la chantera sur scène durant le temps de sa collaboration
avec les Zoo, pour ne pas la reprendre ensuite. </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Paris
je ne t’aime plus </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">(dont
il existe également une version publique sur le 45t « Un chien
à la mutualité ») prolonge la thématique soixante-huitarde
de plusieurs chansons du disque précédent. Il y a l’avant :
« Entend le bruit que font les français à genoux / Dix ans
qu’ils ont plié, dix ans de servitude ». Et l’après : le
« Paris de Nanterre, Paris de Cohn-Bendit / Paris qui s’est
levé avec l’intelligence ». Cependant </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Paris
je ne t’aime plus </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">laisse
quelque peu désirer du point de vue de l’expression. On a connu
Ferré davantage inspiré. Tout comme ce dernier titre</span></span></span><span lang="fr-FR"><em>,
Le crachat </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">avait
été enregistré auparavant à la Mutualité. Cette chanson se situe
presque à l’opposé de la précédente : depuis une veine
entomologiste elle relève d’un exercice de style baudelairien. A
sa décharge elle ne possède pas les qualités mélodiques de </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Paris
je ne t’aime plus</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">
Deux chansons de cet album (</span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Rotterdam
</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">et
</span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Petite</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">)
avaient été créées l’année précédente sur la scène de
Bobino. La première s’en prend aux clichés qui parfois
accompagnent l’évocation des Rotterdam et cie. (« Un port du
nord ça plait / Surtout quand on n’y est pas / Ça fait qu’on
voudrait y être / Ça fait qu’on n’sait pas bien / S’il faut
s’taper l’poète / Ou s’taper la putain »). Cette remise
en cause de l’image d’Épinal associée à cette ville débouche
sur un constat plus universel : « Rotterdam / Où y’a pas
qu’des putains / Où y’a pas qu’des marins » mais « Où
y’a des malheureux / Qui donneraient leur cul / Si en donnant son
cul / On était bienheureux ».</span></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">La
version studio de </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Petite
</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">s’avère
supérieure à l’enregistrement public en raison de l’orchestration
(tendre, sensible, délicate, on y entend un merveilleux violon) de
Jean-Michel Defaye. Plus de cinquante ans après la création de
cette chanson, l’écoute de </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Petite
</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">se
trouve chargée d’un sens qu’elle n’avait pas (ou moins) en
1970. Depuis de l’eau a coulé sous les ponts. Une eau plutôt
trouble, généralement. Je me réfère ici à ces affaires de
pédophilie qui ont défrayé la chronique vers la fin du siècle
précédent et le début du notre. Et nous n’en serions pas encore
sorti. Avec, entre autres conséquences, l’émergence d’un
discours d’ordre moral disqualifiant toute production artistique
accusée de complaisance envers la pédophile, ou éliminant de tout
échange intellectuel quiconque s’aventurerait à émettre une
opinion ou à tenir des propos qui s’inscriraient en faux contre
ce discours-là. Ceci pour dire que </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Petite,
</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">une
chanson qui évoque le désir d’un homme vieillissant pour une
fillette (et non sans une certaine réciprocité) mérite plus
qu’auparavant l’appellation de « chanson subversive ».
Le nom dont est tiré ce dernier adjectif n’est-il pas défini par
: « qui est susceptible de menacer les valeurs reçues ».
Comment, ceci posé, ne pas reconnaître que Léo Ferré traite ce
sujet « casse-gueule » avec délicatesse, mais sans
pudeur excessive (« Ah ! petite, ah ! petite / Je t’apprendrai
le verbe aimer / Qui se décline doucement / Loin des jaloux et des
tourments / Comme le jour qui va baissant ») ou (« Tu as
le buste des ouvrages / Et moi je me prends à rêver / Pour ne pas
fendre ton corsage / Qui ne recouvre qu’une idée / Une idée qui
va son chemin »). Que les « braves gens » qui
seraient tentés de dénoncer l’auteur de cette chanson à la
vindicte publique, se rassurent (« Ah ! petite, ah !
petite / Tu peux reprendre ton cerceau / Et t’en aller tout
doucement / Loin de moi et de mes tourments »). Cependant, pour
clore cette chanson en toute impunité, Ferré nous en livre les
enjeux, avec la solennité qui convient : « Le jour où ça ne
m’ira plus / Quand sous ta robe il n’y aura plus / LE CODE
PÉNAL ».</span></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">Deuxième
chanson à provenir du recueil « Poète… vos papiers ! »,
</span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Poète
vos papiers </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">reprend
le poème donnant le titre à ce recueil et y intègre un autre
poème, </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Art
poétique </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">(les
quatrains de ce second poème venant s’intercaler entre les
strophes du premier). Il s’agit de l’un des sommets de l’oeuvre
de Léo Ferré, même si elle moins connue que beaucoup d’autres
chansons de Ferré, d’un rang inférieur. D’emblée les vers
suivants (et quels vers !) donnent le ton (« Bipède volupteur
de lyre / Époux châtré de Polymnie / Vérolé de lune à confire /
Grand-duc bouillon des librairies / Maroufle à pendre à l’hexamètre
/ Voyou décliné chez les grecs / Albatros à chaîne et à guêtres
/ Cigale qui claque du bec / Poète, vos papiers ! ». Mais qui
pourrait se douter que les huit quatrains de cet </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Art
poétique</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">
(« J’ai bu du Waterman et j’ai bouffé Littré / Et je
repousse du boulot de la syntaxe / A faire se pâmer les précieux à
l’arrêt / La phrase m’a poussé au ventre comme un axe »
), inclus entre ces strophes incandescentes, proviennent d’un autre
poème. Il y a comme une relation dialectique entre ces deux séries
que viennent ponctuer de furieux « Poète, vos papiers ! ».
Encore fallait-il sur un tel texte écrire une musique non moins
incandescente, susceptible de retenir l’attention d’un auditoire
peu féru de poésie. Avec cette fièvre dans l’expression, portée
par la voix de Ferré, qui communique progressivement comme un
sentiment d’urgence (« Citoyen qui sent de la tête / Papa
gâteau de l’alphabet / Maquereau de la clarinette / Graine qui
pousse des gibets / Chassis rouillés sous les démences / Corridor
pourri de l’ennui / Hygiéniste de la romance / Rédempteur falot
des lundis / Poète, vos papiers ! ».</span></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">Le
second volet de « Amour - Anarchie » sort à l’automne
de la même année. Sans atteindre les sommets de l’album
précédent, toutes les chansons de ce disque méritent à des titres
divers d’être mentionnées. En particulier </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Écoute
moi </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">(un
poème écrit dix ans plus tôt) qui enrôle sous sa bannière deux
grandes figures du « mal » (« Dans l’azur en
prison vautré sur la mémoire / Maldoror d’une main et Sade dans
le froc / Je suis en or galvanoplastie et je m’égare / Sous la
tête diamant d’un phonographe toc »). Le texte, superbe
(« Tant que j’aurais le souffle et l’encre dans ma rue / Et
que le vent du nord ouvrira mes éponges / Il règnera chez moi comme
une mer têtue / Qui me tiendra la main à la marée des songes »),
et la musique, emportée par une orchestration frénétique,
installent </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Écoute
moi</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">
parmi les musts du chanteur (dans la rubrique « chansons
méconnues » de Léo Ferré). L’interprétation, accordée à
nos qualificatifs, parachevant le tout. C’est celle-ci que l’on
retient principalement à l’écoute de </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Sur
la scène </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">:
une chanson dans laquelle Ferré déballe dans le désordre, avec une
sorte d’impatience, ce qu’il a présentement en tête ou sur le
coeur (« Sur la scène y’a des mots qui n’demandent qu’à
s’placer / Sur la scène y’a des airs qu’on l’air d’en pas
avoir / Sur la scène y’a la guerre et parfois y’a la paix / Sur
la scène y’a tout ça et y’a même un anar / Sur la scène y’a
des gosses qui font le mois d’Marie / Et qui foutent des pavés
dans le tronc des connards »). Tout n’est pas ici de la
meilleure eau, mais que pèsent ces réticences quand la voix de
Ferré, en les balayant, nous incite à penser que l’impatience
peut être contagieuse.</span></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><em>Paris
c’est une idée, c</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">hante
Léo Ferré. Un idée frivole, fugace et fugitive selon l’auteur.
Le piano cependant ne l’entendrait pas de cette oreille. C’est
sur le mode « presto » qu’il nous invite à parcourir
la capitale dans le sillage d’un taxi lâché la nuit dans les rues
désertes. Paris, c’est quoi alors ? : « C’est un tapin
tout en voilure / Qui fait du charme aux devantures / C’est une
idée »). Georges Brassens et Léo Ferré ont tous deux chanté
le sexe de la femme. Le premier écrira </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Le
blason, </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">le
second </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Cette
blessure. </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">On
pourrait en écoutant Ferré se contenter d’apprécier la belle
façon dont il traite pareil sujet (« Cette blessure / Où va
ma lèvre à l’aube de l’amour / Où bat ta porte un peu comme un
tambour / D’où part ta vigne en y pressant des doigts / D’où
vient ce cri le même chaque fois / Cette blessure d’où tu
viens »). Pourtant, une dimension supplémentaire, proche d’un
érotisme illustré par Georges Bataille, apporte dans le dernier
couplet comme une touche de vertige et d’inquiétude : « ‘Cette
blessure / Qu’on voudrait coudre au milieu du désir / Comme une
couture sur le plaisir / Qu’on voudrait voir se fermer à jamais /
Comme une porte ouverte sur la mort / Cette blessure dont je
meurs »).</span></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">Une
nouvelle fois Léo Ferré fait appel au recueil </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Poète…
vos papiers ! </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">pour
deux titres. </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Psaume
151 </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">est
l’une des plus longues chansons de l’auteur. Durant les presque
douze minutes de ce miserere, une musique de blues accompagne les
vers fastueux des 19 quatrains (« La ville a dégrafé son
corsage de mort / Les balles dans la rue ont la poudre nomade / Les
pavés font la main aux yeux des barricades / Miserere Seigneur, du
fond des thermidors »). Dans cette version discographique Ferré
a eu la bonne idée d’ajouter le couplet suivant, pour conclure :
(« Les condamnés jouent au poker leur appétit / Ils vous
laissent, Seigneur, leur part de solitude / Le service est compris
nous avons l’habitude / Descendez donc, Seigneur, de notre connerie
! »). </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Les
passantes </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">est
composée de trois courts poèmes du recueil (</span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Les
passantes, Sous le banc, Das Kapital</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">).
Ici la musique devient mélancolique : la vie passe et l’oeil
s’attarde sur quelques tableaux parisiens. C’est Baudelaire revu
(et non corrigé) par Marx.</span></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">Les
deux chansons (avec </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>Écoute
moi</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">)
qui se dégagent de ce second volet de « Amour - Anarchie »)
sont de facture très différentes. La première, </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>L’amour
fou,</em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">
écrite sur une musique « sage », est un petit chef
d’oeuvre. Comment ne pas être séduit par ce passage du « vous »
au « tu » (et réciproquement), dans cet écart où la
passion vient se loger (« Je vous dirai que je t’aimais / Tu
me diras que vous m’aimiez /Vous me ferez ce que tu peux / Je vous
dirai ce que tu veux »). La gravité n’est jamais loin mais
l’élégance, celle d’une perfection formelle, la maintient
relativement à distance (« L’amour ça ne meurt que la nuit
/ Alors habille toi en moi / Avec un peu de rouge aussi / J’aurais
ta mort entre mes bras / Lorsque vous me mettrez en croix / Dans
votre forêt bien apprise / Et que je boirai tout en bas / La sève
tant et tant promise / Je vous engouffrerai de sang / Pendant que
vous serez charmée / Et je vous donnerai l’enfant / Que vous
n’avez jamais été »). Moins écrite que </span></span></span><span lang="fr-FR"><em>L’amour
fou, La folie </em></span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><span style="font-style: normal">appartient
à la « veine tragique de Ferré ». Cette chanson évoque
sur le mode approprié Van Gogh, sa folie, et la folie de ce monde :
« L’oreille de ce mec qui ne t’écoute plus », et
puis, par association : « les ouvriers (qui) changent de disque
sans débrayer », « les pas de cet enfant dans l’enfer
de la fac », la solitude. Les violons insistent, pareils à des
« corbeaux dans le blé d’une toile perdue ». Ces mêmes
violons accompagnent cette chute, brutale : « C’est à ce
moments-là que je perds la folie / Et que je reste seul avec mes
yeux de fou ».</span></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LA
MÉMOIRE ET LA MER</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em><br /></em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer, </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
figure dans le premier des albums « Amour Anarchie »,
mérite d’être traitée à part. C’est très certainement la
chanson préférée des amateurs de Léo Ferré (en tout cas celle de
l’auteur de ces lignes). Beaucoup de ceux-là, en évoquant cette
chanson, savent ce qu’ils ont en commun. Précisons que le texte
fut écrit à l’état de poème au tout début des années 1960.
Ferré extraira dix ans plus tard, de ce cycle poétique appelé </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
chants de la fureur, </em></span></span><span lang="fr-FR">ce
fragment qui deviendra donc </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer </em></span></span><span lang="fr-FR">une
fois mis en musique. Le mot alchimie s’avère particulièrement
approprié s’il faut évoquer ce texte magnifique, grandiose,
bouleversant, le plus beau jamais écrit par Ferré, en regard d’une
musique dont les mots manquent pour la traduire en des termes
équivalents. Ces fameux accords de piano (déjà évoqués avec
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pépée</em></span></span><span lang="fr-FR">)
sont soutenus par une ligne de violons « à vous faire chialer
tant et plus ». Là encore, quels vers peut-on extraire de ce
chef d’oeuvre absolu ? (« Les coquillages figurants sous les
sunlights cassés liquides / Jouent de la castagnette tant qu’on
dirait l’Espagne livide / Dieu des granits ayez pitié de leur
vocation de parure / Quand le couteau vient s’immiscer dans leur
castagnette figure / Et je voyais ce qu’on pressent quand on
pressent l’entrevoyure / Entre les persiennes du sang et que les
globules figurent / Une mathématique bleue dans cette mer jamais
étale / D’où me remonte peu à peu cette mémoire des étoiles »).
C’est toute la chanson qu’il faudrait citer ! </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">J’avais
été agréablement surpris de découvrir que cette chanson, peu
connue du « grand public », figurait parmi les préférées
de nombreux chanteurs, chanteuses, auteurs-compositeurs et
spécialistes de la chanson lors de l’enquête de 2012 évoquée
dans notre introduction. Au point de figurer en septième position
dans ce classement comportant cent titres ! </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer </em></span></span><span lang="fr-FR">a
été reprise par une vingtaine d’interprètes, parmi lesquels
Catherine Ribeiro, Morice Bénin, Bernard Lavilliers, Serge
Utgé-Royo, Catherine Lara, Michel Maestro. Hubert-Félix Thiefaine a
déclaré que « </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer </em></span></span><span lang="fr-FR">c’est
pour moi l’unique, c’est une révolution dans la chanson. C’est
à dire c’est l’application directe de la poésie surréaliste
et… dans ses meilleurs côtés quand elle est retravaillée, quand
elle est onirique ». </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Il
semblerait que la dernière apparition de Léo Ferré sur le petit
écran date d’une émission de télévision consacrée à Bernard
Lavilliers. Ferré chanta </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer </em></span></span><span lang="fr-FR">en
s’accompagnant au piano. Il cria dans le micro, tout à la fin de
la chanson : « Emporte moi la mer… que je n’emmerde plus
personne ! ». Un an plus tard Léo Ferré décédait.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉES
1971, 1972 : AVEC LES ZOO</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Au
début de l’année 1971, Léo Ferré sort un 45 t simple (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Adieu,
</em></span></span><span lang="fr-FR">cette
dernière sur des vers d’Apollinaire). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps </em></span></span><span lang="fr-FR">se
retrouvera l’année suivante sur un album intitulé « Les
chansons d’amour de Léo Ferré ». Tout a été dit et redit
sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps, </em></span></span><span lang="fr-FR">la
plus célèbre des chansons de Ferré. Un succès compréhensif.
L’auteur exprime à la fois ce qui ressort de la sagesse des
nations et du tragique de la condition humaine. Il fallait le faire,
comme dit l’autre. Et trouver ce ton désenchanté, désillusionné,
unique. Quelques pierres même se seraient émues, paraît-il (« Avec
le temps va, tout s’en va / Et l’on se sent blanchi comme un
cheval fourbu / Et l’on se sent glacé dans un lit de hasard / Et
l’on se sent tout seul peut-être mais peinard / Et l’on se sent
floué par les années perdues / Alors vraiment / Avec le temps on
aime plus »). </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">L’album
suivant (« La solitude ») date également de 1971. Fruit
d’une collaboration, à l’exception de deux titres, avec les Zoo,
la plupart des chansons enregistrées avec ce groupe pop résistent
difficilement à l’épreuve du temps. Sans aller jusqu’à dire
que la rencontre de Ferré avec la musique pop n’a pas été au
rendez-vous (alors que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
chien </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
the nana </em></span></span><span lang="fr-FR">avaient
inauguré pour le mieux cette collaboration), plusieurs des chansons
de cet album pêchent par des facilités d’écriture, et une
inflexion un rien démagogique à l’égard de la « culture
pop ». Ce qui n’est absolument pas le cas de la
chanson-titre, l’emblématique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
solitude </em></span></span><span lang="fr-FR">(soutenue
par des cordes). Elle représente la quintessence d’un genre qui
est en train de s’émanciper des codes de la chanson
traditionnelle. Dans le prolongement du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chien,
</em></span></span><span lang="fr-FR">l’auteur
nous entraîne dans un univers parallèle, la « planète
Ferré ». Une chanson féréenne s’il en est, avec ses images
surréalistes et cette fièvre dans l’expression qui n’appartient
qu’à Ferré (« Le code civil nous en reparlerons plus tard.
Pour le moment, je voudrais codifier l’incodifiable. Je voudrais
mesurer vos danaïques démocraties. Je voudrais m’insérer dans le
vide absolu et devenir le non-dit, le non avenu, le non vierge par
manque de lucidité. La lucidité se tient dans mon froc »).
Sur les murs de Paris, cette même année 1971, on pouvait lire « Le
désespoir est une forme supérieure de la critique ». C’était
tiré de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
solitude.</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
pop </em></span></span><span lang="fr-FR">s’avère
particulièrement représentative de l’allégeance signalée
ci-dessus. Ferré s’en sort pourtant avec les honneurs quand la
métaphore devient musicale (« Les pops c’est des cheveux de
pianos encordés / C’est l’Afrique blanchie sous l’électricité
/ Et c’est au beau milieu de l’amour entêté / Le rythme qui
sangloté à tes reins exaucés »). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
conditionnel de variétés </em></span></span><span lang="fr-FR">occupe
une place à part dans la carrière de Léo Ferré. En réponse aux
menaces que fait peser le régime pompidolien sur la presse d’extrême
gauche (le journal </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
cause du peuple </em></span></span><span lang="fr-FR">est
interdit, et deux de ses directeurs sont emprisonnés), le soutien de
Léo Ferré s’exprime à travers cette chanson. Même si Ferré
s’en prend sans aménité à ce régime et à sa politique, et plus
généralement au type de société que celui-ci génère, ces
« Comme si je vous disais », qui reviennent incessamment
tout au long de la chanson, ne rangent pas ce </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Conditionnel
de variétés</em></span></span><span lang="fr-FR">
dans la case militante.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Que
peuvent représenter les réserves que m’inspirent des chansons
comme </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Faites
l’amour </em></span></span><span lang="fr-FR">ou
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Dans
les « Night » </em></span></span><span lang="fr-FR">à
l’écoute de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Tu
ne dis jamais rien, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
surtout </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ton
style, </em></span></span><span lang="fr-FR">les
deux titres de l’album a ne pas être accompagnés par les Zoo.
Deux chansons orchestrées par Léo Ferré. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Tu
ne dis jamais rien </em></span></span><span lang="fr-FR">ne
figure pas dans la liste des chansons les plus abouties de Ferré,
mais on peut difficilement rester insensible à l’écoute de cette
musique émouvante, presque déchirante, sur laquelle viennent se
greffer des paroles aux images douces amères « Je vois des
tramways bleus sur des rails d’enfant triste / Des paravents
chinois devant le vent du nord / Des objets sans objet des
fenêtres d’artistes / D’où sortent le soleil le génie et la
mort »). Si j’en crois plusieurs témoignages il existe
peut-être une confrérie des amis de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Tu
ne dis jamais rien </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
s’ignore. Jean-Luc Godard en ferait partie qui intégra des bribes
de cette chanson dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Numéro
2, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
qui plus tard citera dans plusieurs autres films les deux premiers
vers de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Tu
ne dis jamais rien </em></span></span><span lang="fr-FR">:
« Je vois un peu le monde comme on voit l’incroyable /
L’incroyable c’est ça c’est ce qu’on ne voit pas « </span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ton
style </em></span></span><span lang="fr-FR">figure
incontestablement parmi les grandes chansons de Léo Ferré. On
pourrait la décortiquer, dire tout le bien que l’on pense de cette
exceptionnelle alchimie du texte, de la musique et de
l’interprétation (sans parler de la géniale orchestration de
Ferré). Mais serait-ce suffisant ? </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ton
style </em></span></span><span lang="fr-FR">appartient
à cette classe de chansons qui vous prennent aux tripes, qui vous
bouleversent encore à la énième écoute. L’art et l’émotion
dispensée ainsi c’est rare, très rare (« A tant vouloir
connaître on ne connait plus rien / Ce qui me plait chez toi c’est
ce j’imagine / A la pointe d’un geste au secours de ma main / A
ta bouche inventée au-delà de l’indigne / Dans ces rues de la
nuit avec mes yeux masqués / Quand tu ne reconnais de moi qu’un
certain style / Quand je fais de moi-même un autre imaginé / Tous
ces trucs imprudents tout cela c’est ton style »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Comme
précisé plus haut, en 1972 sort un album dit de compilation
intitulé « Les chansons d’amour de Léo Ferré ». Avec
la satisfaction d’y retrouver, outre </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps, L’amour fou, Ça t’va, On s’aimera. </em></span></span><span lang="fr-FR">Le
seul nouvel enregistrement de ce disque n’est autre que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vie d’artiste, </em></span></span><span lang="fr-FR">crée
en 1950 avec un Ferré s’accompagnant au piano, puis la
ré-enregistrant en 1969 (avec une orchestration de Jean-Michel
Defaye). Il s’agit donc de la troisième version de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vie d’artiste </em></span></span><span lang="fr-FR">(dont
les paroles ont été écrites en collaboration avec Francis Claude),
A la différence, très sensible, que Ferré choisit de lire le texte
en s’accompagnant au piano. Ce qui accentue le dramatisme de cette
chanson et lui donne une ampleur, un tranchant, une dimension absents
des précédentes versions chantées. De surcroît, l’interprétation
se trouve mise en valeur par un accompagnement piano particulièrement
inspiré, qui devient presque atonal tout à la fin, alors que la
voix s’est tue. Il transforme cette chanson, au texte d’une
poésie minimale, en une tragédie que les accords rageurs du piano
restituent derrière la vacuité des mots.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LA
CHANSON DU MAL AIMÉ</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Le
premier poète à être mis musique par Ferré n’est autre que
Guillaume Apollinaire (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
pont Mirabeau, </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
date du début des années 1950). Cette adaptation paraît
aujourd’hui vieillie, l’interprétation principalement. Vingt ans
plus tard (1972) sort l’album </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson du mal aimé, </em></span></span><span lang="fr-FR">composé
et chanté par Léo Ferré sur les vers de ce célèbre poème
d’Apollinaire. Mais en avant d’y venir, les précisions suivantes
s’imposent. L’écriture de cet oratorio date de la première
moitié des années 1950. Ferré s’est plusieurs fois exprimé sur
les difficultés qu’il rencontra pour faire connaître cette
oeuvre. Dans le disque gravé en 1957 par Odéon (alors que la
création de l’oratorio datait de 1954), Léo Ferré dirige quatre
solistes, les choeurs et l’orchestre national de la Radio-diffusion
française. Il s’agit d’une oeuvre classique dans un genre,
l’oratorio, tombé depuis en désuétude. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">L’insuccès
de ce disque, rapidement introuvable (et que l’on ne redécouvrit
qu’en 1993, lors de la réédition des disques Odéon), tant sur le
plan critique que public, incitera plus tard l’auteur, dès qu’il
sera en mesure de l’imposer à la maison Barclay, de renouveler
l’expérience. En 1971 donc Ferré s’attelle à ce travail. Il
conserve l’orchestration et le chant des parties solistes, ne
modifie pas la moindre note à sa partition, mais s’octroie toutes
les parties solistes (se transformant en récitant quand sa tessiture
ne lui permet pas de chanter certains passages). La différence est
flagrante. La distribution des rôles dans la version originale (le
mal aimé, le double, l’ange, la femme) portait à discussion : son
caractère artificiel l’éloignait de l’esprit du texte
d’Apollinaire. En chantant </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson du mal aimé </em></span></span><span lang="fr-FR">d’un
bout à l’autre, Ferré redonnait une unité à ce long poème. Les
réticences liées au caractère « daté « du chant des
solistes en 1957, imputables au genre oratorio, n’ont plus lieu
d’être en regard de la manière dont Léo Ferré investit cette
oeuvre. Les six quatrains sur les cosaques Zaporogues, pour ne citer
que cet exemple, retrouvent cette truculence que le texte réclame :
l’interprète fait merveille tout au long de ces quatrains
escamotés dans la version originale. On ne peut guère en 1972
parler d’oratorio, voire d’une oeuvre classique. L’interprétation
de Ferré redonne aux mots d’Apollinaire tout leur pouvoir de
suggestion. Si l’on se réfère au « traditionalisme »
de cette partition (à l’aune des enjeux qui agitaient les milieux
musicaux dans les années 1950), la même appréciation pourrait
s’appliquer au poème d’Apollinaire. L’auteur de cette très
classique, mais virtuose et de haute tenue </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chanson
du mal aimé, </em></span></span><span lang="fr-FR">deviendra
dix ans plus tard le poète le plus novateur de son temps.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉE
1973 : IL N’Y A PLUS RIEN</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1973
est l’année de la parution du disque « Il n’y a plus
rien ». Du nom du morceau-titre, un maelström de seize
minutes, le premier en date de ces longs monologues que Ferré va
inscrire à son répertoire. On peut, avec le recul du temps, être
partagé sur un mode d’expression que Léo Ferré a pour ainsi dire
popularisé et incarné plus que d’autres, qui fera des émules sur
le moment. Pourtant, malgré les limites qui seront plus perceptibles
plus tard, durant la décennie 80, dans ce même genre, quelque chose
ici avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Il
n’y a plus rien, </em></span></span><span lang="fr-FR">que
l’on appellera faute d’autre mot de l’impatience, opère, alors
que la voix de Ferré chante les révoltes et les désespoirs d’une
époque troublée. Et l’utopie pour finir, celle, de « nous
aurons tout » mais « dans dix mille ans ». Ferré,
dans cette forme parlée, singulière autant que personnelle, n’en
restera pas là, d’autres monologues plus tard lui succèderont.
Mais aucun d’eux n’aura ce caractère torrentiel, fiévreux,
excessif, insurgé de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Il
n’y a plus rien </em></span></span><span lang="fr-FR">(ni
les qualité mélodiques de la musique d’accompagnement). Plus
chanson parlée que monologue, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Préface
</em></span></span><span lang="fr-FR">reprend
de larges extraits de la « préface » du recueil </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poète…
vos papiers </em></span></span><span lang="fr-FR">!
Une préface écrite, comme on le sait, en remplacement de celle
« promise » par André Breton. Ce texte ressemble
davantage à un Manifeste qu’il n’introduit véritablement le
recueil. Citons, par exemple : « Toute poésie destinée à
n’être que lue et enfermée dans sa typographie n’est pas finie.
Elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale tout comme le violon
prend le sien avec l’archet qui le touche ». Et puis, sachant
que les lignes suivantes furent écrites en 1956 (« La musique
se vend comme du savons à barbe. Pour que le désespoir même se
vende il ne reste qu’à trouver la formule. Tout est prêt : les
capitaux, la publicité, la clientèle. Qui donc inventera le
désespoir ? »), on constate une fois de plus combien Ferré,
vis à vis de ses pairs, les précédait dans ce registre-là (à
l’instar des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vitrines
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
autre </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vise
la réclame</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Et dire que des plumitifs accuseront Ferré de récupérer mai 68 :
imbéciles !</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Ces
deux « morceaux de bravoure » ne seront pas faire de
l’ombre, sur le plan de la notoriété, aux autres chansons de ce
disque (à l’exception de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Richard</em></span></span><span lang="fr-FR">).
C’est surtout dommage pour </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’oppression
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Nigth
and day. </em></span></span><span lang="fr-FR">La
seconde se signale par sa construction inhabituelle. Les couplets
renvoient à une écriture de type automatique (« Et j’étais
l’homme abstrait à cheval sur Neptune ») ou (« Je
pensais des vagins et ne savais pas l’heure ») ou (« L’océan
de ton cul déferle dans ma loge »). Chaque vers étant ponctué
d’un « Nigth and day ». Le refrain, plus crié que
parlé, jouant sur les assonances, évoque la préparation et la
fabrication d’un journal (« Ça tape ça tape ça tape / Ça
crie ça crie ça crie / Et puis ça rotative »). Ferré, après
chaque refrain, exerce sa verve au dépend de la presse (« Et
l’encre sèche vite dans les pattes des gens / Et le sang des
nouvelles à rougi dans leurs mains / Des nouvelles à la con et puis
dingue et mon cul / A vous donner l’envie de vous brancher en
quatrième »). Et puis, pour finir : « Il paraît que la
vérité est aux toilettes / Et qu’elle n’a pas tiré la chasse /
La vérité c’est dégueulasse »). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Nigth
and day </em></span></span><span lang="fr-FR">prouve,
Léo Ferré dixit, que la chanson au début de la décennie 70
pouvait s’affranchir des codes habituels, s’émanciper du genre,
sans pour autant cesser d’être une chanson à part entière. Ou,
pour le dire autrement, la modernité ici incarnée par </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Nigth
and day </em></span></span><span lang="fr-FR">tirait
alors la chanson vers le haut. Un « programme » revu
ensuite à la baisse.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Plus
classique dans la forme, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’oppression
</em></span></span><span lang="fr-FR">serait
la réponse au climat nihiliste et désespéré de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Il
n’y a plus rien. </em></span></span><span lang="fr-FR">Le
mot « oppression » fait moins recette aujourd’hui, ou
n’est pas toujours utilisé à bon escient. A l’évacuer ainsi
c’est presque la réalité de la chose qui se trouve occultée. Il
serait judicieux de reprendre ce que Ferré en disait (superbement)
dans le courant de l’année 1973 (« Regarde là flâner dans
l’oeil de tes copains / Sous le couvert joyeux de soleils
fraternels / Regarde la glisser peu à peu de leurs mains / Qui
fermeront des poings / Dés qu’ils auront atteint / L’âge de
l’oppression / Ces yeux qui te regardent et la nuit et le jour / Et
que l’on dit braqués sur les chiffres et la haine / Ces choses
« défendues » vers lesquelles tu te traîne / Et qui
seront à toi / Lorsque tu fermeras les yeux de l’oppression »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">On
entendit surtout </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Richard
</em></span></span><span lang="fr-FR">sur
ce disque. Il s’agit d’une variation sur un thème dont la
matrice pourrait être </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
copains d’la neuille </em></span></span><span lang="fr-FR">(« Quand
je nous y revois des fois je me demande / Si les copains de ce
temps-là vivaient parfois »). Avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Richard,
</em></span></span><span lang="fr-FR">un
bar, de la bière allemande et une machine à sous suffisent pour
planter le décor. Nous ne sommes pas près d’oublier cette
fraternelle adresse (« Les gens / Il conviendrait de ne les
connaître que disponibles / A certaines heures pâles de la nuit /
Près d’une machine à sous / Avec des problèmes d’homme,
simplement / Des problèmes de mélancolie / Alors, on boit un verre
/ En regardant loin derrière la place du comptoir / Et l’on se dit
qu’il est bien tard / Qu’il est bien tard »). Léo, ça va
? </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ne
chantez pas la mort </em></span></span><span lang="fr-FR">signe
les retrouvailles entre Léo Ferré et Jean-René Caussimon. Le ton
est à la gravité : l’interprétation de Ferré n’étant pas en
reste avec le dramatisme de l’orchestration.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Cette
même année 1973 sort un album public enregistré à l’Olympia. Ce
disque sera ensuite retiré du catalogue Barclay à la demande de
Ferré (pour des raisons techniques, semble-t-il). Il comporte deux
chansons inédites : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mister
the wind </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
fleur de l’âge, </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
ne seront pas reprises dans un enregistrement studio. On le regrette
pour </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
fleur de l’âge, </em></span></span><span lang="fr-FR">que
l’on aurait volontiers incluse dans l’album « Les chansons
d’amour de Léo Ferré ». (« Les mots d’amour / C’est
comm’ les fleurs / Ça ne cueille qu’une fois / Je t’aime un
peu de tout mon coeur / Et je m’effeuille entre tes doigts / Dans
mon jardin tout est coupé / Il ne reste rien pour demain / Qu’un
peu de ma joie en allée / Dans ta bruyère de satin »). C’est
même rageant de ne disposer que de cette version en public, pas trop
bien captée !</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Au
mois de novembre Léo Ferré prolonge l’expérimentation initiée
par </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
chien, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
prolongée par </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Il
n’y a plus rien </em></span></span><span lang="fr-FR">avec
le monologue de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>« </em></span></span><span lang="fr-FR">Et…
basta ! », suffisamment long pour constituer à lui seul un
album. Ici le commentateur devient interdit : quel est le statut de
ce disque singulier ? A la différence des deux textes précités, et
de ceux des monologues à venir, celui-ci présente un « service
minimum » sur le plan musical : un piano le plus souvent, un
orgue (Ferré étant aux claviers), et parfois des percussions (sans
oublier, durant quelques minutes, les guitares de Paco Ibanez et
Juan-Carlos Cedron). Sinon « Et… basta ! »</span><span lang="fr-FR">ne
ressemble qu’à du Léo Ferré. C’est même un « concentré
de Ferré » : avec de fréquents retours sur le passé (du
temps où le chanteur cachetonnait dans les cabarets de la rive
gauche), une descente en règle du couple, et puis la musique, l’acte
de création, etc.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1974
: FIN DES ANNÉES BARCLAY</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Un
dernier album clôt ces années Barclay. Il est précédé par un 45
t simple dont une face (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Je
t’aimais bien tu sais</em></span></span><span lang="fr-FR">)
va se retrouver sur ce 30 cm. Cette chanson d’atmosphère (il ne
s’agit pas du canal Saint-Martin mais de la gare Saint-Lazare :
« Je te vois comme une algue bleue dans l’autobus / A la
marée du soir gare Saint-Lazare ») prend des allures de
rengaine. On pourrait siffler le refrain dans la rue. Cependant quand
nous entendons, dans un couplet, Ferré chanter, « Je me
maquillerai ce soir sous l’arche de tes hanches », nous
rengainons la rengaine. C’est cette curieuse alchimie, ces
contrastes entre le texte et la musique, le refrain et les couplets,
qui font le charme de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Je
t’aimais bien tu sais. </em></span></span><span lang="fr-FR">Et
l’on reste sur une forte impression, celle de la voix de Ferré,
s’élevant, s’emportant : « Je t’imagine dans les soirs
de Paris / Dans le ciel maculé des accumulateurs / J’accumule du
vert de peur d’en être infirme / Le vert de ta prairie le long du
quai aux Fleurs / Je l’ai mis de côté l’autre hiver pour
t’abstraire / Ton figuré avec ses rides au point du jour ça me
dégueule »). </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Dans
ce disque sorti en 1974, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
damnation </em></span></span><span lang="fr-FR">reprend
l’antienne du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>mal
</em></span></span><span lang="fr-FR">(« On
est damné, vient ! vient ! / Tout ce qui est mal c’est bon »).
Une course à l’abîme s’ensuit : l’orchestre donne le tempo.
Du coup la mort fait du rab (« C’est l’éternité qui
dégorge / Et la mort qui tire son coup »). Avec le monologue
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
amants tristes, </em></span></span><span lang="fr-FR">Léo
Ferré reprend sous une forme imagée des thèmes qui lui sont chers
: sur la mer, les bateaux, les hiboux, « ces demoiselles qui en
ont à revendre », « la fin du monde abstraite »,
« le supermarché où l’on vend de la mort ». On
subodore le plaisir qu’a eu Ferré de composer une partition à
caractère symphonique sur ce monologue haut en couleur. Et l’amour,
encore : « Mais qui donc réparera l’âme des amants
tristes ». Dans ce registre mélancolique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
oiseaux du malheur </em></span></span><span lang="fr-FR">ne
pouvait être écrite que par Léo Ferré (« C’est avec ça
que nous dormons / Et c’est pour ça que nous crevons / En essayant
de leur apprendre / Le doute et la misère »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Dans
des genres différents, les deux chansons suivantes ajoutent chacune
une pierre de plus (et parmi les plus précieuses) au jardin de Léo
Ferré : sur l’amitié et l’Espagne. Cette dernière se trouve
une fois de plus convoquée avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’espoir
</em></span></span><span lang="fr-FR">(qui
donne son titre à l’album) à un moment de son histoire où le
franquisme va bientôt passer la main (« Dans le ventre des
espagnoles il y a des armes toutes prêtes / Et qui attendent »).
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’espoir
</em></span></span><span lang="fr-FR">appartient
à cette race de chansons qui annoncent crânement la couleur, leur
ambition, et entrent dans l’arène en les arborant ostensiblement.
Surtout quand « dans une rue de Madrid avec des fleurs fanées
/ Un fusil de trente-six revient s’y traîner ». Une ultime
fois Ferré refait sa guerre d’Espagne avec ses mots : des images
fulgurantes sur une orchestration rutilante (trop ?). Allons, encore
un effort, généralissime Franco : la mort t’attend ! Ceux qui
comme l’auteur de ces lignes ont découvert </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’espoir
</em></span></span><span lang="fr-FR">sur
la scène de l’Opéra-Comique gardent en mémoire cette formidable
entrée en matière du premier couplet : mots, musique et
orchestration confondus (« Des oiseaux finlandais vêtus de
habanera / Des Vikings aux couteaux tranchant la manzanilla / Des
flammèches de Suède brunes comme la cendre / Des guitares
désencordrées et qui se pendent / Des amants exilés dans les
cloches qui sonnent / La mort qui se promène au bras de Barcelone /
Des taureaux traversés qui traversent l’histoire / Des soleils
fatigués qui les regardent boire / Un orient de misère à la jota
engloutie / Les parfums de l’Islam crevant d’Andalousie / Des
pavés de flamenco aux gestes anarchiques / Les rythmes du jazz-band
pour les paralytiques / Les tam-tams de l’Afrique à portée de
guitare / De l’eau fraîche et de l’ombre à jurer pour y
croire »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">L’amitié
maintenant (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
étrangers</em></span></span><span lang="fr-FR">),
celle qui liait René Lochu, l’anarchiste breton, et Léo Ferré.
Sont évoqués des souvenirs douloureux (la tragédie d’avril 68),
la promesse de l’utopie (« Et c’est pas comme demain en
l’an de l’An dix mille / Lochu tu t’en souviens c’était beau
dans c’temps-là / La mer dans les soleils avec ou bien sans quille
/ Un bateau dans les dents des étoiles dans la voix ». Une
belle chanson sur la mer, les marins, les bateaux. Et une autre
amitié, celle d’Ivry Gitlis pour finir (dont le violon se fait
entendre sur l’orchestration des </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Étrangers</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Un violon à la mer ? Mais non, c’est M. Gitlis qui vient de
rejoindre l’équipage. Tiens bon le gouvernail, Léo, Ivry joue sur
le pont !</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉES
1976 À 1979 : UN FERRÉ PLUS APAISÉ</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Par
commodité je rangerai sous la rubrique EPM les trois albums de cette
section, le premier enregistré par la firme CBS, le deuxième RCA,
puis Barclay pour le troisième : EPM, qui prendra ensuite le relai,
ayant acquis les droits de ces trois albums. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Le
disque paru en 1976 (deux ans après « L’espoir »)
entérine la rupture de Léo Ferré avec la maison Barclay. Plusieurs
chansons figurant sur ce « Je te donne » avaient été
confiées l’année précédente à Pia Colombo et crées par cette
interprète (appréciée de Ferré). Il s’agit d’un disque de
transition. On y trouve encore certaines caractéristiques (du point
de vue de la thématique et dans l’orchestration) qui peuvent
rattacher ce cru 76 à la seconde époque Barclay. Mais c’est
également le début d’une autre époque, plus apaisée, et pour
tout dire moins riche dans la carrière du chanteur. D’ailleurs la
chanson, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Je
te donne, </em></span></span><span lang="fr-FR">qui
donne son titre à l’album, peut difficilement rivaliser avec les
chansons-titres des disques précédents. Une mention cependant à
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Requiem,
</em></span></span><span lang="fr-FR">qui
se situe dans la lignée inaugurée par </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
toi, </em></span></span><span lang="fr-FR">dont
la seconde partie (sur un rythme plus enlevé, plus tendu, davantage
en osmose avec le texte) emporte l’adhésion.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Deux
chansons sortent nettement du lot : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Muss
es sein ? es muss sein </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mort des loups. </em></span></span><span lang="fr-FR">Nous
sommes avec la seconde en 1974. En ce temps là la peine de mort
n’avait pas encore été abolie. Deux condamnés à la peine
capitale, l’un s’appelait Buffet, l’autre Bontemps, furent
exécutés au petit matin à « l’heure réglementaire »
(« Mais on les fait dormir au bout d’un téléphone / Qu’on
ne décroche pas pour arrêter la mort / Qui vient les visiter la
cigarette aux lèvres /Et le rhum à la main tellement qu’elle est
bonne »). Ferré les chante dans cette </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Mort
des loups </em></span></span><span lang="fr-FR">non
sans tendresse, et sur un mode peu réglementaire puisqu’il s’en
prend à cette bonne conscience généralisée qui sacrifie quelques
loup galeux pour perpétuer la société des « loups
endimanchés » et « bien habillés ». L’enfant
qui se réveillait chaque matin « à l’heure où l’on tuait
les loups », deviendra cet homme, ce chanteur qui une fois de
plus s’insurge contre la peine de mort.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Muss
es sein ? es muss sein </em></span></span><span lang="fr-FR">séduit
par sa tonicité et son engagement (en faveur de la musique, il va
sans dire). Ici Beethoven et son célèbre « Cela doit-il être
? Cela est » sont convoqués par Ferré. Mais un Beethoven sans
perruque et sans affectation (« Ludwig ! Ludwig ! T’es
sourdingue ? / Ludwig la Joie Ludwig la Paix / Ludwig ! L’orthographe
c’est con ! / Et puis c’est d’un très haut panache / Et ton
vin rouge a fait des taches / Sur la portée des contrebasses /
Ludwig ! Répond ! T’es sourdingue, ma parole ! »). C’est
comme ça, sur ce mode-là que Léo Ferré aime Ludwig Van et sa
musique : « Dans la rue la musique ! ». Même s’il se
croit obligé d’en exclure Boulez !</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Avec
l’album « La frime » (1977) nous abordons la dernière
partie de la carrière de Léo Ferré. On a dit, voire redit que le
chanteur, à partir de cette date faisait du « sous Ferré ».
C’est à la fois vrai et faux. Évidemment, les albums sortis entre
1977 et 1991 ne valent pas la série des « grands Ferré »
des années Barclay. Cependant ils sont loin d’être si décevants
que d’aucuns l’ont prétendu. D’ailleurs cette appréciation
négative n’a pas été sans occulter un disque de la qualité de
« La violence et l’ennui », ou laisser dans l’ombre
des chansons dont je dirai plus loin deux trois mots. Certes, à
l’écoute de « La frime » et de « Il est six
heures ici et minuit à New York », le disque suivant, on
relève moins de titres susceptibles de figurer dans une anthologie
féréenne. L’inspiration de l’auteur n’atteint pas les sommets
précédemment évoqués, et le ton davantage apaisé qui caractérise
ces deux opus laisse entendre - nous le regrettons - qu’une page
vient d’être tournée. On pourrait parler, toute proportion
gardée, d’une évolution en phase avec le reflux des idées et
perspectives révolutionnaires issues de mai 68. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Quelque
chose, pour revenir à « La frime », comme une promesse
de bonheur (jadis brocardée) affleure avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Peille
</em></span></span><span lang="fr-FR">(« On
regarderait bien dans les yeux de Nana / Pour y lire amoureux la
table des matières / Qu’elle apporte comme un bouquet de lilas /
Mais de ceux qui se mangent et là elle exagère »). Ferré
chantait déjà depuis plusieurs années sur scène </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Quand
je fumerai autre chose que des celtiques </em></span></span><span lang="fr-FR">avant
de l’enregistrer. Cette chanson aurait gagné, orchestralement
parlant, à être moins sapée (tout comme </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>A
vendre</em></span></span><span lang="fr-FR">)
: texte et interprétation s’en ressentent. C’est d’autant plus
dommage qu’y est dit : « Je veux être drapé de noir et de
raison / Battre de l’aile au bord de l’enfer démocrate / Et
cracher sur Trotsky sur Lénine et Socrate / Et qu’on dise de moi
« Mon dieu, qu’il était con »). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Tu
penses à quoi </em></span></span><span lang="fr-FR">est
un « bon Ferré ». Elle inspirerait cependant moins le
commentaire sans les vers suivants, tout à la fin (« A la tête
de mort qui pousse sous ta peau ? / À tes dents déjà mortes et qui
rient dans ta tombe / À cette absurdité de vivre pour ta peau ? /
À la peur qui te tient debout lorsque tout tombe ») qui font
basculer cette chanson dans une autre dimension. La meilleure chanson
de cet album, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Allende,
</em></span></span><span lang="fr-FR">a
peut-être paradoxalement éloigné Léo Ferré de quelques uns de
ceux qui crurent que l’anar virait au socialiste (même accommodé
à la manière chilienne). Il s’agissait pourtant de tout autre
chose. Ferré imagine le monde qui pourrait (devrait) être le nôtre
si la barbarie, le fascisme, la raison marchande, la connerie
humaine, le misérabilisme, et cetera, et cetera… Il l’exprime en
poète et non en ânonnant des slogans (« Quand les voteurs
votant se mettront tous d’accord / Sur une idée sur rien pour que
l’horreur se taise / Même si pour la rime on sort la Marseillaise
/ Avec un foulard rouge et des gants de chez Dior »). Pourquoi
ne pas alors s’en aller réveiller Allende, et tant d’autres !</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Le
disque suivant (« Il est six heures ici et minuit à New
York ») laisse dubitatif. C’est sans doute le seul album de
Léo Ferré où le commentateur peine à distinguer une chanson qui
sortirait du lot (contrairement aux </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Muss
es sein ? es muss sein, La mort des loups </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Allende,
</em></span></span><span lang="fr-FR">dans</span><span lang="fr-FR">les
deux disques précédents). Et pourtant, le réécoutant, les
chansons de cet album sont toutes de « bonne facture »
(ce qui n’était pas le cas de « Je te donne et « La
frime »). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
nostalgie </em></span></span><span lang="fr-FR">prend
acte, à sa façon, d’un mois de mai qui ne reviendra plus. Quant à
la chanson titre, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Il
est six heures ici et minuit à New York, </em></span></span><span lang="fr-FR">elle
s’apparente à un exercice de style surréaliste sur les relations
entre le temps et l’espace (« Dans une rue de Manhattan j’ai
joui ce matin / Et Paris me lançait des mouchoirs de satin / Pour
m’essorer (…) Il est cinq heures ici et cinq heures à Milan //
La Joconde est entrée dans le poing de Vinci »). Les réserves
portent sur la musique : une autre mélodie aurait été préférable
sur de tel vers.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">La
passion de Ferré pour la musique s’entend de manière explicite
dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
musiciens, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
plus en creux dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ma
vie est un slalom </em></span></span><span lang="fr-FR">(« Au
moins s’ils connaissaient </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
sacre du printemps </em></span></span><span lang="fr-FR">
/ Et moi qui meurt de froid devant ma page blanche ») et </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Porno
song </em></span></span><span lang="fr-FR">(« Ton
coquillage je l’explique / En y mettant la musique »). Dans
la continuité de « La frime », Léo Ferré, il est vrai,
use et parfois abuse des possibilités offertes par un orchestre
symphonique. On lui a alors reproché de noyer ses chansons dans une
sorte de logorrhée musicale. Cette critique se trouve en partie
justifiée quand le flux orchestral fait écran au texte. On peut
parler de redondance et déplorer ces trop beaux atours pour des
chansons qu’une robe de dix sous habille. Il y a cependant des
exceptions telle </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Des
mots</em></span></span><span lang="fr-FR">
: une chanson qui s’accommode pour le mieux des couleurs et des
séductions d’un orchestre symphonique. Ce texte inspiré (« Quand
les goélands sont jaloux / De l’architecte où s’extravaguent /
Des maçons aux dents de velours / Et le ciment de leur salive / A te
cimenter pour l’amour / Ton cul calculant la dérive »), et
surtout l’habillage musical contribuent à la réussite de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Des
mots.</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">FERRÉ
MUSICIEN</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Si
la qualité de poète accordé à Léo Ferré ne provoque pas de
véritable objection (du moins depuis son entrée dans la
prestigieuse collection « Poètes d’aujourd’hui »),
celle de musicien, en revanche, était sujette à des controverses.
Ce qui explique pourquoi Ferré, dès qu’il fut en mesure de
diriger régulièrement des orchestres, mis principalement l’accent
sur cette qualité de musicien. Seul, parmi ses pairs, à posséder
une solide culture musicale classique acquise durant l’enfance (à
travers l’apprentissage du piano, la participation à une chorale
et celle d’un orchestre d’harmonie), Ferré s’est voulu très
tôt musicien. Du temps où il chantait dans la maîtrise de la
cathédrale de Monaco, le futur auteur de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Thank
you Satan </em></span></span><span lang="fr-FR">compose
un </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ave
Maia, </em></span></span><span lang="fr-FR">suivi
d’un </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Benedictus
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
d’un </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Agnus
déi. </em></span></span><span lang="fr-FR">Plus
tard, en 1943, lors d’une période d’inactivité, Ferré se
perfectionne sur le plan compositionnel en prenant des leçons d’art
de la fugue et de contrepoint.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">J’ai
indiqué que Léo Ferré tint une première fois la baguette de chef
de l’orchestre de la Radio-diffusion à l’occasion de l’émission
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>De
sac et de cordes, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
qu’il récidiva en 1954 et 1957 lors des création et
enregistrement de l’oratorio </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson du mal aimé. </em></span></span><span lang="fr-FR">Le
Ferré « musicien classique » y est déjà présent.
L’influence de Ravel, son compositeur préféré, se fait entendre
(en particulier dans l’écriture des choeurs), mais également
celle de Debussy. Un fait peu connu doit être rapporté. D’octobre
1953 à juillet 1954, Léo Ferré a produit et animé chaque semaine
sur Paris-Inter une émission (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Musique
</em></span></span><span lang="fr-FR">byzantine)
consacrée à la musique classique. A suivre attentivement la
carrière de Léo Ferré de manière chronologique, on constate que
sa relation à la musique, celle qu’il compose sur ses propres vers
ou ceux des autres, traduit moins qu’on ne pourrait le croire une
sensible évolution musicale sur quarante ans, qu’elle s’explique
par des choix de « production » variables d’une maison
de disque à l’autre. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Avec
le recul les années Odéon font paradoxalement figure de période
expérimentale sur le plan musical. Ferré est le plus souvent
accompagné par un orchestre, le meilleur y côtoie le plus convenu.
Jean Faustin, l’orchestrateur des premiers disques Ferré chez
Odéon, n’hésite pas à faire appel à une écriture jazz parfois.
Un jazz qui certes aurait traversé l’Amérique pour s’acoquiner
à un Kurt Weill, voire un Maurice Jaubert. En définitive, les
orchestrations de Jean Faustin tiennent le coup. Ferré, durant la
seconde séquence des années Odéon, fera davantage appel à de
petites formations. Il y rencontre également le pianiste
Paul,Castanier, qui va l’accompagner pendant presque 20 ans.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">J’ai
eu l’occasion de dire plus haut tout le bien que je pensais des
orchestrations de Jean-Michel Defaye, pour la période Barclay. Sur
l’intermède Zoo, on pouvait s’étonner que Ferré, qui
brocardait la musique rock quelques années plus tôt, y fasse d’une
certaine façon allégeante. En réalité il s’en prenait alors à
la culture yé yé, à l’indigence des paroles des chansons, et aux
aspects dégradés, édulcorés, marchands de ce type de musique. Un
peu plus tard, l’évolution des Beatles sur le plan musical,
l’apparition des Hendrix et autres Moodie blues changeaient la
donne. Ferré en tiendra compte, puis il s’en dégagera en devenant
son propre orchestrateur. Dés lors que Léo Ferré, à partir de
« Je te donne », et plus encore « La frime »,
met son répertoire au service de ses ambitions musicales, quelques
uns de ses choix musicaux deviennent alors discutables. Par exemple
l’utilisation des choeurs, totalement justifiée dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson du mal aimé, </em></span></span><span lang="fr-FR">ou,
pour en venir aux années de la précédente section, qui l’est
encore dans des chansons comme </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Allende
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Des
mots, </em></span></span><span lang="fr-FR">dans
d’autres chansons pareille utilisation provoque des effets
regrettables de type hollywoodien.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">S’il
faut évoquer quelque sommet du Léo Ferré compositeur, j’évoquerais
la musique écrite pour le film de Jean-Pierre Mocky, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’albatros,
</em></span></span><span lang="fr-FR">dont
le cinéaste n’avait finalement conservé qu’une partie de la
partition communiquée par Ferré. Ce dernier en fut fâché mais
comme rien ne perd l’un des fragments non retenu devint la musique
de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ton
style, </em></span></span><span lang="fr-FR">un
autre celle de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Words…words…
words…</em></span></span><span lang="fr-FR">.
Et puis, pour finir, Ferré repris la musique de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’albatros
</em></span></span><span lang="fr-FR">pour
habiller les vers du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Bateau
ivre.</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LA
VIOLENCE ET L’ENNUI</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Le
cru 1980 (« La violence et l’ennui ») nous remet à
l’oreille un Léo Ferré plus décapant. Le titre déjà, celui
d’un long monologue qui ouvre le disque, donne une indication sur
son contenu (« Ô ma soeur la violence nous sommes tes enfants
/ les pavés se retournent et poussent en dedans (…) Le sable des
pavés n’a pas la mer à boire / Ça sent la marée calme dans les
amplis troublés »). L’accompagnement musical de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
violence et l’ennui </em></span></span><span lang="fr-FR">évoque
celui de « Et… basta ! ». Il s’agit d’ailleurs d’un
album à tonalité piano, qu’illustre principalement une trilogie
(</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Géométriquement
tien, La mer noire, FLB</em></span></span><span lang="fr-FR">),
dont les textes des chansons proviennent de ces </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Chants
de la fureur </em></span></span><span lang="fr-FR">écrits
au début des années 1960 en Bretagne (et auxquels Ferré a déjà
eu recours pour y extraire déjà </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mémoire et la mer, </em></span></span><span lang="fr-FR">mais
également </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Des
mots </em></span></span><span lang="fr-FR">du
disque précédent). L’inspiration poétique ne fait jamais défaut
à Léo Ferré dès lors que la mer, les marins, la faune marine et
la Bretagne se trouvent évoqués. Si </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Géométriquement
tien </em></span></span><span lang="fr-FR">(un
titre à la Ferré) l’exprime de manière abstraite (« J’y
verrai des oiseaux de nuit / Et leurs géométriques ailles / Ne
pourront dessiner l’ennui / Dont se meurent les parallèles »),
les deux autres titres s'y réfèrent plus directement. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
mer noire </em></span></span><span lang="fr-FR">évoque
par anticipation les futures « marées noires » (« Dans
le port nagent des squelettes / Et sur la dune le destin / Vend du
cadavre aux goélettes »), mais plus encore le drapeau noir des
pirates et autres flibustiers (« Et si des fois le drapeau noir
/ Sur un voilier en voiles noires / Mettait la flibuste au pouvoir /
Ça pourrait déranger l’histoire »). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>FLB,
</em></span></span><span lang="fr-FR">elle,
raconte l’éternelle histoire de la mer et qui peuple marin. Il y a
comme une osmose entre un texte « habité » par son sujet
et un piano que l’on quitte à regret (« Entends le bruit qui
vient d’en bas / C’est la mer qui ferme son livre »). </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Paris
excepté, évidemment hors concours, Léo Ferré a évoqué Marseille
plus que toute autre ville. La cité phocéenne revient de temps en
temps au détour d’un vers. Dans « La violence et l’ennui »,
Ferré lui consacre une chanson dans laquelle les mots et l’accent
tressent à la ville comme une couronne de laurier. En d’autre
temps </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marseille
</em></span></span><span lang="fr-FR">eut
été reçu comme </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paname,
</em></span></span><span lang="fr-FR">voire
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
Canaille. </em></span></span><span lang="fr-FR">Mais
en 1980 la voix de Léo Ferré se faisait plus rare sur les chaînes
de radio. Il n’est pas certain que les marseillais surent que Ferré
redonnait en quelque sorte des lettres de noblesse à leur ville.
Vers la fin de la chanson c’est Apollinaire qu’il convoque
(« Anges frais débarqués à Marseille hier matin »), et
non un quelconque Pagnol. Un dernier mot pour signaler l’épatante
orchestration piano/orgue de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marseille.</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Toutes
les chansons sont accompagnées par l’orchestre symphonique de
Milan (toujours dirigé par Ferré) : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Frères
humains, La tristesse </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Words…
words… words. </em></span></span><span lang="fr-FR">Léo
Ferré a mis en musique l’un des poèmes les plus connus de
François Villon (comme auparavant Louis Bessières en 1968 sous le
titre </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
balades des pendus </em></span></span><span lang="fr-FR">et
chanté par Serge Reggiani). Dans ce </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Frères
humains </em></span></span><span lang="fr-FR">viennent
s’insérer entre les vers de Villon ceux d’une chanson de Ferré,
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour
n’a pas d’âge. </em></span></span><span lang="fr-FR">Cela
surprend dans un premier temps, puis finit pas convaincre. Ce sont
les mots de Ferré, paradoxalement, qui semblent venir du fond des
âges. Enfin terminons cet inventaire 1980 par la perle de l’album
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Words…
words… words… </em></span></span><span lang="fr-FR">est
l’un des plus beaux textes du répertoire de Léo Ferré. D’emblée
le ton est donné : « Et qu’ont-ils à rentrer chaque année
les artistes / J’avais sur le futur des mains des cordonnier /
Chassant les astres de mes peaux ensemellées / La conscience dans le
spider je mets les voiles »). Ce poème que Ferré déclame sur
une de ces musiques qui vous prennent aux tripes (j’y reviendrai),
nous transporte du Chili à Lisbonne, de Saint-Denis à Mexico.
L’auteur y affirme que « Shakespeare aussi était un
terroriste ». A la fin, sur un roulement de tambour
significatif, les différentes significations du mot « Videla »
nous sont données (revoilà nos « tripes ») : « En
Argentine / Vas-y voir / De quoi dégueuler / Vraiment ! ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">ANNÉES
1982 À 1986 : DIVERSES ET VARIÉES</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Comparé
avec « La violence et l’ennui », le triple album de
1982 paraîtrait décevant s’il ne comportait une épatante version
du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Bateau
ivre </em></span></span><span lang="fr-FR">de
Rimbaud (je l’évoquerai dans la section suivante). Sans doute
aurait-il été plus judicieux de « comprimer » ces trois
disques en deux exemplaires. Une déception, toute proportion gardée,
qui concerne moins les textes que les mélodies, lesquelles
provoquent parfois une impression de redite et de déjà entendu. On
aurait préféré entendre sur </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
Sorgue, </em></span></span><span lang="fr-FR">l’un
des meilleurs poèmes du recueil </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poète…
vos papiers, </em></span></span><span lang="fr-FR">une
autre musique que celle dont Ferré habille ces vers (« Je suis
la raison d’espérer / De l’anarchiste et du poète / Et je tiens
leurs idées au frais / En attendant qu’on les arrête »).
Certains choix orchestraux (ou d’enregistrement) paraissent
également discutables : en particulier les percussions trop
présentes dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
ascenseurs camarade </em></span></span><span lang="fr-FR">ou
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>En
faisant l’amour. </em></span></span><span lang="fr-FR">Ce
triple album comporte deux longs monologues : le premier,
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’imaginaire,
</em></span></span><span lang="fr-FR">se
situe dans la lignée de « Et… basta ! » ; le second,
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ludwig,
</em></span></span><span lang="fr-FR">sur
la musique de l’ouverture d’</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Egmont,
</em></span></span><span lang="fr-FR">de
Beethoven, s’imposait-il ?</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Au
chapitre des réussites mentionnons </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Christie</em></span></span><span lang="fr-FR">
une chanson dédiée à Marie-Christine, la compagne de Ferré
(« Christie ça sent le poivre doux / Quand ton crépuscule
pommade / Et que j’enflamme l’amadou / Pour mieux brûler ta
chair malade »). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
vendetta </em></span></span><span lang="fr-FR">reprend
un procédé narratif cher à l’auteur : « C’est un papier
perdu qui se souvient d’Homère / C’est la géographie qui change
à Stalingrad / C’est un noeud de cravate au cou de la misère /
C’est le rouge qui prend de l’âge camarade ! »). Enfin,
surtout, il convient de mentionner </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour
meurt </em></span></span><span lang="fr-FR">:
une chanson malheureusement inconnue du répertoire de Léo Ferré. A
ceux qui allaient, répétant, depuis la fin des années 1970,
« Ferré n’est plus ce qu’il était, il a fait son temps »,
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour
meurt </em></span></span><span lang="fr-FR">et
ses treize minutes (renversantes), s’inscrivait en faux contre ces
jugements hâtifs : avec Léo Ferré au piano, Toti Soler à la
guitare, et Taffy comme choriste. Ce Ferré désenchanté (L’amour
meurt / J’en sais rien / Qu’est ce que tu veux que ça me foute ?
/ L’amour meurt / J’en sais rien j’en sais rien ») nous
l’avions déjà entendu. C’est sur le plan musical qu’il faut
reporter son attention. Il y a comme une osmose entre le piano de
Ferré, la guitare de Soler et la voix de Taffy qui tient du prodige.
Et quelle interprétation ! C’était quoi la modernité en chanson,
l’année 1982 ? Mais </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour
meurt, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
c’était signé Léo Ferré. Mais qui le sut ? Tout compte fait, un
disque (même triple) qui comporte une telle chanson, et pareille
adaptation du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Bateau
ivre </em></span></span><span lang="fr-FR">ne
peut être foncièrement mauvais.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’opéra
du pauvre, </em></span></span><span lang="fr-FR">sorti
l’année suivante, s’adresse au noyau dur des fééens. Ce
coffret de quatre disques 30 cm n’a pas d’équivalent dans
l’oeuvre de Léo Ferré. Cet </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Opéra…
</em></span></span><span lang="fr-FR">reprend
l’argument du ballet </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
nuit, </em></span></span><span lang="fr-FR">que
Roland Petit avait commandé en 1956 à l’auteur de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris
canaille</em></span></span><span lang="fr-FR">
: un ballet massacré alors par la critique et retiré au bout de
deux représentations. Une lettre adressée par Ferré au chorégraphe
mettait un point final à leur collaboration : « Monsieur grâce
à vous j’ai mis le pied gauche dans le Tout Paris. J’espère que
cela me portera bonheur ». Il est vrai que le livret écrit par
Léo Ferré (avec la complicité de Madeleine) témoigne de
l’inexpérience de l’auteur dans un genre qu’il n’a pas pour
ainsi dire pratiqué (sauf dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>De
sac et de cordes, </em></span></span><span lang="fr-FR">plus
convaincant) et le propos j’y reviens, de cet </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Opéra
du pauvre </em></span></span><span lang="fr-FR">peut
dans un premier temps sembler exagérément naïf. Les chansons,</span><span lang="fr-FR">qui</span><span lang="fr-FR">relèvent
de registres musicaux différents, peinent à relever un plat que
l’on aurait préféré davantage épicé chez un auteur comme Léo
Ferré. Reste son interprétation, jubilatoire et plus encore. Dans
cette féérie (car il ne s’agit pas d’autre chose) qui voit la
Nuit comparaître devant un tribunal présidé par le Corbeau, dont
l’avocat général est le Coq, l’avocat de la défense le Hibou,
et le greffier le Chat (plus quelques témoins : une religieuse, un
bistrotier, deux prostituées, un enfant, un vers luisant, une
baleine bleue, la Misère et la Mort), Ferré interprète tous les
personnages avec un plaisir contagieux. Un coffret à ranger
cependant dans le rayon « curiosités ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Passons
à l’année 1986, celle de la parution du double album « On
est pas sérieux quand on a dix-sept ans ». J’y reviendrai
dans la section suivante pour commenter les poèmes (de la bande des
quatre, celle de Ferré !) mis en musique par Léo Ferré. L’autre
moitié se compose de chansons de l’auteur. Sans vouloir parler de
« recyclage », car cette terminologie n’a pas grand
sens avec Ferré, l’auditeur attentif remarque que la musique de
trois de ces chansons (les plus significatives) figuraient
précédemment dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’Opéra
du pauvre, </em></span></span><span lang="fr-FR">en
habillant d’autres mots. C’est le cas de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Gaby
</em></span></span><span lang="fr-FR">(Ferré
fait un dernier retour sur ses « année de dèche » à
Saint-Germain-des-Près, quand il chantait au cabaret </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’Arlequin</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Ce qui « marche » avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Gaby,
</em></span></span><span lang="fr-FR">se
révèle moins judicieux à l’écoute de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Visa
pour l’Amérique, </em></span></span><span lang="fr-FR">et
le superbe </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Faux
poète </em></span></span><span lang="fr-FR">(deux
textes figurant dans le recueil </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poète…
vos papiers !</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Il aurait été préférable d’écrire une musique originale sur
les vers, particulièrement inspirés, de ces deux poèmes. Un disque
à classer de préférence dans la rubrique « Léo Ferré
chante les poètes ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LÉO
FERRÉ CHANTE LES POÈTES, DEUX</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Nous
y venons justement. Il y avait de quoi s’interroger en apprenant
que Léo Ferré venait de mettre en musique le poème sans doute le
plus célèbre de Rimbaud, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
bateau ivre, </em></span></span><span lang="fr-FR">dans
le triple album de 1982. Le plus étonnant étant que cette
incontestable réussite n’est en rien comparable à ce qui
m’importait de relever et de souligner plus haut avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
assis </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
poètes de sept ans. </em></span></span><span lang="fr-FR">Parce
qu’il n’y a aucune piété dans cette adaptation qui tient du
collage : avec des passages répétés, réitérés, et une voix « en
recording » qui fait écho à celle qui chante ou déclame les
vers du poème. Ferré se fait plaisir et le communique dans cette
version jubilatoire. Nous sommes à cent lieurs des lectures scolaire
ou infatuées. Rimbaud y retrouve le son de sa voix : une voix
souvent recouverte par les poncifs de la criticature. Désormais </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
bateau ivre </em></span></span><span lang="fr-FR">nous
le voulons dériver ainsi : avec cette voix venue du pont, celle qui
décrit et donne des nouvelles du rivage ; et l’autre, celles de la
hune, plutôt rire après tout, celui de Rimbaud, contagieux.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Le
double album « On est pas sérieux quand on a dix sept ans »
contient autant de textes des poètes de prédilection de Léo Ferré
(deux Baudelaire, deux Verlaine, un Rimbaud, deux Apollinaire) que de
chansons originales. C’est Apollinaire qui retient le plus
l’attention avec la fusion de deux poèmes d’</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Alcool
</em></span></span><span lang="fr-FR">(</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
cloches </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
tziganes</em></span></span><span lang="fr-FR">),
mais surtout </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marie.
</em></span></span><span lang="fr-FR">A
vrai dire nous connaissions déjà cette adaptation puisque </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marie
</em></span></span><span lang="fr-FR">s’était
retrouvée en 1974 sur la face B du 45 t simple </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Je
t’aimais bien tu sais, </em></span></span><span lang="fr-FR">sans
pourtant être reprise comme cette dernière chanson sur l’album
« L’espoir ». Sur une belle mélodie, bien servie par
l’orchestre, interviennent des instruments solistes qui reprennent,
chacun leur tour, un thème empreint d’une douce nostalgie. Presque
à la même époque, Pierre Perret adaptait </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Marie
</em></span></span><span lang="fr-FR">:
sa version, très différente de celle de Ferré, n’est aucunement
négligeable. Sans pour autant bouder ou faire la fine bouche devant
les adaptations des deux poèmes de Baudelaire et de Verlaine,
celles-ci ne peuvent être comparées avec l’excellence de celles
des années soixante.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Je
range dans cette section le disque que Léo Ferré consacrait un an
plus tôt à Jean-René Caussimon. Les réserves viennent plutôt du
côté de Caussimon. Car Ferré fait preuve d’une verve mélodique
(moins présente dans ses propres albums de ces années-là !), en
particulier dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
spécialistes, Avant de te connaître, Les loubards, Comment ça
marche</em></span></span><span lang="fr-FR">).
C’est vouloir dire que l’on ne retrouve pas toujours la « patte »
de l’auteur, voire son univers (celui des décennies cinquante et
soixante). En revanche, pour aller dans un autre sens, Caussimon se
révèle plus critique envers la société que précédemment, entre
autres dans les titres qui viennent d’être cités.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Deux
curiosités pour refermer ce chapitre. Jamais diffusées sur les
ondes françaises, deux adaptations par Léo Ferré de poèmes de
Pavese (</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Verra
la morte </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’uomo
solo, </em></span></span><span lang="fr-FR">enregistrées
en Italie en I969) seront exhumées dans le dernier volume de
l’intégrale Barclay. Ensuite, c’est lors de l’intégrale Odéon
que l’on découvrit que Ferré avait durant la seconde moitié des
années 1950 enregistrées deux adaptations de poèmes de Luc
Bérimont : </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Soleil
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Noel
</em></span></span><span lang="fr-FR">(la
seconde étant bien connue par les versions de Catherine Sauvage,
Jacques Douai, Francesca Solleville et Marc Ogeret). On se demande
bien pourquoi ces deux enregistrements n’avaient pas fait l’objet
d’un report sur disque.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">LES
VIEUX COPAINS</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Quatre
années vont s’écouler avant que ne paraisse un nouvel album de
Léo Ferré (en mettant de côté les enregistrements publics). Il
s’agit du dernier disque de chansons de l’auteur (sachant que
l’année suivante, en 1991, Ferré mettra en musique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Une
saison en enfer</em></span></span><span lang="fr-FR">).
Cet ultime opus surprend, et pour tout dire émeut. La voix d’abord,
semble lasse, fatiguée, fragilisée. Quant au contenu de ces « Vieux
copains » on pourrait évoquer, en guise de résumé, une
promenade nostalgique à travers une quarantaine d’années et plus
consacrées à la chanson. Une promenade d’autant plus émouvante
qu’elle prendra en 1993 un caractère testamentaire. Il s’agit,
en partant des titres inédits, contemporains de l’année 1990, de
remonter le temps jusqu’au milieu des années 1940.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">La
chanson </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
vieux copains </em></span></span><span lang="fr-FR">donne
son titre à l’album. Dans un langage simple, dont la sobriété
tranche avec le côté surréalisant de maintes chansons des deux
dernières décennies, Ferré évoque « Les vieux copains /Tout
ridés fatigués / Qui vous tendent la main / Après bien des
années ». Ceux « Qui disent « comment vas-tu »
/ Et qui ne savent plus / Ni leur nom ni le tien ». Même si
Ferré s’en défend (« J’suis pas d’ceux-là ») un
certain désenchantement se fait ensuite entendre, dans le ton
d’ailleurs de tout l’album. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>C’est
une… </em></span></span><span lang="fr-FR">décline
sur le mode féeéen la femme sous différents aspects (la « femme
du monde », la « belle frangine », la « fille
lubrique », la » dévoreuse », etc. Quand le cap
est mis sur un certaine partie du corps de la femme (que Ferré a
moins chanté que d’autres), cela donne : « Les caps Fréhel
/ Les caps Martin / Poitrines de sel / Ou d’espérance / Ou vient
mentir / La mer calmée / Où vient s’blottir / L’âme des
noyés ». La mineure </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Cloclo
la cloche </em></span></span><span lang="fr-FR">clôturant
cette liste de chansons inédites.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
Maline </em></span></span><span lang="fr-FR">(sur
des vers de Rimbaud), et </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’automne
s’ennuyait </em></span></span><span lang="fr-FR">(sur
ceux d’Apollinaire) paraissaient destinées à l’album précédent.
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Où
vont-ils donc ? </em></span></span><span lang="fr-FR">figure
parmi les chansons que Ferré interprétait de temps à autre sur
scène, sans avoir été enregistrées. Ce texte figure ailleurs dans
l’ouvrage de Charles Estienne de la collection « Poètes
d’aujourd’hui ». Léo Ferré revient une fois de plus sur
son amour jamais démenti pour les chevaux. Une dernière fois il
exhume avec </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’Europe
s’ennuyait </em></span></span><span lang="fr-FR">l’un
des poèmes de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poète…
vos papiers ! </em></span></span><span lang="fr-FR">Une
excellente pioche car cette chanson se situe au sommet de ces « Vieux
copains ». La voix met particulièrement en valeur la dimension
épique du texte : un piano inspiré, flanqué de percussions, et
c’est l’histoire qui déménage. A l’image de ce « beau
Paris » qui « réinventait la liberté » (« Ceux
qui changeaient à République / Avaient les sangs tout retournés /
Y’a des mots qui font d’la musique / Et qui dérangent l’alphabet
/ Car le métro à Stalingrad / Roulait les souvenirs lyriques /
Certains en prenaient pour leur grade / Au portillon automatique »).
Il s’agit de l’une des plus anciennes chansons de Léo Ferré
(appelée alors </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Paris,
</em></span></span><span lang="fr-FR">dans
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poète…
vos papiers !</em></span></span><span lang="fr-FR">).
C’est en tout cas la première à faire l’objet d’un contrat
entre Ferré et les Éditions musicales du Chant du monde (le 3 mars
1947). On découvrira la version originale (qui ne figurait pas parmi
les 78 t retenus par le Chant du monde) après la mort du chanteur.
Une autre musique ayant été écrite pour la version de 1990. </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Autres
exhumations, celles de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>En
amour, Notre amour </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
fleuve des amants, </em></span></span><span lang="fr-FR">de
l’époque Odéon, que seuls quelques féréens blanchis sous le
harnais connaissaient. Si </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
fleuve des amants</em></span></span><span lang="fr-FR">,
contrairement à l’austère version originale, se trouve ici
habillée par les cordes de l’orchestre symphonique de Milan. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>En
amour </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Notre
amour </em></span></span><span lang="fr-FR">sont
re-enregistrées dans l’esprit des versions de 1955 : une harpe
pour la première, et un piano pour la seconde. La quatrième chanson
des années Odéon à faire l’objet d’une reprise, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
chanson triste, </em></span></span><span lang="fr-FR">est
elle ici chantée a cappella. Léo Ferré n’a jamais chantée </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
poisse </em></span></span><span lang="fr-FR">(crée
par Catherine Sauvage en 1959). L’accompagnement musical vient
directement de </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’Opéra
du pauvre. </em></span></span><span lang="fr-FR">L’une
des curiosités de cet album a pour nom </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vison
l’éditeur. </em></span></span><span lang="fr-FR">Cette
chanson figure dans l’émission radiophonique </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>De
sac et de cordes </em></span></span><span lang="fr-FR">diffusée
en 1950 (sans être chantée par son créateur). Elle reprend un
thème cher à Ferré : celui de l’artiste, confronté aux
margoulins qui l’exploitent (« C’est au quartier de la
bohème / Qu’on m’a signalé un auteur / (…) / Pour moduler sur
tous ses thèmes / Prenez les clefs de sa douleur / Car c’est sur
la peine que j’aime / Voir pousser mon blé d’éditeur / (…) /
Imprimons cette fadaise / A des milliers de format / Et fermons la
parenthèse / A ce qui fut le contrat / Et sur les ondes cosmiques /
Que s’en aille incognito / Les paroles et la musique / Que m’a
laissées cet idiot »).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Enfin,
encore plus loin dans le temps, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Y’a
une étoile </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Elle
tourne la terre, </em></span></span><span lang="fr-FR">complètent
cet album. La première</span><span lang="fr-FR">avait
été créée en 1948 par Renée Lebas, et la seconde par Mouloudji.
Dans les deux chansons la voix de Ferré est plus lasse que jamais.
L’accompagnement musical se trouve réduit au minimum, ici une
harpe, là un piano, pour habiller ces vers datant de la fin des
années 1940. Un mot sur la première de ces chansons (« Salut
! ma vieille copine la terre / T’es fatiguée ? Ben… nous
aussi »). La boucle est bouclée, semble dire Léo Ferré. Ceux
qui l’aiment seront émus, les autres non : « Bonjour ! ma
vieille copine la terre / Je te salue avec mes mains / Avec ma voix /
Avec tout ce que je n’ai pas ».</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">DISQUE
POSTHUME</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">En
l’an 2000 paraissait un disque « posthume » de
Léo Ferré. Comme le précise l’éditeur (La mémoire et la mer)
neuf titres - parmi les dix-sept composant cet album - auraient dû
se retrouver sur le disque que Ferré projetait de sortir en 1993.
Les neuf chansons en question étant celles « prévues dès
l’origine avec un accompagnement piano ». Sont ainsi exhumées
les bandes de travail (le plus souvent une première prise)
réalisées, du moins certaines, au domicile de Léo Ferré. Ce
disque écouté, on ne peut faire l’économie des éternelles
questions qui se posent avec les parutions posthumes. Par ailleurs,
nous ne connaissons pas les titres que Ferré comptait enregistrer
avec l’orchestre symphoniques de Milan. Et puis des » bandes
de travail » ne peuvent préjuger du traitement final (même si
le choix d’un accompagnement confié au seul piano réduit ici la
marge d’incertitude). Des interrogations donc, qui font que je
n’inclus pas cet album (« Metamec ») dans le corpus
discographique documenté ci-dessus.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Metamec,
</em></span></span><span lang="fr-FR">qui
donne titre à l’album, est un long poème de 320 vers, écrit en
1983. Derrière la voix de Léo Ferré on entend le thème musical du
film </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’Albatros,
</em></span></span><span lang="fr-FR">repris
en 1982 dans l’adaptation du </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Bateau
ivre. </em></span></span><span lang="fr-FR">Ferré
envisageait d’écrire une musique originale sur ce texte (du
meilleur Ferré il est vrai). </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Métamec
</em></span></span><span lang="fr-FR">se
rapproche davantage des poèmes écrits durant les années 1950 que
des monologues surréalisants des deux décennies suivantes. Cela
vaut également pour </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Deah…
Death… Death </em></span></span><span lang="fr-FR">:
ici l’accompagnement piano s’avère bienvenu. Un troisième
texte, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
méthode </em></span></span><span lang="fr-FR">(vrai
monologue celui-là), renvoie à l’une des chansons du triple
album, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
joyeuse visiteuse. </em></span></span><span lang="fr-FR">On
y retrouve le climat de « Et… basta ! ». </span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Côté
chansons, </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
vieux marin </em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Du
coco </em></span></span><span lang="fr-FR">figuraient
dans </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’opéra
des rats, </em></span></span><span lang="fr-FR">un
spectacle de Richard Martin créé en 1983 à Marseille. Deux
chansons que l’on peut classer entre </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
étrangers </em></span></span><span lang="fr-FR">et
le triptyque marin de « La violence et l’ennui ». Mais
c’est </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Zaza
</em></span></span><span lang="fr-FR">qui
attire l’attention sur ce disque hybride. Il s’agit de l’autre
guenon (avec Pépée), « assassinée » en avril 1968. Il
est judicieux de comparer les chansons </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Zaza
</em></span></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pépée
</em></span></span><span lang="fr-FR">car
elles représentent deux faces opposées d’une même pièce. </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pépée
</em></span></span><span lang="fr-FR">se
situe sur le versant dramatique, pathétique, tragique de Ferré,
tandis que </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Zaza
</em></span></span><span lang="fr-FR">appartient
à sa veine gouailleuse. Ferré y continue de régler des comptes
datant d’avril 68. Par delà cet aspect biographique (ou en raison
de, c’est selon), </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Zaza
</em></span></span><span lang="fr-FR">témoigne
d’une verve toujours présente chez Léo Ferré. Et le piano
accompagne ce texte (murmuré parfois) de manière épatante.</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">POSTÉRITÉ
DE LÉO FERRÉ</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none"><span style="background: transparent"><span lang="fr-FR"><br /></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Peut-on
parler, en citant des noms d’interprètes, d’une postérité de
Léo Ferré ? Il paraît difficile de répondre compte tenu de ce
qu’est devenue la chanson (d’ailleurs, est-ce encore de la
chanson ?). Cette influence s’effectua plus directement et plus
ostensiblement durant la décennie 70, voire la suivante. La liste
serait longue s’il fallait citer tous les interprètes qui, peu ou
prou, apportèrent leur pierre à un édifice dont les fondations
incombaient à Léo Ferré. Citons cependant deux exemples : Bernard
Lavilliers et Hubert-Félix Thiéphaine. Dans la première partie de
la carrière de Lavilliers (en particulier le disque « Les
poètes ») cette influence est indéniable. Ensuite Lavilliers
su s’en affranchir tout en conservant une dette envers Ferré (du
moins dans l’écriture des textes). Et l’on peut évoquer un
compagnonnage entre les deux chanteurs. Quant à Thiéfaine, cette
influence apparait ici ou là, tout au long de sa carrière.
Thiéfaine ne l’a jamais caché, la revendiquant, même. Ce qui le
distingue de Lavilliers étant sa préférence affichée pour le
« versant mélancolique » de Ferré. J’aimerais ajouter
un autre nom, celui de Jean Vasca (sans doute le chanteur
auteur-compositeur le plus scandaleusement méconnu de ces dernières
cinquante années). Ici la reconnaissance est juste suggérée. Dans
l’album (excellent), « L’atelier de l’été »,
sorti en 1994, Vasca évoque discrètement la disparition de Ferré,
Et l’on saisit, entre les lignes, ce qu’a pu représenter pour
lui Léo Ferré. </span></span>
</p>
<p align="center" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"><span lang="fr-FR">&</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent">
<span lang="fr-FR">FLORILÈGE
: CINQUANTE CHANSONS DE LÉO FERRÉ À ÉCOUTER PRÉFÉRENTIELLEMENT
(ne sont pas comprises les adaptations des poèmes de Verlaine,
Rimbaud, Baudelaire et Apollinaire)</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1950
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Le
bateau espagnol</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1953
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vitrines
- Paris Canaille</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1954
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’homme
- A la Seine </em></span></span><span lang="fr-FR">(paroles
de Jean-René Caussimon)</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1955
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vise
la réclame - Le temps du plastique</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1958
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Dieu
est nègre </em></span></span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1960
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Les
poètes - La maffia - Comme à Ostende </em></span></span><span lang="fr-FR">(paroles
de Jean-René Caussimon).</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1961
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Vingt
ans - Thank you Satan</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1962
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ca
t’va - Mister Giorgina</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1964
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Franco
la muerte - Épique époque - Mon piano</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1965
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Ni
Dieu ni maître</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1966
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>On
s’aimera - L’âge d’or</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1967
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
Marseillaise - Pacific blues - Salut Beatnik - Quartier latin - Ils
ont voté</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1969
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Pépée
- A toi - Les anarchistes - L’idole</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1970
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Poètes
vos papiers - La mémoire et la mer - Petite - Écoute moi - L’amour
fou</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1971
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Avec
le temps</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1972
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>La
solitude - Ton style - Tu ne dis jamais rien - La vie d’artiste
</em></span></span><span lang="fr-FR">(troisième
version)</span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1973
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Il
n’y a plus rien </em></span></span><span lang="fr-FR">-
</span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’oppression
- Night and day</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1974
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’espoir
- Les étrangers - Je t’aimais bien tu sais</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1976
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Muss
es sein ? es muss sein </em></span></span></span>
</p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1980
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>Words…
words… words…</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1982
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’amour
meurt</em></span></span></span></p>
<p align="justify" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">1990
: </span><span lang="fr-FR"><span lang="fr-FR"><em>L’Europe
s’ennuyait</em></span></span></span></p>
<p align="right" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"> <span lang="fr-FR">Max
Vincent</span></span></p>
<p align="right" style="font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 120%; margin-bottom: 0cm; text-decoration: none">
<span style="background: transparent"><span lang="fr-FR">décembre
2025</span></span></p>APORIES DE L’ÉMANCIPATION : FÉMINISME, ARTS ET LETTRES, SEXUALITÉ partie 2/2urn:md5:2910717eafed1c5a913104e574d25e9b2023-08-22T10:40:00+02:002023-08-22T10:40:00+02:00Max VincentCritique sociale <p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: center; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 19pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">2</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /><br /><br /><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Introduisons notre seconde partie par ce que François Cusset appelle un « florilège de qu’en dira-t-on, montés en épingle pour qu’on croit bel et bien menacés d’extinction la liberté d’expression, la licence poétique, le débat public et la coexistence harmonieuse de toutes et de tous ». Parmi les exemples cités par Cusset, passons rapidement sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les dix petits nègres </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">comme « fait tronqué », puisque tout le monde sait, à l’exception de quelques ignorants, que ce roman à été « retitré » et non « retiré de la vente ». Même chose en ce qui concerne les palinodies de l’Université de Bordeaux, au sujet de l’annulation de la conférence de la conférence de la philosophe Sylviane Agacinski, où l’on interprètera différemment de l’auteur « un communiqué d’associations étudiantes opposées à sa venue ». En revanche, je m’attarderai davantage sur le jésuitisme de Cusset relativisant la suppression, cette même année 2019, de la représentation des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Suppliantes </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’Eschyle à la Sorbonne, au prétexte que « l’action d’un groupe isolé » n’est pas véritablement représentative (et le soutien du CRAN, alors, ça compte pour rien !). En ajoutant qu’il s’agit de « questions complexes d’art et de politique », Cusset s’abstient de donner son avis sur l’essentiel : le boycott de la pratique du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blackface</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> était-il ou non justifié, une fois rappelé le contexte particulier de cette représentation (et les explications de Philippe Brunet, le metteur en scène) ? Et puis, comme à tant d’autres, je lui ferai remarquer que le titre « Nous défendons la liberté d’importuner, indispensable à la liberté », n’est pas celui choisi par les rédactrices de cette célèbre tribune (vilipendée par le ban et l’arrière-ban du néoféminisme), mais celui des responsables de la version numérique du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Monde. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le titre originel, présent dans l’édition papier, étant « Cent femmes pour une autre parole ». Ce qui n’est pas la même chose. Comme l’indiquera plus tard le médiateur du quotidien</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">les lecteurs du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Monde </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">numérique se sont avérés plus critiques envers cette tribune que les lecteurs du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Monde </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">papier (qui y étaient majoritairement favorables). Sans parler de ces beaucoup plus nombreux internautes, qui n’ont eu accès qu’au début de la tribune, précédée de ce titre inexact et accrocheur. Enfin, dernier exemple cité par François Cusset, celui de Roman Polanski se trouve rapidement expédié. Partant du César décerné en 2002 à Polanski, et ce qui s’ensuivit, Cusset en conclut qu’une « « certaine exception sexuelle » maintenue en France continuait d’y faire passer les luttes contre l’oppression sexuelle pour des gesticulations tout à fait minoritaires - même quand pareilles révélations se multiplient, devenues un filon éditorial et médiatique ». A vrai dire, nous restons particulièrement sur notre faim. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur ce « cas Polanski », exemplaire de notre point de vue. Je l’aborderai juste après. Ensuite il sera également question d’un autre cinéaste, Antonioni, puis nous aborderons la littérature, les arts plastiques, la musique, et l’invitée surprise de dernière heure, la bande dessinée, </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /><br /><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">LE CAS POLANSKI</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous sommes au moins d’accord sur un point, les accusateurs de Roman Polanski et moi : son cas s’avère exemplaire. Il va de soi que les raisons différent du tout au tout. Avant d’exposer les miennes, un rappel s’impose. Polanski a été tardivement (presque exclusivement en 2017) accusé de viols et d’agressions sexuelles pour des faits remontant aux années 1970. Selon toute vraisemblance, ces accusations que le cinéaste a toujours niées sont infondées. J’en donnerai plus loin le détail. Seule une première accusation, celle de « rapports sexuels illégaux avec une mineure de 13 ans » (Samantha Geimer), avait été reconnue par Polanski à l’époque, en 1977. La même année il était condamné à une peine d’emprisonnement de 90 jours (purgée en partie puisque Polanski était libéré au bout de 42 jours pour « conduite exemplaire ») dans une prison californienne. Une affaire judiciaire close au civil mais qui demeurait pendante, du moins partiellement, au pénal. L’année suivante le cinéaste s’installait en France pour échapper à de nouvelles poursuites sur le sol américain. Depuis 1997, Samantha Geimer intervient publiquement pour déclarer qu’elle a pardonné à Polanski et demander l’abandon des poursuites judiciaires visant le cinéaste : des poursuites faites en son nom, ce qu’elle dénonce comme étant abusif, voire même relever de l’acharnement judiciaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Les associations féministes qui se sont élevées vent debout en octobre 2017 contre « la rétrospective Polanski », programmée par la Cinémathèque française, rappelant le passé « d’agresseur sexuel » du cinéaste et les accusations récentes dont il faisait l’objet, occultent de manière constante les déclarations de Samantha Geimer (régulièrement citée comme « victime de Polanski » sans plus de précision). J’imagine que les plus remontées contre Polanski estiment que Samantha Geimer bafoue la cause des femmes, qu’elle les a trahies, qu’elle est une renégate, etc. Pourtant ces déclarations, qui s’articulent autour de la notion « personne n’est en droit de dire à une victime ce qu’elle est en droit de penser », se signalent par leur pertinence, en particulier celles que Samantha Geimer tient sur la victimisation dont elle fait l’objet, et surtout ce qu’elle en retient sur un plan plus général.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Roman Polanski, j’y reviens, a formellement nié les accusations de viols et d’agressions sexuelles qui se sont abattues sur lui en 2017 comme la grêle à Gravelotte (dix au total). Ces dépôts de plaintes enregistrées entre août et décembre 2017, ceci pour des viols présumés datant des années 1970, commis sur des « victimes » - dont certaines avaient neuf et dix ans ! - laissent circonspect, sinon plus. Signalons, dans un souci de concordance des dates, que ces poursuites contre Polanski - sujettes à un viol, reconnu, commis 40 ans plus tôt ! - ont été relancées en août 2017 par le juge Gordon, malgré le témoignage devant ce juge de Samantha Geimer en faveur du cinéaste. De quoi faire appel d’offre, si l’on peut s’exprimer ainsi. Si l’on connaissait mieux le profil psychologique des dix plaignantes, dans la mesure ou « profil » rime ici avec « profit », on aurait sans doute une réponse à la question. Reste le cas de Valentine Monnier, la dernière accusatrice en date, arguant que la sortie du film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">l’avait incité à sortir de son silence. Mais n’anticipons pas.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cette « Rétrospective Polanski », programmée de longue date à la Cinémathèque, ravivait le choeur des plaignants protestant contre l’impunité dont bénéficierait le cinéaste polonais. D’où une manifestation de protestation devant le site de la Cinémathèque, à l’initiative d’associations féministes, le jour d’ouverture de la rétrospective. Il importe, c’est désolant de devoir le rappeler, de bien distinguer l’homme du cinéaste : le cinéma de Polanski ne saurait être réduit à ce dont on accuse l’homme Roman Polanski. On a le droit de ne pas aimer ce cinéma, de le critiquer sans ménagement, mais il est inadmissible de demander l’annulation d’une rétrospective au prétexte que l’homme fait l’objet d’accusations qui relèvent uniquement du judiciaire. Ce principe, qui vaut également pour la littérature, les arts plastiques, la musique, etc, se trouve cependant remis en cause comme on le verra plus loin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Venons en à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Pour des raisons entre autres biographiques (père juif, une partie de sa famille décédée dans les camps de la mort), la légitimité de Polanski à vouloir réaliser un film sur l’affaire Dreyfus ne se discute pas. Même si l’on reprend les propos du cinéaste se rapportant à ce projet, il sont plus nuancés que ce que prétendent les détracteurs de Polanski et madame Monnier. Le cinéaste a pu, le cas échéant, se référer à ses démêlés judiciaires outre-atlantique, mais ce qu’il a exprimé de façon constante tient dans la déclaration suivante : « Je ne parlerai pas d’une identification, ou alors dans un sens assez général. L’essentiel de cette affaire c’est quoi ? Le refus d’une institution, l’armée en l’occurrence, de reconnaître son erreur, et son obstination à s’enfoncer dans le déni en produisant des fausses preuves. Moi je connais ça, même se ce n’est pas l’armée ». Des propos inacceptables pour qui ne doute pas un seul instant de la véracité des accusations rapportées ci-dessus. En revanche, si le doute est permis, on pourrait juste reprocher à Polanski, non pas de s’identifier à Dreyfus comme le martèlent ses accusateurs, mais de s’être laissé aller, même dans un autre registre, à une comparaison n’ayant rien de scandaleux, ni de répréhensible, mais qui dans le contexte très particulier de la sortie de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pouvait paraître déplacé.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Le fameux tweet (« C’est Polanski qu’il faut gazer »), soit la reprise d’un slogan entendu lors d’une manifestation de protestation contre Polanski, durant laquelle la police faisait usage de gaz lacrymogène, ne saurait être imputé à la grande majorité des accusateurs du cinéaste. Cela pourtant ne nous interdit pas de faire l’hypothèse que cette haine obsessionnelle envers Polanski n’en révèle pas moins quelque antisémitisme latent (chez des personnes qui évidement s’en défendraient). Et puis que penser, de façon plus subliminale, du tag « Polanski, bois nos règles », autrement dit, comme le suggère Sabine Prokhoris, l’évocation du « sang des femmes et des enfants pour le pain azyme du vampire-violeur-pédocriminel juif, à quoi s’ajoute la mémoire d’images de rabbins contraints de lécher le sol dans les rues de Vienne ». Ceci pour dire que les « C’est Polanski qu’il faut gazer » et tutti quanti, même s’ils ne représentent qu’une minorité des contempteurs du cinéaste, n’ont rien d’innocent et doivent être pris au sérieux.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sorti, nous n‘en sommes pas restés là. Alors que les demandes d’interdiction d’un film émanaient jusqu’à présent de municipalités de droite, ou d’associations catholiques proches de l’extrême droite, pour la première fois des élus de gauche (la maire, PS, de Bondy, et l’une de ses adjointes, PCF), demandaient au Président de l’établissement territorial Est Ensemble (regroupant plusieurs salles de cinéma de Seine-Saint-Denis) de déprogrammer </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Cet élu donnait son accord de principe, puis revenait sur sa décision devant les réactions négatives des programmateurs de salles, dont celle de Stéphane Goudet, le directeur du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Meliès </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à Montreuil, déclarant excellemment : « Nous demandons dès à présent à nos élus la liste des cinéastes dont nous n’aurons plus le droit de programmer les films et la définition de leurs critères. Un comité de vérification de la moralité des artistes est-il prévu, puisque la liberté individuelle des spectateurs n’est pas suffisante ». Quand Sylvie Badoux, la maire-adjointe de Bondy, l’élue la plus en pointe pour interdire </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">répond : « Ce n’est pas du contenu d’un film contre lequel nous nous insurgeons, mais de la personnalité d’un homme abject », elle ne sait pas à quel point elle aiguise les ciseaux de dame Anastasie, puisque le critère ici retenu pourrait s’appliquer à quelques autres cinéastes renommés, dont Chaplin, Clouzot, Allen, pour ce limiter à ces noms. Et comme l’abjection des uns n’est pas nécessairement celle des autres, cette liste devrait sensiblement s’élargir selon d’autres critères : dame Anastasie n’est pas prête de chômer !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Comment qualifier la démarche, faite précédemment, « d’encadrer » </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">au Festival de la Roche-sur-Yon par un débat avant la projection ? Une demande acceptée par la programmation du festival faisant appel à Iris Brey pour en débattre. Cette chercheuse n’avait pourtant pas vu </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et déclarait haut et fort qu’elle n’entendait pas voir le film. Nous entrons là dans quelque chose d’inédit, du moins pour l’hexagone, D’abord, ce n’est pas le contenu d’un film qui se trouve incriminé mais la personnalité du cinéaste. Ensuite, tout film mis à l’index - en regard de la personnalité d’un cinéaste - devrait donc être encadré, selon par exemple le protocole retenu à la Roche-sur-Yon. D’où cette situation ubuesque d’un débat sur « les violences faites aux femmes » avant la projection de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Cet « encadrement », par delà l’aspect absurde du procédé, n’étant pas sans effets pervers. Puisqu’il tend à occulter le contenu du film incriminé (avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">l’antisémitisme) pour lui en substituer un autre, n’ayant pas le moindre rapport avec celui du film. Ce qui renvoie indirectement, par la bande, à une version non moins inédite de concurrence entre les victimes. Un tel « encadrement » n’entend pas censurer une oeuvre cinématographique mais se révèle plus pernicieux. Car les appels à censurer un film, ou toute oeuvre en général, ont le mérite d’appeler un chat un chat. Et l’on peut s’y opposer frontalement. Ici l’on se défend de toute accusation de censure tout en réduisant l’oeuvre incriminée à l’état de coquille vide (car l’on subodore que la très grande. majorité des personnes présentes lors du débat quitteraient ostensiblement la salle lors du début de la projection). On me répondra qu’il s’agit explicitement d’une tribune pour faire avancer la cause des femmes. A ce compte-là, n’importe quel groupe de pression peut procéder de même, et prendre tel film en otage au nom des personnes « racialisée », ou LGBT, ou handicapées, voire même de la « cause animale », parce que le réalisateur serait accusé d’être raciste, ou homophobe, ou transphobe, ou handicapophobe, ou coupable de mauvais traitements envers les animaux.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> L’exemple suivant, qui date de février 2020, est très peu connu. Il n’a pas été repris, que je sache, par des auteurs ayant écrit de manière critique sur le traitement de « l’affaire Polanski ». Nous disposons, pour en venir à cette péripétie universitaire, de deux versions. La première émane de l’historienne Pauline Peretz, maître de conférence à Paris 8 (co-auteure d’un ouvrage sur le dossier secret de l’affaire Dreyfus). Dans le cadre d’un enseignement (« L’histoire sous d’autres formes ») portant sur les usages publics de l’histoire, le cours du 11 février devait être consacré aux « représentations de l’affaire Dreyfus », et en particulier « à l’interprétation qui en a été proposée par le film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Roman Polanski ». A l’automne, dès le premier cours de cet enseignement, deux étudiantes avaient émis des réserves. Une discussion collective s’en était ensuivie : Pauline Peretz justifiant son choix « par l’originalité du parti pris historiographique de ce film dans un champ où l’héroïsation de Dreyfus (ou non) pose encore question ». Il était également proposé aux étudiantes « qui ne voulaient pas discuter de ce film » (lequel ne serait pas projeté) « qu’elles n’étaient pas obligées d’être présentes le 11 février ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce jour-là, « un groupe de 12 à 15 jeunes femmes » étrangères au cours de Pauline Peretz (à une exception près) entraient dans la salle de cour en affirmant que « toutes étaient-là pour empêcher la discussion sur le film de Polanski (…) qu’elles ne quitteraient la salle » que sous cette condition. Ce que l’enseignante refusait en proposant que l’on débatte « des raisons pour lesquelles je souhaitais maintenir cette discussion et des enjeux de liberté académique qui y étaient associés ». Elle se heurtait bien évidemment à une fin de non-recevoir. L’un des membres du commando écrivit « au tableau noir le nom de chacune des victimes présumées de Polanski, puis accusa Pauline Peretz de complicité envers un violeur ». D’autres lurent un texte « dans lequel il était dit une nouvelle fois qu’étudier Polanski c’était être complice de ses crimes ». Il fut alors intimé à l’enseignante de se taire parce qu’elle était « dominante » en temps habituel. « Intimidée par la violence verbale et la présence physique de ces jeunes femmes » et « déstabilisée par l’impossibilité d’engager une discussion », Pauline Peretz décidait de quitter la salle de cours. Durant tout le temps qu’avait duré cet échange houleux, tous les étudiants présents, à l’exception d’une étudiante, étaient restés silencieux.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> La seconde version, un tract non signé, a été rédigée par les étudiantes (se disant « féministes ») venues perturber le cours de Pauline Peretz. Après un bref rappel des « crimes » de Polanski, les rédactrices affirment que « Étudier son oeuvre, c’est cautionner le réalisateur et cautionner l’impunité judiciaire et médiatique des hommes puissants dans une société patriarcale ». C’est là un discours souvent entendu durant cette interminable « affaire Polanski », articulé autour du refus de séparer l’homme de l’oeuvre. Ce qui est une façon jésuitique de poser le problème. De l’oeuvre en réalité il n’en est pas question, puisque pour les contempteurs de Polanski seules entrent en ligne de compte les considérations morales sur l’homme (pour ne pas dire moralisatrices). Ensuite il convient de rappeler que tout ce qui peut être reproché à l’homme Polanski relève du judiciaire. Quant au cinéaste, à condition de quitter l’anathème moralisateur pour rester dans le débat d’idées, il reste à prouver que son oeuvre serait explicitement, ou même implicitement une apologie du viol et de la prédation masculine. En empêchant manu militari toute discussion depuis </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sur l’antisémitisme en général et le film de Polanski en particulier, les membres de ce commando, même si elles s’en défendraient, se situent de facto sur le terrain de la « concurrence des victimes ». A l’argument, réitéré, selon lequel Polanski avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">se défausserait à bon compte de ses accusations de viols, nous renvoyons une fois de plus à la biographie du cinéaste et celle de sa famille.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pour revenir à ce tract, le refus manifeste de débattre dans les termes explicités par Pauline Peretz ne se fait pas depuis le mode argumenté que je viens d’illustrer, mais depuis celui de l’intimidation. Curieusement, les rédactrices reconnaissent avoir « fait le choix de ne pas laisser parler la professeur (…) car elles connaissaient les arguments qui l’ont poussée à faire le choix (politique) d’étudier cette oeuvre ». Le lecteur du tract n’est pas censé les connaître, lui, et on le maintiendra dans cette ignorance : les rédactrices disant alors avoir privé de parole l’enseignante « car le rapport de domination professeurs / étudiants qui se joue dans l’université ne permettait pas une discussion d’égale à égale ». Pauline Peretz, avant qu’on lui retire définitivement la parole, aurait évoqué (précisent les rédactrices), les « méthodes fascisantes » de ces dernières. Ce à quoi celles-ci lui demandent de « relire ses cours d’histoire ». Sans pour autant reprendre la formulation de l’enseignante - qui s’explique certainement par le climat de tension généré par l’intrusion de ces « militantes féministes » - ses interlocutrices ignorent sans doute que les étudiants nazis intervenaient sur un mode comparable dans les universités avant la prise de pouvoir d’Adolf Hitler.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ensuite, dans une seconde partie, le tract répond à une motion émanant des personnels du département d’histoire de Paris 8. Les rédactrices persistent et signent en affirmant que « la seule « étude critique » qui vaille sur le pédocriminel Roman Polanski serait une étude sur les violences sexuelles et sexistes dans le monde du cinéma et leur impunité dans la société ». Elles s’élèvent aussi contre le qualificatif de « censure » concernant leur action. Les rédactrices n’ont pas tort d’ajouter que « la censure s’exerce d’un système et / ou d’un groupe dominant sur la production d’un groupe dominé ou dissident ». Mais ce n’est que la moitié de la question. Nos rédactrices oublient de mentionner que des associations proches de l’extrême droite, qui pourraient également revendiquer un statut de « dominé », s’efforcent de censurer des oeuvres au nom d‘une cause qu’elles estiment non moins justifiée que celle de nos « étudiantes féministes ». D’ailleurs les unes comme les autres - bien que situées a priori aux deux extrémités du spectre politique - entendent moraliser la société, plus explicitement certes pour les associations droitières. Enfin nous n‘échappons pas au refrain rituel ou au mantra selon lequel « la culture du viol structure la société », et que « la présence de Roman Polanski dans l’univers médiatique et culturel en est la preuve ». C’est beaucoup prêter à Polanski, et nous incite à dire un mot sur cette « culture du viol », structurante ou pas.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Son usage devrait être principalement limité à ces « faits de guerre » par lesquels, depuis des temps immémoriaux, la soldatesque, plus ou moins encouragée par le poste de commandement, viole systématiquement les femmes se trouvant en terrain conquis. Et l’on sait que s’y greffent parfois des considérations raciales ayant pour objectif de polluer l’ethnicité d’une communauté. Sans remonter aux calendes grecques, la guerre à la fin du siècle dernier dans les pays de l’ex-Yougoslavie l’illustre par des exemples patents qui ont fait l’objet de condamnations par des juridictions internationales. Et aujourd’hui encore en Ukraine, certaines « unités spéciales » russes seraient impliquées. Ou alors, toute proportion gardée, en accusant fortement le trait, cette « culture du viol » pourrait s’appliquer à ce qui, dans les siècles passés, en terme de contrat de mariage relevait du « devoir conjugal ». La plupart des discours qui mentionnent cette « culture du viol » relèvent de l’intimidation ou de l’abus de langage : on entend ostraciser, voire criminaliser tout comportement jugé délictueux par ce qu’il faut bien appeler une morale néoféministe. Je ne saurais trop acquiescer au propos d’Hélène Merlin-Kajman, quand elle affirme, dans son ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La littérature à l’oeuvre de #MeToo, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que « si par « culture du viol » on entend que tous les hommes qui aiment séduire dans le registre d’un jeu érotique, actif, voire un peu « chasseur », sont des violeurs en puissance, et que les femmes qui aiment entrer dans ce jeu sont des violées en puissance, dans une configuration où pourtant les uns et les autres trouvent leur plaisir à ce jeu érotique fondé tendancieusement sur ces rôles, alors je ne comprends plus ce que désigne l’expression « culture du viol » ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Un lien peut être fait avec une autre affaire, puisque la riche idée « d’encadrer » la projection de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à la Roche-sur-Yon, selon les modalités exposées haut, émanait d’Adèle Haenel. Nous en venons, par association, à la cérémonie des Césars 2020 qui fit couler tant d’encre, et durant laquelle la jeune actrice s’illustra comme chacun le sait. Mais laissons-là Adèle Haenel pour commenter un propos du livre (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Peut-on dissocier l’oeuvre de l’auteur ?, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">publié aux Éditions du Seuil) de Gisèle Sapiro. Cette sociologue laisse entendre que même si le film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">« ne présente aucune apologie de la pédocriminalité et du viol » (merci de le préciser !), en revanche les récompenses attribuées à Polanski lors de la cérémonie des Césars pourraient, selon elle, « signifier la perpétuation de la méconnaissance d’abus de jeunes femmes dans les milieux du cinéma et donc l’octroi d’une forme d’impunité ». Cette argumentation serait recevable s’il y avait une relation de cause à effet entre le contenu de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et la nature des accusations portées contre Polanski. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pourtant Sapiro reconnaît qu’il n’en est rien. Elle prolonge son propos sur cette impunité par l’affirmation que la « reconnaissance artistique », la consécration d’un artiste, « risquent d’occulter (…) voire de légitimer les violences faites aux femmes ». Tout d’abord, cette « reconnaissance artistique » envers Polanski ne date pas d’aujourd’hui, ni même d’hier, alors que les accusations portées contre lui datent très principalement de l’année 2017. Il se trouve que </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(que je qualifierai de « film académique ») relève de la catégorie de films correspondant à des critères de césarisation. Ce que les « professionnels de la profession » avaliseront lors du vote. Et puis, cette année 2019 n’étant pas celle d’un « grand cru » dans le paysage du cinéma hexagonal, il n’y avait pas de quoi s’étonner de la sélection, puis du vote. Ensuite, est-ce la bonne cible ? Polanski n’est pas Weinstein que jeu sache. En quoi son nom doit-il être associé à des « abus de jeunes femmes dans les milieux du cinéma » ? On a l’impression que notre sociologue a en tête « l’affaire Haenel-Ruggia ». Doit-on rappeler que le viol commis sur Samantha Geimer remonte à l’année 1977, et que depuis, dans les milieux du cinéma très précisément, Polanski n’a jamais été accusé d’avoir abusé d’une jeune actrice sur ou en dehors d’un tournage.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Retour sur la cérémonie des Césars du 21 février 2020. Un spectacle lamentable, orchestré par la soi-disant humoriste Florence Foresti, durant lequel les sorties remarquées d’Adèle Haenel et de Céline Sciamma seront immortalisées par le désormais proverbial « la révolte en talons hauts » de Virginie Despentes. Indiquons que le César du meilleur film n’avait pas été attribué ce soir-là, comme parfois on le croit, à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">mais au film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les Misérables </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Ladj Ly. Pierre Jourde dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La tyrannie vertueuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">constate que nulle protestation féministe (en regard de l’impératif catégorique selon lequel, la preuve par Polanski, il ne fallait pas dissocier l’homme de l’oeuvre) n’a été émise à l’égard d’un cinéaste condamné huit ans plus tôt à deux ans de prison ferme pour l’aide apportée « à enlever et molester un homme ayant été l’amant de la soeur de l’un de ses amis sénégalais ». Même si la presse de droite en a fait des gorges chaudes, cette constatation mérite que l’on s’y attarde un instant. Il m’est indifférent que Ladj Ly ait obtenu cette récompense (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les Misérables </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">est un bon film mais pas le chef d’oeuvre que l’on prétend). Ly a purgé sa peine et il importe dans son cas, comme pour tous les autres, d’effacer l’ardoise. Mais pourquoi ce dont on absout Ladj Ly n’a plus lieu d’être avec Jean-Claude Brisseau ou Bertrand Cantat ? Il y aurait-il une exception en ce qui concerne toute condamnation pénale, dans les seuls cas d’agressions sexuelles ou de violences envers les femmes (tu as purgé ta peine, soit, mais nous te condamnons à la « mort sociale ») ?Pourtant la condamnation de Ly relève indirectement du second chef d’accusation. Je serais beaucoup moins catégorique que Pierre Jourde (« Lady Ly est intouchable, car il est Noir et vient de banlieue »), ou plutôt je nuancerais ce qui dans ce propos prête le flanc à des considérations peu amènes sur cette double question. Parce que selon l’adage (« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour, etc »), on en déduit que ce qui est vrai dans ce cas précis avec le cinéaste fêté et célébré des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Misérables, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ne l’est nullement pour la très grande majorité des Noirs vivant dans une banlieue populaire (monde auquel appartenait Ladj Ly avant de « réussir » dans le cinéma).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Virginie Despentes, dans sa désormais célèbre tribune (« On se lève et on se casse ») des lendemains des Césars 2020, a tenté de répondre à la question posée plus haut sur un mode particulièrement paradoxal. Avant d’y venir, reconnaissons que cette écrivaine ne manque pas d’habileté, puisque ce qu’elle dénonce (des puissants à la police, en passant par l’argent-roi, l’impunité du viol, de la pédophile, la réforme des retraites, etc) circonscrit le monde de tous ceux qui, selon elle, soutiennent Polanski. De surcroît le langage de Despentes se veut au diapason de ces accusations. Ces dénonciations, qui relèvent de l’amalgame, s’accompagnent pour faire bonne mesure de leur lot de « victimes ». Là, quand même, sous ce chapitre, il est permis de franchement rigoler devant le relevé qui nous est proposé. Ainsi une Florence Foresti qui, quittant la cérémonie des Césars avant la fin, « risque de se mettre la profession sur le dos » (mais Virginie Despentes ne lit pas la presse, ne dispose ni d’un poste de télévision ou de radio, ni d’un ordinateur ou d’un smartphone !) ; ainsi la fiction d’une Adèle Haenel que l’on refuse d’entendre (et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et consort</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ça compte pour du beurre ! j’entends Plénel protester) ; ainsi la quasi absence au palmarès du film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Portrait de la jeune fille en fleur, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">au prétexte que Adèle Haenel aurait parlé (une omerta alors ?). Dans le cas où notre actrice n’aurait pas « parlé » ce film, bien sûr, aurait été couvert de prix : élémentaire ma chère Despentes ! Et puis comment comprendre le sens de la phase suivante, énigmatique : « Vous savez très bien ce que vous faites quand vous défendez Polanski, vous exigez qu’on vous admire jusque dans votre délinquance ». Nous croyons comprendre, puisque Despentes se réfère maintenant aux</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Misérables, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que les nombreux prix obtenus ce soir-là par le film de Ladj Ly pourraient paradoxalement contribuer à humilier les victimes. D’où ce subtil mélange des genres selon lequel, « quand vous convoquez sur la scène les corps les plus vulnérables de la salle, ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police, et que si ça manque de meufs parmi eux, on voit bien que ça ne manque pas d’intelligence et on sait qu’ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier qu’îls vivent ». La réalité et le déni d’une certaine réalité sont tour à tour convoqués. Nous savons ce qu’il en est des contrôles de police dans ces quartiers-là, mais Virginie Despentes se garde bien de dire le moindre mot sur les aspects délétères du patriarcat, bien présent lui dans ces mêmes quartiers (en particulier dans les milieux musulmans intégristes) : ce qui nous renverrai par la bande à l’homme Ladj Ly, depuis l’impératif catégorique de non séparation entre la vie et l’oeuvre qui vaut pour Polanski. Un argument que Despentes, l’anticipant, balaie d’un revers de la main : « Vous pouvez la décliner sur tous les tons, votre imbécillité de séparation entre l’homme et l’artiste ». A croire, ceci et cela posé, que cette séparation n’a pas lieu d’être pour ce qui concerne les abuseurs sexuels ou prétendus tels, mais qu’en revanche elle s’avérerait pertinente dans tous les autres cas de figure.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cette diatribe émane d’une écrivaine qui pourtant appartient sans barguigner à ce monde qu’elle prétend dégueuler. Elle l’avoue à sa façon en reconnaissant qu’elle fait « partie du sérail ». Parce qu’on ne siège pas impunément aux jurys des prix Fémina, puis Goncourt, qu’on a été lauréate du prix Renaudot, membre de la Commission d’avance sur recettes, qu’on est représentée par un important agent du monde artistique, que l’on a accepté de se transformer - depuis un prétexte littéraire - en agent publicitaire de la malle Vuitton, et surtout que l’on est une écrivaine célébrée par la plus influente critique littéraire (le dernier roman en 2022 de Virginie Despentes étant présenté comme l’évènement de la rentrée littéraire), et j’en passe, sans cocher plusieurs des cases qui vous entraînent à faire un pas de deux avec le pouvoir. Si l’on me répond par la négative, en arguant pour Despentes d’une qualité de « femme puissante » contemptrice du patriarcat, je répondrai que détestant déjà les « hommes puissants » je ne vois pas pourquoi il n’en serait pas de même avec les « femmes puissantes ». S’il existe encore un lecteur qui l’ignore, je lui signale qu’un entretien de janvier 2015 accordé par Virginie Despentes aux </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Inrockuptibles </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">n’était pas passé inaperçu, loin de là. En effet, dix jours après la tuerie de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Charlie Hebdo, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Despentes disait autant s’identifier aux tueurs, les frères Karachi, qu’aux victimes. Cette manière de renvoyer dos à dos les assassins et leurs victimes suffisant à la disqualifier sur les plans politique et moral. Du moins le pensais-je. Mais non ! Quand Despentes insiste lourdement sur l’impunité dont bénéficie Polanski (bénéficierait plutôt), nous pourrions lui renvoyer le compliment.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ANTONIONI ET </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BLOW-UP</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous ne quittons pas le monde du cinéma puisque le cinéaste incriminé ci-dessous n’est autre que Michelangelo Antonioni. A la différence de Polanski, Antonioni l’est lui au sujet de l’un de ses films. La vengeance étant un plat qui se mange froid, l’historienne Laure Murat aura attendu de longues années pour régler son compte à Antonioni en général et le film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en particulier (sorti en 1966). Dans une tribune publiée en décembre 2017 dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Libération, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">donc en pleine « affaire Weinstein », Laure Murat se livre à une attaque en règle contre un film qui, selon elle, représente « de façon odieuse et continue (…) les rapports entre les hommes et les femmes ». Le personnage principal joué par David Hemmings, un photographe de mode, est décrit comme un « homme odieux », et à travers lui </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">fait « étalage d’une misogynie et d’un sexisme insupportables ». Le point culminant de cette description étant une scène où « le photographe se rue sur deux jeunes filles ». Cela débouchant, je reprends la parole, sur une joute de nature érotique. Ce que Laure Murat appelle « tout bonnement (…) un viol ». D’où un couplet final, en référence à « l’affaire Weinstein », appelant à « exercer son esprit critique sur la promotion du viol ». Ceci s’accompagnant d’une mise en garde contre « la sempiternelle reconduction des violences sexistes » et sur « l’indulgence pour la domination masculine sous prétexte qu’elle serait le reflet de la société ». On a compris que cette tribune n’a été publiée par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Libération </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">qu’en raison de ce contexte particulier d’émergence du mouvement #MeToo, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">servant ici de prétexte. Cependant, il importe de revenir sur le contenu de cet article, instructif à bien des égards.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Depuis une lecture biaisée, déformée, binaire, confusionniste et partisane de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Laure Murat nous assène un discours hors sol, qui reprend une grille de lecture néoféministe ne pouvant satisfaire que celles et ceux pour qui de telles considérations idéologiques prennent le pas sur toute analyse, y compris critique d’une oeuvre d’art. D’abord notre historienne (pas du cinéma certes !) connaît bien mal Antonioni, un cinéaste auquel on doit quelques uns des plus beaux portraits de femmes dans le cinéma de la seconde moitié du XXe siècle. Ceci à l’aune du regard sans complaisance que le cinéaste porte souvent sur la gent masculine. Un exemple patent, parmi d’autres, se trouvant illustré par le dernier plan de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’Avventura, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans lequel la femme (Monica Vitti) se tient derrière le pitoyable personnage masculin, effondré sur un banc. La main qui se pose alors sur la nuque de l’homme nous apparaît à la fois comme consolatrice, et comme témoignant d’une commisération envers la duplicité, la lâcheté et la faiblesse de cette représentation peu glorieuse du sexe masculin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mais revenons à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Laure Murat reste floue sur les intentions d’Antonioni à l’égard de ce qu’elle appelle « l’étalage d’une misogynie et d’un sexisme insupportables », puisqu’elle ajoute curieusement « rien ne dit d’ailleurs qu’Antonioni le cautionne personnellement ». Faudrait savoir : il le cautionne ou pas ? Car c’est faire le grand écart sur ce qu’il convient de penser de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">S’il ne le cautionne pas l’argumentation de notre historienne s’avère sans objet. S’il le cautionne, cela ne peut que paraître contradictoire, comme je viens de le suggérer, aux yeux de qui connaît le cinéma d’Antonioni. A moins de laisser entendre, qu’avec ce film-là, qu’Antonioni aurait pour une fois succombé à la tentation misogyne et sexiste. Ce qui est absurde. Essayons de comprendre. Laure Murat évoque alors « un traitement », celui du photographe envers ses modèles, qui « vire à la complaisance ». Qu’en est-il ? Le regard que porte Antonioni sur ce photographe connu, recherché pour son côté « mode », apprécié croit-on savoir pour sa modernité, n’a rien de complaisant. Entre autres raisons parce qu’il filme sciemment un personnage arrogant. Encore faut-il aborder </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blown-up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">par un autre biais pour mieux récuser dans le détail cette prétendue complaisance.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Serge Kaganski dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les Inrockuptibles </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(article « Faut-il brûler </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">le chef d’oeuvre d’Antonioni ? »), répondant à la tribune de Laure Murat, rappelle cette règle élémentaire que « le sens général d’un film n’est pas réductible à la personnalité d’un de ses personnages ». Il l’étaye en précisant que la modernité d’Antonioni se trouve par exemple illustrée par le regard distancié du cinéaste envers ses personnages, ce qui « ne leur imprime pas une valeur morale absolue (…) Antonioni n’a jamais recours au sentimentalisme, au pathos, aux processus d’identification usuels du cinéma grand public et notamment hollywoodien ». Ceci devait être souligné pour mieux revenir à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Laure Murat ne comprend pas, à l’évidence, le cinéma d’Antonioni lorsqu’elle avance que le cinéaste serait complaisant avec le personnage principal de son film. C’est tout le contraire. D’ailleurs, fait significatif, elle ne mentionne pas (un élément sans doute secondaire pour elle) que le photographe fait preuve de la même arrogance et de la même rudesse envers son assistant masculin qu’à l’égard de ses modèles féminins. En ce qui les concerne, il se comporte différemment selon leur notoriété. Le premier modèle, une actrice ou un mannequin connu, se prête complaisamment, professionnellement, à une manière de poser qui peut prendre l’aspect d’un « pas de deux » érotique. En revanche, avec le groupe de jeunes modèles qui se présente ensuite sous son objectif, du menu fretin, le photographe se montre particulièrement désagréable. En substance, Antonioni porte un regard distancié, et de fait critique sur ce milieu huppé de la mode londonienne, qui interdit au spectateur (à condition de voir ce qui se présente à l’écran sans lunettes déformantes) toute identification. Au sujet de la prétendue « scène de viol », dans laquelle le photographe et les deux apprenties modèle se livrent à un jeu érotique, parfois agressif de part et d’autre, mais qui reste dans les limites d’une activité ludique, les deux jeunes filles font preuve de la même détermination que leur partenaire masculin. Évoquer ici un « viol » relève d’un abus de langage consternant à l’égard des véritables victimes de viol. Laure Murat justifie ce qu’elle croit voir à l’écran en se référant à des « amies féministes » qui n’ont pu évidemment que confirmer pareil constat.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mais pourquoi, auparavant, de longues années plus tôt avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Laure Murat n’avait su voir, décrypter et comprendre ce qui lui apparaît de façon décisive en décembre 2017 ? Elle y répond en désignant et en accusant « l’esthétique » du film, laquelle ferait écran si l’on peut dire : « la perfection formelle de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">écrase et étouffe le scandale qu’il recèle ». D’ailleurs, sur sa lancée, ne nous propose-t-elle pas de « désacraliser l’esthétisme ». C’est à dire de plaquer sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">une grille de lecture « féministe » qui entend récuser tout ce qui fait l’intérêt du film, sa complexité et sa subtilité (son formalisme contribuant à interroger le réel). Nous avons-là un exemple flagrant de ce révisionnisme auquel s’adonnent maintes néoféministes dans le domaine des arts et des Lettres. On sait ce que représente une « désacralisation de l’esthétisme » pour Laure Murat et ses « amis féministes » depuis pareille analyse de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: un cinéma, soit militant (reprenant des slogans féministes), soit d’une correction affichant des « bons sentiments ». Nous relevons que dans sa tribune notre historienne conspue le célèbre « on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments », pour dire que « cette scie a vécu ». Elle ajoute que « les mauvais sentiments ne garantissent en rien la bonne littérature ». Nous sommes d’accord, mais les « bons sentiments » encore moins.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Force est de constater que le révisionnisme des Murat et consort (la conséquence de ce regard dévoyé), qui voit à profusion dans de nombreuse oeuvres artistiques, littéraires, et cinématographiques, ici du « viol », là des « agressions sexuelles », là encore du « sexisme » (quand ces oeuvres n’en font pas « la promotion », Murat dixit) là où ils n’existent pas, ou alors de façon très ténue, rejoint, à l’autre extrémité du spectre, le révisionnisme de ceux qui, en terme de « grand remplacement », prolonge une observation tronquée, fantasmatique, voire délirante de la réalité (celle d’une crise migratoire qui en l’occurrence n’en peut mais). Le diagnostic de « paranoïa » pouvait être posé pour ce qui concerne les plus ultras des deux camps.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dans sa tribune Laure Murat se réfère au « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">mâle gaze</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> » théorisé par l’universitaire britannique Laura Mulvey. Ceci pour essayer de donner un semblant de contenu théorique à sa lecture spécieuse et partisane de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Selon Iris Brey (dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le regard féminin, une révolution à l’écran</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), « interroger le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">mâle gaze </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’un film, c’est réfléchir à la manière dont un ou une cinéaste met en scène le corps féminin et l’imaginaire lié aux femmes ». Ce </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">mâle gaze, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’après Mulvey, vient renforcer « une vision patriarcale où les femmes à l’écran (et dans la vie réelle) doivent être soumises au regard des hommes pour que ces derniers éprouvent du désir et du plaisir ». Il se trouve qu’Iris Brey, dans son livre, reprend et défend le discours que tient Laure Murat sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blow-up. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’y ai déjà répondu. En revanche, sur l’ouvrage en question, je laisse volontiers la parole à Sabine Prokhoris qui, listant les « conditions impératives d’une oeuvre véritablement féministe au cinéma » selon Iris Brey, mais également « dans l’art en général », remarque que ce « catalogue prescriptif » ressemble à s’y méprendre à un « réalisme féministe » qui n’est pas sans évoquer celui du régime « qui a voulu mettre au pas l’art en le soumettant aux exigences de « l’art socialiste ». Comme quoi, plus de quarante ans après la parution de l’ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lâchez tout </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’Annie le Brun, et celle de son article « Un stalinisme en jupon » (un double état des lieux du féminisme en 1978), l’histoire se répète, et sans balbutier. Enfin, pour faire le lien avec ce qui précède, le film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le miroir </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’Andréï Tarkovsky, l’un des chefs d’oeuvre du cinéaste, avait été censuré en 1975 par le pouvoir soviétique pour son « esthétisme déliquescent ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /><br /><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">DU CÔTÉ DE LA LITTÉRATURE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Question littérature je passerai rapidement sur l’exemple, relativement connu, d’un poème de jeunesse d’André Chenier (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’Ouristys </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: lire à ce sujet le commentaire d’Hélène Merlin-Kajman dans son livre </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La littérature à l’oeuvre de #MeToo</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">). Un poème du XVIIIe siècle qui dut rendre des comptes sur le mode #MeToo, puisqu’un collectif d’étudiantes féministes lyonnaises nous assurait en 2017 que ce poème, censé selon elles représenter une scène de viol, participait par conséquent de « la culture du viol » (au moins ce Chenier-là n’avait pas été guillotiné pour rien !). Nous remontons le temps, plus de deux siècles plus tôt, avec un poème extrait des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Amours </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Pierre Ronsard, également condamné en 2019 par des féministes agrégatives en lettres pour « apologie du viol » (ici l’étude du poème pouvant s’avérer « extrêmement violente » pour certaines étudiantes, et placer d’autres « en situation d’insécurité »). En revanche, je consacrerai plus de place à un exemple de « révisionnisme » contemporain concernant le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Nabokov, puis la littérature ne constituera que le point de départ d’un commentaire critique sur deux interventions d’un historien des cultures visuelles (faisant écho à l’un des aspects de ma réponse, dans la première partie, à François Cusset).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dans son livre </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le consentement</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> (l’un des succès de librairie de l’année 2020), Vanessa Springora consacre deux pages au roman </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Vladimir Nabokov. Elles n’ont pas à ma connaissance fait l’objet de commentaires particuliers. Avant de les commenter les précisions ci-dessous s’imposent. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">est un grand roman, l’une des oeuvres romanesques majeures du XXe siècle, et à ce titre ne peut que susciter de nombreuses interprétations, parfois contradictoire. Ce roman, nul ne l’ignore, a bénéficié ou pâti (c’est selon) d’un « succès de scandale », qui aujourd’hui encore, même en les révisant à la baisse, lui attire des commentaires peu amènes (du « dégueulasse » à « immonde » en passant par « dégoûtant »). Ces affirmations péremptoires, toutes négatives soient-elles, ont néanmoins le mérite de traduire sans fard un sentiment de lecteur. Une attitude que nous préférons à celles, sujettes à des interprétations a priori non rejetantes, dont nous soulignerons plus loin le caractère fallacieux. Mais pour tordre le bâton dans l’autre sens, citons une phrase du milieu du roman venant conclure l’une des scènes les plus importantes de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: « Une ambition plus haut me guide ; fixer à jamais la magie périlleuse des nymphettes ». D’ailleurs, au début du roman, Nabokov à travers la « confession » du personnage Humbert Humbert, nous explique de manière brillantissime ce qu’il entend par nymphisme. Ce sont certainement ces pages, superbes (où Nabokov est au sommet de son art), qui suscitent le plus d’hostilité, manifeste ou latente, de lecteurs pour qui le louche Humbert Humbert exprimerait-là, de façon perverse et retorse, son désir de prédation. Même chose pour la scène signalée plus haut : c’est la petite Lolita, douze ans et six mois, qui prend l’initiative dans la chambre d’hôtel des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Chasseurs enchantés. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Une scène qui n’a pas échappé à l’attention de René Schérer et Guy Hocquenghem qui écrivaient en 1976 dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Coïre, album systématique de l’enfance </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: « Un des plus beaux passages de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">est celui justement où Nabokov décrit comment son héros s’approche de Lolita pendant son sommeil : on peut le lire comme une tentative qui échoue jusqu’au moment où Lolita, à son réveil, prend les choses en main. Mais on peut aussi penser qu’elle n’était pas dupe, et que le sommeil était une façon d’attirer et de faciliter la démarche du désir ». Ajoutons, pour qui n’aurait pas lu ce roman, que Humbert Humbert sera ainsi instruit de la nature des jeux que pratique Lolita en copulant avec Charles Holmes, treize ans. Ici Nabokov précise, en parlant de sa jeune héroïne : « A ses yeux l’acte sexuel était partie intégrante du monde furtif de l’enfance, et les adultes en ignoraient tout. Ce que les grandes personnes faisaient aux fins de procréation ne lui importait point ». Des lignes vertigineuses que nous proposons à la méditation des détracteurs de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, et surtout de ses « faux amis ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Venons-en à ces derniers. Lors d’une conférence en 2008 de Pierre Fedida sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(recueillie après le décès du psychanalyste), parmi les échanges ensuite avec le conférencier, Martine Coppel-Batsch, psychiatre et psychanalyste, déclarait : « Par des touches très subtiles on perçoit, on ressent le drame que vit cette petite fille, alors que dans la première partie elle n’existe que de façon très extérieure, comme une fillette attirante. Dans la deuxième partie l’auteur se sépare du narrateur pour s’identifier à la fillette et je trouve cela très bien fait d’ailleurs - réellement Nabokov a compris, me semble-t-il, ce que peut vivre une jeune fille abusée sexuellement ». Nous sommes déjà en présence d’une manière d’interpréter préventivement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">avant #MeToo puisque, selon cet affligeant commentaire, la nymphette du roman se trouve réduite au statut de victime. La subtilité de Nabokov n’est aucunement dans ce que MCB croit percevoir - qui ne nous renseigne que sur les présupposés (et préjugés) de la lectrice - mais dans la nature changeante, indécise et réversible des relations entre Humbert Humbert et Lolita. En plus, prétendre que « l’auteur se sépare du narrateur » dans la seconde partie du roman « pour s’identifier à la fillette » relève, pour rester mesuré, d’un flagrant contre-sens de lecture. On peut être analyste et ne rien comprendre à un roman dont la subtilité, en substance, échappe à une telle lectrice ; ou plutôt, celle-ci n’est pas en mesure de comprendre littérairement parlant ce qui se joue ici dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">puisqu’elle élimine tout ce qui n’entre pas dans sa grille de lecture pour ne retenir que la fiction d’un Nabokov choisissant dans le milieu du roman de s’identifier à une prétendue victime. Je ne connais pas les travaux de Marthe Coppel-Batsch, « psychiatre et psychanalyste renommée » paraît-il, mais j’incline à penser que son nom restera dans les mémoires comme étant celui de la première victime mortelle du Velib.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous relevons que depuis #MeToo l’on confond plus qu’auparavant les pouvoirs de la littérature avec les impératifs d’une bienséance propre à l’époque. En particulier, pour ne pas quitter le roman de Nabokov, dans cette université américaine où Anne Dwyer, professeure de littérature russe, rapporte que des étudiants lui ont demandé si « la lecture de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> était obligatoire » tout en se plaignant que ce roman, que pourtant ils n’avaient pas lu, « participait d’une culture du viol ». En Espagne, la romancière Laura Freixas déclare elle que « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">est écrit de telle manière qu’il réussit à nous faire oublier qu’il est mal de violer les petites filles ». Je pourrais citer d’autres exemples, tout autant caricaturaux, surfant sur les vagues #MeToo et #Balance ton porc. Pour rester dans ce dernier registre on dira, pour conclure, que lorsque, vers la fin du roman, Lolita balance le porc Humbert Humbert, c’est pour partir avec un autre porc, Quilty, pire peut-être. Décidément, ce roman de Nabokov est indéfendable !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mais revenons aux « faux amis » de l’écrivain. Ce que nous dit Vanessa Springora du roman de Nabokov s’ouvre sur cette affirmation, catégorique : « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">est tout sauf une apologie de la pédophilie ». Elle ajoute : « C’est au contraire la condamnation la plus forte, la plus efficace qu’on ait pu dire sur le sujet ». Franchement Vanessa ! Nabokov, nous le savons, l’a prétendu pour des raisons facilement compréhensives, liées au contexte américain, très puritain, du moment. Sa délectable préface à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(signée John Ray jr, docteur en philosophie), « pathologise » autant que possible le cas Humbert Humbert, et en appelle à une « vigilance inflexible pour élever des générations meilleures dans un monde plus sûr ». Mais qui en est dupe ? Il y a une ambiguïté fondamentale chez Nabokov (on l’imagine félicitant Springora et consort pour « leur remarquable perspicacité », tout en riant sous cape) qui contribue au plaisir de la lecture de ce grand roman. L’écrivain a joué dans ce registre une partie de sa vie non sans une certaine délectation. La naïveté (à moins qu’elle soit simulée) de Vanessa Springora paraît confondante quand elle écrit avoir « toujours douté d’ailleurs que Nabokov ait pu avoir été pédophile ». C’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit du propos d’une éditrice. Que retient-elle des manuscrits de romans adressés aux Éditions Julliard ? Voilà une éditrice à éviter pour des textes romanesques qui relèveraient d’une certaine complexité dans le domaine sexuel. Enfin, j’y reviens, comme si la question était là ! Nabokov n’a jamais été pédophile et l’on se fiche bien de savoir « s’il a lutté contre certains penchants ». Mais son imaginaire s’est plu à créer le personnage Lolita - une affriolante nymphette, nous comprenons Humbert Humbert - en la caractérisant de la sorte ; et plus tard celui d’Ada (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ada et l’ardeur, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">autre grand roman, autour de la thématique incestueuse). C’est ce qui dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">nous intéresse et nous séduit (tout comme le portrait d’une Amérique au vitriol). Tout lecteur de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">même le plus obtus, n’est pas sans comprendre que « jamais Nabokov n’essaie de faire passer Humbert Humbert pour un bienfaiteur et encore moins pour un type bien ». Comme si les mauvais lecteurs que nous sommes, selon les critères des Springora et consort, prétendaient le contraire ! Cette lecture révisionniste de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lolita, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans les termes mêmes qui viennent d’être mentionnés, s’explique par la volonté de nier « qu’un ouvrage comme celui de Nabokov, publié aujourd’hui, se heurterait nécessairement à la censure ». Encore faudrait-il pouvoir le lire, puisque de nos jours un tel livre ne trouverait pas d’éditeurs !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Relevons au départ la polémique fin 2017, en Grande Bretagne, autour de l’un des contes de Charles Perrault les plus connus, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La belle au bois dormant, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">accusé de justifier la prédation sexuelle, puisque, affirmait-on, le baiser donné par le prince, à l’insu de la princesse endormie, lui avait été en quelque sorte extorqué, sans son consentement. La plaignante, Sarah Hall, à l’origine de cette polémique n’avait pas lu le conte de Perrault, qui ne mentionne rien de tel, mais un ouvrage pour la jeunesse illustrant ce « baiser volé » (d’autres plaignants, ensuite, renchérirent en évoquant le même « baiser volé » dans le film des studios Disney, adapté du même conte de Perrault).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> La polémique va rebondir plus de quatre ans plus tard au sujet d’un film de Walt Disney datant pourtant de 1937, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blanche Beige et les sept nains. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Cela à la suite d’un article de deux auteurs sur la réouverture post-pandémique du parc Disney. Un article banal et de peu d’intérêt, mais dont les auteurs, au détour d’une phrase sujette à ce film, estimaient que le baiser par lequel le prince réveille Blanche Neige s’avérait « problématique car non consenti ». Ce baiser n’étant pas plus présent dans le conte des frères Grimm (les auteurs de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blanche Neige</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) qu’il ne l’est dans celui de Perrault.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> La production de l’émission de France Culture « Affaire en cours » revenait le 7 mai 2021 sur cette polémique, en invitant le maître de conférence en histoire visuelle André Gunther. Celui-ci indique d’abord que cette « affaire Blanche Neige » a été amplifiée par Fox News : personne, insiste-t-il, n’a demandé de « retirer cette oeuvre » ni d’y « couper une scène (…) Il n’y a pas eu de censure ». C’est un faux problème, ajoute-t-il, « instrumenté par ceux qui critiquent l’américanéité du débat en France tout en utilisant une terminologie (cancel culture, woke) qui crée de l’intimidation depuis un problème sans consistance ». Gunther, sans se référer à l’épisode précédent (celui de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La belle au bois dormant</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), ne retient de cette polémique que la volonté des partisans de l’autre camp de conserver des « modèles culturels » remis en cause par « le camp progressif ». D’où l’explication selon laquelle ces « modèles culturels » ont beaucoup évolué eu égard la reconnaissance des « droits fondamentaux de différentes minorités ». Ce qui entraîne leurs adversaires à réduire cette évolution en termes de « cancel culture », un épouvantail qui en amont masque « leur manque d’arguments véritables contre les changements de paradigmes moraux ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous avons là - clef en main, pourrait-on dire - le discours dominant de cette partie de l’intelligentsia qui en France, s’alignant sur l’exemple « progressiste » américain, dit vouloir se positionner en faveur de ce qu’elle appelle de « nouveaux modèles culturels ». Cependant Gunther n’en reste pas là. Ici la principale pièce à charge mise au dossier de « l’affaire Blanche Neige » est un dessin de Coco dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Libération </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: où l’on voit le prince, qui se penche sur Blanche Neige en lui demandant « Je peux t’embrasser ? », s’entend répondre : « Quel coincé… J’ai couché avec 7 nains, je te rappelle ». L’auditeur qui s’interrogeait encore sur la nature de ces « paradigmes moraux » sait de quoi il en retourne avec le commentaire de Gunther : « Coco rit avec Fox News (…) se moque d’une préoccupation tout à fait légitime et contre laquelle il n’a y a pas beaucoup d’arguments à opposer. alors on essaye de rendre ridicule et de placer sous la protection du patrimoine </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blanche Neige. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Toute discussion sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blanche Neige </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">devient impossible ! ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Allons donc ! Devant un tel propos, édifiant s’il en est, il y a de quoi discuter et plus encore d’argumenter. D’abord en amalgamant Coco et Fox News, Gunther s’efforce de nous persuader que toute critique de ces nouveaux « paradigmes moraux » nous jetterait de facto dans les bras des néoconservateurs, sinon pire. C’est, au choix, insultant ou stupide. Ensuite arguer de « préoccupation légitimes » (la légitimité a bon dos !) n’est pas, dans de nombreux cas, sans déboucher sur différentes formes de censure. Sur cette soi-disant absence d’arguments à opposer aux assertions des Gunther et consort, l’ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le sexe polémique </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(de l’universitaire américaine Laura Kipnis, située indiscutablement dans le camp de la gauche) la contredit explicitement. Ce livre (sous titré « Quand la paranoïa s’empare des campus américains ») mentionne maints exemples de ce que Gunther appelle benoîtement des « préoccupations légitimes » qui, sous le chapitre des « avances non désirées » (mais elle le sont généralement dans un second temps !) peut, dans le contexte des universités américaines, mettre un point final à des études, briser des carrières et ruiner des réputations. Enfin, pour revenir sur ce qu’à de grotesque l’attitude de Gunther, soulignons que ce dont Coco se moque - et comment ne pas reconnaître qu’elle touche juste ! - rend évidemment ridicule tout discours se référant ici à un consentement mis ainsi en conformité avec ces fameux nouveaux « paradigmes moraux ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> André Gunther n’en a pas fini avec le dessin de Coco puisqu’il ajoute : « En essayant d’exagérer le phénomène, les partisans de la dénonciation de la « cancel culture » tombent facilement dans la caricature, et dans l’aveu de leurs préjugés. Faire dire à Blanche Neige que l’embrasser n’est pas très grave parce qu’elle a déjà couché avec les 7 nains, c’est problématique au niveau du consentement et de la culture du viol ». Enfin la messe est dite : le dessin de Coco renvoie à la culture du viol ! Là Gunther devient raccord avec ce que nous avons déjà lu ou entendu en provenance de certaines associations féministes : que tout « baiser volé » doit être considéré comme une agression sexuelle relevant de cette « culture du viol ». Et, il va sans dire, puni en conséquence (donc condamné pénalement). On imagine que de nos jours François Truffaut ne pourrait plus intituler l’un de ses films </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Baisers volés, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ni Charles Trenet écrire le vers de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Que reste-t-il de nos amours ? </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">repris par Truffaut. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Nous avons compris qu’André Gunther, dans « Affaire en cours », ne traite de « l’affaire Blanche Neige » proprement dite, une tempête dans un verre d’eau, que pour mieux s’en prendre au dessin de Coco (reproduit sur la page internet de l’émission). Cet universitaire a indéniablement un problème avec la forme d’humour illustré par Coco (il n’est évidemment pas le seul !). Comme tout bon caricaturiste Coco accuse le trait, donc exagère mais à dessein, pour provoquer une réflexion qui pour le mieux se traduit par le rire. Gunther, en plus, semble ignorer qu’il existe une version érotique de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blanche Neige et les 7 nains </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à laquelle le dessin de Coco se réfère implicitement.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Certes, pour conclure avec lui, « les princesses Disney ne véhiculent pas un modèle de société progressiste ». Nous le savions depuis quelques temps déjà. La suite, délectable, vaut pour confirmation. puisque Gunther, tançant les individus qui se moquent « de ceux qui essayent de réfléchir sur ce modèle », incrimine maintenant le dessin de Coco à l’aide du raccourci suivant : « En se moquant des progressistes et en abondant dans le sens des réactionnaires (sic), c’est qu’on préférerait ne rien changer et conserver le modèle patriarcal ». Comme quoi la messe n’avait pas été tout à fait dite. Sinon, c’est faire dire au dessin de Coco ce qu’il n’exprime nullement, le contraire presque, en invoquant un « modèle patriarcal » auquel la Blanche Neige du dessin pourrait répondre par la célèbre réponse de Zazie (celle de Queneau).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Le lendemain, le 8 mai 2021, André Gunther récidivait en publiant un billet (« Cancel culture, mode d’emploi ») sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">encore plus vindicatif envers Coco. On y apprenait en passant qu’il n’ignorait pas l’existence d’une version érotique de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Blanche Neige. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Citons juste les deux dernières phrases : « Coco ne se rend pas compte que l’émancipation ce n’est pas la libération sexuelle - qui a fait beaucoup de Pierre Menès - mais le respect du consentement ». Ici Gunther révise allègrement ce qui porte le nom de « libération sexuelle ». On se demande même ce qu’il y entend en mentionnant Pierre Menès, un parangon de la beaufitude. A croire que notre universitaire confond « libération sexuelle » et « libération du sexisme » ! Et faire passer « le respect du consentement » pour de l’émancipation représente une gageure. Nous y reviendront en temps voulu.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br id="docs-internal-guid-d5e08815-7fff-7531-f053-9b29fa0a1cf2" /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">LES ARTS PLASTIQUES</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Les arts plastiques, et en premier lieu la peinture, ne sont pas moins dans le viseur de nos nouveaux censeurs. Ce n’est pas d’aujourd’hui que Balthus déchaîne les passions (tristes). En 2017, une pétition recueillant 9000 signatures demandait que l’on retire la toile </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Thérèse rêvant </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(parmi les plus justement célèbres du peintre) d’une exposition du Metropolitan Muséum of art. L’une des pétitionnaires, l’entrepreneur new yorkaise Mia Merrel, se déclarait « choquée de voir un tableau dépeignant une très jeune fille dans une position sexuellement suggestive ». Elle l’est assurément, et alors ? Les responsables de l’exposition furent contraints de signaler à l’attention des visiteurs les tableaux qui seraient susceptibles de les perturber. Mais </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Thérèse rêvant </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">resta heureusement accroché. Il est vrai que dans ce climat délétère Balthus devient, pour nos modernes puritains, l’un des agents diffuseurs de la pedocriminalité. Cela n’est pas encore dit explicitement, mais souvent suggéré.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce qui est devenu une « affaire Gauguin » présente des caractéristiques communes avec l’exemple cité précédemment. Pourtant je m’attarderai davantage sur elle parce que les accusateurs du peintre breton jouent ici sur deux tableaux. Cela parce que la polémique concernant Gauguin se trouve alimentée par des féministes (sur le versant prétendument « pédophile »), et par des post-coloniaux (sur le versant qualifié par eux de « colonial » et de « raciste »). Plus en amont, dans la série « l’Amérique reste le laboratoire de l’aliénation », précisons que vers la fin du siècle dernier, dans certains campus américains, l’on soupçonnait déjà Gauguin de ce qu’on l’accusera explicitement une vingtaine d’années plus tard. Des soupçons relayés dans la douce France en 2003 par Jean-François Staszak dans son ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Géographie de Gauguin, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">un auteur se faisant l’écho des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">cultural studies</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> écrivant qu’il fallait replacer « la démarche du peintre dans le cadre d’une société indubitablement impérialiste et phallocratique, interprétant celle-ci comme une exploitation de la culture et des femmes tahitiennes, et mettant en cause sa légitimité comme sa réussite ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Donc, ceci exprimé dans les termes idoines, il n’y avait pas lieu de s’étonner que l’on passe ensuite à l’étape suivante. Le 21 novembre 2019, dans un article du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">New York Times, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">la question de l’interdiction d’une exposition consacrée à Paul Gauguin se trouvait par conséquent posée. Les biographes de Gauguin récusent pourtant cette vision partiale et caricaturale du peintre, visant à le discréditer, ou même à le déligitimer à travers la remise en cause de son oeuvre, puis la demande de la censurer (du moins la partie polynésienne). Revenons sur quelques vérités biographiques, en citant d’abord les lignes suivantes de Daniel Guérin (extraites de la préface consacrée aux </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Écrits </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Gauguin) : « Toujours révolutionnaire pour notre temps », Paul Gauguin « aura combattu, au service des autochtones et des petits colons, non seulement gouverneurs, procureurs, sangsues capitalistes, mais les deux représentants « caractéristiques » aux Marquises d’une forme de société qui lui était intolérable : le curé et le gendarme ». Ou encore : « anticlérical et anticolonialistes, pacifiste, antimilitariste, anti-versaillais, chantre de l’amour libre et de l’émancipation féminine ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pour qui trouverait la mariée trop belle avec Daniel Guérin, les biographes successifs du peintre confirment, dans le détail, chacun des éléments biographiques avancés par l’auteur de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ni dieu ni maître. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">En 1961, auparavant donc, Henri Perruchot indiquait dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La vie de Gauguin</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> que ce dernier avait pris la défense des indigènes et s’était opposé de façon constante aux institutions coloniales, à la gendarmerie et à l’Église. Perruchot y précise également que le peintre avait été adopté par la population tahitienne et qu’il vivait pauvrement parmi elle. D’ailleurs, plus tard, aux Marquise, la dénonciation par Gauguin de la terreur exercée par les gendarmes lui vaudra une condamnation à trois mois de prison. L’anthropologue Bendt Danielsson rappelait lui, trois ans plus tard dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Gauguin à Tahiti et aux îles Marquise</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, de quelle manière le peintre avait pris fait et cause pour la culture polynésienne, exemples à l’appui. Pour lui aussi la position anticolonialiste de Gauguin est « très nette et claire et il n’y a aucune raison de douter de sa sincérité ». Ensuite, l’année 1995, sans doute en réaction à l’émergence des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">post colonial studies, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">David Sweetman (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les vies de Gauguin</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) s’inscrivait en faux devant les fictions d’un Gauguin colonialiste, patriarcal et touriste sexuel. Jean-Luc Coatelem (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Sur les traces de Paul Gauguin</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) insistait lui sur les conviction anti-chrétiennes du peintre. Enfin, en 2016 (dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Gauguin aux Marquises</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), Laure-Dominique Agniel versait une pièce importante au dossier Gauguin, celle de l’absence de syphilis chez le peintre (comme on l’a longtemps prétendu). Elle confirmait également en l’étayant la vacuité de la thèse d’un « Gauguin pédophile », puisque « toutes les jeunes filles polynésiennes étaient en ménage dès la puberté ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Je ne reviendrai pas sur l’inanité des commentaires faisant de Gauguin un personnage raciste et colonialiste, l’idéologie de leurs auteurs prenant largement le pas sur la réalité des faits. En revanche, l’accusation de pédophilie - pourtant infondée - mérite qu’on y réponde puisqu’elle semble davantage alimenter l’argumentaire des censeurs. Relevons ici que trois des compagnes de Gauguin avaient treize et quatorze ans. Ce qui s’explique par la précocité des relations sexuelles en Polynésie, se traduisant par des unions et des mariages dès la puberté. Aux accusateurs de Paul Gauguin, répétant à l’envi que les relations entre une très jeune fille indigène et un homme blanc plus âgé (et même beaucoup plus âgé) figurent en bonne place dans la littérature coloniale et qu’à ce titre elles participent d’une vision occidentocentriste et colonialiste du monde, rappelons simplement à ces universitaires et journalistes nantis et bien lotis que Gauguin partageait la vie souvent misérable des indigènes, jusqu’à vers la fin de sa vie s’identifier à eux.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> En France, un film consacré en 2017 au peintre breton (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Gauguin - Voyage de Tahiti</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), va susciter une polémique. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Jeune Afrique </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ouvre le feu avec un court article de Léo Pajon qui sera repris, erreurs comprises, par tout le courant décolonial. Mentionnons l’assertion suivante, selon laquelle même du temps de la vie du peintre « l’âge de ses partenaires aurait valu la prison à Gauguin s’il avait été en métropole ». C’est déjà absurde de raisonner ainsi. Et puis, surtout, ce Pajon ne sait pas de quoi il parle : Gauguin ne se serait pas retrouvé emprisonné en métropole parce qu’en ce temps-là le Code pénal ne punissait que « les attentats à la pudeur sans violence en dessous de treize ans » (selon la terminologie de l’époque). Enfin cet article réduit Gauguin à une caricature de colonialiste que même un historien comme Pascal Blanchard n’a pas manqué d’avaliser sur un plateau de télévision (et sans être démenti).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Parmi les commentateurs mi-figue mi-raisin, Philippe Dagen écrit dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le Monde </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que l’attirance du peintre « pour les très jeunes femmes et les corps exotiques » doit être mise sur le compte de « la manifestation physique de l’obsession de l’innocence perdue qui domine sa pensée et sa création ». Pourtant, quand il ajoute, « On aurait préféré qu’elle ne s’exprime que dans son oeuvre, mais tel n’est pas le cas », un vertige nous saisit. Mais c’est justement parce que Gauguin - comme Van Gogh et tant d’autres ! - a mis </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ainsi </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sa vie dans son oeuvre que celle-ci nous enchante, nous captive et nous émeut à ce point (indépendamment de ce qui formellement nous intéresse sinon plus, chez lui, sur un autre plan). Ce critique d’art, qui a très bien compris dans quel sens soufflait le vent, tient malgré tout à sauver l’oeuvre. D’où ce regret emprunt de tartufferie. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Venons-en à l’automne 2019. Le National Gallery à Londres, en exposant Paul Gauguin, répondait en quelque sorte au souhait manifesté par l’article du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">New York Times </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">à travers la mise en garde suivante : « L’artiste a eu de façon répétée des relations sexuelles avec de très jeunes filles, épousant deux d’entre elles et engendrant des enfants. Gauguin a de façon indubitable profité de sa situation d’occidental privilégié pour s’accorder une grande liberté sexuelle ». Cette seconde phrase va dès lors constituer le socle de l’argumentaire de ceux qui, dans les rangs néoféministes et décoloniaux, instruisent depuis cette date le procès de Paul Gauguin, en faisant fi de toutes les indications biographiques qui viendraient contredire ce discours, celui d’une fiction d’un Gauguin pédophile, colonialiste et raciste. Il y a de quoi s’étonner de l’absence, ou de la quasi absence de réactions contre un tel déni de réalité ! Il est vrai que notre peintre breton coche toutes les cases permettant à nos nouveaux catéchumènes d’intimider maints commentateurs. Seul, à ma connaissance, sur cette polémique, Philippe Lançon remarquait en janvier 2020 dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Charlie-Hebdo, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que « la morale de l’oeuvre n’est pas dans sa vie, certes pas celle rêvée d’un ange, mais dans les formes qu’il crée. La censure - et l’imbécillité qu’inévitablement elle exige et produit - commence lorsqu’on se met à confondre les deux, au point de regarder celle-ci qu’à la lumière de celle-là ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Un ami qui enseigne le français dans un lycée de la banlieue parisienne m’a raconté l’anecdote suivante. En classe de première, lors d’un cours sur Apollinaire - illustré entre autres par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les demoiselles d’Avignon </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">- une élève s’était insurgée en affirmant que Picasso pratiquait « le viol conjugal », puis, l’échange devenant tendu, elle ajoutait que l’on sentait le sexisme de Picasso jusque dans ses toiles « puisqu’il défigurait le corps des femmes » (en prenant l’exemple de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La femme qui pleure</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">). A ce moment-là, une autre élève, noire elle, avait parlé « d’appropriation culturelle », eu égard l’influence des arts premiers sur le travail de Picasso (une influence évoquée par l’enseignant lors de son commentaire sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les demoiselles d’Avignon</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">). Cette donnée concernant également Apollinaire (à travers la mention dans le poème </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Zone </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de « fétiches d’Océanie et de Guinée »). Ensuite, informant en salle des professeurs l’un de ses collègues de ces péripéties, cet ami avait été alors apostrophé par une autre collègue. Celle-ci, dans le prolongement d’un précédent échange conflictuel au sujet d’André Breton (qu’elle accusait d’être « colonialiste » !), en rajoutait une couche sur Breton qui, en tant que « collectionneur d’art nègre », se trouvait maintenant qualifié de « pilleur de l’Afrique », voire de « trafiquant d’art ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cette anecdote est instructive à plusieurs égards. En ce qui concerne André Breton, je précise juste, à l’attention de qui aurait la mémoire un peu courte, que les surréalistes, anticolonialistes de la première heure, le furent de manière constante, conséquente et déterminée tout au long de la vie du groupe : y compris pour dénoncer dans un tract de 1947, « Liberté est un nom vietnamien », la tiédeur anticolonialiste du PCF, voire sa duplicité (le Comité central du parti se prononce en mars contre l’augmentation des crédits pour renforcer le corps expéditionnaire français en Indochine, mais les ministres communistes présents dans le gouvernement Ramadier s’abstiennent). Ensuite Picasso est depuis plusieurs années sous le feu de violentes critiques concernant principalement son comportement envers les femmes. Celui de Picasso ne fut certes pas irréprochable, mais après tout, à l’aune d’une telle réprobation morale, s’il fallait, en l’élargissant à d’autres critères, lister l’étendue des reproches envers tous les créateurs, certaines icônes féministes passeraient également à la question. Dans la chanson </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Comme Rimbaud, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Brigitte Fontaine répond avec humour à cette sempiternelle pluie de reproches (c’était il est vrai en 1968, à des années-lumières de ce triste début de XXIe siècle). Car quand nous lisons que Picasso « n’aimait pas les femmes, mais qu’il les maltraitait : viols, séquestrations, voies de faits, actes pédophiles », qu’il était « le Weinstein de son époque », ou qu’il devrait aujourd’hui répondre de sa « pedocriminalité » (ceci parce que l’une de ses compagnes, Marie-Thérèse Walter, avait 17 ans lorsqu’ils se sont connus !), nous réalisons combien le poison du ressentiment se substitue à ce qui nous est présenté comme un exemplaire devoir d’inventaire biographique. Quand à l’oeuvre même de Picasso, prétendre qu’elle témoigne par excellence du sexisme du peintre, de sa vision patriarcale du monde, de sa propension au viol et à la prédation, et de ses violences envers les femmes, arrêtons-là, participe du type de révisionnisme que j’ai plus haut illustré et commenté. Pour ne citer que l’exemple de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La femme qui pleure, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">cette oeuvre qui date de 1937 (donc contemporaine de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Guernica</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">)</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">a une toute autre signification que celle affichée par des ignorants qui semblent tout ignorer de ce contexte de guerre d’Espagne, mais connaissent bien en revanche la nature des relations tumultueuses entre Picasso et Dora Maar, sa compagne du moment. D’ailleurs un </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Portrait de Dora Maar, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">également daté de 1937, se distingue très sensiblement des différentes versions de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La femme qui pleure </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(même si la jeune femme a servi ici de modèle).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On pourrait, pour revenir à l’anecdote et finir là-dessus, estimer que cette jeunesse, dite inculte, l’est moins que ce que l’on prétend (la preuve, ici, par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La femme qui pleure </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et « l’appropriation culturelle »). Cependant il nous faut relativiser ce constat. D’abord en remarquant que les attaques visant Picasso sont principalement diffusées depuis plusieurs années par les réseaux asociaux. C’est là qu’une majorité (ou forte minorité) de jeune internautes entendent - pour la première fois peut-être - parler de Picasso. Ceci dans les termes qui viennent d’être évoqués. Ensuite, pareille « reconnaissance » s’explique en grande partie par le succès (presque 500 000 écoutes à ce jour) de l’épisode « Picasso, séparer l’homme de l’artiste » du podcast </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Vénus s’épilait-elle la chatte ? </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Julie Beauzac. Cette autrice charge plus la barque Picasso que tous les précédents contempteurs du peintre. On peut à ce stade émettre l’hypothèse que la première lycéenne (voire les deux) avait trouvé son argumentaire sur Picasso dans ce podcast, entrecoupé, dixit l’autrice, « des mots lumineux de Virginie Despentes, Alice Coffin, Vanessa Springora ». Je n’ai dans ce texte que cité fortuitement le nom de la deuxième, volontairement : son </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Génie lesbien </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">étant trop caricatural pour qu’il y soit répondu. J’ai juste une question à poser à ses « camarades de parti » : comment, compte tenu du modèle de société qu’ils promeuvent, peuvent-ils accepter dans leurs rangs une Alice Coffin qui rejette pareillement la moitié de l’humanité ? J’aimerais qu’on m’explique…</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">LA MUSIQUE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> La musique maintenant. En faisant d’abord un détour par l’art lyrique, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Carmen </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en l’occurrence. Un opéra que l’on aurait pourtant pas imaginé figurer parmi les victimes collatérales de #MeToo. D’ailleurs l’on crut dans un premier temps qu’il s’agissait d’un gag. Mais non, ce n’était pas un fake, une réaction humoristique ou une mauvaise plaisanterie : l’Opéra de Florence montait une </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Carmen </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans lequel l’héroïne ne succombait pas sous les coups de poignard donné par Don José, mais s’affranchissait de la lettre des sieurs Mérimée et Bizet pour révolvériser le jaloux. Ceci, nous expliquait-on d’un ton indigné, pour protester contre les violences faites aux femmes. D’autant plus, ajoutait-on, que Carmen mourrait de la main de Don José sur toutes les scènes du monde depuis 1875 et qu’il était enfin temps d’y mettre un terme. Ce n’était que réparation et justice en ces temps de libération de la parole des femmes : Carmen la prenait, et plus que la parole puisqu’elle n’acceptait plus sa condition de femme immolée en tuant ce salaud de Don José. Carmen était enfin vengée, et les femmes avec elle.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Vous parliez plus tôt d’humour, pourrait-on me répondre, et cela ne vous fait pas rire ? C’est tout, dirais-je, ce qui sépare Alfred Jarry du Père Ubu. Pourtant ce metteur en scène florentin (Léo Muscato) paraissait plein de bonnes intentions : il était du côté du bien, de la justice, de la cause des femmes. Il pensait faire oeuvre de salubrité publique. Mais en réalité ce Muscato est bête comme son modèle. Il n’a rien compris à l’opéra de Bizet. Car ce n’est pas comprendre que Carmen est l’une des incarnations de l’insatiable désir, que cette bohémienne représente la femme libre par excellence (« Je suis née libre, et je mourrai libre », affirme Carmen en provoquant Don José). Muscato ignore que c’est la force de ce désir qui brûle les planches : ainsi Carmen peut mourir de la main de Don José, mais non - encore moins ! - ce désir que la musique de Bizet fait entendre dans le monde depuis sa création. Bête certes, ce Père Ubu florentin, mais également dangereux comme son modèle. Ce ne sont pas les palotins que Muscato balance dans la trappe mais l’opéra </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Carmen </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: à Florence, comme à Paris et Romorantin, ce correctif s’appelle censure. Ici on censure une fin « incorrecte » selon les critères du jour. Une correction portée fièrement à la boutonnière : « en raison des violences faites aux femmes ». Il est également dangereux ce Père Ubu florentin parce que son exemple peut faire appel d’offre. D’aucuns, mettant en avant les offenses que l’on ferait aux catholiques, aux musulmans, aux homosexuels, aux transexuels, à la police, aux animaux, ou que sais-je encore, pourraient être tentés, s’ils en ont la possibilité, de modifier telle fin, ou telle partie d’une oeuvre lyrique ou théâtrale. Ce précédent florentin doit donc être pris au sérieux. N’y voir qu’un coup de pub, ou encore, pour citer une historienne féministe, prétendre qu’il s’agit-là d’un « défi réjouissant » revient à ne pas s’interroger sur la signification d’une forme de censure pour le moins inédite, ou pire de la justifier.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Le livret, plus que la musique (quoique…) se trouvait remis en cause à Florence avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Carmen. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">En dehors de ce support (celui d’un livret, du texte d’un lied ou d’une mélodie), que pourrait-on bien reprocher à la musique ? Que nenni ! La Special Music School de New York a supprimé de son répertoire deux pièces de piano de Debussy, le « Golliwog’s Cake-Walk » (qui clôt les </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Children’s Corner</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) et un morceau moins connu, « Le Petit Nègre » (une pièce de 1909 intégrée plus tard dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La Boite à joujoux, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dont le titre lui seul explique la suppression), au prétexte que ces deux oeuvres « ne sont plus acceptables dans notre paysage culturel et artistique actuel » en raison de leurs « connotations racistes et obsolètes ». On est étonné que cette censure envers Debussy provienne d’une école de musique parce que tous les bons connaisseurs du compositeur, sans être pour autant des spécialistes de Debussy, ne sont pas sans savoir que le premier morceau « inacceptable », le « Golliwog’s Cake-Walk », est une danse d’esclaves noirs durant laquelle ceux-ci se moquent de la démarche de leurs maîtres blancs. Debussy avait eu l’occasion, lors de l’exposition universelle de 1900, de voir et d’entendre un Cake-Walk interprété par un ensemble américain. En rappelant que le Cake-Walk est une première forme de ragtime (lequel, parmi d’autres influences, donnera naissance au jazz), nous remarquons que Debussy, mais également Ravel (avec, pour ne citer que cet exemple, le « blues » de la </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Sonate pour violon et piano</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) tombent sous le coup de cette « appropriation culturelle » évoquée plus haut ; au sujet de laquelle Isabelle Barberis écrit dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’art politiquement correct </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: « Aucune des récentes et foisonnantes polémiques de dénonciation qui ont fleuri sur le thème de « l’appropriation culturelle » ne se réfère directement au contenu objectif du travail artistique, systématiquement mis au second plan, voire simplement évacué. Les attaques se concentrent sur la race, le genre ou l’orientation sexuelle des interprètes ou de l’auteur : en somme des critères biologiques qui viennent se substituer à l’examen circonstancié de son propos ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dans un registre équivalent, le musicologie Nate Sloan avait publié dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Vox </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en septembre 2020 un article que la citation ci-dessus, en la renversant, évoque éloquemment, puisqu’il écrit, en remettant en cause les interprétations canoniques de la </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Cinquième symphonie </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Beethoven, que « c’est depuis longtemps la lecture populaire parmi les personnes au pouvoir, en particulier les hommes blancs riches qui ont embrassé Beethoven et ont fait de sa symphonie un symbole de leur supériorité et de leur indépendance. Pour certains membres d’autres groupes - femmes, personnes LGBTQT, personnes de couleur - la symphonie de Beethoven peut être principalement un rappel de l’histoire de l’exclusion, et de l’élitisme de la musique classique ». Sans indiquer en quoi ce « constat » devrait être revu, et surtout corrigé en des temps où les nouvelles classes supérieures privilégient l’écoute du jazz et des pop et world music à celle de la musique classique, nous avons comme un concentré de tout ce qui « grouille, grenouille et scribouille » de l’autre côté de l’Amérique dans ce registre, avec en plus ici une tonalité populiste. Pour aggraver son cas, Nate Sloan illustre son propos par l’exemple d’un « fan de musique classique de New York » écrivant dans les années 1840 qu’il souhaitait que « toutes les femmes soient bâillonnées par des officiers (…) avant d’être autorisées à entrer dans une salle de concert ». On a plutôt l’impression que ce pauvre Sloan prend au pied de la lettre les préconisations d’un humoriste qu’Alphonse Allais aurait compté parmi ses devanciers. Nous sommes quand même obligés de prendre au sérieux ce galimatias qui, s’affichant en pleine page dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Vox, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">a ainsi pu franchir l’Amérique. Et qui par delà son aspect régressif, voire grotesque, reprend l’un des poncifs ayant court depuis des lustres en matière de musique classique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mais laissons-là cet article qui ensuite nous laisse totalement sur notre faim d’un point de vue musicologique, puisque le lecteur est juste incité à retenir que le comportement des habitués des salles de concert avait changé du tout au tout au début du XXe siècle (le public n’applaudissait plus pendant les morceaux et restait passif), à cause de ce Beethoven de malheur qui, en plus de cultiver divers handicaps rédhibitoires (homme, blanc, âgé), de surcroît était sourd comme un pot !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 0.12; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> « </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’AFFAIRE BASTIEN VIVÈS »</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce qui est devenu une « affaire Bastien Vivès », du nom de ce dessinateur de bande dessinée dont une partie de l’oeuvre devait faire l’objet d’une exposition lors de l’édition 2023 du Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême, renvoie à d’autres exemples, cités précédemment, tout en s’en distinguant depuis des données précises sur lesquelles je m’attarderai. Plusieurs pétitions demandaient le retrait de cette exposition, en raison de « l’apologie de la pédocriminalité et de l’inceste » que cette oeuvre, selon elles, véhiculait. Elles obtenaient satisfaction alors que l’exposition, soulignons-le, ne devait concerner que l’importante production non pornographique de l’oeuvre du dessinateur. Donc ce n’était pas tant l’exposition par elle-même qui était visée que la personnalité de l’exposant. Les organisateurs indiquant que les menaces adressées à Bastien Vivès, ainsi qu’à eux, étaient à l’origine de cette déprogrammation. La polémique ne perdait pas en intensité, bien au contraire. Deux associations portaient plainte pour « diffusion d’images pédopornographiques » contre Vivès et les éditeurs de trois de ses ouvrages (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les melons de la colère, Petit Paul, La décharge mentale</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">). Cela prenant même des aspects insolites sur la liberté de création qui dépassaient le cas de ce dessinateur. Il se trouve que contrairement à toutes les oeuvres commentées précédemment, toutes disciplines confondues, je ne connaissais pas celle de Bastien Vivès avant qu’éclate cette « affaire » dont le retentissement n’a été éclipsé que par la phase finale de la Coupe du monde de football. Par conséquent, concernant l’oeuvre proprement dite de ce dessinateur, je vais m’appuyer dans un premier temps sur un article informé et pertinent de Vivian Petit (« De la fiction au réel / Bastien Vivès auteur de bande dessinée ») avant de prolonger ma réflexion depuis les données signalées plus haut. Cet article de Vivian Petit ayant d’autant plus attiré mon attention qu’il avait été publié précédemment sur le site </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lundi matin, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">puis dé-publié (sans qu’on sache pourquoi).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Bastien Vivès s’était retrouvé quelques années plus tôt associé à une polémique qui avait opposé plusieurs dessinateurs, dont lui, à Emma Clit, autrice féministe qui en 2017 « publiait sur sa page Facebook une série de dessins visant à populariser le concept de charge mentale », selon lequel « l’organisation du travail domestique est essentiellement portée par les femmes, y compris lorsque l’exécution des tâches ménagères semble également répartie » : cette BD rencontrant un certain succès. Sans me prononcer sur la validité de ce concept de « charge mentale », du moins j’estime, dans le cas présent, qu’il faudrait le doter d’une forme qui puisse quelque peu accréditer le contenu. Ce qui n’est pas le cas quand on prend connaissance de ce que l’on appellera « le simplisme désarmant » des dessins d’Emma Clit ; qui d’ailleurs se définit comme « dessinatrice de trucs moches ». Quand elle ajoute, « mais qui veulent dire des choses », encore faudrait-il s’entendre sur ce que sont ces « choses ». Le côté pédagogique de l’exercice se signale par son absence d’humour, et Emma Clit reconnaît faire « de la propagande ». Là nous sommes bien d’accord. Celles et ceux qui ont défendu cette dessinatrice, artistiquement parlant, reprennent sans le savoir un discours comparable à celui que tenaient jadis les zélotes du « réalisme-socialiste ». Emma Clit l’alimentant en déclarant qu’elle pourrait, si elle le voulait, « mieux dessiner » : le misérabilisme de la forme justifiant alors la valeur du contenu. Si Bastien Vivès s’était retrouvé au coeur de cette polémique, c’est en raison de « plusieurs commentaires orduriers et scabreux concernant Emma Clit et même son fils » postés sur sa page Facebook. Ce qui n’est évidemment pas défendable. En revanche, comment ne pas évoquer la réponse du berger à la bergère, puisque l’année suivante Bastien Vivès publiait une BD intitulée </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La décharge mentale </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">qui, d’après Vivian Petit, « met en scène une famille incestueuse, dont la mère organise l’abus de ses filles. La situation est vue à travers les yeux d’un homme invité par la famille ». Un autre commentateur, Jacques Schraûwen, rapproche lui </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La décharge mentale </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de l’ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Trois filles de leur mère </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Pierre Louÿs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Après avoir précisé que « l’intégralité des oeuvres pornographiques » de Bastien Vivès, contrairement à l’autre partie de cette oeuvre graphique, « relève d’un </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">style extrêmement différent, proche du cartoon, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et d’une narration reprenant les codes de la farce et du burlesque », Vivian Petit ajoute : « Dans chacune de ces oeuvres pornographiques, il est explicite que les personnages ne renvoient à rien de réel, qu’ils ne peuvent pas exister en dehors du fantasme et de la fiction. Petit Paul</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">personnage enfantin présent dans deux bandes dessinées, est doté d’un sexe de 80 centimètres, et subit, au gré de situations plus absurdes les unes que les autres, les assauts de jeunes filles ou de femmes dont la poitrine est plus imposante que le reste de leur corps. Souvent l’effet comique </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">repose sur l’absence de crédibilité </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">des situations et des dialogues ». Un autre commentateur a pu associer cette BD à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Mémoires d’un jeune Don Juan </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’Apollinaire. Il importe également de relever avec Vivian Petit que « l’assentiment que nous apportons ou non à une narration est </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">souvent affaire de distanciation</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ». Sans pour autant remonter à Aristote (qui « déjà opposais la </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">poièsis </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(…) à la </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">mimesis</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> »), le XXe siècle l’illustre plus particulièrement : depuis l’exemple principiel du théâtre brechtien jusqu’au cinéma de la Nouvelle vague. Tout comme « les procédés utilisés ont varié, qu’il s’agisse de la présence d’un narrateur extérieur, du grossissement des traits des personnages, du caractère invraisemblable de l’histoire, ou de l’usage de la métalepse ». Ceci et cela s’inscrivant en faux contre toute velléité apologiste. C’est bien pourquoi Vivian Petit souligne ici, en revenant à Bastien Vivès, que « pour peu que l’on prenne en compte la trame narrative, son caractère à la fois peu crédible et scandaleux, l’argument de « </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">l’apologie » </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">semble relever du littéralisme le plus étroit ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cet argument revient pourtant presque obsessionnellement chez ceux pour qui - par ignorance, aveuglement ou calcul - tout questionnement sur l’art devient superflu, voire même spécieux et condamnable quand il se rapporte à des oeuvres censées tomber sous le coup de la loi. Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’enfance (ministre dont nous avons à l’occasion découvert l’existence), qui s’étonne que « cette bande dessinée soit toujours en vente », ajoute que « le Code pénal est très clair. Une représentation ou une image d’un mineur en situation pornographique est punie par la loi. Il m’apparait qu’un certain nombre de dessins de cet humoriste (sic) relèvent de la loi. C’est à la justice de se prononcer pour qualifier les faits ». D’où sa question : « Que va faire la justice, qui a d’ailleurs été saisie d’une plainte, de cette situation-là ? ». En septembre 2018 déjà, un « bon citoyen » scandalisé par la lecture de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Petit Paul </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(livre pourtant vendu sous lister, avec avertissement et interdiction aux mineurs), signalait dans un courrier adressé au Procureur de la République (Paris) que cette BD correspondait « à la définition donnée par l’article 227-23 du Code pénal ». L’auteur de ce courrier disait « avoir connu personnellement des victimes d’inceste » et réduisait la BD à l’état de « matériel pédopornographique ». Ce signalement était classé sans suite en février 2019, au motif « d’absence d’infraction » par le parquet de Nanterre. On remarque que cet article 227-23 peut être interprété différemment d’une juridiction à une autre, dès lors que l’on tient compte de la façon dont « fictionne » une oeuvre et des intentions de l’auteur, mais aussi, facteur aggravant, de la capacité de certains groupes de pression à influer sur les décisions de justice. Il n’est pas inutile de rappeler que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme protège la liberté d’expression.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pourquoi Bastien Vivès - qui encore en 2017 se retrouvait au sommaire du média féministe </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Madmoizelle </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">dans le cadre d’un entretien portant sur sa dernière BD parue, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Une soeur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(laquelle a fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 2022 par Charlotte le Bon sous le titre </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Falcon Lake</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), dont une plainte l’année suivante (concernant un autre ouvrage graphique) se trouvait classée sans suite, a-t-il suscité vers la fin de l’année 2022 des propos d’une telle intensité haineuse sur les réseaux asociaux, menaces de mort comprises (sans même en dresser un florilège il suffit de prendre connaissance des commentaires se rapportant au texte de l’une des pétitions demandant l’interdiction à Angoulême de l’exposition consacrée à Vivès pour s’en, faire quelque idée) ? Comment s’était-il retrouvé au coeur d’une tourmente médiatique qui n’est pas sans compromettre sa carrière de dessinateur ? Donc pourquoi, en si peu de temps, nous en étions arrivés-là ? Affirmer que #MeToo est passé par là ne répond qu’en partie à la question. Avançons que les accusations portées contre Bastien Vivès, en termes d’apologie de la pédocriminalité d’un côté, de l’inceste de l’autre, n’auraient sans doute pas pris une telle ampleur si auparavant deux « affaires », fort médiatisées, n’étaient venues alimenter la machine accusatoire : « l’affaire Matzneff-Springora » sous l’angle de la pédocriminalité, « l’affaire Kouchner-Duhamel » sous celui de l’inceste.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cette seconde affaire, entre autres incidences, remettait en selle des discours et des intervenants marginalisés depuis le second des procès d’Outreau (et revenus sur le devant de la scène avec Vivès). Ici je passerai rapidement sur le débat autour de la demande « d’imprescriptibilité des crimes et délits sexuels » qui en a résulté, en permettant à l’inénarrable Muriel Salmona (alias « la femme du ressentiment ») de squatter les plateaux de télévision en réclamant que cette imprescriptibilité-là soit alignée sur celle des crimes contre l’humanité (ce qui relativise, minore ou banalise l’importance et la portée de ces derniers !). Pour revenir à Bastien Vivès, il faut faire la distinction entre des propos tenus par le dessinateur en faveur de l’inceste, ou supposés tels, et ce qu’il est possible et loisible de relever et commenter sous ce chapitre dans l’oeuvre du dessinateur. Nous y avons en grande partie répondu sous l’angle factuel en reprenant des arguments présents dans l’article de Vivian Petit, qui par ailleurs signale que, lors de l’entretien accordé à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Madmoizelle, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Vivès « s’interrogeait sur la place du fantasme incestueux dans la structuration du désir sans que personne n’y trouve à redire à l’époque ». Il importe de rappeler ici que l’auteur était interrogé sur la BD </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Une soeur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: l’histoire, entre autres péripéties, de l’initiation sexuelle d’un adolescent de 13 ans par une jeune fille de 16 ans qui n’est pas sa soeur. Donc </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Une soeur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">n’est nullement « le récit d’une relation incestueuse ». Mais ce sont les propos tenus à l’époque par Bastien Vivès (en particulier dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Madmoiezlle</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) sur cette BD qui ont été repris, amplifiés, voire déformés jusqu’à devenir la preuve même de l’apologie de l’inceste dans l’oeuvre du dessinateur.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> J’en viens à l’une des données évoquées au début de ce chapitre. Un discours, parmi d’autres, a émergé durant cette « affaire Bastien Vivès ». On a pu entendre et lire (en particulier sur les réseaux asociaux) que la dangerosité, la nocivité et l’impéritie de ce dessinateur - à savoir « son apologie de la pédocriminalité et de l’inceste » - devaient être d’autant plus dénoncées et condamnées qu’elles valaient comme encouragement auprès du public lisant et appréciant les bandes dessinées pornographiques de Bastien Vivès. Certes d’autres intervenants, dans les médias, la sphère gouvernementale comprise, le laissaient entendre sans pour autant le formuler explicitement. Il suffisait, pour ce faire, d’avancer que cette « apologie » tombait sous le coup de la loi, que ces ouvrages « délictueux » devaient par conséquent donc être interdits pour protéger notre belle jeunesse.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cela renvoie, je reviens sur ces « encouragements », à de fausses évidences, à l’ignorance de certains mécanismes psychiques, ou encore à la volonté de ne pas tenir compte de ces derniers par souci « de ne pas chercher des excuses ». Car l’observation et la clinique nous apprennent que cela fonctionne sur un autre mode. Les fantasmes des lecteurs de ces BD pornographiques ne sont pas a priori différents de ceux de leurs auteurs. Car </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">l’activité fantasmatique </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">du lecteur, nous le soulignons expressément, est justement ce qui permet de ne pas </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de passer à l’acte. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">On pourrait ajouter, en exagérant juste un peu, que les Bastien Vivès et compagnie font au contraire preuve de salubrité publique en neutralisant ainsi, par le biais de leurs fictions pornographiques, d’éventuels passages à l’acte. Tout comme, parallèlement, nous vérifions que les adultes qui abusent des enfants, y compris dans la sphère familiale, ne le font pas parce qu’ils auraient été incités et encouragés à le faire par tel livre, tel film ou elle BD. Sade et Fourier, pour des raisons différentes, accordent une place conséquente à l’inceste, que le premier promeut, et que le second justifie en déclarant qu’il n’est « ni crime naturel, puisqu’il est très généralement conseillé par la nature, ni crime social puisqu’il est un objet d’accommodement avec les lois humaines ». Georges Bataille, dans le roman </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ma mère, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">décrit, sous une forme fantasmée ou pas, les relations incestueuses d’une mère et de son fils. Aucun des textes, en substance, de ces trois auteurs n’a suscité que je sache de « vocations incestueuses ». Tout comme il appert qu’aucune des personnes condamnées ces dernières années sous ce chapitre ne possédait dans sa bibliothèque </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La décharge mentale, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ou tout ouvrage promouvant ou justifiant l’inceste.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On pourrait m’objecter, en élargissant ce cadre, que de tels passages à l’acte existent. Certes, mais faut-il savoir de quoi l’on parle. D’ailleurs peut-on encore évoquer une quelconque activité fantasmatique dans ces passages à l’acte-là ? Je vais prendre l’exemple, significatif, du film de Michael Haneke, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Benny’s vidéo. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Benny, un adolescent a priori ordinaire, se distingue cependant de ses camarades par sa plus grande propension à s’isoler du monde extérieur et de la sphère familiale. Son monde, pour ainsi dire, se circonscrit à sa chambre, lieu où il passe son temps à visionner des images (celles de la télévision et de cassettes vidéo, dont certaine témoignent d’une activité de vidéaste chez Benny). Un rideau, posé presque en permanence sur la fenêtre de la chambre de l’adolescent, accentue ce phénomène s’isolement, tandis qu’une caméra filme en permanence la rue (images que Benny reçoit sur un canal de son poste de télévision). Une vidéo, plus particulièrement, fascine Benny : celle de l’abattage d’un cochon filmé par l’adolescent, qu’il repasse en boucle en s’arrêtant chaque fois sur le moment où l’on tue le porc à l’aide d’un pistolet d’abattage. C’est ce même pistolet (il l’a dérobé) que Benny appliquera presque par jeu sur la tempe d’Éva, une fille de son âge, afin de lui faire subir le même sort que le cochon. Ceci après lui avoir montré la vidéo sur l’abattage (la jeune fille ne réagissant pas comme l’aurait souhaité Benny).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Passons sur ce que le spectateur croit comprendre de cet acte meurtrier. Ce qui importe avant tout, qui correspond aux intentions du réalisateur (que plusieurs critiques avaient d’ailleurs relevé lors de la sortie du film en 1997), étant que Benny, qui comme de nombreux adolescents consomme de façon massive des vidéos empruntées, de préférence celles de films violents, n’est plus en capacité ceci posé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de faire la différence entre la réalité et la fiction. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">C’est aussi dire que l’isolement, sur lequel vient se greffer la dépendance que j’ai évoquée, entraîne Benny à vivre dans un monde virtuel. Mais pas n’importe lequel : celui au sein duquel l’adolescent se déplace, comme s’il s’agissait d’un jeu vidéo, prend les contours de ces films violents que Benny et plusieurs de ses camarades consomment à hautes doses.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> C’est toute la différence, conséquente, entre ce qui vient d’être rapporté ici avec </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Benny’s vidéo, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que le regard critique d’un cinéaste autant talentueux que Haneke rend exemplaire, et les oeuvres graphiques mises à l’index de Bastien Vivès (cela s’élargissant à toutes les productions artistiques dont les thématiques contiendraient peu ou prou des éléments se rapportant à la sexualité - ceux en premier lieu de l’inceste et de la pédophilie, rebaptisée pédocriminalité - susceptibles d’alerter nos modernes censeurs). Rappelons qu’une oeuvre littéraire ou artistique, du moins correspondant à des critères auxquels répondent les BD de Bastien Vivès, possède cette capacité de susciter diverses interprétations. C’est dire que l’imaginaire nous travaille tous différemment, y compris depuis ces zones d’ombre que la morale - qui « est toujours celle des autres » comme le chante Léo Ferré - réprouverait. En conclusion de son article, Vivian Petit insiste sur la protection « d’un droit à l’imaginaire, et la possibilité de se projeter dans tout type de situations. En effet, si à l’avenir les artistes n’osaient plus s’inspirer de leurs fantasmes, ou s’ils devaient s’autocensurer, alors la diversité des productions artistiques seraient en danger ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> A vrai dire cette argumentation, dès lors que ces oeuvres sont mises à l’index, est généralement contournée ou récusée, puisque l’accent se trouve souvent mis sur ce que d’aucuns appellent « une nouvelle demande de justice des victimes ». Ce qui signifie que les auteurs incriminés se comporteraient comme des apprentis sorciers, insoucieux des effets que leurs oeuvres produisent auprès de certaines personnes, voire qu’ils ne respecteraient pas les victimes. C’est d’ailleurs devenu l’un des pont-aux-ânes de ce « populisme pénal » que les plus ignorants reprennent sans trop de discernement, et qui pour les autres relève de l’intimidation. A croire, devant cette déferlante victimaire amplifiée par #MeToo, que les victimes d’agressions sexuelles, pour paraphraser Orwell, seraient plus « victimes » que les autres. Par ailleurs l’élargir à toutes les formes ordinaires de sexisme tend à relativiser le viol, le harcèlement sexuel, ou les violences conjugales caractérisées. Cela devient même franchement grotesque quand le terme « victime » se rapporte aux femmes qui se font siffler dans la rue (ce qui devient d’ailleurs rarissime). On aurait presque envie de le réserver à celles pour qui, malheureusement ou pas, cela n’arrive jamais. Et puis, surtout, il y a quelque indécence à s’exprimer ainsi en regard de véritables victimes. A savoir les victimes d’accidents du travail, de maladies professionnelles, ou de ces sévices au quotidien dans des institutions maltraitantes. Les victimes d’attentats terroristes et celles de l’industrie pharmaceutiques faisant elles, contrairement aux précédentes, l’objet d’un traitement privilégié dans les médias.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Autre pièce à verser au dossier de « l’affaire Bastien Vivès », signalons la publication, à la date du 17 décembre 2022, d’un article « Les raisons de la colère » (dans le cadre des « Invités de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart »</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) contresigné par « plus de 500 autrices et auteurs, éditrices et éditeurs, des libraires, des militant-es, des organisations et des personnalités politiques ». Ces signataires demandant que le Festival d’Angoulême « rédige et établisse une charte d’engagement, afin que les futures sélections et programmations du festival soient réalisées dans le respect du droit des personnes minimisées ainsi que dans l’égalité de leurs représentations » (ceci étant précédé de la mention : « (La) mise à l’honneur de (Bastien Vivès) au Festival d’Angoulême est symptomatique d’un contexte global où les luttes contre le sexisme et les violences sexuelles peinent toujours à être entendues et reconnues ». Pareille demande n’avait pas manqué de faire réagir Pierre Jourde qui, dans une tribune (« L’affaire Bastien Vivès : « Assez fantasmé » »), publiée le 30 décembre 2022 dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’Obs, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">écrit, en paraphrasant les termes de la demande : « Plus de fantasmes douteux, de cochonneries qui mettent mal à l’aise, de la morale, de la morale, de la morale. Et pour que la morale soit respectée, que fleurissent ces comités, ces dénonciations, ces inspections, ces censures, ces délations. Il nous faut des commissaires politiques ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Au sujet du passage suivant, sur lequel je reviendrai (« Nous interpellons les magazines, les journaux, les éditeurs, les institutions qui ont lu les bandes dessinées de Bastien Vivès et qui n’ont pas relevé le problème. Ne devraient-ils pas être en mesure de voir et de saisir la violence la violence qui réside dans ces bandes dessinées ? Ont-ils si bien intégrées la pensée réactionnaire d’extrême-droite qu’ils n’hésitent même plus à s’attaquer aux féministes qui luttent pour les droits des enfants ? ») Jourde répond : « Poser la question, c’est y répondre. Parler de Vivès, c’est être raciste, transphobe et islamophobe (…) Tout cela est décidément nauséabond, et nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire. Le regretté Vichinsky savait parler de ce genre de réactionnaires stipendiés, valets de l’impérialisme américain, petits bourgeois inféodés à la ploutocratie cosmopolite ». Jourde encourage les censeurs de Vivès à être un peu plus conséquents en matière de BD avec leurs préconisations. Ainsi, « il serait bon, d’abord, d’assainir le passé. Il y a des choses répugnantes chez Gotlib, notamment un Hamster jovial franchement louche avec les louveteaux et une Blanche Neige qui masturbe et suce les sept nains. Villemin est immonde par moments. Corben, Liberatore, Manara donnent une image dégradante des femmes. Il y a dans « Astérix » un pirate noir dont le langage est caricaturé. La liste est infinie. Tous ensemble pour nettoyer la BD du passé de tout ce qui pourrait choquer les âmes candides ! ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Un ami, bon connaisseur de la BD des années 1970, Patrick-Pierre Dhombres, me signale, pour expliquer la place longtemps prépondérante des dessinateurs hommes dans le monde de la BD, que préalablement « les périodiques pour les filles, dans l’après guerre, tels </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Lisette </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ou </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Line </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(les auteurs y collaborant relevant du sexe masculin) étaient de qualité nettement inférieure à ceux destinés aux garçons, comme </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Spirou, Vaillant </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Tintin. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les petits garçons des années d’après guerre ont donc pu se forger une culture en BD que leurs soeurs ignoraient la plupart du temps, faute d’y avoir été intéressées par de bonnes histoires à destination des petites filles. De là, pour certains jeunes lecteurs, à devenir plus tard dessinateurs et scénaristes, il n’y eut qu’un pas forgé par le désir. Il a fallu attendre la période soixante-huitarde, et l’avènement de la BD pour adultes, initiée notamment par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Pilote, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pour découvrir de véritables créations féminines avec des auteures d’importance comme Claire Bretécher, Annie Goetzinger, Laurence Harlé, Florence Cestac, et quelques autres, au demeurant minoritaires, je le concède. Ces dernières, ayant en commun un véritable talent, ont légitimement pu se faire un nom et une carrière dans un univers de mecs. Pour autant, ces véritables autrices n’ont jamais été en lutte contre leurs collègues masculins, ni en butte à une exclusion de leur part. Bien au contraire, Bretécher a conjointement créé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’écho des savanes </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">avec Gotlib, qui dans quelques uns de ses dessins y allait de ses provocations libertines. Laurence Harlé a notamment assuré le scénario de la série western </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Jonathan Cartland </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">avec le dessinateur « couillu » Michel Blanc-Dumont. Quand à Annie Goetzinger, elle a dessiné plusieurs albums sur des scénarios de Pierre Christin ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Voilà ce qu’on ne risque pas de lire sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">! Le journal en ligne (et ce sera encore plus flagrant avec un second article, cité plus loin) ne répercute que les déclarations d’autrices de BD (agrémentées le cas échéant de celles d’un « idiot utile » de sexe masculin) pour qui le monde commence, n’existe, ou ne prend sens qu’à travers #MeToo. D’où une ignorance de l’histoire de la BD, de ses enjeux, de ses lignes de force et de fuite, que l’on comble en se focalisant sur le sexisme (ou prétendu tel) de l’univers masculin de la BD. L’on constate, ceci se trouvant documenté par les deux tribunes de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que la langue de bois s’est sensiblement enrichie depuis le moment #MeToo à travers l’utilisation réitérée, fétichisée, des terminologies « sexisme », « patriarcat », « culture du viol », « panique morale », et j’en passe.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pierre Jourde, en conclusion, s’étonne « de constater que cette remarquable tribune fasse l’impasse sur la violence. Que de meurtres, de massacres, de tortures, d’exécutions dans la BD ! Serait-il moins grave d’assassiner que d’avoir des relations sexuelles avec un enfant ? ». Pourtant - mais qui s‘en souvient ? - il s’est trouvé dans l’histoire récente un moment, le tout début du XXIe siècle (au plus fort de l’hystérie anti-pédophile consécutive à « l’affaire Dutroux »), où les tribunaux en étaient venus à parfois davantage condamner les personnes accusées de viol sur mineur que celles ayant commis des crimes de sang. De quoi faire l’hypothèse d’une révolution anthropologique dont on ne mesurait pas toutes les conséquences. Ces lourdes peines se trouvant d’autant plus justifiées que l’on se focalisait sur le traumatisme des victimes : ces dernières, prétendait-on, ayant plus de chance de s’en sortir sur le plan psychologique si leur agresseur était lourdement condamné. Une argumentation, cela ressort de l’évidence, qui ne pouvait pas être reprise dans les cas d’homicides. L’onde de choc provoqué par le second des procès d’Outreau remettra quelque peu les idées en place. Cependant, ne s’en prendre qu’au juge Burgaud et aux autres magistrats impliqués dans ce fiasco d’Outreau, revenait à diluer, plus en amont, les responsabilités plus générales de la justice, et plus encore celles des médias, du pouvoir politique, et d’une certaine catégorie de thérapeutes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mais nous n’en avons pas terminé avec cette tribune des « invités de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ». Une notion aussi discutable, globalisante et confusionnante que la « culture du viol » se trouve reprise avec Bastien Vivès comme étant la cause « des mécanismes de silenciation des minorités opprimées ». C’est vouloir placer un discours idéologique sur une réalité qui n’en peut mais. L’argument selon lequel les rôles seraient dans ce cas d’espèce inversés, puisque, lisons-nous, « les personnes détenant le pouvoir (ici un artiste, des éditeurs et des institutions) se placent en martyrs (sic) face à celles et ceux qui soulèvent des problèmes et celles et ceux qui en sont les réelles victimes » ne peut abuser que ceux qui avalisent le doigt sur la couture du pantalon la « réalité » qui nous est présentée ici. Pour celles et ceux qui trouveraient malgré tout la ficelle un peu trop grosse, ces « invités » ajoutent pour les convaincre cet argument décisif : à savoir que ces « récriminations répètent mot par mot celles des détracteurs du mouvement #MeToo ». Je passe sur la figure honnie de Polanski, sur les ravages causés par « l’inceste et la pédocriminalié », sur les luttes des minorités genrées, et tutti quanti, qui ne sont là que pour souligner l’assertion selon laquelle « il n’est plus acceptable de mettre à l’honneur des artistes faisant la promotion de la culture du viol ». D’où, dans ce registre caricatural et partiel de l’oeuvre du dessinateur, l’indication que l’auteur « souhaite provoquer l’excitation de son lecteur à travers l’expression de ses propres fantasmes ». Voilà qui aurait mérité un plus ample développement. Cela vaut-il pour condamnation de toute pornographie, ou bien - plus problématique encore - ce sont « les propres fantasmes » de tout créateur qui poseraient problème ? </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On s’arrêtera maintenant sur l’extrait de cette tribune au sujet duquel je me promettais de revenir. C’est à dire l’interpellation des « magazines », « journaux », éditeurs », « institutions », qui n’ont su voir ce ces ces perspicaces « invités » ont vu eux sous une lumière crue. A croire selon eux que les premiers, par aveuglement et complicité, ont « si bien intégré la pensée réactionnaire d’extrême droite qu’ils n’hésitent plus à s’attaquer aux féministes qui luttent pour le droit des enfants ». On pourrait me répondre que nous sommes en présence, formulé de la sorte, de l’argument le plus faiblard de cette tribune. Pourtant, je prends le lecteur à témoin, il s’agit d’un invariant ou d’un mantra auquel nous avons déjà été confronté à plusieurs reprises. Avec André Gunther, Laure Murat, et même François Cusset, tous universitaires, qui reprennent en la modulant la même antienne. Nos « invités de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> », plus maladroitement, qui cochent vraisemblablement la case « militance », ne font que reprendre ce qui se trouve cautionné par ces intellectuels. Pareil renvoi à l’extrême droite n’a évidemment pas la moindre pertinence. Cette chimère, par delà le côté fédérateur de l’exercice, prouve si besoin était combien le progressisme invoqué se révèle peu fiable, puisqu’il a recours à cette sempiternelle fiction de l’extrême droite pour tenter, pas toujours consciemment, de masquer ses insuffisances. Car ce progressisme contient maints aspects régressifs, que nous avons documentés, principalement illustrés à travers la volonté de moraliser les arts et les Lettres. D’ailleurs, cette « moralisation » est implicitement demandée par ces « invités » dans leur conclusion, du moins pour ce qui concerne le Festival d’Angoulême de la BD, sous la forme d’une « charte d’engagement » prenant compte « du droit des personnes minorisées ainsi que dans l’égalité de leurs représentations ». Ceci, donc, pour extirper la BD de tout ce qui porterait ombrage à l’expression présumée de ces « personnes ». Si l’on fait le lien entre ces « préconisations » et ce qui, à travers le cas Vivès, vaut comme condamnation plus en amont d’une bande dessinée majoritairement masculine et dite sexiste, on avancera que la BD ainsi expurgée risquerait d’être incolore, inodore et insipide. Quant à la mention, ensuite, des « changements systémiques nécessaires dans le milieu de la culture tout entier », cela passe, s’il faut le décoder, par des interdictions, de la censure, et plus insidieusement de l’autocensure.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Enfin on apprenait, au tout début de l’année 2023, qu’une « enquête pour diffusion d’images pédopornographiques » avait été ouverte à l’encontre de Bastien Vivès et deux de ses éditeurs, après une plainte déposée par deux associations de protection de l’enfance, la Fondation pour l’enfance et Innocence en danger. Cette information était reprise et commentée par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Médiapart </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">qui, pour ce faire, donnait la parole à une « dizaine de personnes », dont la grande majorité était membre du « collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme ». On ne s’étonne donc pas d’y entendre un son de cloche comparable à la tribune « Les raisons de la colère ». L’auteure de l’article, Ellen Salvi, affirme que pour ces « personnalités interrogées (…) il ne s’agit pas de censurer ou d’effacer les productions passées mais de proposer de nouvelles formes d’imaginaire et de récit ». A prendre au pied de la lettre les déclarations de ces « personnalités » le doute subsiste, sinon plus. On y entend bien, en revanche, le ressentiment de ces « autrices de BD » dans un milieu encore majoritairement masculin et qualifié de « sexiste ». Tout comme on peut s’interroger sur la nature de ces « nouvelles formes d’imaginaire et de récit ». Autant que j’aie pu l’illustrer jusqu’à présent, arts et Lettres confondus, cette nouveauté-là tend à purger ceux-ci de tout ce que cette nouveauté-là ne saurait tolérer. Et le monde qui se dessine à travers de pareilles « formes de l’imaginaire et du récit » n’a rien de commun avec celui, émancipé, que nous convoquons.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Par ailleurs, avec d’autres intervenants, l’accent se trouve principalement mis sous l’angle judiciaire. Par exemple, en ce qui concerne l’une des BD incriminées (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Petit Paul</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), l’avocate de l’association Innocence en danger, pour justifier le recours à l’article 227-23 du Code pénal, va partout répétant que dans cette BD « Petit Paul exhibe ses parties intimes ». Ce jésuitisme entend occulter ce qui fait la spécificité du héros de cette oeuvre graphique : Petit Paul est doté d’un sexe long de 80 cm, ce sexe monstrueux attire la convoitise de femmes dotées de poitrine du même acabit. Ce qui signifie, au risque de se répéter, que de tels personnages ne peuvent bien entendu pas exister dans la réalité. Nous sommes dans un univers totalement imaginaire, délirant dans le meilleur sens du terme, qui renvoie à une forme d’humour que Bastien Vivès illustre après de nombreux autres dessinateurs. Et l’on pourrait reprendre cette analyse avec les deux autres BD de Vivès incriminées. C’est là une donnée fondamentale au sujet de laquelle j’aurais aimé que nos « autrices de BD » s’expriment, plutôt que de l’éluder en évoquant cette sempiternelle « culture du viol » présente selon elles dans ces oeuvres graphiques. Si, comme je le crains, elles abondent dans le sens de la très réactionnaire Innocence en danger, cela vaudrait pour confirmation en France, parmi plusieurs autres exemples, de ce que Laura Kipnis soulignait dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le sexe polémique, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en relevant une collusion entre le féminisme le plus en pointe et les courants les plus conservateurs de la société américaine.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dans cette « affaire » il manquait un personnage comique. Enfin Claude Askolovitch vint. Prenant prétexte du soutien (conditionnel) d’Enki Bilal à Bastien Vivès, le journaliste (sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Arte, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">l’émission </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">20 minutes</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) s’en prenait au premier pour mieux accuser le second. Pour en venir au caractère bouffon de l’exercice, Askolovitch nous gratifiait d’un numéro de démagogie jeuniste propre à ajouter un couplet supplément au </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Temps ne fait rien à l’affaire </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Brassens : où ce « vieux con des neiges d’antan » ferait l’apologie des « petits cons d'la dernière averse ». La dernière phrase de cette diatribe (« Mais qu’ont donc les vieux, qui n’aiment pas leur époque, contre le présent ? ») le résume parfaitement. Une intervention de nature à inspirer un Boris Vian contemporain : le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’suis woke </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">se substituant au </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’suis snob. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Parallèlement, l’ouverture du salon d’Angoulême se profilant, la police des moeurs qui sévit sur les réseaux asociaux se déchainait contre Zep, à qui l’on reprochait d’avoir reproduit un dessin de Bastien Vivès (lequel représentait, drôlement, Titeuf, Manu et Hugo levant les yeux vers une plantureuse créature). Riad Satouf n’était pas plus épargné par cette même police qui exhumait des dessins datant de 2005 (la BD </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Retour au collège</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), représentant des adolescentes en sous-vêtements, voire nues (lors d’un rêve du narrateur). Indiquons que lors d’un débat tronqué à Angoulême (faute de débatteurs), Coco défendit « la liberté de création pour tous », en ajoutant qu’il » faut des gens plus irresponsables que d’autres ». Ce qui nous agrée tout à fait.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Plus récemment, la municipalité communiste de Dieppe s’illustrait à la fin du mois de juin en demandant que l’affiche du Festival de BD de la ville, due au dessinateur Jim (invité d’honneur de cette manifestation), soit remplacée par une autre dans laquelle se trouvait caché sous une pile de livres le modeste décolleté de Marie, l’héroïne de Jim. L’adjointe au maire, Laëtitia Legrand, le justifiait en affirmant que « pour annoncer un événement qui </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">touche tous les publics </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">nous avons pensé que la représentation d’une jeune femme en </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pose lascive </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(sic), avec un décolleté </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">certes léger, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">n’entrait pas dans la vision que nous nous nous faisons de la lutte contre les discriminations ». On pouvait vérifier, en confrontant les deux affiches, que cette « pose » n’était en rien « lascive ». Cette tartufferie, pour résumer, se réfugiait derrière « la lutte contre les discriminations », pour mieux masquer la pudibonderie et le puritanisme à la mode de ce temps des élus dieppois. Finalement le Maire de la ville, confronté à des protestations et quolibets de tous genres, s’est résolu à reprendre la première affiche pour éteindre la polémique. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /><br /><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">SÉPARER L’OEUVRE DE L’AUTEUR ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dans l’avant dernière page de l’ouvrage, déjà cité, de Gisèle Sapiro, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Peut-on dissocier l’oeuvre de l’auteur ?</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, l’auteure écrit que « s’il ne faut pas censurer les oeuvres de l’esprit, j’émettrais une réserve, en raison de leur caractère performatif, pour celles qui incitent à la haine raciale et au sexisme, qui stigmatisent les populations vulnérables et qui font l’apologie du viol et de la pédocriminalité, à condition de distinguer apologie et représentation «. Je lui répondrai qu’il ne faut en aucun cas censurer les oeuvres de l’esprit, y compris celles qui seraient les plus répréhensibles, inadmissibles ou condamnables selon ces critères-là, et d’autres. A condition, sur le plan littéraire, en reprenant le sempiternel exemple des pamphlets antisémites de Céline, de doter toute éventuelle édition d’une introduction et d’un appareil critique ad’hoc. Nous induisons, d’après ce qu’écrit Sapiro, qu’il conviendrait malgré tout, eu égard ce qu’elle appelle « leur caractère performatif », de censurer toutes les oeuvres faisant « l’apologie du viol et de la pédocriminalité ». Sade doit-il être rangé dans cette catégorie d’apologistes ? Si l’on répond affirmativement, c’est presque toute l‘oeuvre du divin marquis qu’il conviendrait de censurer. C’est dommage que dans son livre Gisèle Sapiro ne se soit pas exprimé sur ce cas d’école. Pourtant Sade est régulièrement cité dans ses ouvrages précédents. En prenant, dans le dernier en date, comme seul exemple celui de Gabriel Matzneff notre sociologue ne prenait pas trop de risques. L’absence criante de Sade dans un ouvrage traitant des relations entre la vie et l’oeuvre d’un auteur s’avère significative. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Également, pour revenir sur cette euphémiste « réserve », je m’étonne dans la liste proposée de trouver la notion de « sexisme » (aux côtés de la « haine raciale », et de « l’apologie du viol et de la pédocriminalité »). Que vient-elle faire dans cette galère ? Gisèle Sapiro n’est pourtant pas sans savoir que le délit de sexisme (l’outrage sexiste est aujourd’hui sanctionné par une contravention) ne saurait être confondu avec le harcèlement sexuel, l’agression sexuelle, et plus encore le viol. Je lui ferai juste remarquer que cette censure, qu’elle réclamerait également pour des oeuvres dites sexistes, risquerait de nous priver, pour se limiter à ces seuls exemples, de l’écoute de deux trois chansons de Jacques Brel, voire de Georges Brassens. Ce qui serait très regrettable. Ne lui est-il pas possible, comme le demandait expressément Stephane Goudet aux censeurs de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">J’accuse </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en Seine-Saint-Denis, de faire tout simplement appel dans ce cas d’espèce à l’intelligence du spectateur, mais aussi, pour ce que la concerne, à celle du lecteur, de l’auditeur, ou du regardeur ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Juste auparavant, Gisèle Sapiro répondait à la question - peut on séparer l’oeuvre de l’auteur ? - par la négative. Nous pourrions répondre de même d’un point de vue libertaire : mettre en accord, dans la mesure du possible, sa vie avec ses idées, et par extension avec son oeuvre. Mais ce n’est pas ce en quoi entend souscrire la sociologue qui, une dernière fois, convoque « les associations féministes et celles contre le racisme et la racialisation » comme garantes d’une règle non écrite, dont les linéaments ont été exposés plus haut à travers la « réserve » émise par l’auteure (la nécessité de censurer des oeuvres de l’esprit mises à l’index par ces associations). Ce que Sapiro traduit très euphémiquement par « sensibiliser à des problématiques encore trop occultées ». D’où il ressort, comme l’indiquait Jean-Louis Jeannelle dans sa recension de ce livre du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Monde des livres, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">qu’un « certain arbitraire s’immisce ». Il ajoutait : « Les agissement privés sont ainsi dénoncés de manière plus tranchée que les positions idéologiques, signe que l’intérêt contemporain pour les questions de genre et de sexualité a rendu plus fragile l’autonomie longtemps revendiquée dans le champ artistique ». Pour un ouvrage qui a l’ambition de « mettre en perspective historique, philosophique et sociologique » la question posée par le titre de ce livre, c’est plutôt raté. Mais il paraît possible que « les riches commentaires » de la lectrice Laure Murat, remerciée à la fin de l’ouvrage, ne soient pas étrangers à ce « ratage ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.68; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;" id="docs-internal-guid-b0fab1b9-7fff-347d-3689-4911c8b316f1"><span style="font-size: 19pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">CONCLUSION</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Revoir un film comme </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Themrock </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Claude Faraldo (1973) permet de mesurer l’écart - un demi siècle déjà - qui nous sépare de ces années-là. Ce film jubilatoire, ce brûlot libertaire, avait principalement retenu l’attention par l’absence pour le moins inédite de langage parlé, articulé, dicible dans les dialogues : les personnages du film s’exprimant par des grognements, des grommellements et des onomatopées. On en oubliait presque que </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Themrock </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">illustrait sur un mode ludique les deux principaux interdits de nos sociétés occidentales : l’inceste et l’anthropophagie. Le premier à travers la relation entre le personnage Themrock et sa jeune soeur ; le second dans le spectacle, réjouissant, de flics passés à la broche avant d’être consommés par Themrock et ses émules. Tout comme le précédent film de Faraldo, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Bof… Anatomie d’un livreur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(une illustration du droit à la paresse en milieu prolétarien), </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Themrock </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">s’inscrivait, toujours en campant des personnages de prolétaires, dans le droit fil de ces films de rupture avec le capitalisme et la société bourgeoise. Même si le côté « fable subversive » prenait ici le dessus, ceci dans l’esprit du </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Charlie-Hebdo </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de l’époque.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Il se trouvera peut-être des lecteurs pour penser que ce film a vieilli. C’est un argument qui souvent dispense d’exposer les raisons pour lesquelles ce film, ce livre ou ce tableau suscite pareille incompréhension ou hostilité. L’anthropophagie dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Themrock </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">n’a qu’un caractère métaphorique : elle ne pouvait, en 1973, qu’indigner les syndicats de policiers. Et aujourd’hui presque personne. En revanche, comme nous l’avons vu précédemment, de l’eau a coulé sous les ponts pour ce qui concerne l’inceste entre 1973 et 2023. Ceci pour dire qu’un film comme </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Themrock </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ne pourrait de nos jours être envisagé, ni par surcroît produit, tourné et diffusé. Et même, dans le cas très improbable où un tel projet se réaliserait, les Fondation pour l’enfance et autre Innocence en danger, voire des collectifs féministes se mobiliseraient pour obtenir sa condamnation et son retrait des écrans. Certes, pour s’en tenir à l’année 1973, des films comme </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La maman et la putain, La grande bouffe </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Tous les autres s’appellent Ali </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">peuvent être préférés à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Themrock, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">mais ce film de Claude Faraldo traduisait, en la radicalisant, une tendance présente dans les productions artistiques de l’après 68, que pour le mieux nous appellerons libertaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Deux années séparent </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Themrock </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Ce second film était remarqué en 1975 pour de toutes autres raisons que le premier. Il ne s’agit pas ici de nier les qualités du film de Chantal Akerman, ni celles de l’oeuvre de cette cinéaste, mais à qui fera-t-on croire que l’élection en 2022 de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Jeanne Dielman… </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(par la revue du British Film Institut) au rang de « meilleur film de tous les temps » s’explique pour des raisons essentiellement cinématographiques (succédant à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Citizen Cane, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">cinq fois lauréat, et à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Vertigo </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">lors de la précédente consultation en 2012) ? D’autant plus que </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Jeanne Dielman… </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">était apparu, dans ce classement portant sur cent titres, à la trente-cinquième place en 2012. C’était avant #MeToo, me répondra-t-on. Ce sacre de 2022 doit être mis en relation avec l’absence, pour la première fois dans ce classement, de tout film de Roman Polanski et de Woody Allen. Tout comme disparaissent également en 2022 des films comme </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La partie de campagne, Fanny et Alexandre, La maman et la putain, Gertrud, Pickpocket, La grande illusion, Les enfants du paradis, Un chien andalou, Le septième sceau, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et j’en passe. Cette liste de cent films, de surcroît, ne comporte aucun Bunuel, Resnais, Demy, Oshima, Cassavetes, Pialat, Wenders, Oliveira et Haneke : excusez du peu ! Il serait fastidieux, parallèlement, de citer les noms de cinéastes qui y figurent, dont la présence, faut-il le rappeler, s’explique pour des raisons plus liées à l’air du temps qu’à leur qualités purement cinématographes. Ce qui n’est pas le cas - divine surpris ! - des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Petites marguerites </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Vera Chytilova, ni bien entendu des deux films d’Agnès Varda. Relativisons ces données, qui n’ont qu’une valeur d’indication. Ce n’est après tout que la partie la plus visible de l’iceberg. Il s’agit là de l’un de ces modes au travers desquels ce qui tient lieu de doxa a en partie absorbé les discours néoféministes et « racialistes ». Ou encore, de l’une de ces vitrines du « monde nouveau » que #MeToo et Black Lives Matter auraient dit-on engendré.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Au tout début des années 1960, Hans Magnus Enzensberger remarquait (le texte « Les apories de l’avant-garde » repris dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Culture ou mise en condition ?</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), au sujet des « catégories de progrès et de réaction », que la position à l’égard du doute distinguait « l’attitude progressiste de toute attitude réactionnaire ». Cela étant même « le caractère constitutif de toute critique progressiste ». Alors que « la critique réactionnaire se croit par nature et à tout coup dans le vrai ». Cette tendance, une soixantaine d’années plus tard, ne s’est-elle pas inversée ? Du moins en ce qui concerne ce qui s’affiche de nos jours comme progressiste (délesté il est vrai de tout contenu « social »), pour qui le doute n’est plus permis, qui se situe dans le camp du vrai. On sait ce que signifie ce surcroît de certitude. Plusieurs exemples, cités dans notre texte, sont venus l’illustrer. A ce point que le progressisme revendiqué, campant sur ses certitudes, n’en contient pas moins maints aspects régressifs (plus que « réactionnaires »). La démonstration de Enzensberger pourrait être reprise depuis cette inversion, en soulignant ce qu’elle met en branle. Il est un domaine où cela entre également en résonance lorsque Enzensberger relève chez « la critique réactionnaire » sa propension à considérer et recommander ce qui est « sain ». Cette terminologie n’est pas reprise telle quelle de nos jours dans le camp dit progressiste, mais, comme nous l’avons observé plus précisément dans le domaine sexuel, ces considérations et recommandations font écho à ce qui en découlerait en termes de « moralisation de la société ». Plus loin, le parallèle que fait Enzensberger entre « l’esprit petit bourgeois » réactionnaire et son illustration dans les pays communistes, staliniens (sous couvert ici, il va de soi, de « progressisme ») a été aussi souligné précédemment dans notre texte, à travers plusieurs comparaisons entre le réalisme socialiste et cette « mise en condition de la culture » qui nous parvient de l’autre côté de l’Atlantique sous les étiquetages « cancel » et « woke ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Peut-on pour autant parler de fatalité ? Il parait utile d’indiquer qu’en 1998, la féministe québécoise Louise Turcotte (dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Amazones d’hier, Lesbiennes d’aujourd’hui</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">), anticipait pertinemment le genre de réprobation que nous adressons aujourd’hui, sous l’angle requis, au néoféminisme (voire au-delà), en s’interrogeant de manière critique sur l’aspect « réformiste » de luttes et de revendications homosexuelles, alignées sur celles des hétérosexuelles, qui ne débouchent sur « aucun changement social véritable ». Cet article s’achevait sur une réflexion concernant « l’identité sexuelle » que Louise Turcotte disait être « l’un des trompe-l’oeil les plus efficaces pour masquer la matérialié des rapports sociaux ». Elle ajoutait : « L’identité rassure non seulement chaque individu, mais aussi la société tout entière qui semble afficher une supposée diversité. En somme, le repli sur l’individualisme identitaire est l’une des stratégies les plus efficaces pour nous empêcher de penser à des transformations sociales à long terme ». On ne saurait mieux dire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> A la fin du XXe siècle, donc, le féminisme aurait pu, ceci posé, évoluer dans une tout autre direction que celle illustrée dans de nombreuses pages de notre texte. Bien au contraire, il s’est efforcé de démentir toute réflexion - dans la lignée par exemple de celle de Louise Turcotte - débouchant in fine sur la </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">nécessité </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’une véritable et conséquente transformation sociale. Et l’on pourrait élargir ce raisonnement au « racialisme », lequel cultive les mêmes apories. Parmi toutes les raisons qui expliquent que nous en sommes arrivés-là - que la lutte pour la reconnaissances de droits, d’un particularisme à l’autre, chacun dans sa sphère identitaire, s’inscrit objectivement en faux contre cette </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">nécessité </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">- sans doute n’ai-je pas suffisamment mis l’accent sur l’une d’entre elles, le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ressentiment. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Il n’est d’ailleurs pas l’apanage des seuls néoféminisme et « racialisme », puisque, comme je l’indique dans le chapitre « extrême droite, populisme, identitarisme » de la première partie, quelque chose de cet ordre-là, dans une tonalité populiste, est apparu dans la sphère sociale lors du mouvement des Gilets jaunes, et plus encore lors de la crise sanitaire. Avec, entre autres conséquences, l’affaiblissement, ou encore le dévoiement de ce que l’on appelle depuis le XIXe siècle la « question sociale », devant l’expression d’un « dégagisme » bien éloigné de toute volonté émancipatrice (pouvant, le cas échéant, devenir le cheval de Troie de l’extrême droite). Cela ne signifie pas, pour dissiper un éventuel malentendu, que toute violence sociale serait à exclure, bien au contraire. La paralysie de l’économie, dans un contexte de grève générale sur lequel viendrait se greffer le contrôle des sources d’énergie, de l’approvisionnement, de l’information, des services, l’induit plus ou moins en fonction du rapport de force avec le pouvoir en place. Encore faut-il préciser que cette « question sociale » englobe aujourd’hui toutes les autres (depuis celle posée par la destruction des bases biologiques de la vie jusqu’à la question raciale, en passant par l’égalité entre les sexes, l’opposition aux manipulations technologiques, à la déculturation généralisée, au crétinisme médiatique et publicitaire, à la marchandisation du monde, sans oublier celle se rapportant aux replis identitaires et populistes). C’est tout ce qui sépare une </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">critique unitaire </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de l’un de ces ersatz qui, pour ne prendre que l’exemple d’un universitaire épinglé dans notre seconde partie, réduit cette « question sociale » - appelée par lui « nouvelle » il va de soi - aux seules « violences sexuelles sur des mineurs ». Une façon comme une autre de nier ce qu’elle représente </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">fondamentalement. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">D’ailleurs, la très grande majorité des universitaires et militants « identitaires » mentionnés dans notre texte n’ont, comme modèle de société qui correspondrait à leurs voeux, que celui d’une Amérique idéale, communautariste, débarrassée du trumpisme et de ses pesanteurs conservatrices : l’Amérique des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">cultural studies </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">en quelque sorte. Et nous pensons que ce petit monde, du moins pour les premiers, y souscrit également dans le souci bien dosé du maintien de ses pouvoirs et privilèges. Mais ceci est une autre histoire qu’il nous faudrait reprendre ailleurs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: right;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: right;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">août 2023</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: center;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 15pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">INDEX</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">AKERMAN Chantal 65</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ALLEN Woody 27 - 66</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ANTONIONI Michelangelo 5 - 25 - 34 à 37</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">APOLLINAIRE Guillaume 47 - 53</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ASKOLOVITCH Claude 62</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BALTHUS Balthasar 5 - 44</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BARBERIS Isabelle 50</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BARD Christine 22</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BATAILLE Georges 55</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BEAUZAC Julie 48</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BEETHOVEN Ludwig von 5 - 50 - 51</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BIZET Georges 5 - 49</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BRASSENS Georges 20 - 62 - 64</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BRETECHER Claire 59</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BRETON André 47</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BREY Iris 28 - 37</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">CHENIER André 38</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">CLIT Emma 52</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">COCO 42 - 43 - 62</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">COFFIN Alice 16 - 48</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">COPPEL-BATSCH Marthe 39 - 40</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">CUSSET François 7 à 9 - 15 à 21 - 24 - 25 - 38 - 60</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">DAGEN Philippe 46</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">DEBUSSY Claude 5 - 50</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">DESPENTES Virginie 6 - 32 à 34 - 48</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">DHOMBRES Patrick-Pierre 58</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ENZENSBERGER Hans Magnus 66 - 67</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">FARALDO Claude 65</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">FERRÉ Léo 57</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">FORESTI Florence 32 - 33</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">FOURIER Charles 55</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">GAUGUIN Paul 5 - 44 à 46</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">GEIMER Samantha 25 - 26</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">GOETZINGER Anne 59</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">GOTLIB Marcel 58 - 59</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">GOUDET Stéphane 27 - 64</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">GUÉRIN Daniel 45</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">GUNTHER André 41 à 43 - 60</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">HAENEL Adèle 6 - 31 à 33</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">HANEKE Michael 56 - 66</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">HARLÉ Laurence 59</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">JIM 62</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">JOURDE Pierre 19 - 32 - 58 - 59</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">KIPNIS Laura 42 - 62</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">LANÇON Philippe 47</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">LEGRAND Laëtitia 62</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">LE PEN Marine 10 à 14</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">LY Ladj 32 - 33</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">MACRON Emmanuel 10 à 14</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">MATZNEFF Gabriel 54 - 63</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">MELENCHON Jean-Luc 11 - 12</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">MERLIN-KAJMAN Hélène 31 - 38</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">MONNIER Valentine 26</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">MULVEY Laura 37</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">MURAT Laure 17 - 22 - 23 - 34 à 37 - 60 - 64</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">MUSCATO Léo 49</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">NABOKOV Vladimir 38 à 41</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ONFRAY Michel 16</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">PAJON Léo 46</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">PERETZ Pauline 28 à 30</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">PERRUCHOT Henri 45</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">PETIT Vivian 52 - 53 - 55 - 57</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">PINARD Ernest 5</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">POLANSKI Roman 5 - 25 à 34 - 60 - 66</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">PROKHORIS Sabine 23 - 27 - 37</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ROUDINESCO Élisabeth 20</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">SADE Donatien-Alphonse-François de 55 - 63</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">SALMONA Murielle 54</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">SAPIRO Gisèle 31 - 32 - 63 - 64</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">SATOUF Riad 62</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">SLOAN Nate 50 - 52</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">SPRINGORA Vanessa 6 - 38 - 40 - 41 - 48 - 54</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">TURCOTTE Louise 67</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">VIAN Boris 62</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">VIVÈS Bastien 5 - 51 à 62</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">WAJNSZTEJN Jacques 20 - 21 - 23</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 11pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ZEMMOUR Éric 9 - 11</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><span style="background-color: transparent; font-size: 11pt;">ZEP 62</span> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height: 1.8; text-align: justify; margin-top: 0; margin-bottom: 0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>APORIES DE L’ÉMANCIPATION : FÉMINISME, ARTS ET LETTRES, SEXUALITÉ partie 1/2urn:md5:204f7a411ab90a3a49d9b0944792b73e2023-08-22T09:54:00+02:002023-08-24T09:31:03+02:00Max VincentCritique sociale <p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;" id="docs-internal-guid-7fe6450c-7fff-a48a-fa9c-4f3619cc47b3"><span style="font-size: 28pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">APORIES DE L’ÉMANCIPATION : FÉMINISME, ARTS ET LETTRES, SEXUALITÉ</span></p>
<p><br /><br /><br /><br /></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> « Ici encore, rien que de très banal. Le professeur était accusé de porter atteinte par ses écrits à la dignité féminine, de sorte que ce libelle (le condamnant) rallia à la cause des plaignantes la frange extrémiste des mouvements féministes qu’on pouvait s’étonner de voir ainsi se ranger sous le mot d’ordre des vraies valeurs, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’annonce pas un programme novateur ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Jacques Abeille (</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La vie de l’explorateur perdu, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">roman publié en 2020)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce texte - nous verrons dans l’introduction ce qui l’a motivé - s’inscrit dans un projet plus global, questionnant les apories qui contribuent à pervertir l’idée d’émancipation, ou du moins de la présenter de manière fallacieuse. L’une de ces perversions ou, pour l’atténuer, l’un de ces leurres, consiste à amalgamer des éléments, qui pourtant nécessiteraient d’être analysés séparément. L’exemple le plus flagrant, au sujet duquel ce texte consacre le plus de place, se rapporte à la « question féministe ». Parce qu’il importe de bien distinguer ce qui relève d’un côté de l’émancipation, d’une totale égalité entre les sexes dans tous les registres du social, mais également comme remise en cause de l’assignation faite à la femme dans les sociétés patriarcales (comme épouse, mère et femme au foyer) ; de ce qui, de l’autre côté, sous couvert « de violences et d’offenses faites aux femmes », entend condamner, proscrire, voire censurer toute expression artistique censée l’illustrer ou s’y rapporter. Ce qui, entre autres conséquences, détermine de nouveaux critères de moralité (indexés sur des « modèles culturels » en provenance des USA), rarement revendiqués en tant que tels. Ou encore, dans une moindre mesure, en invoquant l’impératif de ne pas séparer l’oeuvre de l’auteur, de jeter ainsi le discrédit sur un créateur quand bien même l’oeuvre, reconnaissent-ils, ne serait pas condamnable. Cette propension à l’amalgame, cette forme d’abus, se retrouvent dans d’autres domaines, à explorer ultérieurement, qui n’en noient pas moins la question de l’émancipation dans les eaux saumâtres de l’identitarisme. Mais, sous le chapitre que nous avons prioritairement choisi de traiter, celui des Arts et des Lettres, la « question féministe » prend davantage valeur d’exemple. Ceci, comme nous le verrons, parce que derrière l’affichage des « violences et offenses faites aux femmes », le discours qui principalement entend le corroborer s’inscrit délibérément en faux contre ce qu’à tort ou à raison on a appelé du nom de « libération sexuelle » durant la seconde moitié du siècle dernier.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 19pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">INTRODUCTION</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Apories de l’émancipation </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">féminisme, arts et lettres, sexualité</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) est né du constat que davantage, d’année en année, depuis le début du XXIe siècle, la « question sociale » s’est trouvée soit réduite, soit occultée, voire même niée devant la montée de ce qu’on a pu appeler des « particularismes », c’est à dire un large spectre de communautés d’intérêts différents (interclassiques, postmodernes, et surtout identitaires) qui tous ont en commun de se présenter comme des mouvements, groupes ou factions « discriminés » selon des critères variables d’un champ identitaire à l’autre. Ce qui signifie que « la lutte contre les discriminations » prend le pas sur toute critique globale de ce monde, donc en premier lieu d’un capitalisme dont on sait qu’il perdure dans une certaine mesure en absorbant le tout venant des revendications d’ordre sociétal. A l’opposition - fondamentale - dans la société, au sein de laquelle « les habitants se sont divisés en deux partis, dont l’un veut qu’elle (cette société) disparaisse » (Debord), la tendance relevée ci-dessus tend à lui substituer des oppositions parcellaires, secondaires, voire factices : comme celles, par exemple, opposant les femmes aux hommes, les « racisés » aux Blancs, les homosexuels aux hétérosexuels, les antispécistes aux spécistes, les handicapés aux valides, les obèses à tous les autres, etc, etc. De surcroît, les premiers tiennent un discours d’une tonalité plus ou moins victimaire s’efforçant de culpabiliser ceux qui, comme le disait l’excellent Benjamin Péret, ne mangeraient pas de ce pain-là. C’est par ailleurs l’une des données au travers de laquelle ces mouvements, groupes et factions, chacun l’exprimant depuis son idéologie propre, entendent moraliser la société.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Je ferai juste une parenthèse, pour ne plus y revenir, avec l’un de ces particularismes, l’animalisme (ce mixte d’antispécisme et de véganisme), dans la mesure où, sur le plan théorique, des contre-feux, c’est à dire plusieurs ouvrages critiques parus ces dernières années (les réponses à une importante production éditoriale et journalistique en faveur de la « cause animale » ou dénonçant « l’exploitation animale »), n’ont pas été sans contribuer à limiter et marginaliser les « avancées » de l’animalisme. Citons, parmi ces ouvrages : </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Trois utopies contemporaines </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(Francis Wolff), </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Vegan order</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> (Marianne Celka), </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’animalisme est un anti-humanisme</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> (Jean-Pierre Digard), et les livres de Jocelyne Porcher. et de Paul Ariès. J’y contribuais également avec deux textes publiés sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’herbe entre les pavés. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Je résumerai mon propos de la façon suivante : « Un jour, peut-être, les hommes des temps futurs s’étonneront de l’étrange folie qui avait saisi une partie de l’humanité à la fin du XXe siècle et durant une partie du siècle suivant. Cette folie, localisée dans le monde occidental, leur semblera d’autant plus étrange que ceux qui en présentaient les signes manifestes, par delà le relevé d’aspects positifs en terme de « protection animale », disaient vouloir « libérer » les animaux, mettre fin à leur « exploitation », et leur octroyer des droits semblables à ceux des êtres humains : ce qui dessinait, ceci posé, les contours d’un monde animaliste qui, d’un point de vue strictement antispéciste, et depuis l’obligation pour tous de devenir végans ressemblait furieusement à un songe totalitaire ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Donc, par souci de ne pas trop me disperser, et surtout pour mieux pointer le coeur de la cible, je ne conserverai que les deux principales expressions, parmi celles mentionnées plus haut : le néoféminisme d’une part (ce qui le distingue du féminisme peut être résumé à travers la formule d’une « féministe historique » : « quand on parle d’identité on oublie l’égalité »), le « racialisme » (ou racialo-identitarisme) de l’autre. Toutes deux, chacune dans son registre, disent vouloir remettre en cause des modèles culturels obsolètes ou dépassés, ou dénoncer une culture, taxée de « patriarcale » pour les premiers, de « blanche » pour les seconds ; ou encore rapporter les doléances de tous les « offensés » (y compris sur le plan religieux). Ceci et cela relevant d’une assignation identitaire que l’on a pu traduire sur le plan culturel en termes de « cancel culture » ou de « culture woke ». Cependant le succès, certes paradoxal, remporté par ces deux notions, autant chez ceux qui les combattent que chez ceux qui s’y réfèrent positivement, tend à se transformer en un affrontement que les seconds, à dessein, circonscrivent en terme d’opposition entre les progressistes, la gauche, les défenseurs des minorités, c’est à dire eux, aux conservateurs, réactionnaires, ou la droite, les autres. Ceux qui se reconnaîtraient explicitement dans ces derniers qualificatifs n’étant pas en reste pour dénoncer à travers le wokisme et la cancel culture l’adversaire (le progressisme, la gauche, etc). Les uns accusant les autres, et réciproquement, depuis le même schéma binaire. La convocation de l’une ou l’autre de ces deux notions s’avère donc piégeuse, sujette à des malentendus, confusionnante, et parfois déconnectée de la réalité. C’est pourquoi je n’y aurai pas recours, sinon pour en critiquer l’utilisation à des fins partisanes (ou encore dans le cadre d’une citation).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Mais on ne saurait en rester là. C’est à ce stade qu’il importe d’analyser les effets de ce qu’on appelait au siècle dernier la « récupération ». D’où l’obligation de reprendre la critique de ces « assignations identitaires » sous un angle plus politique. Pourtant le renversement de perspective que cela induit - ce en quoi le progressisme affiché contient maints aspects régressifs - ne saurait être opéré, risquerait de rester à l’état de lettre morte, ou de pêcher par abstraction si, plus en amont, nous ne nous étions évertué à décrypter cette « moralisation de la société » évoquée plus haut depuis des exemples concrets : ceux - pour citer des exemples puisés dans les disciplines littéraire, cinématographique, plastique et musical, déjà traités dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’herbe entre les pavés </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">- de Polanski, Nabokov, Balthus, Gauguin, Bizet, en y ajoutant ceux de Beethoven, Antonioni, Picasso, Debussy et Vivès. Nous remarquons que le néoféminisme se taille, si l’on peut dire, « la part du lion », puisque la manière dont ses représentants patentés convoquent ce qu’on identifie comme étant « le côté sombre de la sexualité » (sur le mode du condamnable, de l’inadmissible, de l’insupportable) n’est pas sans provoquer des effets d’intimidation, d’effacement, de censure, dans le domaine des Arts et des Lettres ; et sans doute, sans que l’on puisse à ce stade véritablement l’évaluer, d’autocensure. En distinguant, depuis ces diverses postulations (néoféministe, « racialiste », et consort) l’aspect manifeste illustré jusqu’à présent, et celui plus latent que j’appellerai </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">doxa </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">: la caisse de résonance du premier à travers ses différentes traductions médiatiques.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> C’est par un détour que l’on aurait peu soupçonné, trente ans ou même vingt ans plus tôt, qu’il convient de reprendre la sempiternelle question de l’art à l’aune de cet état des choses que je vais m’efforcer d’identifier et de documenter. En établissant un relevé de ce qui renverrait, ceci dit, à de l’interdit dans quelques unes des représentations artistiques et littéraires. Et à ce compte, comme je l’ai précédemment souligné, celles qui ont trait à la sexualité - en l’élargissant aux relations entre les sexes - mobilisent plus que les autres nos modernes censeurs. A se demander même, depuis un questionnement qui aurait été inapproprié durant le siècle précédent, si Ernest Pinard, le fameux procureur ayant instruit le procès des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Fleurs du mal </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Madame Bovary, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ne prend pas une sorte de revanche posthume ? Ce que l’on retient, en laissant la question posée, étant que ce ne sont pas ceux qui, à l’instar du procureur Pinard, sa postérité pour ainsi dire, se sont évertués depuis plus d’un demi siècle à incriminer toute oeuvre jugée par eux immorale, obscène, pornographique, ou relevant d’un prétendu mauvais goût, ou encore jugée offensante selon des critères religieux (ceux du christianisme, très majoritairement), donc tous ceux que l’on qualifiait de « réactionnaires », identifiés peu ou prou à la « droite », à la « calotte », au « conservatisme », à « l’obscurantisme ». Non pas tout ceux là, car ce sont aujourd’hui d’autres protagonistes qu’il nous faut retenir, lesquels, tout en prétendant se situer dans la descendance de ceux qui dénonçaient au siècle dernier ces « réactionnaires », se montrent suspicieux, sinon plus envers des oeuvres de l’esprit qui ne répondraient pas aux exigences d’un cahier des charges qualifié par eux de « progressiste ». Dès lors que nous entrons dans le détail de ce qui motive leurs mises en garde, mises en demeure, ou dénonciations, ces divers relevés ne sont pas sans présenter de nombreux points communs avec ce dont on accusait précédemment les « réactionnaires » : par exemple depuis un puritanisme s’avançant masqué, qui de façon plus générale s’inscrit dans le cadre d’un « ordre moral » (que les intéressés récusent, il va de soi).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dois-je ajouter que malgré tout, malgré les malentendus qui peuvent en résulter, le point de vue défendu tout au long de ce texte se veut libertaire ? Nos héroïnes ne s’appellent pas Adèle Haenel, Sandra Muller, Vanessa Springora ou Virginie Despentes, mais restent indéfectiblement Germaine Berton, Bonnie Parker, Violette Nozières, les soeurs Papin et Gudrun Ensslin.</span></p>
<p><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 19pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">1</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’ÉMANCIPATION SELON FRANÇOIS CUSSET</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Le court essai de François Cusset, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(publié dans « Tracts Gallimard »)</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">,</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ne prête pas le flanc à ce que j’associais aux « exigences d’un cahier des charges », puisque l’auteur se garde bien de se situer dans le camp dit « progressiste ». Cusset a du moins compris - ce qui n’est pas le cas de la grande majorité des intellectuels qui interviennent sur ce créneau-là - qu’il paraissait préférable de se référer positivement à d’autres notions, dès lors que celle de « progrès » battait sensiblement de l’aile en ces temps de dérèglement climatique. Néanmoins, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">suscite plus le commentaire, y compris critique, que d’autres essais comparables en raison de l’ambition affichée par l’auteur sur la question de l’émancipation. Nous verrons plus loin ce qu’il en est. Auparavant tentons de circonscrire le lectorat, ou plutôt les couches de lectorats auxquels s’adresse Cusset. Nous en distinguons trois. D’abord celle, déjà acquise aux thèses de l’auteur, mais pour qui le ton, la formulation et la verve de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> ne sont pas de surcroît sans exercer une certaine séduction ; ensuite celle, dont l’aspect « résolument à gauche » du contenu de l’ouvrage, du moins à leurs yeux, emporterait la conviction ; enfin, une fois cité le sous-titre de ce petit livre, (« Debout la jeunesse du monde »), celle qui se reconnaitrait dans le miroir que leur tend Cusset : à savoir cette jeunesse qui se bat « pour la justice sexuelle, raciale, sociale, climatique », en faisant preuve « d’intelligence critique » dans sa « quête d’une civilité nouvelle et d’un horizon d’émancipation commun ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Comment, ceci posé, tout en reconnaissant que l’auteur ne manque pas de talent, ni de savoir-faire, ne pas trouver la mariée trop belle ? Ce dont l’auteur, implicitement, conviendrait vers la fin de l’ouvrage. Tout n’est pas rejetable, ni même discutable dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">mais ce petit livre procède par amalgames, élude les aspects les moins défendables d’une culture présentée comme celle des minorités, et construit une figure d’adversaire ou d’ennemi à bon compte (correspondant au « programme » de la quatrième de couverture). Quand, dans la dernière partie de l’ouvrage, François Cusset se retourne contre ce qu’il vient d’écrire - en concédant que « l’obsession moralisatrice », comme corollaire d’un « manichéisme du bien et du mal », s’avère incompatible avec la composante tactique du combat politique » ; ou que « les formes verbales de la souffrance » risquent « d’enfermer les intéressés » dans le dolorisme (ou le misérabilisme, ajouterais-je) ; ou encore que « sacraliser sa condition de victime revient aussi à s’en déguiser » ; ou, pour conclure ici, que cette « fixation langagière » ici et là n’est pas sans déboucher sur un « perfectionnisme moral qui tend vers une logique de secte, une logique religieuse » (on ne saurait mieux dire) - comment ne pas alors totalement abonder dans ce sens ? En relevant que ces différentes assertions ne sont pas sans remettre en cause le discours tenu précédemment dans les deux premiers tiers de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">qui pourtant adoptait le ton de la certitude. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Tout comme, dans un autre registre, je ne peux que partager la critique que Cusset adresse à « l’outil numérique », à « la diffusion en ligne », aux « réseaux sociaux », et aux « algorithmes invisibles » qui, entre autres incidences, débouchent sur des « polémiques inutiles et des surenchères frénétiques dans l’unique but d’optimiser le trafic, donc le profit ». Cusset va même jusqu’à concéder, s’inscrivant toujours en faux contre ce qu’il écrivait précédemment, que ce qui oppose s’avère plus important que ce qui réunit. « Car la transition de genre parle peu aux réfugiés. Car l’antiracisme culturel éloigne souvent du combat anticapitaliste. Car endiguer l’islamophobie n’a que peu de chose à voir avec la catastrophe écologique ». Sans même vouloir évoquer « le port du voile, la prostitution, la transidentité, la question du consentement au rapport sexuel », etc. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On se demande, devant un tel tableau, si on a bien lu tout ce qui précède. Ne faudrait-il pas, le relisant, corriger Cusset par Cusset ? Et comment parler d’émancipation, alors ? J’admets certes, avec l’auteur, que le capitalisme contemporain est à l’origine de tous ces maux. Cependant l’admirable jeunesse, décrite dans un premier temps, ne serait pas en mesure, reconnait-on plus loin, de se colleter avec l’infrastructure financière de la violence mondiale puisque celle-ci « est moins visible que l’injure raciste ou le harcèlement sexuel ». Même l’intersectionnalité, convoquée dans les dernières pages, n’emporte que du bout des lèvres la conviction de l’auteur. Donc il y a un monde entre le ton de certitude des deux premiers tiers de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">, et plus encore de la quatrième de couverture, et celui incertain, réservé, critique, qui introduit comme un doute, correspondant aux pages que nous venons de citer. Risquons une hypothèse. Comme il ne s’agissait pas jadis de désespérer Billancourt, il ne s’agit pas ici de désespérer la jeunesse qui « se lève aux quatre coins du globe face à une adversité ravivée ». Qu’en est-il réellement ? Il me faut pour cela revenir au début du petit livre de François Cusset. De reprendre, en les étayant, en les développant, les données critiques que je mentionnais plus haut.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> D’abord, pour emporter la conviction d’un lectorat « résolument de gauche », il importe à Cusset de construire une figure d’adversaire, d’ennemi, qui puisse jouer le rôle d’un repoussoir. D’un côté nous avons « une jeunesse désireuse de reprendre le travail d’émancipation, de la prolonger et de la renouveler » ; de l’autre « une droite de peurs et de haines (qui) se prépare à occuper l’espace public et à prendre le pouvoir », c’est à dire, compte tenu des références qui s’ensuivent, l’extrême droite. C’est là de l’habilité ou de le rouerie, pour ne pas dire du manichéisme, au choix. Car comment, l’ayant posé en ces termes, ne pas choisir son camp sans l’ombre d’une hésitation ! Ceci depuis un tableau de la situation trop beau pour être honnête, inexact donc. C’est à dire la fiction, du moins en grande partie, d’une « hégémonie culturelle et intellectuelle des droites dures, qui ont réussi à imposer leurs thèmes et leur vocabulaire dans l’espace public ». Ce postulat étant le socle depuis lequel notre auteur peut argumenter tout à loisir. Pareille « hégémonie », pourtant, n’empêche pas François Cusset d’être régulièrement invité dans telle émission d’</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Arte, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">ni sur les ondes de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">France Culture. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Et puis, plus fondamentalement, si l’on met sur l’un des plateaux de la balance les deux médias qui viennent d’être cités, en y ajoutant </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le Monde, Télérama, Libération, L’Obs, Les Inrocks, France Inter, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et j’en passe ; et de l’autre, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Valeurs actuelles, Le Figaro vox, Causeur, CNews </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(en considérant que le reste des médias oscille entre ces deux positionnements), comment ne pas reconnaître que la balance penche sensiblement du premier côté ! Le postulat cussettien se révèle également discutable lorsque son auteur prétend que « chaque fois, c’est l’avancée qui déclenche le recul ». Cela n’est certes pas sans incidences dans les secteurs les plus conservateurs de la société, jusqu’à provoquer des raidissements, mais affirmer que « la Gay Pride (…) alimente l’homophobie », que « le féminisme (…) pousse certains hommes vers un masculinisme rétrograde », que « l’antiracisme de magazine (…) relance la xénophobie », consiste à prendre une partie du tout pour le tout. A se demander, même, si Cusset ne s’évertue pas à scier délibérément la branche émancipatrice sur laquelle il dit s’être installé ! Toujours dans cette logique, Cusset surestime la place prise par les « thèses ultra-droitières de la nouvelle droite française », qui selon lui « sont passées en contrebande ». Ce n’est cependant pas sur le terrain culturel (malgré les gesticulations de Zemmour) que l’extrême droite et le RN prospèrent. François Cusset nous donne ici l’occasion de reprendre cette thématique depuis des éléments absents de sa démonstration.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">EXTRÊME-DROITE, POPULISME, IDENTITARISME</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cette prétendue hégémonie de l’extrême droite, sur les plans culturel et intellectuel, joue le rôle d’un leurre ou d’un rideau de fumée, Ceci pour masquer ou relativiser le danger représenté en réalité par l’extrême droite en 2023, qui est principalement de nature politique : le Rassemblement National comptant prendre le pouvoir à la faveur de l’élection présidentielle. On se demandera ici : qu’est-ce qui fait ainsi monter l’extrême droite et le RN ? Une longue et patiente analyse semble nécessaire pour l’expliquer. Un sondage en avril 2023, relatif à la présidentielle de 2027, est venu confirmer les prémices de celle que nous faisions un an plus tôt en avril 2022. A savoir que d’aucuns, à gauche, à l’extrême gauche, et même au-delà, par facilité, conviction idéologique, calcul électoral, ou pour se défausser de leurs responsabilités, mettent la montée de l’extrême droite sur le compte du seul Macron. L’hostilité et la haine, qui ont été s’accentuant durant le mouvement contre la réforme des retraites, envers un président indiscutablement « de droite » (constat fait durant un premier quinquennat où se sont renforcées les inégalités sociales, d’un bilan social désastreux, et excessivement timoré sur le plan climatique) l’expliquent en partie. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pourtant ce sentiment très partagé ne saurait remplacer une analyse plus en profondeur du phénomène observé. En premier lieu, parce que cette partie de la gauche - que l’on qualifiera de « populiste » ou « souverainiste », ou même « identitaire » - éprouve de moins en moins la nécessité d’établir un cordon sanitaire envers le RN lors d’une consultation électorale (le sondage cité plus haut indiquait qu’une partie non négligeable des électeurs LFI s’apprêterait à voter Marine le Pen au second tour de la présidentielle de 2027 si le candidat de la NUPES n’y figurait pas). Certes les responsabilités paraissent diluées, mais celles que je vais m’efforcer de mettre en avant sont le plus souvent dommageablement absentes des discours d’une certaine gauche. Et puis, normalement, en toute logique, compte tenu de ce qui vient d’être avancé, Macron devrait faire monter les gauches, et plus particulièrement la gauche de la gauche. Pourquoi n’en est-il pas ainsi ? Également, davantage que la montée de l’extrême droite durant ces six années de présidentialisme, la responsabilité du candidat, puis du président Macron s’avère plus décisive dans la quasi disparition de la social-démocratie. En ajoutant qu’il la partage avec Hollande et LFI, les raisons varient dans les trois cas de figure. On insistera jamais trop sur le fait que l’étiage du FN, puis du RN, n’a pas sensiblement évolué depuis le début de ce siècle. Ce qui en revanche a changé étant la perception que beaucoup de nos concitoyens, plus qu’auparavant, ont du RN, y compris à gauche. Il n’y a pas lieu de s’attarder sur l’entreprise de dé-diabolisation entreprise par Marine le Pen après l’éviction de son père. Ni sur ce qu’il en résulte : l’image devenue lisse, respectable et acceptable de la dirigeante du RN. Ce fait indiscutable, sur lequel tous s’accordent, ne saurait cependant représenter la seule explication à la question posée plus haut. Pour tenter d’y répondre je reprendrai des éléments d’analyse déjà présents dans plusieurs contributions de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’herbe entre les pavés </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">depuis une dizaine d’années. Ils portent sur l’extrême droite, sa signification : le populisme auquel le RN, plus que Reconquête doit être associé ; puis de manière plus conjoncturelle sur le mouvement des Gilets Jaunes et la crise sanitaire de ces dernières années.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Il convient d’abord d’indiquer que le FN de Jean-Marie Le Pen n’était pas un parti fasciste (même si certains de ses membres y souscrivaient), contrairement à ce qu’affirmait une certaine doxa gauchiste. Je le souligne d’autant plus que quelques uns de ceux qui scandaient dans les manifs, « F comme fasciste, N comme nazi », seraient aujourd’hui enclins à ne même plus considérer le RN comme un parti d’extrême droite (ou à déclarer que « Macron c’est pire que Marine le Pen », ce qui revient au même). Redisons que lutter efficacement contre l’extrême droite passe par une bonne compréhension des raisons pour lesquelles le RN, Reconquête et leurs supplétifs occupent une telle place sur l’échiquier politique. Cela passe également par le renouvellement des analyses qui depuis les années 1980 se rapportent presque exclusivement au seul RN. A l’analyse, classique, qui définit l’extrême droite à travers les traits suivants (nationalisme, autoritarisme, traditionalisme, familialisme, inégalitarisme, décadentisme, sans oublier la collaboration de classe et surtout la xénophobie), il importe d’ajouter deux facteurs qui, parallèlement et concomitamment, renouvellent l’analyse depuis des données apparues à la fin du XXe siècle : le populisme et l’identitarisme (ou repli identitaire). D’ailleurs les deux candidats d’extrême droite aux élections présidentielles de 2022, un temps au coude à coude dans les sondages, relèvent pour l’un, Zemmour, de la rubrique « identitariste » ; de l’autre, le Pen, de celle « populiste ». Ce qui n’empêche pas Le RN d’être traversé par des courants identitaires, mais ceux-ci sont moins déterminants qu’à Reconquête. En constatant que l’un des deux l’a nettement emporté sur l’autre, le 10 avril 2022, cela prouverait, par-delà l’efficace recours au « vote utile », que la grille de lecture populiste se révèle plus efficace, électoralement parlant, que celle identitariste. On pourrait ici faire l’hypothèse que le cordon dit sanitaire fonctionne davantage avec Zemmour, autant pour des questions de forme (les outrances du personnage) que de contenu.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ce populisme a souvent été revendiqué par Marine le Pen qui, lors d’une polémique l’opposant au Mélenchon du Parti de Gauche, déclarait : « Je suis populiste avec le peuple, lui populiste sans le peuple ». Là aussi on insistera jamais trop sur la « fortune » d’une terminologie (le mot « peuple ») qui permet de rester dans le flou, l’indéterminé, le polysémique. D’où la fiction du peuple comme porteur de toutes les vertus, et de toutes les vérités qui vont de soi, sans qu’on éprouve le besoin de les définir précisément. D’ailleurs, en amont, cela relève presque de l’histoire ancienne, la substitution du mot « peuple » à celui de « prolétariat » (illustrée entre autres par la lente érosion de toute conscience de classe), a eu comme principal effet de liquider le prolétariat comme sujet émancipateur. Ceci accréditant l’idée que le peuple étant unifié, la question de classe n’a plus besoin d’être posée : l’ennemi devenant l’étranger (du moins les plus étrangers de ceux-ci), ou les forces qui à l’intérieur incarneraient le « parti de l’étranger ». Ce qui renvoie pour l’essentiel au populisme de droite. Quant au populisme de gauche, présent au sein de LFI et de secteurs gauchistes ou gauchisant (en y ajoutant les pesanteurs souverainistes), là où la tonalité populiste prend davantage le pas, même subliminalement, sur celle de gauche, nous retrouvons ce contingent d’électeurs qui bon an mal an finissent par « accepter » le RN, certains allant même jusqu’à déposer le 24 avril 2022 un bulletin de vote le Pen « pour faire barrage à Macron ». Et qui, plus nombreux encore, dans l’hypothèse que j’ai indiquée, envisagent de faire de même au second tour des présidentielles de 2027. Ajoutons, pour finir là-dessus, que Mélenchon et LFI n’ont pas été sans contribuer, par la bande, à la banalisation du RN en orchestrant leur vrai/faux refus de prendre part au vote du 24 avril 2022. Une opération qui par avance entendait occulter ce que des sondages précédemment indiquaient : à savoir qu’un tiers des électeurs de Mélenchon du premier tour envisageait de voter Le Pen au second.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Une première explication, à cette plus ou moins banalisation de l’extrême droite, se rapporte au mouvement des Gilets Jaunes. Ce mouvement hétérogène, soutenu par une large majorité de français dans un premier temps, l’a été de manière plus active d’un coté par l’extrême droite et les souverainistes de droite, de l’autre par la gauche populiste et de larges secteurs de l’extrême gauche (même si il y a eu ici retard à l’allumage). Cependant, côté gauche, de nombreux commentateurs, eu égard selon eux l’homogénéité du mouvement (ce qui est déjà un contresens), se sont efforcés de relativiser, minorer ou minimiser la présence de l’extrême droite au sein des collectifs de Gilets Jaunes. Ce mouvement étant qualifié de « authentiquement populaire », il ne convenait pas de désespérer le peuple des ronds points. Pourtant un sondage, réalisé fin novembre 2018 auprès de Gilets jaunes déclarés, indiquait que 42 % avaient voté pour Marine le Pen au premier tour des présidentielles de 2017 (loin devant Mélenchon 20 %, pour ne rien dire du score inexistant de Macron). Ensuite des figures marquantes des GJ (comme Drouet, Nicolle, Cauchy, Charançon…) appartenaient à la nébuleuse extrême droitière et souverainiste. Certes les propos et attitudes relevant du racisme, de l’homophobie, du sexisme, voire de l’antisémitisme restaient minoritaires dans ce mouvement (tout comme les « On est chez nous ! », entendus dans les cortèges de manifestants). En revanche divers éléments, en particulier l’omniprésence d’une rhétorique populiste dans les discours, et dans un registre plus patriotique la reprise des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Marseillaise </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et la présence de nombreux drapeaux français, indiquaient si besoin était, sans trop s’attarder sur la fiction d’une référence à la Révolution française, qu’à ce jeu-là du moins le RN prenait le pas sur LFI. Le « peuple » invoqué se trouvant évidemment opposé aux élites (celles-ci délestées cependant des petits et grands patrons, des stars du monde sportif et du spectacle, d’un quarteron d’exilés fiscaux, de Stéphane Bern) : le peuple, lui, se trouvant amputé de cette partie de la population (les assistés, appelés péjorativement des « cassos », les immigrés et migrants) qui « profitaient » de la redistribution effectuée par l’État, et se trouvaient de facto exclue du « peuple « breveté, certifié et confirmé par le port du gilet jaune. Cette volonté de défendre, « malgré tout » les GJ incitait ses commentateurs les plus zélés sur le côté gauche, à reprendre le discours interclassique selon lequel, entre autres incidences, la grève générale appartiendrait au passé. On ne saurait, à contrario, s’abstenir de mentionner que la répression féroce envers les GJ figure parmi les principaux passifs de ce quinquennat. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Un an plus tard, la crise sanitaire n’a pas été sans reprendre et prolonger certaines thématiques apparues lors du mouvement des gilets jaunes, en particulier ce « dégagisme » propre au cas Macron. Car « dégager » tel chef d’État, ou chef du gouvernement, revient à se débarrasser de ce qui apparait comme étant la cause du problème tout en conservant ce dernier. Le dégagisme crée l’illusion d’un changement. Il relève, pour prendre l’exemple des « printemps arabes », du registre de la contre-révolution. Il y a une différence, incommensurable, entre la volonté de dégager un pouvoir qualifié de « pourri », « corrompu », « dépravé », en se focalisant sur une figure honnie, et la volonté de transformer le monde. Et pour remplacer le « dégagé » en l’espèce par qui ? Ici, compte tenu du discrédit de la classe politique, en fonction aussi de la virginité dont peut se prévaloir le RN, et parce que le pire n’est jamais à exclure, l’extrême droite, en l’absence de tout mouvement social véritablement émancipateur, ne peut que tirer les marrons du feu de ce genre de situation. On mesure d’ailleurs les limites du mouvement social contre les retraites de l’hiver et du printemps 2023, si l’on constate, comme nous l’indiquions plus haut, que seule en avril 2023 Marine le Pen était en capacité d’en recueillir un bénéfice sur le plan électoral.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> C’est vouloir dire aussi que, sous un autre aspect, le ressenti (propre à se transformer en ressentiment) prend le pas sur l’analyse proprement dite. Ou alors celle-ci, en terme de critique sociale, se trouve réduite à la portion congrue quand elle ne se rapporte qu’au néo-libéralisme (l’extrême droite évoque elle « l’ultra-libéralisme »). Philippe Corcuff, dans l’article (« En plein confusionnisme, au bord du précipice politique », publié sur AOC), indique que le recours à cette terminologie, « dès lors associée à Macron, en incarnation du mal », n’est pas sans limiter le contenu critique « des orientations de la politique économique et sociale liée au moment post-fordisme du capitalisme ». Plus haut, relevant comme nous venons de le faire « l’affaissement de la critique sociale structurelle au profit d’une personnalisation de la critique », Corcuff mentionnait que cela favorise « la diabolisation du titulaire de la fonction présidentielle ». Nous serions donc confronté à un aspect paradoxal de type vases communicants : la dé-diabolisation de Marine le Pen renforçant la diabolisation de Macron.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Sur un autre plan la crise sanitaire a amplifié le rôle des réseaux sociaux, que nous appellerons désormais « réseaux asociaux ». On sait que l’extrême droite a très tôt compris les avantages qu’elle pourrait tirer de ce genre de communication. D’ailleurs les réseaux asociaux ont largement contribué aux élections de Trump et de Bolsonaro. Tout comme, par médias interposés, ils sont l’une des armes de guerre du système poutinien. Covido-septiques, puis anti-vax ont relayé sur les réseaux asociaux des discours complotistes sur la pandémie en cours. Ces pseudo-résistants à une prétendue « dictature sanitaire » (les Philippot et autres extrême-droitiers, qui le clamaient sur tous les tons, étant par ailleurs des admirateurs de Poutine) ont rempilé dès l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe en reprenant, sur le mode complotiste, des éléments de langage de la propagande poutinienne. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> On répètera que le processus de dé-diabolisation du RN, initié par sa présidente, tend à banaliser les thématiques qui arriment pourtant sans aucune contestation possible ce parti à l’extrême droite. Ces médias que le FN dénonçait, en soulignant leur hostilité à son égard, font aujourd’hui preuve d’une certaine mansuétude envers le RN. Il est devenu aujourd’hui pour la majorité d’entre eux un parti comme les autres. Ce qui les a</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">incité, par exemple, à prendre au sérieux la proposition mise en avant par Marine le Pen, celles de relever dans cette période inflationniste le pouvoir d’achat des français. Ce qui joue le rôle d’un écran de fumée. D’ailleurs le message est bien reçu puisqu’on nous apprend, par sondage interposé, que Marine le Pen serait « proche des préoccupations des français ». D’une partie des français peut-être, mais pas des personnes vivant dans l’hexagone que la « priorité nationale » (manière euphorisante de rendre la « préférence nationale » plus acceptable) exclurait des aides sociales, voire de l’accès à un emploi ou à un logement social. Des dispositions qui devraient passer par une modification de la constitution (actant la maîtrise de l’immigration) pour être appliquées. Ce qui entrainerait la fin du regroupement familial, l’expulsion des étrangers sans activité professionnelle depuis un an, et celle de ceux fichés S. En ajoutant la suppression du droit du sol, et la naturalisation uniquement sur des critères de mérite et d’assimilation. Enfin les demandes de droit d’asile ne pourraient être effectuées que depuis les ambassades et consulats à l’étranger. Ce qui mettrait le pays des droits de l’homme au niveau des États les plus illibéraux et xénophobes de la planète. Ou ne trouverait quelque équivalent dans l’histoire de France qu’avec l’État Français vichyssois (le rétablissement du délit de séjour irrégulier obligerait les fonctionnaires, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, de dénoncer la présence de clandestins). Voilà pour le programme du RN sur le seul chapitre de la « priorité nationale ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’ÉMANCIPATION SELON FRANÇOIS CUSSET, LA SUITE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Revenons à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de François Cusset. Lorsqu’il estime qu’en « ce début de XXIe siècle, la rébellion est bel et bien passée à droite avec l’esprit critique et l’audace transgressive », le lecteur s’’étonne, après la mention ensuite de « jusqu’à l’idée de révolution ou le courage du basculement insurrectionnel », de trouver comme exemple censé illustrer ce tout « l’assaut du 6 janvier 2021 sur le Capitole ». Pour l’esprit critique, l’audace transgressive, et plus encore l’idée de révolution on repassera ! Là encore le postulat infondé de Cusset sur l’hégémonie et la proéminence des droites (plutôt extrêmes) sur les plans intellectuel et culturel, ne peut que le conduire dans cette sorte d’impasse théorique, pour rester mesuré. On ne saurait trop ici conseiller à Cusset la lecture de l’ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le piège identitaire </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">de Daniel Barnabé, qui analyse pareille situation de manière plus pertinente en se basant sur une notion absente des pages de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">le « politiquement correct ». Il y précise que le « politiquement </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">incorrect</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> en est venu à passer pour subversif ». Ce qui ne peut qu’apporter de l’eau au moulin de la droite qui ainsi se targue de ce « politiquement incorrect » pour se draper dans le combat en faveur de « la liberté d’expression ». Plus loin Bernabé indique que, de nos jours, « celui qui veut apparaître comme rebelle et différent - puisque tel est le lot des identités en concurrence sur le marché - se présente avec délectation comme incorrect, et convertit fatalement le racisme, le machisme, et l’homophobie en signes extérieurs de distinction ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> François Cusset, par ailleurs reprend, à la suite des intellectuels qui l’ont précédé dans ce genre de thématique, l’assertion selon laquelle l’extrême droite brandit l’épouvantail woke pour s’en prendre aux différents combats de la jeunesse : féministe, racial, vegan et même climatique. Ce dernier terme s’apparente à une pièce rapportée, car la question écologique ne saurait s’inviter dans ce que circonscrit cette problématique woke. Rien de ce qu’écrit Cusset sur le « climatique » dans son essai ne saurait être démenti, mais la question se révèle ici complètement hors sujet. Le mot « haine », d’emblée, selon notre auteur, caractérise tous ceux qui s’en prennent à ceux « qui revendiquent leur différence ». Une haine ordinaire, souvent alimentée par la « haine extraordinaire » de « pamphlétaires cupides et de d’idéologues des réseaux sociaux ». On ne le contredira pas. Cette haine pourtant, Cusset s’abstient de le mentionner, s’avère très partagée. Car on pourrait lui rétorquer que pareille haine, pour rester avec les réseaux asociaux, n’est pas moins présente chez quelques uns de ceux dont Cusset défendrait le positionnement. Par association, en se limitant à ces trois noms, ignore-t-il l’existence d’Alice Coffin, de Nick Conrad ou de Solweig Halloin ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Depuis un lot, qualifié de « seul monolithe effrayant, monstre idéologique qui menacerait l’ordre du monde », comprenant les appellations « wokisme, islamo-gauchisme, communautarisme, extrémisme minoritaire ou passion identitaire », Cusset nous propose, pour illustrer « l’aversion » et « la haine » que ce « monolithe » susciterait, un échantillonnage de sept noms censés l’exprimer. Je suis plus ou moins d’accord avec lui (sans trop entrer dans les détails sur la nature de l’aversion) en ce qui concerne six de ces sept noms : Brice Couturier, Philippe Val, Pascal Bruckner, Michel Onfray, Mathieu Block-Côté et Anne Toulouse. D’ailleurs certains d’entre eux, plus particulièrement Michel Onfray, ont déjà fait l’objet de critiques plus ou moins virulentes dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’herbe entre les pavés. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Je ferai juste une exception avec le septième nom cité, Pierre Jourde. Cusset reproche à Jourde (l’ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La tyrannie vertueuse</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) de comparer cette « tyrannie » à celle des « régimes totalitaires d’hier ». Cela se discute, mais ce livre, qui propose au lecteur une information presque exhaustive sur le sujet, correctement traitée, ne saurait se limiter à ce seul aspect. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Venons-en aux composantes de ce « lot » afin de confronter nos analyses respectives. Tous (les sept noms cités), indique Cusset, nous mettent en garde contre « la fureur wokisme (…) sans que personne ne comprenne le terme ». Mais lui-même n’éclaire pas notre lanterne sur ce que signifierait la « culture woke ». L’incompréhension relevée, d’ailleurs, à lire d’autres commentateurs, s’élargit à des noms que l’on n’associerait pas au « clan des sept ». Faut-il comprendre, c’est du moins implicite, que seuls ceux que l’on accuserait de promouvoir et défendre le wokisme seraient susceptible de comprendre ce que cela signifie ? Même chose avec la terminologie « cancel culture » que Cusset reprend plus parcimonieusement sans que l’on sache ce qui la différentie du wokisme. Je veux bien admettre, en ce qui concerne la tendance ciblée par Cusset, que des universitaires, des journalistes, des auteurs se focalisent sur la chose au point de fétichiser le mot. Mais après tout, en face, la réponse du berger à la bergère ne se distingue guère, sur le plan des anathèmes, de ceux que François Cusset appelle des « croisés ». Notre professeur d’études américaines, de surcroît, invalide ces derniers parce qu’ils ne sauraient pas de quoi ils parlent. En tout cas le lecteur de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">est invité à penser que la mention du terme « woke » contribue à dévaloriser ou dénoncer « les luttes minoritaires d’aujourd’hui » : le mot « woke » n’étant plus qu’un « fantasme réactionnaire », de droite, qu’il convient de laisser à cette dernière.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Dans le camp de ceux qui, a priori, seraient en accord avec la plupart des thèses de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sur cette question-là très précisément l’historienne Laure Murat (dans l’entrée « cancel culture » de l’ouvrage collectif </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Les mots qui fâchent</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">) soutient, à l’instar de Cusset, que l’emploi de la terminologie « cancel culture » s’avère discutable, falsificatrice, péjorative et réactionnaire quand ce sont ses adversaires auto-proclamés qui la mentionnent. En revanche, elle indique (ce dont Cusset se garde bien lui d’évoquer), que la « cancel culture » devient positive, interpellatrice, dénonciatrice quand ce sont les Laure Murat et consort qui s’y réfèrent. Ce positionnement, de l’ordre de la géométrie variable, se retrouve chez d’autres plumes intellectuelles, également montées au créneau, soit pour dénoncer, ou soit pour défendre les culture « woke » ou « cancel ». C’est bien pourquoi, comme je le relevais dans l’introduction de ce texte, toute mention, positive ou négative de la « cancel culture » ou de la « culture woke », s’avère piégeuse, confusionnante et sujette à des malentendus. Il parait donc préférable de ne pas y avoir recours. Sinon, comme je viens de le faire, pour en critiquer l’utilisation à des fins partisanes, chez les uns comme chez les autres. Plus loin je reviendrai sur des éléments de cette « culture en procès », certains présents dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">La haine de l’émancipation, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">et d’autre plus nombreux absents, en soulignant ce qu’ont de significatives pareilles absences</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Après le wokisme, autre « monstre qui menacerait l’ordre du monde », l’islamo-gauchisme. Là aussi, comme pour le wokisme, je renverrai dos à dos partisans et adversaires de l’islamo-gauchisme. Cette question, se rapportant à la religion, doit être introduite par l’indispensable précision suivante. Il importe de ne pas répondre à l’obligation qui nous serait faite de choisir entre deux impératifs dans la mesure ou toute réponse, dans un sens comme dans un autre, reviendrait à nier d’autres choix, plus fondamentaux. Je reprendrai l’exemple, principiel, dans la fin des années quarante, dans le contexte du début de la « guerre froide », où l’on sommait chacun de choisir son camp : celui du communisme, ou du monde dit « libre ». Les surréalistes, et la plupart des anarchistes refusaient eux de répondre à cette injonction en en donnant les raisons. Un refus plus tard illustré en janvier 2015, dans le prolongement des attentats islamistes, où je renvoyais dos à dos ceux qui d’un côté dénonçaient l’islamo-gauchisme, et de l’autre l’islamophobie. Le premier positionnement, mais également le second construisent tous deux une figure de « musulman » caricaturale et abusive, voire imaginaire, antinomique il va sans dire dans les deux cas, qui chez les premiers contribuerait à saper les fondements de la société occidentale (pour l’extrême droite et ses alliés, y compris à travers le fantasme d’un « grand remplacement » : le musulman étant considéré comme inassimilable par la société et prié de faire ses valises), ou pour d’autres, plus nuancés, qui avancent que cet état des choses met à mal le modèle républicain (le musulman étant ici sommé de faire le ménage au sein de sa communauté) ; alors que les seconds déforment une réalité (il n’est pas ici question de nier celle des menaces islamistes) en assujettissant caricaturalement les musulmans à un groupe uniment discriminé, privé de parole et d’expression (l’assignation à une identité victimaire étant le corollaire de ce pathos misérabilisme et un rien condescendant). Je souligne ici, a contrario de ces deux postulations, la nécessité d’une critique de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">la </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">religion (de toutes les religions), qui ne saurait être amendée, ni revue à la baisse. En revanche, dans certaines circonstances, il importe de bien choisir son camp, ou du moins d’apporter toutes les clarifications nécessaires à l’établissement d’une ferme prise de position. Comme c’était le cas en 2022 pour l’auteur de ces lignes avec l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> La religion, aujourd’hui comme hier, ne doit pas être exemptée de toute critique sur les plans philosophique, politique, existentiel, quand bien même de tels énoncés critiques risquent, ou risqueraient de froisser la susceptibilité des croyants, de les offenser pour parler clair. Entrer dans ce genre de considération est autant une intolérable démission qu’une défaite de la pensée critique. L’Islam n’a pas lieu d’être plus ménagé (ni moins) que le christianisme et le judaïsme. Même si l’on met en avant le fait que les musulmans seraient plus stigmatisés pour des raisons religieuses et raciales (mais également sociales). D’ailleurs il y a un abus à ne parler de l’Islam qu’en terme de « religion des pauvres », comme d’aucuns le proclament haut et fort. C’est le même type de raisonnement qui a conduit des militants, plutôt critiques hier envers les religions (mais qui le sont de moins en moins dès lors qu’ils adoptent un discours anti-islamophobe), à soutenir le Hamas ou le Hezbollah, ou toute autre officine islamiste présentée comme « révolutionnaire ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cette critique sans appel de la religion, de toutes les religions, ne signifie pas pour autant que ceux qui la revendiquent et en font usage, ou qui n’entendent pas transiger sur la question, rejettent sur le même mode toute expression artistique considérée à tort ou à raison comme religieuse. Cela n’empêche pas, par exemple, l’auteur de ces lignes d’être un lecteur de Léon Bloy, Joseph Delteil, et surtout de Georges Bernanos ; d’apprécier l’art roman et l’architecture omeyyade ; d’écouter les « passions » de Jean-Sébastien Bach, l’oeuvre d’Olivier Messiaen et la musique juive liturgique ; ou de considérer que Robert Bresson est l’un des plus grands cinéastes du XXe siècle, etc. Mais après tout le mot « spiritualité » vient plus naturellement sous la plume pour traduire ce qu’il en serait ici sur le plan artistique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pour revenir à la religion, et s’en tenir au seul christianisme, il y a une incompatibilité totale, incommensurable, insurmontable, entre la « philosophie » abjecte selon laquelle le dénommé Jésus Christ, prétendu fils de Dieu, a été crucifié pour racheter les péchés des hommes, et l’idée d’émancipation. On ne répètera jamais trop que seule une profonde et décisive transformation sociale et politique (dans laquelle femmes et hommes prendraient leur destin en main), peut raisonnablement mettre à mal ce pourquoi une grande partie de l’humanité reste prisonnière de l’illusion religieuse.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Troisième et quatrième « monstre idéologique qui menacerait l’ordre du monde » : le communautarisme et la passion identitaire. Sur la question de l’identité, François Cusset avance que les dits « croisés » accusent leurs adversaires de l’imposer « contre le bel universel (…) pour mieux masquer le ressort identitaire de leur propre logique - qui est, au mieux, occidentale ou eurocentrée et, au pire, nationale et raciale ». Et il ajoute, sans sourcilier : « Qui cherche une critique forte de l’identité la trouvera dans cette génération : « on ne nous laisse pas d’être multiples », répètent-ils ». Soit une énième variation sur le propos « C’est celui qui dit qui l’est », des cours de récréation. Mais qu’en est-il, véritablement ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> D’abord, ce « bel universel » provoque des crispations eu égard, disent certains, « ses promesses non tenues ». D’où des assertions selon lesquelles l’universalisme ignore les différences de genre et de race, par conséquent fait fi de l’altérité, ce qui induit ou plutôt induirait des comportements racistes. Jacques Wajnsztejn, dans ouvrage </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Capitalisme et nouvelles morales de l’intérêt et du goût </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(un livre paru en 2001 chez l’Harmattan, qui anticipe quelques uns des aspects évoqué dans notre texte), entend délibérément partir de l’universalité pour opposer « universalité et particularité ». Sans pour autant dénier à toute lutte particulière ou catégorielle « la possibilité d’atteindre l’universalité », il indique que « sans une certaine idée abstraite de l’unité et de l’humain, il n’y a pas d’universalité possible (…) L’universalité est ce qui permet de saisir la dimension de la communauté, même si historiquement l’universalisme a représenté une idéologie de la bourgeoisie dominante, l’internationalisme (jusqu’en 1914) représentant son pendant du côté prolétarien ». Wajnsztejn ajoute que « Partir de l’universalité, c’est aussi partir de l’égalité, alors que partir des déterminations particulières et des particularités, c’est affirmer immédiatement une différence qui est en dehors du champ de l’intervention politique ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ensuite, ce que Cusset appelle « passion identitaire » (qui inclut la question du communautarisme), nécessite de plus longs développements. Comme l’écrit Pierre Jourde, « On enferme les gens dans leur identité », en expliquant par exemple « à un blanc qui se dit antiraciste qu’il le croit peut-être, mais qu’il est </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">raciste </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">quand même. Sa pensée est conditionnées par son identité blanche ». Il suffit de prendre connaissance des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">whitehness studies </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">pour en avoir si besoin était la confirmation. A leur sujet Élisabeth Roudinesco relève dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Soi-même comme un roi </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">que « de telles études stigmatisent les Blancs « en tant que blancs » (…) afin de mieux refouler leurs subjectivité </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">forcément raciste. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">L’état de blanchité a donc pour objectif de faire avouer à chaque Blanc son racisme inconscient ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Comment en est-on arrivé-là ? Il s’agit bien d’un « monstre idéologique », mais pas de celui que prétend Cusset. D’abord l’accent se trouve principalement mis sur ce qu’on est, identitairement parlant, depuis son sexe, ou sa religion, ou sa « race » (sa couleur de peau, si l’on préfère), ou même son village (« les imbéciles heureux qui sont nés quelque part » de Brassens). Ceci au détriment de ce que l’on fait. Ensuite, ce « repli identitaire » peut se trouver décrit depuis un double mouvement contradictoire : celui d’une part de revendications identitaires (d’ordre religieuse, culturelle, nationale, voire locale) qui entrent en concurrence et peuvent donc s’exclure ; d’autre part ce qui les rassemble prendrait le pas sur ce qui les divise. Cela parce que, malgré leurs différences, les uns comme les autres remplissent le cahier des charges d’un même « schéma identitaire », selon Christian Ferrié, qui ajoute « car ces groupes opposés sont au fond d’accord sur le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">principe identitaire </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">des communautés en lutte pour l’hégémonie au sein de la société ». Un principe défini par le même auteur « comme un repli sur les valeurs et les coutumes d’une société qui réagit à une menace venue de l’extérieur, ou plus exactement, au vif </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">sentiment </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">d’une telle menace ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Encore faut-il savoir sur quel terrain l’on se situe lorsque l’on critique l’une ou l’autre de ces identités. Par exemple celle du communautarisme se fait souvent depuis un « principe républicain » non moins critiquable, mais pour de toutes autres raisons. Ce risque on le retrouve également avec les mouvements antifascistes pour des raisons ici d’inadéquation entre le contenu critique et l’objet critiqué. D’où la nécessité de ne pas se définir de prime abord depuis l’adversaire ou l’ennemi (cela vaut également pour l’antiracisme). Ce qui revient à dire, pour prolonger l’analyse faite précédemment, que toute critique du « principe identitaire », puis celle de l’extrême droite plus généralement (et cela s’élargit au monde tel qu’il va) ne peut s’inscrire en dehors d’un projet d’émancipation en lutte contre toutes les formes d’exploitation et de domination : ceci dans une perspective d’autonomie et de prise en charge par chacun de tous les aspects de la vie.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Pour être encore plus précis sur ces « identités spécifiques » indiquons, avec Jacques Wajnsztejn, que « c’est via le droit que s’effectue cette institutionnalisation des différences ». Ou plutôt, dans le cas qui nous occupe, « les droits remplacent alors le droit ». Le même auteur ajoute que « la lutte contre les inégalités remplace alors la lutte contre l’inégalité. Le combat pour l’égalité identitaire remplace le combat pour l’Égalité ». Par ailleurs, nonobstant ce qui depuis une « identité personnelle » relève d’une « simple affaire de goûts, de choix et d’intérêt personnel », Wajnsztejn indique que « ces identités ne peuvent constituer des éléments de critique politique, surtout si l’on en fait des absolus dictant comportements sociaux et action politique ». L’occasion ici pour moi de rappeler à François Cusset que ces « identités spécifique » ne sont aucunement émancipatrices - déjà par définition - et qu’elles participent d’un phénomène de régression sur lequel je reviendrai.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br id="docs-internal-guid-e0a166b1-7fff-ace2-eb68-6abc7af05c56" /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> </span><span style="font-size: 14pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">BANALITÉS DE BASE SUR LA QUESTION FÉMINISTE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cette première partie se conclut par les « banalités de base » suivantes. Comme je le précisais dans l’avant propos, il importe de bien distinguer ce qui a trait d’un côté à l’émancipation de la femme, de ce qui relève de l’autre, dans le domaine des Arts et des Lettres, depuis un affichage féministe, d’une moralisation de la société et d’un puritanisme new look. Il va sans dire, préalablement à la question proprement dite, que les violences exercées contre les femmes sont intolérables, inacceptables et condamnables, comme le sont toutes les violences exercées contre des êtres humains. Sachant que l’on ne saurait se contenter d’une société pacifiée, en termes de relations entre les deux sexes, quand une violence parfois plus diffuse s’exerce uniment contre les femmes et les hommes, la violence d’un pouvoir qu’il convient de combattre dès lors qu’on se situe dans le camp de ceux qui veulent qu’une telle société, inégalitaire, liberticide et répressive disparaisse. Tout comme l’on ne saurait transiger sur l’indispensable égalité des droits, des fonctions et des salaires entre les deux sexes, et sur la remise en cause de la « domination masculine » eu égard au sexisme ambiant, mais également parce qu’elle bafoue ce principe égalitaire. Une fois précisé que toute femme doit pouvoir disposer de son corps comme bon lui semble, il n’y a pas lieu de distinguer fondamentalement l’émancipation de l’homme de celle de la femme. Ceci, je le répète, parce que l’égalité en l’espèce entre les deux sexes (celle des revenus, des fonctions, des places) n’est que le corolaire de l’inégalité sociale. Seule une profonde transformation politique et sociale, traduisant en acte l’égalité entre les sexes, permettrait d’y répondre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Ensuite il paraît difficile de ne pas associer cette inégalité-là à l’assignation faite à la femme (son rôle d’épouse, de mère, de femme au foyer) depuis l’avènement de la civilisation judéo-chrétienne, pour rester dans la sphère occidentale. Le mouvement des femmes apparu durant les années 1970 en France l’a en grande partie remis en cause sur le plan collectif en obligeant le pouvoir à légiférer dans la direction souhaitée (la loi sur l’IVG en étant l’exemple le plus emblématique), mais aussi sur le plan individuel (dans les relations de couple, ou entre les sexes).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Cependant, ceci et cela posé, j’ajoute que la parité ne représente qu’une réponse inadaptée, autant fallacieuse qu’illusoire : ce que l’on vous octroie étant par définition le contraire de l’émancipation. En vérité peu me chaut que dans les sphères du pouvoir l’on distribue à part égale les places et les prébendes aux deux sexes. On comprendra que je suis indifférent à ce que les gouvernements, conseils d’administration, directions de partis ou instances dirigeantes de toutes farines soient composés égalitairement de femmes et d’hommes. Il y aurait dans certains milieux intellectuels ou « progressifs » comme un interdit, chez les représentants de sexe masculin, à se positionner contre la parité, du moins de la manière dont je l’exprime, pour ne pas être soupçonnés de sexisme. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Sur le féminisme maintenant. Je reprendrai grosso modo la grille de lecture de l’historienne du féminisme Christine Bard, qui évoque une « Première vague » (de 1860 à 1960, représentative d’une « priorité à l’accès des femmes dans l’espace public »), de « Deuxième vague » (les années 1968 à la fin du XXe siècle ») qui avait mis au coeur de son combat (…) la sexualité et le droit de pouvoir disposer de son corps ». Dire de la « Troisième vague » du féminisme, ce début de XXIe siècle, qu’elle « a mis au premier plan les violence faites aux femmes », ne signifie pas pour autant que ces violences se sont multipliées, du moins dans les pays occidentaux, mais que le projecteur éclaire d’une lumière plus crue cet aspect de la question (qui relève plus de l’intolérable que précédemment). Le retentissement de « l’affaire DSK » l’a traduit expressément tout en étant l’arbre qui cache la forêt des violences conjugales et intra familiales. Celles-ci n’ont d’ailleurs pas été mises par #MeToo au poste de commandement. Cependant elles sont davantage prises en compte depuis la crise sanitaire de ces dernières année (le premier confinement témoignant de la recrudescence de ces notions) avec une attention accrue aux cas de féminicides.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> Je reviens sur l’évolution du féminisme pour relever l’apparition en France, au tout début du XXIe siècle, d’associations féministes (les Chiennes de garde, Ni putes ni soumises, la Barbe, Osez le féminisme !) représentatives d’un féminisme plus proche que par le passé des courants féministes américains (et dans cet ordre d’idée prenant davantage en compte les revendications des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">gender studies</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">). Au féminisme, longtemps incarné par le MLF, en position hégémonique au siècle dernier, s’est progressivement substitué un féminisme impulsé par des militantes d’autres générations. Ce qui, pour revenir à #MeToo, peut prendre un aspect insolite quand on lit sous la plume de l’historienne Laure Murat (pourtant pas « un perdreau de la veille ») que « MeToo est la première remise en cause sérieuse du patriarcat ». Cela tient de l’article de foi et occulte allègrement les combats féministes des années 1970, puisque, à lire la même autrice, comme le rapporte Sabine Prokhoris dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">Le mirage #MeToo </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;">(ouvrage publié en 2021 aux Éditions du Cherche-Midi), la citant, « les acquis de ces années-là, gages pourtant de la liberté sexuelle des femmes, auraient aveuglé les féministes ». Prises au piège de « la libre circulation des désirs » rendue possible par la maîtrise de la fécondité, elles ne pouvaient en quelque sorte qu’encourager les « prédateurs ». Ainsi pareille focalisation sur la contraception, puis l’avortement, ceci et cela garantissant leur « liberté sexuelle », les incitait à négliger machisme et sexisme, et donc à baisser la garde du côté des soi-disant prédateurs. Ce discours révisionniste s’avère de surcroît bien ingrat envers celles qui ne pontifiaient pas dans une université américaine, mais luttaient concrètement contre le patriarcat sans dissocier égalité et liberté sexuelle. Des combats, faut-il l’ajouter, auxquels ont participé les deux sexes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"> D’ailleurs le patriarcat, n’en déplaise à Laure Murat et consort, n’est plus exactement ce qu’il était durant les années de « seconde vague du féminisme ». Sa dénonciation, aujourd’hui, relève plus de « l’exercice obligé » sous une forme incantatoire, qu’elle ne traduit dans les faits un état de la société qui, de nos jours dans l’hexagone, ne concerne plus que ses secteurs les plus rétrogrades, et s’avère largement minoritaire chez les jeunes générations. Ou, pour le dire autrement, on évoquera quelque impératif néoféministe se focalisant sur le mot au détriment de la chose. En 2001 déjà, Jacques Wajnsztejn précisait : « Nous ne nions pas l’existence historique du patriarcat, mais outre le fait qu’il n’existe plus en tant que système, il est tout à fait différent de parler, d’une part, de rapports sociaux de sexe, d’autre part de rapports sociaux en général qui incluent, entre autres, des discriminations et inégalités entre les sexes ». C’est vouloir dire, et nous le répétons une fois de plus, pour conclure la première partie, que l’inégalité qui perdure entre les sexes relève d’une inégalité plus générale, de nature sociale et politique, à laquelle seule une profonde transformation de la société peut mettre fin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.6800000000000002;text-align: justify;margin-top:0.0pt;margin-bottom:0.0pt;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; font-variant-alternates: normal; vertical-align: baseline; white-space-collapse: preserve;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></span></p>SURRÉALISME ET ENJEUX LITTÉRAIRES DU XXe SIÈCLEurn:md5:ef9501f0f3dd19ce12190bd91ddc7ead2023-05-29T10:46:00+02:002023-05-29T10:46:00+02:00Max VincentEssais littéraires2023LittératureSurréalistes <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-186da327-7fff-396a-33cd-ad6993300039"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SURRÉALISME ET ENJEUX LITTÉRAIRES DU XXe SIÈCLE</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A la mémoire d’Alain Joubert</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">André Breton</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">a suffisamment sculpté son buste et ses caricatures pour donner envie aux imbéciles qui passent de cracher dessus. Ce n’est pas grave : il suffit de relire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nadja, L’amour fou, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Point du jour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour remettre ces pendules de bois mort à l’heure, toujours imprévue, toujours nocturne de la littérature. Mais c’est révélateur : le fantôme détesté de Breton rappelle à notre époque régressive ce qu’elle supporte de moins en moins, l’autonomie radicale d’un individu</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Philippe Lançon « L’or du temps contre l’air du temps » (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie-Hebdo, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">novembre 2003)</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous savons que le litre de la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Littérature </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(crée en 1919 par Aragon, Breton et Soupault, qui l’année suivante rejoindront tous trois le mouvement Dada) avait été adopté « par antiphrase et dans un esprit de dérision ». De l’eau a coulé sous les ponts depuis, puisque tout ce que le mot « littérature » a illustré pour le mieux au XXe siècle se trouve contesté, révoqué, et même récusé un siècle plus tard au nom d’une « idée de littérature » de nature postmoderne, en tous points opposée à ce que les futurs dadaïstes désignaient par antiphrase. Même partiellement, cette contribution n’en défend pas moins une « certaine idée de la littérature » qu’il m’importe d’illustrer depuis quelques uns des enjeux poétiques et littéraires du XXe siècle. Ceci parallèlement à la volonté d’inscrire pareille « idée littéraire » dans l’histoire tumultueuse de ces cent dernières années : une idée qui pourrait par exemple s’incarner à travers la triade </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">esprit de révolte, modernité, souci de la langue.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce texte comporte trois parties. Les deux premières se réfèrent grosso modo à la même époque (la Libération) mais le font sous deux angles différents : « Le mal, le noir et l’abjection littéraire » témoigne avec André Breton, Georges Bataille et D.A.F. de Sade de ce qui sous cet éclairage nous confronte à une « subversion poétique » à laquelle le surréalisme, plus que d’autres mouvements, a donné de nombreux gages ; tandis que « Responsabilité des écrivains : de Flaubert à la « littérature engagée » » se concentre sur la période de la Libération pour délivrer un certain nombre de constats - par exemple sur la « poésie de circonstance » et la « littérature engagée » - délivrés par des auteurs récusant ce qui relève d’un leurre pour le mieux, ou d’une volonté d’asservissement pour le pire. La troisième (« Increvable surréalisme ! ») prolonge les deux précédentes, puis reproduit une lettre ouverte datant de 2015 (relative à un différend en « milieu surréaliste »).</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:17pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">LE NOIR, LE MAL, L’ABJECTION EN LITTÉRATURE</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Confronté après la Seconde guerre mondiale à la menace que fait peser sur le monde la bombe atomique, André Breton dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La lampe dans l’horloge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(un texte repris en 1953 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La clé des champs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">déclare que cette fin du monde-là « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nous n’en voulons plus</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » : cette « « tentative de la fin du monde » ayant pu par le passé inspirer la poésie dans laquelle le surréalisme s’est reconnu indéfectiblement ». Breton ajoute qu’il importe en 1948 de tirer toutes les conséquences de ce revirement qui n’est en aucun cas, insiste-t-il, un reniement. Ici, ceci posé, Breton entend préciser : « Il ne saurait être question pour autant de rejeter l’héritage de l’art « noir » (…) Toute l’ardeur disponible continue en effet à rayonner de lui. C’est par lui, par l’effet même de la réprobation qu’il sanctionne, que les poètes et les artistes véritables font valoir le choix absolu qui est le leur entre le dénuement et la longue déconsidération qui les apparente d’emblée aux catégories humaines les plus spoliées et les plus traquées ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce versant « noir » de l’art, Breton en avait déjà fait état huit ans plus tôt sur un plan plus directement littéraire dans son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Anthologie de l’humour noir. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sorti des presses des Éditions du Sagittaire le 10 juin 1940, cet ouvrage ne peut alors être diffusé, et ne le sera évidemment pas durant les mois suivants. En février 1941 le gouvernement de Vichy met à l’index </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’anthologie de l’humour noir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: André Breton étant, selon le pouvoir pétainiste, « la négation de l’esprit de révolution nationale ». En 1945 ce livre est enfin publié dans un contexte (l’absence encore de Breton, la soi-disant « mort du surréalisme », l’hégémonie stalinienne) pour le moins défavorable. La parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’anthologie de l’humour noir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">suscite d’ailleurs peu d’échos, sinon un compte rendu très critique de Raymond Queneau dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Front national </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(un journal communiste). Cet article mérite que l’on s’y attarde parce que l’argumentation de Queneau sera ensuite reprise par d’autres dans les quinze années à venir, voire même, dans un tout autre contexte il va de soi, de manière plus diffuse après les attentats de janvier 2015.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il faut d’abord replacer les commentaires acerbes de Queneau dans un propos plus général, celui des révélations sur la véritable nature des camps de concentration nazis. Et mettre ces commentaires et ce propos en relation avec les pages d’un journal tenu par l’écrivain entre septembre 1944 et novembre 1945 (un journal publié en 1950 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bâtons, chiffres et lettres</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Des pages dans lesquelles Queneau se réfère à quatre reprises à Sade (l’un des protagonistes - et pas le moindre ! - de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’anthologie de l’humour noir</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), non sans faire un parallèle entre « le monde imaginé par Sade » et le « monde où règnent la Gestapo, ses supplices et ses camps ». Queneau va cependant plus vite que la musique puisqu’il prétend le 19 mai 1945 que l’on savait avant la Seconde guerre mondiale que « les nazis pratiquaient l’extermination systématique et l’humiliation de leurs ennemis ». L’humiliation certes, mais l’extermination systématique, nullement ! Queneau n’était pas alors censé savoir que la « solution finale » avait été élaborée entre juillet 1941 et janvier 1942, ni que les nazis en 1940 privilégiaient encore le projet de déporter les juifs à Madagascar, mais il aurait pu s’abstenir d’affirmer ce qui relevait de l’extrapolation, et n’était pas fondé. Mais surtout de laisser telle quelle pareille assertion lors la publication de ce journal cinq ans plus tard. En 1965 même, lors de la réédition de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bâtons, chiffres et lettres, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Queneau n’a pas jugé utile de rectifier cette affirmation. On subodore, pour en revenir à mai 1945, que les nombreux témoignages publiés ce printemps-là sur les « camps de la mort » ont pu altérer le jugement de Queneau au point de l’inciter à réécrire rétrospectivement cette histoire, et surtout de s’y maintenir. On peut également penser, en se référant au passé surréaliste de Queneau, que ce propos parmi d’autres n’était pas tout à fait dépourvu d’arrières-pensées.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La première mention de Sade dans ce journal se trouve précédée d’une diatribe de Queneau contre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’anthologie de l’humour noir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui venait alors de paraître. D’où chez l’auteur du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chiendent </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’association très malvenue, pour ne pas dire absurde, de l’humour noir et du nazisme : les nazis ayant selon lui « mis en oeuvre une sorte de dadaïsme poétique dont les précurseurs, sur le plan littéraire, pourraient être Nietzsche et Sade » (Nietzsche figurant également dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’anthologie de l’humour noir</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Dans l’article cité plus haut (« L’humour noir »), contemporain de cet extrait de journal, Queneau affirme que pour Breton l’humour noir est une révolte, parmi d’autres, « contre le monde bourgeois ». Il ajoute que cette « position outrée » n’a été réalisée que par le nazisme. On laisse à Queneau la responsabilité de ce genre de propos, d’autant plus qu’il prétend que le nazisme aurait fait « passer dans le réel les mauvaises plaisanteries d’un Sade et d’un Allais ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Franz Kafka (autre protagoniste de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’anthologie de l’humour noir</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) figure dans cette liste parce que « l’Allemagne nazie », toujours selon Queneau, « a réalisé l’atmosphère de (ses) romans ». C’était dans l’air du temps. Rappelons que le journal communiste </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Action </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entreprit de réaliser en 1946 une enquête sur l’écrivain pragois dont l’intitulé provocateur (« Faut-il brûler Kafka ? ») était déjà tout un programme. Question à laquelle Michel Leiris répondit justement : « Je ne vois que les hitlériens pour y avoir songé » (Joe Bousquet, Henri Calet, et d’autres répondirent dans le même sens). Précisons, nous revenons à nos moutons, que la rédaction d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Action </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entendait à travers Kafka condamner une « littérature noire ». Le contrepied en quelque sorte de ce que Breton avait écrit et défendu dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’anthologie de l’humour noir, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et qu’il reprécisera en 1948 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La lampe dans l’horloge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en y intégrant d’autres données. Contre la « littérature noire », vilipendée, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Action </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">promeut une « littérature rouge », son antidote. Une littérature saine, il va sans dire, qui se soucie de protéger la jeunesse en la mettant en garde contre les Kafka et consort. Car, comme l’écrit Pierre Faucheron dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Action, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">il convient de « prendre à l’égard de ces écrivains des mesures de défense si la société juge que son activité (la littérature de Kafka) met en péril ses intérêts essentiels ». Le même plumitif ajoutant : « L’oeuvre de Kafka exprime, de façon contagieuse, un certain état de décomposition sociale » susceptible de provoquer « des états de conscience manifestement morbides ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pourquoi tant de haine (et de bêtise aussi) ? S’il était en 1948 admis (entre autres explications) que l’oeuvre de Kafka préfigurait le système totalitaire nazi, cette préfiguration paraissait encore plus judicieuse avec le système totalitaire soviétique (les procès de Moscou l’illustrant en premier lieu). Ce qui restait encore implicite deviendra explicite lors de la controverse autour de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’ai choisi la liberté </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Victor Kravtchenko et des procès qui s’ensuivirent. David Rousset - après Kravtchenko - intentait un procès aux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lettres françaises </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(journal ayant traité l’un et l’autre de « faussaire ») : le différend portant sur l’existence ou pas de camps de concentration à grande échelle en URSS. Dans ce contexte, celui de la réalité de faits que le PCF niera longtemps, qu’il s’évertuera à déformer dans un second temps pour justifier la nouvelle ligne du parti, la référence à Kafka venait par surcroît. Cependant, sur cette question des camps de concentration soviétique (du Goulag comme on dira plus tard), les staliniens français, obligés de battre leur coulpe devant le poids des révélations, opéreront alors un repli tactique. C’est à dire qu’ils s’évertueront à défendre ce système concentrationnaire en le dotant d’un contenu positif : les où les nazis exterminaient, les soviétiques rééduquent.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais revenons au « noir » et à la postérité de la critique de Queneau. On retrouve ce type de discours dans l’ouvrage de Philippe Roussin </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Misère de la littérature, terreur de l’histoire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(publié en 2005 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), qui dans l’un de ses chapitres s’en prend au surréalisme (qui aurait, depuis Dada, « pratiqué avec constance l’art de l’insulte et de la provocation », ne voyant « aucun motif de rompre avec l’humour, qu’il considérait comme l’une des ressources de la poésie, et avec son refus de prendre au sérieux le monde ordinaire ») et à André Breton. À ce dernier est reproché d’avoir choisi « d’ignorer la part de violence et de férocité destructrices que le rire pouvait contenir ». M. Roussin est un modéré qui ne voit à travers l’humour que l’une des expressions de la « terreur dans les lettres ». Il se contente ici de paraphraser Queneau, dont il cite par ailleurs un article de 1938 (« l’humour et ses victimes »). L’ancien membre du groupe surréaliste (entre 1924 et 1929) y règle des comptes avec ses anciens amis en les accusant étrangement de dénaturer l’humour et de se complaire en « paradoxes vides ». Selon Queneau, « l’humour de Jarry et de l’anarchisme littéraire de la bohème avait tourné au conservatisme le plus réactionnaire et qu’il servait désormais la propagande anti-démocratique des bien-pensants ainsi que la défiance de l’esprit nouveau ». D’où le refrain ensuite (« Pour celui qui ne sait que détruire… », etc.), bien connu, entonné par les véritables bien-pensants toutes époques confondues. Queneau avait assurément perdu son sens de l’humour en 1938 (et cela perdurait en 1945). Nous sommes bien loin du détachement souriant qu’il affichera par la suite.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Philippe Roussin élargit son propos à la période précédente (précédant le Front populaire) en prétendant que le surréalisme, au moment de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Contre-Attaque, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">non seulement se trompait d’époque, mais que la « terreur révolutionnaire » qui lui servait de modèle « l’aveuglait au point de l’empêcher de penser la différence entre la démocratie et le fascisme ». Et Roussin d’en conclure que « la négation et la destruction, l’insulte et l’injure, le rire et la révolte sont, en 1934, devenus les plus sûrs allés de la demande d’obéissance ». D’où l’association faite avec Céline (celui de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), qui lui aussi encourt les mêmes reproches. Plutôt que de qualifier ces propos tout bonnement de « réactionnaires », on objectera à Roussin que ce sont les surréalistes, les premiers, qui ont pris concrètement la mesure du danger fasciste en France au lendemain des émeutes du 6 février 1934 en diffusant le tract, « Appel à la lutte » : un texte contresigné par plusieurs intellectuels n’appartenant pas au mouvement surréaliste, mais par aucun communiste (le PCF ayant lui appelé à manifester le 6 février au côté des ligues fascistes afin de « donner à cette protestation un caractère prolétarien »). Ensuite Roussin ne comprend pas, ou ne veut pas comprendre, ce que met alors en jeu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Contre-Attaque. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Certes, « Père, Patrie, Patron, telle est la trilogie qui sert de base à la vieille société patriarcale, et aujourd’hui à la chiennerie fasciste », peut encore à la rigueur participer d’un principe d’équivalence, mais le contenu du tract, « Les fascistes lynchent Léon Blum », démontre si besoin était l’inanité du propos de Roussin, et de tous ceux qui ne défendent la démocratie que sous sa forme représentative (tributaire de l’économie de marché). On peut émettre certaines réserves sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Contre-Attaque, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou relever parfois des ambiguïtés dans la formulation de quelques unes des contributions. Mais cette discussion-là nous ne l’aurons pas avec M. Roussin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Philippe Roussin reste constant dans son argumentation quand il fait remonter cette « terreur dans les lettres » à la Révolution française : Hébert (le Père Duchesne) étant le parangon de cet « égalitarisme absolu et fanatique », évidemment coupable de tous les péchés à venir. Les surréalistes, selon Roussin, ne feront que reprendre cette « terreur » à leur compte. Pas qu’eux d’ailleurs. Céline se trouve également convoqué, puisque « c’est à la passion égalitaire et antinobilaire des libelles pré-révolutionnaires, à leur haine des privilèges, des grands, de l’aristocratie et des élites sociales et culturelles » que - je vous le donne en mille ! - les pamphlets de Céline « doivent leur représentation des juifs comme groupe parasite, corrompu, étranger au corps de la nation ». Le raccourci est vertigineux ! Jusqu’où cette « passion égalitaire » peut-elle donc mener ! Pour certains (hier) au communisme stalinien ; pour d’autres (plus contemporains), à la décadence de la civilisation occidentale ; ici, avec Philippe Roussin comme porte-drapeau, au nazisme (par le détour de l’antisémitisme). Mais laissons là ce Directeur de recherche au CNRS.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Évidemment, nous ne sommes plus en 1939, ni en 1945, et l’humour noir s’est depuis imposé comme catégorie particulière de l’humour. Non sans indiquer que cette particularité-là ne serait pas du goût de tout le monde. Aujourd’hui cependant nul ne convoque Hegel et Freud - sur lesquels André Breton en 1939 s’appuyait afin de donner du sens, du contenu et une légitimité à cette invention lexicale - pour définir l’humour noir. Cette </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Anthologie de l’humour noir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">reste néanmoins exemplaire du point de vue de sa composition : depuis le regard que porte Breton sur chacun des auteurs choisis (dont certains étaient méconnus, voire inconnus en 1939 et 1945), mais davantage encore dans la mesure où l’humour noir, plus que les autres formes d’humour, se manifestait initialement dans la vie de nombreux protagonistes de cette « anthologie », au carrefour du « vivre poétiquement dans le monde » et de la « subversion absolue ». Breton en donnant maints exemples avec Sade, Lichtenberg, Baudelaire, Allais, Cravan, Vaché, Rigault, Jarry (pour ne citer qu’eux).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Malgré cette « reconnaissance » (celle d’écrivains et d’artistes pratiquant l’humour noir), cette forme d’humour n’en finit pas d’indisposer les jocrisses à la mode d’aujourd’hui, ou de voir se dresser contre lui des contempteurs d’un genre nouveau. Nous avons évoqué ailleurs le cas de Pierre Tevagnan, montant au créneau pour dénoncer un sketch de Pierre Desproges en des termes peu compréhensifs ou hors sujet. Nous étions du moins censés retenir que l’humour desprogien noyait le poisson raciste dans les eaux saumâtres des rapports d’oppression. Un peu plus tard nous avons été confronté, au lendemain des attentats de janvier 2015, à d’autres formes de rejet de l’humour noir, ou s’en rapprochant, lesquelles visaient plus particulièrement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie Hebdo, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">y compris à travers le rôle et la place prise par l’hebdomadaire durant la première moitié des années soixante-dix (celles de « l’âge d’or » du journal). On se souvient que durant cette période, nombre de trotskistes, et plus encore de maoïstes appréciaient très modérément l’humour de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie-Hebdo. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce qui constituait, parmi d’autres, plus essentielles, une ligne de fracture entre - je schématise volontairement - d’un côté les gauchistes encartés, de l’autres les libertaires (ou anarchisant). Puis ce différend a paru perdre en importance dans la mesure où le genre d’humour illustré par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie-Hebdo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(voire celui d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Hara-Kiri</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">était progressivement accepté. C’est vouloir dire qu’il s’édulcorait en se diffusant plus largement, en particulier à travers les « impertinences médiatiques » d’une nouvelle génération d’humoristes. Il faut également relever que l’humour noir s’est trouvé plus récemment ostracisé dans certains milieux « racialistes ». Sans aller eux jusqu’à le qualifier de « raciste », des commentateurs avancent que ce type d’humour serait incompréhensif pour les descendants des peuples autrefois colonisés, vivant en France (une incompréhension encore plus présente chez les musulmans). D’où le discours selon lequel ce qui fait rire dans telle partie du monde peut provoquer la colère dans telle autre, que certaines formes d’humour deviennent sous certaines latitudes une atteinte à la dignité des personnes (ou à leur culture, leurs traditions, et immanquablement leurs sentiments religieux). Ce discours, que l’on appellera « relativiste » (souvent défendu par des communautarismes de tout poil), s’en prend par conséquent à toute forme d’humour considérée infamante, insultante, offensante, dévalorisante, ou discriminatoire à l’égard des minorités ethniques (ou religieuses dans le cas de l’Islam).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Contre ce relativisme (et les formes de censure et d’autocensure qu’il induit) il importe de défendre une position universaliste. En quoi une personne étrangère n’aurait pas la capacité de comprendre et d’apprécier par exemple la drôlerie ou l’esprit satirique de Rabelais, de Molière, de Jarry, de Queneau (le romancier, pas celui que nous avons évoqué plus haut), la musique de Satie, le cinéma de Tati, les dessins de Chaval ? Qu’est ce qui les en empêcherait : des bases culturelles ? Mais de nombreux Français en sont également dépourvu. Cette démonstration peut être reprise avec d’autres pays, et bien entendu d’autres noms. À moins de prétendre qu’il y aurait une « exception française » (lourde de sens donc). Encore faudrait-il le démontrer. Pierre Desproges avait en son temps dit l’essentiel en une phrase : « On doit pouvoir rire de tout, mais pas avec n’importe qui ». Cela devrait être la règle pour tous, ici et ailleurs. D’aucuns rétorqueront : cela dépend du rire en question. Cela dépend également de ce à quoi renvoie une conception du monde rejetant sans autre forme de procès l’humour noir. Il semble que l’émancipation du genre humain, même limitée à ce seul aspect, en serait affectée.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Georges Bataille, dans l’avant propos de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et le mal, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">fait d’une certaine façon le lien avec ce qui précède quand il précise que la génération à laquelle il appartient « naquit à la vie littéraire dans les tumultes du surréalisme ». C’est le mot tumulte qu’il importe de retenir pour en venir aux raisons pour lesquelles ce livre a été écrit. Bataille affirme que « la littérature est essentielle ou n’est rien ». Depuis ce constat, le mal, du moins « une forme aiguë du Mal », prend, ajoute-t-il, « une valeur souveraine (…) la littérature n’est pas innocente, et coupable à la fin devrait s’avouer telle ». Ce que Bataille réitère à la fin de cet avant-propos, en concluant que la littérature, finalement, « se devait de plaider coupable ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout dépend bien entendu de ce que l’on entend par culpabilité. Bataille retourne l’argument contre ceux qui, auparavant, avaient fait le procès de cette littérature au sujet de laquelle, du moins en partie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et le mal</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> entend témoigner à décharge. Trois noms d’écrivains figurent à la fois dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’anthologie de l’humour noir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et le mal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: ceux de Sade, de Baudelaire et de Kafka. J’aurai l’occasion de revenir sur le second dans le prochain chapitre. Venons en à Sade. La présence du divin marquis s’impose d’autant plus dans l’essai qui lui est consacré (le coeur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et le mal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en quelque sorte) que le mal ici épouse tous les excès qui rendent la littérature « impossible ». Celle d’un « homme en un mot monstrueux que la passion d’une liberté </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">impossible </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">possédait ». Nous retrouvons là le mal puisque Sade, en « s’excluant de l’humanité, n’eut en sa longue vie qu’une occupation, qui décidément l’attacha, celle d’énumérer jusqu’à l’épuisement les possibilités de détruire les êtres humains, de les détruire et de jouir de la pensée de leur mort et de leur souffrance. Fut-elle la plus belle, une description exemplaire aurait eu peu de sens pour lui. Seule l’énumération imperturbable, ennuyeuse, avait la vertu d’étendre devant lui le vide, le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">désert, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">auquel aspirait sa rage (et que ses livres étendent encore devant ceux qui les ouvrent »).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce qui scandalise le plus chez Sade doit être mis sur le compte de ce que Bataille appelle sa </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">souveraine liberté. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guillaume Apollinaire, le premier, l’a formulé en évoquant « Sade, l’esprit le plus libre qui ait encore existé ». L’admirable correspondance du proscrit emprisonné au donjon de Vincennes, puis à la Bastille, campe sur le versant ensoleillé de cette liberté-là. Plus tard, lorsque Sade écrira ses romans, dans le premier d’entre eux, le terrifiant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cent-vingt journées de Sodome </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">écrit en prison</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la même liberté s’installera sur le versant sombre du massif sadien. Attardons-nous sur cette correspondance. Sade y affirme de cette voix à nulle autre pareille que rien, ni les fers qui le contraignent parfois à l’intérieur de son cachot, ni les brimades de l’administration pénitentiaire, ni les persécutions dont il fait l’objet ne lui feront réviser les raisonnements exprimés dans ses courriers. Cette façon de penser, la sienne, est tout ce qui lui reste : elle le console de l’injustice et de cette privation de liberté qui n’en finit pas. « J’y tiens, écrit-il, plus qu’à ma vie ». D’ailleurs, ajoute-t-il dans la même lettre, « ce n’est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c’est celle des autres ». Et il en termine, répondant superbement à sa femme (qui tentait de raisonner le prisonnier en l’incitant pour son bien à s’amender) : « Je déclare ouvertement qu’on a pas besoin de me jamais parler de liberté, si elle ne m’est offerte qu’au prix de leurs destructions » (celles des « principes » et des « goûts » énumérés dans le même courrier) : « Je vous le dis à vous. Je le dirai à M. Le Noir. Je le dirai à toute la terre. L’échafaud serait là, que je ne varierai pas ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plus exemplaire encore, pour faire le lien avec ce qui suit, citons cet extrait d’une lettre également adressée à sa femme. Indiquons préalablement qu’au début de ce courrier, Sade informait son épouse que l’administration pénitentiaire venait de lui refuser la lecture des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Confessions </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Jean-Jacques Rousseau. En réalité, poursuit-il, le priver de cette lecture, certes dangereuse pour ses censeurs, mais édifiante pour un homme tel que lui, prouvait si besoin était la totale incompréhension de ses geôliers à son égard. Il ajoute (le propos s’adresse à ces derniers) : « Il y a mille occasions où il faut tolérer un mal pour détruire un vice. Par exemple, vous avez imaginé faire merveille, je le parierais, en me réduisant à une abstinence atroce sur le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">péché de la chair. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Et bien vous vous êtes trompés ; vous avez échauffé ma tête, vous m’avez fait former des fantômes qu’il faudra que je réalise. Cela commençait à se passer, et cela sera à recommencer de plus belle. Quand on fait trop bouillir le pot, vous savez bien qu’il faut qu’il verse ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sade écrivait ces lignes en 1783, après presque huit ans d’emprisonnement. Ces « fantômes qu’il faudra bien que je réalise » vont bientôt prendre forme dans son esprit. D’une plume vengeresse il entame en octobre 1785 la rédaction des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cent-vingt journées de Sodome. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Jamais Sade n’ira aussi loin dans la description d’un univers romanesque effroyable, terrifiant, inhumain, qui aujourd’hui encore, malgré le recul qui est le nôtre (renforcé par maintes relectures qui tendent à distancier le texte sadien), ne laisse pas le lecteur indemne. Une telle volonté de réduire à néant les croyances les plus ancrées du monde civilisé, de le nier dans ce qu’il aurait de plus sacré, de plus humain, n’a pas d’équivalent. Sade renvoie à ses geôliers, à ses persécuteurs, à la société, au monde entier, l’abjection dont on l’accable. Il le fait à la mesure de la révolte qui l’habite, d’une rage indescriptible, d’un orgueil démesuré, d’une voix étincelante. Bien entendu, le Sade des romans n’est pas sorti tout entier de la cuisse de Jupiter. En 1783, dans la seconde des lettres citées ci-dessus, le divin marquis reconnaissait qu’il existe de par le monde des têtes pour qui « le mal est comme un état naturel dont nul effort ne saurait les retirer », qui ne ressentent aucune culpabilité car les vices, y compris leurs conséquences, loin de devenir des tourments « sont au contraire des jouissances ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les nombreux contempteurs de Sade sont, par définition dirais-je, dans l’incapacité de penser la contradiction suivante, fondamentale : à savoir que l’écrivain qui dans son oeuvre célèbre le crime est l’homme qui, durant la Terreur, au péril de sa vie, demanda au sein de la section des Piques l’abolition de la peine de mort. Nul ne l’a mieux exprimé que Maurice Blanchot dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’inconvenance majeure, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entièrement consacré à Sade, et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et le droit à la mort, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">deux textes parmi les plus importants écrits par l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’arrêt de mort. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans le second de ces articles, Blanchot dit de Sade qu’il est « l’écrivain par excellence », celui réunissant « toutes les contradictions », le plus seul de tous les hommes (parce qu’écrivant une « oeuvre immense » qui « n’existe pour personne »). Mais Sade est également ce personnage public engagé dans la Révolution, le « théoricien et symbole de la liberté absolue ». Un homme qui est « la négation même », poussée au paroxysme, niant « les autres, Dieu, la nature », jouant de sa personne « comme de l’absolue souveraineté ». Et l’on sait que cette mort, avec laquelle l’écrivain Sade prit toutes les libertés dans ses romans, par contre, pour le révolutionnaire de 1793, le secrétaire de la section des Piques, la mort ne saurait être en aucun cas prescrite et perpétuée par l’État, la loi, la justice en tant que peine capitale. On ne peut comprendre Sade qu’à travers la reconnaissance d’une telle contradiction (un même homme a pu écrire ceci, et réclamer cela), comme les meilleurs esprits des XIXe et XXe siècle ont su le rapporter.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci pour dire qu’il nous faut tracer une ligne de fracture entre les détracteurs patentés du divin marquis et les autres. Il ne s’agit pas de faire l’historique fastidieux d’une détestation qui irait de Restif de la Bretonne à Michel Onfray. Le Sade, plus haut illustré, qui suscita l’admiration ou le très fort intérêt de Guillaume Apollinaire d’abord, puis des surréalistes, de Georges Bataille, Maurice Heine, Maurice Blanchot, Pierre Klossovski, Gibert Lely, etc., s’est trouvé mis en accusation au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour des raisons qui nous ramènent au coeur de notre sujet. Il semble que Raymond Queneau ait été le premier à faire une comparaison entre « le monde imaginé par Sade » et les camps de la mort nazis. Mais son propos n’est pas développé, et secondairement il lui importait, cette équation posée, de régler des comptes avec ses anciens amis surréalistes (voire avec Bataille, puisque Nietzsche se trouve logé à la même enseigne que Sade). Ensuite, pour citer d’autres noms, le propos d’Hannah Arendt dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le système totalitaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> se réfère de façon trop allusive à Sade pour être pris en considération. En revanche, Horkheimer et Adorno dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La dialectique de la raison </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(dans « Juliette et la morale » écrit principalement par Horkheimer) consacrent plusieurs pages à Sade. Ce texte ardu, contradictoire, parfois obscur, s’avère moins critique envers le divin marquis que ce que certains ont cru y trouver (une condamnation de Sade).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plus conséquent, Albert Camus donne dans le chapitre « La négation absolue » de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme révolté </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ouvrage paru en 1951) le mode d’emploi de ce qui suivra : tous les contempteurs de Sade à venir reprendront peu ou prou les conclusions de ce chapitre. Il reste à préciser que Camus, même très critique à l’égard de Sade, n’est pas sans lui reconnaître une certaine grandeur. Ses commentaires peuvent parfois paraître pertinents, mais Camus tombe dans la caricature à cent sous quand, s’agissant de la postérité de Sade, notre « philosophe pour classes terminales » prétend que le divin marquis « a souffert et il est mort pour échauffer l’imagination des beaux quartiers et des cafés littéraires ». Plus sérieusement, Camus explique le « succès » de Sade en ce milieu de XXe siècle par « la revendication de la liberté totale et la déshumanisation opérée à froid par l’intelligence ». L’accent étant mis bien entendu sur le second aspect à travers diverses conséquences, y compris la mention de « l’organisation d’un temps des esclaves » comme corollaire de cette revendication de liberté totale. Camus peut alors dérouler le tapis sur lequel d’aucuns n‘ont pas manqué ensuite de faire un bout de chemin sans toutefois toujours citer le nom de la marque (du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Figaro </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à Onfray, en passant par BHL et Michéa) : « Deux siècles à l’avance, écrit Camus, sur une échelle réduite, Sade a exalté les sociétés totalitaires au nom de la liberté frénétique que la révolte en réalité ne réclamait pas ». Une formulation étrange à vrai dire : on ne sait pas bien de quelle révolte il serait ici question. Il est vrai que celle dont Camus nous entretient dans les pages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme révolté, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comme André Breton l’avait souligné, s’apparente à « une révolte dans laquelle on aurait introduit la mesure (…) On a gardé le nom et supprimé la chose. Le tour de passe-passe s’accomplit à la faveur d’un rideau de bons sentiments ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Albert Camus nous intéresse également, pour revenir une fois de plus à la littérature, quand vers le début de ce chapitre, il écrit au sujet de Sade : « L’écrivain, malgré quelques cris heureux, et les louanges inconsidérées de nos contemporains, est secondaire. Il est admiré aujourd’hui avec tant d’ingénuité, pour des raisons où la littérature n’a rien à voir ». Rien à voir, vraiment ? Faisons un détour par l’abolition de la peine de mort. Camus remarque justement que Sade a été un adversaire conséquent du « crime légal » (alors que des petits esprits comme Michel Onfray, qui eux l’occultent, dénoncent la duplicité de Sade durant la terreur : autre tour de passe-passe qui permet de conclure sur l’opportunisme du citoyen Sade). Si Camus reconnaît au moins ce mérite, incommensurable, il ajoute ne pas comprendre pourquoi il n’en serait pas de même dans les romans de Sade (qui eux font l’apologie du crime). Le mot « incompréhension » devient trop faible pour qualifier ce propos. Cette cécité qui vaut ici pour Sade s’élargit à une certaine « part maudite » de la littérature. Camus n’est pas en capacité de comprendre toute littérature qui se confronterait au mal (ou à l’excès, ou au « noir »). Son incapacité également à penser la contradiction mentionnée plus haut le conduit à tenir des propos relevant de la sagesse des nations ou d’un « rideau de bons sentiments » (pour reprendre l’excellente formule de Breton).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quelques précisions supplémentaires s’imposent sur une telle incompréhension. Citons l’extrait suivant des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cent-vingt journées de Sodome </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour relever l’un des thèmes récurrents du texte sadien : « Est-il possible de commettre des crimes comme on le conçoit et comme vous le dites là ? Pour moi, j’avoue que mon imagination a toujours été en cela au-delà de mes moyens : j’ai toujours mille fois plus conçu que je ne l’ai fait, et je me suis plaint de la nature qui, en me donnant le désir de l’outrager, m’en ôte toujours les moyens ». Sade, donc, par l’intermédiaire des personnages de ses romans, témoigne inlassablement de ce hiatus entre les pouvoirs de l’imagination et le réalisable : celui-ci cèdant toujours devant ceux-là. C’est l’une des grandes leçons du texte sadien : Sade nous dit en quoi la littérature apporte le témoignage de cette liberté absolue, de l’imagination liée au désir, en comparaison de laquelle le vivre, le faire, le réalisable seront toujours en retard. Le contresens est d’autant plus total chez Camus qu’il ne veut pas comprendre, ou plutôt se trouve dans l’incapacité de comprendre ce qu’implique la « révolte absolue » chez Sade. Il y a comme une dialectique entre l’apologie du crime dans les romans et la condamnation du « crime légal » durant la Terreur qui s’avère vertigineuse. Mais ce vertige-là ne pouvait en aucune façon saisir Camus, philosophe de la mesure, homme trop raisonnable pour ne pas dire timoré. Il était en revanche échu à l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme révolté, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans ce climat de l’après Seconde guerre mondiale marqué par les révélations concernant les deux totalitarismes (le national-socialisme d’abord, puis le soviétique, mais principalement celles se rapportant à la découverte des camps d’extermination nazis) d’avancer l’argumentation selon laquelle Sade « a pris à son compte les découvertes qu’il voulait mettre au service du crime d’instinct ». Il est vrai que des intellectuels, en réduisant l’oeuvre de Sade à une anticipation du nazisme, avaient un peu plus tôt préparé le terrain. Mais sans l’étayer comme le fera Camus en excluant pour ce faire le divin marquis de la littérature, de la philosophie également, pour ne conserver de sa vie et de ses écrits que « le rêve monstrueux d’un persécuté ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il en va généralement de même, question traitement, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme révolté </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avec Lautréamont, Jarry, Rimbaud, le surréalisme. Mais précisons pour conclure : avec Sade les commentaires d’Albert Camus donneront davantage du grain à moudre à ceux qui, par la suite, se pencheront sur la vie et l’oeuvre de Donatien-Alphonse de Sade en se servant des mêmes lunettes déformantes.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:17pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">RESPONSABILITÉ DES ÉCRIVAINS : DE FLAUBERT À LA « LITTÉRATURE ENGAGÉE »</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Généralement les sociologues distinguent, depuis la classification établie par Durkheim, deux types de responsabilité : celle ayant trait aux « sanctions morales » et celle se rapportant aux « sanctions légales » (cette dernière se différentiant entre les sanctions relevant du pénal ou des droits civil et administratif). C’est là l’un des points de départ du livre de Gisèle Sapiro, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La responsabilité de l’écrivain </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(2011 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), qui entend depuis le XVIIIe siècle s’interroger sur les limites que la société assigne d’une époque à l’autre aux oeuvres littéraires. D’où la nécessité de séquencer cette histoire pour faire ressortir quatre moments clefs qui sont, selon l’auteure : la Restauration (celui de la « polémique anti-religieuse »), le Second Empire (de « l’offense aux bonnes moeurs et à la propriété »), la Troisième république (« l’atteinte à l’intérêt national »), la Libération (de « la trahison »).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans cette histoire Gisèle Sapiro consacre une large place aux deux célèbres procès qui, sous le Second Empire, intentés à Flaubert et Baudelaire pour « outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs » se sont conclus pour le premier par un acquittement (assorti d’un blâme pour avoir, avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Madame Bovary, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">écrit un roman « au réalisme vulgaire et souvent choquant »), et pour le second par une condamnation. Le procès de Baudelaire ayant eu lieu après celui de Flaubert, le Ministère public avait pu entre temps rectifier le tir (le même procureur Pinard isolant habilement plusieurs poèmes des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fleurs du mal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour justifier le bien-fondé de l’accusation). Rappelons qu’il fallut attendre 1949 pour voir ce jugement infirmé par la chambre criminelle de la Cour de Cassation !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Laissons pour l’instant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La responsabilité de l’écrivain </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour rester avec Flaubert. Citons cet extrait d’une lettre adressée le 12 juin 1867 à George Sand : « Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de bohémiens qui s’étaient installés à Rouen, - Voilà la troisième fois que j’en vois, - Et toujours avec un nouveau plaisir. L’admirable, c’est qu’ils excitent la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Haine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols, - Et j’ai entendu de jolis mots à la Prud’homme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de très complexe. On la retrouve chez tous les </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">gens d’ordre. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est la haine que l’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au poète, - Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités elle m’exaspère. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans ces lignes exemplaires, réjouissantes, nous avons-là comme un concentré de la « pensée » de Flaubert. Le propos sur le bédouin (l’arabe) prend le contre-pied du discours dominant en cette fin de Second Empire (celui d’un colonialisme bon teint). L’intérêt de Flaubert pour le monde arabe date de ses voyages en Orient. Dans les moments où l’écrivain désespérait de la vie (et de ses compatriotes), il projetait de quitter la France pour aller vivre chez ses chers bédouins : « Je suis autant chinois que Français, et je ne me réjouis nullement de nos victoires sur les arabes (…) J’aime ce peuple âpre, persistant, vivace, dernier type des sociétés primitives et qui, aux halles de midi, couché à l’ombre, sous le ventre de nos chamelles, raille en fumant son chibouk notre brave civilisation qui en frémit de rage ». Et puis le bédouin c’est le nomade, l’homme sans attaches, sans domiciliation. Avec l’hérétique, Flaubert renverse la perspective : d’où la défense de l’ivraie contre le bon grain, du désordre contre l’ordre établi, de l’inconvenance contre les convenances, etc. Et l’on pourrait poursuivre l’exercice avec le philosophe, le solitaire, le poète. On me rétorquera que les propos de Faubert, à l’instar de ceux de Chateaubriand, Nerval, Gauthier, qui l’avaient précédé en Orient, ne sont pas exempts d’une vision traditionnelle de l’Orient. Moins que ces trois autres écrivains, cependant, car la lecture de la Correspondance et des Carnets de voyage de Flaubert comprend davantage de témoignages en défaveur de l’orientalisme, critiques envers le comportement des voyageurs, ou rejetant le colonialisme.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pourtant c’est le même Flaubert qui, quatre ans plus tard, fera preuve de son incompréhension devant la Commune de Paris qu’il rejette : allant même, plus grave, jusqu’à justifier la répression qui s’abat ensuite sur les communards (toujours dans une lettre à George Sand). On a beaucoup glosé sur le comportement en l’occurence de Flaubert (plus que pour d’autres écrivains, pourtant encore plus hostiles que « l’ermite de Croisset » à l’insurrection parisienne). Si les opinions de Flaubert sur la Commune de Paris ne peuvent en aucun cas entraîner l’adhésion, je ne partage pas pour autant la déclaration bien connue de Sartre à la Libération, affirmant que Flaubert et Goncourt seraient responsables de la répression de la Commune « parce qu’ils n’ont pas écrit une seule ligne pour l’empêcher ». Sartre cite alors Voltaire, Zola et Gide : trois auteurs qui ont « en une circonstance particulière de (leur) vie, mesuré (leur) responsabilité d’écrivains ». Sartre ajoutant, un peu imprudemment : « L’Occupation nous a appris la nôtre ». Car il parait difficile - en terme de responsabilité de l’écrivain - de mettre sur le même plan Voltaire (la défense de Calas), Zola (son « J’accuse »), voire Gide (vis à vis de l’administration du Congo), et ce que Sartre pourrait rapporter de son attitude pendant la période de l’Occupation. Pour s’en tenir aux faits, et ne citer que celui-ci, Sartre s’accommodait fort bien de l’occupation allemande quand il lui fallait obtenir de l’autorité nazie compétente l’autorisation de faire représenter </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Mouches </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sur une scène de théâtre parisienne. Je veux bien admettre que cette oeuvre théâtrale exprimait dans le contexte de l’époque une aspiration à la liberté. J’irai même jusqu’à confirmer le propos de Simone de Beauvoir déclarant que la programmation des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mouches </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">représentait pour Sartre « l’unique forme de représentation qui lui fut possible ». C’est bien là le problème. Quand on sait que cette « forme de résistance » ne pouvait exister que parce que les nazis l’autorisaient, on en mesure toute la portée ! Évoquer ici un « double jeu » ou une « ruse de Sartre » parait peu sérieux, ni très convaincant. Le propos de Beauvoir, ce n’était certes pas son intention (il va sans dire !), s’avère en définitive plutôt cruel pour Sartre. Ceci, bien entendu, en regard de l’affirmation catégorique de Sartre sur Flaubert et Goncourt. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour ce qui concerne le refus de l’attribution du prix Nobel de littérature par Jean-Paul Sartre, Gisèle Sapiro (dans un article de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">En attendant Nadeau </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de novembre 2022 consacré à Annie Ernaux) refuse d’en connaître les véritables raisons quand elle écrit que le philosophe ainsi « utilisait de longue date sa renommée mondiale pour défendre les opprimés de par le monde, ce que la classe dominante ne lui a pas pardonné ». On s’interroge sur ce genre de dérobade, pour ne pas dire de cécité chez une sociologue spécialisée dans les questions se rapportant à l’engagement des intellectuels, et ce partant de leurs responsabilité. La défense en 1964 des « opprimés de par le monde » a bon dos alors qu’il importait pour Sartre de faire allégeance au « bloc de l’Est » en laissant entendre que d’autres, par exemple Aragon et Neruda, méritaient plus le Nobel que lui. Un tract surréaliste (« Le rappel de Stockholm ») indique, après s’être inscrit en faux contre des explications complaisantes, que l’attitude de Sartre visait à « réhabiliter l’intelligentsia stalinienne et à se porter garant de sa continuité idéologique à travers les virages de la dernière décade ». Les surréalistes font égalent valoir qu’en dédouanant « Aragon et Neruda, et en soutenant leur position de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nobélisables</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> », Sartre « renforce l’ordre littéraire qu’il fait mine de combattre ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Gustave Flaubert, s’ił condamne la Commune, n’en condamne pas moins dans sa Correspondance tous les courants politiques, de quelque bord et quelque nature soient-ils. Avec cependant une prédilection, dans la détestation, pour le bonapartisme : « Les impérialistes sont la pire canaille du monde » ou « Le plus infâme parti est celui de Badinguet ». D’ailleurs, précision utile, Flaubert reproche surtout à la Commune « d’avoir déplacé la haine » : c’est à dire d’avoir contribué à faire passer les prussiens plus sympathiques que les communards aux yeux de l’opinion publique (Flaubert répète qu’il ne « trouve rien de pire que l’occupation prussienne » et affirme à l’un de ses correspondants que « l’anéantissement complet de Paris par la Commune lui ferait moins de peine que l’incendie d’un seul village par les prussiens »). On pourrait résumer la pensée de Flaubert en 1971 par la formule suivante : « Tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétaire au niveau de la bêtise du bourgeois », et plus encore à travers la phrase suivante : « Ah ! comme je suis las de l’ignoble ouvrier, de l’inepte bourgeois, du stupide paysan, de l’odieux ecclésiastique ». Flaubert est évidemment impardonnable d’avoir écrit (à George Sand) : « Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune, et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats ». Des lignes bien connues, souvent citées. Certes Flaubert partageait les préjugés de la majorité des écrivains et artistes de sa « caste » et de son temps à l’égard du monde ouvrier et de la « question sociale ». Mais on le saurait le réduire (comme l’ont fait à la Libération Sartre et les staliniens) à cette malheureuse phrase. Sans même se référer à l’écrivain, au romancier qui plus que tout autre a renouvelé le genre romanesque dans le milieu du XIXe siècle, et à l’influence qu’il exerça sur des générations d’écrivains, Flaubert, dans sa Correspondance, témoigne d’une farouche indépendance d’esprit vis à vis de la société de son temps, de la doxa, des pouvoirs qui reste constante. Comme il le proclamait encore à la fin de sa vie : « Les honneurs détruisent, le titre dégrade, la fonction abrutit ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Du point de vue de cette « responsabilité des écrivains » - en l’élargissant aux artistes, voire aux intellectuels en général - la période de la Libération s’avère plus riche que celles qui la précèdent (pour revenir aux « quatre moments clefs » de l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La responsabilité de l’écrivain</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). En tout cas les enjeux qui y seront plus loin exposés, ceux relevant du « mouvement des idées », perdureront jusqu’au milieu des années soixante ; mai 68 et ses prémices inaugurant une autre époque. Avant d’en venir à l’épuration proprement dite, il convient de faire un état des lieux du paysage intellectuel (et politique) à la Libération. Le PCF se trouve alors dans une position hégémonique qu’il n’avait pas encore connue (et qu’il ne retrouvera pas ensuite). On l’explique généralement par son implication dans la Résistance et la place prise par le parti au sein de celle-ci. Ce qui mérite d’être discuté et relativisé avec le recul et les éléments d’information dont nous disposons aujourd’hui. Pour un début d’explication il nous faut revenir quatre années en arrière.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Après la défaite de juin 1940, le PCF entame des négociations (à l’initiative de l’Internationale Communiste «, ceci par l’intermédiaire de deux membres du bureau politique, Duclos et Tréand) avec les autorités allemandes pour faire reparaître </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’Humanité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(publiée clandestinement depuis octobre 1939). Les premiers contacts établis les 18, 19 et 20 juin sont suspendus après l’arrestation par la police française des militants communistes mandatés pour ces négociations, plus Tréand. L’avocat de ce dernier obtient, après un rendez-vous avec Otto Abetz, la libération des quatre communistes. Abetz prend alors l’initiative de recevoir plusieurs responsables du PCF (dont Tréand et Catelas) afin de poursuivre à un autre niveau ces négociations. Lors de cette réunion (le 26 juin) la délégation communiste s’engage à remettre aux autorités allemande « un plan de travail et de propagande ». À savoir la confirmation par écrit d’un accord verbal sur la ligne éditoriale de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: condamnation de l’Angleterre, dénonciation du général de Gaulle, et engagement en faveur de l’Allemagne nazie. Soit le prix à payer pour faire reparaître le quotidien communiste, mais également pour obtenir la libération de militants communistes emprisonnés par le gouvernement Daladier (et rétablir dans leurs prérogatives les élus communistes qui avaient été déchus de leurs fonctions après la proclamation du pacte germano-soviétique). </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui continue à paraître clandestinement, donne des gages de bonne volonté puisqu’on peut lire à la date du 4 juillet 1940 ces lignes édifiantes : « Il est particulièrement réconfortant en ces temps de malheur de voir de nombreux ouvriers parisiens s’entretenir avec les soldats allemands, soit dans la rue, soit au bistrot du coin. Bravo camarades, continuez même si cela ne plaît pas à certains bourgeois aussi stupides que malfaisants ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Parallèlement, la parution le 30 juin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La France au travail </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(journal au contenu anticapitaliste et antisémite, créé à l’initiative des nazis) n’est nullement dirigé contre le PCF puisque « remettre la France au travail » devient l’un des leitmotivs de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">clandestine durant l’été. Rappelons que ces négociations autour de la re-parution légale du quotidien communiste (dans lesquelles Duclos joue un rôle central) ont l’aval de Thorez (depuis Moscou), de Dimitrov et du Komintern. C’est ce dernier qui, changeant de ligne en août 1940, demande l’arrêt de ces négociations avec les autorités allemandes (qui se poursuivront néanmoins jusqu’au 27 août).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Après la rencontre entre Pétain et Hitler à Montoire (le 24 octobre 1940 : date officielle du début de la politique de collaboration), le PCF publie clandestinement plusieurs textes dans lesquels il condamne « la politique de Montoire » : cependant pas pour les raisons qui ont, à la Libération, été invoquées. Les communistes la désavouent en expliquant que cette politique n’est pas fondée sur la collaboration proprement dite mais sur « la soumission à l’Allemagne » (pareille soumission étant plus un facteur de guerre que de paix compte tenu « d’un effort de participation aux opérations militaires contre l’Angleterre »). Le PCF propose lui une politique de « collaboration vraie ». Ce qui signifie que cette collaboration-là repose sur l’égalité des droits entre les deux parties et le respect de l’indépendance nationale. Tous les communistes ne se situaient pas sur cette ligne durant cette période : à l’instar d’un Charles Tillon pour qui l’ennemi demeurait l’hitlérisme. Par ailleurs des militants communistes constataient, en zone occupée, que Vichy leur était plus hostile que ne pouvaient l’être les nazis envers les militants de la zone administrée par les Allemands. Mais ce courant « contestataire » restait minoritaire au sein du PCF. La ligne directrice du parti était établi par le noyau de dirigeants en contact avec Thorez et Moscou. Les rares communistes qui entreront dans la Résistance avant l’été 1941 le feront à titre individuel, en dehors des directives du PCF. Précisons que les intellectuels communistes, regroupés un temps autour de Politzer et du bulletin « L’Université libre » (créé en novembre 1940), se signalaient par le contenu plus antifasciste de leurs publications (celui par exemple de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Pensée libre</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). À partir d’avril 1941, l’Internationale Communiste infléchit sa ligne en privilégiant la « lutte de libération nationale ». D’où la création en France le 15 mai, à l’initiative du PCF, d’un Front National ayant vocation à regrouper tous les Français : à l’exception « des capitalistes et des traitres » (le second qualificatif concernait les « mauvais français » qui avaient rejoint de Gaulle à Londres). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le PCF reste sur la ligne d’un collaborationnisme bon teint, malgré l’inflexion qui vient d’être indiquée, ceci jusqu’à la rupture du pacte germano-soviétique le 22 juin 1941. La donne en est profondément changée : l’appel du 29 juillet au sabotage dans les colonnes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">clandestine</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sera entériné le 15 août par une déclaration du PCF préconisant la lutte armée. Les communistes viennent d’entrer dans la résistance. Cependant ils appartiennent au camp de résistants de la « troisième heure » : après ceux de la « première heure » (qui comme de Gaulle en juin 1940 avaient refusé la capitulation et l’armistice), et ceux de la « deuxième heure » (entrés eux dans la Résistance après l’officialisation d’une « politique de collaboration » entre l’Allemagne nazie et le gouvernement de Vichy). On mentionnera également les résistants de la « quatrième heure » (après la lourde défaite allemande de Stalingrad), et ceux de la « cinquième heure » (qui entreront en résistance au printemps 1944). Sans parler des résistants de la « dernière heure », une appellation peu contrôlée.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Par conséquent, présenter en 1944 le PCF comme « le parti des fusillés » est à la fois vrai et faux. Vrai en raison de l’implication d’un fort contingent de communistes dans la Résistance depuis l’été 1941, et des pertes humaines conséquentes que le PCF dû subir jusqu’à la libération de tout le territoire. Faux si l’on souligne le rôle joué alors par l’historiographie communiste pour conforter ce qui s’apparente en partie à un mythe. Il importait, j’y reviendrai plus loin, de faire accroire que les communistes avaient été des résistants de la « première heure ». Cette volonté propagandiste a pu prendre des aspects burlesques avec Maurice Thorez, exfiltré de l’armée française par le Kominterm en novembre 1939, qui ne reviendra en France que quatre ans plus tard. En juin 1945, lors du premier congrès dans l’après guerre d’un PCF devenu la principale force politique du pays, Thorez était ainsi accueilli par l’un des responsables des FTP : « Salut à Maurice Thorez, le premier en date des combattants sans uniforme contre le fascisme hitlérien et les traitres ! Salut à Maurice Thorez le premier des francs tireurs et des partisans français ! ». Que certains à l’époque, en dehors des staliniens il va sans dire, aient pu avaler ce genre de potion ne peut s’expliquer que par la manière dont le PCF réécrivait son action dans la Résistance afin de prétendre à la même légitimité que les gaullistes originels : la martyrologie (celle du « parti des fusillés ») empêchant ou minorant toute analyse objective des faits depuis la défaite de l’armée française. Pendant longtemps un « appel du 19 juillet 1940 », signé par Thorez et Duclos, a été présenté comme étant la date d’inscription du PCF dans la Résistance. Cet appel, comme le confirmeront plusieurs historiens communistes en 1975, était un faux. L’appareil du parti mettra un peu plus de temps à le reconnaître.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons en arrière. Une première tentative de création d’un Front National en mai 1941 (à l’initiative des communistes comme je l’ai indiqué) n’avait pas obtenu les résultats escomptés. L’idée renait dans le courant de l’été 1942 pour se concrétiser l’hiver suivant. Cette seconde mouture, contrairement à la précédente qui excluait les gaullistes, entend regrouper tous les patriotes. C’est dans ce contexte que nait le Comité National des Écrivains (en lieu et place d’un Front National des Écrivains) : le CNE regroupe des écrivains communistes et d’autres (comme Mauriac, Vercors, Duhamel, Paulhan…). Le 4 septembre 1944 le CNE dresse une première « liste noire » d’écrivains collaborateurs : y figurent Brasillach, Céline, Chateaubriand, Chardonne, Drieu la Rochelle, Giono, Jouhandeau, Maurras, Montherlant, Morand, Petitjean, Thérive. A ces douze premiers noms le Comité en ajoute quatre-vingt deux autres le 15 septembre. Puis des dissensions au sein du CNE (entre les communistes et les autres) nécessitent l’établissement de deux listes : la première regroupant des auteurs faisant l’objet de réprobations et de sanctions morales ; la seconde, plus restreinte, désignant les « grands coupables ». Faute de pouvoir s’entendre, une troisième liste comprenant 158 noms (mais où avaient été retirés ceux de 17 écrivains présents dans la liste « exhaustive » du 16 septembre) est publiée le 21 octobre dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Lettres françaises </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(le journal du CNE), avec la mention que les écrivains qui y figuraient étaient « inégalement responsables ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire de l’épuration des écrivains à la Libération mais de s’interroger sur certains de ses enjeux en termes de responsabilité individuelle et collective. Pour replacer cette histoire dans un cadre plus général, je précise que les responsables de l’État français vichyssois, incarcérés dans les lendemains de la Libération, relevaient tous de l’article 75 punissant « l’intelligence avec l’ennemi » et « l’atteinte à la sûreté nationale ». J’ajoute que l’ordonnance du 28 août 1944, puis celle du 28 décembre complétaient l’arsenal pénal à travers la constitution du crime d’indignation nationale. Ce chef d’accusation tombera en désuétude après la loi d’amnistie de 1951. Cette dernière loi signe la fin de la période d’épuration : même si cette épuration, très présente jusqu’à l’été 1945, avait progressivement perdu de son intensité par la suite.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour revenir à la question déjà posée avec Flaubert, de responsabilité de l’écrivain, il convient de s’arrêter longuement sur cette période riche d’enseignements en l’espèce, la Libération. Reportons l’interrogation sur les différents niveaux d’argumentation auxquels nous sommes confrontés ces années-là sous le chapitre accusatoire, lesquels, comme cela vient d’être rapidement évoqué avec le CNE, soulignent les contradictions présentes dans le camp des anciens résistants. Ce qui signifie que l’on apprécie différemment cette notion de responsabilité selon le caractère d’exemplarité ou pas de la politique à mener en matière d’épuration. Gisèle Sapiro, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La responsabilité de l’écrivain, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">indique que « les porte-plumes de la collaboration » (dont elle rappelle qu’ils furent « les premiers désignés pour porter la responsabilité de la trahison ») se trouvaient plus exposés que d’autres pour « limiter la responsabilité collective et décharger la société de sa responsabilité objective ». Car il faut bien admettre, ceci précisé, qu’il y eut un poids deux mesures entre les condamnations qui frappaient les intellectuels (surtout les écrivains et les journalistes) et celles qui se rapportaient aux industriels et chefs d’entreprise collaborateurs (les chiffres sont éloquents : d’une commission d’épuration à l’autre on relève 57 % de sanctions pour les dossiers examinés dans le premier cas, contre 12 % pour le second). Cela s’explique par le souci manifeste alors du pouvoir en place de « redresser le pays ». Il disait avoir besoin de ces « acteurs économiques » qui même s’ils avaient activement collaboré, s’avéraient indispensables (sauf cas extrêmes) pour remettre en activité l’économie du pays. Tous les courants politiques participant au gouvernement (des gaullistes aux communistes, en passant par les socialistes et le MRP) parlaient à quelques nuances près ici de la même voix. D’ailleurs, exemple parlant, les éditeurs qui se trouvaient au carrefour de ces deux types de collaboration, intellectuelle et économique, furent moins inquiétés que les écrivains. Avec l’effet pervers d’un Robert Denoël qui, un premier temps innocenté par la justice, sera assassiné cinq mois plus tard : l’auteur, ou les auteurs de ce crime n’ayant jamais été retrouvés.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Michel Surya, dans un livre essentiel sur la période 1944 - 1956 (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La révolution rêvée : pour une histoire des intellectuels et des oeuvres révolutionnaires </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), expose bien le dilemme qui se pose alors aux intellectuels et politiques qui, dans le camp des vainqueurs, entendent « penser » l’épuration : entre ceux qui « prétendent que l’épuration est elle-même le principe », quand d’autres « leur opposent qu’il faut qu’elle s’en donne un ». D’où cette opposition entre ceux, les seconds « qui prétendent juger », et ceux, les premiers, pour qui « se venger » suffisait. Il existait certes des dissensions au sein du CNE durant la guerre mais elles apparurent au grand jour à la Libération entre, sur cette question de l’épuration, les « ultras » (les communistes et leurs alliés en première ligne, Sartre et ses proches un ton en dessous) et les « modérés ». Cette opposition a pu à l’époque grossièrement recouper les notions de gauche et de droite. Mauriac, Duhamel, Paulhan, pour s’en tenir à ces noms, se retrouvent dans le camp « modéré » : celui de ceux qui demandent que soient pris en compte les différents degrés de culpabilité. Cependant, avec Paulhan plus particulièrement, cette opposition prend davantage un contenu philosophique quand, depuis le camp des « indulgents », l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lettre aux directeurs de la Résistance </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">affirme que les idées sont de moindre conséquence que les actes. Donc sont plus coupables parmi les collaborateurs ceux qui ont rendu effectives leurs idées, les ont concrètement réalisées, que ceux qui les ont émises. Ce qui, même indirectement, incitera Sartre à répondre que l’écriture est un acte. Paulhan, qui réclame « un droit à l’aberration » pour les écrivains, quitte le CNE (dont il est l’un des fondateurs) en 1947. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Julien Benda, l’un des intellectuels les plus en vue de l’entre-deux-guerre (et encore à la Libération, voire après) est quasiment oublié aujourd’hui. Si </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La trahison des clercs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1928), ouvrage dans lequel Benda dénonce le fourvoiement des intellectuels en politique, reste son livre le plus connu, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La France byzantine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(publié en 1945, alors fort commenté, mais disparu depuis déjà un certain temps de nos radars) mérite néanmoins d’être pris en compte pour revenir sur ce différend autour de l’épuration depuis une autre approche. Benda se classe à la Libération dans le camp des épurateurs les plus intransigeants. Ce qui le conduit, ceci prenant le pas sur d’autres considérations, à devenir un compagnon de route des communistes. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La France byzantine, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">précision utile, se révèle discutable d’un bout à l’autre. Cet ouvrage suscite cependant l’intérêt, sinon plus, en tant que symptôme d’un certain état de la critique en 1945, et témoigne de quelques uns des reclassements du « monde littéraire « de la France de l’après guerre. Dans ce livre Benda s’en prend à la littérature qui, depuis le romantisme, témoignerait d’une « crise d’affirmation » : l’auteur se situant a contrario dans une tradition française, disons rationaliste, celle de Descartes, Renan ou Taine, Benda accuse la littérature contemporaine de refuser l’analyse, de lui préférer à l’instar de Baudelaire « l’union mystique du sujet et de l’objet » ; de sacrifier l’universel au profit de l’individuel ; de pratiquer une « discontinuité intellectuelle » faisant le lit de l’irrationalisme (même chose pour la valorisation accordée à l’inconscient) ; de valoriser comme Flaubert la « joaillerie artistique », et ainsi favoriser la tendance à l’hermétisme (et à l’incommunicabilité) ; d’exalter « l’abjection humaine » ; enfin, à travers le principe de modernité, de s’approprier indûment l’idée de progrès.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un tel livre ne pouvait pas passer inaperçu en 1945. Les intellectuels communistes s’en inspireront (ou reprendront les thèmes les plus à même d’entrer en résonance avec un réalisme-socialiste repeint aux couleurs de la France) ; mais également, dans l’autre camp, un Marcel Aymé ; et aussi un Roger Caillois (ancien surréaliste, ancien proche de Bataille, évoluant après la guerre vers des positions conservatrices). Du côté stalinien, certes, on ne peut qu’approuver pareille défiance envers les avant-gardes littéraires (l’implicite de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La France byzantine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: d’autant plus, pour les contemporaines, qu’elles se positionnent contre le réalisme-socialiste) ; ou pareille défense de ce type de rationalisme ; ou encore (sinon plus) la condamnation sans appel d’une littérature exaltant l’abjection, ou supposée telle. D’ailleurs Claude Morgan, l’une des principales plumes staliniennes, rend compte d’une manière on ne peut plus favorable de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La France byzantine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans la presse communiste (en fustigeant au passage le « nihilisme intellectuel et moral » de Gide, et l’influence délétère de Flaubert sur le roman contemporain). Aragon dans sa recension s’en prend à Valéry, et revient à son tour sur Gide (déplaçant sur ce dernier l’accusation de Benda envers Claudel, lequel aurait déserté « l’esprit français pour adopter l’allemand »). Aragon ira même jusqu’à écrire dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Lettres françaises </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que Gide méritait de passer devant un tribunal d’épuration au prétexte que le vieil écrivain « s’était remis à l’étude de la langue allemande en 1940 ». Des lecteurs protestèrent. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Lettres françaises </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui n’étaient pas encore stalinisées s’en firent l’écho. Ces réactions contraignirent alors Aragon à faire cette piteuse mise au point : « Je ne demande pas que l’on fusille M. Gide. Je demande seulement qu’on ne le publie pas dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Lettres françaises. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il y a une nuance ». Tout Aragon est dans cette nuance !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Marcel Aymé (dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le confort intellectuel</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) part du postulat, avancé par Julien Benda, selon lequel le romantisme aurait largement sa part de responsabilité dans ce que l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Clérambard</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> entend condamner à la suite de Benda (avec Baudelaire comme principal accusé). Roger Caillois en 1948 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Babel </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(sous titré : « Orgueil, confusion et ruine de la littérature ») lui emboite le pas. Mais son argumentation, depuis un autre postulat de Benda (pour qui la raison, la clarté et l’intellect ne sont plus la règle dans une littérature soumise au monde des émotions), prend à partie la « littérature de révolte » (c’est l’ancien compagnon des surréalistes et de Bataille qui s’exprime ici), laquelle se complairait à privilégier « l’extravagant et l’ignoble, le sordide et l’infâme, le ridicule et le burlesque » pour s’abandonner aux « sensations morbides ou artificielles, aux hallucinations de la drogue, aux angoisses du vertige et de la folie » afin de promouvoir « le déchet ». Caillois écrit également : « Depuis le romantisme s’est accréditée l’idée que le poète est presque exclusivement un rebelle (…) Il se flatte de n’estimer les oeuvres qu’à proportion qu’elles sont subversives ». Citons aussi : « L’écrivain répudie tout ce qui constitue ou consolide l’ordre social. Il réserve sa sympathie au forçat ou à la prostituée ». Voilà, pour parler comme Flaubert, de bien jolis mots à la Prud’homme ! C’est d’ailleurs peut-être </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Babel </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui incitera Albert Camus à argumenter peu de temps après de la façon que l’on sait dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme révolté. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La postérité s’est montrée ingrate avec ce livre de Caillois, jamais cité, mais dont on retrouvera pourtant la substantielle moelle sous la plume de quelques pourfendeurs des modernités littéraires.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le plus significatif, pour ne pas quitter Roger Cailois, étant que celui-ci trois ans plus tôt s’exprimait encore depuis le camp « progressiste ». C’est à lui que la rédaction des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lettres françaises </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">confie le soin de rendre compte de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La France byzantine. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Son article n’est pas moins favorable que ceux de Morgan et d’Aragon (qui ont été publiés dans la presse strictement communiste). Caillois va même au-delà du propos de Benda quand il entend intenter un procès en responsabilité aux écrivains qui ont failli. Cette faillite ne pouvant pas seulement être imputée aux circonstances de la guerre (ce qui concerne les seuls écrivains collaborateurs). L’ouvrage de Benda sert ici de mode d’emploi puisque Caillois incrimine plus en amont les écrivains (et les courants littéraires) qui auraient indirectement entraîné la défaite de 1940. Une France qui, selon Caillois, n’aurait pas connu pareil effondrement en 1940 si la littérature auparavant, celle dénoncée dans la foulée de Benda, ne l’avait en quelque sorte anticipé, et par voie de conséquence précipité. Un constat lourd de signification ! Michel Surya dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La révolution rêvée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">souligne à juste titre que cette accusation se voulant progressiste reprend presque exactement celle que « formulaient cinq ans plus tôt les intellectuels reliés à la Révolution nationale ». Surya ajoute : « Les raisons qui se donnent comme progressistes aux lendemains de la guerre s’accordent, dans cette accusation portée contre la littérature et la pensée, avec les raisons qui se donnaient (Vichy) et se donneront (Aymé) conservatrices. Elles s’y accordent de façon qu’elles ne tentent pas même de dissimuler ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une telle constatation nous incite à reconsidérer l’épuration sous un angle encore différent : les partisans du « tout épuration » sur le plan littéraire (les staliniens et certains de leurs compagnons de route) ne sont-ils pas paradoxalement d’accord sur l’essentiel (la condamnation de la littérature telle que la formulent Benda, Caillois et les intellectuels communistes) avec ceux qu’ils accusent (et pour qui, du moins certains d’entre eux, ils réclament « le poteau d’exécution »), lesquels les avaient précédés depuis l’affirmation d’une même condamnation ? Le mode d’expression seul les différenciant, il n’est pas interdit, à titre d’hypothèse, de penser que ce maximalisme dans l’épuration - punir exemplairement les écrivains collaborateurs - contribuait à occulter cet accord, implicite, entre les accusateurs les plus vindicatifs à l’époque de la Libération et ceux qu’ils accusaient ; sachant que pour ces derniers la défaite de 1940 s’expliquait en partie par ce en quoi la littérature, du moins celle que les uns et les autres (pourtant ennemis à mort) s’accordaient à trouver pessimiste, défaitiste, nihiliste, voire abjecte. Ce que l’on peut traduire, comme l’écrit Surya en se replaçant dans le contexte de l’époque, par : « Aujourd’hui il ne s’agit plus d’épurer les lettres des littérateurs les plus corrompus, c’est la littérature elle-même qu’il convient d’épurer ». Et force est de constater qu’à la suite de Benda et de quelques autres (dont les communistes) cette épuration-là se rapporte à ce qu’il est convenu d’appeler la « littérature contemporaine », en particulier celle qui aurait partie liée avec la modernité. Pour ces épurateurs, conclut ici Surya, « la littérature de l’avenir ne sera innocente qu’à condition que celle du passé ait été toute coupable ». C’est peut-être forcer le trait, mais cet aberrant-là (la condamnation de toute littérature digne de ce nom) ne l’étaient nullement pour ceux qui faisaient allégeance au camarade Jdanov et promotionnaient ainsi l’inepte réalisme-socialiste.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il ne faudrait pas croire, ceci posé, qu’il s’agirait d’une exception française (en raison du contexte particulier de la Libération en France). Un écrivain « irréprochable » comme George Orwell, qualifié ainsi entre autres raisons pour son absence de compromis avec les staliniens, l’était moins lorsqu’il s’agissait pour lui, sur un mode certes différent de Benda, de souligner négativement le penchant d’écrivains pour l’immoralisme ou « l’abjection », au nom du principe selon lequel un artiste ou un écrivain « n’a pas à être exempt des lois morales qui pèsent sur les gens ordinaires ». Il y a un aspect spécieux, voire moralisateur dans cette formulation. Par souci de précision, je renvoie le lecteur à deux articles bien connus d’Orwell, qui datent tous deux de 1944 : « L’immunité artistique : quelque notes sur Salvador Dali » et « Raffles et Miss Blandish ». D’une manière parfois abusive (sa lecture de la « Common decency »), en sollicitant le texte d’Orwell, le succès un temps durant d’un Jean-Claude Michéa s’expliquait en partie par la volonté de l’auteur de dénoncer « l’indécence » des intellectuels pour mieux l’opposer à la « décence » des gens ordinaires. À travers ce populisme à la mode du temps, Michéa, de ce point de vue-là, n’est pas très éloigné de ce que formalisaient les intellectuels communistes à la Libération dans le domaine littéraire. Et puis, comment souscrire au propos de Michéa quand pareille défense et illustration des « gens ordinaires » débusque un conservatisme plus ou moins avoué ou assumé !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons à la période de l’Occupation en France. En juillet 1943 sort clandestinement un recueil intitulé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honneur des poètes. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette brochure composée par Éluard, Seghers et Lescure, comporte des poèmes des trois écrivains cités, plus d’autres : de Tardieu, Emmanuel, Aragon, Guillevic, Vildrac, Loys Masson, etc. L’édition brésilienne, un an plus tard, attire l’attention de Benjamin Peret, réfugié depuis 1941 au Mexique. Sa réponse (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le déshonneur des poètes</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), courte et cinglante, argumentée, prolonge le propos d’André Breton qui, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Misère de la poésie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par delà la défense par les surréalistes durant l’hiver 1932 d’Aragon inculpé à la suite de la publication du poème </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Front rouge, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">estimait que ce poème « sans lendemain parce que poétiquement régressif » devait être qualifié de « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">poème de circonstance</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » (j’ajoute, pour la compréhension d’un poème comportant le vers « Feu sur Léon Blum ! », qu’à l’époque de la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Front rouge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Aragon se situait dans la ligne de l’Internationale Communiste privilégiant alors la lutte contre la sociale-démocratie). Breton à travers cette formulation se référait plus particulièrement à Hegel, qui dans un des volumes de son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Esthétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">appelle « poésie de circonstance » des poèmes relevant d’un rapport au monde « réel, vivant et riche », mais qui font « rentrer la poésie sous la dépendance » et doivent à ce titre être placés sur « un rang inférieur ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Benjamin Péret, commentant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honneur des poètes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">souligne le rapport entre la forme (le retour « à la rime et à l’alexandrin classique ») et le fond (l’association du christianisme et du patriotisme) de cette anthologie poétique. Pour Péret « la poésie n’a pas à intervenir dans le débat autrement que par son intervention propre ». Ce qui n’empêche pas pour autant le poète de participer en tant qu’individu à l’action révolutionnaire : la poésie étant « libération totale de l’esprit humain » elle n’a pas de patrie puisqu’elle est « de tous les temps et de tous les lieux ». Péret conclut son libelle par une ode à la liberté, du moins la « liberté libre » telle que l’entendait Rimbaud. Ceci pour se différencier de celle que circonscrit le célèbre poème d’Éluard, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Liberté j’écris ton nom, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">présent dans cette anthologie. Nous ne pouvons que souscrire au propos de Péret pour qui tout poème « qui exhale une « liberté » volontairement indéfinie quand elle n’est décorée d’attitudes religieuses ou nationalistes, cesse d’abord d’être un poème et par la suite constitue un obstacle à la libération totale de l’homme, car il le trompe en lui montrant une « « liberté » qui dissimule de nouvelle chaînes ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On remarque, pour rester avec Éluard, que là où Breton citait Hegel pour s’en prendre à la « poésie de circonstance » (quitte à gauchir l’expression du philosophe), Éluard lui la valorise en faisant état d’un propos de Goethe écrivant (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Conversation de Goethe avec Eckermann</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Mes poèmes ont toujours été des poèmes de circonstance. Ils s’inspirent de la réalité, c’est en elle qu’ils se fondent et reposent. Je n’ai que faire de poèmes qui reposent sur rien ». Sauf que dans cet article (« la poésie de circonstance », publié en 1952), Éluard se garde bien de citer ce que Goethe ajoute ensuite : « Dés qu’un poète veut faire de la politique, il doit s’affilier à un parti, et alors, en tant que poète, il est perdu. Il lui faut dire adieu à sa liberté d’esprit, à l’impartialité de son coup d’oeil et tirer au contraire jusqu’à ses oreilles la cagoule de l’étroitesse d’esprit et de l’aveugle haine ». Parallèlement à cette lecture tronquée de Goethe, Eluard gratifiait ses lecteurs de vers qui n’ont pas besoin d’être commentés : « Car la vie et les hommes ont élu Staline / Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes ». Pauvre Éluard ! Lui qui avait été le surréaliste le plus virulent envers Aragon en 1932 (après que ce dernier ait trahi ses amis et ses engagements passés) : « Toute l’eau de la mer ne saurait laver une tache de sang intellectuelle » écrivait-il dans son cinglant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Certificat. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Et il en était réduit presque vingt plus tard à faire l’éloge de Staline le doigt sur la couture du pantalon !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout sépare </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honneur des poètes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le déshonneur des poètes. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le fossé entre ces deux conceptions de la poésie (dont l’une, la seconde, se trouvait marginalisée en 1945) s’élargira encore plus dans les lendemains de la Libération quand l’écrivain le plus représentatif de cet « honneur » enfoncera davantage le clou : « La poésie est redevenue langage », affirmera sans rire Aragon. C’était vouloir dire - certains s’en firent l’écho - que la poésie issue de Rimbaud et de Mallarmé, qualifiée intellectualiste, hermétique, élitiste, était devenue caduque. Un des porte-plumes staliniens écrira même que l’essence de la poésie était « de dire ce que pensent les foules ». La poésie devait servir, être utile, exprimer ce que les souffrances de l’Occupation avaient permis de retrouver : une France qui, définitivement débarrassée de Vichy et de Pétain, n’en conservait pas moins dans l’expression quelque chose de maréchaliste (les cloches, les blés et Maurice Chevalier : l’interprète en 1941 de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ça sent si bon la France,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> que Thorez et Aragon s’efforceront de « blanchir » au plus fort de l’épuration).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pourtant il était un poète, mises très à part les rhétoriques nationalistes et religieuses provenant des wagons tractés par la locomotive de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honneur des poètes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ce qui avec ce poète-là n’est pas rien !), qui pouvait, pour le reste, du point de vue de la lisibilité, de la simplicité, d’une poésie « lue par tous », s’accorder un tant soit peu avec ceux qui, à l’instar des staliniens, instruisaient le procès plus haut mentionné afin de promouvoir une poésie susceptible de « s’adresser aux masses » et d’être comprise par ces dernières. Pourtant avec ce poète, Jacques Prévert, il n’y eu pas véritablement d’accord. Car la poésie de Prévert se révélait trop irrévérencieuse, trop antimilitariste, trop irréligieuse, trop libertaire pour être enrôlée sous cette bannière. Ensuite le recueil publié par Prévert (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paroles, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1946) comprenait de nombreux poèmes écrits avant-guerre, et ceux qui dataient de l’époque de l’Occupation et de celle de la Libération ne se distinguaient pas des premiers. Ainsi la guerre n’avait pas eu de véritable incidence sur la production poétique de Prévert, laquelle restait pour l’essentiel fidèle à la vision du monde qui avait été celle du poète lors de sa période surréaliste, ou de son activité ensuite au sein du groupe Octobre. D’ailleurs le public qui dans les années d’après guerre fit le succès de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paroles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(plus aucun autre recueil passé ou à venir) connaissait du moins en partie ces poèmes (ceux mis en musique durant les années trente, et interprétés par Agnès Capri et l’incomparable Marianne Oswald).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Georges Bataille ne s’y trompa pas, en écrivant lors de la parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paroles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un article (« De l’âge de pierre à Jacques Prévert », dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Critique</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) qui tentait de s’abstraire de l’événementiel et des polémiques du moment (sur « la poésie de circonstance » et autour de la notion d’engagement) pour déplacer la question plus en amont. S’efforçant de définir la poésie non sans reconnaître le caractère « rudimentaire », puis « vague » de sa démarche, Bataille affirme finalement que « la poésie porte au rouge, trouve des notes aigües et communique une même étrangeté gênante </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à l’intérieur du temps. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce qu’elle exprime est partie du mouvement de l’histoire et la façon dont elle l’exprime est aussi une forme que prend ce mouvement. Mais il ne suffit pas de dire au poète : tel est l’événement que tu exprimeras ». On voit mieux où Bataille veut en venir. Commentant maintenant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paroles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« la poésie d’un homme extérieur au jeu littéraire »), Bataille illustre à travers des exemples parlants ce qu’il avait dans un premier temps laissé volontairement dans le vague. Le texte de Prévert est « précisément poésie » en tant que « démenti vivant » et « dérision » (…) de ce qui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">fige </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’esprit au seul nom de poésie ». Une expression poétique que Bataille ne veut pas séparer de l’homme Prévert qu’il a bien connu. D’où cette ébauche de portrait, très juste : « Il parlait sans fatras intellectuel, envoûtant qui l’entendait, d’habitude entouré de camarades très simples, souvent prolétaires ». L’important résidant dans les lignes suivantes, qui renvoient </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">fondamentalement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à la poésie de Prévert : « Ce qui au dernier degré est le propre de Prévert n’est pas la jeunesse - ce serait peu dire - mais </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’enfance, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le léger éclat de folie, l’enjouement d’une enfance qui n’a pour la « grande personne » aucun égard. La sorte d’éveil aigu, de coude à coude, d’ironie sagace et de « mauvaise tête » de l’enfant l’a gardé de ne rien concéder au sérieux de la pensée et de la poésie. L’enfant tire en nous la chaise aux prétentions qui font les « grands hommes », qui les rendent sombres et leur donne à découvrir chez les autres, une vanité qui n’a de sens que leur propre sottise ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Deux autres poètes, pour des raisons différentes, ne peuvent comme Prévert être rangés dans le camp de ceux qui se positionnèrent en rangs serrés derrière la banderole « l’honneur de la poésie ». René Char, qui rejoint la Résistance l’hiver 1942 (devenant responsable du secteur Durance sud), n’a pas publié durant l’Occupation. Char n’a cependant pas cessé d’écrire pendant cette période. Les notes et aphorismes poétiques rédigés en 1943 et 1944 dans le maquis du Vercors seront plus tard réunis dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les feuillets d’Hypnos. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il existe un monde entre cette poésie et celle écrites durant les mêmes années par les Aragon, Éluard et compagnie. D’un côté, avec ces derniers, nous sommes en présence d’une « poésie de circonstance » qui aligne ses alexandrins en se référant à une France éternelle (que l’on disputerait à Vichy, en quelques sorte). De l’autre, avec Char, les notes des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Feuillets d’Hypnos </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(dont leur auteur indique qu’elles furent écrites dans « la tension, la colère, la peur, l’émulation, le dégoût, la ruse, le recueillement furtif, l’illusion de l’avenir, l’amitié, l’amour ») aident à vivre, tout simplement. Mais davantage encore, quoique « affectées par l’événement », elles s’insurgent contre un monde qui réduirait la poésie à une fonction utilitaire, voire moralisatrice. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le second de ces poètes, Pierre Reverdy, n’a également rien publié durant l’Occupation malgré les sollicitations dont il était l’objet. Ce refus catégorique allant même jusqu’à provoquer l’incompréhension de Seghers et d’Éluard, désireux d’obtenir la participation de Reverdy à la brochure </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honneur des poètes. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Après la Libération, parallèlement à la publication de recueils de poésie, Reverdy rédige trois petits essais (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette émotion appelée poésie, Circonstances de la poésie, La fonction poétique</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) entre 1946 et 1949 : le troisième d’entre eux figure parmi les plus importants textes de réflexion sur la poésie au XXe siècle. Les deux autres, plus particulièrement le second, sont indirectement une réponse à la notion de « poésie de circonstance » : d’où ces « circonstances de la poésie » que Reverdy oppose aux mots d’ordre du jour. Lors d’un enquête de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Arche </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">posant en 1945 la question (« La guerre a-t-elle eu une influence sur votre oeuvre ? »), Reverdy, après des considérations sur les circonstances durant lesquelles le poète peut s’y trouver confronté, n’entend cependant pas subordonner l’expression poétique à « l’évènement » (« pour grand soit-il »), sinon celui-ci ne serait « qu’une vaine grandiloquence ». Quant à la poésie dite « à hauteur d’homme » (formule utilisée par Jean Lescure pour qualifier la poésie d’André Frenaud), Reverdy indique qu’il craint « qu’elle ne puisse jamais être au-dessous de la poésie et au-dessous de l’homme. Car tenter de s’exprimer en art est, avant tout, je suppose, vouloir se soulever, se dépasser ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> De la « poésie de circonstance » à la littérature engagée » il n’y aurait qu’un pas ? Selon Gisèle Sapiro le concept de « littérature engagée », celle de Sartre du moins, « ne peut se comprendre que sur fond de procès et des débats qu’ils ont suscité autour de la responsabilité de l’écrivain ». Je me garderai bien d’entrer ici dans les méandres de la pensée de Sartre. D’ailleurs celle-ci, comme on le verra plus loin, s’est révélée fluctuante sur ce genre de question. Un ouvrage comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’est-ce que la littérature ? </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(publié en 1948)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">défit parfois l’analyse. Il y a un côté professoral chez Sartre qui réclame « la synthèse, la synthèse ! » devant ce qui échappe à sa compréhension. Les pages que le philosophe consacre au surréalisme l’illustrent plus que d’autres. En tout cas cette « philosophie de la liberté » dont on crédite alors Sartre sera plus tard soumise à une rude épreuve quand le philosophe, en publiant en 1952 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les temps modernes</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> l’article « Les communistes et la paix », se rapproche du PCF jusqu’à devenir durant les années suivantes l’un de ses compagnons de route. Un compagnonnage qui se transforme en alignement dans un entretien à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Libération </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(celui de la presse communiste) titré « La liberté de critiquer est totale en URSS ». On ne sait pas si Sartre avait la mémoire courte ou l’échine particulièrement souple : rappelons qu’auparavant, parmi d’autres perles recueillies dans la presse stalinienne, Sartre y était présente comme « l’homme providentiel du fascisme ». Michel Surya le commente ainsi : « Car c’est une constance de cette guerre de position idéologique qu’il suffise que ceux-là que les communistes tenaient pour rien, il y a peu encore, se tiennent eux-mêmes soudain pour rien, et les rallient, obéissant à un mouvement fait pour effacer les insultes qu’il leur avait fallu essuyer ; et aussi pour que les communistes eux-mêmes oublient les insultes dont ils s’étaient montrés prodigues ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sartre avait certes été insulté par les staliniens, mais le lecteur qui vient de prendre connaissance de ce rappel sur « l’homme providentiel du fascisme » sera peut-être étonné d’apprendre qu’il y avait encore pire dans le genre. Ce pire concernait les anciens communistes qui avaient non seulement trahi le parti, mais également, circonstance aggravante, la classe ouvrière. Alors qu’un intellectuel comme Sartre ne trahissait, ici pour le mieux, que sa classe d’origine en devenant un compagnon de route des communistes, prouvant si besoin était l’excellence de la thèse selon laquelle « le parti a toujours raison » puisqu’un « adversaire de classe » aussi prestigieux que Sartre se rendait finalement à ces raisons. Dans le même ordre d’idée, comme l’indique Surya, la preuve était faite « qu’un intellectuel bourgeois témoigne publiquement, par sa conversion, de sa mauvaise conscience ». Durant ces années de compagnonnage Sartre a avalé maintes couleuvres. Cependant il ne résolut pas à avaler celle, de taille conséquente (plus que les autres assurément), qui en 1956 vit le PCF soutenir et justifier l’écrasement de l’insurrection de Budapest par les chars soviétiques.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sartre dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’est ce que la littérature ? - </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">malgré ses déclarations alors de défiance, sinon plus (celles que retenaient les staliniens pour se retourner contre le philosophe : citons par exemple « Puisque nous sommes encore libres nous n’irons pas rejoindre les chiens de garde du PC », phrase savoureuse quand on connaît la suite, ou « Le PC n’est plus un parti révolutionnaire ») - n’en estimait pas moins, au sujet du PCF : « On ne peut guère aujourd’hui, et en France, atteindre les classes travailleuses si ce n’est à travers lui ». Ce pas, Sartre le franchira en trois étapes. D’abord lors des dissensions qui apparaîtront en 1949 au sein du Rassemblement Démocratique Révolutionnaire (David Rousset et ses amis choisissant le camp américain), ensuite lors de la guerre de Corée, enfin avec l’article « Les communistes et la paix » (le propos « comment pouvez-vous croire à la fois à la mission historique du prolétariat et à la trahison du parti communiste, si vous constatez que l’un vote pour l’autre » résume le tout : une phrase digne de figurer dans une anthologie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La dialectique pour les nuls </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">!).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La notion de « littérature engagée » s’est quelque peu délitée depuis les années 1960, par profusion de sens dirais-je. À la Libération cette terminologie était en vogue, et plus associée aux personne et pensée de Sartre que quiconque. Cependant plusieurs écrivains - et non des moindres ! - l’ont discutée et même récusée. Un article de l’importance de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et le droit à la mort </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Maurice Blanchot (1948) excède cette thématique (d’ailleurs Blanchot ne parle pas de « littérature engagée » dans ce texte) mais représente néanmoins une réponse oblique à Sartre. Blanchot doute d’abord du postulat selon lequel l’écrivain « affirme maintenant que sa fonction est d’écrire pour autrui, qu’en écrivant il n’a en vue que l’intérêt du lecteur ». Ce qui pour Blanchot s’apparente à un leurre. Il y répond sur le mode de la variation depuis un thème appelé « la cause » (à savoir les différentes manières de s’y conformer ou de s’y confronter) : depuis l’homme qui y adhère jusqu’à l’écrivain « qui semble avoir partie liée avec la Cause ». Blanchot indique que ce qui intéresse l’écrivain dans la Cause « c’est sa propre opération ». Et il ajoute : « On comprend la méfiance qu’inspirent aux hommes engagés dans un parti, ayant pris parti, les écrivains qui partagent leurs vues : car ces derniers ont également pris parti pour la littérature, et la littérature, par son mouvement, nie en fin de compte la substance de ce qu’elle représente. C’est là sa loi et sa vérité. Si elle y renonce pour s’attacher à une vérité extérieure, alors elle cesse d’être littérature et l’écrivain qui prétend l’être encore entre dans cet autre aspect de la mauvaise foi ». Pour résumer (ce ne sont pas dans cet article les commentaires de Blanchot sur Kafka et Mallarmé qui le démentiront) : le seul parti que puisse prendre les écrivains est celui de la littérature. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cela n’est pas anodin de constater que René Char, de manière indirecte, et Joe Bousquet, plus directement, sont intervenus dans le débat en répondant à l’enquête d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Action </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">évoquée dans le chapitre précédent (« Faut-il brûler Kafka ? »). Char déclare vouloir refuser qu’on lui assigne « un choix préalable, une obéissance, une discipline, des directives » qui ne peuvent engendrer que « asphyxie, névrose, stupidité ». Tandis que Bousquet détourne le terme « littérature engagée » pour l’appeler « littérature dirigée ». À travers cette terminologie, le poète de Carcassonne s’en prend aussi aux communistes. Une « littérature dirigée » qui, selon l’heureuse formule de Bousquet, « dégringole un escalier de contresens ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> André Breton, de manière plus frontale, conclut un texte de 1947 (S</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">econde arche</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), consacré à la situation du surréalisme à Prague par le propos suivant : « Aucun impératif politico-militaire ne saurait être reçu ni promulgué dans l’art sans trahison. Le seul devoir du poète, de l’artiste, est d’opposer un NON irréductible à toutes les formules disciplinaires. L’ignoble mot « d’engagement », qui a pris court depuis la guerre, sue une servitude dont l’art et la poésie ont horreur. Heureusement, le grand témoignage humain, celui qui a su jusqu’ici défier le temps, fait de ces petites interdictions, de ces amendes dites comme par antiphrase « honorables », de ces compromis honteux une justice torrentueuse ». Même si Breton et les surréalistes vont durant l’hiver 1949 soutenir les efforts du Rassemblement Démocratique Révolutionnaire (Breton intervenant lors de la première réunion publique en prononçant un discours qui excédait quelque peu les objectifs et le cadre fixé par les organisateurs de la soirée) ce soutien n’excèdera pas quatre mois. Il est dommage que les remous crées dans la salle lors de la seconde réunion publique du RDR par l’intervention du physicien américain Carl Compton (défendant ce qu’on n’appelait pas encore du nom de « dissuasion nucléaire ») avaient contraint les organisateurs à suspendre la réunion : Breton, prévu parmi les derniers intervenants, ne put s’exprimer. Dans cette intervention (« Allocution au meeting du 30 avril 1949 ») on retient surtout que les surréalistes refusent de choisir entre les deux tendances devenant irréconciliables apparues au RDR, comme Rousset venait de le faire avec le camp dit « libre » (celui américain), et comme Sartre s’apprêtait à le faire avec le camp soviétique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il faut revenir en arrière, en novembre 1944, pour trouver par anticipation un démenti sans commune mesure de la « littérature engagée ». Ce court article de Georges Bataille (« La littérature est-elle utile ? »), publié dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Combat, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">vaut aussi comme réponse à la « poésie de circonstance » qui fait alors florès. La différence, avec l’attitude polémique plus frontale de Benjamin Péret, étant par exemple que Bataille, par delà ce qui inscrit son article dans l’actualité du moment, pose la question plus en amont de l’utilité de la littérature : c’est dire « le fait que la littérature se refuse de façon fondamentale à l’utilité ». Ce qu’il introduit de la façon suivante : « Je n’écris authentiquement qu’à une condition : me moquer du tiers et du quart, toutes les consignes aux pieds ». D’où un propos s’opposant de la manière la plus radicale à cette « chute dans l’utilité », laquelle laisse le champ libre « aux arlequins de la propagande ». Contre « la peur de la liberté » et le « besoin de servitude » liés à l’utilité, la « vraie tâche » de l’écrivain pour Bataille est de révéler « à la</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">solitude de tous une part intangible que personne jamais n’asservira ». Sur le plan politique cette liberté-là annonce « cette part libre de nous-mêmes que ne peuvent définir les formules, mais seulement l‘émotion et la poésie des oeuvres déchirantes ». Une liberté que Bataille définit comme « hardie, fière d’elle et sans limites, qui fait quelquefois mourir, qui fait même aimer de mourir ». Bataille conclut son article par : « Ce qu’enseigne ainsi l’écrivain authentique - par l’authenticité de ses écrits - est le refus de la servilité (c’est en premier lieu la haine de la propagande). C’est pour cela qu’il n’est pas à la remorque des foules et qu’il sait mourir dans la solitude ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> De telles lignes niaient par avance, je le répète, l’idée de « littérature engagée ». Michel Surya le relève en précisant : « La littérature a moins à lutter pour la liberté (et à s’assujettir à cette lutte) qu’elle n’a à être elle même l’aune à laquelle on mesure la liberté. Ce qui revient à dire : une liberté incapable des excès qui lui sont naturels sinon inhérents - excès dont il ne faut pas ignorer qu’ils peuvent à tout instant être tenus pour liberticides - est une liberté condamnée ». On ne peut pas dire que la réponse ici de Sartre à Bataille dans un article des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps modernes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- reproduit ensuite dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’est ce que la littérature ? </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- ait été à la hauteur de ce qui vient d’être exposé : seul un laconique « les gloses de Georges Bataille sur l’impossible ne valent pas le moindre trait surréaliste » (nous remettons cette affirmation dans la perspective d’un chapitre où le surréalisme se trouve particulièrement malmené) se signalent à l’attention du lecteur. Sartre, dans une note ajoutée plus tard lors de la parution de son livre, écrit mesquinement que « Bataille a tort de passer pour un champion du surréalisme » puisque, dans « une conversation privée avec Merleau-Ponty », Bataille aurait dit à ce dernier « Je fais les plus grands reproches à Breton mais il faut nous unir contre le communisme » » (ce qui ressemble peu, dit dans ces termes, à un propos de Bataille). Cette conversation précédait l’envoi d’une lettre rendue publique par Bataille (adressée à Merleau-Ponty) l’informant qu’il retirait l’article promis aux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps modernes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« en raison de la désinvolture avec laquelle Sartre avait parlé des surréalistes dans sa revue ». Plusieurs années plus tard, Bataille précisera : « Un jour Merleau-Ponty me prévint de l’existence de cette note ; il ajouta : « Je ne me souviens plus très bien de ce que j’ai dit à Sartre mais cela ne devait pas être exactement ce que vous m’aviez dit et je suis sûr que Sartre n’a pas reproduit exactement ce que je vous avais dit » ». En faisant publiquement état d’un propos qu’il n’avait pas personnellement entendu, et en le déformant sciemment, Sartre, comme l’indique Bataille, « manoeuvrait, me prêtant une phrase qui devait susciter contre moi la double hostilité de Breton et des communistes ». Ainsi parlait Jean-Paul Sartre depuis la conciergerie des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps modernes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: rideau !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Georges Bataille, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lettre à René Char sur les incompatibilités de l’écrivain </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(la réponse en 1950 à une question posée par Char), d’une manière moins virulente que dans « La littérature est-elle utile ? », revient sur ce questionnement et prend acte de ce qui a été écrit entre temps sur le sujet. Entre deux conceptions autant opposées que peuvent l’être, d’un côté celle de Blanchot (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et le droit à la mort </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« qui dénie le sérieux de la question »), et de l’autre celle de Sartre (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’est-ce que la littérature ?</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui n’a jamais reçu que des réponses insignifiantes », Bataille a choisi son camp et cela ne date pas d’hier : vis à vis de Sartre il rappelle à son interlocuteur ce qu’il exposait déjà dans « La littérature est-elle utile ? ». Puis précise plus loin (pour répondre à la question posée par Char sur ces « incompatibilités ») : « L’incompatibilité de la littérature et de l’engagement, qui oblige, est donc précisément celle de contraires. Jamais l’homme engagé n’écrivit rien qui fut mensonge, ou ne dépassât l’engagement. S’il semble en aller autrement, c’est que l’engagement dont il s’agit n’est pas le résultat d’un choix, qui répondit à un sentiment de responsabilité ou d’obligation, mais l’effet d’une passion, d’un insurmontable désir, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui ne laissèrent jamais le choix</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Ce qui n’empêche pas que l’écrivain puisse s’accorder avec une « action politique rationnelle », et même « l’appuyer dans ses écrits », mais Bataille soumet ce soutien à une série de conditions qui l’entraînent à résumer sa position dans les termes suivants : « L’esprit de la littérature est toujours, que l’écrivain le veuille ou pas, du côté du gaspillage, de l’absence de but défini, de la passion qui ronge sans autre frein qu’elle même, sans autre fin que de ronger. Toute société devant être dirigée dans le sens de l’utilité, la littérature, à moins d’être envisagée, par indulgence, comme une détente mineure, est toujours à l’opposé de cette direction ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On ajoutera que la radicalité d’un tel positionnement peut, dans des circonstances précises, trouver sa limite. Par exemple lorsqu’en 1958, sollicité par Dionys Mascolo, Bataille répond alors par la négative à la proposition faite par son interlocuteur de riposter collectivement à la prise de pouvoir de de Gaulle (riposte liée au risque d’une dictature qui, en juin 1958, n’était nullement hypothétique). Cette activité politique, sans Bataille donc, se concrétisera dans un premier temps à travers le bulletin </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">14 Juillet. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Même si Bataille dit être pleinement d’accord avec la notion de « refus inconditionnel », présente dans le courrier de Mascolo, les raisons qui y président lui semblent équivoques. On a cependant des difficultés à suivre Bataille quand, liant le « refus inconditionnel » à « l’affirmation de ma souveraineté », il n’entend pas « laisser une si violente affirmation dans la boue du compromis » que représente pour lui « le domaine politique ». Ici en l’occurrence, il ne peut que seulement s’accorder avec ce qui « évite le pire ». Le raisonnement finit par tourner à vide lorsque Bataille avance que la « situation impossible » dans laquelle se trouvent pris ses interlocuteurs (dont la plupart sont ses amis) débouche sur un « bavardage impuissant ». On pourrait à sa décharge évoquer quelque permanence de cette « négativité sans emploi » évoquée dans un important courrier de Bataille à Kojège en 1937. Mais à vrai dire les enjeux philosophiques présents dans cette lettre sont sans commune mesure avec les justifications tardives de Bataille en juin 1958.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Néanmoins, ceci précisé, le refus d’une activité politique en de tels termes étonne puisque, fin 1956 encore, Bataille avait rallié le Comité intellectuel révolutionnaire créé au lendemain de l’insurrection de Budapest (de sa répression plutôt par l’armée rouge). Que s’était-il passé ensuite pour que Bataille refuse ce que 18 mois plus tôt il acceptait ? Entre temps, il est vrai, le diagnostic de la maladie qui devait emporter Bataille en 1962 avait été posé. Les problèmes de santé prendront à partir de 1957 une place importante, voire essentielle dans la vie de l’écrivain, l’obligeant plusieurs fois à ajourner des projets exposés précédemment à l’un ou l’autre de ses correspondants. On peut faire ici l’hypothèse que le pessimisme exprimé en 1958 par Bataille - le mot n’est cependant pas prononcé - s’explique également par son état de santé. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette séquence se termine avec le Manifeste des 121 (le prolongement de l’activité dispensée au sein de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">14 Juillet </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">principalement). Ce qui s’ensuit, mai 68 ses prolégomènes et ses conséquences, appartient à une autre histoire</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:17pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">INCREVABLE SURRÉALISME !</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Aucune volonté de « transformer le monde » selon le processus révolutionnaire hérité des luttes ouvrières des XIXe et XXe siècles, ne peut - en dépit des garanties qui seraient présentées - véritablement « changer la vie » sans prendre en compte les dimensions artistiques et poétiques (quant à l’action qui résulterait de cette volonté). C’est aussi vouloir affirmer en retour que l’art et la poésie ne peuvent être dépassés, alors qu’ils contriburaient à infléchir l’impératif « changer la vie », sans être en même temps l’un des agents structurants de cette volonté de « transformer le monde » inhérent au processus de révolution sociale.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> À ce sujet rappelons que le surréalisme, plus que tout autre mouvement artistique dit « d’avant-garde », s’est efforcé, depuis les moyens d’expression qui lui étaient propres, de réaliser avec une constance qui n’avait pas d’égal le « programme » le plus ambitieux qu’ait connu XXe siècle : à savoir la capacité pour chaque individu de vivre poétiquement dans l’ici et maintenant. Ce qui n’était nullement incompatible avec cet autre projet, issu du mouvement ouvrier du siècle précédent, de transformer le monde pour accoucher d’une société plus libre, plus juste, plus solidaire, abolissant les classes sociales. Mais pareille ambition serait restée à l’état de lettre morte si le surréalisme s’était aligné sur l’une ou l’autre des organisations (ou courants politiques) avec il il avait établi des liens de compagnonnage ou partagé ponctuellement des objectifs précis. C’est dire que le surréalisme, à plusieurs reprises durant l’existence du groupe, s’est trouvé confronté à un souci, un besoin, une exigence : ceux de préserver une autonomie que seul garantissait le « programme » évoqué ci-dessus. Non pas dans la mesure où celui-ci connaitrait un début de réalisation (comme on pourrait le dire d’une situation révolutionnaire) mais en conservant ce tranchant et cette qualité, ou le tranchant d’une telle qualité : continuer à vouloir parier sur la subversion poétique initiée par le mouvement Dada. En le prolongeant à travers les trois données suivantes : l’écriture automatique, le scandale (la volonté de nier les valeurs les plus établies de la société), et la rencontre (la fusion) de l’imaginaire et du quotidien.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il est convenu à juste titre de se référer aux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Champs magnétiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Breton et Soupault pour désigner la première expression revendiquée de l’écriture automatique. Le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Premier manifeste du surréalisme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en déclinera toutes les occurrences afin d’en faire l’une des pierres angulaires du mouvement naissant. Par delà les aspects « techniques » ou « cliniques » de l’automatisme, auquel les noms de Myers et plus encore de Freud peuvent être associés, deux références fondamentales du surréalisme, Rimbaud et Lautréamont, doivent être maintenant convoquées pour bien préciser la nature des enjeux que recouvre la notion d’écriture automatique. Le premier, dans sa </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lettre au voyant, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">préconise « un long, immense et raisonné </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dérèglement de tous les sens</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». À l’aune de l’oeuvre rimbaldienne, c’est vouloir infléchir la poésie dans une direction qui l’affranchirait de principes formels confondus jusqu’à ce « moment Rimbaud » avec l’expression même de la poésie. Le terrain avait été en quelque sorte préparé par la modernité initiée dans un premier temps par Baudelaire, puis sur un mode différent par Mallarmé. Tout comme il convenait également de prendre en compte la donnée spirituelle issue du romantisme et dirigée contre la rationalité du monde bourgeois. Quant à Lautréamont, proclamant dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poésies </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« La poésie doit être faite par tous, non par un », l’écriture automatique y répond par excellence. Il s’agit d’en finir avec la littérature entendue comme une pratique réservée à quelques « élus ». Cela pour répondre au voeu de Lautréamont : d’une poésie faite par tous.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci pour l’ambition affichée. André Breton reconnaîtra en 1933 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Message automatique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que « l’histoire de l’écriture automatique serait, je ne crains pas de le dire, celle d’une infortune continue ». Il ajoute : « Durant des années j’ai compté sur le débit torrentiel de l’écriture automatique pour le nettoyage définitif de l’écurie littéraire ». Les résultats ne sont certes pas à la hauteur des espérances de la première génération des surréalistes. Ce constat fait (sans taire sa part de responsabilité), Breton revient sur des principes quelque peu « écornés » depuis la naissance du mouvement surréaliste. D’abord l’automatisme avait pris davantage une tournure spirite et médiumnique, ce qui n’était pas sans réduire son ambition. Il importait par conséquent de remettre le cap sur Rimbaud et Lautréamont. Plus fondamentalement, ce constat d’échec fait, il ne s’agissait pas de céder sur l’essentiel : la nécessité pour tous les hommes de se convaincre des possibilités pour chacun d’entre eux de pouvoir recourir à volonté au langage automatique, à la poésie donc.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En second lieu, la notion de « scandale », qui renvoie à ceux inaugurés lors de l’époque Dada, visait à discréditer les idées de patrie, de religion, de famille, de travail, mais également l’armée, l’enfermement carcéral et asilaire, et plus généralement toutes les institutions du monde bourgeois. Et qui, sinon les surréalistes, s’y adonnaient avec constance, permanence, détermination. En dépit de ce que l’on en dit aujourd’hui à l’heure de la mondialisation, sous le rapport de la (relative) déliquescence de la famille, ou de la perte d’influence de l’Église catholique, les surréalistes, les premiers ont défendu collectivement, sur un ton qui n’appartenait qu’à eux, une conception du monde qui entendait ruiner de telles « idées » pour détruire les fondements du monde bourgeois. Ces « scandales » représentant la partie « révoltée » de l’activité surréaliste.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin, la mention d’une rencontre entre l’imaginaire et le quotidien recouvre les notions de hasard objectif, de merveilleux, voire d’érotisme, ainsi que les mythes de la réconciliation poétique de l’homme avec le monde, la reconfiguration par l’imaginaire de l’espace urbain, et la pratique des jeux collectifs surréalistes. L’on retrouve sous ce chapitre la dimension la plus singulière du surréalisme. Il va de soi que ces rencontres, cette démarche (le vivre poétiquement son existence), à la mesure de « l’engagement » qu’elles impliquent et nécessitent, se heurtent de plein fouet à la passivité générée par le monde tel qu’il va : aux « petits hommes » que la société façonne en limitant leur univers physique et mental à l’horizon borné de la marchandisation généralisée, et à travers elle aux modes de consommation et de culture de masse.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> POUR LA FIGURATION, MESSIEURS, VOUS REPASSEREZ !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Jean Bazin et Jérôme Duwa, dans le texte « Entrée des figurants » (mis en ligne sur le site de « L’association des amis de Benjamin Péret »), s’en prennent au livre de Radovan Ivsic, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rappelez-vous cela, rappelez-vous bien tout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(paru aux Éditions Gallimard en 2015), mais également à l’article d’Alain Joubert, « Le témoin capital », qui en rend compte dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La nouvelle Quinzaine littéraire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de juin. Ce désaccord porte principalement sur Jean Schuster, et accessoirement l’histoire du mouvement surréaliste dans l’après guerre : Bazin et Duwa évoquent d’emblée « une pure désinformation » chez Ivsic, et plus encore Joubert. Pourtant, ces trois textes lus, le lecteur attentif peut retourner l’accusation contre les deux rédacteurs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le livre de Radovan Ivsic (principalement un témoignage personnel sur André Breton) sert surtout de prétexte à Bazin et Duwa. Si l’on en croit leur proximité avec la personne et l’oeuvre de Jean Schuster cette « querelle » ne daterait pas d’aujourd’hui. Je relève que la réponse d’André Breton à Jean Schuster, dont témoigne Ivsic, doutant fortement de l’apport d’un ouvrage comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mots et les choses </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au surréalisme, est parfaitement justifiée. Il paraît possible que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’histoire de la folie à l’âge classique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(pour citer un autre livre de Foucault) eut davantage intéressé Breton. Mais ce dernier ouvrage n’avait pas créé l’avénement lors de sa publication. Ce qui ne sera pas le cas avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mots et les choses, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un livre très commenté en 1966, en particulier par les intellectuels que fréquente alors Schuster. On aimerait que Bazin et Duwa nous expliquent en quoi Schuster « a eu raison d’essayer de tirer un parti surréaliste de ce livre important ». Mais l’on subodore que ce « parti surréaliste » n’a pas plus d’efficience que le couteau de Lichtenberg. Quant à Vincent Bounoure, dont il n’est nullement question de récuser la contribution au surréalisme, il faudrait entrer dans trop de détails pour relever en quoi on peut s’accorder ou pas avec certaines de ses interventions ou déclarations au sein du mouvement. En tout cas la remarque de Breton, rapportée par Ivsic en terme de « glose universitaire », me semble également justifiée si l’on se réfère par exemple à l’ouvrage dirigé en 1979 par Bounoure (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La civilisation surréaliste</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), où cette propension rend justice au propos de Breton.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je suis au moins d’accord avec Jean Bazin et Jérôme Duwa sur le fait qu’aimer ou pas la poésie de Jean Schuster n’est pas l’essentiel. J’ai peu de goût pour celle-ci mais cela importe peu. De quel Schuster nous entretiennent alors les deux rédacteurs, indépendamment de ce qui est connu, voire reconnu pour la plupart ? Ce qu’ils en disent paraît très lacunaire. Pour éclairer la lanterne d’un lecteur qui ne connaîtrait pas le fin mot de l’histoire, les précisions suivantes s’imposent. Elles s’organisent depuis trois séquences : la première du vivant d’André Breton, la deuxième sur la courte période menant à la dissolution du groupe surréaliste, la troisième sur les conséquences des épisodes précédents.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> 1) Jean Schuster, dont l’adhésion au surréalisme date de 1948, va progressivement affirmer sa personnalité au sein du mouvement dans le registre politique. Il se révèle actif, volontaire, méthodique. Des qualités qui lui permettront plus tard de jouer un rôle d’animateur dans le groupe surréaliste. On sait également Schuster préoccupé par le positionnement politique du mouvement, de la « ligne » dont le groupe devrait se doter. Principal rédacteur en 1956 de la déclaration </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Au tour des livrées sanglantes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">certainement le texte le plus représentatif dans le domaine collectif depuis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rupture inaugurale </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de 1947, Schuster, dont on connaît le souci constant de sortir les surréalistes de leur isolement d’alors, représente l’année suivante le groupe surréaliste au sein du Comité d’action contre la guerre en Afrique du nord. Il y rencontre Dionys Mascolo : de là naît le projet d’une revue de combat au lendemain du 13 mai 1958 (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">14 Juillet</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), à laquelle participent, parmi d’autres, Maurice Blanchot, André Breton, Robert Antelme, Benjamin Péret, dont Mascolo et Schuster sont les principaux rédacteurs. Une collaboration qui débouchera deux ans plus tard sur le « Manifeste des 121 ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Des différences d’appréciation de ce Manifeste, signé par de nombreux membres du groupe (Breton et Schuster ayant auparavant participé à sa rédaction), vont ensuite plus ou moins cliver le groupe surréaliste : entre ceux qui estiment que cette Déclaration a été détournée par Sartre au profit du FLN et de sa politique nationaliste (et critiquant, à l’instar de Gérard Legrand, l’appellation « révolutionnaire » accordée au FLN, et plus généralement aux mouvements de libération dans le Tiers Monde), et ceux qui comme Schuster ne partagent pas cette analyse. Breton insiste alors sur la nécessité de publier un dossier dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Brèche, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">faisant état « dans toutes les diversités (des) différents points de vue qui s’étaient affrontés ». D’ailleurs jusqu’à sa mort Breton s’efforcera de maintenir un équilibre, sur le plan politique, entre les positions défendues par Schuster et ses proches, et celles, même diversifiées, de surréalistes opposés sur des points précis à la « ligne Schuster ». Il parait par conséquent avéré que le différend exposé ci-dessus perdurait au sein du groupe, y compris sous d’autres formes et avec d’autres protagonistes. Un sourd affrontement pouvait le cas échéant s’exprimer en fonction de l’actualité du moment : sur la question de la réunification des tendances issues de la Quatrième Internationale, celle du communisme chinois, du castrisme, d’un positionnement envers Sartre, etc. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sur ce différend, les explications en 1982 de José Pierre dans ses commentaires de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tracs surréalistes et déclarations collectives </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sont très tendancieuses, pour ne pas dire nulles et non avenues (la partie adverse étant accusée de travailler au « discrédit et à la ruine » du surréalisme). Durant la période 1962-1967, Schuster et ses amis (dont Pierre, et Legrand, passé armes et bagages dans le clan schustérien) défendent un positionnement politique qui n’est pas fondamentalement éloigné de celui de la plupart des intellectuels de gauche anti-staliniens (entre disons la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Arguments </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et un certain compagnonnage trotskiste). C’est à dire représentatif d’une vision du monde qui, tout en combattant la politique française en Algérie hier, et celle des américains au Vietnam ou envers Cuba ces années-là, soutient de facto les partis (communistes ou pas) de libération nationale, auto-proclamés ou appelés « révolutionnaires ». D’un « ordre révolutionnaire » plutôt, dans la lignée de celui qui règne à Pékin, à la Havane, à Alger (comme en témoignent de manière critique les presses libertaire, situationniste, conseilliste, mais pas Schuster et ses amis).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Relativisons. Il serait excessif d’évoquer, ceci précisé, une « guerre de tranchée » au sein du mouvement surréaliste. Les questions politiques, toutes importantes et fondamentales soient-elles, ne constituaient pas l’essentiel des préoccupations du groupe. Sur d’autres sujets, plus représentatifs de l’activité même surréaliste, les uns et les autres se retrouvaient pour affirmer quelque accord (ou des désaccords avec d’autres protagonistes). Cependant le lecteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Brèche </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pouvait, ici ou là, prendre connaissance d’articles qui n’étaient pas sans prendre des libertés avec la « ligne Schuster ». Je pense en particulier au texte </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Détournement de valeur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’Alain Joubert (sa réponse en quelque sorte à un article de Jean Schuster sur, entre autres exemples, la question chinoise).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bazin et Duwa évoquent le « savoir-faire » que Breton reconnaissait depuis 1952 à Schuster, et la capacité de ce dernier à organiser « la vie collective des surréalistes de cette génération ». Ce que personne ne conteste. Le témoignage de Radovan Ivsic, citant Breton en septembre 1966, s’avère précieux (« Vous savez qu’à l’automne il y aura une nouvelle revue surréaliste. J’ai décidé qu’elle sera dirigée par Jean Schuster. Sans que vous me le disiez je sais bien que vous ne l’approuvez pas. Je sais qu’il n’est pas poète et qu’il n’est pas resté un enfant comme vous et moi, mais dans les moments difficiles qui attendent le surréalisme, il saura faire face »). Il s’agit du dernier témoignage en date de l’ambivalence de Breton envers Schuster. Je le traduirai à travers la formule suivante : c’est tout ce qui sépare la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lettre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">esprit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(pour la première il n’y a pas lieu d’en douter, tandis que pour le second, comme nous allons le voir, les réserves de Breton étaient malheureusement fondées).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> 2) Après 1962, avec la fin de l’épisode algérien, le groupe surréaliste retrouve une certaine autonomie (ou retourne à son isolement, diraient certains). Les dissensions évoquées plus haut perdurent, sans pour autant remettre en cause l’existence du groupe. Après octobre 1966, l’équilibre que la présence de Breton garantissait vole en éclats. André Breton décédé, Jean Schuster s’est cru autorisé à prendre la place du père fondateur du surréalisme. Sauf que Schuster n’était pas Breton. A l’autorité naturelle du second, celle dont peut alors se prévaloir le premier n’est pas sans prendre un caractère discrétionnaire. Certains membres du groupe l’acceptent (pour des raisons diverses) ; d’autres, de part leur inertie, y consentent. Envers d’autres encore, qui eux ne mangent pas de ce pain-là, l’opération dite </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour un demain joueur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">doit servir de mise au pas. Il s’agit d’une résolution strictement interne écrite par Bounoure, Schuster et Legrand (datée du 10 mai 1967, et signée par les membres du comité de rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Archibras </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(la revue succédant à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Brèche</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), plus Élisa Breton et Joyce Mansour. Un texte, j’en ai fait ailleurs l’hypothèse, qui anticipait l’acte de décès du groupe surréaliste, puisque, pour la première fois dans l’histoire du mouvement, le seul surréaliste ayant refusé de contresigner ce document (Jehan Mayoux) avait raison contre une direction, ou prétendue telle, qui de fait l’excluait. J’ajoute que, pour la première fois également, une minorité de surréalistes (même s’il s’agissait des membres du comité de rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Archibras</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), prenait délibérément position, indiquait les ligne et marche à suivre pour le mouvement, sans qu’aucune discussion préalable (soit informelle au café, soit formelle dans le cadre d’une assemblée générale), ait eu lieu sur des sujets essentiels, donc engageant le groupe surréaliste tout entier. Breton mort, Schuster et ses partisans étaient en mesure d’imposer leurs visées stratégiques et projets d’alliances. Ainsi un quarteron de surréalistes, Schuster en tête, vint grossir deux mois plus tard une délégation d’intellectuels français à Cuba. On la pilota dans l’île en lui montrant ce qu’il convenait de voir (comme savait auparavant si bien le faire le pouvoir soviétique à l’égard des « idiots utiles » occidentaux). Schuster et Pierre rentrèrent enchantés de ce séjour, et totalement acquis à la « révolution castriste ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">3) Je passe sur les tribulations de Jean Schuster durant les années soixante-dix et quatre-vingt, pour en venir à 1990, l’année de la réimpression des trois numéros de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">14 Juillet </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lignes. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les lecteurs se souvenant encore de l’existence de Jean Schuster furent étonnés de découvrir, à la suite d’une préface de Dionys Mascolo (d’une belle tenue, et toujours en phase avec les positions défendues plus de trente ans plus tôt), un court texte de Schuster déclarant laconiquement que l’histoire n’avait pas avalisé les thèses de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">14 Juillet, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui se concluait par la « profession de foi » suivante (j’avoue ne pas être compétent pour savoir si elle plus républicaine que gaullienne) : « De Gaulle a sauvé deux fois la république : contre les ganaches de Vichy, et contre les factieux d’Alger. Il a maintenu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">notre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">idéal de 89, Liberté, Égalité, Fraternité, contre les « valeurs » pourries que sont le travail, la famille et la patrie ». En 1958 et après, vraiment ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Deux ans plus tard, Schuster, Pierre et Silberman adressaient à François Mitterand une lettre au nom d’ACTUAL (cette association pour la Culture, la Technologie, l’Urbanisme, les Arts et les Lettres - n’en jetez plus ! - étant le dernier acte de propriété par lequel Schuster et consort entendaient gérer la boutique surréaliste au mieux de leurs intérêts). Dans ce courrier les sus-nommés (appelés drôlement « les trois Schuster » par Guy Debord, dans une lettre à Annie le Brun qui venait de l’informer de cette démarche), disant vouloir doter le surréalisme du cadre institutionnel idoine, faisaient appel à la générosité de l’État pour que puissent être conservées les nombreuses archives accumulées depuis de longues années. Cette grotesque ACTUAL ne se remettra pas de la fin de non recevoir de la requête. J’ajoute que, contrairement à ce qu’affirme Radovan Ivsic dans son livre, elle n’était pas alors dirigée par Dionys Mascolo : cela faisait belle lurette que les itinéraires respectifs de Mascolo et Schuster divergeaient !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’inventeur en 1969 du « surréalisme éternel » (succédant au « surréalisme historique » qui venait de faillir), s’était finalement rallié à un « surréalisme institutionnel » dont il entendait rester le dépositaire. Cette fin de l’histoire-là se terminait en farce. Mais n’accablons pas le seul Jean Schuster. Ce serait sous-estimer José Pierre qui l’accompagna jusqu’au bout. Par exemple ses commentaires des deux volumes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tracts surréalistes…, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se signalent, du moins pour les années 1960, par leur caractère de parti pris. Il s’agissait de confisquer l’histoire du groupe surréalisme au profit du clan schustérien, voire de la falsifier. Plus en amont, quelques autres anciens membres du groupe, un temps embarqué sur l’un des rafiots schustérien, surent cependant le quitter en temps voulu. Sur ce chapitre, Bazin et Duwa indiquent que Radovan Ivsic et sa compagne Annie le Brun ont rejoint en 1969 la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Coupure, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">animée par Schuster. C’est de bonne guerre, Ivsic n’en disant mot dans son livre. Mais ils s’abstiennent de préciser que Ivsic et le Brun (et avec eux Goldfayn, Legrand, Peuchmaurd et Toyen) ont quitté </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Coupure </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en cours de route, non sans brosser de la direction (Schuster, Pierre et cie) le savoureux portrait suivant : « Non, un critique d’art en mal d’arrivisme, divers polygraphes, un agent de publicité, plusieurs professeurs un peu agrégés, deux ou trois femmes du monde, quelques collectionneurs, ne nous parlerons pas de poésie ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’argumentation ci-dessous (moins les commentaires concernant évidemment le livre de Radovan Ivsic) figure dans le chapitre le plus développé d’un long texte (« Le surréalisme mis à mal par ses « propriétaires » mêmes et autres considérations à l’avenant ») mis en ligne sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en 2007, mais écrit deux ans plus tôt. Si j’ajoute qu’une grande partie de l’information rapportée (et traitée le cas échéant), avant et après la dissolution du groupe surréaliste, provient de l’ouvrage d’Alain Joubert (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le mouvement des surréalistes ou le fin mot de l’histoire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publié en 2001 chez Maurice Nadeau), on comprendra que, par-delà leur lecture critique de l’article de Joubert (« Le témoin capital »), Bazin et Duwa réamorcent une vieille querelle (qui n’avait pas été publiquement vidée, que je sache). Même si les deux rédacteurs ne mentionnent nullement ce livre d‘Alain Joubert le doute n’est pas permis (et l’on peut aussi raisonnablement penser que les critiques adressées à Radovan Ivsic visent, par la bande, une Annie le Brun peu tendre à l’égard des Schuster, Pierre et compagnie). N’en déplaise à Jean Bazin et Jérôme Duwa, l’histoire des dix dernières années d’existence du groupe surréaliste doit être en partie réécrite depuis la parution du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mouvement des surréaliste ou le fin mot de l’histoire. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ne pas le reconnaître, et persister vouloir défendre la « version officielle » des Schuster et Pierre, c’est s’exposer aux risques de la désinformation, voire de la falsification.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est bien pourquoi la mention polémique d’une histoire, selon les deux rédacteurs, « réécrite par les figurants plutôt que par les premiers rôles » prête à sourire. Le livre de Radovan Ivsic (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rappelez-vous cela, rappelez-vous bien</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) apporte la preuve contraire. Et il en allait encore plus de même avec le livre d’Alain Joubert, comme je viens de l’indiquer succinctement (« Le surréalisme mis à mal par ses « propriétaires mêmes et autres considérations à l’avenant » en donne le détail). J’ajoute que même José Pierre reconnaissait en 1982 qu’Alain Joubert était l’auteur du texte de l’une des plus importantes contributions collectives du groupe surréaliste durant les années 1960 (ce « Rappel de Stockholm » dans lequel Sartre en prend pour son grade). Pour la figuration, messieurs, vous repasserez !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mai 2023</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>RÉPONSE À UN ARTICLE DE CHARLES REEVE SUR LA GUERRE EN UKRAINEurn:md5:666955c5b02d56c429cde3b39f94ba462022-06-17T13:53:00+02:002022-06-17T13:53:00+02:00Max VincentCritique sociale2022Ukraine <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-d8caaea0-7fff-3432-2a62-8fa68b872cc4"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:35pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">RÉPONSE À UN ARTICLE DE CHARLES REEVE SUR LA GUERRE EN UKRAINE</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Zelensky fait valoir cet argument : comment le nazisme peut-il être présent (en Ukraine) s’il est lui-même juif. Je peux me tromper, mais Hitler avait aussi du sang juif</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sergueï Lavrov</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Certains textes, dirais-je, nous préférerions ne pas devoir les écrire. C’est le cas de cette « réponse » adressée à Charles Reeve. Ceci en raison de la personnalité du destinataire, envers qui je ne pensais pas qu’un jour je m’exprimerais dans les termes de cette « réponse ». Je la rends publique parce que certains des points de vue défendus par Charles Reeve dans son article (« Contre le collectif mortifère du nationalisme. La guerre et le capitalisme » : mis en ligne en avril 2022 sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lundi matin </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: https://lundi.am/Contre-le-collectif-mortifère-du-nationalisme-La-guerre-et-le-capitalisme) me semblent, quatre mois après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, relativement partagés (du moins plus qu’auparavant), dans le « milieu » que les qualificatifs « libertaire », « ultra gauchiste », « radical », tentent de circonscrire. J’ajoute qu’ayant écrit et publié précédemment, en avril 2022 également, le texte <a href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2022/04/06/SUR-LA-GUERRE-EN-UKRAINE-%3A-V%C3%89RIT%C3%89S-ET-L%C3%89GENDES" hreflang="fr" title="1er texte sur l'Ukraine">« La guerre en Ukraine : vérités et légendes » </a></span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">je n’imaginais pas me trouver dans l’obligation d’en « remettre une couche » deux mois plus tard.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je ne saurais trop insister, avec Charles Reeve (citant judicieusement Viktor Klemperer), sur la manipulation par le langage que représente la formule poutinienne « d’opération spéciale », d’autant plus qu’elle a déjà servi lors « de la guerre d’Algérie » ou « des guerres coloniales portugaises ». Ou encore, dans un autre registre, sur le recours à des « propos faciles sur l’état mental de Poutine, même si l’on ne saurait nier ce que ce type de pouvoir entretient avec la paranoïa ». Je ne m’exprimais pas différemment deux mois plus tôt. Tout comme je partage la difficulté qu’il y a dans le cas présent de s’abstraire de l’affect qui nous domine devant le spectacle de désolation, de souffrance, de barbarie engendré par la guerre en Ukraine. D’où, nous sommes bien d’accord, la nécessité alors « de prendre de la hauteur ». Ici Charles Reeve se réfère à Rosa Luxembourg, écrivant depuis sa prison le 26 janvier 1917, que celui qui entend résister à la barbarie de la guerre « doit chercher à se placer au-dessus des choses, sinon il s’embourbe jusque par-dessus les oreilles dans le premier gâchis venu ». J’en conviens de même, mais encore faut-il s’entendre sur cette mise à distance, ainsi que sur la nature des « choses » en question. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il y a déjà un hiatus, à comparer ce qui n’est pas vraiment comparable, dans la mesure où l’on ne saurait établir ici quelque équivalent entre la boucherie de la Première guerre mondiale et cette guerre en Ukraine, puisque dans le premier cas deux impérialismes, celui d’un côté des « Alliés » et de l’autre celui des « Empire centraux », s’opposaient, tandis que dans le second cas seule la Russie, de surcroît le pays envahisseur, doit être qualifiée d’impérialiste (la responsabilité de l’autre impérialisme, américain et consort, n’étant que secondairement et indirectement engagée). Noam Chomsky a parfaitement résumé ce qu’il en résulte, en déclarant le 4 mars 2022 que face à l’invasion russe en Ukraine « il est toujours judicieux de chercher des explications mais il n’y a aucune justification, aucune circonstance atténuante ». C’est là un point fondamental, le reste pour l’essentiel en découle.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> J’en viens à la partie critique de ma « réponse ». Elle porte d’abord sur l’aspect le plus problématique (le plus singulier aussi) de l’article de Charles Reeve : pour qui seule « l’économie politique » (et non la géopolitique) nous permet de définir ce qu’il conviendrait de penser de la guerre en Ukraine. J’aborderai ensuite une donnée traitée rapidement par Reeve, la question des réfugiés. Enfin celle sur l’extrême droite (ou « le néo-nazisme ») précèdera des considérations plus développées sur le nationalisme. Certainement la partie la plus discutable de l’article de Reeve.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Venons en donc aux « causes profondes de la guerre ». Le chapeau de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lundi matin </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Contre la géopolitique…, etc) avait déjà de quoi intriguer le lecteur. Charles Reeve à ce sujet précise : « On sait que la « géopolitique », la géographie des rapports de force entre les nations, a remplacé à l’avantage des classes dirigeantes les analyses fondées sur la concurrence entre les forces capitalistes et les forces impérialistes du système ». Cet élément d’analyse, je le souligne, étant que je sache absent, du moins sous cette forme-là, des commentaires sur la guerre en Ukraine. Reeve ajoute : « Les théories de la géopolitique séparant économie et politique, ont gagné droit de cité après la Première guerre mondiale, elles ont épousé parfaitement les idées nazies de la lutte pour les « espaces vitaux » ». En cela Charles Reeve se réfère aux analyses faites par Karl Korsch dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Notes sur l’histoire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">écrit et publié en 1942 (en particulier l’article « The World Historians »). Korsch s’en prend par exemple à Friedrich Ratzel, qualifié de « précurseur de l’actuelle géopolitique nazie », laquelle insiste « avec force sur les lois des processus externes de l’histoire (lois de l’espace, de la situation, des mouvements physiques, « le sang et le sol ») ». Plus loin Korsch indique que « brisant carrément avec l’universalisme aux larges vues comme avec un nationalisme à l’horizon borné, la géopolitique totalitaire a opté pour une position a mi-chemin entre le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">monde, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par trop étendu apparemment pour convenir à la force de subrogation plus poussée qu’on cherche maintenant à instituer, et la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nation, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par trop exiguë ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Certes Charles Reeve mentionne que « la question est brièvement abordée » dans ces </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Notes sur l’histoire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mais le bât blesse moins en raison de cette brièveté que sur l’usage par Reeve de la terminologie « géopolitique », quand bien même la pertinence du propos de Karl Korsch ne saurait être discutée. Ce dernier renvoie ici à une « géopolitique nazie », là à une « géopolitique totalitaire », et son texte porte la marque précise de l’époque durant lequel il a été écrit. Car nous ignorons si par la suite Korsch a « révisé » cette manière d’aborder la question géopolitique qui ne pouvait en 1942 s’abstraire de l’hypothèque nazie. Et puis Ratzel n’est ni l’inventeur, ni le vulgarisateur d’une discipline, la géopolitique, qui ne saurait évidemment tout expliquer, pas plus qu’il ne faudrait la rejeter au prétexte qu’elle occulterait, minorerait ou limiterait « l’explication des mouvements de conquête du capitalisme concurrentiel ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Charles Reeve n’évoque à aucun moment l’OTAN dans son article, même sous une forme indirecte. Ce qui est remarquable en regard de la littérature produite depuis des mois sur la guerre en Ukraine. Je fais ici l’hypothèse que cette absence ne peut s’expliquer que par le positionnement de Reeve vis à vis de la géopolitique. C’est d’ailleurs l’un des intérêts, pour ne pas dire la singularité de son article : ne pas s’aventurer sur un terrain largement balisé par le « campisme » (que l’on reprenne ou pas son argumentation). J’ai suffisamment dit en quoi je m’inscrivais en faux contre cet argumentaire dans « La guerre en Ukraine : vérités et légendes », pour ne pas y revenir.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant - je reprends le fil de ma démonstration - après avoir déploré les discours qui vont répétant « que les vieux schémas ne permettent plus de comprendre la guerre, ses causes », Charles Reeve indique que « c’est dans les fondements de l’économie politique que l’on peut trouver les repères d’analyse permettant de comprendre les causes de la guerre ». Dans le chapeau de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lundi matin </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">évoqué plus haut (« Contre la géopolitique…) le rédacteur s’interrogeait ainsi : « Est-ce le seul ? ». Assurément non. Le tableau que brosse en l’occurrence Charles Reeve, en restant sur le strict terrain de l’économie politique, ne saurait sur un plan général être récusé. A la fois sur la situation de relative arriération de l’agriculture ukrainienne, le rôle du FMI, l’endettement de l’Ukraine envers la Russie, etc. Mais le raisonnement achoppe, c’est dire que l’analyse dans les termes de l’économie politique ne saurait ici suffire, quand Reeve, abordant « le tournant Maïdan », avance que celui-ci « avait mis en relief la faiblesse économique de la Russie face aux forces capitalistes de l’Ouest. Dans ce cas il annonçait la guerre à venir ». C’est tout ce que lui inspire le « tournant Maïdan » ? Lorsque, ensuite, Reeve entend remettre en cause la thèse d’un « affrontement entre deux impérialismes » en prétendant qu’il s’agit plutôt là « d’un combat de défense d’une puissance militaire qui n’a pas les moyens économiques de son objectif, la défense de ses intérêts menacés par le capitalisme occidental », on réalise que Charles Reeve reprend les analyses campistes par un autre biais. Ce qui, sans passer par la case géopolitique (la référence à l’OTAN) justifie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">malgré tout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, et donc les horreurs de la guerre et les destructions, désolations et criminalisations qui en résultent : la faute en incombant in fine au « capitalisme occidental ». Se focaliser pareillement sur « la faiblesse économique » de la Russie revient à passer par perte et profit que la Russie figure au second rang dans le monde comme puissance militaire. En ajoutant que depuis l’ère poutinienne la Russie n’a remporté que des « victoires » (les guillemets s’imposent) dans les guerres qui l’ont vu intervenir. Cet engagement armé, cela n’est pas indifférent, a permis que seul Bachar El Assad, parmi les dirigeant arabes mis en cause lors des « printemps arabes », conserve le pouvoir. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Et puis, « la défense des intérêts de la Russie » c’est quoi ? Cela signifie-t-il que l’Ukraine appartient de facto à la zone d’influence du Kremlin ? Enfin, quand je lis que « le peuple ukrainien et le peuple russe seront les vrais perdants, face aux intérêts des bourgeois et des capitalistes présents », il est déjà largement acquis que le peuple ukrainien paye un tribut beaucoup plus lourd : toute comparaison paraît ici déplacée (ce qui ne minimise pas les effets délétères de la dictature poutinienne en Russie, surtout depuis une dizaine d’années). J’aurai l’occasion d’y revenir mais c’est à se demander, à lire ce qui précède, si l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et les responsabilités de Poutine en l’espèce, ne sont pas tout simplement passées à la trappe !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’interrogation, « Quoi de plus indécent que le traitement à géométrie variable que les États occidentaux réservent, ou plutôt promettent aux réfugiés arrivés d’Ukraine ? », concentre la plupart des griefs qui, même à travers la mention de l’implication directe des « États occidentaux », sont adressés indirectement aux ukrainiens. La question est certes légitime mais encore faut-il pour y répondre apporter les précisions suivantes. Car en regard de ces réfugiés dont l’accueil par les États européens « cache mal leur intérêt économique », il importe d’ajouter que ces réfugiés sont très majoritairement composés de femmes, d’enfants et de personnes âgées. Ce qui déjà limite cette exploitation économique. Et que, cela dépend de la durée de la guerre, seule une plus ou moins grande minorité de ces réfugiés s’installera définitivement dans l’un ou l’autre de ces pays d’accueil. Également, pour prendre l’exemple de la Pologne, c’est la société civile principalement (compte tenu de l’importante communauté ukrainienne déjà présente en Pologne) qui prend en charge cet accueil massif, plus que l’État polonais. Enfin il faut mettre en parallèle l’empathie des populations de l’ancienne Europe de l’Est envers les réfugiés ukrainiens et le fait que ces pays ont été pendant plus de 40 ans vassalisés par l’URSS : ces populations redoutant que la Russie élargisse son rayon d’action militaire dans leur direction. Des craintes davantage fondées en février et mars 2022 que maintenant : la résistance ukrainienne d’abord, puis le soutien en termes logistiques et militaires des occidentaux éloignant la perspective d’une intervention militaire russe en dehors de l’Ukraine.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les millions de réfugiés qui ont dû quitter l’Ukraine en raison de la guerre sont appelés à retourner dans leur pays un jour ou l’autre. C’est toute la différence, conséquente, entre ces réfugiés-là et ceux, venus des autres continents, qui « survivent dans les rues, dorment sous les ponts ou dans la boue des campements de fortune », que Charles Reeve appelle par prétérition des « mauvais réfugiés », qui eux demandent à pouvoir s’installer et vivre dans un pays européen. Pareille discussion, étayée par la distinction à faire (ou pas) entre réfugiés et migrants, par les politiques européennes sur le droit d’asile, ou encore la pression exercée par les partis d’extrême droite pour limiter drastiquement l’immigration (voire favoriser la remigration) dépasse bien évidemment le cas des réfugiés ukrainiens. En passant, je signale à Charles Reeve que ces « mauvais réfugiés » ne sont pas tous les victimes « des guerres menées par les pouvoirs occidentaux ». Et la Syrie (où nous retrouvons Poutine) ? Et l’État Islamique ? </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En revanche, pour aborder la question récurrente, pour ne pas dire obsessionnelle sous la plume de plusieurs commentateurs « de gauche », celle de la présence de l’extrême droite en Ukraine, Charles Reeve fait preuve de plus de discrétion. D’ailleurs la terminologie « extrême droite » est absente de son article. Par contre Reeve, dans la lignée de commentateurs épinglés dans mon texte précédent sur l’Ukraine, reprend celle de « néo-nazis ». Quand il évoque ce qu’il appelle les « idées réactionnaires, xénophobes, des groupes néo-nazis, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à l’oeuvre de façon dominante</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » (c’est moi qui souligne), le lecteur ignore si cette « qualité » était antérieure à l’invasion russe ou si la guerre lui a permis de prospérer. Charles Reeve se réfère sur cette question « néo nazie » à un article d’Yvan Segré (« Le trio infernal : Poutine, l’OTAN et les néo-nazis », publié précédemment sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lundi matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), lequel le dispense d’en dire davantage. Il ne cite que l’assertion, selon Segré, que ceux « les mêmes qui ne manquaient jamais de souligner hier les propos de bistrot antisémite de tel ou tel </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Gilet jaune, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se montrent aujourd’hui fort tolérants envers les néo-nazis ukrainiens ». On pourrait ici retourner à Segré son argument : certains de ceux qui, à l’instar des nains de la version érotique du conte, voient des néo-nazis partout en Ukraine, minimisaient, occultaient, voire niaient la présence de l’extrême droite au sein des Gilets jaunes. J’avais dans « La guerre en Ukraine : vérités et légendes », critiqué l’article de Segré en lui reprochant de reprendre « explicitement la vision poutinienne d’une Ukraine nazifiée ». Je précisais par ailleurs que les prémices de cette fiction d’une « Ukraine nazifiée » dataient des années 2005 et 2006, des lendemains de la « Révolution orange », donc d’un rapprochement de l‘Ukraine avec l’Europe occidentale. C’est lors des journées de Maïdan que la propagande poutinienne a commencé à marteler le discours selon lequel l’Ukraine était nazifiée. Alors que les listes d’extrême droite ont obtenu aux élections présidentielles et législatives de 2014, puis de 2018 des scores dérisoires, très largement inférieurs à ceux de l’extrême droite française durant la même période. Ce qui pour un pays « nazifié » tient de la gageure ! </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quant au patriotisme, en dehors des guerres, il ne s’alimente que dans les enceintes des stades, parmi les groupes de supporters. Il existe en France un parti appelé « les Patriotes », dont le chef, Florian Philippot, figure aux côtés de Zemmour et de Marine le Pen parmi les admirateurs de Poutine. Durant la Seconde guerre mondiale, le patriotisme des résistants en France ou ailleurs se justifiait dans la mesure où il importait de libérer le territoire d’un envahisseur, de surcroît national-socialiste. Donc l’on peut, sans se focaliser là-dessus, établir quelque équivalence entre le patriotisme de la résistance ukrainienne et celui de la résistance française. Ceci dit, l’auteur de ces lignes se retrouve davantage dans l’attitude d’un Arthur Cravan, « déserteur de dix-sept nations », ou de Benjamin Péret fustigeant dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le déshonneur des poètes</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> tout patriotisme poétique. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais revenons au nationalisme. D’abord, en regard de la question posée par Charles Reeve en amont : « Est-ce le nationalisme qui est la cause de la guerre ou bien, et le cas ukrainien semble le corroborer, la guerre est-elle l’activité barbare qui permet d’engendrer et de fonder l’idée nationale et le patriotisme qui en découle ? », je constate que seul se trouve évoqué « le cas ukrainien ». Et il en va de même pour le reste de l’article. Comment peut-on discuter pertinemment de nationalisme dans ce cas d’espèce si l’un des deux belligérants figure aux abonnés absents ? Quid de nationalisme russe alors ? De l’impérialisme russe, plutôt. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plus en aval, lorsque Charles Reeve revient sur « la renaissance du nationalisme » en Ukraine, il l’associe à la période dite de Maïdan (hiver 2014) en évoquant de nouveau « un tournant décisif ». A savoir, indique-t-il, que « ces événements ont permis aux forces réactionnaires nationalistes et xénophobes, aux groupes minoritaires néo-nazis, de prendre une place importante dans la vie politique, probablement sans commune mesure avec leur force dans la société ». Le propos manque de clarté. Ces groupes néo-nazis n’ont pris une place importante que dans l’imaginaire de commentateurs qui ne seraient cependant pas tout à fait dupes de ce qu’ils avancent puisque cette « importance » ne serait pas corroborée par sa » force dans la société ». Reeve indique ici dans une note de bas de page que « peu à peu des reportages, témoignages et analyses confirment ce fait ». Je ne sais pas à quelles sources il se réfère puisqu’il ne les cite pas. Les miennes proviennent des travaux de chercheurs et d’historiens de l’Ukraine et de la Russie. Et, pour ne citer qu’eux, Alexandra Goujon, Adrien Nonjon, Anne de Tinguy ne confirment rien de tel. Sans nier l’activité de groupes ultra-nationalistes lors des journées de Maïdan, encore faut-il remettre leur activité et leur influence dans de plus justes proportions. D’ailleurs, je ne le répèterai jamais trop, l’extrême droite s’est révélée inexistante dans les consultations électorales de l’après Maïdan, et les groupes néo-nazis sont restés très minoritaires. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Charles Reeve ne cite pas de noms, mais pour beaucoup de contempteurs du « nationalisme ukrainien » celui-ci s’incarne à travers Stephan Bandera : allié dans un premier temps aux nazis, puis arrêté par eux en juillet 1941, il sera ensuite incarcéré à Berlin, puis déporté dans un camp de concentration. Libéré en septembre 1944, Bandera refuse de collaborer avec les nazis mais n’en appelle pas moins à résister à l’armée rouge. Il sera assassiné en 1959 à Munich. Cette figure controversée a été réactivée sur le versant nationaliste lors des « politiques mémorielles » de la présidence Iouchtchenko entre 2005 et 2010. Le parti d’extrême droite Svoboda, davantage implanté dans l’ouest de l’Ukraine, se réclame de Bandera. Mais il faut relativiser l’importance que d’aucuns en France, dans les milieux campistes principalement, lui accordent : soit en essentialisant un peuple ukrainien toujours soupçonné de sympathies envers le banderisme, soit en surestimant les capacités de nuisance de groupes nationalistes minoritaires. Là aussi l’invasion de l’armée russe en Ukraine a rebattu les cartes, puisque le pouvoir poutinien se trouve rejeté, condamné et haï par la quasi totalité de la population ; y compris celles, russophones, les plus étrangères au discours des nationalistes galiciens.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans la même note de bas de page citée plus haut Charles Reeve ajoute : « Il va sans dire que le reconnaître ne signifie nullement cautionner les propos propagandistes du régime </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tout autant totalitaire de Poutine</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » (c’est moi qui souligne). Procédons par ordre. D’abord ce que Reeve dit reconnaître renvoie à une interprétation on ne peut plus tendancieuse des faits, ou du moins devrait être très fortement nuancé. C’est vouloir reprendre implicitement des éléments de langage poutiniens ou ceux des idiots utiles qui vont les répétant. Ensuite la Russie est aujourd’hui devenue une dictature (ce qu’elle n’était pas lors de l’avènement au pouvoir de Poutine). Par contre, même si elle évolue en ce sens, l’on ne saurait à ce jour la qualifier de « régime totalitaire ». Une longue analyse serait nécessaire pour l’étayer. En face, ni l’Ukraine de 2014, ni celle de 2022, ne peut être qualifiée de dictature, et encore moins de « régime totalitaire » ! D’autres analystes, sans évoquer un quelconque totalitarisme, insistent sur la corruption sévissant en Ukraine. Mais en quoi ce que l’on peut ici mentionner se distingue-t-il de ce que l’on relève par ailleurs sous ce chapitre dans plusieurs pays de l’ancienne Europe de l’Est, aujourd’hui membres de l’Union Européenne ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’analyse de Charles Reeve recoupe, depuis un autre argumentaire, celle de ceux qui renvoient dos à dos la Russie et l’Ukraine, leurs propagandes étant selon eux « à toutes choses égales ». Lors de tout conflit débouchant sur une guerre, chaque État utilise des moyens de propagande qui ne peuvent être confondus dans des situations bien définies : la Seconde guerre mondiale l’illustre éloquemment (entre l’activité propagandiste des États dits démocratiques et celle des États totalitaires). Cette grille de lecture vaut pour la guerre en Ukraine. En plus, mettre sur le même plan la propagande du Kremlin et celle de Kiev, s’avère également préjudiciable envers tous ceux qui en Russie résistent autant que faire se peut au pouvoir poutinien (avec les risques que l’on sait).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Vers la fin de son article Charles Reeve revient sur le nationalisme. Il force quelque peu le trait en affirmant que « le nationalisme a toujours été engendré par le capitalisme ». D’autres causes y concourent et le développement du capitalisme peut produire des effets inverses. C’est même devenu une tendance dominante depuis la fin du siècle dernier avec le phénomène de mondialisation ou de globalisation. Ce que Reeve ajoute ensuite, d’un point de vue général, ne saurait être contesté. Mais lorsqu’il en vient au particulier, à la guerre qui « en Europe domine les esprits », le nationalisme convoqué correspond moins à la situation présente qu’il ne permet à l’auteur de renverser la perspective au point de nous asséner, eu égard le facteur déterminant de « la mobilisation nationaliste » (sans jamais évoquer la résistance du peuple et de l’armée ukrainienne) que « l’armée russe en Ukraine en fait les frais » ! Chez d’autres, pareil propos ne surprendrait pas. Mais venant d’un penseur et militant du calibre de Charles Reeve c’est renversant ! Tout ce qui concerne la responsabilité de la Russie est complètement évacué. Seul se trouve pris en considération ce nationalisme ukrainien dont la « victoire » supposée incite Charles Reeve à tenir ensuite un propos pessimiste sur « l’état des choses du monde », puisque dans cette projection « la pauvreté des exploités ne sera que plus vaste ». Cet escamotage tient du prodige durant le paragraphe conclusif si l’on ajoute que ce « nationalisme mortifère » ne se rapporte qu’à un seul pays, et qu’il n’est nullement question de la Russie ni de Poutine ! </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un rappel</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">.</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il importe de ne pas répondre à l’obligation qui nous serait faite de choisir entre deux impératifs dans la mesure où toute réponse, dans un sens comme dans un autre, reviendrait à nier d’autres choix, plus fondamentaux. Je reprendrai l’exemple, principiel, de la fin des années quarante, dans le contexte du début de la « guerre froide », où l’on sommait chacun de choisir son camp, celui du « communisme » ou du monde dit « libre » : les surréalistes (et la plupart des anarchistes) refusant eux de répondre à cette injonction en en donnant les raisons. Je l’avais par exemple illustré dans les lendemains des attentats islamistes de janvier 2015 en renvoyant dos à dos ceux qui, d’un côté dénonçaient « l’islamophobie », et de l’autre « l’islamo-gauchisme ». Ceci pour souligner, a contrario de ces deux postures, la nécessité de ne rien céder sur la critique de la religion - mais de toutes les religions ! - qui ne saurait être ni amendée, ni revue à la baisse. En revanche, dans certaines circonstances, il importe de bien choisir son camp, ou du moins d’apporter toutes les clarifications nécessaires qui président à l’établissement d’une prise de position. Par exemple la condamnation sans appel des guerres coloniales que la France menait en Indochine et en Algérie, ne signifiait pas pour autant que l’on devait accorder un blanc-seing au Vietminh et au FLN. Cela porte le nom de soutien conditionnel. Comme c’est de nouveau le cas pour l’auteur de ces lignes avec l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe : ce choix assumé relève du même type de condamnation. Ce qui suit, entend l’expliciter en prolongeant « Réponse à un article de Charles Reeve sur la guerre en Ukraine » depuis un argumentaire qui entend faire le lien avec notre texte précédent sur la guerre en Ukraine.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bien que privilégiant une analyse en terme « d’économie politique » qui, à l’en croire, serait seule capable, a contrario des analyses de type géopolitique, de nous instruire sur la question ukrainienne et les causes de la guerre se déroulant en ce moment, Charles Reeve n’en rejoint pas moins in fine, comme nous l’avons vu, ceux qualifiés de « campistes », parangons de « la preuve par l’OTAN », qui reprennent une fois de plus du service comme si l’histoire n’en finissait pas de se répéter depuis des considérants rarement interrogés. Ce qui ne signifie nullement qu’il faille réviser les causes et la nature des guerres qui depuis les années 1960 (du Vietnam aux deux guerres du Golfe) sont indéfectiblement imputables à l’impérialisme américain. Il n’y a pas lieu de revenir là-dessus. Pourtant rien n’est jamais écrit ad vitam aeternam. Les deux administrations Obama sont celles d’un changement de doctrine dans le domaine de la politique étrangère. Mais surtout, par delà les errements sous son mandat de la diplomatie américaine, Donald Trump envisageait un moment de quitter l’OTAN ! En rompant ainsi avec le positionnement de type « faucon » du Parti Républicain. Les parlementaires républicains préférant avaler ce genre de couleuvre plutôt que de se mettre à dos un électorat (plus trumpiste que républicain), qui avait bien compris le message adressé par Trump : tout ça coûte trop cher dans la mesure, principalement, où les autres nations adhérentes à l’OTAN ne mettent pas suffisamment la main à la poche. Dans un domaine équivalent, même si les raisons diffèrent, Macron déclarait que l’OTAN était « en état de mort cérébrale ». Enfin vint Poutine ! La Russie, en envahissant l’Ukraine, réveillait la « belle endormie » et redistribuait les cartes à l’avantage indiscutable de l’Alliance Atlantique. Qui aurait pu imaginer, à la fin de l’année dernière, que plusieurs mois plus tard la Suède et la Finlande demanderaient à adhérer à l’OTAN ! Et je passe sur les bouleversements géopolitiques que l’apprenti sorcier Poutine a provoqué dans le monde, et en premier lieu en Europe.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A travers l’évocation maintenant de cette gauche mélenchonienne, qui a brusquement changé de discours le 24 février dernier parce qu’il ne lui était plus possible, y compris mezzo piano, de soutenir la politique du Kremlin (quand bien même, pour le distinguer de celui de l’extrême droite, ce « soutien » relevait du tropisme géopolitique que nous venons d’évoquer et non d’un satisfecit à l’égard de la politique intérieure russe), je n’en constate pas moins que des passerelles existent entre le courant souverainiste de gauche et les « milieux » auxquels cette « réponse » entend s’adresser. On sait, pour rester avec Mélenchon, que son positionnement lors du bombardement intensif d’Alep par l’armée russe (le leader du Parti de Gauche refusant de le condamner) avait provoqué des remous à l’intérieur même du Front de gauche. On connaît moins le détail de quelques unes de ses prises de position à l’égard de l’Ukraine. Par exemple, en 2014 : « La Crimée est perdue par l’OTAN. Bonne nouvelle ». Ceci en incriminant ce que Mélenchon appelle « la politique aventurisme et irresponsable provoquée de fait par les autorités ukrainiennes ». Alors que, se retournant vers l’autre partie, Mélenchon s’insurgeait contre « la diabolisation de la Russie ». L’année suivante, il s’indignera du refus de Hollande de « vendre deux navires Mistral à la Russie, pour cause de conflit ukrainien ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin les deux exemples qui suivent sont accablants. En 2015 encore, Mélenchon dénonce lors de l’assassinat de l’opposant russe Boris Nemtsov « une ambiance de « sadamisation » contre Poutine (…) première victime politique » (sic). J’ajoute que Nemtsov fut très probablement assassiné parce qu’il était en train de constituer un dossier sur l’implication de Poutine et de son entourage au sujet de l’intervention militaire dans le Donbass. Des proches de l’opposant assassinés ont rédigé, en se basant sur les notes laissées par Boris Nemtsov, un rapport (présenté en mai 2015) dont l’importance semble avoir échappé à la grande majorité des commentateurs. Car ce rapport est le premier document en date étayant la thèse d’un projet poutinien de main mise sur l’Ukraine. Le second exemple, s’avère plus pernicieux encore. Toujours en 2015, Mélenchon entend faire la promotion d’un « paquet où seraient examinées toutes les anciennes frontières de l’URSS et peut-être aussi celles des pays de l’ancien camp soviétique ». Ce qui signifie que l’actuel dirigeant de LFI était prêt à rediscuter les frontières datant de la Seconde guerre mondiale, reprenant en ce sens des revendications nationalistes en Russie ou dans l’Europe de l’Est. Ce type de discours pouvant être repris de même dans des secteurs de l’ultra-droite.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les mois passent et les opinions publiques finissent par s’habituer à une guerre dont on ne voit pas la fin. Ce qui tend à banaliser les informations en provenance de l’Ukraine, voire occulter des données pourtant importantes sur la guerre en cours. Pour se limiter à cet exemple, la sur-médiatisation de l’épisode ayant accompagné la finale de la Coupe d’Europe des clubs de football (où tout fut évoqué, sauf l’essentiel : que le football, ce qu’il représente, le fric qu’il met en jeu, génère ce genre de situation, de comportements, de gabegie) a presque passé à la trappe l’information selon laquelle les membres du bataillon Azoz, faits prisonniers par l’armée russe à Marioupol (déjà qualifiés de « néo-nazis » par le pouvoir poutinien, re-qualifiés de « terroristes » et de « criminels de guerre » pour l’occasion), seraient jugés en Russie où ils risquaient d’être condamnés à mort. Ce fameux « bataillon Azoz », à qui l’on doit la reprise de Marioupol en 2014 (ceci le désignait à l’attention particulière du Kremlin) était certes à l’origine composé d’ultra nationalistes. Ensuite les accords de Minsk de septembre 2014 ont intégré le bataillon Azoz dans la Garde Nationale. Ce qui signifie que les actions de ce qui restait un « bataillon d’élite » étaient depuis encadré par un statut disciplinaire. D’ailleurs les éléments les plus droitiers de ce corps d’armée l’avaient quitté à l’automne 2014 pour fonder le parti Corps National (l’un des trois éléments constitutifs de l’extrême droite ukrainienne qui, aux élections législatives de 2018, avec Svoboda et Section Droit, se signalera par son score dérisoire). Tout ceci, cependant bien documenté par des historiens de l’Ukraine, n’est pas sans provoquer des « accès de fixation » chez des personnes que l’on pensait pourtant dûment averties, certaines reprenant sans barguigner des éléments de langage poutiniens. Depuis un registre comparable - ceci dans la lignée des discours qui, au lendemain des attentats islamistes de janvier 2015 les condamnaient tout en laissant entendre, au sujet des victimes, qu’elles l’avaient bien cherché - l’on finit par se demander, devant des expressions équivalentes concernant l’invasion russe de l’Ukraine, si quelques uns de ces commentateurs n’auraient pas (en toute discrétion) préféré que Poutine réunisse dans son entreprise initiale pour, bien évidemment nous répondraient-ils, faire l’économie de tant de vies humaines et de toutes ces destructions ? </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Laissons là cette interrogation, mais conservons nos commentateurs pour mettre en avant la donnée suivante. Cette façon, pensent-ils, de ne pas céder devant les diktats de l’impérialisme américain, de représenter une sorte de « pôle de résistance » aux USA, à l’OTAN, à l’Union Européenne (comme Poutine, dans son bunker du Kremlin, leur résiste malgré « la faiblesse de l’économie russe ») prend d’autant plus des accents maximalistes qu’elle occulte, néglige ou minimise cette donnée pourtant fondamentale : cela fait déjà un certain temps que l’Amérique, du moins son mode de vie, a colonisé la plus grande partie de la planète (y compris la Russie d’Eltsine, puis de Poutine). Et l’on ne saurait dissocier la puissance économique américaine de sa capacité à produire et diffuser partout dans le monde blockbusters, séries et produits culturels du « nouvel Hollywood » (comme autrefois ceux de l’ancienne « machine à rêves »), voire cette culture postmoderne en provenance des campus américains qui, à l’autre extrémité du spectre, tend à devenir dominante dans plusieurs universités françaises depuis ses versions « woke » et « cancel ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Devant, pour conclure, l’attitude de ceux qui, malgré les conséquences catastrophiques de la guerre en Ukraine, adoptent l’attitude du renard de la fable et tendent même à la renforcer, comment ne pas souligner que ce qui nous constitue sous ce chapitre en tant qu’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">êtres humains </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- du moins d’un point de vue libertaire - se trouve battu en brèche. Contre cette « tendance mortifère » qui fait bon ménage avec un certain cynisme politique (par exemple en circonscrivant ce conflit entre la maffia ukrainienne et le despotisme russe) quand elle ne s’efforce pas de débusquer quelque lièvre nazi depuis une réalité contemporaine ukrainienne qui n’en peut mais, il importe de toujours s’indigner devant ce qui même en temps de guerre relève de l’indignité, et de manifester notre solidarité pleine et entière envers le peuple ukrainien (ainsi que, selon d’autres modalités, cette partie du peuple russe opposée à la dictature poutinienne), C’est là bien sûr un choix </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">a minima </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">si on le compare avec d’autres exemples historiques (l’Espagne de 1937, la Hongrie de 1956, la Pologne de 1981…), mais il n’existe pas d’autre solution pour qui n’entend pas ajouter encore plus de confusion à celle déjà bien trop présente.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">juin 2022</span></p>
<div><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"><br /></span></div>SUR LA GUERRE EN UKRAINE : VÉRITÉS ET LÉGENDESurn:md5:69b8a88a7263b66298fab5c059782d7c2022-04-06T10:32:00+02:002022-06-17T13:01:51+02:00Max VincentCritique sociale2022Ukraine <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-7ea5ad41-7fff-4043-abf6-ae4801921777"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-7ea5ad41-7fff-4043-abf6-ae4801921777"><span style="font-size:29pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SUR LA GUERRE EN UKRAINE : VÉRITÉS ET LÉGENDES</span></strong></p>
<strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-7ea5ad41-7fff-4043-abf6-ae4801921777">
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Comité exécutif central panrusse de Russie et d’Ukraine m’a chargé de rétablir l’ordre sur le front dans le bassin du Donetz et sur ses arrières immédiats. Je proclame que l’ordre sera rétabli par une main de fer. Ennemis de l’armée rouge ouvrière et paysanne, profiteurs, koulaks, émeutiers, suppôts de Makhno ou de Grigoriev seront impitoyablement éliminés par les unités régulières sûres et fermes ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Léon Trotsky : juin 1919</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’intérêt du pays et des travailleurs mêmes d’Ukraine est de ne pas laisser dévaster complètement le pays par ces nouveaux et indésirables maîtres-seigneurs ; il ne doit pas y avoir de place en Ukraine ni pour eux ni pour leurs tueurs rouges qui tyrannisent le peuple (…) Le peuple d’Ukraine doit déclarer au monde entier et le traduire en actes : hors d’ici les assassins et les bourreaux blancs et rouges ! </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« .</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’État-Major de l’armée insurrectionnelle d’Ukraine (makhnoviste) : avril 1920</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un article publié le 3 mars 2022 sur le site </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Palim-Psao</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (« Une paranoïa de masse »), Sandrine Aumercier s’interrogeait en ces termes : « Comment se peut-il qu’une identité de gauche puisse signifier pour beaucoup encore, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de facto, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la reprise du discours de propagande de l’autocrate Poutine lui-même, reprise qui semble se passer d’une contre-expertise ? ». Ou, pour le dire autrement : comment des personnes se situant à gauche, à l’extrême-gauche ou à l’ultra-gauche, voire dans les camps libertaires et « radicaux » ont pu, même s’ils condamnaient l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, assortir cette condamnation d’un « Oui mais… » dont le contenu relativise sensiblement la dite condamnation. Ce qui se rapporte à ce « mais… » reprenant plus ou moins l’argumentaire poutinien.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’essentiel de ce qu’il faut retenir en quelques mots de la catastrophe en cours a été formulé par Noam Chomsky dans un entretien à la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ballast, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">daté du 4 mars 2022. Il y déclare, d’emblée : « Avant d’aborder la question, il convient de régler quelques faits incontestables. Le plus crucial est que l’invasion russe de l’Ukraine est un crime de guerre majeur, au même titre que l’invasion américaine de l’Irak et l’invasion de la Pologne par Hitler et Staline en septembre 1939, pour ne prendre que deux exemples marquants. Il est toujours judicieux de chercher des explications mais il n’y a aucune justification, aucune circonstance atténuante ». J’ajoute que nous sommes encore loin de mesurer toutes les conséquences d’une guerre qui va durablement affecter les populations du monde entier. Comme c’est déjà le cas, en termes de pertes de vies humaines, de destructions massives et de déplacements de populations sans commune mesure depuis la Seconde guerre mondiale, avec celle ukrainienne : dont chacun sait, à l’exception des soutiens déclarés ou objectifs de Poutine et de leurs affidés complotistes, de quoi il retourne.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une première digression, par association, sur l’extrême droite française. Celle-ci admire Poutine parce qu’il incarne pour elle par excellence le dirigeant « fort », « autoritaire », « viril », donc une figure de « chef », mais aussi parce qu’il défend les valeurs traditionnelles, s’oppose à l’Union européenne, aux USA et à l’OTAN, dénonce la décadence de l’Occident, et représenterait le meilleur rempart contre l’islamisme. Les deux candidats d’extrême-droite à l’élection présidentielle ont dû, contraints et forcés, condamner l’invasion russe de l’Ukraine sans pour autant le tenir pour le seul responsable de la guerre en cours. En cela, d’ailleurs, ils ne se distinguent pas des représentants de la gauche souverainiste. Zemmour pâtit cependant plus que le Pen de cette reculade, puisque sa candidature a pris du plomb dans l’aile depuis le 24 février. Sans doute ses déclarations frileuses sur les réfugiés ukrainiens ont détourné de lui une partie des électeurs votant habituellement pour la droite dite républicaine. Marine le Pen s’en sort mieux. Pourtant son admiration réitérée depuis dix ans pour Poutine, l’important prêt financier en 2014 par une banque russe au FN, son adoubement par le chef du Kremlin avant les élections de 2007, et son poutinisme plus fervent que la plupart des dirigeants européens d’extrême-droite mériteraient que ce qualificatif de « pute à Poutine », qui lui a été adressé, reste de saison.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Si Zemmour et le Pen ne peuvent dire tout haut, élection oblige, ce qu’ils pensent tout bas, leurs relais russophiles ne se sont pas privés d’inonder la toile de fake news et de contenus complotistes dont beaucoup reprennent la propagande du Kremlin. A ce sujet signalons la reconversion depuis le 24 février de maints antivax ou covido-sceptiques qui désormais dénoncent le « nazisme ukrainien », la plus grande responsabilité des américains et de l’OTAN dans le conflit, quand ils ne nient pas celle de l’armée russe dans la destruction d’objectifs civils et ce qu’il faut bien appeler des crimes de guerre, pour ne pas dire plus. Pour les plus délirants l’Ukraine serait la base arrière d’un important réseau de pédophiles et accueillerait sur son territoire des laboratoires secrets américains préparant une nouvelle vague épidémique. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Deux mots sur le principal acteur de cette tragédie ukrainienne. Toute focalisation sur l’état de santé mentale de Poutine tend à occulter la dimension proprement politique de l’évolution de la Russie poutinienne. Il y a certes de la perversité chez le personnage (l’épisode du chien de Poutine en présence de Merkel l’illustre), mais la paranoïa dont on le gratifie renvoie plus à l’exercice d’un pouvoir de plus en plus personnel qu’elle ne saurait constituer un diagnostic satisfaisant. A ce titre, la scène hallucinante de la retransmission à la télévision russe du Conseil de Sécurité actant la reconnaissance par la Russie de l’indépendance des territoires séparatistes du Donbass - où l’on voit un Poutine en majesté humilier publiquement le responsable des services de renseignement - vaut de longs discours.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Poutine n’est pas devenu de pied en cap le dictateur qui règne en maître incontesté sur la Russie de 2022. Il lui a fallu du temps, en se débarrassant progressivement de toute opposition, aujourd’hui plus criminalisée que réduite à l’état de coquille vide, pour arriver à ces fins. Poutine, qui fit ses armes au KGB, reste nostalgique de la grandeur de l’Union soviétique. D’où sa propension à récuser la partition consécutive à la dislocation de l’URSS pour tenir le discours révisionniste selon lequel l’Ukraine n’existerait pas, ou plutôt qu’elle serait une « partie indéniable de l’histoire de la Russie » (oubliant au passage que la principauté de Kiev est antérieure à celle de Moscou), de sa « culture », de son « espace spirituel ». En faisant ici porter la responsabilité de la création de « l’Ukraine contemporaine » à Lénine et aux bolcheviks.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> J’en viens aux objections qui, à droite comme à gauche, laissent entendre que malgré tout les responsabilités de l’invasion de l’Ukraine et de la guerre qui s’ensuit seraient en partie partagées. Une assertion souvent indexée sur l’argumentaire « deux poids deux mesures ». N’a-t-on pas par exemple relevé que lorsque le Kremlin envoyait en janvier 2022 des chars au Kazakhstan, pour y réprimer les manifestations populaires contre le régime, les opinions publiques, principalement occidentales, ne semblaient pas y accorder véritablement de l’importance. Ceci, ajoutent-ils, se révélant surtout flagrant par comparaison avec la manière dont ces mêmes opinions publiques réagiront plus d’un mois plus tard devant l’occupation par l’armée russe de l’Ukraine. Mais l’on ne saurait comparer la première intervention, déjà limitée sur le plan militaire (et auxquelles ont participé d’autres pays de la région) avec la seconde. Ensuite cette demande s’est faite dans le cadre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) : une organisation créée en 2002 à l’initiative de la Russie, la Biélorussie, l’Arménie, et des trois républiques de l’Asie centrale (une sorte de surgeon du Pacte de Varsovie). Indiquons que pour justifier pareille demande d’intervention, qui remettait en cause le principe fondateur de l’OTSC (assurer la protection des pays membres contre des agressions étrangères), le pouvoir kazakhstanais évoquera des actions menées par des terroristes téléguidés par des puissances évidemment étrangères. Nous verrons plus loin que ce « deux poids deux mesures » se trouve illustré par d’autres exemples.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant la principale objection porte sur le rôle de l’OTAN, véritable serpent de mer pour ceux qui peu ou prou entendent « excuser » Poutine. Une objection autant entendue à l’extrême-droite que dans la gauche souverainiste ou une partie de l’extrême-gauche (voire au-delà). D’où le discours selon lequel certes l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe doit être condamnée mais l’OTAN (et à travers elle les anglo-américains et dans une certaine mesure l’UE) en porte en partie la responsabilité. Certains commentateurs renvoient même dos à dos l’agresseur et ceux qui, selon eux, l’ont contraint à intervenir en ce sens. Sandrine Aumercier relève justement que « parler de propagande russe ou de propagande occidentale sans mentionner la différence essentielle que constitue, d’un seul des deux côtés, l’accès à une information multiple et contradictoire constitue - comme le dénoncent du reste certains russes eux-mêmes - une obscénité pour tous ceux qui risquent de finir en prison s’ils défendent un autre point de vue que le point de vue officiel ». C’est également la position de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(l’article « Guerre du capital et antennes anti-impérialistes : l’Ukraine ») qui depuis la critique du même constat (« la propagande ukrainienne vaut bien la propagande russe ») précise : « C’est un coup de poignard contre tous les manifestants et les personnes, qui mènent aujourd’hui une lutte certes minoritaire contre la guerre en Russie (…). Parler en terme de pure propagande de la part des protagonistes et des deux côtés, c’est faire comme si cette propagande effaçait la mémoire des faits passés ». Quand on sait que l’opposition en Russie depuis le 24 février se trouve à ce point criminalisée que même la mention des mots « guerre » et « invasion » relève d’une peine de prison, cela disqualifie encore plus les « bonnes âmes » qui diluent ainsi les responsabilités.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons à l’OTAN, puisque beaucoup s’accordent à dire qu’en réalité, par delà le discours propagandiste de la Russie à usage interne ou à destination de ses soutiens extérieurs (la fiction d’une Ukraine nazifiée, et génocidaire à l’égard des populations du Donbass) pour justifier l’invasion de l’Ukraine, Poutine ne supportait pas - il n’en a jamais fait mystère - l’idée que l’Ukraine puisse un jour ou l’autre adhérer à l’OTAN. Il convient de prendre du recul pour tracer les grandes lignes d’une histoire dont nous ferons remonter les prémices à l’éclatement de l’URSS. Avant d’entrer dans ce détail deux données doivent être soulignées : d’abord la Russie, y compris avec Eltsine, s’est régulièrement opposée à l’élargissement de l’OTAN vers l’Est ; ensuite l’OTAN n’a jamais promis à la Russie qu’elle ne s’élargirait pas. On peut toujours regretter que la dissolution du Pacte de Varsovie n’ait pas entraîné celle de l’OTAN. Le passif de l’Alliance Atlantique est surtout à mettre sur le compte de son intervention en 1999 au Kosovo (dont on rappelle qu’elle n’avait pas obtenu l’approbation du Conseil de sécurité), et plus tard en Afghanistan. En revanche, la création en 1997 du Conseil OTAN-Russie avait pour objectif de favoriser des relations de coopération et de sécurité mutuelle entre les deux parties. De 1999 date l’intégration de la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie à l’OTAN, suivie en 2004 par la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et les Pays Baltes. D’autres adhésions suivront, toujours en Europe. Sinon la Russie a signé, entre 1990 et 2009, de nombreux accords internationaux au travers desquels elle s’engageait à respecter les frontières de l’Ukraine ainsi que sa souveraineté.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En 2014, suite à l’invasion de la Crimée par l’armée russe et le rattachement de cette province ukrainienne à la Russie (en réaction au mouvement Maïdan), l’OTAN suspend sa coopération avec la Russie. Une année également marquée par l’émergence de mouvements séparatistes pro-russes dans la province du Donbass, frontalière de la Russie. D’où un conflit armé entre l’armée ukrainienne et les forces séparatistes, aidées par la Russie, qui n’a pas cessé malgré des périodes de rémission (celles consécutives aux deux accords de Minsk). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est dans un contexte tendu sur le plan international (provoqué en partie par la présence de 100 000 soldats russes à la frontière ukrainienne), que la Russie adresse le 15 décembre 2021 deux projets de traités, l’un aux États-Unis, l’autre à l’Otan et aux pays de l’Alliance Atlantique, ceux de dispositions censées assurer la sécurité de la Russie. Dans ces propositions se trouve réitérées la renonciation de l’OTAN à l’adhésion de l’Ukraine et de la Georgie, ainsi que celle de l’élargissement de l’Alliance Atlantique vers l’Est de l’Europe. Y figurent trois autres exigences : l’arrêt de la coopération militaire de l’OTAN avec les pays postsoviétiques, le retrait des armes nucléaires étasuniennes de l’Europe et le retrait des forces armées de l’OTAN aux frontières de 1997. Ces trois dernières demandes étant évidemment irrecevables. D’où ensuite cette partie de poker menteur entre la Russie et les occidentaux au sujet des projets d’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. La seule certitude étant, ceci rappelé haut et fort par Biden, que l’Ukraine ne faisant pas partie de l’OTAN (cette adhésion n’étant pas de surcroît à l’ordre du jour) cette dernière n’interviendrait pas en cas d’agression russe. Pour ceux, la majorité, comme l’auteur de ces lignes, qui malgré tout doutaient que la Russie franchisse ce pas, la reconnaissance par Poutine le 22 février de la souveraineté des séparatistes sur les deux provinces du Donbass venait dissiper cette illusion. Les séparatistes, c’était le but recherché, pouvaient ainsi « légitimement » faire appel à l’armée russe. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ces précisions s’avèrent nécessaires pour prolonger notre analyse sur ceux qui, en France, font figure en quelque sorte d’alliés objectifs de Poutine en défendant une position « campiste » (dans le sens où l’ennemi est d’abord ou exclusivement l’impérialisme américain). Une position qu’un camarade libertaire qualifie « d’une atrophie mentale de type hémiplégique qui consiste à considérer que seuls les États-Unis peuvent être impérialistes et qu’il faut donc soutenir n’importe quel État ou mouvement politique sur la planète du moment qu’il s’oppose aux États-Unis et au camp occidental ». C’est pourtant le point de vue que défend Jacques Fradin (son texte « Le grand retour des guerres interimpérialistes », disponible sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lundi Matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) qui nous apprend que le projet d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN « est une déclaration de guerre. A laquelle la Russie a répondu inévitablement ; le projet d’inclusion de l’Ukraine dans l’OTAN ne laissait aucun choix à la Russie, sauf de manière rampante ». Ce projet qui déjà datait du début de ce siècle (lors de la « révolution orange ») n’était pourtant pas à l’ordre du jour en février 2022, comme je viens de le rappeler. Jacques Fradin invente le concept de la guerre par anticipation. Heureusement que ce concept est resté pour ainsi dire à l’état lettre morte parce que l’humanité n’y aurait pas survécu. Autre exemple de ce poutinisme impénitent, Fradin fait écho au propos cité plus haut de Poutine quand, depuis une référence au « peuple ukrainien », il se demande benoîtement : « Un tel peuple existe-t-il ? ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous poursuivons cet inventaire avec Branco Marcetic (article sur le site </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">LVSL</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> : dont le titre, « L’invasion de l’Ukraine renforce la fraction militariste des élites américaines », résume bien ce que ces commentateurs retiennent de la guerre en Ukraine). Cet auteur admet comme « probable que le Kremlin ait réellement projeté d’envahir l’Ukraine depuis des mois, comme responsables occidentaux l’affirment ». C’est même plus que probable, et nous en aurons la confirmation tôt ou tard. Cependant Marcetic, ceci posé, se demande si les mêmes ont « contribué à déclencher ce qu’ils prétendaient vouloir éviter ». Une seconde interrogation (« En refusant toute négociation et en conduisant à un accroissement des tensions dans la région n’ont-ils pas mis en place un terreau favorable que Poutine a su exploiter ? ») vaut également comme affirmation. Si en terme de tensions les torts sont partagés, Marcetic s’abstient de mentionner tout ce qui viendrait contredire l’aspect unilatéral de son raisonnement. La Russie poutinienne avançait ses pions sur un échiquier en se dotant d’une stratégie qui devrait, en cas de victoire, faire revenir l’Ukraine dans le giron russe (ou grand-russe en l’occurrence). Plus loin, Marcetic, en se référant à « l’enlisement du conflit en cours » évoque alors la Syrie : une comparaison qui ne manque pas de sel puisque, à lire l’auteur, ce sont « les livraisons d’avions américaines en Syrie » qui auraient alimenté « le phénomène djihadiste ». Une curieuse relecture de l’histoire, qui en plus se garde bien de dire un mot sur le déluge de feu russe, visant bâtiments et populations civiles, qui s’était abattu en 2016 sur Alep : prolongeant Grosny et anticipant Marioupol. Ceci pour conclure, nous revenons à l’invasion russe de l’Ukraine et ses conséquences, que « c’est l’extrême-droite ukrainienne, y compris sa frange néo-nazie - qui risque de bénéficier de cette ingérence ». Alors que Poutine entendait dénazifier l’Ukraine, la résistance ukrainienne et l’aide apportée à celle-ci par les américains et les européens, renversent la perspective. Comment ne pas condamner impérativement pareille ingérence ! On comprend que Branco Marcetic soit mécontent. Si nous ne vivions pas en direct la pire catastrophe géo-politique depuis la Seconde guerre mondiale il y aurait de quoi rire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce Marcetic nous donne l’occasion, avant de répondre au troisième commentateur, de faire le point sur cette fiction d’une « Ukraine nazifiée ». C’est particulièrement désolant de constater que des intellectuels et militants que l’on croyait pourtant avertis (nous en aurons un autre exemple juste après) reprennent sans barguigner la propagande du Kremlin en la matière. On pourrait se contenter de signaler que le candidat d’extrême-droite - du parti Svoboda - aux dernières élections présidentielles ukrainiennes de 2019 n’a pas dépassé 2%, et que les élections législatives qui s’ensuivaient (où deux autres partis d’extrême-droite s’étaient joints à Svoboda) n’ont envoyé nul candidat de cette tendance au parlement ukrainien (cette liste n’ayant même pas atteint 3%). Si l’on prend en considération cette donnée chiffrée, en regard d’une Ukraine soi-disant « nazie », Poutine aurait été plus avisé de venir bombarder la France (où l’extrême-droite dépasserait 30% dans les deux cas de figure). Et en plus ce peuple nazi élit un président Juif ! C’est à n’y rien comprendre : Hitler doit se retourner dans sa tombe !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il est vrai que cet exemple, pourtant plus que parlant, est totalement absent de la propagande russe et de ses relais français. Alors, qu’est-ce qui lui permet de répéter sur tous les tons que l’Ukraine serait nazie et de trouver dans l’hexagone des idiots utiles pour l’accréditer ? Les prémices de cette fiction d’une « Ukraine nazifiée » datent des années 2004 et 2005, des lendemains de la « révolution orange », donc d’un rapprochement de l’Ukraine avec l’Europe occidentale. D’où, sous la présidence Iouchtchenko, la volonté de faire appel à un « mémorial ukrainien » corollaire d’une « désoviétisation » de la société. La présidence suivante, pro-russe, bloque ce processus mais le mouvement Maïdan l’inverse. Poutine qualifie Maïdan de « coup d’État organisé par des fascistes et des nazis ». Ce qui reste la ligne officielle du Kremlin jusqu’à ce jour. Nous n’avons pas pour autant répondu dans le détail à la question posée plus haut. D’abord, durant la Seconde guerre mondiale, les nationalistes ukrainiens de l’UPA ont dans un premier temps (avant de s’y opposer) collaboré avec les nazis qui occupaient le pays en pensant que l’Allemagne victorieuse accorderait l’indépendance à l’Ukraine. Signalons aussi que le nombre de soldats incorporés à la Wermarcht s’avère dix fois inférieur à celui de ceux ayant combattu dans l’armée rouge. Ensuite le fameux groupe paramilitaire ultra nationaliste Azoz (ainsi que d’autres groupes de cet acabit), qui s’était illustré l’année 2014 en reprenant Mariopol, que venaient d’occuper les forces pro-russes du Donbass, a rapidement été intégré dans l’armée ukrainienne après les premiers accords de Minsk. Il ne comporte plus aujourd’hui dans ses rangs le noyau dur extrême-droitier de ses débuts. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin, la propagande du Kremlin met l’accent sur le fait que l’Ukraine a été en 2021 le seul pays, avec les États-Unis (tous les pays européens et ceux du monde occidental s’étant abstenus) à s’opposer à un projet de résolution présenté par la Russie, visant à « condamner la glorification du nazisme et du néo-nazisme » et des « pratiques de discrimination raciales ». En réalité, ce texte proposé régulièrement depuis 2005 au vote de l’ONU, « est une manoeuvre politique qui prend appui sur des faits réels - l’existence de sites racistes, antisémites, révisionnistes, dans pratiquement tous les pays du monde - pour viser des États, notamment les États Baltes et l’Ukraine qui apparaissent aux yeux de Moscou comme étant les continuateurs des mouvements collaborationnistes », précise Jean-Yves Camus. C’est même une manoeuvre grossière parce que cette résolution, si on sait lire, a principalement été rédigée pour incriminer l’Ukraine, et accessoirement les pays Baltes ou les anciens États membres du Pacte de Varsovie. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Notre dernier commentateur, Yvan Segré (l’article « Le trio infernal : Poutine, l’OTAN et les néonazis », disponible sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lundi matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) reprend explicitement la vision poutinienne d’une « Ukraine nazifiée » en s’appuyant sur les exemples que nous venons de citer. Comme Branko Marcetic il pense que la guerre que mène la Russie va « faire basculer l’Ukraine corps et âme dans le giron des néonazis et non d’éteindre l’incendie ». Sur un autre plan Segré emboite le pas à Jacques Fradin pour se plaindre d’un traitement disproportionné entre l’intervention militaire en Ukraine (au sujet de laquelle il a l’impudence, ou l’imprudence, d’avancer que seule une « centaine de victimes » a décidé d’un « embargo sur le gaz et le pétrole russe » !) et l’intervention des pétromonarchies au Yemen. Cela n’empêche nullement de dénoncer le rôle de l’Arabie Saoudite et des Émirat arabes unis (voire en face celui de l’Iran, dont Segré ne dit mot) dans le conflit yéménite mais l’on ne saurait comparer ce qui est incomparable. Entre autres raisons, toutes les rappeler serait fastidieux, parce que le risque de voir la Russie faire appel à l’arme nucléaire, qui semble moins d’actualité depuis plusieurs semaines, ne reste pas tout à fait exclu au moment où nous écrivons ces lignes (nous avons frôlé le pire lors du bombardement, puis de l’occupation par l’armée russe du site de Tchernobyl). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un article (« L’Empire est un chaos, l’Empire est parano »), disponible sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lundi matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), Serge Quadruppani nous livre des éléments d’analyse critique sur Poutine, le complotisme, le campisme, l’anti-impérialisme autant pertinents que bienvenus. Nous le suivons également quand il indique qu’un « sentiment positif comme la solidarité pour ceux et celles qu’agressent les puissances devrait être un réflexe minimal ». C’est pourquoi, vers la fin de l’article, le lecteur, qui déjà s’interroge d’apprendre que confronté à une situation comme l’est celle de l’Ukraine aujourd’hui « il faut savoir accepter la réalité, c’est à dire qu’on ne compte pour rien. Et prendre du temps pour redevenir quelque chose », ne s’attend peut-être pas à découvrir juste après, sous la plume d’un auteur comme Quadruppani, l’assertion selon laquelle « on peut trouver particulièrement insupportable l’adoption-réflexe, trop fréquence encore en milieu radical, d’une posture arrogante qui nous a déjà joué bien des tours ». On subodore alors, compte tenu du contenu de l’article, de l’orientation indiquée, que Quadruppani va se retourner contre quelques uns de ceux qui sont intervenus récemment sur l’Ukraine, en des termes comparable à cet « ami, traducteur et poète délicat » pour qui soutenir les ukrainiens participe d’un exercice de propagande. Mais non ! Quadruppani se rapporte ici au « ton hautain », au « goût de la provocation et du scandale, vieille tradition française héritée des surréalistes et des situs ». La surprise est complète. C’est comme si l’auteur d’un roman policier ne livrait pas le nom du véritable coupable dans les dernières pages de son récit. On sait que Serge Quadruppani n’en finit pas de régler des comptes avec Guy Debord, mais quel rapport entre les tribulations de Debord dans l’Italie des années 70 et ce dont il est question dans cet article ? Si au tout début de la guerre froide, lors de l’implosion en France du Rassemblement Démocratique Révolutionnaire, les surréalistes, implicitement sommés de se prononcer en faveur de l’un ou l’autre bloc, refusaient à juste titre de choisir entre l’impérialisme américain et l’impérialisme soviétique, nul doute qu’aujourd’hui leur soutien à l’Ukraine serait dicté par des considérations comparables aux nôtres (et à celle de Quadruppani !).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je trouve regrettable que cette « actualité » n’ait pas incité, ou pas suffisamment, historiens concernés ou auteurs libertaires à nous remettre en mémoire l’épopée de la Makhnovtchina, dont les combats, qui les opposèrent aux armées Blanche et Rouge (voire aux nationalistes ukrainiens) dressent une cartographie de l’Ukraine qui est presque le décalque de l’actuel terrain des opérations de guerre. On me répondra, non sans raison, que l’on ne saurait comparer la société - « sans maîtres ni esclaves, sans riches ni pauvres », celle de « soviets libres » basés sur la démocratie directe - à laquelle aspiraient Makhno et ses camarades de l’armée insurrectionnelle, avec ce que notre soutien à la résistance ukrainienne indique et signifie. C’est d’abord en réaction à l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, à l’occupation du pays et à ce qu’elle génère, ceci étant pour toutes les raisons plus haut mentionnées éminemment condamnable, que nous soutenons le peuple ukrainien. Cela n’a rien de révolutionnaire, ni ne constitue un blanc seing en faveur du pouvoir ukrainien. Mais sinon ce serait, d’une part insulter ceux qui en Russie prennent les risques que l’on sait pour dénoncer et combattre le pouvoir poutinien ; d’autre part, mettre l’indignation dans sa poche, ou adopter l’attitude du renard de la fable, reviendrait à s’aligner peu ou prou sur ceux qui, dans le monde occidental, en renvoyant plus ou moins certes les belligérants dos à dos, se comportent dans des proportions variables comme des alliés objectifs du maître du Kremlin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un tout autre domaine, au sujet de la situation des artistes russes en activité dans le monde occidental, soutiens de Poutine ou pas, toute question portant sur leur responsabilité reste posée, mais ne saurait se transformer en règle punitive à l’aune de ce que signifie pour un grand nombre de ces artistes l’obligation de prendre parti à la demande d’une institution culturelle. En revanche, vis à vis de défenseurs trop zélés de l’Ukraine, ou de transfuges des cultures woke et cancel, il importe de s’opposer aux responsables culturels qui font également porter la responsabilité de ce que commet l’armée russe en Ukraine sur Dostoïevski, Tchekhov, Tchaikovsky, Moussorgski, etc. Ici la « solidarité avec l’Ukraine » se situe au niveau de « la solidarité avec les femmes » (la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Carmen </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">florentine revue et surtout corrigée par #meetoo) ou de la « solidarité envers les peuples polynésiens » qui vise à interdire ou à encadrer toute exposition sur Gauguin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pourtant, en regard de cette tragédie ukrainienne, comment ne pas évoquer Dimitri Chostakovitch</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> et ses deux symphonie de guerre (la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Septième </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Huitième</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), au sujet desquelles Laurent Sagalovitsch écrit : « Les écoutant aujourd’hui, il suffit de fermer les yeux pour se retrouver quelque part en Ukraine. On y entend le vrombissement des chars, le vacarme désordonné des bombardements, le sifflement des canonnades, le désarroi des populations civiles, l’angoisse, la peur des combattants, la terreur au quotidien, la fuite, le bruit, les mutilations des corps broyés, l’affreuse musique de la guerre qui broie et mutile ce qui reste de l’espérance humaine ». Ceci dans la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Huitième, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">principalement, dont le premier mouvement qui, après un thème de « musique de glaciation », devient paroxystique (jamais peut-être pareil cri de révolte de s’est fait entendre en musique) : il s’agit certes d’une dénonciation de la guerre et de son cortège d’horreurs, mais il n’est pas interdit d’y entendre également celle de toute oppression. Et puis les bombardements russes ont remis d’actualité la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Treizième symphonie (Babi Yar)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, la dernière passe d’armes entre Chostakovitch et le pouvoir soviétique. Une oeuvre chorale qui tout en dénonçant, depuis les vers d’Evtouchenko, l’exécution par les nazis en 1941 de milliers de Juifs, n’évoque pas moins l’antisémitisme latent dans l’Union soviétique de l’après guerre. Alors, écoutons, réécoutons Chostakovitch !</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avril 2022</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
</strong><br class="Apple-interchange-newline" />LA CHANSON SELON PIERRE PHILIPPE : HOMMAGE À L’UN DES PLUS GRANDS PAROLIERS DU XXe SIÈCLEurn:md5:389d8d7d83ff2dda4b8495e778c772c82022-02-05T11:14:00+01:002022-02-05T11:20:36+01:00Max VincentEssais littéraires2022Chanson <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-31f5480b-7fff-330f-4b2f-a76e9ac62d48"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">LA CHANSON SELON PIERRE PHILIPPE : HOMMAGE À L’UN DES PLUS GRANDS PAROLIERS DU XXe SIÈCLE</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mais moi qui suis sans contrat / Avec les gens dits honnêtes / Je leur préfère les malfrats / Eux au moins sont des poètes</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierre Philippe : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Weidmann</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pierre Philippe est décédé le 20 décembre 2021. Totalement inconnu du grand public, il a pourtant signé, de mon point de vue, quelques uns des plus beaux textes de chansons du XXe siècle. Encore que l’adjectif « beau » ne soit pas tout à fait de mise avec ce parolier, à moins de lui associer ceux de « singulier », « d’étrange », « d’insolite » ou de « sulfureux » ; voire, pour une partie de son oeuvre, « d’adjectifs qui pourraient qualifier la partie « Épaves » des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fleurs du mal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou une certaine poésie symbolique « fin de siècle ». Le plus surprenant étant que Pierre Philippe (auteur ou producteur de films pour la télévision, cinéaste, historien du cinéma et du music-hall, mais également peintre, journaliste, décorateur de théâtre, scénariste, dialoguiste, romancier) est devenu parolier plutôt par hasard (et à l’âge de 47 ans). Ceci parce que l’actrice et chanteuse Ingrid Caven lui avait demandé d’adapter pour son tour de chant en français trois textes de chansons de Rainer Werner Fassbinder. Ce dont Pierre Philippe s’acquittera. Jean Guidoni, un jeune chanteur qui alors se cherche, venant entendre Ingrid Caven au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pigall’s, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entreprend de rencontrer Pierre Philippe. Sa demande, pour le moins incongrue, de lui écrire des textes de chansons, reçoit néanmoins un accueil favorable. De cette collaboration naissent quatre albums consécutifs entre 1980 et 1985. Puis Pierre Philippe écrit pour Juliette durant la décennie suivante. Avant de retrouver en 1999 Jean Guidoni : des retrouvailles illustrées par l’exceptionnel, mais malheureusement méconnu double album « Fin de siècle ». Tous les textes des chansons de Pierre Philippe ont été rassemblés en 2004 par les Éditions Christian Pirot sous le titre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le rouge le rose. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans l’avant propos de ce recueil, Pierre Philippe se décrit comme un « parolier d’occasion », et ajoute qu’il a « pu connaître, non le succès, mais les satisfactions plus essentielles d’une tâche exécutée dans le doute, la rigueur et la passion ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bien qu’écrivant en tant compte de la personnalité de ses deux interprètes, Pierre Philippe n’en impose pas moins un univers que l’on qualifiera, d’un texte de chanson à l’autre, de « décadent », « baroque », « équivoque », « érotomane », ou même « morbide » : adjectifs peu consensuels, il va sans dire ! On peut d’ailleurs ajouter le terme « expressionniste » à ces qualificatifs. Il reste à préciser qu’à côté de cette veine, disons poétique, il existe une veine politique, explicite avec Guidoni, et plus implicite en ce qui concerne Juliette. C’est dire que Pierre Philippe écrivait spécifiquement pour ses deux interprètes de prédilection (des aspects de la vie de Jean Guidoni apparaissent dans plusieurs chansons), sans que ni l’un, ni l’autre ne s’approprie (à la manière d’une Piaf, d’une Greco ou d’un Montand) l’univers singulier de l’auteur. La personnalité de Guidoni, ni même celle de Juliette n’en sortent nullement amoindries. Mais il paraissait important de le souligner. C’est aussi, indirectement, une réponse aux questions pour lesquelles Jean Guidoni d’abord, puis Juliette ensuite ont cessé à un moment donné de collaborer avec Pierre Philippe (avec le premier cela se fera en deux temps).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant d’aborder « l’oeuvre » proprement dite de Pierre Philippe indiquons que la chanson, même écrite par les plumes les plus talentueuses, ne saurait exister sans une musique et une interprétation. Citons ici le nom de quelques uns des compositeurs (Astor Piazzolla en premier lieu, mais également Michel Cywie, Carlos d’Alessio, Yani Spanos, Philippe Dubosson, Thierry Matioszek, Alain Bashung, Didier Goret, Jean-Claude Vannier, Patrick Laviosa, Romain Didier, François Hadji-Lazaro…) des chansons interprétées par Jean Guidoni. Ainsi que celui de Juliette Noureddine, la compositrice de toutes les chansons écrites par Pierre Philippe (à deux exceptions près, Didier Goret).</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il faudrait pouvoir disposer des textes originaux des trois chansons de Rainer Werner Fassbinder écrites pour Ingrid Caven sur des musiques de Peter Raben, et connaître la langue allemande pour savoir si les traductions en français de Pierre Philippe (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Acne vulgaris, Le bel amour, Carnaval</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) font justice aux textes originaux, ou si déjà on peut y entendre quelque écho anticipé du Pierre Philippe à venir. Cela importe peu puisque Jean Guidoni, découvrant le tour de chant de la Caven au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pigall’s, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">finira par rencontrer Pierre Philippe pour lui demander de lui écrire des textes de chansons. Notre « parolier d’occasion » mettra préalablement le jeune interprète à l’épreuve (en lui proposant les textes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je marche dans les villes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et surtout de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chanson pour le cadavre exquis</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Cependant Guidoni n’en aura heureusement cure. Inspiré par la vie de son interprète, Pierre Philippe écrit alors tous les textes des chansons (mis en musique par Michel Cywie) qui se retrouvent sur le premier véritable disque de Jean Guidoni.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le résultat, déroutant, singulier, et en dehors des sentiers battus et rebattus de la chanson du moment (1980), sera même qualifié de « subversif » à juste titre (alors que cet adjectif commençait déjà à être galvaudé). Si </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je marche dans les villes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">donne son titre à l’album, cette chanson n’est pas pour autant la plus représentative de ce disque. Trois vers cependant (« Je veux l’inaccessible / Je cherche l’impossible / Le diamant dans la merde ») nous confrontent à un univers qui ferait un improbable lien entre « la quête » chantée par Jacques Brel et un thème récurrent de Georges Bataille. Le dernier vers peut se rapporter à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Midi Minuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: c’est à dire l’éloge paradoxal par Pierre Philippe de ces salles de cinéma porno où celui qui en est l’habitué « a sa place ici pourvu » qu’il « soit damné ». C’est même moins avilissant de traîner sa misère dans un « Alhambra déchu » ou un « Trianon merdique » que se réclamer de ce qui dans le domaine sexuel se trouve codifié et fait force de loi : « Vos images admises sont tout aussi abjectes / Que celles qui me retiennent dans ce Midi-Minuit ». C’est le personnage que chante Jean Guidoni qui, évoquant son « frère de la Goutte d’Or », comme lui rejeté « par la planète entière », désigne comme signe de reconnaissance, la « Même horreur du grand jour collée à nos paupières / Et mêmes chewing-gums collés à nos souliers ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ironiquement appelée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La chanson optimiste, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le texte ne prend toute sa signification qu’à l’écoute. En effet, musicalement parlant, il paraît difficile de ne pas y entendre un optimisme à la Trenet. Pourtant, autre ironie, cet optimisme se trouve contredit par « Mon désir / C’est le grand désordre / Mon plaisir / Serait de voir mordre / La poussière à ce monde en fin de parcours », et autres joyeusetés en termes de déraillement de train et de « braves gens qui roulent à l’égout ». Le tableau s’avère radicalement pessimiste : « Mon espoir / S’est mué en névrose ». D’ailleurs le refrain l’indique : « Mon objet c’est la fin du monde ». Ou encore : « Mon humour / S’est changé en rage ». Avec la touche finale d’un propos prêté à l’auteure de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Détruire dit-elle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Comme dit Marguerite Duras en experte / Ce monde est pourri qu’il aille à sa perte ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chez Guitte </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">introduit un thème que Pierre Philippe traitera plus tard sur un autre mode : l’évocation de l’Occupation. Ici cela reste en filigrane car cette chanson plante principalement le décor d’un bistrot « au bout de la rue sans nom » que fréquente une faune interlope. On y vient surtout pour écouter Guitte, la patronne, qui « au moment où la lumière change (…) lâche son accent faubourien / Pour retrouver la voix des anges ». Elle reprend les refrains du temps de sa splendeur, ceux « de sa boite de la rue de Ponthieu ». De ces années d’Occupation, où Guitte comme on le sait « n’écoutait pas Radio-Londres ». Guitte chante « Les filles à soldats les femmes damnées / Bref toutes les femmes qui lui ressemblent ». Cela dure « jusqu’au petit matin » et l’on s’en va quand « C’est l’heure d’interroger le destin / Et de lui trouver une drôle de gueule ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’ambivalence qu’exprime </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Djemila </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est d’une autre nature. Le narrateur croise Djemila à « l’heure des poubelles » : une femme marchant « au milieu de la rue / L’air hautain et rebelle ». Djamila lui met le « coeur en pièces » et notre amoureux transi la guette en vain « au coin de la rue Saint Martin ». Jusqu’au jour où il découvre « l’étrange Sarrasine » à la une d’un magazine. Il apprend « qu’elle est de la jet set / Qu’elle fréquente le Palace / Saint-Germain-des-Prés et le Sept ». Enfin, projets à l’avenant : « Qu’elle se sent bien dans une époque / Si antédiluvienne ». Le charme est totalement rompu : « Si elle me voit / Bien sûr qu’elle passera outre / Et qu’un pauvre type comme moi / Elle n’en a rien à foutre ». La chanson se clôt sur une note de mélancolie. Il ne reste plus au personnage, qu’interprète Guidoni avec une émotion communicative, qu’à oublier cette Djemila sur papier glacé. C’est aussi une manière de dire, pour paraphraser Maïakovski, que la barque de l’imaginaire s’est brisée contre la trivialité du réel. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On ne saurait dédaigner </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il y a, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dont les qualités mélodiques prennent le pas sur le texte, mais il importe de conclure ce « Je marche dans les villes » par la chanson la plus insolite, la plus étrange, la plus sulfureuse, et sans doute la plus emblématique de cet album : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chanson pour le cadavre exquis. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un mot ici ne sera pas prononcé, pas plus qu’il n’apparaît sous la plume de Pierre Philippe, mais le refrain l’exprime sans le moindre fard : « Notre roman d’amour / On n’en doit pas parler / Est-ce encore de l’amour / Que de l’amour volé (…) Nul ne doit s’en douter / Et nul ne le saura / Pas même toi ». Soit un vertigineux exercice de style sur une « façon d’aimer » que la chanson, toutes époques confondues, à ma connaissance n’a jamais traitée. « Moi je ne viole personne, je ne pollue qu’une ombre », n’est ce pas. Le temps d’une courte nuit passée à » explorer tous les plis de ton corps évidé », d’un corps qui « restera froid comme celui des martyrs », mais « en toi jusqu’au jour je jouirais à mourir / A mourir de plaisir avant qu’ils ne te prennent ». Il sera temps alors « que je te remaquille / Après m’être gorgé de ton cadavre exquis ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le second opus de la collaboration entre Jean Guidoni et Pierre Philippe, le disque « Crime passionnel », se distingue du premier par son unité. Il s’agit d’un album / concept sur le plan thématique mais également musical. Les musiques sont toutes composées par Astor Piazzola, dont les tangos d’une belle noirceur épousent la thématique de ce disque : la vie sentimentale d’un homme en proie à la solitude et à la violence de ses sentiments. La langue de Pierre Philippe se déploie, superbe, dans la passion comme dans la déréliction. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le premier titre, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Haut mur, l’action -</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> celui de la ville où le narrateur (« L’âme bétonnée / Et le coeur goudronné / Comme tous ceux qui sont nés / D’un ventre trop servile ») - se déplace le long des murs qui séparent ce personnage du monde d’au-delà de la ville. Dans cette cité, jamais quittée, le narrateur suit « Le flot bien endigué / De ces gens fatigués / Coulant vers leur asile ». </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Masque noir, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le deuxième titre, une brillante variation sur le thème du masque, donne quelque idée de la déréliction de ce personnage ne sachant à quel masque se vouer, puisque l’absence de son masque noir le désigne à la vindicte de ceux qui parlent de « rachat », mais répondent « par un crachat ». D’où l’obligation de se munir de ce masque, y compris pour entrevoir « l’être aimé (…) pourvu / Du même masque et qu’à sa vue / Je compris que gagnait la peste ». Rien ne peut alors advenir, ni dissiper la peur, car « nos mots masqués eux-mêmes / Ont refusé de dire Je t’aime ». C’est peut-être le monde d’avant que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Coup de coeur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">évoque, puisqu’elle lui a dit « Je te ferai aimer la vie », ce dont le narrateur témoigne. Même si la mention « Tu as scié / L’arbre de ma liberté / Mais j’ai pu de ta beauté / Avoir le baptême », entretient le doute, jusqu’à l’aveu : « Mais je préfère / De tes bras subir les fers / Et te laisser faire / Petit Lucifer / Vivre en ton enfer ». </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Solo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">prolonge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Coup de coeur, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tout est dit et son contraire aussi : « Mais j’aurais peur si j’étais toi / De ce type qui s’apitoie / Et qui embrasse tes genoux / En répétant bêtement Nous ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Weidmann, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">fait figure de transition ou de digression entre les deux parties de « Crime passionnel ». C’est avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fleurs fanées </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les draps blancs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui clôt ce disque, le point culminant de l’album. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Weidmann, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du nom du dernier condamné à mort exécuté en public, rend à sa façon hommage aux « beaux assassins » qui finirent « en beauté aux mains de Desfourneaux ». Quelques vers évoquent, sans les nommer, les membres de la bande à Bonnot ou quelques uns de leurs équivalents qui « rendaient dans les banlieues / La justice expéditive ». La presse les traitant de « tueurs fous » ou de « dévoyés psychopathes ». Mais, ajoute le narrateur, « moi qui suis sans contrat / Avec les gens dits honnêtes / Je leur préfère les malfrats / Eux au moins sont des poètes ». De leurs exploits, au journal jauni qui en fait le récit « manque un bout de page ». Ce dont notre narrateur se félicite, qui préfère ne rien savoir « des humiliations / De ces fauves livrés aux argousins en rage ». Alors à l’heure où « tombe la lame inflexible », quand « les braves gens » pensent « que justice est faite » le narrateur « peut avouer sans gène / Que son héros favori / Se nomme Weidmann Eugène ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous reprenons le fil de cet « Crime passionnel » avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qui crie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une variation sur le thème du cri qui fait écho à la chanson précédente avec le cri « de l’enfermé à vie dans sa cellule / Qui sur un nom gravé sur le plâtre éjacule », mais également à la chanson suivante (« Et moi mon bel amour qui voit son sang s’épandre / La lame dans ma main et crie sans rien comprendre »), </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lames. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">De lames à larmes il n’y a qu’un coeur empli des unes et des autres. Et puis « Vivre à couteaux tirés / Ce n’est pas une vie / On est exaspéré / Et l’on a des envies ». Le tango se fait volontiers déchirant avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fleurs fanées. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">De nombreuses couleurs sont convoquées, y compris « Les rouges de ton corps me répondent en écho / Me criant le mot sang quand je dis le mot fleur ». L’écho également, baudelairien, des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fleurs du mal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Et j’ai bu l’eau du vase et tes fleurs ont séché / Je regarde ta mort et suis pris de vertige ». Ces fleurs fanées finiront par rejoindre les ordures, remplacées par des fleurs artificielles : histoire de se persuader que « le langage des fleurs est une langue morte ». Ici </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sombre dimanche </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">prend le pas sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les fleurs du mal</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> : « De ma chambre plus triste qu’un matin de décembre / Je vais jeter la gerbe / Comme chantait Damia L’odeur des Fleurs pourries ». Puis à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mandat d’amener </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« D’amant / Damné ») succède </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les draps blancs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le sommet de la collaboration du trio Piazzola, Philippe et Guidoni. Une chanson pour saisir la vie depuis la métaphore des draps blancs (« C’est dans les draps blancs que tout commence / Et que tout finit / Beaux draps repassés de l’existence / Aux plis bien jaunis »). Mais également (« Comme une anarchie / Des draps blancs maculés de noir / En un sanglant gâchis ») la vie conçue comme un « purulent opéra », selon Pierre Philippe.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le disque paru l’année suivante (1983) n’a pas cette unité. En raison des musiques confiées à cinq compositeurs, mais aussi à travers les thématiques : même si trois chansons abordent un continent politique peu exploré jusqu’à présent par Pierre Philippe (mais en le traitant sous des angles chaque fois différents) et que deux autres titres relèvent de l’érotomanie. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un enfant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">semble provenir de « Crime passionnel », alors que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Smoking blanc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">évoque le temps qui passe, plus cruel pour ce vieil artiste posant jadis en smoking blanc : « De ce qu’il mendie / Dans son regard mort ». Sur une thématique équivalente </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Grand mère fait du strip-tease </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">renverse la perspective. Là « les fils reviennent à leur maman / Implorent à genoux Reprend-le ton strip-tease ». Soit un hommage rendu aux effeuilleuses, et honte à ceux qui « ne comprennent rien » même si mamé attise « Ces flammes du péché / Qui sont votre hantise ». Brillante déclinaison sur le thème de la couleur rose, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rose </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Beaux bouquets d’ecchymoses / Sous le fouet du marquis ») ou (« Et je sais des osmoses / Des images qui effraient / Les prudes qui opposent / Le bon grain à l’ivraie ») se clôt par « La rose inconsolée (…) De deux triangles roses / Pendus aux barbelés ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Autre couleur à l’honneur, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rouge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">laisse circonspect. Du moins cette chanson paraît décalée dans le contexte de l’année 1983. Nous avons l’impression que le récit de cet ancien communiste, bien revenu de ses engagements passés, mais qui néanmoins aspire à « Retrouver qui je fus autrefois / Cet enfant plein d’amour et de foi / Retrouver avec vous le bonheur d’être rouge », renvoie à la décennie précédente voire à la seconde moitié des années 1960. Il paraît aussi possible que la musique, un rien grandiloquente, desserve le texte. Ce qui n’est nullement le cas de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tout va bien </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(composée par Astor Piazzola) qui met en scène dans un Paris quasiment en ruines après un coup d’État (ou une invasion étrangère) des vainqueurs dont les vers suivants (« Ils ont parqué les Rouges au Palais des Congrès / Dans le Palais des Glaces les pédés sans regret / Et aux Palais des Sports vos chers juifs ont la trouille ») indiquent clairement la couleur. Derrière la réassurance factice du narrateur (« Tout va bien / Ici / Tout va bien / On sent / A des riens / Que la / Vie revient ») la vérité nue, tragique et désolée apparaît dans le constat : « Adieu notre jeunesse voilà le temps qui vient / Du bâillon des oeillères et de la pestilence / Le temps des ovations et celui des silences / Que l’on ne rompt que pour se redire Tout va bien ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous avons gardé pour la bonne bouche les deux titres les plus marquants de l’album, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’amour monstre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le bon berger, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">deux chansons relevant de registres très différents. Dans la première, Pierre Philippe raconte, depuis le décor des baraques de foire du boulevard Rochechouart, l’étrange et troublante histoire de « l’immonde Edwige par les soirs d’hiver ». Soit le chapitre « Les épaves » (des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fleurs du mal</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) égaré dans le « Montmartre des plaisirs et du crime » cher à Louis Chevalier. Edwige n’est-elle pas « Le plus grand prodige / Qui se puisse au monde », puisque cette femme fascinante à qui le narrateur veut offrir « De jolis souliers (…) n’a pas de pied » ; pas plus l’offre d’une ceinture ne saurait la combler parce que « La chère créature / N’a pas non plus de taille » ; et un bracelet « Serait outrageant / Vu qu’elle n’a pas de bras » ; et même « des boucles d’oreille / Se serait vraiment bête / Puisque ma merveille / L’ai-je dit n’a pas de tête / Alors pour finir / Cette année encore / Je n’offre qu’un sourire / A la femme sans corps ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « Le bon berger » du titre de la seconde chanson n’est autre que le maréchal Pétain. Un angélique choeur d’enfants chante le refrain suivant : « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tous les enfants de France / Ont un second papi / Couronné d’espérance / Et de chêne au képi / Étoile à la houlette / Et moustache enneigée / Petit français répète / Tu es notre berger</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». On aura compris qu’il s’agit d’un portrait à charge de la France pétainiste. Dans le tableau familial que nous brosse Pierre Philippe chacun joue dans sa partition : du suiveur (« Alors mon cher papa fit couper ses anglaises / Qu’au pied du maréchal il s’en vient déposer / Petit short kaki et les genoux à l’aise / Jurant de féconder notre sexe opposé ») au délateur (« Cependant que tata à la Kommandantur / Postait ce qu’ils savaient de ces mauvais français ») en passant par l’activiste fasciste (« Où lui aussi pourrait liquider la vermine / Et seconder tonton à traquer les maquis ») et le milicien (« Ce bon tonton Marcel qu’il avait fier allure / Sous le béret viril marqué du signe alpha »). Le narrateur en évoquant sa grand-mère délatrice (qui dit regretter son mari disparu à Verdun) apporte une note d’ironie féroce : « Car mon grand père est mort fusillé pour l’exemple / Sur l’ordre du bon berger sur l’ordre de Pétain ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette collaboration entre Jean Guidoni et Pierre Philippe se clôt, du moins momentanément, avec l’album suivant : « Putains… ». Un disque étonnant, à maints égards, pas tant en raison de la thématique prostitutionnelle, présente dans la majorité des chansons (qui d’ailleurs donne une unité à l’album), que pour des raisons extérieures à l’écriture des textes. D’abord eu égard la couleur musicale du disque, un son pop / rock faisant la part belle aux synthétiseurs. La surprise venant également de l’interprétation de Guidoni, décalée, distanciée, ayant recours à un parlé / chanté initié quelques années plus tôt par Alain Bashung (qui d’ailleurs co-signe deux chansons de « Putain… »). Musique et interprétation en rajoutant, question ironie, sur des textes qui sans doute n’en demandaient pas tant. D’où des réserves qui s’adressent plus à Jean Guidoni qu’à Pierre Philippe. Mais l’on ne saurait y inclure ici la chanson </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chien </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Quand ils aiment / Les pauvres types comme moi / Ils n’ont même / Pas de code et de loi / Ils sont blêmes / Trop blêmes / Ils aiment »)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">magnifiquement interprétée par Guidoni, qui donne encore plus de relief au texte de Pierre Philippe.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tous des putains </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ouvre le bal. A savoir la femme (qui vend son corps), le prolétaire (qui vend sa force de travail), mais aussi le chanteur (« Et moi comme tous les autres en ces temps incertains / / Pour vous plaire vous faire jouir je dois faire le tapin / Espérer votre aumône derrière mon visage peint / Me conduire comme tous les autres en dernière des putains »). </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les fantômes de Marseille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">fait revivre celles dont « parfois on trouvait sur le quai / Le corps froid de celle qu’avait trop ri ». Avec comme bouquet final ce bel hommage au putes marseillaises : « Quand je serai quelque chose au Conseil / Je lui demanderai / Qu’il dresse un grand soleil / Une pierre nue / Pour qu’à son ombre veillent / Les putains inconnues / Fantômes du vieux Marseille ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Eros palace </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">illustre l’univers des hardeurs (« Notre étalon m’sieur Gaétan / Et miss Linda la jamais lasse / En des postures combien salaces / Les amateurs prenez vos places »). </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retraités </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">évoque deux anciennes figures de la prostitution : Alice, qui y fit son chemin d’un bobinard au Chabanais, avant de devenir maquerelle et finir « En dévote notoire » (« C’est ainsi que les radasses / Ont de vibrants adieux / La toute dernière des passes / Elle la font avec Dieu ») ; et Albert, le mataf qui « Installait ses tropiques / Autour de la vespasienne / Du bas de la rue Lepic ». </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Drugstore dix huit heures </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou la confrontation de deux mondes parallèles : dans la polyphonie des voix d’un drugstore (infatuées, intellectualisées, dérisoires) ressort celle d’une prostituée en quête d’un client (« N’importe quoi n’importe quoi je ne veux pas encore crever / Salut Bonsoir Alors beauté on se promène / Il est moche il est vieux c’est le client rêvé »). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’album se clôt avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le carnet de Griselidis, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le détail chiffré de la clientèle d’une attachante figure helvétique de la prostitution, Griselidis Réal : dont « Robert le français / Attention ne pas sucer / Branler en disant des cochonneries / </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cent cinquante francs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Il est significatif que cet album traitant principalement de la prostitution se termine par l’évocation de cette activiste de la « Révolution des prostituées » du milieu des années 1970. Griselidis Réal était également artiste peintre et écrivain (la lecture du récit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le noir est une couleur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est fortement conseillée). D’ailleurs elle tenait particulièrement à ce que sur ses documents officiels soient indiquées ses deux professions : péripatéticienne et écrivain. Griselidis Réal n’a pas été avare de critiques envers les féministes de la décennie soixante dix : « Elles nous prennent la parole, nous infantilisent… elles sont pires que le pire des clients ». Que ne dirait-elle aujourd’hui du néoféminisme ! </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> De la rupture qui s’ensuit entre Jean Guidoni et Pierre Philippe nous ne connaissons que les explications du premier (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Jean Guidoni </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par Colette Godard, dans la collection Poésie et chansons de Seghers). « Il est difficile et moi aussi », répond Guidoni, qui mentionne ensuite des désaccords sur les déplacements en scène de l’interprète devant le public. Il est possible aussi qu’une lassitude soit progressivement apparue entre eux, ceci pour des raisons qui ne semblent pas exactement les mêmes pour l’un et pour l’autre.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Juliette devait fatalement rencontrer Pierre Philippe. La personnalité de cette chanteuse, son abattage et la tonalité acidulée de son répertoire ne pouvaient que séduire et inspirer notre parolier. D’ailleurs Juliette avait repris </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lames </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(crée par Jean Guidoni) sur son premier album. D’où une rencontre qui donne naissance à deux disques essentiels dans la carrière de la chanteuse toulousaine : « Irrésistible » (où Pierre Philippe signe la plupart des textes) et « Rimes féminines » (la totalité à une exception près).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Certes la chanson titre du premier album, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Irrésistible, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mérite amplement sa place, d’ailleurs elle contribua au succès (encore relatif, à ce moment-là, dans la carrière de Juliette) du disque. Avec cette chanson Pierre Philippe nous gratifie d’un exercice de style, irrésistible, sur le physique de son interprète (« Quitte quelque part à te choquer / Je parlerai de mon physique »). On ne résiste pas à citer les derniers vers de la chanson : « Moi je suis bien trop belle pour toi / Ce qu’il te faut / C’est un cageot / Une chèvre ou / Son légionnaire / D’un simple trou / Ou bien ta mère ». Mais - il y a un mais - je préfère encore à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Irrésistible</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> la truculente </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Petits métiers, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la surréalisante </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Manèges, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et la troublante </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monsieur Vénus.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Petits métiers </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">recense avec la saveur voulue ces petits métiers aujourd’hui disparus, « qui arpentaient les rues et campaient sur les places ». Ceux d’abord, familiers, de « la remmailleuse de bas » ou de « la loueuse de chaises » ou du « vendeur de mouron » et autre « écorcheur de lapin ». Ceux, ensuite, plus singuliers, de « l’ensommeilleur de plomb », de « l’écriveur de tartines », du « fouteur de guignon », ou de « l’encaisseur de gnons ». Enfin ceux, « tenus à l’écart de la foule », qui « exerçaient un négoce un peu plus inquiétant », à l’instar de « l’enjoliveur d’obus », de « la tortueuse de culs », de « l’enculeur de mouches », de « la gonfleuse de couilles », du « démorveur de nez », sans oublier « l’équarrisseur d’enfant ». Une truculence renforcée par la musique de type orgue de barbarie et l’interprétation de Juliette, irrésistible.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Manèges </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">décrit, depuis une ritournelle de fête foraine, un manège tournant indéfiniment : à ce point, « passé minuit », que les personnages du manège finissent par ressembler à « un mauvais rêve » : (« On croit voir un vol de griffons qui piaffent / Une femme bien trop belle nue à califourchon / Sur un dragon de cinématographe / Coursée par des soudards cravachant des cochons ») ou encore (« On croit voir un forçat entraîné par un cygne / Un chien décapité et la tête du chien / Aboyant toute seule lorsqu’on lui fait un signe »). Ce tableau d’un humanité tournant en rond bascule dans le fantastique, puis l’angoisse et la déréliction (« Oui je t’ai reconnu sur ton cheval de neige / Les yeux fixes les mains folles et le sourire détruit »). Pierre Philippe, qui déjà avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Petits métiers </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">flirtait (en évoquant les plus improbables petits métiers) avec le surréalisme, en remet ici une couche, plus flagrante, au carrefour du merveilleux et de l’épouvante.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le texte somptueux de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monsieur Vénus, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">très « fin de siècle » (mais celui du XIXe !),</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">a été inspiré à Pierre Philippe par le roman éponyme de Rachilde. Le thème, celui de l’équivoque sexuelle, est traité à travers la rencontre de celle, « que le désir des hommes jamais n’intéresse », et de celui qui avait « tout l’attrait des belles garces rousses ». Cette chanson sur la réversibilité des sexes (« Moi l’homme et toi la femme (…) A toi la bouche peinte et les seins maquillés / J’avais moi la cravache et les ordres obscènes ») se conclut par les vers suivants, admirables : « Qui peut me condamner ? / Le coeur est un rébus / L’amour est un désordre et rien ne le commande / Il reste obscur et muet si d’aucuns lui demandent / Qui de toi et de moi était Monsieur Vénus ». Il faut associer les musiciens, dont le piano de Didier Goret, à la réussite de cette chanson. Sans oublier Juliette, laquelle signe la musique, et qui seule pouvait interpréter cette troublante et équivoque </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monsieur Vénus.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’album « Rimes féminines », entièrement écrit par Pierre Philippe, explore le continent féminin en autant de variations que de chansons. La chanson-titre, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rimes féminines, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">donne d’emblée le ton : le ban, voire l’arrière ban des femmes qui ont laissées des traces dans l’Histoire se trouve convoqué, depuis « cette bonne dame de George Sand » à « l’empoisonneuse Borgia Lucrèce », en passant par « l’enragée Louise Michel », « la grande gueule Théresa », « la farouche Isidora Duncan », « sainte Joséphine Baker », la « camarade Alexandra Kollontaï », « Angela et Bette Davies », « Julie, Juliette ou bien Justine », « Rosa la rouge », etc, etc. Cette locomotive emporte le train de ces « Rimes féminines » qui ne sauraient, à une exception près, se situer à ce niveau d’excellence. Ou peut-être alors également </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Heureuse, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui fait entendre un tout autre son de cloche depuis l’expression de bonheurs quotidiens (« Faire du café très fort Le boire à la fenêtre / Respirer expirer et se sentir renaître » ou « Déjeuner sur la nappe de fil d’Écosse écru / Dans l’ancien Moustiers d’un peu de jambon cru »). Enfin tout ce qui peut contribuer à vous rendre heureuse pour « oublier l’armoire à pharmacie / Ou dort de quoi mettre un terme à ce grand bonheur / Dragées d’Anafranil à prendre quand viendra l’heure ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Citons quelques autres « rimes féminines » : « l’authentique teigne / Teigne comme l’était Rubinstein » de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La petite fille au piano </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Pour remporter le prix Cortot / J’ai joué comme on joue du couteau / Et pour épater les clampins / Je suis prête à massacrer Chopin ») ; ou la rabelaisienne </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Géante </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Et puisque vous savez comme il faut que l’on aime / Venez vous engloutir minuscules amants / Descendez en mes gouffres mes avens mes abysses / Ô spéléos d’amour aux désirs impudents » ; ou les gaietés de l’escadron au féminin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Revue de détail </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Mais moi qui ne suis que simple soldate / Moi je faillis bouffer ma cravate / En zieutant si je puis me permettre / Ses charmants vingt-cinq centimètres ») ; ou encore l’attrape-chaland de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Consorama </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Au stand des escrocs et voyants / Des bocaux de haine à ras bord / Vieille recette et nouveau décor / L’étiquette à flamme tricolore / Rallye-massacre en méhari / Le tiers-monde pour un sac de riz ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin, cerise sur le gâteau, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tueuses. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce jubilatoire jeu de massacre (« Haïr les bourgeoises exsangues / Leur arracher les yeux la langue / Pour que leur passe le goût du pain / Comme l’auraient fait les soeurs Papin ») convoque également Violette Nozières (« Faire que la vie soit un roman / Dès le lycée prendre un amant / Et pour cela tuer père et mère »), Marie Besnard (« Et bousiller après confesse / Une demi-douzaine de connards »), Miss Mary Read (« Ferrailler en prouvant céans / Que la flibuste n’a pas une ride »), Ulrike Meinhoff (« Délaisser Marx pour traiter les / Patrons à la Kalachnikov »), ou encore la Bathory, Bonnie Parker et la Brinvilliers. Ce « jeu de massacre » n’étant pas in fine sans renvoyer à la chanson éponyme interprétée jadis par Marianne Oswald (et reprise par Juliette dans son album précédent). A la différence que l’on rend ici les armes « devant la tâche / L’âme en fureur et la main lâche / Comme n’importe lequel d’entre vous ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Jean Guidoni et Pierre Philippe se retrouvent pour une ultime collaboration en 1999, celle du spectacle « Fin de siècle » au Théâtre Silvia Monfort, qui fera l’objet d’un enregistrement public. Pierre Philippe signe la totalité des textes des chansons dont les musiques sont confiées à différents compositeurs. Indiquons également la présence de Matthieu Gonet comme orchestrateur. Compte tenu du nombre important de chansons, celles-ci figurent sur deux CD. Les meilleures se retrouvent sur un disque sorti la même année, les autres l’année suivante : tous deux sous le même titre « Fin de siècle ». J’incline à penser que le premier de ces albums est l’un des disques majeurs du XXe siècle en raison de la qualité de la plupart des chansons le composant, plus particulièrement quatre ou cinq d’entre elles. Le problème étant que personne ne fut en mesure de délivrer pareil constat parce que ce disque passa relativement inaperçu, sans susciter l’intérêt de la critique (comme cela avait été le cas dans les années 1980), et encore moins du public. Évoquer ici une désaffection à l’égard d’une certaine idée de la chanson, associée évidemment au XXe siècle, nous ferait sortir de notre sujet. En tout cas je n’insisterai jamais trop sur ce qu’à de préjudiciable pour tout véritable amateur de chansons (et non de variétés) ce silence ou cette coupable indifférence envers ce pourtant exceptionnel « Fin de siècle » sorti en 1999. Il est vrai qu’à rebours des modes et des tendances du moment ces deux albums crépusculaires traitent du siècle justement, sur un mode parfois virulent, quelquefois caustique, voire désabusé. Et puis il y a dans la voix de Jean Guidoni, moins assurée que d’habitude, comme une fêlure qui renforce l’émotion (mais j’imagine que d’autres, moins sensibles à ce répertoire, ne l’entendent pas de cette oreille). J’ajoute que les textes de Pierre Philippe dits (et non chantés) par Guidoni, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La machine à souffrir, Je ne me souviens pas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Alors je me suis assis, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se retrouveront sur un double album intitulé « Scène de vie » regroupant la quasi totalité des titres de « Fin de siècle », plus des extraits d’une nouvelle version de « Crime Passionnel ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je commencerai cependant par le second des deux « Fin de siècle », d’un moindre intérêt. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Berceuse pour le tyran </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierre Philippe entend « profiter du répit / Te rendre une visite dernière / Pour te bercer à ma manière ». Mais comme il s’agit de Joseph Staline la berceuse se clôt par « Dors / Couché dans la haine / Où vont pourrir ceux de ton rang ». Deux titres se réfèrent au monde audio-visuel. Le premier, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Particules élémentaires, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est pas sans renvoyer par la bande à l’univers de Michel Houellebecq, tandis que le second (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Étoile en morceaux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) revisite l’histoire du cinéma depuis l’époque bénie du muet, celle plus difficile des débuts du parlant, puis, après une embellie « grâce à la main du diable », notre étoile, boudée par la Nouvelle vague, finit par entrer « la queue basse dans le cinéma de sexe » : alors « Comme un vrai pourceau / Je ne fais plus que montrer mes poils / L’étoile est tombée en morceaux ». On retient surtout de ce disque la sensible et mélancolique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les ombres </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Ils ont gueulé / Ont défilé / Et bien souvent ils sont tombés / Sans nombre / Pour l’ombre / Laissant un peu de sang sur le pavé »), chanson qui rameute « L’immense armée défunte des paumés / obscurs et présumés / Qu’on ne sait plus nommer / Des ombres » ou alors celles « qui sombrent / Sans voix et montrant leurs mains démunies / Nos grands projets bannis / Et marchant désunis / A l’ombre ». Un hommage à toux ceux « dont la vie n’a pas beaucoup compté » : ces « ombres mortes d’avoir cru ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le premier de ces deux disques « Fin de siècle » comprend quelques unes des « grandes chansons « du répertoire de Jean Guidoni. La place en tête de l’album du titre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’ai marché dans les villes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">représente une sorte de passage de témoin entre le premier Guidoni / Philippe (où </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je marche dans les villes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">figurait en tête du disque) et celui-ci. Presque vingt ans se sont écoulés : notre marcheur s’est enrichi d’une expérience qui l’entraîne à se déplacer pédestrement « de par le monde (…) Dans Venise la marchande » ou « Hambourg la rouge et perverse », également « Dans Brest dont il ne restait rien ». Et l’on ne saurait oublier « Los Angeles la délétère / Las Vegas et Mahagonny ». Ce marcheur se déplaçant « au sein de ces foules / Qui acclamaient je ne sais plus qui », a néanmoins « vu comment le sang coule / Pour peu que s’énervent les képis ». Enfin, s’il faut conclure là-dessus : « Une ville ça meurt tout comme un homme / Et ses anges sont ses assassins ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un registre plus drolatique, le titre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ces chanteurs qui n’aiment pas les femmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">vaut comme indication. Aucun nom n’est cité mais l’on reconnait sans difficulté le chanteur à « la houppe » et au « brin de muguet » (« Quoiqu’il chantât </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mains de femme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">/ Ce chanteur était un infâme »). Tout comme la mention de (« S’ils chantent </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonsoir Jolie Madame / </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les ravageurs n’ont le coeur en flamme / Que pour d’aguichants maraudeurs / Du très glorieux Chemin des Dames / On les surnomme les déserteurs ») n’a pas besoin d’être explicitée. D’ailleurs pour qui malgré tout en douterait, les derniers vers de la chanson (« Mais qui par une bourde majeure / Fit ces chanteurs et fit les femmes / Et fit que les femmes aiment ces chanteurs / Qui justement n’aiment pas les femmes ») ce terminent sur l’air du refrain de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Moi j’aime le music-hall. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La grande expo de l’an 2000 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(sur la musique de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">En revenant de la revue, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une chanson représentative de la période caf’ cons’ créée en 1886 par Paulus) Pierre Philippe ne s’encombre pas de métaphores. Le XXe siècle va finir et l’auteur, pour que rien ne se perde, jette à la face d’un monde honni ses quatre vérités. Se trouvent ainsi exposées « les saloperies que se font les gens / Pour le plaisir l’honneur et l’argent ». Une expo où l’on peut y applaudir « ces architectes / Qui ont bâti pour toutes les abjections / Pour les religions comme pour les sectes / Le mensonge ou la prostitution ». Et visiter la « Maison de l’inculture », avant le « grand dîner de rigueur / Chez Mac Donald et King Burger ». Avec l’estocade finale du « show titré Gloire à l’Ordure », dans lequel on retrouve « toutes les stars de la question / Avec la recette pour que ça dure / Ça nous hâtera la digestion / On a vu ces artistes / Penseurs économistes / Répandre sur la foule en liesse / Les fruits de leur scélératesse ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On change complètement de registre avec la noire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les boites, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une chanson sur le temps du Sida (« C’est comme ça cher client que ma foutue légende / Il y a quelque temps s’est vue contaminée / Que mon sang que mon sperme que ma beauté ruinée / M’ont signalé tricard au marché de la viande / Et qu’à ce moment même où je fais tes délices / Un feu brûle ce qui reste de mes pauvres atouts »). </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Toulon, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la ville natale de Jean Guidoni, revient sur les jeunes années du futur chanteur, depuis l’évocation d’une salle de cinéma (« Au Fémina le soir les mains en embuscade / Disaient toucher Bardot mais caressaient Delon ») ou le rêve d’une capitale à conquérir (« Moi je me voyais déjà partant à la conquête / Mayol l’avait bien fait disaient les lexicons / De ce Paris lointain qui vous sacre vedette / Qui n’attendait que moi illustre petit con »), puis, de longues années plus tard, le désamour (« Ma ville sinistrée, mon pauvre vieux Toulon ») envers une ville administrée par le Front National (« Depuis qu’au pilori les bourgeois et ton maire / T’ont en habit de haine mis à coups de talons »). Au final, cette chanson qui illustre avec une telle justesse de ton la jeunesse toulonnaise de Jean Guidoni, ne pouvait être écrite que par Pierre Philippe (à l’instar des deux vers : « Au Fémina le soir les mains en embuscade / Disaient toucher Bardot mais caressaient Delon »).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce disque comporte deux authentiques chefs d’oeuvre : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une valse 1937 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’habite à Drancy. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La première illustre avec un brio confondant (et une virtuosité érudite) le quotidien en 1937 de trois couples d’amoureux : à Suresnes (« Toi tu dis en te moquant qu’avec ma belle gapette / Je prends un drôle de genre voyou à la Gabin »), à Moscou (« Oui la vie est belle comme le hurle le crieur / Ce gamin obstiné qui nous vend la Pravda »), et Berlin (« Nous on devra se contenter de bières et de saucisses / Et de Zarah Leander dans la Habanera »). Une mise à plat dont l’apparente ambiguïté se trouve corrigée par un refrain qui s’enrichit d’éléments susceptibles de porter un éclairage différent sur le couplet précédent. Ce tour de force signé Pierre Philippe s’accompagne d’une forte impression de mélancolie, à la hauteur du tragique qui sourd derrière la description de ces quotidiens de 1937 (la musique de Romain Didier n’y étant pas étrangère).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il existe très peu de chansons capables, derrière la pertinence du propos ou la justesse du trait, de provoquer une émotion comparable à celle de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’habite à Drancy. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pierre Philippe nous entretient de Drancy et chacun sait de quoi il en retourne. Pourtant, par delà les fantômes que convoque la chanson (« Dors toi le vieil antiquaire adressé au frigo / Toi tailleur du sentier que la terreur habite / Dors toi le polonais et toi le parigot / Et toi le doux poète Max si tu peux reposer »), </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’habite à Drancy </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">traite plus généralement de la condition humaine : de celle qui a conduit la barbarie nazie et la police vichyste à déporter les dizaines de milliers de juifs détenus à Drancy, et de cette autre barbarie, plus douce celle-là, qui « bouffe la jeunesse » des populations « concentrées » dans des cités HLM à Drancy (ou ailleurs). « Moi j’habite à Drancy / A la cité de la Muette / On peut dire que j’ai de la chance ». Quelle chance en effet ! A cette réussite (même si le mot paraît insuffisant ou dérisoire pour évoquer l’une des plus belles chansons du XXe siècle) il faut associer le composteur Philippe Dubosson, l’arrangeur Matthieu Gonet, et bien entendu l’interprète Jean Guidoni. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La chanson </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fin de siècle</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> conclut, comme l’album sorti l’année suivante, le disque appelé de ce nom.</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Porté par une écriture somptueuse, le texte vaut comme constat du siècle, mais aussi d’une humanité : « Tendre nature nourrie de boue / Ce siècle qui vient veut ta perte ». Cependant cette chanson, pessimiste à bien des égards, se termine contre toute attente par une note d’espoir : « Mais il viendra le jour de mai / Ou d’une étoile moins hygiéniste / Quelque cosmonaute anarchiste / Rapportera l’antique muguet ». Alors : « Un chanteur tourné vers le ciel / Saluera le siècle depuis son jardin ». Le mot « anarchiste » n’apparaît que dans cette chanson (et le contexte vient d’être précisé) mais toute l’oeuvre de Pierre Philippe relève d’une tension anarchisante non avouée mais bien présente dans de nombreux textes. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin, pour conclure, signalons la parution en 2003 du roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’air et la chanson, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en partie autobiographique, dans lequel Pierre Philippe narre sa passion de longue date pour le music hall et la chanson : durant sept séquences, se déroulant entre 1938 et 1999, l’auteur redonne vie, voix et chair à quelques interprètes, soit plutôt oubliés (telle Marie Dubas), ou négligés (Marianne Oswald) ou restés relativement présents dans la mémoire collective (Damia). Ceci dira-t-on pour le meilleur. Non sans les mettre en relation, parallèlement, avec des interprètes ou des auteurs/compositeurs nés de l’imagination du romancier (que l’on peut pourtant reconnaître, du moins en partie), personnages significatifs de quelques unes des dérives (les complaisances du temps de l’Occupation) ou évolution du genre (l’entrée dans l’ère du star-system).</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">février 2022</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></p>Perraud et Médiapart passent Brassens à la moulinette de la Cancel cultureurn:md5:0e46a6b1865e265bcb3176cfe0a4bf232021-09-23T12:42:00+02:002023-08-22T09:30:18+02:00Max VincentEssais littéraires2021brassensmédiapartperraud <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-adcf7252-7fff-8fbe-4f4d-bf18d76c318d"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-adcf7252-7fff-8fbe-4f4d-bf18d76c318d"><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">PERRAUD ET </span><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">MÉDIAPART</span><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> PASSENT BRASSENS À LA MOULINETTE DE LA </span><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">CANCEL CULTURE</span></strong></p>
<strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-adcf7252-7fff-8fbe-4f4d-bf18d76c318d">
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sous la plume d’Antoine Perraud, a consacré quatre articles à Georges Brassens au mois d’août 2021. Si les deux premiers articles nous présentent Brassens de manière positive pour le premier, ou plutôt positive pour le second, les deux suivants permettent à Perraud, je le cite : « d’ouvrir les hostilités sur deux fronts : le refus de tout engagement collectif et, enfin, le sort réservé aux femmes ». Ce que souligne et condamne le journaliste de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> n’est pas complètement faux. Mais la légitimité de l’exercice critique n’a pas grand chose à voir avec un Brassens revu et corrigé ici par la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">cancel culture</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (que l’on peut définir par culture de l’effacement, de l’annulation, du bannissement, très présente sur les réseaux sociaux)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant, avant de répondre à Perraud, il m’importe, pour une meilleure compréhension des enjeux de ce différend</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de prendre d’abord du recul sur le mode d’une « défense et illustration » de la chanson à laquelle Brassens, Brel et Ferré, parmi d’autres (mais plus que d’autres</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) ont donné des lettres de noblesse. Ensuite je soulèverai un lièvre que les non abonnés de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(à l’exception de lecteurs bien informés) ne sont pas censés connaître. C’est l’une des explications - elle n’est certes pas la seule - à la présence de deux articles « à charge » contre Brassens (celui « Brassens et les femmes » surtout) signés Antoine Perraud. Enfin nous en viendrons au copieux plat de résistance : l’analyse critique de ces deux articles.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’hypothèse a été faite que notre époque (ce début de XXIe siècle) ne saurait reconnaître, ni même accueillir quelque véritable équivalent d’un Brel, d’un Brassens, d’un Ferré ; pour évoquer là les trois anteurs-compositeurs-interprètes les plus représentatifs de la chanson de la seconde moitié du XXe siècle. Une hypothèse à laquelle je souscris. D’abord, et ceci vaut aussi pour tous les représentants au siècle précédent de la chanson que nous entendons illustrer et défendre : celle-ci, dans les lendemains de la Seconde guerre mondiale, a pris l’importance que l’on sait parce que, parmi les différents modes d’expression artistique, la chanson exprimait davantage que d’autres, ou de façon plus explicite quelque chose d’un fort sentiment critique vis à vis de la société de l’époque. Ce que l’on peut décliner par l’antimilitarisme, l’anticléricalisme, l’anti-autoritarisme (fustigeant grands et puissants), voire l’anticolonialisme, et dans un second temps l’antiracisme et le féminisme. Disons que cette chanson était pour le mieux libertaire, et d’une manière générale anticonformiste (sans oublier les « bonnes moeurs », brocardées)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En ce début de XXIe siècle ce type de critique trouve moins, beaucoup moins même de quoi s’alimenter pour des raisons principalement liées à l’évolution des sociétés du monde occidental : ce contre quoi cette chanson-là fourbissait des armes n’étant plus de nos jours, du moins partiellement, en position de force. Et le statut du genre chanson n’est plus exactement le même (on parle non sans raison de « la variété »). Ici la terminologie « correcte » (politiquement correcte, socialement correcte, sexuellement correcte…) convient davantage que celle de « bien pensance ». Les temps, pour ce qui nous occupe ici, sont à la correction : la chanson (la variété plutôt) y participe en proposant des contenus plus consensuels, plus en phase avec l’air du temps. C’est là que nous retrouvons Brel, Brassens et Ferré. Indépendamment des qualités intrinsèques de leurs chansons, souvent poétiques, et de leurs contenus critiques (évoqués ci-dessus), on peut trouver chez chacun d’entre eux, secondairement certes, des traits « incorrects » : une certaine liberté de ton dans les relations entre les sexes devenant, dans notre contemporanéité, du sexisme avec Brel, l’individualisme de la régression politique avec Brassens, et la révolte chez Ferré ne pouvant qu’être outrancière (quand elle n’est pas prise pour de la pose). Ce qui signifie, pour se limiter à ces trois noms, que l’on ne peut plus par exemple écrire sur les femmes comme Brel, sur la mort comme Brassens, sur le Code Pénal comme Ferré. Pourtant l’un ou l’autre de ces aspects « incorrects » faisaient partie de la personnalité de leur auteur. C’est bien parce que, tous registres confondus, Brel, Brassens et Ferré avaient cette liberté de ton-là (aujourd’hui disparue chez des interprètes ayant une certaine notoriété) qu’ils représentaient aussi le meilleur de la chanson de leur temps. On aura compris qu’en la délestant de tout excès, ou de tout ce qui s’apparenterait peu ou prou de nos jours à de l’incorrection, la « chanson » en ce début de siècle, par delà sa moindre importance, a du moins perdu en partie sa capacité de traduire le monde à travers les différentes nuances de sa diversité.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le 7 janvier 2020, dans un article intitulé, « Mes quarante ans d’aveuglement volontaire avec Gabriel Matzneff », les abonnés de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">découvraient qu’Antoine Perraud, lecteur de longue date de Matzneff, l’avait reçu « deux trois fois » dans l’émission </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tire la langue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qu’il produisait sur France Culture, et qu’il s’était retrouvé « deux trois fois » en sa compagnie lors d’un déjeuner ou d’un dîner. Plus récemment il avait « tenté de débrouiller auprès des services de Radio France un dossier de retraite pour que l’écrivain touche une petite retraite » en tant qu’ancien producteur de France Culture. Ce que notre journaliste appelle un « aveuglement volontaire » aurait cessé en 2016, quand Perraud fut informé que celle - appelée W - qu’il présente comme ayant été sa « meilleure amie (…) pendant une dizaine d’années », qui ne lui avait alors pas fait mystère de sa relation passée avec Matzneff (ce qui semblait à l’époque émoustiller Perraud), s’était retournée contre l’écrivain de longues années plus tard à travers le témoignage d’un récit adressé aux Éditions Grasset. On ignore si Perraud, qui qualifie par ailleurs son article de « pénitence inéluctable », a agi de son propre chef ou si la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(nous pensons évidemment à Edwy Plenel)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> l’a fortement incité à rédiger cette « confession » que les mieux disposés appelleront un « exercice de contrition » et que les autres rapprocheront de l’autocritique stalinienne. Il paraît utile d’ajouter que cet article d’Antoine Perraud est paru quelques jours après la publication très remarquée du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Consentement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Vanessa Springora.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout comme je laisse au lecteur le soin d’interpréter la présence le 16 janvier 2020 (neuf jours après la publication de l’article) de Perraud « en qualité de témoin, dans les bureaux de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (à Nanterre), où une fonctionnaire a consigné sous procès verbal mes propos. Ceux-ci ont consisté à confirmer ce que j’avais écrit dans le présent billet - selon la norme en usage à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Un comportement que l’auteur d’un blog sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Olivier Hammam, qualifie lui « de zélé auxiliaire de police et de justice quand on lui demande de se faire délateur, et très satisfait d’accomplir ces basses besognes ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous - je parle au nom de ceux qui aiment Brassens sans pour autant avoir le doigt posé sur la couture du pantalon - n’avions pas attendu Antoine Perraud pour faire part de quelques unes de nos réserves sur l’oeuvre de « l’humble troubadour ». Elles portent sur le contenu des chansons des deux derniers disques (sortis en 1972 et 1976), relativement de moindre qualité par rapport à l’ensemble. Ceci s’accentuant avec les chansons dites « posthumes », que je ne commenterai pas dans la mesure où l’on ne sait pas avec certitude lesquelles Brassens aurait retenu avant ou après une séance d’enregistrement (une donnée encore plus flagrante avec les chansons dont ne nous sont parvenus que les textes, mis ensuite en musique par Jean Bertola). Il y a également une tendance dans le registre « chansons paillardes », que Brassens a illustré avec bonheur, qui tend dans les derniers disques à verser dans la facilité à travers une expression devenant de plus en plus gauloise. Tout comme on peut ne pas partager une certaine philosophie de la vie, davantage présente chez le dernier Brassens, résumée par « se borner à ne pas trop emmerder ses voisins ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je reviendrai plus loin sur l’aspect individualiste de plusieurs chansons de Brassens, particulièrement épinglé par Perraud et sur l’analyse politique qu’il induit. Ceci et cela étant évoqué dans le troisième des articles d’Antoine Perraud (« « Les copains d’abord », ou l’abdication politique »). Ces réserves faites, elles sont d’un moindre poids à l’aune de l’oeuvre entière de Brassens. Il faudrait disposer de plus de temps, et pour le coup oublier Perraud, pour dire en quoi le plateau de la balance penche très sensiblement du côté de ce qu’il nous importe de retenir chez Georges Brassens.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout a été dit, ou presque sur l’individualisme revendiqué par Brassens. Perraud enfonce des portes ouvertes quand il fustige </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pluriel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour ne citer que cette chanson-là. Quant au reproche de « misanthropie » (qui vaut pour Perraud condamnation morale), elle n’a jamais empêché d’écrire d’excellentes chansons. A vrai dire, dans ce troisième article notre journaliste se focalise plus particulièrement sur l’attitude de Brassens durant la Seconde guerre mondiale. Ici la condamnation devient sans appel : « Il a effectué son STO, puis s’est dissimulé pour y échapper, ne faisant rien pour libérer la France du nazisme, tout en daubant ensuite sur ceux qui qui avaient lutté pour qu’il retrouve sa liberté : comme si Brassens n’avait jamais pardonné à la Résistance de l’avoir délivré de l’ordre hitlérien ! ». Perraud s’appuie, comme principale pièce à conviction, sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les deux oncles. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce genre de critique a déjà été faite à Brassens, y compris de son vivant. Ce qui devient intéressant, pour ne pas dire délectable avec Perraud réside, nous ne quittons pas la Seconde guerre mondiale, dans la mention d’une « mauvaise conscience qui taraude Brassens dans le déni ». Nous incitons le lecteur à se reporter à ce qu’il faut bien appeler « la mauvaise conscience » de Perraud à l’égard de Matzneff. Sauf que contrairement à Brassens (laquelle « mauvaise conscience » le tarauderait dans le déni), Perraud s’est livré à une autocritique en règle en avouant et dénonçant son aveuglement passé. Alors que cet irresponsable de Brassens continuait lui à s’en prendre à la Résistance de longues années plus tard.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un peu de recul. Brassens aura toute sa vie brocardé les anciens combattants (il était loin d’être le seul) et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les deux oncles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’illustre sans doute mieux que d’autres chansons. Certes, nous ne suivons pas Brassens quand, dans le contexte de la Seconde guerre mondiale, il renvoie dos à dos les « tommies » et les « teutons » (avec à la clef le célèbre « Moi, qui n’aimais personne, eh bien ! je vis encor », qui a fait grincer quelques dents). Des naïvetés aussi peuvent faire sourire (« Qu’au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi / Mieux vaut attendre qu’on le change en ami »). Ceci posé, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les deux oncles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avance dans le sillon tracé de longue date par l’auteur. On reconnaît là ce pacifisme que Brassens n’aura jamais tant crânement défendu. Avec le risque de se faire taper sur les doigts. Loin des officines nationaliste et xénophobe nous respirons l’air du grand large, celui de « l’Europe de demain » (qui n’est pas bien entendu celle de la globalisation). Et puis, morbleu, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les deux oncles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est-elle pas mille fois préférable à la moindre bluette patriotarde !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant d’aborder le « Brassens politique » mentionnons l’absence, remarquée et dommageable, de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Visite </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans cet article. C’est la seule chanson du disque que Brassens envisageait d’enregistrer avant sa mort dont nous disposions d’un pré-enregistrement. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Visite </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aurait mérité un meilleur sort car elle répondait par avance à la xénophobie lepeniste. En ce qui concerne le Brassens à proprement parler politique, il ne faut pas demander à l’oncle Georges plus que ce qu’il saurait nous apporter. Beaucoup de ses chansons vont à rebours de ce qui est généralement admis, de bon ton, châtié et traditionnel, à l’instar des contenus antipatriotique, anticlérical, et globalement anticonformiste de nombre d’entre elles. Mais Brassens n’a pas traduit ces différentes expressions sur un plan plus directement politique. Contrairement à Léo Ferré (Perraud cite à juste titre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Franco la muerte</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) dont une partie du répertoire concilie pour le mieux les expressions poétique et politique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un dernier mot sur le passage le plus vindicatif de Perraud envers Brassens. Ce dernier après la guerre adhère à la Fédération Anarchiste, et collabore au journal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Libertaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">durant deux ans</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ses articles, non signés, ont été exhumés par Jean-Paul Liégeois en 2006 dans les </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Oeuvres complètes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Georges Brassens. Donc tous les bons connaisseurs de l’Oncle Georges les connaissent. Perraud cite l’un des articles où Brassens se paye la tête de Maurice Schumann (ancien porte parole de la France libre et l’un des membres fondateurs du MRP) sur un mode très peu plaisant. Le Brassens que nous connaissons se serait certainement désolidarisé de cet article qu’il avait sans doute oublié.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avec le quatrième article (« Brassens pris aux mots : misogynie guère à part, phallocratie galopante ») le désaccord devient encore plus patent. La charge est telle que Perraud se trouve dans l’impossibilité de citer, sinon de matière biaisée ou hors sujet, des chansons « à décharge », à l’exception de la seule </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Jeanne. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Antoine Perraud s’efforce ne nous prouver que Brassens cumule tous les traits négatifs envers les femmes : misogyne, phallocrate et sexiste. Pas moins d’une quarantaine de chansons sont convoquées pour en convaincre le lecteur.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant de répondre dans le détail à Perraud, j’aimerais revenir sur un extrait du second article (« Les saints principes brassensiens »), plutôt favorable dans l’ensemble. Ce qui n’est pas le cas du passage que je vais commenter. Après nous avoir certifié que Brassens était « pour sûr, contre la peine de mort » (c’est explicite dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La messe du pendu</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), Perraud entend relativiser ce constat en se référant dans le même dernier disque à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Montélimar. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je rappelle que Brassens s’en prend dans cette chanson aux estivants qui abandonnent le long de la route de leurs vacances leurs animaux de compagnie. Ceci étant exprimé sans ménagement : « Que leur auto / Bute presto / Contre un poteau ». Citons maintenant Perraud : « Et ça notre croque-note ne le supporte pas. Il laisse alors libre court à ses affects et ne souhaite rien d’autre que la mort de ces butors de la bagnole. Pour le coup ses principes font un tête à queue spectaculaire ». Cette humeur, ce sentiment homicide même, qu’exprime Brassens dans trois vers de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Montélimar </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se retrouve sous les formes les plus diverses dans les arts et les lettres, en chanson, et j’en passe, chez des auteurs qui comme Brassens sont hostiles à la peine de mort. C’est presque dérisoire de devoir le rappeler. En temps ordinaire Perraud le reconnaitrait, du moins je l’imagine. Mais ici, contraint encore de ménager la chèvre et le chou, on le sent impatient d’en découdre. Enfin nous avons là, avec cette façon biaisée de dénigrer l’engagement de Brassens contre la peine de mort,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un mode d’emploi que nous retrouverons par la suite.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce quatrième article n’est pas entièrement consacré à ce que nous indique son intitulé. Secondairement Perraud aborde deux thématiques présumées nous instruire sur la sexualité à l’oeuvre dans les chansons de Brassens. La première, le voyeurisme, nous laisse sur notre faim parce que le premier exemple (« Voir votre académie madame / Et puis mourir », de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vénus callipyge</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) prête à sourire. Et il en va de même avec les exemples suivants, qui représentent une bien piètre contribution au voyeurisme chez Brassens (à l’exception du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nombril des femmes d’agents</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Ensuite Perraud nous épargne le qualificatif d’un « Brassens homophobe » mais revient plusieurs fois à la charge pour le suggérer (à travers le relevé de l’hétérosexualité impénitente de l’Oncle Georges). Là aussi il n’y pas de quoi casser quatre pattes à un canard avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le fantôme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Je compris que j’avais affaire / A quelqu’un du genre que je préfère / A un fantôme du beau sexe ») ou </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Gorille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« C’est j’en suis convaincu la vieille / Qui serait l’objet de mon choix »). L’homosexualité heurterait Brassens, selon Perraud, à travers l’exemple des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Copains d’abord </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(qui n’étaient pas « Des gens de Sodome et Gomorrhe ») ou le la « pénultième strophe des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Trompettes de la renommée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Si comme tout un chacun, j’étais un peu tapette »), ou encore </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le mécréant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui « charrie de son côté la même hantise de l’uranisme ». Tout cela sent le réchauffé et on ne va pas épiloguer là dessus.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous entrons dans le vif du sujet de façon périphérique puisque ce sont quelques unes des parties du corps de la femme qui retiennent l’attention de Perraud : ce qu’il appelle en faisant la fine bouche « une carte du Tendre physique à souhait ». Ici se trouvent épinglés « l’éminence charnue » (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tonton Nestor</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), « La cambrure des reins, ça c’est une trouvaille » (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La religieuse</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), ou les nénés de Margot (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Brave Margot)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, et ceux tétés d’une autre Margot (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je suis un voyou</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). En y ajoutant le matraquage « à grands coups de mamelles » de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Hécatombe</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. Plus étonnant, nous changeons de registre, Perraud prétend que « notre troubadour licencieux est obsédé par la performance ». Ce qu’il croit déceler dans deux vers « Mais, sans technique un don n’est rien / Qu’une sale manie » du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mauvais sujet repenti. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cependant Perraud nous assure que c’est dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le bulletin de santé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que la performance chez Brassens atteint son comble. Et de citer, le plus sérieusement du monde « un bon nombre de femmes de journalistes ». Heureusement que l’Oncle Georges ne sévit plus parce qu’il y aurait peut-être de quoi s’inquiéter passage Brûlon, y compris dans le haut de la hiérarchie (« C’est l’épouse exaltée d’un rédacteur en chef / Qui m’incite à monter à l’assaut derechef »). Ne retenir de cette chanson, la jubilatoire réponse de Brassens aux bruits circulant sur sa santé dans les gazettes, que l’idée de « performance » ne plaide guère en faveur de la perspicacité de Perraud. C’est vouloir prendre comme un nigaud la chanson au premier degré. A moins que Perraud ne veuille prendre la défense d’une profession que raille pour notre plus grand plaisir Brassens dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le bulletin de santé.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous en venons maintenant à la partie la plus copieuse du plat de résistance. Le Brassens de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Misogynie à part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est sans doute pas celui que nous préférons. Mais après tout cette chanson prend moins à la lettre ce que Perraud appelle « la typologie trifonctionnelle machiste » de Paul Valéry (« Emmerdantes, emmerdeuses, emmerderesses ») qu’elle ne varie non sans brio sur un thème qui se conclut par une vacherie bienvenue à l’égard de Claudel. Même chose en terme de préférence avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Quatre-vingt-quinze pour cent. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Là aussi cette chanson ne doit pas être prise de façon univoque. La mention d’un « coq imbécile et prétentieux perché dessus » vaut mieux qu’un long discours. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La femme d’Hector, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quand Perraud cite l’extrait suivant (« Qu’elle est celle qui prenant modèle / Sur les vertus des chiens fidèles / Reste à l’arrêt devant la porte ») en affirmant que la femme est tout bonnement « dégradée », il prend comme souvent une partie du tout pour le tout. Les interprètes féminines de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Femme d’Hector </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">apprécieraient si elle étaient encore de ce monde.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Perraud n’évoque pas explicitement dans un premier temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La fille à cent sous </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(sinon pour tancer un « troisième degré » en référence au « troisième dessous » de la chanson), puis évoque dans la foulée une « concupiscence phallocratique, chez Brassens, dévoilée de chanson en chanson ». Quel rapport avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La fille à cent sous </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">? On subodore que notre journaliste n’aime pas cette chanson. De quoi débusquer chez Perraud une forme de jésuitisme que d’autres exemples viendront confirmer. Il revient plus loin sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La fille à cent sous </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour réduire cette chanson, qui parle de compassion (envers ladite fille), à une caricature « d’échange esclavagiste ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Considérer le vers du refrain de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Don Juan </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Cette fille est trop vilaine, il me la faut ») de « fantasme à la petite semaine » prouve combien la grille de lecture néoféministe de Perraud s’avère inopérante. Le journaliste ne comprend pas que la « générosité » de Don Juan l’entraîne à vouloir séduire celle dont personne ne veut. Le leitmotiv du séducteur nous confronte à un Don Juan « humain trop humain » dont on ose espérer que l’oeuvre de bienfaisance s’exerce également en dehors de cette chanson : « Et gloire à Don Juan qui rendit femme celle / Qui sans lui quelle horreur serait restée pucelle ». Quand cette « générosité » devient l’apanage de l’autre sexe avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Embrasse les tous, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Perraud fait preuve de la même cécité. Sa mention d’une déraison chez Brassens quant à « l’objet perdu de la satisfaction hallucinatoire », supposée se rapporter aux derniers vers de la chanson, est autant pédante que ridicule. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plus significatifs encore, les exemples qui suivent ramènent un Brassens qui n’en peut mais au coeur d’une certaine actualité de ces dernières années. En plus d’être sexiste, phallocrate et misogyne, Brassens, écrit Perraud « dans les années cinquante, flaire et anticipe, avec deux générations d’avance, les débats sur le consentement ; tout en se situant évidemment du côté obscur de la force ». Tu en doutes cher lecteur ? Alors écoute attentivement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A l’ombre du coeur de ma mie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Sur ce coeur j’ai voulu poser / Une manière de baiser / Alors cet oiseau de malheur / Se mit à crier </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Au voleur ! </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">/ </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Au voleur ! </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A l’assassin ! </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">/ Comme si j’en voulais à son sein »), où Brassens, selon Perraud, excusait par avance les justifications de ceux qui se réfugieront derrière la notion de consentement pour voiler leurs forfaits. En plus, ajoute le journaliste, « en 1969 notre trouvère remet le couvert avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La rose, la bouteille et la poignée de mains</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> »</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Même quand Perraud reprend cette argumentation dans un sens positif, il passe également à côté de son sujet. C’est le cas avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les amours d’antan </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lorsqu’il affirme que cette chanson « fait l’éloge du consentement ». Il y aurait tant de choses à dire sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les amours d’antan </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que l’on risquerait d’oublier Perraud ! Il en va du même « éloge du consentement » avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans l’eau de la claire fontaine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour des raisons qui sont encore plus obscures. En tout cas tout ce qui contribue à l’intérêt de ces deux chansons se trouve évacué par ce qualificatif de « consentement ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On se doutait que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La fessée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’était pas du goût de Perraud. Mais on ne s’attendait pas à trouver à la suite des deux vers (« Retroussant l’insolente avec nulle tendresse / (…) / Paf ! j’abattis sur elle une main vengeresse ») la qualification « d’intention féminicide » ! Une fois de plus Perraud se focalise sur un ou deux vers au détriment de ce que signifie une chanson. L’ironie certes licencieuse de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La fessée</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> lui échappe complètement. On se perd en conjectures lorsque Perraud prend au premier degré « Quand j’ai voulu brûler la cervelle de Marinette / La belle était déjà morte d’un rhume mal placé ». </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Marinette </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se trouve ici associée à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je suis un voyou, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour qui, écrit-il, « la coercition se révèle d’une intensité moins âpre ». Et puis que penser de la burlesque association faite par Perraud entre les textos adressés par DSK à Dodo la Saumure et la chanson </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’ancêtre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">? Selon notre journaliste, Brassens y devançait le « fameux matériel » évoqué dans ces textos. Nous avons beau relire le quatrain incriminé (« On avait emmené les belles du quartier / Car l’ancêtre courait la gueuse volontiers / De sa main toujours leste et digne cependant / Il troussait les jupons par n’importe quel temps »), faute de connaître ces textos, n’y nous comprenons rien. Si des lecteurs ont quelque lumière sur le sujet qu’ils nous le fassent savoir. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Perraud affirme que les « belles créatures » s’assujettissent volontiers sous la plume de Brassens. Mais le premier exemple, « l’enfant chagrine qu’on ai boudé son offrande » (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La princesse et le croque-note</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), est bien mal choisi. C’est éluder tout ce qu’il convient de retenir d’une chanson racontant, non sans délicatesse, la rencontre d’une princesse de 13 ans et d’un homme moustachu à la trentaine sonnée. L’autre exemple, « Ma voisine affolée vint cogner à mon huis / En réclamant mes bons offices » (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’orage</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), laisse planer un doute sur ce que Perraud comprend par assujettissement. Pourtant, indique le journaliste, Brassens se révèle, plus « giboyeur » que « victime de la libido des femmes ». Ainsi commence-t-il par « pister » : « J’ai passé le pont d’Avignon / Pour voir un peu les belles dames ». Ce pistage ne semble guère convaincant, le gibier peut dormir sur ses deux oreilles.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cela paraît bien anodin. La suite l’est moins. Selon Perraud ces deux vers de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La chasse aux papillons </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Sur sa bouche en feu qui criait « Sois sage ! / Il posa sa bouche en guise de bâillon ») viennent illustrer une « culture du viol chez Brassens ». On ne peut pas laisser passer ce genre de propos. D’une part parce les vers suivants (« Et ce fut le plus charmant des remues-ménages / Qu’on ait vu de mémoire de papillon ») lui font un sort. Ensuite pour indiquer que l’expression de « culture du viol » se trouve reprise par des puritains à la mode d’aujourd’hui qui entendent ainsi élargir ce qu’ils désignent sous ce nom à tout ce qui relèverait de la séduction. Citons ici Hélène Merlin-Kajman (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature à l’heure de #MeToo</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : « Si par « culture du viol », on entend que tous les hommes qui aiment séduire dans le registre d’un jeu érotique actif, voire un peu « chasseur », sont des violeurs en puissance, et que les femmes qui aiment entrer dans ce jeu sont des violées en puissance, dans une configuration où pourtant les uns et les autres trouvent leur plaisir à ce jeu érotique fondé tendanciellement sur ces rôles, alors je ne comprends plus ce que désigne l’expression ». Tout comme pour la notion de « consentement » Perraud renverse l’argumentation avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Père Noël et la petite fille, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une chanson</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui pour lui « condamne le viol et l’agression sexuelle ». Là on pense qu’il s’est trompé de titre de chanson. Ou alors nous attendons de pied ferme une explication de texte.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un registre plus dérisoire, les vers suivants de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lèche cocu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« On se partageait leur dulcinée / Qui se laissait faire docile ») font, dixit Perraud, « aujourd’hui penser à une tournante ». Où Perraud a-t-il donc appris que « tournante » rimait avec « docilité » ? Ignore-t-il ce qu’est une tournante ou a-t-il voulu faire le malin ? Enfin n’y a-t-il personne pour le relire à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">!</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je termine cet inventaire avec deux chansons absentes de l’article de Perraud. Pourtant elles représentent chez Brassens le meilleur d’une veine au sujet de laquelle notre journaliste reste coi. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les croquants, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comme dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bécassine, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la femme, qu’elle s’appelle Lisa, Lison ou Bécassine, ne s’achète pas, n’est pas à vendre, et préfère se donner au premier venu, qui a « les yeux tendres et les mains nues », à moins d’être une « espèce d’étranger / N’ayant pas l’ombre d’un verger ». Dans cette même veine figure l’une des chansons emblématiques de Brassens, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les sabots d’Hélène, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dont les deux vers (« Moi j’ai pris la peine / De les retrousser » : les jupons d’Hélène) sont commentés par un laconique « l’homme toujours dispose » de Perraud. Cette misérable appréciation se trouvant démentie par toute la chanson.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est à se demander, au moment de conclure, à qui s’adresse Antoine Perraud ? Car ses analyses à l’emporte pièce, ses commentaires affligeants, ses nombreux contresens, et ce qu’il faut bien appeler parfois de la bêtise, ne peuvent s’adresser aux bons connaisseurs de l’oeuvre de Georges Brassens. Mais après tout là n’était pas son intention. Il y a sans doute un public aujourd’hui qui est susceptible de recevoir ce genre de pensum. Il suffit de disposer d’un logiciel qui intègre les items « culture du viol », « consentement », « échange esclavagiste », « patriarcat », « féminicide », « tournante », et de les mettre en correspondance avec quelques vers choisis de l’Oncle Georges. De quoi satisfaire les ignorants, ou les lecteurs des deux sexes pour qui l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La mauvaise réputation</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> appartient à un monde révolu. En passant ainsi Brassens à la moulinette de la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">cancel culture </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Perraud ne semble pas réaliser qu’il apporte sa contribution à la rétrogradation de la culture en idéologie. ; ou qu’il joue à l’apprenti sorcier en donnant la possibilité à d’autres, de censurer ou plutôt d’effacer le cas échéant une partie du répertoire de Georges Brassens. Celui qu’Antoine Perraud qualifie de phallocratique ou de sexiste (la misogynie étant bien entendu mise à part).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">septembre 2021</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><em><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; color: rgb(0, 0, 0); background-color: transparent; font-weight: 400; font-variant: normal; text-decoration: none; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"><br /></span></em></p>
</strong><ol><li><em>Citons Barbara, Bashung, Bertin, Debronckart, Escudero, Fanon, Ferrat, Fersen, B. Fontaine,<br />Gainsbourg, Guidoni, Higelin, Juliette, Lapointe, Lavilliers, Leclerc, Leprest, Mano Solo, Nougaro,<br />Perret, Sylvestre, Tachan, Thiéfaine, Trenet, Vasca, Vian, Vigneault, et les interprètes Frehel,<br />Greco, M. Oswald, Piaf, Sauvage.</em></li>
<li><em>Ce paragraphe est largement développé dans l’introduction de notre Dictionnaire « raisonné «<br />de la chanson française au XXe siècle : www.dicochansons.fr</em></li>
<li><em>Tout sur le personnage dans Et c’est ainsi qu’Edwy Plenel est grand ! par Max Vincent : http://<br />lherbentrelespaves.fr/public/EPestgrand.pdf</em></li>
</ol>
<br class="Apple-interchange-newline" />Tentative d'objectivation du cas Louis-Ferdinand Célineurn:md5:73353066533ad25e81ae3933d92541732021-03-15T14:23:00+01:002021-03-15T14:26:46+01:00Max VincentEssais littéraires2021Celine <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-929ca817-7fff-8484-92b6-61a1e52ae9d6"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-929ca817-7fff-8484-92b6-61a1e52ae9d6"><span style="font-size:27.999999999999996pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> TENTATIVE D’OBJECTIVATION DU CAS LOUIS-FERDINAND CÉLINE</span></strong></p>
<strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-929ca817-7fff-8484-92b6-61a1e52ae9d6">
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce texte sur Louis-Ferdinand Céline comporte deux parties : la première, de loin la plus développée, tente de répondre à la question implicite que pose notre intitulé. Ceci non pas du point de vue d’un célinien, et encore moins d’un céliniste, mais comme lecteur d’un écrivain pour le moins controversé. En tout cas, sans anticiper sur ce qui suit, ce texte s’inscrit en faux contre l’assertion selon laquelle la « question Céline » serait définitivement réglée. La seconde partie reprend le contenu d’une lettre adressée en septembre 2017 à Patrick Lepetit sur son livre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de l’abject, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publié aux Éditions de l’Atelier Libertaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(un courrier auquel l’auteur n’a pas répondu).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La « controverse Céline » n’en finit pas. Elle ne serait pas près de s’éteindre tant il paraît difficile de trier le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire le romancier de l’auteur des pamphlets antisémites (voire même, pour les romans, ceux qui seraient « contaminés » ou pas) ; ou encore de faire la part des choses en ce qui concerne l’individu Louis-Ferdinand Céline, que d’aucuns sous certains aspects peuvent trouver fascinant, et d’autres uniment abject. Certes rien ne nous n’empêche de répondre à l’une ou l’autre des questions qui réactualisent de manière constante cette controverse, mais le commentateur qui s’efforcerait de faire preuve d’objectivité envers Céline - une gageure ! - se trouve souvent dans l’obligation de naviguer à vue entre le jubilatoire et l’odieux, tous deux quelquefois même intimement liés. Comment donc se garder de ceux qui réduisent Céline à l’antisémitisme forcené des pamphlets (ou des « lettres aux journaux » des années de l’Occupation), mais également de ceux qui se réfugient derrière la posture du Céline « grand écrivain » pour occulter voire éluder ce qui selon eux resterait contingent ? Ou, pour le dire autrement avec les premiers, que répondre à ceux pour qui les pages antisémites que l’on sait discréditent la totalité de l’oeuvre romanesque célinienne, ou font peser un fort soupçon sur sa qualité littéraire ? Sans parler de ceux qui refusent de lire Céline parce qu’il s’agirait d’un « salaud » ou d’une « ordure », quand d’autres pensent que c’est cette abjection même qui fait l’intérêt du roman célinien. Par conséquent, pour résumer, l’auteur de ces lignes se trouve ceci précisé dans l’obligation d’écrire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sur le fil du rasoir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’il lui importe de tenter de démêler cet écheveau (les contempteurs de l’écrivain l’appellent eux un « sac de noeud ») qui porte le nom de Louis-Ferdinand Céline, son oeuvre et sa vie (confondues ou pas).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le 7 décembre 1941, à l’Institut Allemand de la rue Saint-Dominique à Paris, Ernst Jünger rencontre pour la première fois Céline. L’écrivain allemand note le soir dans son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Journal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Il y a chez lui ce regard des maniaques, tourné en dedans, qui brille comme au fond d’un trou. Pour ce regard, aussi, plus rien n’existe ni à droite ni à gauche ; on a l’impression que l’homme fonce vers un but inconnu. « J’ai constamment la mort à mes côtés » - et, disant cela, il semble montrer du doigt, à côté de son fauteuil, un petit chien qui serait couché là. Il dit combien il est surpris, stupéfait, que nous soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n’exterminions pas les Juifs - il est stupéfait que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en fasse pas un usage illimité. « Si les Bolcheviks étaient à Paris, ils vous feraient voir comment on s’y prend ; ils vous montreraient comment on épure la population, quartier par quartier, maison par maison. Si je portais la baïonnette je saurais ce que j’ai à faire ». J’ai appris quelque chose, en l’écoutant parler ainsi deux heures durant, car il exprimait de toute évidence la monstrueuse puissance du nihilisme. Ces hommes-là n’entendent qu’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mélodie, mais singulièrement insistante. Ils sont comme des machines de fer qui poursuivent leur chemin jusqu’à ce qu’on les brise ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout, sinon l’essentiel, sépare Jünger et Céline : personnalités, biographies, représentations du monde, relations aux autres, l’écriture plus encore. Et puis Jünger, ce n’est pas anodin, venait de rencontrer le mois précédent celle qu’il appelle Charmille ou la Doctoresse dans son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Journal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(une juive allemande vivant à Paris depuis 1933, proche des milieux anti-nazis) qui deviendra ou qui était déjà devenue sa maîtresse, à laquelle il consacrait quatre jours plus tôt un portrait attachant et sensible dans les pages de son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Journal. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce que relate ici l’écrivain allemand n’est pas dépourvu de justesse du point de vue de la personnalité de son interlocuteur, y compris sous l’angle clinique. Il entrait également dans l’attitude de Céline une part de provocation. Cela ne lui déplaisait pas de renchérir sur pareil sujet devant un officier allemand, de surcroît écrivain, qui malgré sa capacité à rester impassible dans ce genre de circonstance avait sans doute dû manifester quelque agacement. Mais après tout Céline confirmait là, en présence de Jünger, sous une forme plus directe, provocatrice, la teneur de quelques uns des propos tenus dans les lettres qu’il écrivait aux journaux. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On sait que Fernand Destouches, le père de Céline, conchiait Juifs et Francs-maçons. C’est l’une des raisons qui expliquerait la permanence d’un antisémitisme de longue date chez Louis-Ferdinand Céline. Le conditionnel étant de rigueur puisque dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1938) Céline brosse un portrait peu flatteur de son père, à charge même, brocardant au passage l’antisémitisme du paternel. Néanmoins le docteur Destouches écrivait à la date du 15 octobre 1930 (alors qu’il venait de commencer la rédaction du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) à Joseph Garcin : « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’ai aussi un confrère juif bien placé à Londres </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- il faut toujours suivre les Juifs, ce sont les guides, ils sont aux commandes partout ». Un antisémitisme encore « modéré » dans le ton, sans commune mesure avec les éructations et outrances des pamphlets à venir. Auparavant le futur Céline avait écrit la pièce </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Église, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une sorte de brouillon du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage…, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans laquelle on peut relever ici ou là des allusions de nature antisémite. Les péripéties de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Église </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’étant pas étrangères aux tribulations du docteur Destouches au sein de la Société des Nations, institution qu’il quitte en 1927 sans pour autant rompre les ponts avec elle : les « allusions antisémites » se rapportant vraisemblablement au supérieur, protecteur et mentor de Louis Destouches, le docteur Witold Rajchman, au sujet duquel notre dramaturge en herbe se montre pour le moins ambivalent. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pourtant, j’y reviendrai plus loin dans le détail, ne réduire Céline qu’à son antisémitisme, et plus encore celui outrancier des pamphlets, est l’une des manières - la plus courante en tout cas - au travers desquelles de nombreux commentateurs rejettent l’écrivain Céline avec l’eau sale des pamphlets antisémites. L’abondante correspondance de l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> va nous permettre dans un premier temps de poursuivre l’exploration du continent célinien. Prenons le train en marche durant l’année 1932, celle où le docteur Destouches devient l’écrivain Louis-Ferdinand Céline. A cette époque-là encore le style épistolaire de Céline diffère d’un correspondant à l’autre. Avec Henri Mahé, le premier de ses amis « montmartrois » (avant Gen Paul, Robert le Vigan, Marcel Aymé, authentiques montmartrois eux), Céline adopte le ton du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(celui par conséquent de l’oeuvre romanesque à venir). En revanche, avec ses correspondantes féminines, sa langue devient plus châtiée ou plus convenue. Ce qui n’exclut pas une certaine propension au badinage, avec par exemple Erika Irrgang et Cillie Ambor, deux jeunes femmes (la première allemande, la seconde autrichienne) que Céline rencontre à Paris en 1932 (la seconde devenant sa maîtresse), avec qui il correspondra de manière suivie pendant plusieurs années. C’est le docteur Destouches qui tient le plume lorsqu’il conseille la sodomie à ses deux correspondantes. Le plus remarquable, dans ces deux échanges épistoliers, étant l’inconscience ou l’inconséquence politique de Céline en 1932 et 1933. Très sincèrement il s’inquiète pour Cillie Ambor de la montée du nazisme dans les pays de langue germanique : la jeune femme est juive, tout comme la plupart de ses amis viennois (que Céline a d’ailleurs l’occasion de rencontrer lors de ses séjours à Vienne et pour qui il manifeste de la sympathie). A l’un d’entre eux, la psychanalyste Anny Angel, Céline propose l’hospitalité de son appartement parisien si, en qualité de juive, elle se trouvait dans l’obligation de quitter l’Autriche. En même temps, non moins sincèrement, il félicite Erika Irrgang (dont il aimerait qu’elle sorte de la pauvreté) d’avoir su « bien se débrouiller » dans le Berlin au printemps 1933. Une débrouillardise qui l’amène à poser cette question (elle se passe de commentaire) : « Puisque les Juifs ont été chassés d’Allemagne, il doit y avoir quelque place pour les autres intellectuels ? ». Ceci ponctué d’un « Heil Hitler ! Profitez en ! » du plus mauvais goût. Adolf Hitler, je précise, étant alors absent des préoccupations de Céline (et il en sera de même durant les trois années suivantes), sa correspondance en témoigne. Autre précision, Erika Irrgang, contrairement à ce que l’on pourrait supposer à travers cet extrait de lettre, n’était nullement hitlérienne : la jeune femme quittera l’Allemagne en 1936 pour s’installer à Londres.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les « idées » de Céline ne sont pas fixées à ce moment-là (le seront-elles d’ailleurs plus tard ?), d’où ce grand écart d’un correspondant à l’autre. Ajoutons que Céline avait en février 1933 adressé une lettre à l’éditeur allemand du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(la traduction étant alors remise en cause eu égard à la qualité juive du traducteur) pour l’assurer que le travail de ce traducteur lui donnait toute satisfaction, celui-ci lui semblant « avoir parfaitement compris le sens et l’esprit de ce texte ». Pour avoir un point de vue plus consistant sur les « idées » de Louis-Ferdinand Céline à cette époque mentionnons un courrier adressé en mai 1933 à Élie Faure, l’écrivain vivant le plus admiré par Céline. Alors que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avait été défendu principalement par des critiques et journaux de gauche (à l’exception, remarquée, du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Populaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), Céline dans cette lettre tape à bas raccourcis sur la gauche (« Qu’est ce que ça veut dire par les temps qui courent ? RIEN - moins que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rien</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> »). Il y a peuple et peuple, ajoute Céline, qui dit ne pas vouloir « crever (…) pour cette tourbe haineuse, mesquine, pluridivisée, inconsciente, vaine, patriotarde, alcoolique et fainéante mentalement jusqu’au délire ». D’où ce constat : « S’il y avait un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">plaisir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de gauche il y aurait un corps. Si nous devenons fascistes, tant pis. Ce peuple l’aura voulu. IL LE VEUT. Il aime la trique ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A l’automne 1933, ces milieux que Céline vilipende en privé font appel à l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour prononcer le 1er octobre une allocation attendue sur Émile Zola. Céline avoue à l’une de ses correspondantes : « Juste cieux, je n’aime pas du tout Zola, alors je parlerai de moi-même mais je ne m’aime pas beaucoup non plus ». Une phrase à rapprocher de : « Je n’aime pas les excès chez les autres Cillie. Je me suffis ». A Benjamin Fondane Céline écrit qu’il « est bien possible » qu’on le pende (lui) un jour prochain ». Qui ? : « les militaires ? les bourgeois ? les communistes ? les confrères ? ». On remarque qu’il ne cite pas les fascistes. Ce qui ne l’empêche pas de signer, à la demande d’Henri Barbusse, un appel en septembre 1933 en faveur des trois bulgares arrêtés et jugés par les nazis pour l’incendie du Reischtag (la réponse de Céline étant publiée dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en février 1934). Il est vrai que pour Céline, qui gardait une tendresse particulière pour le roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Feu, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Barbusse figurait parmi les rares écrivains vivants qu’il appréciait. D’ailleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comme on le verra plus loin,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avait publié plusieurs années plus tôt un article du docteur Destouches.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tôt ou tard « le soutien public » de Céline à la gauche devait faire défaut. Il se trouve acté lors des émeutes droitières de février 1934. Céline refuse de signer </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Appel à la lutte </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lancé par les surréalistes au lendemain du 6 février (comme Élie Faure le lui propose). Pourtant sa signature n’aurait alors étonné personne dans un ensemble où l’on trouvait certes des intellectuels, écrivains et artistes « très à gauche », mais aussi d’autres qui ne l’étaient que modérément (mais qui légitimement s’inquiétaient de la monté du fascisme en France). De surcroît nul communiste (ou communisant) n’avait signé cet </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Appel. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rappelons aux lecteurs qui l’auraient oublié que le 6 février la direction du PCF appelait à manifester au côté des ligues fascistes afin de « donner à cette protestation un caractère prolétarien » (sic). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Céline, pour expliquer ce refus, adresse deux lettres à Élie Faure. La seconde est importante dans la mesure où l’anarchisme revendiqué (« Je suis anarchiste depuis toujours, je n’ai jamais voté, je ne voterai jamais pour rien ni pour personne ») a pu occasionner par la suite, du vivant de l’écrivain, et même après, des malentendus, des protestations, voire des réactions indignées. Il s’agit en 1934 d’un anarchisme foncièrement individualiste, qui ne renvoie à aucune doctrine (y compris celle de Stirner). Comme tous, à l’entendre, l’excrètent - des nazis aux communistes - Céline leur répond qu’il les emmerde aussi, tous (ceci précédé par « Tout est permis, sauf de douter de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Homme</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » : un invariant célinien qui en 1934 passe encore pour une revendication libertaire). Cet anarchisme sera ensuite mis de côté pendant de longues années. Céline y reviendra en novembre 1949 dans une lettre à Albert Paraz (son principal interlocuteur durant les années d’après guerre) : « Vive l’anarchie, nom de dieu ! Pour être sûr d’être un bon anarchiste, il faut avoir tenu bon en tôle - impeccablement - qu’on a une boussole personnelle, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">indéréglable</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Et au même, trois ans plus tard : « Lecoin c’est un bon gnère mais il n’a jamais compris toute l’ignoble imposture de Jean-Jacques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme est bon </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et tous les anarchos itou - Ils sont tout près de l’électorat sans le savoir ». Entre temps, lors du « Procès Céline », Maurice Lemaître dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Libertaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(la rédaction du journal étant partagée) était intervenu en faveur de l’écrivain encore exilé au Danemark. Refermons cette parenthèse avec la quatrième de couverture de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« La bonne question n’est pas de savoir comment un libertaire en vint à s’acoquiner avec des nazis mais pourquoi ce personnage croit bon de se déguiser en libertaire »). Cette brillante formule a tout pour séduire les ignorants mais elle est hors sujet. Céline, comme je viens de l’évoquer, d’autres développements suivront, n’a nullement revêtu les oripeaux d’un libertaire pour abuser son monde. Mais laissons-là Michel Bounan que nous retrouverons plus tard.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons en 1934. Ce n’est pas un événement politique, mais personnel qui va alors, dans le sens qu’indiquaient auparavant les lettres adressées à Élie Faure, influer plus encore chez Céline sur son rapport au monde, à savoir sa rupture avec l’américaine Elisabeth Graig (la femme la plus aimée, du moins sur le plan passionnel, de la vie de l’écrivain). Il y a un avant et un après Graig : dans la manière d’envisager l’humanité sous un angle toujours plus pessimiste. Céline le manifestait déjà dans le domaine des « idées », mais après l’été 1934 ce pessimisme s’étend à tous les aspects de l’existence. En premier lieu les femmes (« la femme est mère ou putain »), l’amour (« l’amour n’est pas un propos d’homme, c’est une formule niaise pour gonzesse »). Les américains en prennent aussi plein leur grade dans une lettre d’anthologie adressée à Karen Marie Jensen, l’amie danoise. Quant au prolétaire, comme l’écrit Céline à Élie Faure : « C’est un bourgeois qui n’a pas réussi. Rien de plus. Rien de moins ». Dans ce même courrier Céline insiste, il y reviendra par la suite, sur les relations entre les notions de concret et d’abstrait pour un créateur : « Ce qui est beaucoup plus difficile c’est de faire rentrer l’abstrait dans le concret », ou « la fuite vers l’abstrait est la lâcheté même de l’artiste ». Céline se réfère également à son expérience de la vie : « Évidemment je n’ai pas été au Lycée. J’ai fait mes bachots, ma médecine, tout en gagnant ma vie. On apprend beaucoup par ce moyen ». Un leitmotiv célinien s’il en est.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> D’août 1933 à avril 1936 Céline se consacre à la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lors de la parution du roman il fuit Paris pour éviter les journalistes. Cependant, contrairement à ce qu’il imaginait, la critique se montre moins enthousiaste que pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: les Lucien Descaves, Élie Faure, Léon Daudet, entre autres, sur qui comptait Céline préfèrent se taire. Le public non plus ne suit pas : les ventes restent modestes en comparaison de celles du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette relative désaffection (ou ce demi échec) va plus affecter Céline qu’il ne veut bien le reconnaître. Là également il y a un avant et un après </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Du ressentiment qui s’ensuit va naître le premier en date des pamphlets antisémites. Durant la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nous pouvons retrouver dans la correspondance de l’écrivain quelques unes des causes et explications de cet antisémitisme-là. Quand Céline déclare à Marie Canavaggia être « en guerre contre tous. Comme tous furent solidaires pour me réduire à rien », il s’agit encore de l’accueil mitigé de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mais rapidement il en vient à ce qu’il écrit depuis plusieurs mois : « Je veux les égorger dans leur mesquinerie même. Ce livre est rédigé sous le signe du plus grand d</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ésagrément</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. Il n’est fait pour plaire à personne ». Lorsque dans ce même courrier à Marie Canavaggia la responsabilité de tout ce qui ne va pas dans le vaste monde se rapporte à un groupe ethnique bien défini, « la guerre contre tous » du début de la lettre sonne étrangement. Tout comme l’indication de livre « fait pour ne plaire à personne », ce dont Céline est alors persuadé (l’avenir, comme on le sait, le démentira).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Parallèlement Céline, s’adressant à une autre correspondante, dresse un tableau apocalyptique de la situation du monde en 1937. De ce chaos, de cette « catastrophe générale (…) les Juifs en définitive seront vainqueurs partout - avant garde des asiatiques leur victoire sera brève ! Les blancs disparaîtront ! vaincus par l’avarice, l’égoïsme et l’alcool et ce sera bien fait ! « . Ces considérations « visionnaires », pour s’arrêter à l’été 1937, prennent plus trivialement la forme d’une détestation de la France des congés payés quand, en vacances à Saint-Malo, Céline évoque « une invasion en rang épais de tout Clichy ! Villemomble ! poings tendus ! gueules tonnantes ! C’est beau ! Ils se mobilisent déjà pour venir au bord de la mer. Infect. Des armées de femmes de ménage ». Cet été-là Louis-Ferdinand Céline venait de commencer la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les trois pamphlets antisémites (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’École des cadavres, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">surtout) soulèvent plusieurs questions, deux principalement. Comme on vient de le voir, l’échec de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">explique en grande partie cette soudaine poussée de fièvre antisémite : l’écriture pamphlétaire, première conséquence, venant se substituer au projet, romanesque, que Céline envisageait de poursuivre après </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ce qui deviendra </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guignol’s band </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">trottait déjà dans la tête de l’écrivain lors de la rédaction de son second roman). Venons en à nos deux questions. Ces pamphlets sont-ils délirants (« construction fantasmatique », « délire avoué », « écriture relevant du pathologique », etc) ou pas ? Doit-on les considérer comme faisant partie à part entière de l’oeuvre (romanesque ?) de Céline ? Je ferai dans les deux cas une réponse de normand.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Oui, en premier lieu, quand nous les lisons aujourd’hui, indépendamment de leur contexte : c’est trop gros (absurde, infondé, invraisemblable, excessif, dément) pour être véritablement pris au sérieux. Il y a une dimension pathologique indéniable dans certaines pages. Non, pourtant, si l’on se réfère à d’autres pages, celles où Céline joue avec le lecteur (« Mais tu délires Ferdinand », « Ca va bien les divertir d’entendre ton numéro de folie ou tes bêtises », « T’es le genre de fou qui raisonne », etc). Non, surtout, si l’on replace ces pamphlets dans la France de la fin des années trente. Ceux-ci ont trouvé de nombreux lecteurs qui, même s’ils ne les prenaient pas tout à fait au sérieux, ou les trouvaient exagérés, n’en flattaient pas moins les convictions antisémites de la plupart de ces lecteurs. N’oublions pas, cela paraît étonnant voire incompréhensif aujourd’hui, que les deux premiers pamphlets ont été davantage lus l’un et l’autre que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">! Il y avait alors un large public pour ce genre de prose antisémite. L’extrême droite, qui lors des parutions de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ce dernier ouvrage étant de surcroît qualifié par quelques uns de ses folliculaires de « roman obscène ») s’était unanimement élevée contre ces deux romans (à l’exception pour le premier de Léon Daudet), les trouvant vulgaires, grossiers, populaciers. Ici la donne a complètement changé en 1938 : c’est l’extrême droite qui fait alors le meilleur accueil à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles…</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, puis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’École…</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, certaines de ses plumes allant jusqu’à qualifier de la manière la plus positive ce qu’auparavant chez Céline ils disaient détester. Incohérence ? Pas vraiment. L’antisémitisme en l’occurrence prenait le pas sur des considérations de nature littéraire ou morale. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans le camp opposé, Gide et d’autres ne prenaient ces pamphlets pas trop au sérieux, allant même jusqu’à évoquer quelque plaisanterie. Sans doute, mais de très mauvais goût ! Comme le remarquait très justement Walter Benjamin : « Gide ne voit que l’intention de l’ouvrage, pas ses conséquences ». Précisons, pour revenir à la manière dont nous percevons ces pamphlets aujourd’hui, qu’ils restent interdits de publication (tout en étant par ailleurs diffusés sur le Net ou publiés sous le manteau). Ce qui contribue à préserver la dimension « sulfureuse » de ces trois textes. Seule une édition critique de ces pamphlets permettrait au lecteur de se faire une opinion en toute connaissance de cause (et non biaisée par ce que d’aucuns aujourd’hui peuvent y projeter).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’antisémitisme mis de côté, comment ne pas reconnaître, d’un strict point de vue littéraire, que les romans sont une chose et les pamphlets une autre ! Ce que refusent d’admettre les plus virulents des anticéliniens pour qui, à l’instar d’un Jean-Pierre Martin, les romans de la trilogie allemande sont le prolongement littéraire des pamphlets antisémites. On sait pourtant que ceux-ci ont été écrits plus rapidement que tous les romans. Céline, en dehors de quelques digressions personnelles, a largement puisé dans la presse et les brochures antisémites des années trente la matière même de ses deux premiers pamphlets. En réalité leur contenu n’a rien de bien original : le style de l’auteur faisant la différence avec les libellés antisémites publiés ces années-là. Alors que ses romans témoignent, toutes époques confondues, des difficultés de l’auteur à travailler sur le motif, du côté laborieux de l’exercice, et d’un souci presque obsessionnel de la forme auxquels les pamphlets ne peuvent prétendre. En outre les occurrences antisémites sont presque inexistantes dans ses deux premiers romans (pourtant, comme nous l’avons relevé, Louis-Ferdinand Céline jusqu’en 1937 faisait preuve d’un « antisémitisme modéré », ni plus ni moins que d’autres écrivains et artistes dans l’entre-deux guerre). Comme le remarque Henri Godard : « Nulle part dans un roman Céline n’a incarné en un personnage de Juif ce condensé de toutes les tares possibles que ses pamphlets décrivent dans la généralité et dans l’abstraction. Il met au contraire en scène, pour le tourner en dérision, un personnage qui, sitôt qu’il a un ennui, s’en prend aux Juifs et aux francs-maçons ». Ceci pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je n’ai pas encore évoqué </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guignol’s band, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">roman écrit durant l’occupation, où apparaissent deux figures de Juifs qui ne ressortent pas de la caricature antisémite. L’un, le médecin Clodovitz, ressemble sous certains aspects au docteur Destouches ! L’autre, Van Claben, certes usurier, témoigne de goûts musicaux proches de ceux d’un certain Louis-Ferdinand Céline. Cela paraît même étonnant en regard de l’antisémitisme récurrent manifesté par l’écrivain dans sa correspondance durant les années 1941 et 1942. Cependant mentionnons que le procédé de « l’adresse au lecteur », inauguré avec les pamphlets (absent auparavant dans les deux premiers romans mais également </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guignol’s band</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), sera repris dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et la trilogie allemande. Donc, du moins sur ce plan là, il y a une parenté entre les pamphlets et la production romanesque de l’après guerre. Cela peut paraître secondaire mais mérite néanmoins d’être mentionné.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’École des cadavres, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">suite aux plaintes déposées par des personnes mises en cause dans les deux pamphlets, tombent en mai 1939 sous le coup du décret Marchandeau, réprimant l’incitation à la haine raciale et religieuse. Ce qui oblige les Éditions Denoël à retirer ces deux ouvrages de la vente en librairie. Auparavant, suite au conflit larvé qui l’opposait depuis plusieurs années au médecin-chef du dispensaire de Clichy (Grégoire Ichok, Juif et sympathisant communiste), Céline avait démissionné de son poste de médecin deux semaines avant la parution de son premier pamphlet antisémite, mais également de son emploi partiel au laboratoire au laboratoire La Biothérapie. Citons la lettre du 19 janvier 1939 adressée par Céline à son amie juive Cillie Ambor (une correspondance interrompue par l’écrivain depuis avril 1937, c’est-à-dire à la date de l’idée du projet qui portera plus tard le nom de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Cillie venait de l’informer qu’elle avait quitté l’Autriche pour s’installer d’abord à Londres, puis en Australie d’où elle écrivait. Son mari, moins chanceux, avait été lui arrêté par les nazis, puis transféré au camp de concentration de Dachau où il était décédé. Céline, lui répondant, reconnaît que de son côté « ses petits drames ne sont rien comparés » à ceux de son amie (du moins « pour le moment », précise-t-il). Cependant le reste de la lettre hérisse le poil quand Céline, mettant sa correspondante au courant de sa situation professionnelle (la perte de ses deux emplois) ajoute : « Vous voyez que les juifs aussi persécutent… hélas ! Ici vous savez nous sommes littéralement envahis et de plus ils nous poussent ouvertement à la guerre. Je dois dire que toute la France est philosémite - sauf moi, je crois - aussi évidemment j’ai perdu ! Enfin donnez moi de vos nouvelles Cillie et bien affectueusement ». Autant qu’on puisse le vérifier, Cillie Ambor n’a plus jamais donné de ses nouvelles. On la comprend !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sous l’Occupation Céline commence la rédaction des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Beaux draps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(le troisième des pamphlets antisémites, plus « modéré » que les deux précédents). Il sera publié en février 1941. A l’automne 1940, Céline avait entrepris de se faire nommer médecin au dispensaire de Bezons. Dans une lettre adressée au maire par intérim de la commune, Céline se leurre sur l’identité du médecin alors en place (qu’il croit être juif, lui-même se présentant comme un « indigène de Courbevoie »). Il rectifie le tir dans un courrier adressé au Directeur de la Santé à Paris : ce médecin en réalité est un « nègre haïtien » qui « doit normalement être envoyé à Haïti </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’après les lois normalement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en vigueur ». Céline évoque ici les décrets du gouvernement de Vichy de juillet et août 1940 interdisant l’exercice de la médecine aux étrangers. Cet épisode de la vie de Céline est bien connu et ne plaide guère, usons d’un euphémisme, en sa faveur. Pourtant, en regard des citoyens qui durant l’Occupation ont anonymement dénoncé des Juifs et des résistants, signant en cela souvent l’arrêt de mort des uns et des autres, j’ajoute qu’il y a dénonciation et dénonciation. Relevons aussi que Céline, une fois installé au dispensaire de Bezons, fera plusieurs fois appel à la femme du médecin révoqué (elle-même médecin, avec qui il entretenait de bonnes relations confraternelles), pour le remplacer durant ses absences ! Indépendamment de l’obsession antisémite manifesté en premier lieu, Céline demande en quelque sorte à l’administration d’appliquer les décrets scélérats de l’été 1940. La situation étant ce qu’elle est le docteur Destouches cherche à en tirer profit. La lettre filandreuse qu’il adresse au directeur de la Santé parisienne n’est pas exempte de sous-entendus sur le pouvoir toujours occulte (selon lui) des francs-maçons dans la France de Vichy. Toutes ces péripéties sont très déplaisantes mais doivent être replacés dans le contexte de cette triste époque. Certains amis bretons de Céline étaient entrés dans la Résistance, ce que ce dernier n’ignorait pas. Dans ce même registre Céline n’était pas sans savoir que son voisin du dessous de la rue Girardon (le compositeur Robert Chamfleury, avec qui notre écrivain entretenait de bonnes relations) appartenait à la Résistance. D’ailleurs le premier défendra en 1958 publiquement le second contre des allégations tenues alors par Roger Vailland (lequel faisait alors partie du réseau de résistants dont les réunions se tenaient rue Girardon dans l’appartement de Chamfleury). Signalons que Chamfleury aurait, selon Céline, proposé au couple Destouches de l’aider à se réfugier au printemps 1944 dans un maquis vendéen !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Également bien connue, et non moins regrettable (sinon plus), mentionnons la lettre adressée par Céline au journal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Aujourd’hui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en mars 1941. Ce courrier, qui s’en prenait à Robert Desnos (lequel avait brocardé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Beaux draps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans ce quotidien), demandait au poète - après une diatribe contre la « campagne philosémite » menée par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Aujourd’hui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et Desnos - de publier sa photo grandeur nature, face et profit. Une demande suivie de « La nature signe toutes ses oeuvres » » Desnos » - cela ne veut rien dire ». Sauf que là Céline n’eut pas le dernier mot. Desnos répondit à « Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline » en s’exprimant sur un mode caustique propre à mettre les rieurs de son côté, puis signa Robert Desnos, dit Robert Desnos ». Refermons cette parenthèse en ajoutant qu’une légende qui a la vie dure prête à Céline la responsabilité de l’arrestation de Desnos en 1944. Il n’en n’est bien sûr rien.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> De février 1941 date la première des nombreuses lettres que Céline va adresser à la presse collaboratrice (qui ne seront pas toutes publiées). Celle-ci commence par ces deux phrases (« L’article n’est pas mon fort. La politique non plus ») qui valent pour le reste du reliquat épistolaire des années d’Occupation. Un point essentiel doit être rapporté d’emblée : Céline n’a jamais écrit d’articles à proprement parler dans la presse collaboratrice malgré les nombreuses sollicitations dont il faisait l’objet. Cela s’explique par un souci d’indépendance avant tout, souvent exprimé par l’écrivain, mais également par ses réserves, pour ne pas dire son mépris à l’égard du journalisme. Cette lettre à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Gerbe, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la première en date donc, ayant été « tripatouillée, édulcorée, tronquée, falsifiée » selon l’écrivain par la direction de l’hebdomadaire, Céline protestera. Il en tirera des enseignements par la suite, prenant les précautions nécessaires pour ne pas reproduire ce genre de situation. Céline précisera plusieurs mois plus tard à l’une de ses correspondantes : « Je n’ai jamais touché un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sou </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans un journal quelconque. Ceci est le prix de mon </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">absolue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">indépendance ». Il le rappellera durant l’Occupation, et plus encore dans les lendemains de la Libération, au Danemark, pour se défendre contre l’accusation de collaborationnisme. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce rappel fait, il ne faudrait pas croire que Céline mettait pour autant - comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Beaux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">draps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avaient paru l’indiquer - une sourdine à son antisémitisme de l’immédiate avant-guerre. Celui des années 1941-1942 n’est plus tout à fait l’antisémitisme forcené, excessif, délirant, burlesque des deux premiers pamphlets mais prend un caractère plus obsessionnel. Faisant fi de la politique raciste du gouvernement de Vichy qui réduit peu à peu les juifs à des citoyens de seconde zone, Céline s’indigne de l’existence d’une « croisade antibolchévique » (les nazis viennent d’attaquer l’URSS) qui laisse « tous les juifs plus que jamais </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à toutes places </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tandis qu’on envoie les derniers français </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aryens </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">crever dans les steppes ! ». Quelques mois plus tard son indignation se rapporte au fait que « toute l’opinion française est philosémite et de plus en plus philosémite ! » (déplorant, au détour d’une phrase, que l’Allemagne reste l’ennemi héréditaire des français). Là encore ce philosémitisme, ou prétendu tel, n’avait rien à voir avec la réalité du moment (et plus avec l’imagination féconde de Céline). Mais ne pourrait-on pas aussi le dire, toute proportion gardée, de ceux qui encore aujourd’hui, a contrario, continuent d’affirmer que les français dans leur grande majorité étaient antisémites en 1941 et 1942 ? L’ironie de la chose, si l’on peut dire, étant que pour Céline les juifs sont ce qu’ils sont (c’est à dire « veules », « grossiers », « plagiaires », « myopes », « creux », « burlesques ») mais qu’en face « nous avons affaire aux aryens, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">surtout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aux aryens si vils, si veules, si dégénérés, si maçons, si dégueulasses, si enjuivés ? ». Nous avons là un concentré d’antisémitisme à la mode célinienne. A se demander même si les aryens ne sont pas pires ? Tout cela manque d’un minimum de rigueur ou de sérieux, et prête à sourire (d’un sourire certes crispé). Il va de soi que nulle « autorité », à Paris ou à Vichy, n’a imaginé confier des responsabilités de quelle nature soit-elle à Céline en matière de « politique juive ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est dans une lettre adressée à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Appel </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en date du 4 décembre 1941 que figure la phrase la plus impardonnable jamais écrite par Céline durant cette période : « Au fond, il n’y a que le chancelier Hitler pour comprendre les juifs ». Un courrier envoyé en mars 1942 à Jacques Doriot concentre les obsessions antisémites de l’écrivain. A cet interlocuteur, choisi en l’occurrence, Céline déclare : « Il n’existe qu’une seule question : la question juive ! Sans les Juifs le rapprochement franco-allemand serait chose faite, entendue, accomplie depuis belle lurette ». Il n’est pas à une contradiction près puisque dans une lettre à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Appel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un mois plus tard, il estime que l’on ne devrait déjà plus parler de la question juive ! C’est la question aryenne qui se pose ! ». Il est vrai que Céline la formule depuis un constat pour le moins surprenant. On y apprend que la LVF (Ligue des Volontaires Français contre le bolchévisme) « est entièrement juive comme le reste ! ». Une « constatation » que Céline ne pouvait décemment évoquer devant Doriot. Pas complètement fou Ferdinand ! Comme quoi, malgré tout, il restait un noyau bien délirant en matière d’antisémitisme, repérable depuis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles…</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, chez Louis-Ferdinand Céline. Il est d’ailleurs avéré que dans les milieux collaborationnistes, du moins les plus pro-nazis, les outrances céliniennes provoquaient de l’agacement, voire de l’irritation dans la mesure où elles finissaient « par desservir la cause même de l’antisémitisme » (comme des ultras le formulèrent).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour clore cette première partie de la période de l’Occupation citons la lettre adressée le 7 janvier 1943 au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pilori </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans laquelle Céline expose son « programme politique », lequel tient en trois points. D’abord doubler les quantités des cartes d’alimentation dans toutes les agglomérations de plus de 1000 habitants (Céline se plaint dans sa correspondance que les paysans vivent grassement sur le dos des citadins). Et pour ceux qui renâcleraient devant cette politique de redistribution : « les </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">kolkhozes tout de suite </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">! ». Ensuite « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour tous </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">assurance chômage, assurance maladie, application de la loi Loucheur » (ceci et cela</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> pour ne « plus jamais parler de communisme »). A ces deux mesures progressives, d’un communisme débarrassé des communistes, Céline en ajoute une troisième, plus déconcertante. Il préconise « la suppression immédiate des appareils TSF » (contre la propagande de la BBC), et par conséquent de la radio (qu’il excrète).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Stalingrad change la donne. Céline pense que les allemands seront finalement vaincus. C’est également l’époque où il se consacre principalement à la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guignol’s band. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les références antisémites disparaissent quasiment de sa correspondance. A partir de l’été 1943 Céline reçoit des menaces de mort et commence à craindre pour sa vie. En juin 1944, deux mois après la parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guignol’s band, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">il quitte Paris pour Baden Baden. Passons sur les tribulations de l’écrivain durant la fin de la guerre (elles seront racontées plus tard dans la trilogie allemande) pour en venir, après guerre, à l’exil danois, la période la plus riche du point de vue épistolier de la vie de Louis-Ferdinand Céline.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Céline, dès mai 1945, y prépare sa défense dans une lettre adressée à son avocat danois, Thorwal Mikhelsen. A quelques détails et ajouts près cette défense ne variera guère durant ce séjour danois. Céline met en avant le fait qu’il est d’abord et avant tout un écrivain, n’ayant jamais écrit dans la presse collaborationniste (comme journaliste stipendié d’un journal), ni parlé à la radio, ni appartenu à aucun parti politique, ni groupement quelconque. Donc il ne s’était livré durant l’Occupation à aucune activité politique et culturelle susceptible de l’inculper, et ne pouvait conséquemment être suspecté d’avoir collaboré entre juillet 1940 et juin 1944. Il ajoute que seule la publication des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Beaux draps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à l’automne 1940, pouvait lui être reprochée (en oubliant de mentionner les rééditions de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’École des cadavres</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Enfin il reprend le sempiternel discours tenu auparavant dans un tout autre contexte (et qu’il réitérera tout en le nuançant jusqu’à la fin de sa vie) : son antisémitisme était dicté par des considérations pacifistes, celles d’empêcher la guerre entre la France et l’Allemagne. Tout comme il reviendra continûment sur son passé d’ancien combattant de 14/18, de blessé de guerre, mettant en avant son infirmité, l’exagérant si besoin, afin de faire état d’un patriotisme qui, à l’entendre, le laverait de tout soupçon de trahison.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En détention (il est emprisonné entre décembre 1945 et juin 1947), Céline organise sa défense avec son avocat danois. Il s’agit dans un premier temps d’argumenter contre la demande d’extradition demandée par le gouvernement français (d’abord initiée, puis relayée par l’ambassade de France au Danemark). Un mandat d’arrêt a été lancé contre Céline accusé de trahison (le fameux article 75). Malgré la minceur du dossier d’accusation, la procédure va trainer durant plus de cinq ans. Cela, prioritairement, en raison du climat d’épuration en France dans l’immédiate après guerre : Céline figure dans la liste des 55 hommes de lettres collaborateurs répertoriés par le CNE. L’éloignement de l’écrivain, également, l’expose plus que d’autres aux attaques de la presse issue de la Résistance, en particulier celle d’obédience communiste : les staliniens n’oubliant pas que Céline, ceci aggravant son cas, était l’auteur du pamphlet anti-soviétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mea culpa </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publié en décembre 1936. Il est aussi reproché à Céline, en plus de l’accusation de collaboration, de s’être conduit lâchement en quittant le territoire français en juin 1944 pour rejoindre Baden Baden, puis d’avoir dans un second temps rallié à Sigmaringen le dernier carré de l’élite vichyssoise. L’écrivain doit par conséquent faire face sur deux fronts : l’un judiciaire, l’autre médiatique. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’expérience de la prison se révèle traumatisante pour Céline. En raison des difficiles conditions de détention et des restrictions diverses, droit de visite compris (un quart d’heure d’entretien par semaine avec son épouse et non en français les premiers temps !). Et surtout eu égard l’état de santé de l’écrivain, se détériorant, qui nécessite de fréquents séjours à l’infirmerie de la prison ou dans un hôpital de Copenhague. Un fois libéré, mais assigné à résidence (et toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt en France), Céline n’entend pas renouveler la même expérience sur le sol français. En tout état de cause il sort très ébranlé de ces seize mois de détention. On trouve dans les différentes versions de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(le roman entamé durant sa détention), ainsi que dans sa correspondance de l’époque, une tendance à l’apitoiement sur soi sur le mode de la plainte et de la déréliction qui ferait écho, de façon certes malvenue, à la situation des victimes des camps de concentration (on ne parlait pas encore de camps d’extermination). Mais je n’irai pas jusqu’à dire avec Philippe Roussin que « la confusion de l’accusé et de la victime est une manière de se sortir de tout procès en responsabilité ». C’est faire bon marché de ce que Céline a vécu et enduré durant ses seize mois de détention : il suffit de le lire et de recouper ce que l’écrivain en rapporte avec les témoignages des rares personnes ayant rendu visite à Céline en prison. Signalons qu’en France de nombreuses voix réclamaient sur l’air des lampions le poteau d’exécution pour le proscrit (alors que l’épuration relevait pourtant d’un régime de croisière depuis l’automne 1946). Céline ces années-là s’identifiait plus volontiers aux victimes qu’aux bourreaux mais ce n’est pas, ceci précisé, entendre dégager sa responsabilité que de vouloir la replacer dans de plus justes proportions. C’est un autre Céline, plus pessimiste encore, aigri et rancunier, plus lucide cependant sur ses errements passés qui va désormais tenir la plume (cette lucidité s’étendant à quelques unes de ses amitiés montmartroises, Gen Paul en premier lieu).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais n’anticipons pas. Céline en mars 1946 (après trois mois de détention) écrit à son avocat danois que son antisémitisme « par sa forme outrée, énormément comique, strictement littéraire, n’a jamais persécuté personne ». Cela passe encore à l’extrême rigueur. Pourtant quand il ajoute « qu’il n’y a jamais eu de persécutions juives en France » mais des expulsions de juifs étrangers, on se demande, devant un tel déni de réalité, dans quel monde vivait l’auteur des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Beaux draps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">durant l’Occupation ! Cependant à l’attention du lecteur qui s’en tiendrait-là, Céline indique dans la même lettre que « les agents de la Gestapo (…) étaient presque </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toujours des juifs ou des 1/2 juifs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que les plus ardents persécuteurs de juifs, dénonciateurs, étaient les juifs eux-mêmes ». Cela remet en perspective les lignes citées précédemment. Nous sommes dans un registre comparable aux pages les plus délirantes des pamphlets antisémites (le côté « comique » en moins). On ne saurait, ceci dit, oublier dans quel contexte Céline écrivait cette lettre. Il n’avait depuis son incarcération pas reçu la visite de son avocat, retenu depuis novembre en dehors du Danemark. Quelque chose de l’ordre de la raison de l’écrivain chancelait à ce moment-là. Sa correspondance est éloquente là-dessus. Et puis Céline, mis à l’isolement, ne parlant pas un mot de danois, était complètement coupé du monde : il ne recevait que les brèves et rares visites de Lucette Almanzor dans les conditions plus haut précisées !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sur l’antisémitisme Céline va sensiblement évoluer après ces longs mois de détention. Un élément extérieur l’explique en premier lieu. Céline reçoit le soutien de Milton Hindus, un intellectuel juif américain admirateur de l’oeuvre de l’écrivain, qui tente d’abord de mobiliser l’opinion publique américaine en faveur de Céline, laquelle mobilisation passe par la réédition des romans de l’écrivain (que Milton Hindus chaque fois préface). Dans une lettre du 30 mars 1947 adressée à Antonio Zulonga, Céline expose pour la première fois le point de vue qu’il soutiendra durant son exil danois : « D’ailleurs l’antisémitisme est </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une idiotie et une provocation criminelle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui ne sert qu’à faire des bagnards (…) Je dois être le seul en France et peut-être dans le monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui ait l’autorité pour faire entendre de pareilles paroles - pour faire cesser à jamais les persécutions juives</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Ce propos sera reformulé à Hindus. L’année suivante Céline lui écrira qu’il est beaucoup plus fait pour s’entendre « avec les Juifs qu’avec les aryens d’aujourd’hui ». Et plus nettement encore à son avocat parisien, Albert Naud, à qui Céline écrit le 18 juin 1947 qu’il « serait peut-être adroit de faire entendre que je suis le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">seul antisémite </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">traqué pour son antisémitisme qui puisse vraiment être actuellement utile aux Juifs ». Céline reconnaît plus loin que « l’antisémitisme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ne menait à rien </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et qu’au surplus il n’avait plus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aucune raison d’être</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Il lui importe qu’on « ne tombe pulsants </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ce piège - L’antisémitisme est une provocation politique ou policière </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- Malheur à qui s’y mouille ! C’est une farce abjecte ! ». Céline en conclut par : « Je voudrais bien à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tout prix </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que cela ne recommence pas. Que d’autres, les jeunes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ne reconnaissent jamais - </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les mêmes folies ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous avons là l’essentiel du repositionnement de Céline sur l’antisémitisme. Bien entendu ce revirement spectaculaire est aussi dicté par les impératifs de la défense judiciaire de l’écrivain, une nécessité à laquelle Céline ne peut se dérober. Mais, j’insiste, cet élément de plaidoirie est venu se greffer en second lieu sur la « conviction » au sujet de laquelle deux mois plus tôt Céline entretenait son ami Zulonga (destinataire peu susceptible de recevoir des propos « complaisants » ou dictés par les circonstances). D’ailleurs, en août 1947 Céline adresse à Charles Deshayes (l’un de ses nouveaux correspondants) une lettre significative où, après le rappel de propos philosémites, il précise : « Vive les juifs ! Jamais assez : vivent les juifs ! Telle est mon atroce expérience. Fumiers pour fumiers les aryens ne les valent pas. Si j’avais à revivre ! … Et puis vraiment tout ceci est dépassé ! ». Dépassé certes parce que Céline indique ensuite : « La question jaune et noire se pose et commande TOUT, écrase tout ». Mais ceci est une autre histoire. Ajoutons, pour revenir à la lettre à Milton Hindus déjà évoqué, concernant les « aryens d’aujourd’hui », que ceux-ci sont décrits comme « dégénérés, bêtement, fastidieusement cruels, mufles, serviles, matérialistes, ignobles, goulus, répugnants ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On fera ici l’hypothèse que Céline, s’il n’avait pas alors à l’époque privilégié (il va de soi) la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aurait pu écrire un pamphlet anti-aryen et anti-antisémite (voire philosémite) en argumentant dans le sens qui vient d’être indiqué. Lequel pamphlet ne se serait pas uniquement inscrit dans le cadre de la défense judiciaire de l’écrivain mais aurait plus décisivement témoigné du profond changement d’attitude de Céline à l’égard de ses errements passés : puisque pour lui l’antisémitisme appartenait à un passé révolu et qu’il importait avant tout qu’il ne renaisse plus de ses cendres. En laissant ouverte la question de la réception d’un tel texte par les contemporains de l’écrivain exilé, c’est ce que Céline, pour revenir à ce projet, avait peut-être en tête lorsqu’il proposait à Milton Hindus en juillet 1947 d’écrire un livre sur ce sujet, dès lors qu’il ne tomberait pas dans le « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">conformisme d’époque</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> », à savoir le manichéisme selon lequel « les juifs sont tous des martyrs et des anges » et les antisémites « tous des monstres, des dégénérés, des traitres et des gorilles ». Pour, en revanche, enquêter auprès des « victimes de l’antisémitisme », mais également « des emprisonnés, exilés, maudits, parias, victimes actuelles de la répression anti-antisémite ». Ceci et cela, insiste Céline, « pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">liquider l’antisémitisme, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mais d’une façon intelligente - pas stupidement, systématique délirante apologie des juifs, ce qui est autant imbécile que l’antisémitisme systématique ». Céline pense assurément que son interlocuteur paraît bien mieux placé que lui, plus légitime, mieux qualifié même pour mener à bien pareille entreprise. Le fait qu’il lui promette « d’écrire un chapitre » prouve combien le sujet taraude Céline. Nous subodorons que dans ce chapitre-là la verve pamphlétaire de l’auteur se serait exercée au dépens de ces « aryens d’aujourd’hui » traités de tous les noms dans la correspondance de l’après guerre, et invectivés comme précédemment - avant guerre et durant l’Occupation - l’avaient été les juifs. Il est dommage que Milton Hindus n’ait pas alors répondu aux sollicitations de Céline, en écrivant ce traité qui certes demandait du temps, de la disponibilité, du talent, de l’érudition, voire un certain courage. Il est vrai également que lorsque Milton Hindus viendra l’année suivante au Danemark pour rencontrer le proscrit le courant ne passera pas entre eux - la faute en incombant principalement à Céline - et leurs relations en seront durablement affectées.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une autre hypothèse pourrait à ce stade, celui de cet aspect particulier de la correspondance de Céline durant l’exil danois, être formulée (je m’étonne d’ailleurs qu’à ma connaissance elle n’ait pas déjà été faite) : il n’y a pas plus ici de raison de douter des convictions anti-antisémites et philosémites de Céline qu’il n’y avait auparavant manière à s’interroger sur les convictions antisémites de l‘écrivain dans les pamphlets d’avant guerre et les lettres adressées aux journaux durant l’occupation. Ces deux convictions parfaitement antinomiques se superposent plus qu’elles ne s’annulent. Prendre au sérieux ici l’antisémitisme de Céline, là son philosémitisme, ou penser que tous s’avèrent délirants revient au même. Ceux qui soutiennent, malgré toutes les précisions apportées ci-dessus, que seul le Céline des pamphlets antisémites (ou des lettres de cette nature) doit être pris en considération, et par conséquent que son anti-antisémitisme de l’après guerre n’est qu’une pose, une ruse, une imposture, ou une échappatoire pour se racheter à bon compte aux yeux de l’opinion (ou une argutie judiciaire) sont incapables de comprendre le fonctionnement psychique et intellectuel d’un personnage de la complexité de Céline, ou sont tout simplement de mauvaise foi (voire dans l’incapacité d’admettre ce qui dépasse en l’occurrence leur entendement). Entre 1937 et 1947 il y a quelque chose de l’ordre d’une réversibilité, vertigineuse certes, qui tendrait à relativiser d’un côté l’antisémitisme de Céline dans les années d’avant guerre et celles de l’Occupation, de l’autre son anti-antisémitisme (ou philosémitisme) de la période 1947-1950. Je ne doute pas que cette forte hypothèse puisse remettre en cause des certitudes bien établies sur Céline. Ce qui relève de l’odieux chez lui reste odieux (j’en ai donné quelques exemples) mais la perspective d’ensemble doit être, sinon corrigée, du moins amendée sur ce point précis.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Céline, sa situation judiciaire s’éclaircissant (une amnistie viendra conclure cette longue procédure, après une première condamnation à un an de prison, lui permettant de revenir en France), ne reviendra plus sur ces questions. Sinon pour confirmer ici ou là que son antisémitisme de jadis avait été « une belle connerie ». Pourtant, pour ne rien oublier, Céline s’est révélé timoré dans son appréciation des camps d’extermination nazis, ou de la responsabilité qui aurait pu être éventuellement la sienne à cet égard. Quand, dans une lettre à Jean Paulhan, il affirme qu’il n’entendait pas dire ou recommander qu’on massacre les juifs « en écrivant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » il paraît alors sincère, sauf que cette sincérité-là doit être mise à l’épreuve. Car c’est un peu court : l’antisémitisme était à n’en pas douter « une belle connerie » mais celle-ci a engendré les monstres que l’on sait. C’est bien là le problème : Céline ne prenait pas la mesure de ce qu’il écrivait (pas plus que ceux, comme Gide et d’autres, qui y trouvaient matière à plaisanterie). Qu’il ne l’ai pas perçu en 1938 soit, mais on aurait préféré plus de discernement treize ans plus tard dans sa lettre à Paulhan. S’il semble lucide sur les causes et la nature de l’antisémitisme depuis son séjour danois, en revanche, pour ce qui concerne les conséquences de la politique hitlérienne vis à vis des juifs, Céline se révèle incapable d’aller jusqu’au bout de l’analyse qu’on pourrait attendre de lui en regard de cette lucidité. Notre écrivain, si je tente de l’expliquer, reste parasité par le raisonnement selon lequel lui, Céline, voulait à tout prix éviter la guerre (« Je demandais aux Juifs à ce qu’ils ne nous lancent pas par hystérie dans un autre massacre plus désastreux que celui de 14-18 »). D’où sa conviction, bien ancrée, que la déclaration de guerre en 1939 conduirait à de tels massacres. Céline reconnaît cependant qu’il « a péché en croyant au pacifisme des hitlériens ». « J’ai déconné », ajoute-t-il. Plus que déconné Ferdinand !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un autre élément, plus contingent, explique cette « retenue dans l’expression ». Céline, au Danemark, n’entend quand même pas comparer ses souffrances (celles d’abord endurées en prison, puis liées à l’impossibilité durant plusieurs années de revenir en France alors que l’on réclame pour lui le poteau d’exécution) à celles des juifs mais la mention concernant sa personne d’une « affaire Dreyfus à l’envers » (ou « à rebours ») indique qu’à l’instar du capitaine Dreyfus on l’accuse bien à tort. C’est en partie vrai, j’aurai l’occasion d’y revenir. Cependant, cela n’a rien d’un détail, Dreyfus n’était en aucun cas responsable de ce dont on l’accusait. L’on ne saurait dire la même chose avec Céline.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On ne peut refermer cette longue parenthèse sur les Juifs, l’antisémitisme, les camps d’extermination sans préciser qu’après son retour en France (1951) Céline ne se réfèrera plus dans sa correspondance à l’un ou l’autre de ces thèmes. A deux exceptions près. D’abord, certainement pour répondre à une question de Roger Nimier, Céline réitère son point de vue sur l’antisémitisme (qui n’a pas évolué depuis 1947) et sur les raisons pour lesquelles il y a succombé personnellement. La seconde référence, cinq ans plus tard, sur les camps celle-là, s’avère plus troublante. Dans une lettre à Hermann Bickler Céline évoque un « Institut de Recherches historiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">officiel de Bonn </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dont le siège serait à Munich (…) qui, après de longues recherches, aurait découvert et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publié </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qu’il n’y aurait jamais eu de fours à gaz à Buchenwald, Dachau, etc… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ni nulle part en Allemagne… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il y en avait en </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">construction </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mais qui ne furent jamais terminées… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">selon cet Institut</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Céline conclut cette lettre en demandant à son correspondant (qu’il a connu en 1942 par l’intermédiaire de Karl Epting, le responsable de l’Institut allemand à Paris) : « Si vous obtenez des documents voilà qui m’intéresserait fort, vous aussi sans doute ». Céline n’a autant qu’on le sache pas reçu l’information demandée. Six mois plus tard il décédait.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quelques précisions s’imposent. L’Institut mentionné avait adressé par l’intermédiaire de son directeur, l’historien Martin Broszat, une lettre à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Die Zeit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans laquelle était pour la première fois faite la distinction entre camps de concentration et camps d’extermination. Qui faisait donc état de la présence de chambres à gaz pour les seuls camps d’extermination. Céline a très certainement pris connaissance de cette lettre (informant des travaux de cet institut) dans un article de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rivarol </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publié le 29 décembre 1960 (la veille de la lettre à Bickler). Sans connaître le contenu de l’article en question, tout porte à croire que celui-ci, compte tenu du positionnement politique de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rivarol </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au début des années soixante (d’une germanophobie outrancière), interprétait tendancieusement le contenu de la lettre de Broszat, et anticipait en quelque sorte sur ce qui portera plus tard le nom de négationnisme. Il serait hasardeux de prétendre que Céline, en se référant à ce courrier (qui utilise le conditionnel), aurait plus tard pu abonder dans le sens des Faurisson et consort. Il paraît en tout cas certain que son opinion, quoi qu’il en soit, n’aurait pas été rendue publique. Céline, depuis son retour en France avait déserté le terrain de l’expression politique, y compris dans sa correspondance. D’où une certaine humeur à l’encontre de l’écrivain du côté des anciens collaborateurs devenus de chauds partisans de l’Algérie française.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les attaques les plus virulentes contre Céline, je reviens en arrière, sont venues du camp stalinien lors de l’exil danois. Alors qu’en 1932 plusieurs intellectuels communistes avaient salué la parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(et Elsa Triolet signé la traduction du roman en russe), celle de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">suscite peu d’échos dans les rangs communistes. Ce qui n’est pas le cas du pamphlet anti-soviétique, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mea culpa </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(écrit après un séjour en URSS)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">très mal reçu comme on pouvait s’y attendre. La publication ensuite de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’arrangera rien, bien au contraire. Mais la rupture était déjà consommée.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans les lendemains de la Libération, à l’automne 1945 plus précisément, la presse communiste prend Céline pour cible dès l’annonce de la présence de l’écrivain au Danemark. Cette offensive culminera plusieurs années plus tard durant les mois précédant le « procès Céline ». En octobre 1949 on peut lire dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Libération </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que « le glorificateur des chambres à gaz », qu’est Céline, doit être conduit « au poteau d’exécution » ». L’article n’est pas signé mais il a certainement été rédigé par Madeleine Jacob (qui tient alors la rubrique judiciaire de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Libération </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avant de remplir la même fonction à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), dont la vindicte à l’égard de Céline ne se démentra pas durant toute cette période. Elle traitera même l’écrivain « d’alcoolique » au lendemain du procès : ce qui est bien mal le connaître ! Si une certaine presse à sensation brodait depuis des années sur « l’exil doré » de Céline au Danemark, allant jusqu’à informer ses lecteurs que l’écrivain menait grand train dans l’hôtel le plus luxueux de Copenhague, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Action </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et compagnie n’étaient pas en reste. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du 21 janvier 1951 (la veille du procès), Céline y est présenté comme « un agent de la Gestapo ». Roger Vailland, l’ancien admirateur du préfet de police Chiappe, qui s’était refait une virginité dans la Résistance, puis en écrivant un pamphlet contre André Breton avant d’adhérer au PCF, exprime publiquement son regret de ne pas avoir descendu Céline au printemps 1944, rue Girardon. Encore à Meudon, lors des élections municipales de 1953, un tract communiste traite Céline « d’écrivain hitlérien et pornographique ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La presse issue de la Résistance ne parle pas d’une seule et unique voix en matière d’épuration. Mais celle qui s’efforce de ne pas se laisser entraîner sur le tout épuratoire, à l’instar des interventions d’un Jean Paulhan, pèse moins que celle du Parti Communiste et de ses satellites. Pour ne prendre que l’exemple du journal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Aux Écoutes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">son directeur Paul Levy s’était insurgé de la façon dont </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité, Action </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et cie traitaient Céline depuis son incarcération au Danemark. Il écrit en novembre 1948, en réponse à un article d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Action</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> : « Vous êtes vous des écrivains politiques et vous vivez grassement. Lui meurt longuement. La partie n’est pas égale. Il y a quatre ans nous étions du même côté, moi je n’ai pas changé. Comme en 1940 et en 1944 je défends, en 1948, les droits de l’individu, le respect de la personnalité humaine, que vous voulez écraser, si on ne partage pas vos erreurs ». Céline, touché par ce plaidoyer, demande à Pierre Monnier : « Dites bien à Levy qu’il faut faire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">penser que je vais rentrer</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Un message en quelque sorte adressé à ses ennemis : « Il revient ! Il revient ! Il revient ! » ajoute-t-il. On apprécie rétrospectivement l’ironie de la formule si l’on se souvient qu’Aragon intitulera ainsi l’insigne poème célébrant le retour de Maurice Thorez en France (d’URSS), trois ans plus tard : « Il revient ! Les vélos sur le chemin des villes / Se parlent, rapprochent leur nickel ébloui / Tu l’entends batelier ? Il revient, Quoi ? Comment ? Il / Revient ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le dernier Céline, l’ermite de Meudon, a été popularisé par trois émissions de télévision (deux en réalité, la troisième n’étant pas diffusée du vivant de l’écrivain). On y découvre un Céline en représentation, jouant avec ses interlocuteurs, faussement apaisé, plus modeste qu’il ne convient, matois par certains côtés. Le retour en France (1951) ne s’était pas déroulé sous les meilleurs auspices. Céline, débarquant à Menton avec Lucette Almanzor chez ses beaux-parents, constate que « L’immonde comédie continue. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le réfugié pue</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Il est vrai que le portrait qu’il brosse de ce couple de bourgeois parvenus, « hystériques », « ivrognes cupides », « idiots » (« nos hôtes ne reçoivent pas un journal, n’ont pas un livre, avarice et crasse ! des monstres ») relève du grotesque et du terrifiant. Céline, une fois installé à Meudon, s’abstiendra de toute déclaration ou de tout commentaire politique. Il consacrera tout son temps à la poursuite de son oeuvre romanesque (exceptées de rares consultations médicales). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Certes Céline reste Céline. Le misanthrope chez lui prend définitivement le dessus. Cela prenait déjà la forme d’un rejet de la politique au Danemark (« Tout en politique est pourri. Tout y ment, escroque, délire ! C’est tout fumier, cabanon, échafaud. A fuir comme le choléra ») ou des journalistes (qui « sont au-dessous de l’écoeurement (…) De la fiente, te dis-je, mais très capable de vous envoyer au poteau pour deux déjeuners ») ou encore des rôles sociaux (« Il n’y a que deux espèces d’êtres, les canailles et les imbéciles. Or je ne veux être ni l’une ni l’autre espèce »). Céline renvoie dos à dos critique et public : le jugement de la première étant « toujours idiot (…) le cloaque de toutes les sottises… Rien de plus faux, plus imbécile, plus décourageant », celui du second « pire : incompétent, bousilleur, pontifiant, aveugle, sourd, snob ou réactionnaire, jamais vrai, jamais juste, souvent de travers et à côté ».Voire, pour compléter la liste, bourreaux et victimes (ceci précédé de l’indication : « Je hais le masochisme comme l’alcool, le tabac » : « Me dégoûtent plus que les bourreaux : les victimes - tout d’accord avec Clémenceau. Mais ça existe et c’est sournois - et c’est passionné - et c’est </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">menteur</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Pour éviter tout malentendu, ou toute interprétation malencontreuse je signale à toutes fins utiles que les victimes dans cette lettre adressée à Albert Paraz sont représentées par le seul… Brasillach (traité « d’archi con »). Le lecteur peut imaginer l’effet produit par cet extrait de correspondance, son contexte volontairement tu ! Cette vision généralement pessimiste, sinon plus, des hommes et de l’humanité ne se confond pourtant pas, comme on serait tenté de le penser, avec celle défendue de même par des écrivains et artistes plus soucieux eux, malgré, tout de leur place dans le monde littéraire ou artistique. Sur ce plan-là Céline ne transige pas. Il dit même vouloir « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">passer au maquis littéraire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Et refuser « tous ces soi-disant compromis, connivences, etc - Il n’a en a pas. Il y a moi et qui dit MERDE. J’ai trop souffert et je souffre trop d’humiliations pour chipoter, connivencer, babiller, peloter, etc - Du flouze et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">recta. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne vis pas dans le monde des gens en place qui ont des situations à ménager ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ensuite en France, à Meudon, Céline reste dans ce registre. Il entend se protéger des curieux, des indiscrets, des emmerdeurs et des voyeurs, du public plus généralement (dans une lettre aux Éditions Gallimard, Céline demande expressément qu’on ne fasse pas suivre le courrier qui lui serait adressé). Déjà, au Danemark, il avait fait le tri parmi ses relations d’avant-guerre et des années d’Occupation, prenant des distances avec quelques uns de ses amis montmartrois (Gen Paul en premier lieu, particulièrement maltraité dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Réciproquement, la parution du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Gala des vaches </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par Albert Paraz (où se trouvaient inclues des lettres de Céline) entraîne des défections ou des fâcheries parmi les amis et connaissances. A partir de 1953 la correspondance de Céline prend moins de volume et d’importance. Celle à Gallimard et compagnie (Gaston, Claude, Paulhan), qui flirte quelquefois avec la lettre d’injure ou d’insulte, témoigne d’une verve restée intacte. Dans la dernière lettre en date (le 30 juin 1961, la veille du décès de l’écrivain), Céline menace Gallimard de « louer moi aussi un tracteur » pour venir « défoncer la NRF », si d’aventure le contrat le liant à son éditeur n’était pas modifié.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Si Céline n’avait pas écrit l’oeuvre que l’on sait il n’y aurait pas lieu de s’attarder, comme je l’ai fait jusqu’à présent, sur les « idées politiques » du personnage, ses postures et impostures, ni entrer dans le détail d’une correspondance qui peut à bien des égards être comparée à celle de Flaubert. Pourtant, avant d’en venir à ce que représente plus spécifiquement l’écrivain Céline, soulignons que l’oeuvre de ce dernier ne sort pas toute armée de la cuisse de Jupiter mais s’élabore depuis une « relation au monde » dont j’ai déjà évoqué quelques linéaments. Ici encore, la correspondance de Céline donne des indications essentielles sur les arcs-boutants de sa production romanesque. Elle n’est pas sans nous éclairer sur la genèse de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (pour prendre l’exemple d’un roman qui, sur le plan formel, s’avère plus décisif pour ce qui suivra que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) et l’état d’esprit alors de l’écrivain. Dans une lettre à Henri Miller Céline recommande à son correspondant américain : « Soignez bien votre discrétion. Toujours plus de discrétion. Sachez avoir tort - le monde est plein de gens qui ont raison - c’est pour cela qu’il écoeure ». Céline indique ici que la littérature, du moins celle qui compte, doit s’inscrire en faux contre cette raison raisonnante qui ne peut que renvoyer à ce qui va de soi, et donc participe de l’ordre du monde. Ceci et cela reproduisant la littérature contre laquelle Céline s’insurge.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Poussé dans ses retranchements par Élie Faure, Céline - après avoir répété combien sa situation particulière, l’obligation de gagner son pain très tôt, l’expérience de la vie qui en découle, le fait d’avoir « vu les choses » du dedans (et non du dehors) a été déterminant pour écrire un roman comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- déclare ne plus vouloir s’embarrasser de précautions oratoires : « Les hommes je les emmerde tous, ce qu’ils disent n’a aucun sens ». Céline l’explicite ainsi : « Il faut se donner entièrement à la chose, ni au peuple, ni au Crédit Lyonnais, à personne ». A cette profession de foi individualiste, chevillée corps et âme à la pulsion d’écriture, fait écho chez l’écrivain « l’intimité muette des hommes et des choses ». Les hommes parlent trop, à l’en croire, et souvent pour ne rien dire. S’en extraire risque de vous exposer au mépris, aux quolibets, aux moqueries : le prix à payer en quelque sorte pour un écrivain de l’exigence de Céline. Autre exemple. Dans une lettre à la pianiste Lucienne Delforge, sa maîtresse qu’il vient de quitter, Céline, après s’être expliqué sur les raisons personnelles qui l’ont contraint de se séparer de la jeune femme, associe cette incapacité de vivre dans la réalité d’une relation amoureuse à la solitude de l’artiste. Celui-ci, en plus, n’a que faire des « veuleries commerciales qui flétrissent et avilissent les mieux doués ». Tout créateur devrait ne pas se soucier de « l’opinion des hommes, il doit agir sur la matière brute de la chose, pas sur les hommes ». Flaubert ne disait pas autre chose à Louis Collet.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il fallait préciser la nature du terreau depuis lequel l’écrivain s’exprime (même en se limitant aux années de rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) avant d’en venir à l’écriture célinienne proprement dite. On sait que Céline revendiquait vouloir « écrire en langage parlé » : seul mode possible « pour faire passer l’émotion », a-t-il dit et répété. « Je ne veux pas narrer, je veux faire RESSENTIR », insiste-t-il. Il lui faut pour cela </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">transposer </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(verbe récurrent chez notre écrivain) ce langage parlé. Dans une lettre à Milton Hindus, Céline oppose « la pensée spontanée du sauvage » au civilisé incapable de s’exprimer en « homme sensible » parce que « académisé », « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mécanisé</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Nous sommes davantage proche de la poésie quand Céline, parlant de ses romans comme des « chansons de geste », ajoute : « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ils sont chansons nullement PROSE</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». C’est à dire « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tension transposée musicale extrême </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du premier </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mot au dernier ». </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Donc, pour résumer, Céline part du langage parlé, le transpose selon les besoins de la narration, rythmant les phrases comme s’il s’agissait d’une chanson (« Je demeure toujours en </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">danse, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">précise-t-il, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">je ne marche pas</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> »). Céline invente une langue. Le langage parlé vient contaminer le tissus romanesque, à ce point que la phrase même implose. L’écrivain doit pour cela convoquer toutes les ressources du langage populaire, l’argot principalement (qui se taille la part du lion). Mais pas uniquement, l’argot ne peut pas être seulement invoqué. On trouve dans la prose célinienne une invention lexicale sans précédent depuis Rabelais. Ce qui d’ailleurs lui donne cette tonalité poétique que Céline revendique par la bande. On dira qu’elle s’efforce de dépasser l’opposition entre le texte en prose et le poème. Sans pour autant, comme le remarque justement Philippe Roussin, avoir « pour horizon l’utopie d’une réconciliation ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout, ou presque a été dit sur cette « petit musique » revendiquée par Céline, y compris pour la caricaturer. On ne sait pas toujours que l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rigodon </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’intéressait à la musique, et pas seulement comme support de ces ballets qui l’enchantaient (la danse ayant été la seule véritable passion artistique de la vie de l’écrivain). Un exemple, datant de 1935, illustre la manière dont Céline savait le cas échéant trouver dans la musique, dite grande, de quoi résoudre quelque problème que lui posait dans sa partition du moment (en l’occurrence </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) la mise en forme de sa « petite musique ». Entendant en concert la pianiste Lucienne Delforge interpréter une étude de Chopin, Céline y avait éprouvé une sensation proche de l’exaltation. Retournant l’entendre, il rencontrait ensuite la pianiste pour lui dire (tout en exprimant sa gratitude) que son interprétation de Chopin lui avait permis de terminer l’une des scènes du roman qu’il écrivait (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toujours), qui lui posait de nombreux problèmes en raison de son contenu (un épisode durant lequel il s’en fallait de peu que Ferdinand ne tue son père). Le jeu de la pianiste dans cette étude de Chopin évoquant, expliquait-il, « un certain sens de la cruauté » qu’il avait pu transposer dans l’épisode en question. D’aucuns diront que c’est trop beau pour être vrai (arguant du fait que peu de temps après Lucienne Delforge deviendra la maîtresse de l’écrivain). Peut-être, mais cet exemple prouve néanmoins que l’oreille de Céline, dans le quotidien de l’existence comme au concert, se révélait être un auxiliaire précieux pour le romancier.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Toutes ces considérations formelles, ou s’y rapportant, n’empêchent pas que l’on puisse, en terme de contenu, exercer son esprit critique ici où là. Pour s’en tenir à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rigodon </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">on ne peut pas lire l’épisode durant lequel le docteur Destouches convoie à la fin de la guerre un groupe d’handicapés mentaux, mongoliens, les arrachant à une mort certaine en les confiant au Danemark à la Croix Rouge suédoise, sans éprouver de la gêne, voire un certain malaise. Comment interpréter ce sauvetage, qui permet en même temps de sauver le docteur Destouches, son épouse Lili et leur chat Bébert ? « Sans la médecine et les médecins, écrit le narrateur, j’en serais pas sorti », qui laisse entendre que l’écrivain a été sauvé par le médecin. Cependant pareil recours à la fiction passe difficilement, ou ressemble à une pièce rapportée. Il y a quelque chose de trop illustratif dans cet épisode qui prend en otage le récit. Céline étant décédé après avoir terminé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rigodon </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(le lendemain même !), il n’a pu répondre aux questions que posait ce roman, dont celle-ci. Nulles réserves en revanche pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nord, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le roman précédent, le meilleur de la « trilogie allemande », qui rend compte de manière hallucinante d’un épisode antérieur, celui durant lequel nos trois protagonistes (plus Le Vigan) se retrouvent comme assignés à résidence à l’automne 1944 dans un village du Brandebourg. Céline raconte cette odyssée de « fin du monde » et de déréliction sur un mode grotesque, grinçant, vaudevillesque et dérisoire (et brosse une galerie de portraits hauts en couleur, qui tous participent de cette « danse de la mort »). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On peut, comme l’auteur de ces lignes, classer </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nord </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans une liste de romans qui marquent le XXe siècle, apprécier à sa juste valeur toute l’oeuvre romanesque de Céline, et mettre sa correspondance sur le même plan que celle de Flaubert, sans pour autant souscrire à certains jugements, analyses, commentaires de la critique la plus favorable à Céline. Encore faut-il tracer une ligne de partage entre céliniens et céliniens. Nulle discussion n’est possible avec un indécrottable antisémite comme Marc-Édouard Nabe, ou avec qui sans l’afficher ouvertement mangerait de ce pain-là. Il n’y a pas lieu de répondre par exemple, pour s’en tenir au seul Nabe, à l’auteur des lignes suivantes (écrites dans le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Journal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de l’écrivain au lendemain de l’importante manifestation de protestation contre la profanation du cimetière de Carpentras) : « Je ne veux pas rater une miette de cet étron d’humains noirs de colère qui est enfin chié par le trou du cul du Non-Évènement ! L’énorme serpent de juifs et de non juifs, de politicards de gauche et de droite, bras dessus bras dessous pour les valeurs essentielles de la démocratie contre l’antisémitisme cosmico-carpentasien ! Ah, si Céline voyait ça ! ». Nul besoin de rappeler l’un des détails de cette profanation pour situer le propos de Nabe. On se contentera de tirer la chasse.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Henri Godard, sans doute le meilleur défenseur de Céline, du moins le plus constant, ne va pas jusqu’à écrire (dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline scandale</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) que l’oeuvre de l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">serait universelle mais sa démonstration tend à l’accréditer, ou à en dessiner les contours. Par exemple lorsqu’il constate (chez le Céline des trois premiers romans) que « la culpabilité sans cause et qui se cherche des causes, au besoin s’en invente » renvoie à notre contemporanéité ; ou quand il relève que la violence dans toute l’oeuvre romanesque de Céline nous est d’autant plus insupportable qu’elle traduit à travers l’ambivalence du héros célinien notre propre ambivalence, une violence retournée parfois contre lui, parfois contre les autres ; ou encore quand il avance que l’oeuvre de Céline, plus que d’autres, incarne le tragique de la condition humaine, du moins celui hérité du XXe siècle ; voire, pour s’arrêter-là, lorsque Godard prétend que le pessimisme célinien, c’est-à-dire la condamnation des hommes, viendrait moins du mépris affiché par Céline à leur encontre que d’une « idée plus haute de l’humanité », évidemment contrariée. Ceci et cela et le reste laissant entendre que Céline, pour résumer, serait en quelque sorte notre exact contemporain, que ça plaise ou non.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je n’irai pas jusque là. N’est-ce pas plutôt l’absolue singularité de Céline qui, traçant en quelque sorte une ligne de partage, nous le rend plus d’autant plus proche que d’autres, ses contempteurs, le rejettent ou l’agonisent ? Ce à quoi nous résistons d’une certaine manière, lorsque cette singularité emprunte des chemins de traverse que nous ne saurions suivre, ou qui nous oblige à faire la part des choses entre les séductions de l’écriture, du style, de la forme, et nos réticences devant cette façon de désespérer des hommes (indissociable du geste célinien mais non exportable dés lors que nous quittons les rivages de la Célinie). Quant à l’abjection nous la réservons aux pamphlets antisémites. Et puis, finalement, ne faut-il pas que l’oeuvre célinienne dans tous ses états continue à faire l’objet de controverses pour que ce « scandale Céline » reste patent ? Certes, mais il y a controverse et controverse.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour en venir maintenant à ceux qui, dans l’autre camp, récusent Céline en grande partie ou en totalité, anti-céliniens de toute obédience, je ne m’attarderai pas sur le plus caricatural (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Contre Céline </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Jean-Pierre Martin). L’auteur, qui « sauve » le Céline des premiers romans, concentre son tir sur la « trilogie allemande » : le prolongement romanesque, selon lui, des trois pamphlets antisémites. Ceci assorti de considérations sur la vente de ces romans qui valent pour démonstration. Après l’échec de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la machine fonctionne à nouveau avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">D’un château l’autre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(les anciens de Vichy à Sigmaringen c’est plus vendeur que l’évocation du bombardement sur Montmartre en 1944 ou le témoignage d’un détenu d’une geôle danoise dans l’après guerre). </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nord, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par contre, repart à la baisse. Bon, en en remet une couche avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rigodon </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en racolant encore plus le lecteur. Ce gros lot, Céline n’en profitera pas puisqu’il lui prendra la fantaisie de décéder une fois la dernière écrite. Céline, selon Jean-Pierre Marin, carbure d’abord et avant tout au « racisme biologique » (formulation d’ailleurs emprunté à Philippe Alméras).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’ouvrage substantiel de Philippe Roussin, déjà évoqué (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Misère de la littérature, terreur de l’histoire : Céline et la littérature contemporaine</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) mérite plus d’attention. Les chapitres se rapportant à Céline ne sont pas ici ou là sans intérêt. Par exemple ils comportent des pages pertinentes sur la langue célinienne qui s’inscrivent dans la continuité des travaux d’Henri Godard (ceux de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétique de Céline</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Son propos, dans d’autres pages, dépasse le cas Céline pour déboucher sur des considérations littéraires que j’ai en d’autres lieux critiquées. Je m’en tiendrai ci-dessous à l’un des aspects traités par Roussin, celui mettant en relation après 1932 les « deux Céline », l’écrivain et le médecin. On sait que Céline, au Danemark, depuis son lieu de détention, revient plusieurs fois (dans sa correspondance et les pages du roman qu’il écrit alors, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) sur le fait suivant - et pour s’en plaindre amèrement : la littérature l’aurait finalement mené là où il se trouve actuellement, c’est à dire en prison. Son malheur, à l’origine, avait été la publication de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il aurait mieux fait, à l’entendre, de s’en tenir à la médecine, exclusivement. Donc de ne pas s’occuper de littérature.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Philippe Roussin s’y réfère pour, dans un premier temps, évoquer une « formidable stratégie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">déplacement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et d’évitement à l’oeuvre dans le récit ». Il s’agit dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du passage où le narrateur s’accuse imaginairement du seul crime dont l’écrivain se reconnait coupable », celui de sa mère (dont Céline apprend le décès au début de son séjour danois, au printemps 1944). Roussin s’engouffre dans cette brèche pour avancer que Céline, mettant ainsi en accusation la littérature depuis sa position de médecin, dissimule ce pourquoi en réalité il se trouve accusé dans les lendemains de l’Occupation (Roussin s’en tient aux pamphlets antisémites et aux lettres de même nature adressées à la presse collaborationniste) pour « frapper de nullité le procès de l’antisémitisme, de le réduire en rien en le changeant en procès généralisé, c’est-à-dire indifférencié - celui qui a fait le choix de l’activité littéraire n’a pas à s’en tenir à sa vocation médicale ». C’est à la fois vrai et faux. Je remarque en premier lieu que Roussin va un peu vite en besogne : à l’instar de nombreux détracteurs de Céline l’antisémitisme fait chez lui écran. Ce dont Céline très précisément était accusé en 1945 et les années suivantes par les autorités françaises relevait de l’article 75 (« coupable de trahison et puni de mort »). La question de l’antisémitisme figurait alors au second plan. Donc parler ici de dissimulation paraît très excessif dans la mesure où Céline, comme je l’ai indiqué, doit d’abord se défendre (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en témoigne) de l’accusation de « collaboration ». Et puis, pour répondre indirectement dans le sens de Roussin, sur le plan strictement littéraire, les incises dont Céline parsème le texte de ce roman (les considérations sur la mort de la mère du narrateur étant l’une d’elles), c’est-à-dire les digressions durant lesquelles l’auteur prend à témoin le lecteur de sa situation du moment, ce procédé-là donc va devenir l’un des marqueurs romanesques de la « trilogie allemande » à venir. Une fois libéré (mais toujours astreint à résidence au Danemark), et l’accusation de trahison étant moins de saison (l’épuration en France adoptant maintenant une vitesse de croisière), Céline ne va nullement éluder la question de l’antisémitisme. Bien au contraire, comme je me suis efforcé de le souligner plus haut, celle-ci se trouve réintroduite de façon massive. Elle se trouve alors reprise et développé en des fermes auxquels Roussin ne peut certainement pas souscrire. Il n’en dit mot mais son silence, comme celui de la plupart des contempteurs de Céline à ce sujet s’avère éloquent. Je ne leur renverrai pas le compliment en évoquant chez eux une volonté de le dissimuler : nous sommes davantage, par delà l’ignorance de certains, dans le registre de l’incompréhension, d’une incapacité de prendre en considération la dimension paradoxale de l’antisémitisme chez Céline, en l’occurrence le philosémitisme de cette période de l’exil danois.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais là, pour reprendre le fil de la démonstration de Roussin, ce processus d’occultation chez Céline de l’écrivain par le médecin, qui soi-disant le conduit à dissimuler son antisémitisme passé, entraîne notre exégète encore plus loin lorsqu’il associe l’attitude de Céline, du moins celle qu’il lui prête, à ces « témoignages de médecins nazis s’efforçant de rappeler leur attachement à l’image du soignant lorsqu’ils racontaient leur participation au meurtre médicalisé et à la solution finale ». Une comparaison d’autant plus déplacée que le raisonnement qui y conduit s’avère défectueux. Quelques pages plus loin Roussin reproduit l’extrait, plus haut évoqué, d’une lettre adressée en décembre 1960 à Hermann Bickler sans plus de commentaires : donc laissant le lecteur éventuellement conclure par lui-même au négationnisme (avant la lettre) de Céline. Ce qui paraît toujours plus prudent que de l’écrire soi-même.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour vérifier si la culpabilité de Céline, du docteur Destouches plutôt, pourrait être, malgré tout d’une certaine façon avérée, il faut revenir aux faits (plus parlants que les extrapolations depuis les romans de l’écrivain). Durant l’Occupation Céline a entretenu de bonnes relations avec Karl Epting, le directeur de l’Institut allemand de Paris. Le 8 janvier 1942, Céline lui écrit pour lui demander s’il serait possible d’organiser un séjour d’une semaine en Allemagne durant lequel une petite délégation française pourrait visiter le service médical d’une usine, le dispensaire d’une banlieue populaire, et rencontrer des collègues médecins. De son côté, Céline pourrait le cas échéant « faire un causerie » sur « la médecine standard ». Il exprimait également le souhait d’être accompagné du peintre Gen Paul et du docteur Bécart. Ce séjour « scientifique et médical » se déroula comme Céline le souhaitait. Ce dernier eut l’occasion de s’exprimer devant des ouvriers français du STO (même si la tonalité de ses propos, un rien provocateurs, furent modérément appréciés par les collègues médecins allemands présents). Un tel voyage représente le principal grief que l’on puisse imputer à Céline en terme de collaboration (en laissant de côté la publication des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Beaux draps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et la réimpression des deux premiers pamphlets antisémites).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sauf qu’il s’agissait d’une couverture ! A savoir le prétexte trouvé par Céline pour, depuis Berlin, faire un aller-retour à Copenhague (il l’avait demandé officiellement à Epting, mais l’autorisation de séjour au Danemark lui avait été refusée) afin d’accéder au coffre qu’il détenait dans une banque de la capitale danoise. A Berlin Céline rencontra son amie danoise Karen Marie Jensen et lui confia la clef de son coffre. Elle eut pour consigne de retirer tout l’argent de la banque pour l’enterrer dans son jardin. La médecine, pour conclure sur ce « séjour scientifique », avait bon dos. Ce n’était pas la première fois que Céline se livrait à ce genre d’opération. Plusieurs « voyages médicaux » du début des années trente avaient été montés de même. Derrière un alibi médical, lui permettant de séjourner aux USA, Céline voulait en réalité retrouver Elisabeth Greg pour la ramener en France ; ou rencontrer Cillie Ambor et ses amies juives à Vienne sous le couvert de la SDN. « Je n’ai pas toujours pratiqué la médecine, cette merde », écrit Céline dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mais il a su l’utiliser, le cas échéant, pour servir ses propres intérêts. L’épisode berlinois de l’hiver 1942 apporte une touche bouffonne, une de plus, à ce tableau. « Collaboration avérée » ? La question reste posée. Mais celle-ci, avec Céline dans le cas présent, n’aurait-elle pas tendance à ressembler à une farce ?</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans la liste des essais ou pamphlets anti-céliniens, le livre de Michel Bounan (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publié en 1997 aux Éditions Allia) fait figure d’objet singulier. A vrai dire Bounan entend démontrer que Céline n’est que l’un des dispositifs au travers desquels la mention d’un « complot juif » (ou la construction d’un antisémitisme) permet à la domination de désarmer la violence sociale, ou de la neutraliser par le biais de cette fiction. Céline étant ici le second maillon d’une histoire inaugurée au début du XXe siècle par le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Protocole des sages de Sion </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(exemplaire parce qu’il s’agit du détournement d’un pamphlet de Maurice Joly dirigé contre Napoléon III), se terminant vers la fin du siècle avec l’opération révisionniste initiée par Faurisson et consort (et à laquelle ont participé des ultra-gauchistes).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La troisième édition « revue et augmentée » de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">résume la « question Céline » en trois pages, celle d’une précieuse « Lettre à un universitaire » ajoutée en annexe. Ce qui simplifie la tâche du commentateur et évite les redites inutiles. Michel Bounan, dans cette lettre, répond à Philippe Alméras, auteur de plusieurs ouvrages sur Céline (Alméras étant devenu, dans le camp anti-célinien, le pendant de ce que peut représenter Henri Godard pour les pro-céliniens) qui avait écrit à l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour « se plaindre de ne pas être référencé » dans cet ouvrage. Bounan, qui selon toute vraisemblance a puisé une bonne partie de son argumentation dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les idées de Céline </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Philippe Alméras, lui répond vertement qu’on avait pas attendu ce livre et son auteur pour savoir à quoi s’en tenir sur le Céline « raciste, collaborateur et nazi ». Auparavant, à l’adresse du lecteur, Bounan précisait que la mise au point qui suit, la lettre à Alméras donc, « illustre plus généralement ce que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">prétendait exposer ». Sans doute, mais malheureusement pour Bounan, pas de la manière dont il l’entend. Venons en à l’essentiel : Bounan reproche à Alméras de vouloir dissimuler trois points pour lui fondamentaux, concernant, dans l’ordre : les choix politiques, policiers et artistiques de Céline.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je commencerai par le troisième : « Les cyniques déclarations de Céline lui-même à propos de son art » (…) qui n’est qu’une </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">vulgaire machine à décerveler </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Entretiens avec le professeur Y</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) ». Bounan se réfère à un passage de ce petit livre, écrit par Céline au lendemain de l’insuccès de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Féérie pour une autre fois </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour s’expliquer sur son art (pour parler comme Bounan). Le passage en question est la reprise par Céline d’une thématique, plusieurs fois abordé précédemment dans sa correspondance, appelée par l’auteur de « métro émotif ». Soit l’une des variantes au travers desquelles Céline entend s’exprimer sur les particularité de son style. Une explication à laquelle il tenait plus que d’autres pour y être revenu à quatre reprises. Je ne l’ai pas plus haut évoquée car je ne suis pas tout à fait convaincu par la pertinence de ce « métro émotif ». Mais prétendre, comme le fait Bounan, que la « petite musique » de Céline manipule en l’occurrence le lecteur prête à sourire. On pourrait se demander qui déraille dans l’histoire. Et laisser-là cette « machine à décerveler » qui, me souffle Alfred Jarry, devient sous la plume de Michel Bounan complètement hors sujet.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A priori le second point, sur les choix « policiers » de l’écrivain (« L’aveu de Céline que l’antisémitisme dont il s’est fait le propagandiste n’était qu’une « provocation politique ou policière » ») paraît plus sérieux. On se souvient peut-être que j’ai déjà cité ce dernier membre de phrase, qui figure dans l’extrait d’une lettre de Céline adressée à Albert Naud, son avocat, en juin 1947. Bounan relève par ailleurs dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> que dans cette même lettre à Naud Céline « montre du doigt ses anciens complices en les accusant ». A savoir, il le cite : « d’avoir dressé ce panneau électoral en </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">parfaite connaissance de l’escroquerie qu’ils commettaient </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(…) J’en ai long à raconter sur ce sujet, vous pouvez le croire ! ». Je rappelle qu’en 1947 Céline entretenait ses correspondants de considérations anti-antisémites (ou philosémites). Par conséquent la phrase citée par Bounan à Alméras (« L’antisémitisme comme provocation politique ou policière ») doit être replacée dans ce contexte. Mais en elle-même, que signifie-t-elle ? Bounan dans son livre la met justement en relation avec le passage d’une lettre antérieure (adressée elle le 21 juillet 1939 à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je suis partout</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) dans laquelle Céline écrit : « Je ne suis pas né d’hier, j’ai beaucoup vécu, en de très curieux endroits, en d’autres plus curieuses connaissances. Je sais de science certaine que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tous les complots, toutes les « associations</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « plus ou moins secrètes sont montés de A jusqu’à Z par la police. Ce sont autant de nids à bourriques, de pièges à couillons excités ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant Bounan omet de signaler que le propos ci-dessus de Céline, cette argumentation plus précisément, était à l’origine destinée à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">! L’écrivain entendait protester contre un article du quotidien communiste le mettant en cause (comme auteur d’un « plan d’action antisémite » adressé aux ligues anti-juives et supervisé par les nazis : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sous la plume de Lucien Sampaix, citant des extraits de ce « plan » sans bien entendu apporter la preuve que l’auteur en était Céline). Sa lettre de protestation n’étant pas publiée par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Humanité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(qui ne citait pas son nom dans cet article mais uniquement les initiales de l’écrivain, procédé se préservant de tout droit de réponse), Céline avait alors rédigé une seconde lettre, adressée à trois journaux susceptibles de la reproduire, afin que sa protestation puisse être portée à la connaissance du public. Pour en revenir à la lettre publiée par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je suis partout, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline, au début de ce courrier, indiquait que la provocation en question provenait du camp communiste (« Il est difficile de concevoir une provocation policière plus infâme, plus éhontée, plus grossière »). De là à ce que celui-là, selon Céline », soit manipulé par la police cela ne faisait aucun doute. Donc, tout ceci précisé, l’association faite par Bounan entre les deux lettres (la provocation policière étant mise sur le compte de Céline et de ses « anciens complices ») n’a plus de raison d’être. Je constate aussi, en relisant le long passage cité par Bounan de l’importante lettre de Céline à Albert Naud, que le mot « Allemands » disparait comme par enchantement sous sa plume (car ce sont les « Allemands » à qui Céline reproche vivement d’avoir dressé ce « panneau électoral en </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">parfaite connaissance de cause de l’escroquerie qu’ils commettaient </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« et non les « anciens complices » de l’époque des pamphlets antisémites !). Ce double « oubli » chez l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">interroge, sinon plus : pourquoi diable s’est-il livré à ce tour de passe-passe, pour ne pas dire manipulation ? Selon Bounan Céline « savait assurément à quoi s’en tenir sur le terrifiant complot juif » (une provocation policière, soit). Il reste cependant à faire la preuve d l’implication de Céline dans celle-ci.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour l’expliquer, Michel Bounan part du fait que Milton Hindus, lors de sa rencontre avec Céline au Danemark, « notait dans son journal : « Une seule chose l’intéressait vraiment, et c’est l’argent » ». On voit peut-être où Bounan veut en venir. Le propos suivant de Céline, qu’il cite ensuite, vaudrait comme aveu : « Quand je pense qu’on a tout perdu pour sauvegarder les intérêts de la bourgeoisie européenne, merde alors ». Par conséquent des mobiles financiers expliqueraient le pourquoi et le comment de la chose. Pourtant dans la lettre à Naud Céline ne dit rien de tel. Rien ne l’empêchait, si l’on en croit le contenu de ce courrier, d’évoquer même à mots couverts ces mobiles financiers. Le rapport de Céline à l’argent, selon Bounan, d’un bout à l’autre de sa carrière d’écrivain, depuis les droits d’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« seul intérêt qui compte ») jusqu’aux querelles financières des années cinquante avec son éditeur (« à propos enfin de l’argent de Gallimard, unique raison avouée de ses dernières publications »), l’argent donc expliquerait tout. Et Bounan de conclure sur le sujet : « Et l’argent a décidé souverainement, comme toujours, ses seuls intérêts de « machine froide » ». La messe est dite.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons au journal de Milton Hindus, point de départ de la démonstration de Michel Bounan. Durant le court séjour de Hindus au Danemark Céline se révèle d’une humeur exécrable (« J’en arrive à haïr tout ce qui m’approche sauf les animaux », écrit-il à l’un de ses correspondants au même moment). Il se montre sous un jour propre à indisposer son admirateur américain, en particulier sur son rapport à l’argent. Il entre du cynisme dans la manière dont Céline, durant toute sa vie d’écrivain, s’est exprimé sur cette question, en particulier lorsqu’il s’agissait de ses droits d’auteur. Par provocation, et comme corolaire du discours tenu sur son travail d’écrivain : besogneux, fastidieux, rébarbatif à l’entendre. Ses récriminations envers Gallimard après 1953, répétitives, mais qui ont moins le mérite de la drôlerie, traduisent l’insatisfaction, voire le dépit chez Céline de constater que le montant de la rente versée par les Éditions Gallimard s’avère supérieure à celui de ses droits d’auteur. D’où ce curieux sentiment qu’il devait de l’argent à Gallimard (alors que l’éditeur ne faisait pas le nécessaire, se plaignait-il, pour mieux vendre ses livres). Céline, cela dit, était « près de ses sous » comme l’indiquent plusieurs témoignages. Ce qui cependant n’explique pas tout : l’écrivain peut se montrer intraitable dans ses relations avec ses éditeurs sur le plan financier (ll les accuse les uns après les autres de l’exploiter) sans pour autant que ce trait particulier puisse être rapporté à tous les autres aspects de la vie. L’indépendance farouche, revendiquée par Céline d’un bout à l’autre de sa correspondance, l’a toujours conduit à n’accepter en aucune façon toute prébende ou rémunération qui viendrait mettre à mal cette indépendance. Le propos qui a le plus indigné et mis en colère Céline étant l’une des conclusions d’un article de Sartre (« Céline antisémite ») publié dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Temps modernes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes nazies, c’est qu’il était payé ». Bounan ne dit pas autre chose. Mais payé par qui ? </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce dernier, pour retourner à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">a certes entièrement raison d’évoquer un « faux complot » et une « véritable conjuration » au sujet du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Protocole des sages de Sion, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et je partage son analyse pour ce qui concerne la question de l’antisémitisme au début du XXe siècle. Quant aux réserves que m’inspirent son troisième volet (le « révisionnisme » de la fin du XXe siècle), elles n’entraînent pas nécessairement un rejet de sa démonstration mais excèdent le cadre de ce texte. Enfin, au milieu, l’exemple de Céline paraît mal choisi pour illustrer la thèse de Bounan durant les années trente et quarante. Un mauvais choix puisque, comme on l’a vu, Boucan prend des libertés avec la réalité des faits, la travestit et la manipule même pour nous livrer clefs en main un Céline selon ses voeux. Et puis, par delà le cas Céline, il élude ce qu’est fondamentalement l’antisémitisme pour ne retenir de cette question que sa version policière et complotiste.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais nous n’en avons pas encore terminé avec Michel Bounan. Le premier point qu’il relève, le Céline « politique » (la première en date des « dissimulations » de Philippe Alméras, indique-t-il) concerne davantage le docteur Destouches que l’écrivain Céline (« l’engagement de Céline, dès 1928, en faveur de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">intérêt patronal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">opposé à l’intérêt populaire, engagement qui explique amplement ses choix politiques ultérieurs »). Ce n’est pas « dès 1928 » que Bounan aurait dû écrire mais « encore en 1928 ». La différence, comme on le verra, n’est pas sans importance. Pour éclairer la lanterne du lecteur faisons un rapide rappel des tribulations du docteur Destouches avant cette date (elles sont absentes du livre de Bounan). Le futur Céline, ancien « bébé Rockefeller » (la fondation portant ce nom n’étant pas étranger à sa vocation de médecin), est l’un des acteurs du mouvement qui entend dans les années vingt rationaliser la médecine en préconisant des méthodes (le taylorisme, le fordisme) importées du monde de l’industrie. Ceci, je précise, pour contribuer à l’établissement d’une médecine « progressiste » : sociale, hygiénique, standardisée, de santé publique. La carrière du docteur Destouches, inaugurée au sein de la SDN en 1924 (Céline parcourt le monde durant trois ans comme chargé de mission spécialisé dans le domaine de la médecine du travail et de l’hygiène sociale) se poursuit, après un bref épisode libéral, dans le cadre de la médecine de dispensaire (celui de Clichy en 1929, où Céline travaillera huit ans).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les articles écrits par le docteur Destouches vers la fin des années vingt et le début des années trente le classent parmi l’un des experts de la santé publique et de la médecine hygiéniste. Bounan ne réfère à deux d’entre eux dans son ouvrage (« L’organisation sanitaire aux usines Ford » et « Les Assurances sociales et une politique économique de santé publique »). Effectivement, pour aller dans le sens de Bounan, ces deux articles s’inscrivent dans une finalité économique qui correspond davantage aux intérêts du Capital qu’à ceux du Travail. Destouches prône le modèle anglo-saxon comme prise en compte « des facteurs économiques actuels et des ressources qu’ils offrent pour l’amélioration de l’état sanitaire en général ». Comme il l’écrit au sujet de la santé publique : « C’est à son rendement maximum et aux économies possibles qu’il faut songer sans retard ». Il y a cependant dans le second de ces articles une ironie, voire une manière paradoxale de traiter ce genre de questions qui semblent avoir échappés à Bounan. En particulier lorsque Destouches intervertit les rôles du médecin et de l’infirmière visiteuse : au premier les visites à l’extérieur (au domicile du patient et sur son lieu de travail), à la seconde la prise en charge au dispensaire des « consultations médicales le plus souvent platoniques ». Nonobstant des considérations corporatistes selon lesquelles le médecin est tout et l’infirmière pas grand chose, il ressort de cet article que « le malade doit travailler le plus possible avec le moins d’interruptions pour cause de maladie », et par conséquent « il appartient donc à la nouvelle organisation de faire qu’il soit mieux soigné encore sans sortir de l’usine et du bureau » (et pour qu’il puisse conserver son « salaire intégral »). Ainsi il importe de prendre plus au sérieux « l’intérêt patronal et son intérêt économique, point sentimental » lui (pour l’opposer à « l’intérêt populaire »). Destouches préconise en quelque sorte l’institution « d’une vaste police médicale et sanitaire » étendue au domicile de l’assuré et sur son lieu de travail. Enfin notre auteur reconnaît que « l’esquisse de ce projet ressemble (…) à celui d’une médecine militaire ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A lire Bounan le lecteur serait porté à croire que la pensée du docteur Destouches s’est fixée en 1928 et ne changera plus. Il n’en est rien. Cela resterait secondaire si Bounan aussi en était resté là. Mais comme par ailleurs, dans la continuité de ce qui vient d’être dit, il établit un parallèle lourd de conséquences entre le second article cité (publié en novembre 1928) et le « moment où (Céline) écrivait </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> », faisant donc de cet article « la véritable préface à l’oeuvre de Céline, et à celle de son siècle » (rien moins que ça !), il convient de ne pas laisser passer une telle contre-vérité. Et là, puisque Bounan n’a pu prendre connaissance de ces deux articles qu’en consultant la troisième des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers Céline </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(consacré aux « écrits médicaux » du docteur Destouches, y compris ceux ultérieurs à 1928 dont Bounan ne dit mot), c’est l’honnêteté intellectuelle de l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui est en jeu.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Contrairement à l’écrivain Céline, le docteur Destouches (en se référant à ses écrits médicaux antérieurs à 1930) n’a rien inventé. Ses considérations sur la santé publique participent, comme cela vient d’être suggéré, d’une tendance forte à l’époque, apparue aux USA à la fin de la Première guerre mondiale, qui n’est pas sans présenter des points communs avec la notion de « militarisation du travail » soviétique (héritée du communisme de guerre, reprenant ici des méthodes qui avaient fait leurs preuves pour les appliquer à la grande industrie mais également à la santé publique). D’ailleurs « la médecine hygiénique et de dispensaire » chère au docteur Destouches, inspirée en partie du fordisme, avait en URSS une certaine avance sur ce qui dans l’hexagone se mettait progressivement en place. Et puis ce « progrès-là » n’était pas alors questionné ou dénoncé par grand monde (en mettant de côté les défenseurs de la médecine libérale du point de vue de leurs intérêts corporatistes) : seuls les surréalistes (parce qu’ils rejetaient toute raison instrumentale, tout modèle productiviste, et de surcroît détestaient le travail), des anarchistes ou des marxistes anti-autoritaires ne mangeaient pas de ce pain-là.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Michel Bounan, j’y viens, s’abstient de préciser que les « idées médicales » du docteur Destouches ont très sensiblement évolué après 1928. La crise mondiale de 1929 n’y est pas étrangère. Elle explique, du moins en partie, l’échec des politiques sanitaires, hygiéniques et médicales encore défendues mordicus par Destouches en 1928. L’une des conséquences étant la marginalisation, puis la disparition en 1934 de l’Office national d’hygiène (créé en 1924). Également confronté à un travail de terrain, à l’exercice de la médecine de dispensaire au quotidien, le docteur Destouches prend conscience d’une réalité parfois triviale, que l’expert médecin de la SDN méconnaissait ou occultait. Un article publié en 1930 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(le journal de Barbusse), intitulé « La santé publique en France », apporte un premier témoignage de ce changement de cap : le docteur Destouches imputant l’échec, voire l’absence d’une politique d’hygiène et de santé publique en France à l’influence de la « doctrine catholique », ainsi qu’à « l’organisation anarchique de la médecine » qui contribue à ce que les médecins ignorent les « ensembles sociaux ». Destouches insiste sur « le retard des augmentations de salaires par rapport aux gains de production » et la situation désastreuse des classes défavorisées. Il écrit notamment : « Bien qu’on essaie de faire croire au peuple que la mort est égale pour tous, il n’en est rien. Le cauchemar de vivre ne commence guère qu’avec la pauvreté. A proportion égale, il meurt deux fois plus d’ouvriers que de patrons. Le travail et l’incessante inquiétude matérielle tuent parfaitement bien (…). Nous savons, en effet, parfaitement ce qui crée le tuberculeux dans un pays d’alcoolisme, de budgets militaires pléthoriques, de surmenage et de taudis. On sait aussi que le nombre de ces malades diminue automatiquement et devient presque infime lorsque les causes de la misère sont supprimées ». Cet article dont le contenu social, « de gauche » même, ne saurait être contesté, avait toute sa place dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Plus édifiant encore, le dernier texte signé en 1932 par le docteur Louis Destouches (avant que celui-ci devienne la même année Louis-Ferdinand Céline) mérite un long commentaire. Cette contribution, jamais publiée, s’intitule </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mémoire pour le cours des hautes études </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: il s’agit du plus long et du plus important des écrits médicaux de Destouches (excepté sa thèse de 1924 sur Semmelweis) mais également du plus surprenant. Car il existe un monde entre le médecin de la SDN, formaté pour produire des expertises illustrant la tendance la plus dynamique, prospective et progressiste du capitalisme, et quatre ans plus tard le praticien qui constate que « l’utopie capitaliste » hier défendue a fait faillite, et qui pratiquant la médecine au sein du dispensaire d’une banlieue populaire repose les questions d’hygiène et de santé publique en des termes qui ne peuvent recevoir de réponses que sur les plans social et politique. Le docteur Destouches admet explicitement que l’on ne peut concrètement se colleter à la maladie si l’on n’intervient pas préalablement sur les conditions de travail et de logement des intéressés, et plus généralement sur les inégalités engendrées par les rapports sociaux et de production. En même temps temps Destouches n’est pas sans dresser un constat plus pessimiste que dans son article de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il constate que « tout véritable progrès sanitaire à partir d’un certain point facilement atteint (les grandes épidémies) est entravé presque définitivement par toutes les forces économiques, commerciales, traditionnelles qui dominent et régissent la communauté ». De là ces lignes éclairantes : « On sait bien pourquoi la vie est malade, on pourrait peut-être dans une autre société modifier radicalement les conditions qui créent et entretiennent la maladie mais ces conditions sont actuellement si bien défendues par des intérêts si solides et impitoyables, par une inertie populaire si crasseuse, que ce serait faire preuve actuellement d’une grande hypocrisie ou d’une énorme sottise que de s’attaquer à de telles forteresses ». Il d’agit d’un constat d’échec, finalement.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais celui-ci prend en compte des facteurs bien différents de ceux qui se rapportaient à l’échec de ce que j’ai appelé une « utopie capitaliste » dans le domaine sanitaire durant les années vingt. Ici c’est « la vie qui est malade » : Destouches, qui comprend maintenant que seule une profonde transformation sociale et politique permettrait de « guérir » cette vie, n’en constate pas moins parallèlement qu’une telle perspective paraît difficilement réalisable compte tenu de la puissance des forces et des pouvoirs qui ont intérêt à ce que rien ne change. Dans ce texte de 1932, Destouches se demande également si la santé n’est pas exceptionnelle dans un monde dont la maladie serait l’état normal des individus vivant en société. Ce qui l’incite à constater que « la grande majorité des malades aiment leur maladie, qu’ils la choient et s’en font une auto-punition permanente qui répond exactement à un instinct social profond bien découvert et mis en valeur par la psychanalyse. Nous citons ce fait pour mieux nous demander ce que devient en face de cette tendance toute la fameuse propagande d’hygiène à laquelle nous avons hélas personnellement participé ». Et Destouches ajoute, après avoir donné des exemples concrets de cette « propagande » : « Ces curieux à-côtés nous font comprendre que l’empoisonnement du malade par le médecin répond non seulement à une nécessité commerciale mais à l’immense désir du subconscient de mutilations et de mort du malade ». Par un détour que l’on jugera peu ordinaire, le docteur Destouches rejoignait in fine un certain Sigmund Freud (certes de façon hétérodoxe), voire même le dépassait à travers l’ébauche d’une analyse radicale de la médecine que l’on retrouvera au lendemain de mai 68 !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Destouches, ce constat fait, entend soumettre quelques pistes de travail. Il manque à l’hygiène, répète-t-il : « une </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pensée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">critique et permanente, point religieuse et sporadique ». Ici le contempteur de la médecine et de la pharmacie libérale se fait volontiers réformateur en proposant un type d’enseignement de l’hygiène plus actif et plus créateur (« l’enseignement classique, par sa négligence même à cet égard, est tout près d’être criminel »). Constatant que « la médecine actuelle dans la majorité des cas n’adoucit pas la maladie, elle l’aggrave, elle l’alourdit d’un surcroît pharmaceutique et douloureux parfaitement inutile, elle est anti-humaine souvent et presque toujours anti-sociale », le docteur Destouches préconise la création d’une véritable hygiène sociale.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Au même moment Louis Destouches adressait le manuscrit du roman sur lequel il travaillait depuis trois ans à un éditeur. On remarque que le temps de rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">correspond à la période durant laquelle le docteur Destouches s’est progressivement dépris de ses idées en faveur d’une médecine efficace et standardisée, répondant aux exigences de l’organisation industrielle du moment, d’un capitalisme new look (de la « propagande » relèvera-t-il en 1932), pour changer radicalement son fusil d’épaule et reposer les questions d’hygiène et de santé publique en des termes politiques et sociaux. Ceci débouchant sur des considérations pessimistes proches de quelques unes des analyses de Freud des années vingt, anticipant même des propos parmi les plus critiques formulés à l’encontre de la médecine dans l’après 68. Il y a une relation de cause à effet, voir de réciprocité entre le docteur Destouches et l’écrivain Céline. Les écrits du bon docteur en 1930 et 1932 ne sont-ils pas la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">basse continue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de l’ambitieux roman que le futur Céline rédige alors ? Le pessimisme de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ne fait-il pas écho à celui de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mémoire pour le cours des hautes études, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et réciproquement ? Quand le docteur Destouches écrit au début de ce texte les lignes suivantes (« L’hygiène actuelle est en vérité propre à dégoûter l’orgueil intellectuel le plus indulgent, tellement tout y est, respire, transpire, suppure l’immonde bêtise, homme et choses. Même une critique élémentaire touche le grotesque à tous les coups, c’est un véritable jeu de massacre, une anarchie miteuse, une réserve pour gâteux, âgés ou précoces ») comment ne pas évoquer quelques unes des pages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">!</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On en oublierait le docteur Bounan. Il reproche à Philippe Alméras d’avoir 25 années durant dissimulé le contenu de deux articles (signés par le docteur Destouches) datant de 1928, alors que lui garde bien de signaler que Destouches, en 1930 puis en 1932, a publié ou écrit d’autres textes, qui eux viennent totalement s’inscrire en faux contre l’idéologie (la « propagande ») présente dans ceux de 1928. De surcroît Bounan associe les deux articles de 1928, qui sont certes à replacer du côté de « l’intérêt patronal », à l’écriture de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pourtant il était facile de vérifier que ce roman en réalité avait été mis en chantier seulement l’année suivante. Ce que Bounan très certainement n’était pas sans savoir. Mais n’était-il pas tentant de faire coïncider la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avec le second de ces articles, anti-social et réactionnaire, qui avait l’avantage lui d’anticiper sur ce qui s’ensuivrait ! Le doute n’est pas permis : il ne s’agit pas là d’une fâcheuse confusion de date mais bel et bien de dissimulation (le plus grave étant qu’elle permet à Bounan d’exposer l’une des thèses de la partie Céline de son ouvrage).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bounan, semble-t-il, ceci précisé, ne prenait pas trop de risques avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: son lecteur, s’il s’interdisait de lire Céline, ou plus généralement s’il excluait toute lecture de l’écrivain en dehors de ses romans n’irait pas vérifier ce qui ressortait du détail ou s’apparentait à une vétille. En 1977 les confidentiels </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers Céline </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avaient certes déjà recensé dans leur troisième numéro les écrits médicaux de Céline, à l’exception de l’article de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(après la publication de trois d’entre eux dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Cahiers de l’Herne </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en 1963 et 1965), mais la Correspondance de l’écrivain, publiée de manière disparate et lacunaire encore en 1997, ne s’était pas encore retrouvée dans sa presque intégralité dans un volume de la Pléiade (où l’on put prendre connaissance douze ans plus tard des deux lettres de Céline manipulées par Bounan,). Pour résumer, l’article de 1928 du docteur Destouches correspondait, à travers ce qu’en rapportait Bounan, à l’idée que ses lecteurs pouvaient se faire en règle générale du futur écrivain : déjà Céline perçait chez Destouches. Donc la démonstration de Bounan ne pouvait que conforter ceux, lecteurs de Céline ou pas, pour qui en plus des pamphlets antisémites un autre facteur aggravant (plus déterminant peut-être pour le lectorat des Éditions Allia, en tout cas qui avait l’éclat de la nouveauté), celui d’un Céline présenté dès 1928 comme un suppôt du Capital, déconsidérait plus encore le personnage (quoiqu’on pouvait par ailleurs penser de l’écrivain).</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ainsi Bounan fournissait sans trop d’effort aux uns comme aux autres cet argument décisif : le vers était déjà dans le fruit en 1928.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ici l’on me susurre à l’oreille qu’avec une ordure comme Céline tous les coups sont permis. « Avoir pour but la vérité pratique », lisait-on en 1967 dans une revue éditée par un groupe que Bounan connaît assurément, au sujet duquel il a écrit des lignes pertinentes dans l’avant dernier chapitre de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il semblerait malheureusement, du moins pour ce qui concerne Céline, que Michel Bounan a dans cet ouvrage oublié ce qu’était la « vérité » pour ne conserver que le côté « pratique » de la chose.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Lors de la parution en 1997 du substantiel ouvrage d’Annik Durafour et Pierre-André Taguieff </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline, la race, le Juif, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">on a pu lire que les auteurs réglaient définitivement la « question Céline » (c’était par exemple l’opinion du critique du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Il y a deux livres dans cet ouvrage. Sur l’un, une histoire de l’antisémitisme en France, je ne me prononcerai pas, faisant a priori confiance à Taguieff sur une thématique au sujet de laquelle il revient une fois de plus. Mais ce n’est pas cette partie-là qui a été commentée lors de la sortie du livre, qui nous est présenté comme « une étude critique, rompant avec les habituelles approches plus ou moins apologétiques » sur Céline. Taguieff, dans l’introduction, paraît vouloir se situer au-dessus de la mêlée, à distance des « admirateurs et des détracteurs ». Il s’agit assurément d’un essai, et non d’un pamphlet. En réalité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline, la race, le juif</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> s’avère être un ouvrage totalement à charge contre Céline. Dans une somme de presque 1200 pages seuls sont mentionnés les faits qui condamnent ou condamneraient le personnage Céline, et à travers lui l’écrivain (dans les chapitres écrits par Annick Durafour, sa détestation envers Céline suinte dans la plupart de ses phrases). On aurait pu s’attendre, compte tenu de ce que la quatrième de couverture et l’introduction prétendent, à un relevé exhaustif, voire objectif de l’ensemble des faits à mettre au passif et à l’actif de Louis-Ferdinand Céline. Il n’en est rien. Je constate, par exemple, l’absence d’un certain nombre de faits biographiques - disons « à décharge » - dans ce volumineux ouvrage que tout lecteur de la Correspondance de l’écrivain est en mesure de vérifier. Je vais d’abord en citer un certain nombre, qui peuvent paraître secondaires mais n’en sont pas moins significatifs, avant d’en venir aux deux derniers, essentiels eux. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Rien par exemple (avant la parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) sur les relations entre Céline et les amies juives de Cillie Ambor que l’écrivain rencontre à Vienne, dont la psychanalyste Anny Angel (proche d’Anna Freud) : à qui Céline proposera l’hospitalité à Paris, rue Giraudon, si elle était inquiétée par les nazis. Rien également sur la protestation de Céline envers l’éditeur allemand de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dont le traducteur juif se trouvait au printemps 1933 dans l’oeil du cyclone : une traduction trouvée tout à fait satisfaisante par Céline. Rien aussi sur l’accueil mitigé de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">très mal vécu par l’écrivain et déterminant pour ce qui s’ensuivra. Ces « oublis » s’expliquent certainement par la construction dès le début des années trente d’un personnage uniment antisémite par Durafour et Taguieff : une construction que les exemples précédents risquaient d’écorner. On peut, dans un registre équivalent, durant l’Occupation, relever que les deux auteurs ne mentionnent nullement les bonnes relations entre Céline et son voisin de la rue Giraudon, le compositeur Chamfleury, un résistant (et la proposition de ce dernier de permettre au couple Destouches, selon Céline qui n’ignorait pas ses activités, de se retrouver à l’abri dans un maquis vendéen). Relevons aussi l’absence des difficiles conditions de détention de l’écrivain proscrit au Danemark (un séjour plutôt escamoté par nos deux auteurs), et les raisons exactes pour lesquelles Céline a effectué un « séjour scientifique et médical » en Allemagne pendant l’Occupation.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais l’essentiel est ailleurs. D’abord comment interpréter l’absence de toute mention dans la correspondance de Céline au Danemark d’un changement radical de perspective sur la question de l’antisémitisme : dans un livre où l’antisémitisme sert principalement de fil rouge tout au long des presque 1200 pages de l’ouvrage ? Pourtant les deux auteurs pouvaient récuser cet anti-antisémitisme (ou ce philosémitisme) sur le mode plus haut indiqué : en évoquant un leurre, une ruse, une imposture, une échappatoire. Mais il aurait fallu pour cela citer des extraits de la correspondance de l’écrivain. Avec le risque, pour des lecteurs ayant conservé leur esprit critique, de rechercher ces sources le cas échéant, et de se livrer aux interrogations ou de formuler les hypothèses dont j’ai entretenu plus haut le mien lecteur. Ne fallait-il pas mieux, pour ne pas être obligé de s’expliquer là-dessus (ouvrir en quelque sorte la boite à pandore), passer sous silence cette séquence danoise que les lecteurs de Céline paraissent ignorer (absente, que je sache, des travaux d’Henri Godard, et je n’ai pas été vérifier du côté des « études céliniennes » ce qu’il en serait). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le second point se rapporte aux écrits médicaux du docteur Destouches dont on ne trouve pas la moindre trace dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline, la race, le Juif. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ici les deux auteurs pourraient me répondre que ces écrits n’entraient pas en ligne de compte dans un ouvrage traitant de l’écrivain Céline. Pourtant leur livre ne débouche-t-il pas en grande partie sur la question (reprise en quatrième de couverture) « Comment cet homme a-t-il pu écrire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">? » (sous entendu, bien évidemment : comment un antisémite a pu écrire un tel livre ?). Mais il n’y a pas l’ombre d’un propos antisémite dans ces écrits médicaux (et l’on sait que seules quelques rares mentions dans la correspondance du futur écrivain, ou des allusions dans la pièce </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Église </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">accréditent la présence d’un antisémitisme encore « modéré ».) J’ai également mis plus haut en relation </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et le dernier de ces textes médicaux en indiquant que l’on retrouvait de part et d’autre une forte propension au pessimisme. Également Taguieff cite dans sa conclusion Philippe Roussin (son livre sur Céline) parmi les travaux qui « posent le problème de la responsabilité historique et morale de l’écrivain ». Mais l’a-t-il lu entièrement ? Car Roussin est à ma connaissance le seul auteur ayant, dans un chapitre de son ouvrage, rendu compte des écrits médicaux de Céline. J’ajoute que dans une bibliographie pléthorique (s’étalant sur 68 pages, ce qui doit certainement dépasser le millier de textes référencés sur Céline !) ne figure pas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Michel Bounan. Un autre silence éloquent ! Pourtant la querelle Alméras-Bounan avait toute sa place dans le cahier des charges de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline, la race, les Juifs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour conclure il me faut reconnaître que cet ouvrage, du moins sur un point précis, apporte un fait nouveau. D’ailleurs les deux auteurs le mettent particulièrement en valeur. Il s’agit d’une lettre de Céline que Taguieff brandit à la manière d’un trophée ou comme une preuve accablante dans les premières pages de son introduction. J’avais déjà rédigé cette </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tentative d’objectivation du cas Louis-Ferdinand Céline </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lorsque j’ai pris connaissance l’automne dernier de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline, la race, les Juifs. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La lettre en question est malheureusement absente de la Correspondance Pléiade de Céline. Elle a été adressée le 8 novembre 1950 à Albert Paraz (en rappelant, pour en connaître les raisons, que Paraz avait en juin 1950 préfacé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le mensonge d’Ulysse. Regard sur la littérature concentrationnaire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publié par Paul Rassinier chez un éditeur confidentiel). Céline lui écrit : « Rassinier est certainement un honnête homme (…) Son livre se vend-il ? (…) Son livre, admirable, va faire gd bruit - QUAND MÊME. Il tend à faire douter de la magique c</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">hambre à gaz </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">! ce n’est pas peu. Tout un monde de haines va être forcé de glapir à l’Iconoclaste ! C’était toute la chambre à gaz ! Ca permettait TOUT ! Il faut que le diable trouve autre chose ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce qui conduit bien évidement Taguieff à en déduire que Céline figure sans contestation possible parmi les précurseurs du négationnisme. J’ai relevé plus haut que si l’écrivain après la guerre avait pris la mesure de son passé antisémite (« une belle connerie ») il semblait plutôt timoré dans son appréciation des camps de concentration nazis comme l’indiquait un échange avec Jean Paulhan. C’est sans doute l’un des angles morts de la « question Céline », mais pour se faire véritablement une opinion sur l’assertion de Taguieff il importe d’ajouter les précisions suivantes. L’ouvrage de Rassinier a connu la fortune que l’on sait quand les Faurisson et consort l’ont exhumé durant les années soixante-dix. En 1950 il fut surtout lu, commenté et discuté dans les milieux libertaires (auxquels Rassinier appartenait alors), voire d’une gauche minoritaire. Taguieff omet de signaler, selon le Maitron, qu’à « ce moment-là les écrits de Rassinier étaient dénués d’antisémitisme et ne niaient pas l’existence des chambres à gaz. Il doutait en revanche que celles-ci aient été planifiées centralement, et en attribuait l’usage au fanatisme de certains commandants de camps ». Ce en quoi il se trompait. Cependant le négationnisme de Rassinier ne devint vraiment effectif qu’en 1960. Il faut aussi remettre ce débat autour de la parution du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mensonge d’Ulysse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans un contexte où les libertaires, en se référant au « système concentrationnaire » (présent de même en URSS), refusaient « qu’on en limitât la dénonciation aux camps nazis ». Taguieff n’indique nullement que le préfacier Paraz en rajoutait sur la question des chambres à gaz. Une préface vertement critiquée dans la presse libertaire pour également d’autres raisons. Et puis surtout dans aucune de ses lettres, durant l’automne 1950, Céline n’informe ses nombreux et divers correspondants du contenu de celle adressée à Paraz le 8 novembre. Alors que ses préoccupations du moment sont très souvent réitérées d’un courrier à l’autre. Pas plus que Céline ne reviendra, de retour en France, sur le sujet : sinon dans la lettre plus haut citée (du 30 décembre 1960) adressée à Hermann Bickler. </span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">LETTRE À PATRICK LEPETIT SUR </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">VOYAGE AU BOUT DE L’ABJECT</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Libertaire et proche du surréalisme je n’en suis pas moins en désaccord avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de l’abject. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Néanmoins ma réponse au contenu de votre livre ne saurait épuiser les questions qui se posent à tout lecteur soucieux d’enfoncer, plus que vous ne le faites avec Céline, le clou de la responsabilité de l’écrivain ou de l’artiste. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Vous dites avoir (vous aussi) beaucoup aimé Céline avant de lire les écrits « censurés » qui vous en ont « définitivement détourné ». Je ne sais pas s’il s’agit d’un argument rhétorique destiné à rendre encore plus ignoble l’ignominie de ces pamphlets antisémites, ou de votre vérité. Ce n’est pas la mienne puisque la lecture (non exhaustive) de ces pamphlets après celle des romans (exhaustive elle) ne m’a pas détourné de l’oeuvre proprement romanesque de Céline, relue récemment. J’ajoute que je séparais autant que faire se peut, comme la majorité de ses lecteurs, l’homme et le romancier. Ce que je nuancerais quelque peu aujourd’hui. Mais je reviens à votre propos, reproduit en quatrième de couverture. S’il faut vous prendre au pied de la lettre, permettez-moi de m’interroger sur des revirements du type « je brûle ce que j’ai adoré ». N’est-ce pas une façon d’exorciser cette fâcheuse et coupable inclination jadis pour Céline ? N’entre-t-il pas de la mauvaise conscience et du ressentiment ? Et puis chacun connaît aujourd’hui le contenu de ces pamphlets, indéfendable assurément, même sans les avoir lus.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci posé, parlons-en. Vous consacrez à ces pamphlets antisémites (je laisse de côté l’aspect « anti-maçon » qui me paraît secondaire dans le cas présent) une très large place, disproportionnée par rapport à celle des romans. Vous « sauvez » dans une certaine mesure </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">; quasiment rien sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit, Guignol’s band, Féérie pour une autre fois </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">; un peu plus sur la trilogie allemande, mais en termes négatifs. Vous semblez ignorez une bonne partie de la Correspondance de Céline si j’en crois quelques lacunes dans votre démonstration. Pour revenir aux pamphlets je précise que je suis favorable à leur réédition. D’abord par principe, contre toute censure. Ensuite en subordonnant ce principe à l’obligation suivante. La re-publication de ces trois pamphlets nécessite la présence d’une substantielle préface, et plus encore d’un appareil critique permettant de vérifier que Céline a ramassé à l’époque tout ce que trainait et se tramait en matière d’antisémitisme : la différence étant qu’il réécrivait ce « corpus » en célinien. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Vous vous interrogez sur les « raisons profondes qui ont poussé Céline à manifester un antisémitisme qui n’apparaît pas dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». L’indication de sa rupture avec Elisabeth Graig n’est pas suffisante : elle traduit plus par une tendance de l’écrivain vers davantage de pessimisme à l’égard de l’espèce humaine que les prolégomènes de cet antisémitisme. Il faut l’expliquer par l’accueil mitigé (critique et public) de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce dépit et ce ressentiment Céline l’exprime dans une lettre d’octobre 1937 à Marie Cavanaggia. L’échec même relatif de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(livre plus ambitieux pour lui que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ce à quoi je souscris) le mortifie à ce point qu’il déclare « être en guerre contre tous. Comme tous furent solidaires pour essayer de me réduire ». Sauf que dans cette lettre, plus loin, la responsabilité de tout ce qui ne va pas dans le monde se rapporte à un groupe ethnique bien défini. La « guerre contre tous » du début du courrier sonne alors étrangement. C’est à cette époque que Céline entreprend la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il faut en venir à la question du statut de ces pamphlets antisémites. Il convient de bien les séparer des romans pour éviter toute confusion ou toute mésinterprétation. Font-ils partie de l’oeuvre célinienne ? Oui, et même davantage selon vous. C’est vouloir l’appréhender par le petit bout de la lorgnette. Vous semblez avoir perdu de vue que c’est parce que Céline a écrit l’une des oeuvres romanesques parmi les plus lues et les plus commentées du XXe siècle que ces pamphlets lui sont d’autant plus reprochés. En ce qui concerne ce statut je vous répondrai oui et non. Tout d’abord, il m’est difficile de prendre véritablement au sérieux ces pamphlets : c’est trop gros dirais-je (absurde, infondé, invraisemblable, excessif, grotesque, burlesque, délirant surtout). Moins certes si l’on se réfère à d’autres pages, celles où Céline joue avec le lecteur, le prenant à témoin de ses outrances. Oui par contre si l’on replace la publication des deux premiers pamphlets dans la France de la fin des années trente. Ces pamphlets ont trouvé de nombreux lecteurs (même si tous ne les prenaient pas au sérieux, à l’instar d’un André Gide). Il y avait un contexte favorable à la diffusion de ce genre de libelle dont Céline a bénéficié. J’ajoute que ces pamphlets ont été écrits plus rapidement que les romans. Ce qui renvoie à la question de l’investissement littéraire chez Céline, redoublé d’un souci formel (même exprimé sur un mode vindicatif, besogneux, ou utilitaire) auquel les trois pamphlets ne peuvent prétendre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour revenir à l’antisémitisme vous ne reprenez pas en compte une donnée qui, il est vrai, n’apparaît que dans la correspondance de l’écrivain. D’ailleurs, fait étonnant, les céliniens mêmes (que je sache) ne s’y réfèrent pas. Cette donnée m’apparaît pourtant essentielle pour poursuivre cette discussion sur le statut des pamphlets. Au sujet de l’antisémitisme Céline va sensiblement évoluer après ses seize mois de détention au Danemark (je remarque au passage que vous minimisez ce qu’a pu endurer l’écrivain durant ces longs mois d’emprisonnement). Céline sort très ébranlé de cette période de détention. Il faut s’arrêter sur la lettre adressée le 30 mars 1947 à Antonio Zulonga. Céline y expose pour la première fois le point de vue qu’il soutiendra durant son exil danois. J’insiste sur la personnalité du destinataire, un vieux complice envers qui Céline n’avait pas lieu de se montrer complaisant, calculateur ou duplice. En substance Céline y défend des positions philosémites qu’il réitèrera ensuite à plusieurs de ses correspondants. Ce ne sont plus les Juifs qu’il conchie, mais les Aryens en des termes non moins orduriers. Céline compte alors sur Milton Hindus pour écrire un traité sur la question, afin de « liquider l’antisémitisme mais d’une façon intelligente - pas uniquement systématique délirante apologie du Juif, ce qui est autant imbécile que l’antisémitisme systématique ». J’en déduis qu’il n’y a pas plus lieu de douter ici des « convictions » anti-antisémites de Céline qu’il n’y avait matière à s’interroger sur les « convictions » antisémites de l’écrivain dans les pamphlets d’avant guerre et les lettres adressées aux journaux durant l’Occupation. Prendre au sérieux, ici son antisémitisme, là son philosémitisme, ou penser que tous les deux s’avèrent délirants revient au même. Soutenir que le seul Céline des pamphlets doit être pris en considération, et donc que son philosémitisme de l’exil danois n’est qu’une ruse, ou une échappatoire pour se racheter à bon compte, c’est ne pas comprendre le fonctionnement psychique et intellectuel d’un personnage complexe et contradictoire comme Céline. Ce dernier n’a nullement instrumentalisé Milton Hindus comme vous le prétendez. Celui-ci, avant d’entrer en relation avec Céline, avait pris l’initiative de défendre l’écrivain alors emprisonné. Céline avait été informé par son avocat danois des efforts et de l’action de l’intellectuel juif américain en sa faveur. Tous deux se fâchèrent ensuite. Mais ce qui s’ensuivit je le raconterais d’une façon différente de la votre. Même chose pour Albert Paraz dont </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le gala des vaches </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">allait au-delà de ce que pouvait en attendre son ami Céline. Là c’est Paraz à qui l’on pourrait reprocher ce dont vous accusez Céline. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Deux mots sur ce que vous appelez « la totale réhabilitation de Céline ». Franchement ! C’est bien le contraire qui se produit actuellement. Ce que l’on pourrait à la limite relever en terme de « réhabilitation » remonte au derniers tiers du XXe siècle, et semble à vous lire se limiter au seul Sollers. C’est peu, voire très peu. Après la parution de l’ouvrage de Durafour et Taguieff, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">consacrait deux pleines pages louangeuses où il était précisé que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline, la race, les Juifs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">réglait définitivement le cas Céline. D’ailleurs vous abondez dans ce sens. Alors, que demander de plus ? Pierre Assouline a certes émis un avis critique envers ce livre mais dans l’espace public il paraît bien seul. Et puis vous utilisez cet argument, cette pseudo réhabilitation, pour avancer que celle-ci ferait « objectivement le jeu de l’extrême droite ». Céline cheval de bataille de l’extrême droite ! D’où tenez vous cela ? Notre écrivain paraît bien étranger à l’extrême droite aujourd’hui. Celle-ci va rechercher ses références dans des domaines bien différents, la littérature n’y a pas grand chose à voir. Vous exhumez Brasillach mais cet écrivain nous renvoie à une tout autre époque. Je vous rappelle que l’extrême droite (à l’exception du seul Léon Daudet) n’avait nullement apprécié </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Et encore moins </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à crédit, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qu’elle considérait pornographique (comme les communistes d’ailleurs). Elle ne s’est intéressée à Céline qu’à partir de la publication de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bagatelles pour un massacre. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Jusqu’à présent mon désaccord se rapportait principalement à votre volonté de désigner les pamphlets céliniens comme étant le coeur de l’oeuvre de l’écrivain. Ce désaccord devient plus patent quand vous écrivez au sujet de Céline : « Il serait plus juste (…) de le considérer comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’idéologue qui préconise </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(c’est vous qui soulignez) le meurtre de masse ». Vous vous trompez de cible : Céline n’est pas Drieu, ni Brasillach, ni Combelle, ni Bonnard, ni A. de Chateaubriand, ni Rebatet, etc., qui eurent des responsabilités durant l’Occupation, ne serait-ce que d’un point de vue journalistique. Sans parler, facteur plus décisif, des fonctions officielles que certains d’entre eux exercèrent à l’initiative de Vichy ou du pouvoir nazi. Assimiler Céline à un idéologue relève d’un total contre-sens. Ce qui n’enlève rien, faut-il le redire, au caractère ignoble des pamphlets, de lettres publiées durant l’Occupation, ou de certains comportements. Avec Céline nous sommes dans un autre registre. D’abord existe-t-il une pensée Céline ? On y trouve des éructations, des invectives, du ressentiment, des affirmations à l’emporte-pièce, des propos délirants, de la verve soit, mais de pensée point. Ensuite Céline n’a pas à proprement parler écrit dans la presse collaborationniste. Il s’adressait à celle-ci par la voie épistolaire. Ce qui ne peut être confondu avec l’attitude d’un journaliste stipendié écrivant des articles dans la ligne de ce journal. Céline, d’une manière obsessionnelle presque, se voulait indépendant, libre d’écrire ce qu’il voulait, en dehors de la tutelle d’un directeur de journal ou d’un bailleur de fond. Après Stalingrad il s’est abstenu d’écrire des lettres aux journaux. D’ailleurs il se consacrait principalement à la rédaction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guignol’s band. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette défection, ou cet opportunisme si l’on veut ne correspond guère à ce que l’on pourrait attendre d’un idéologue. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin, contrairement à ce que vous suggérez, ni Vichy ni les Allemands n’envisageaient de mettre Céline à la tête du Commissariat aux affaires juives, ni même de lui confier la moindre responsabilité (que l’intéressé d’ailleurs ne pouvait que refuser). Bien au contraire. Ne disait-on pas dans certains milieux collaborationnistes que les outrances de Céline desservaient la cause de l’antisémitisme. L’écrivain se révélait par trop imprévisible, pour ne pas dire irresponsable en la matière. Vous citez un propos de Céline favorable à la création de la Légion des Volontaires français contre le bolchevisme. Vous auriez pu ajouter que quelques mois plus tard, dans une lettre à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Appel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Céline considérait que la Légion « est entièrement juive comme le reste ». Ce qui n’a pas besoin d’être commenté.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sinon vous reprenez ici ou là les thèses de Michel Bounan, celles de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’art de Céline et son temps. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’y ai principalement répondu dans l’une des parties de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lire Debord, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un texte mis en ligne sur le site L’herbe entre les pavés en mars 2016. Cette contribution est indirectement une réponse à ce que vous écrivez dans plusieurs pages de votre livre. Vous souscrivez à ce qu’écrit Michel Bounan alors que j’estime avoir prouvé dans le détail que Bounan falsifiait certains faits, et en éludaient d’autres pour mieux accuser Céline.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Votre ouvrage fait également l’impasse sur une analyse de l’épuration dans la France de l’après guerre, pourtant utile et nécessaire pour ce qui concerne notre écrivain. Pas plus que vous n’évoquez le traitement spécial dont Céline bénéficia à partir de l’automne 1945 dans le camp stalinien. Vous relevez il est vrai « qu’Aragon ne s’est pas trompé sur tout ». Ce qui pourrait expliquer votre « mansuétude » envers ceux qui dans les lendemains de la Libération tirèrent à boulets rouges sur Louis-Ferdinand Céline (mais également sur André Breton lors de son retour en France). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au pays de l’abject </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">illustre une position morale que l’on pourrait résumer par : « Un salaud ne peut écrire que des saloperies ». Vous vous focalisez sur les pamphlets (qui sont certes ignobles mais tout autant délirants) pour implicitement porter le discrédit sur l’oeuvre romanesque de l’écrivain (excepté peut-être </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voyage au bout de la nuit</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Vous semblez avoir perçu l’écueil (se situer sur un plan moral) puisque dans un second temps vous vous efforcez de camper Céline en idéologue. Les limites de cette lettre recoupent celles de votre livre. Tout ouvrage sur Céline, même critique, devrait s’interroger depuis ce cas particulier sur la notion de responsabilité dans la littérature (et l’art plus généralement). Ceci pour ne pas rester cantonné sur un terrain où la « bien pensance » prend trop souvent le dessus sur toute analyse un tant soit peu complexe des rapports que les intellectuels, mais plus encore les écrivains et les artistes entretiennent avec la société (ou que la société entretient avec eux). Et à ce compte, à condition de « tout mettre sur la table », de ne pas reconstruire un écrivain depuis des préjugés moraux, Céline n’est pas le plus « responsable » de ceux-ci.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mars 2021</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> . </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue',sans-serif;color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
</strong><br class="Apple-interchange-newline" />SUR L’OUVRAGE LE SEXE POLÉMIQUE (QUAND LA PARANOÏA S’EMPARE DES CAMPUS AMÉRICAINS), DE LAURA KIPNISurn:md5:9f4e97aecab2b599e8ee7e691372a4412020-10-16T12:27:00+02:002020-10-16T12:27:00+02:00Max VincentCritique sociale <p align="center" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">SUR
L’OUVRAGE </span><span lang="fr-FR"><em>LE
SEXE POLÉMIQUE (QUAND LA PARANOÏA S’EMPARE DES CAMPUS
AMÉRICAINS), </em></span><span lang="fr-FR">DE
LAURA KIPNIS</span></p>
<p align="center" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">et
ce en quoi il contribue à prolonger notre réflexion sur le
néoféminisme de ce côté-ci de l’Atlantique</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">« </span><span lang="fr-FR"><em>Annonçons
d’emblée la couleur, ce qui nous évitera les procès en
sorcellerie, et pourra peut-être nous en tenir au sujet qui va nous
occuper : je suis partisan du mariage pour les couples homosexuels,
je trouve très bien que ces couples puissent avoir des enfants ;
toute forme de racisme m’est odieuse, et je considère que les
femmes ont mille fois raisons de lutter contre les injustices, les
inégalités et les violences dont elles font l’objet</em></span><span lang="fr-FR"> »</span></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Pierre
Jourde</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ce
texte comporte deux parties. La première est une recension de
l’ouvrage de Laura Kipnis (</span><span lang="fr-FR"><em>Unwanred
Advances : Sexual Paranoia Comes to Campus</em></span><span lang="fr-FR">)
paru aux États-Unis en 2017, puis en décembre 2019 aux Éditions
Liber pour l’édition française. La seconde partie reprend
quelques unes des thématiques exposées précédemment en les
traitant depuis l’exemple hexagonal. Il s’agit de notre troisième
contribution à une analyse critique du néoféminisme, après celles
de février 2018 et de février 2020<a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote1anc" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote1sym"><sup>1</sup></a>.</span></p>
<p align="center" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">1</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
préambule à la lecture du</span><span lang="fr-FR"><em>
Sexe polémique : quand la paranoïa s’empare des camus américains
</em></span><span lang="fr-FR">plusieurs
précisions s’imposent.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">-
L’auteure de cet ouvrage (qui enseigne le cinéma à l’université
Northwestern) se dit féministe. Comme elle l’indique dans un
entretien : « Une partie de mon ambition, et de ce livre, a
donc été d’essayer de démêler ce que je pense être les
versions émancipatrices du féminisme de celles conservatrices ».
C’est là une donnée fondamentale même si ce conservatisme
apparaît rarement pour ce qu’il est, recouvre et représente.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">-
La nature des faits rapportés dans </span><span lang="fr-FR"><em>Le
sexe polémique… </em></span><span lang="fr-FR">est
peu connue, ou relativement méconnue du lecteur français (la
littérature féministe sur le viol et les agressions sexuelles
occultant très généralement ce dont traite Laura Kipnis dans son
ouvrage). Ce livre brosse un tableau plus exact et plus exhaustif de
l’université américaine aujourd’hui (voire des USA sur la
thématique abordée) que ne le font les ouvrages féministes
américains publiés ces dernières années en France. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">-
Laura Kipnis, à l’exception des chapitres introductif et
conclusif, s’appuie sur de nombreux exemples concrets
(dénonciations, accusations, enquêtes universitaires, procès,
congédiements, carrières brisées) pour dresser un constat sans
appel du monde universitaire américain en ce début du XXIe siècle
(qui sous certains aspects ressemble à l’univers de Kafka), mais
également de la place de la sexualité aujourd’hui (perçue
« comme plus dangereuse qu’elle ne l’a été par le
passé »).</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">-
L’auteure, ce qui concourt à l’agrément du livre, avoue qu’elle
a « tendance à faire de l’ironie. </span><span lang="fr-FR"><em>J’aime
</em></span><span lang="fr-FR">l’ironie
: elle donne du recul et en cela aide à penser ». On ne
saurait mieux dire. Et puis cela nous change de ces pensums
néoféministes écrits dans la langue du ressentiment. D’ailleurs
Laura Kipnis, depuis ce qu’elle revendique haut et fort (« La
capacité d’agir des femmes ») paraît proche de quelques
unes de nos amies libertaires du siècle dernier, qui il est vrai
n’éprouvaient pas le besoin de se dire féministes.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">-
Laura Kipnis appartient à la gauche américaine, une gauche « plutôt
marxiste » selon elle. Il y a également comme un fort accent
libertaire dans de nombreuses pages de ce livre. Bien que traitée de
« gauchiste » par ses adversaires, Kipnis indique qu’elle
est devenue durant un laps de temps « la coqueluche »
d’une « certaine aile libertarienne de la droite » qui
l’applaudissait « pour avoir tenu tête au « politiquement
correct » » (tout en relevant à d’autres égards
qu’elle n’était « pas digne de confiance »). Cela se
vérifie des deux côtés de l’Atlantique. J’y reviendrai dans la
seconde partie.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">-
L’ouvrage de Laura Kipnis</span><span lang="fr-FR">n’est
pas passé inaperçu lors de sa publication en France (articles dans
</span><span lang="fr-FR"><em>Le
Monde, Libération, Le Figaro, Causeur, Le Point, </em></span><span lang="fr-FR">généralement
favorables). En revanche, que je sache, les associations féministes
comme les penseurs des deux sexes campant sur des positions
néoféministes l’ont superbement ignoré. Il s’agit pourtant
d’un livre important. Mais ceci expliquant cela nous serions porté
à croire qu’en parler devenait problématique dès lors les faits
relevés dans l’ouvrage s’inscrivent particulièrement en faux
contre l’idéologie néoféministe.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ce
qui n’exclut pas une autre approche, plus distanciée. Un tel livre
ne pouvait voir le jour qu’aux États-Unis. Il ne traite du
féminisme que depuis l’angle observé par une universitaire
américaine (dont l’histoire personnelle finit par se confondre
avec celles qui avaient auparavant retenu son attention sur le campus
de Northwestern), et ne se positionne qu’indirectement sur ce dont
débattent les féministes américaines depuis une vingtaine
d’années. Cependant, mieux que n’importe quel texte théorique
contemporain dans ce registre (qui après la lecture du </span><span lang="fr-FR"><em>Sexe
polémique… </em></span><span lang="fr-FR">apparaît
encore plus comme relevant d’une critique « hors sol »),
l’ouvrage de Laura Kipnis nous confronte aux effets du féminisme -
de ce que j’appelle néoféminisme - là ou ceux-ci sont les plus
efficients dans la société américaine, à l’intérieur de
l’université. De ces effets l’auteure nous précise qu’ils
relèvent de « la paranoïa sexuelle ». C’est vouloir
dire que celle-ci « transforme de manière fondamentale le
climat intellectuel des universités dans leur ensemble, à tel point
que les idées deviennent des menaces (…) et que les libertés qui
nous semblaient acquises se font laminer quand elles ne disparaissent
pas carrément ». Cette paranoïa sexuelle, déjà la
cause d’une certaine « rigidité intellectuelle », en
progressant dans les campus « y abrutit l’esprit » et
ce qu’elle charrie dans le registre de la platitude mais également
de la peur « étouffe l’idéal traditionnel de l’université
comme refuge de la complexité et lieu par excellence du libre
échange des idées ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Comment
en est-on donc arrivé là ? L’explication, d’abord générale,
entrera plus loin dans le détail des faits. Disons d’emblée que
la question sexuelle s’avère centrale : à travers ce en quoi le
sexe représente aujourd’hui un danger qui ne peut être imputé
qu’aux seules féministes. D’ailleurs Laura Kipnis évoque « la
génération post sida » de ce début de millénaire. Et
revient sur ce qui auparavant distinguait la génération à laquelle
elle appartient de celle de ses étudiants (« nous ne </span><span lang="fr-FR"><em>pensions
</em></span><span lang="fr-FR">pas
au sexe comme à ce qui aurait pu nous nuire »). D’où ce
constat, parmi d’autres, selon lequel les relations sexuelles entre
enseignants et étudiants (qualifiées « d’instructives »
par l’auteure en référence à son passé d’étudiante)
n’étaient pas taboues, ni vécues de manière traumatique. Ceci
valant pour le reste : « De nos jours, c’est le </span><span lang="fr-FR"><em>danger
</em></span><span lang="fr-FR">qui
façonne le récit dominant, au moins sur les campus américains ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Laura
Kipnis, ceci posé, n’entend pas tant se faire l’avocate de la
« libération sexuelle » du siècle précédent que de
s’y référer pour démontrer en quoi le nouvel état d’esprit
qui vient d’être relevé renforce la « féminité
traditionnelle » (« qui a toujours retenu les récits des
dangers auxquelles la femme est exposée plutôt que ceux inspirés
par sa capacité d’agir »). C’est là un point essentiel
pour Kipnis. Cette « capacité d’agir des femmes » que
revendique l’auteure entre en totale contradiction avec les
discours mettant la focale sur « le viol, le danger permanent
que courent les femmes et leur perpétuelle vulnérabilité ».
Ainsi « le pouvoir des hommes est d’emblée accordé au lieu
d’être remis en question : les hommes doivent être
surveillés, les femmes doivent être protégées ». Et puis,
ajoute Laura Kipnis, « si le viol devient la norme, alors la
sexualité masculine devient prédatrice par définition » :
les femmes étant alors réduites à l’état de proies. Dans cet
ordre d’idée Kipnis ne cautionne nullement l’expression
« culture du viol » (l’un des mantras du néoféminisme)
: tous les exemples cités dans </span><span lang="fr-FR"><em>Le
sexe polémique…</em></span><span lang="fr-FR">
en démontrent la vacuité. Cette expression, que je discuterai dans
la seconde partie, n’est pas sans rencontrer un certain succès, y
compris de ce côté-ci de l’Atlantique.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Le
portait au vitriol que brosse Laura Kipnis du monde universitaire
américain serait pour les lecteurs européens peu compréhensif sans
une définition préalablement du titre IX. C’est, comme l’explique
le préfacier et traducteur de l’édition française, « le
nom abrégé d’un amendement apporté en 1972 à une loi fédérale
américaine visant à interdire aux instituts d’enseignement qui
reçoivent un financement d’État d’exercer toute discrimination
basée sur le sexe dans ses programmes, dans l’attribution des
bourses d’études ou de sport, par exemple, ou dans tout autre
aspect de leur organisation et de leurs activités ». Ceci dit
en ces termes on pourrait s’étonner de la volée de bois vert
adressée par Kipnis tout au long de son livre à cette disposition
légale. Ici il convient de préciser que « les agents fédéraux
qui doivent veiller au respect de cette loi » l’ont pour
ainsi dire vidé de sa substance en privilégiant depuis 2011 « la
question des inconduites sexuelles » ». A partir de cette
date, les universités qui doivent doivent veiller à l’application
du titre IX le font donc prioritairement depuis des plaintes pour des
faits « d’inconduite sexuelle » sur les campus.
Relevons que Laura Kipnis n’aurait jamais écrit ce livre si elle
même n’était tombée sous le coup de cette réglementation après
la plainte de deux étudiantes se rapportant à un article publié
par notre auteure dans une revue professionnelle : cet article
traitant de « la paranoïa sexuelle à l’université ».
Kipnis en avait été informée par un courriel de l’administratrice
en charge du titre IX à Northwestern. La plainte ne visait pas que
l’article (ce qui aurait constitué une première dans l’histoire
du titre IX) mais également des « déclarations publiques
conséquentes » (en réalité un seul tweet !). </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Laura
Kipnis ajoute qu’en même temps qu’on l’informait que
l’université faisait appel à des enquêteurs pour instruire cette
procédure la concernant, son interlocutrice lui demandait
expressément de ne pas ébruiter le contenu de ce courriel. C’est
là une donnée importante du titre IX sur laquelle j’aurai
l’occasion de revenir. Auparavant, dans les lendemains de la
parution de l’article incriminé (en mars 2015) des étudiants de
Northwestern s’étaient mobilisés contre Kipnis : le journal
étudiant de l’université exigeant par la voie pétitionnaire la
condamnation de l’article publié dans la revue </span><span lang="fr-FR"><em>The
Chronicle. </em></span><span lang="fr-FR">Que
contenait-il donc de si répréhensible pour ces étudiants ? Laura
Kipnis y soutenait que « les nouveaux codes de conduite
infantilisaient les étudiants et aggravaient le climat de suspicion,
tout en renforçant considérablement le pouvoir des administrateurs
de l’université ». Précisons que Kipnis s’était trouvée
confrontée à une réalité dont elle ignorait tout, ou presque,
avant d’écrire son article. Une ignorance partagée par la plupart
des étudiants et enseignants de Northwestern, du moins parmi ceux
n’ayant pas encore fait l’objet d’accusations. Ceux qui
entraient dans ce cas de figure ayant eux « trop peur de
s’exprimer car, à en croire la demande de confidentialité et les
menaces qui accompagnaient habituellement les plaintes, le seul fait
d’en parler pouvait conduire au licenciement ou à l’expulsion ».
C’est là l’un des effets pervers du titre IX : encourager la
pratique de la dénonciation (dans le domaine sexuel) tout en
demandant à ceux qui ainsi accusés font l’objet d’une procédure
de n’en rien dire sous peine d’être sanctionnés. Pourtant, plus
pernicieux encore, pour mettre en relation cette donnée avec la
dangerosité du sexe exposée précédemment, la réglementation de
titre IX, en se focalisant sur ce qui devient dans le discours des
plaignantes des « relations sexuelles non désirées »,
transforme la réalité (certes toujours complexe dans ce
registre-là) en son contraire : le récit selon lequel toute
accusatrice serait de facto une victime et tout défendeur un
prédateur s’avère alors dominant, jusqu’à prendre un caractère
indiscutable.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">A
l’attention des lecteurs qui auraient des difficultés à le
croire, ou même à l’entendre il nous faut maintenant donner des
exemples concrets pour étayer ce qui vient d’être avancé. Deux
chapitres dans l’ouvrage sont consacrés au professeur Peter Ludlow
(qui alors enseigne à Northwestern la philosophie du langage) à
travers deux affaires d’abord distinctes. La première à être
exposée concerne une étudiante de première année, Eunice Cho.
Inscrite à un cours de philosophie du cyberespace cette étudiante
écrit régulièrement à Ludlow, sur son enseignement mais également
sur d’autres sujets. Elle interviewe son professeur pour un devoir
sur le journalisme que Ludlow l‘aide à faire publier en revue.
Tous deux se retrouvent l’après midi du 10 février 2012 au bureau
de Ludlow pour se rendre à une manifestation « d’art
performance ». A cette époque aucune réglementation
n’interdit les liaisons entre étudiants et enseignants. Cho et
Ludlow (qui n’est plus en février 2012 son professeur) passent la
soirée ensemble (dînent, se rendent dans des lieux artistiques, un
club de jazz), puis se retrouvent dans l’appartement de Ludlow.
Tous deux dorment dans le même lit, tout habillés : ils déclareront
ne pas avoir eu de rapports sexuels. Le lendemain matin Peter Ludlow
raccompagne Eunice Cho sur le campus.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Deux
jours plus tard la jeune fille se retrouve à l’hôpital. Elle y a
été adressée par les services médicaux étudiants après une
tentative de suicide (dans le lac Michigan). Le responsable en titre
IX de l’université, Joan Slavin, en est informée par une
enseignante qui évoque en l’occurrence le « cas d’un
professeur qui abuse de son autorité pour profiter d’une étudiante
de première année ». Cho lui ayant rapporté qu’elle avait
deux nuits plus tôt consommé de l’alcool avec un professeur qui
l’encourageait à boire. Elle l’avait suivi dans son appartement,
où tous deux s’étaient embrassés sans aller plus loin. Cho
refusait de donner le nom de cet enseignant mais il n’avait pas été
difficile à cette collègue de découvrir qu’il s’agissait de
Ludlow. D’ailleurs les pages Facebook des deux protagonistes le
confirmaient.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Dans
sa première version (celle retranscrite par l’enquêtrice de titre
IX), Cho affirme qu’ayant trop bu elle ne savait pas comment elle
s’était retrouvée dans l’appartement de Ludlow (se souvenant
pourtant que ce dernier l’avait tripotée dans l’ascenseur). Elle
s’était réveillée alors que Ludlow lui caressait les seins et
les fesses. En réalité, comme Cho pressée plusieurs mois plus tard
par les questions de l’avocat de Ludlow le reconnaîtra, elle
n’avait bu durant six heures que trois verres. Ce qui réduit très
sensiblement la thèse de l’ivresse. Une version (pour revenir à
la première) en tous points opposées à celle de Ludlow disant
avoir voulu renvoyer Cho chez elle vers la fin de la soirée. A
l’étudiante qui lui demandait si elle pouvait coucher dans le
canapé, le professeur lui avait proposé la chambre d’amis. Ce
qu’il regrettait puisqu’il reconnaissait que tous deux avaient
dormi tout habillés dans le même lit. Mais il ne s’était pour
autant rien passé entre eux, selon lui.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">L’enquêtrice
en titre IX ne tiendra compte que de la version de la jeune fille :
selon Joan Slavin la soirée du 10 février avait provoqué « un
stress émotionnel extrême » chez la plaignante. D’où cette
tentative de suicide, suivie d’une courte hospitalisation en
psychiatrie. En raison du « syndrome de stress traumatique ».
qui en résultait Slavin en concluait que « les résultats
scolaires » de la jeune fille et plus encore « sa vie
personnelle » en avaient été affectés. Parallèlement Cho
s’attirait les services d’un avocat qui adressait une lettre à
Ludlow, dans laquelle il réclamait « un dédommagement en
réparation du préjudice ». Ce à quoi l’intéressé ne
répondait pas. La jeune fille contactait alors un autre avocat,
spécialisé lui en « préjudices corporels », lequel
intentait « une action contre Ludlow en invoquant la loi de
l’Illinois sur les violences sexuelles (…) réclamant des
dommages punitifs et des dommages supplémentaires pour trouble
émotionnel et pour d’éventuels frais médicaux ». Ici
Ludlow réagira en poursuivant Cho pour diffamation.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Lors
de la procédure civile initiée par cette dernière plaintes, les
réponses embarrassées ou incohérentes de Cho aux questions posées
par l’avocat de Ludlow permettent de douter fortement de la
véracité de la tentative de suicide. Comme se le demande Laura
Kipnis : « Si pourtant l’épisode de la tentative de suicide
devient invraisemblable quels autres aspects de son histoire ont pu
se révéler improbables ». L’existence ou pas de cette
« tentative de suicide » n’est pas sans importance pour
ce qui s’ensuit. Elle n’a jamais été mise en doute par Slavin.
D’ailleurs, autre élément important, durant le cours de l’enquête
menée par Joan Slavin, Ludlow n’avait jamais été informé des
preuves qu’on disait détenir contre lui. Ainsi il ne savait pas
que Cho l’accusait de l’avoir tripotée dans l’ascenseur qui
montait jusqu’à son appartement. S’il en avait été alors
informé il aurait pu demander la consultation des vidéos de
surveillance de son immeuble afin de prouver que les allégations de
Cho étaient mensongères. Il ne l’apprit qu’à la lecture du
rapport de Slavin : trop tard puisque les vidéos de février 2012
avaient été depuis longtemps effacées. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Même
si l’on a des doutes, sinon plus sur la version des faits rapportée
par Cho à l‘enquêtrice en titre IX, on pourrait néanmoins
évoquer quelque chose de l’ordre d’une emprise d’un professeur
(parmi les plus brillants de son université) sur une étudiante de
première année. Cho assurément (au vu des échanges précédant la
soirée du 10 février entre l’étudiante et l’enseignant) était
fascinée par Ludlow. Mais en février 2012, je le rappelle, Cho
n’était plus l’étudiante de Ludlow : ce dernier « n’avait
plus un pouvoir institutionnel » sur elle. Quand Slavin et
d’autres évoquent la fragilité de Cho lors de cette fameuse
soirée avec son ancien professeur, Laura Kipnis renvoie aux photos
prises alors par les deux protagonistes durant la soirée (plus
celles d’un tiers) : « Cho parait heureuse et détendue ».
Des photos d’ailleurs diffusées par l’étudiante sur son compte
Instagram. Plus tard la jeune fille niera d’abord avoir publié ces
photos devant l’avocat de Lindlow, puis confrontée à leur
existence elle avancera que c’était pour se protéger « juste
au cas où les choses tourneraient très mal (…) J’avais
peur qu’il exerce des représailles contre moi ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Une
argumentation qui laisse dubitatif. C’est pourtant ce qu’auparavant
Joan Slavin avait retenu dans son rapport en indiquant que Lindlow
avait créé « comme un environnement intimidant, hostile ou
choquant » dans ses relations avec la jeune étudiante. Laura
Kipnis résume l’esprit de ce rapport de la façon suivante : « La
crédibilité de principe envers la plaignante n’a d’équivalent
que la méfiance de principe à l’égard de tout ce que dit
l’accusé ». Pour Slavin, la version des faits selon Ludlow
s’avère globalement mensongère. Cependant elle reconnaissait ne
pas pouvoir se prononcer sur le fait que le défendeur aurait touché
les seins et les fesses de la plaignante en raison des versions
contradictoires de Cho. Pas plus qu’elle ne semblait convaincue
quand le jeune étudiante affirmait que Ludlow lui aurait dit qu’il
l’aimait. Cela restait néanmoins secondaire pour elle en regard de
tout ce qui vient d’être mentionné. A titre d’hypothèse Laura
Kipnis avance que n’importe quel psychiatre confronté aux
témoignages discordants des deux protagonistes conviendrait, pour ce
qui concerne Cho, que l’on « retrouve très souvent de
pareilles manifestations chez ceux et celles à qui l’on
diagnostique un « trouble de la personnalité limite »,
dont les motifs incluent autant l’impulsivité sexuelle que la
victimisation ». Elle ajoute que devraient tout autant relever
de l’hypothèse « les stéréotypes prédominants sur le
campus de professeurs masculins prédateurs et de leurs pauvres
proies féminines sans défense ». </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ce
n’était pas tout à fait par hasard si Peter Ludlow se trouvait
ainsi dans l’oeil du cyclone. Ce professeur de philosophie du
langage n’avait pas que des amis dans son université. Les raisons
de cette hostilité plus ou moins larvée ne nous éloignent
nullement de notre sujet. Les cours de philosophie du cyberespace,
dans lesquels Ludlow projetait « des vidéos d’avatars
pornographiques », s’ils intéressaient une bonne partie des
étudiants en indisposaient d’autres. Cela valant aussi pour
quelques uns de ses collègues enseignants. Un article d’un
étudiant en journalisme s’y référant n’avait été du goût du
directeur du département de philosophie qui s’était plaint auprès
de la doyenne de l’université, puis de la responsable du titre IX,
une certaine Joan Slavin. Nous étions à la fin de l’année 2011,
peu de temps avant cette fatidique soirée du 10 février 2012.
Furent également évoquées entre eux des rumeurs concernant le
comportement de Ludlow envers deux doctorantes en philosophie (depuis
le témoignage d’une collègue de Ludlow auprès du directeur du
département de philosophie). Ceci en l’absence de tout dépôt de
plainte visant notre professeur. Slavin demanda à rencontrer les
deux doctorantes : la première déclinait l’invitation tandis que
la seconde, convoquée, affirmera ne pas vouloir s’en mêler.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cette
digression faite revenons à l’affaire Eunice Cho. Le rapport de
Slavin rendu (nous en connaissons la teneur) L’université ne
congédia pas Ludlow mais le déchut de sa chaire, réduisit son
salaire et le contraignit à suivre une formation de prévention du
harcèlement. C’était encore trop peu pour Cho qui poursuivit en
justice Northwestern. Cette mesure à ses yeux trop clémente n’avait
pas dissipé son syndrome de stress traumatique, bien au contraire.
L’université paya ses frais médicaux et accepta plus de
flexibilité sur sa présence en cours et lors de la remise de ses
travaux. L’un des enseignants de la jeune fille l’encouragea à
déposer une plainte contre Ludlow en dehors du cadre universitaire
et l’accompagna au poste de police. La déposition de Cho différait
sensiblement de celle rapportée par Slavin puisque, selon cette
nouvelle version, Ludlow l’avait menacée pendant la soirée avant
de tenter de la violer durant la nuit. Entre temps le rapport Slavin
s’était retrouvé dans le journal étudiant de l’université,
mais également dans la presse locale. Ludlow ne put alors plus
mettre les pieds dans une salle de cours, et sous la pression
étudiante l’université lui demanda de ne pas enseigner durant le
trimestre suivant. Lorsque la presse locale le traita de violeur
Ludlow entama des poursuites pour diffamation. La justice ne la
retint pas, estimant qu’il n’y avait pas de différence entre un
viol et une agression sexuelle.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Lors
du bilan de cette première « affaire Peter Ludlow »
Laura Kipnis constate. Premièrement : personne ne savait ce qui
s’était passé dans l’appartement de Ludlow entre ce dernier et
Cho (les versions du premier ne différant pas, à l’inverse de
celles de la seconde). Deuxièmement : Ludlow n’avait pas été
suffisamment prudent alors que le climat universitaire, sur ces
questions sensibles précisément, évoluait dans un sens régressif.
Troisièmement : l’âge légal pour consommer de l’alcool aux USA
étant fixé à 21 ans, le fait d’avoir payé toutes leurs
consommations cette soirée-là passait pour un facteur aggravant
(Cho n’ayant que 19 ans). Il reste à relever que Slavin puis
Kipnis ont toutes deux pris connaissance des nombreux messages
adressés avant le 10 février par Cho à Ludlow sans en tirer le
même enseignement. Là où la première affirme que les courriels de
Cho ne traduisent « aucun béguin ou élan amoureux de sa
part » (possibilité évoquée par Ludlow) mais que la jeune
étudiante voulait tout simplement « faire bonne impression »,
la seconde lui répond qu’en « rester là, c’est faire
preuve d’une acuité psychologique digne d’un mollusque ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Nous
sommes maintenant en février 2014, plusieurs mois après que le
rapport Slavin ait été rendu public. Lors d’un colloque, une
doctorante en philosophie du nom de Nola Hartley et sa directrice de
thèse, Jocelyn Packer (une collègue de Peter Ludlow : l’enseignante
qui avait « dénoncé » ce dernier au directeur du
département de philosophie à la fin 2011) ont un échange sur le
contenu de ce rapport. Ludlow et Packer qui entretenaient des liens
amicaux sont brouillés depuis plusieurs années. Nola Hartley confie
à sa directrice de thèse que cette « affaire Cho- Ludlow »
ressemble à ce qui lui est arrivé deux ans et demi plus tôt. A la
différence - ce qui n’est pas rien ! - que leurs liens (ceux d’une
étudiante de cycle supérieur et d’un enseignant) avaient débouché
sur une liaison. Précisons que les règlements universitaires ne les
interdisaient pas dans la mesure où « le professeur n’occupait
pas une position d’autorité ». Ce qui était le cas. Cette
liaison, soulignons-le, se trouve particulièrement documentée
puisque Ludlow et Hartley avaient constamment communiqué durant
leurs trois mois de relations, s’échangeant jusqu’à 80 textos
par jour au début de leur liaison. De quoi se faire une idée
précise de la vie des deux amants sur une courte période : la
totalité des textos, G Chat et Facebook se chiffrant à 2000
messages (communiqués plus tard par Ludlow à Kipnis). Parallèlement
Nola Hartley entretenait une relation avec un garçon de son âge,
vivant à Boston. Dans l’obligation, pressée par Ludlow, de faire
un choix elle finira par rompre avec lui. Laura Kipnis relève que
dès le début de leur liaison Nola Hartley avait pourtant obtenu de
son nouvel amant qu’il cesse de voir une autre femme.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cette
histoire, jusqu’ici anodine, prend une tout autre tournure
lorsqu’on connait la suite. Plusieurs semaines après cet échange
entre Hartley et Packer, la première « révélait » à
la seconde que « Ludlow avait déjà eu avec elle des rapports
sexuels sans son consentement alors qu’elle était ivre ».
Packer en informait rapidement Slavin qui écrira alors à Hartley
pour lui demander si elle désirait se confier. Celle-ci lui répondra
qu’elle craignait de parler à quiconque sur le campus parce que
« Ludlow était trop puissant » (pourtant nous savons
qu’en ce début d’année 2014 ce professeur de philosophie était
devenu persona non grata à Northwestern). C’est ici que cette
histoire devient particulièrement instructive puisqu’en février
2014 Nola Hartley n’était pas sans ignorer (contrairement à la
quasi totalité des lecteurs du rapport Slavin) que Ludlow avant
février 2012 avait déjà fait l’objet d’une enquête officieuse
de la responsable du titre IX puisqu’elle-même était l’une des
deux doctorantes convoquées par Slavin (suite à l’intervention du
directeur du département de philosophie, lui même alerté par la
vigilante Jocelyn Packer) comme ayant pu avoir des relations
sexuelles avec Ludlow. Harley étant celle des deux qui disait
vouloir ne pas sans mêler. Elle avait été ensuite recontactée par
Slavin lors « l’affaire Eunice Cho ». Nola Hartley se
contentait de préciser que cette relation « n’avait pas
toujours été plaisante » en indiquant cependant que ce qu’on
lui rapportait sur Cho différait de ce qu’elle avait vécu avec
Ludlow. A ce moment là (elle venait de rompre plusieurs mois plus
tôt avec lui) il s’agissait entre eux de relations consenties.
L’idée selon laquelle Ludlow aurait abusé d’elle ne lui était
venue qu’après la lecture du rapport Slavin qui, en raison de son
contenu, faisait en quelque sorte appel d’offre. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Joan
Slavin ayant déjà enquêté sur Ludlow il ne lui était pas
possible de récidiver. L’enquête en titre IX fut alors confiée à
une avocate de Chicago, Patricia Bob (dépourvue de toute expérience
en titre IX). A ce sujet Laura Kipnis remarque que « son manque
de familiarité avec le milieu universitaire s’est révélée
préjudiciable sur de nombreux points ». Venons en à
l’accusation. Dans le rapport établi par Bob, Hartley y précise
qu’en une occasion « elle s’était réveillée sans
sous-vêtements dans le lit de Ludlow », en réalisant qu’ils
avaient eu « des rapports sexuels sans son consentement ».
Ce qu’elle expliquait par le fait qu’elle avait bu trop de vin la
veille et ne se trouvait plus en capacité de se souvenir de ce qui
s’était passé. C’est à dire presque le copié-collé de la
version donnée par Cho à l’enquêtrice du titre IX, et entérinée
par le « rapport Slavin », à la différence certes
conséquente que Nola Hartley était l’amante de Peter Ludlow.
Patricia Bob rencontre alors ce dernier pour l’informer qu’elle
enquêtait sur la base d’un signalement de « relation non
appropriée » avec une doctorante, et d’allégation d’un
rapport sexuel non consenti. Ludlow en déduit qu’il ne peut s’agir
que de Nola Hartley et confectionne un épais dossier chronologique
sur sa relation avec la jeune femme (comprenant les 2000 messages et
de nombreuses photos). Ce qui prouvait sans contestation possible
qu’il s’agissait bien sur un plan général de relations tout à
fait consenties. D’ailleurs les textos échangés entre eux le
lendemain de la nuit du présumé viol ne concernaient que l’état
difficile de leur relation (Hartley se confondant même en excuses
pour trop hésiter entre lui et le petit ami de Boston). Bob en
informa Hartley qui revint en partie sur sa déclaration en
confirmant l’existence d’une relation amoureuse sanctionnée par
l’existence d’un seul rapport sexuel (elle avait passée
plusieurs nuits chez Ludlow, mais tous deux étaient restés habillés
: toujours le copié-collé !). Quant au viol elle ne se souvenait
plus à quelle date il avait eu lieu.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Pourquoi,
contre toute logique, contre l’évidence même, contre le monceau
de preuves apporté par Ludlow, Patricia Bob allait finalement
retenir la seconde version de Nola Hartley ? En premier lieu parce
qu’elle était déjà convaincue avant de le rencontrer que Ludlow
était un menteur et un manipulateur. Non seulement, l’ayant
auditionné, elle ne le croit pas mais dans son rapport elle réécrit
l’histoire de cette liaison, en réinterprétant un certain nombre
de données, voire en en falsifiant d’autres. Laura Kipnis relève
à la lecture de ce rapport que ce qui paraîtrait évident à tout
lecteur de bonne foi se heurte aux convictions de l’avocate « selon
lesquelles le désir est à sens unique, et l’homme seul maître à
bord ». Bob écrivant que « étant donné son âge et le
déséquilibre de pouvoir entre eux, Nola Hartley était vulnérable
et sensible à la conduite de Ludlow ». La doctorante avait
alors 25 ans, et la correspondance des deux protagonistes infirmait
pourtant ce genre d’assertion. A tout prendre, il paraît
préférable de se trouver confronté à une Joan Slavin, à sa
« psychologie de mollusque » et son « exploitation
des préjugés éculés sur la nature des hommes et des femmes »,
mais au moins en bonne administrative elle ne faisait pas preuve
d’imagination. Car Patricia Bob au lieu de rédiger un rapport en
titre IX écrit un roman dans lequel Hartley devient une petite fille
sans défense victime d’un méchant prédateur. Les extraits de ce
rapport cités par Laura Kipnis seraient du plus haut comique si on
ne connaissait pas la suite. D’ailleurs Kipnis soupçonne Bob de
n’avoir que survolé le substantiel dossier des échanges de
messages communiqué par Ludlow (à l’exception de ceux du
lendemain du prétendu viol) puisque sa conviction était déjà
faite.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cependant,
malgré tout, Patricia Bob ne peut se résoudre à se prononcer sur
l’allégation de viol en raison des versions contradictoires de
Nola Hartley. En revanche, dans les conclusions de son rapport, elle
écrit que Ludlow « a profité du pouvoir qu’il tenait de
l’asymétrie de leur relation universitaire entre professeur et
étudiante (…) Cette relation ayant causé de sérieux dommages
émotionnels » à la doctorante. Elle va jusqu’à en déduire
que « Ludlow emploiera tous les moyens possibles pour ruiner sa
carrière ». Non seulement c’est faux mais ce dernier aidera
Hartley, après leur rupture, « à organiser un séjour de
recherche ». Malgré la restriction relevée plus haut, des
blogs de « féministes en colère » persisteront ensuite
à associer le qualificatif de violeur au nom de Ludlow.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Comment
Nola Hartley, qui avait pourtant pris la responsabilité de la
rupture, en était arrivée presque deux ans et demi plus tard à
réviser ainsi ces trois mois de liaison ? Ce n’était pas la
parole de l’un contre la parole de l’autre puisque cette relation
se trouvait authentifiée et illustrée par maints messages de nature
amoureuse. C’est ici qu’entre en scène un personnage que nous
retrouverons plus tard, une philosophe féministe du nom de Heidi
Lockwood (qui passe pour être une spécialiste du « consentement
sexuel »), promue conseillère de Nola Hartley. C’est elle
qui a inspiré en grande partie le rapport de Patricia Bob, laquelle
y indique d’ailleurs que Lockwood « avait convaincu Hartley
que sa relation avec Ludlow ne pouvait pas avoir été consensuelle,
compte tenu de l’illégalité de pouvoir entre eux ». Les
conclusions du rapport de Bob allaient tout à fait dans ce sens. Le
propos de Lockwood n’est pas tout à fait nouveau puisqu’il
prolonge, en en gommant les aspects les plus outranciers, le point de
vue des féministes anti-pornographie du siècle dernier, MacKinnon
et Dworkin (pour qui toute relation sexuelle s’apparente à un
viol). Selon Lockwood (relève Laura Kipnis) « Le facteur
décisif servant à déterminer si un rapport sexuel a été consenti
ou pas n’est pas « le consentement sexuel » en
tant que tel mais plutôt « le contexte ». Dans le cas de
rapports de force inégaux entre les deux parties le consentement
alors serait obtenu par « la contrainte, ou par la peur de dire
non » ». Ainsi, relève encore Kipnis, « pour Heidi
Lockwood l’autonomie sexuelle des femmes en elle-même paraît
n’être en somme qu’un mythe ». </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">J’imagine
que maints lecteurs ignorant la situation qui vient d’être exposée
seraient prêts à abonder dans le sens de la thèse de Lockwood (sur
la foi de « relations inégalitaires »). Pourtant, dès
lors que l‘autonomie sexuelle des femmes serait un mythe, ajoute
Kipnis, « </span><span lang="fr-FR"><em>qui
</em></span><span lang="fr-FR">peut
bien consentir à une relation sexuelle ? Pas les femmes évidemment.
Comment le pourrions nous ? Quelqu’un pourrait être en train de
nous manipuler mentalement ». Ce n’est même pas pousser le
raisonnement de Lockwood jusqu’à l’absurde que de constater
qu’ainsi « toute personne ayant plus de pouvoir (un homme, un
professeur, un salarié ayant des revenus élevés) qui a une
relation sexuelle avec une personne ayant moins de pouvoir (une
femme, un étudiant, une salariée à faibles revenus) est un violeur
</span><span lang="fr-FR"><em>même
si cette personne au moindre pouvoir a consenti</em></span><span lang="fr-FR"> ».
Patricia Bob, dans son rapport en titre IX, n’a pas été jusque
là, laissant planer le doute en raison des imprécisions de la
mémoire de Nola Hartley, mais ses conclusions entérinent la thèse
d’Heidi Lockwood.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Une
féministe comme Laura Kipnis ne peut que s’indigner contre une
thèse qui « vient nourrir (…) une vision sentimentalisme de
l’impuissance féministe », qui transforme la réalité
(celle des messages échangés fin 2011 entre nos deux protagonistes
: Nola, indique Kipnis, « est confiante, drôle et maître de
soi. Elle remet Ludlow à sa place, elle discute philosophie, elle le
houspille lorsqu’elle se met en rogne. Elle ne parait pas le moins
du monde déférente ou intimidée ») en son contraire : Nola
Hartley est devenue plus de deux ans plus tard une victime. Ce qu’il
y a de pire dans l’idéologie néoféministe est passée par là :
dés lors que Hartley accède au statut de victime, Ludlow ne peut
être qu’un prédateur sexuel.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cette
seconde action en titre IX de l’université contre Peter Ludlow
réussira là où la première n’avait qu’en partie été suivie
d’effets. Laura Kipnis consacre un chapitre à cette « audience
de congédiement ». Elle avait quelques mois plus tôt publié
son article sur « La paranoïa sexuelle à l’université »
quand l’avocat de Ludlow la sollicita pour lui demander si elle
acceptait de servir de soutien à son client. Laura Kipnis hésita (à
cette époque elle ignorait l’essentiel des affaires Cho et
Hartley, ou le rôle occulte d’une Heidi Lockwood), puis finalement
accepta. C’est à cette occasion qu’elle rencontra pour la
première fois Peter Ludlow. Lors des audiences elle eut la nette
impression que Northwestern voulait se débarrasser de Ludlow alors
que ce qui était retenu contre lui n’avait pas de caractère de
gravité bien prononcé. Aucun des deux rapports de titre IX ne
« l’avait déclaré coupable d’agression sexuelle »,
ne retenant pas par exemple l’accusation de viol de la seconde
plaignante. Comme l’ombre de la précédente procédure en titre IX
planait sur les audiences il était principalement reproché à
Ludlow d’avoir bu en compagnie d’une étudiante n’ayant pas
l’âge légal pour consommer de l’alcool ! Notre professeur avait
été certes sanctionné mais il avait cependant conservé son
emploi. Fait remarquable : ni Eunice Cho, ni Nola Hartley n’étaient
présentes lors de l’audience (toutes deux avaient refusé d’y
participer). Ce qui « signifiait que l’avocat de Ludlow
n’aurait aucune occasion de les interroger sur leurs versions des
faits ». Par conséquent, comme l’indique Kipnis, « toute
cette affaire n’était donc, judiciairement parlant, qu’une
formidable imposture ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Mais
pourquoi Northwestern tenait elle donc tant à sa débarrasser de
Ludlow ? Parce qu’il « était devenu un cauchemar pour les
relations publiques » universitaires. En raison de
manifestations étudiantes, soutenues par une partie du corps
professoral : un fort contingent d’étudiants se mobilisait contre
les cas inconduites sexuelles en général et Ludlow en particulier.
Ceci au moment du lancement par Northwestern d’une importante
campagne de financement d’une valeur de 3,75 millions de dollars.
Du point de vue des retours sur investissement le cas de ce
professeur de philosophie faisait tâche. Malgré la déposition
remarquée de Jessica Wilson (une philosophe féministe, amie proche
de Ludlow depuis quinze ans) dont le témoignage sur l’homme
contredisait point par point le « portrait à charge » de
l’intéressé, ce dernier prit finalement la décision de
démissionner, anticipant une décision qui ne pouvait que lui être
défavorable (son défenseur, par exemple, ne faisant pas le poids
devant les trois avocats de l’université rompus à ce genre
d’exercice).</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">La
suite en découle. Deux contrats d‘édition furent annulés, ainsi
que la participation de Ludlow à une revue (sous la pression des
autres collaborateurs). Ludlow dut vendre son appartement de Chicago.
Quand Laura Kipnis le revit une année plus tard lors de la
préparation de son ouvrage (</span><span lang="fr-FR"><em>Le
sexe polémique…</em></span><span lang="fr-FR">)
Ludlow, devenu persona non grata dans toutes les universités
américaines, résidait au Mexique (« où il pouvait vivre de
manière plus économe »). Ainsi « il avait à peu près
tout perdu (…) et ses perspectives d’emploi étaient nulles ».
C’est ce qu’on appelle « une mort sociale ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Il
importe de souligner ici le fait suivant. Six mois après que
l’université se fut débarrassée de ce professeur de philosophie,
un accord entre Peter Ludlow et Eunice Cho mettait fin à la
procédure civile : la jeune femme abandonnait les poursuites pour
violences à caractère sexuel et son ancien professeur retirait sa
plainte pour diffamation. Ludlow rendit alors publique la lettre que
Cho avait adressé au jury du procès qui vient d’être évoqué :
elle y expliquait les raisons de son absence à l’audience. En
substance elle disait ne plus faire confiance en l’université,
laquelle « ne pouvait plus compter sur son appui pour licencier
le professeur Ludlow ». Il était regrettable que cette lettre
n’ait pas été lue durant le procès. Pour conclure, Laura Kipnis
indique que « Ludlow était coupable, mais pas de ce dont
l’université l’avait accusé. Son crime avait été de penser
que les femmes ayant l’âge du consentement avaient une pleine
capacité d’agir en matière de sexualité, une opinion qui est
devenu hérétique malgré le fait qu’elle ait jadis été une
position féministe de la plus haute importance ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Le
troisième cas de plainte en titre IX concerne l’auteure de
l’ouvrage que nous commentons. J’ai indiqué plus haut dans
quelles conditions. Rapidement Laura Kipnis était contactée par un
cabinet d’avocats de Kansas City, que l’université mandatait
pour enquêter sur son cas. Kipnis eut toutes les peines du monde à
connaître l’identité de ses accusatrices (Eunice Cho et Nola
Hartley, le lecteur l’a sans doute deviné), puis le relevé écrit
des accusations. On l’informa que l’une des deux plaignantes
alléguait que l’article incriminé (traitant je le rappelle de
« la paranoïa sexuelle à l’université ») avait eu
« un effet dissuasif sur la capacité des étudiants à
signaler des inconduites sexuelles ». Une telle opacité (l’un
des effets pervers d’une demande de confidentialité lésant
principalement les défendeurs) incitait Laura Kipnis à réfléchir
sur la signification du titre IX, cette donnée étant relativement
absente de son article. Les nombreuses lettres que cet article avait
suscité provenaient d’enseignants, voire d’étudiants confrontés
à cette même paranoïa sexuelle. Ces courriers émanaient le plus
souvent de collègues professeurs qui tous l’informaient de leurs
difficultés : les uns évitaient de discuter en cours de questions
sexuelles « sensibles », d’autres l’informaient que
des étudiants refusaient d’assister aux cours portant sur les
aspects juridique du viol, un autre encore l’évoquait au sujet
d’un ouvrage sur l’inceste. Sans parler des enseignants dont le
sommeil se trouvait affecté quand ils tentaient la nuit de se
remémorer l’anodine remarque en cours qui pourrait déboucher sur
« des plaintes, des croisades sur les médias sociaux, un
éventuel licenciement », etc. En recevant ces premiers
courriers (elle n’avait pas encore été informée de la plainte la
concernant), Laura Kipnis pensait que certains de ses correspondants
exagéraient. Il n’en était rien, comme elle le vérifiera
rapidement.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Kipnis
n’avait pas encore rencontré de visu les deux enquêtrices quand
paru, sur un site d’une certaine notoriété, un texte qui s’en
prenait à son article sur « la paranoïa sexuelle ». On
y apprenait que « deux étudiantes anonymes avaient déposé
contre moi des plaintes pour représailles ». En raison du
contenu de cet article, l’une des deux plaignantes (ou les deux) en
était certainement l’auteure. Sans que l’on puisse en faire la
preuve. Cependant Laura Kipnis n’était pas la seule visée dans ce
texte puisque le président de l’université se trouvait lui aussi
sur la sellette pour un article dans </span><span lang="fr-FR"><em>Wall
Street Journal, </em></span><span lang="fr-FR">une
défense des libertés universitaires soupçonnée prendre
implicitement le parti de l’article de Kipnis. Néanmoins c’était
prendre le risque d’un effet boomerang. D’ailleurs, lors de cette
rencontre de visu entre Laura Kipnis et les deux enquêtrices, ces
dernières lui demandèrent si elle désirait porter plainte contre
les plaignantes pour avoir transgressé la règle de confidentialité.
Laura Kipnis n’en fit heureusement rien. Elle remit ce jour-là aux
deux enquêtrices toute la documentation concernant la rédaction de
son article. Kipnis était accompagnée d’une « personne de
soutien » (le président du Conseil des professeurs de son
université), comme toute personne sous le coup d’une procèdure en
titre IX y avait droit.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Deux
mois plus tard les enquêtrices informaient Laura Kipnis que « de
nouvelles plaintes en titre IX avaient été déposées contre ma
personne de soutien ». Celle-ci, indignée contre la procédure
visant Kipnis, s’était exprimé publiquement lors d’une réunion
de ce Conseil. Les deux plaignantes lui reprochant d’avoir rompu
cette fameuse confidentialité. Ce qui ne manquait pas de sel. Peu de
temps après Laura Kipnis publiait un nouvel article dans </span><span lang="fr-FR"><em>Chronicle
</em></span><span lang="fr-FR">(« My
Title IX inquisition ») qui eut encore plus d’écho que le
précédent. Les réactions débordèrent le cadre universitaire :
de nombreux lecteurs découvrirent non sans étonnement que l’on
pouvait être traîné devant une juridiction pour l’écriture d’un
article. En ce qui concerne Kipnis tout alla très vite. Douze heures
après la mise en ligne de « My Title IX inquisition »
elle recevait un courriel de l’enquêtrice en chef l’informant
« qu’elle avait été blanchie de toutes les accusations ».
Quelques jours plus tard les plaintes contre sa personne de soutien
étaient retirées. Par le même canal Laura Kipnis apprenait que Cho
et Hartley avaient déposé de nouvelles plaintes contre elle. Des
plaintes retirées peu de temps après.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Laura
Kipnis reçut de nombreuses lettres après la publication de ce
second article. Un de ses correspondants l’informait du rôle plus
ou moins occulte d’Heidi Lockwood « parmi les acteurs
d’arrière-scène impliqués dans les plaintes » contre elle.
Voulant approfondir la question Kipnis constata que la philosophe
féministe avait colporté « des rumeurs pernicieuses »
sur les membres du département de philosophie de Northwestern en
général, et sur Peter Ludlow en particulier. Elle dégageait
ensuite sa responsabilité en affirmant qu’elle ne faisait que
répéter ce qu’on dit, sans se porter garante de la véracité des
propos ». D’où chez elle la formulation selon laquelle il
peut y avoir « corruption pour une noble cause quand on est
convaincu qu’une fin légitime des moyens frauduleux ». On
retrouve l’antienne bien connue de la fin justifie les moyens. Je
laisse le soin au lecteur de découvrir par lui-même dans </span><span lang="fr-FR"><em>Le
sexe polémique… </em></span><span lang="fr-FR">les
raisons biographiques qui expliqueraient, selon Laura Kipnis,
l’engagement néoféministe d’une Heidi Lockwood.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
terme de représentation du monde, pour cette philosophe, les femmes
« ne sont que les passifs réceptacles » des hommes. Dans
l’une de ses publications en ligne (</span><span lang="fr-FR"><em>The
extrême badness of silence </em></span><span lang="fr-FR">:
depuis des conversations avec des étudiantes des cycles supérieurs),
Lockwood avance que chacune d’elles « avait été presque
détruite à cause d’une expérience avec un professeur
sexuellement vorace ». Cela provoquant chaque fois « une
variété de réactions apparentées au trouble de stress
post-traumatique » : « des nausées » en retournant
sur les lieux de l’incident, et même après la tentative d’un
baiser, « un sentiment de terreur » à se retrouver
« seules en classe avec un professeur masculin », ainsi
que « la peur de suivre des cours avec des hommes dans la
classe ». Un tableau caricatural et grotesque que l’on a dans
un premier temps pas envie de prendre au sérieux. Moins cependant
quand on prend en considération la responsabilité d’Heidi
Lockwood dans le bannissement de Peter Ludlow, voire la procédure en
titre IX contre Laura Kipnis. On ne saurait oublier une Jocelyne
Parker, qui elle était intervenue chaque fois « à charge »
contre Ludlow lors des deux affaires le concernant. Mais il
s’agissait peut-être pour elle de régler des comptes puisque -
comme Ludlow en informa Kipnis - tous deux étaient alors brouillés.
Et puis Parker, « qui, en tant que directrice de thèse, était
ce qu’on appelle un « rapporteur mandaté » (donc
« tenue de transmettre toute information qu’on lui aurait
communiquée concernant une agression sexuelle ») se trouvait
pour ainsi dire mandatée par l’institution. Plus pernicieux étant
le rôle davantage occulte d’une Heidi Lockwood, celui d’une
idéologue néoféministe ayant conseillé Nola Hartley de la façon
que l’on sait. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Il
ne faudrait pas pour autant croire que seuls les enseignants feraient
l’objet d’enquêtes dans le cadre du titre IX (pas plus que
Northwestern relèverait de l’exception : toutes les universités
américaines se trouvant concernées). Laura Kipnis cite de nombreux
cas d’étudiants accusés d’inconduite sexuelle. Elle relève
chaque fois ce qu’a de préjudiciable la procédure en question.
Ses remarques corroborent le fait que pour « certaines de nos
féministes les plus notoires, savoir si l’on accorde ou pas un
traitement équitable aux étudiants masculins accusés d’inconduite
sexuelle n’a pas vraiment d’importance ». Ce que traduit
Zarline Maxwell dans un article publié par le </span><span lang="fr-FR"><em>Washington
Post </em></span><span lang="fr-FR">en
2014 : « Nous devrions d’office croire ce que dit une
accusatrice. Car il en coûte plus de douter à tort d’une
survivante que de désigner un violeur ». Nous reviendrons sur
cette forte parole dans la seconde partie.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Comme
on l’a vu, la procédure de titre IX concernant Laura Kipnis
prolongeait en quelque sorte celles instruites auparavant contre
Peter Ludlow. Il en est d’autres, auxquelles notre auteure ne s’est
pas trouvée associée, mais qui rapportées dans son livre n’en
sont pas moins significatives. La première histoire part d’un fait
banal. Plusieurs étudiants des deux sexes se retrouvent à
l’extérieur du campus d’une ville du Colorado lors d’une
soirée bien arrosée. A ce point que dans un état d’ivresse bien
avancé certains ne se souviennent plus le matin de ce qui s’est
passé durant la nuit. Deux d’entre eux, Ann et Ben, se sont
retrouvés nus dans une chambre à coucher. Sans pour autant penser
qu’ils ont eu des rapports sexuels. Cependant, trois mois plus
tard, Ann retrouvait la mémoire et déposait une plainte contre Ben
pour « sexe forcé ». L’université, enquêtant, en
conclut à la culpabilité de Ben sans pourtant l’avoir interrogé.
En prenant connaissance de ce rapport Ben découvre que l’enquête
a été particulièrement bâclée. N’ayant pas les moyens de se
payer les services d’un avocat il s’adresse au professeur qui le
dirige, David Barnett. Ce dernier prend à coeur la situation de Ben
et se livre à une contre-enquête. Son rapport, certes officieux,
infirme sur de nombreux points celui de l’université et souligne
maintes omissions. Par exemple était absent le témoignage de l’amie
présentée par Ann comme étant son témoin de moralité. A qui elle
avait dit au lendemain de la beuverie qu’elle ne se souvenait plus
de rien : l’amie en question la soupçonnant d’avoir ensuite
inventé l’agression sexuelle par Ben pour apaiser son petit ami
jaloux. L’université ripostait non sur le contenu de ce rapport
mais sur sa forme en accusant Barnett « d’avoir enfreint les
dispositions sur la discrimination et le harcèlement sexuel »,
de s’être conduit irrespectueusement envers les règles du
professorat et d’avoir voulu se venger. L’université gagnait sur
tous les tableaux : Ben avait déjà été exclu, et Barnett était
« déclaré coupable des charges pesant contre lui ».
David Barnett faisait appel, ce qui entraînait l’université à
lui proposer un deal : 160 000 dollars de dommages et intérêts
contre sa démission. Il convient d’ajouter que le co-locataire de
Ben, Cary, pour la note burlesque, avait de son côté dans un second
temps déposé une plainte contre Ann, qu’il accusait durant la
fameuse nuit d’avoir « grimpé dans son lit pendant qu’il
dormait » pour le tripoter. L’université reconnaissait Ann
coupable d’inconduite sexuelle (après lui avoir auparavant versé
une coquette somme d’argent) mais se contentait de lui infliger une
peine de sursis.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Laura
Kipnis signale également le cas d’un enseignant qu’une jeune
fille avait abordé dans un bar, en dehors du campus. Tous deux, se
revoyant, s’étaient embrassés lors de l’une de ces rencontres.
La jeune femme s’inscrivait plus tard dans le département où
enseignait ce professeur. La directrice de ce département (présentée
comme « une féministe résolue ») avait convoqué les
étudiants des cycles supérieurs pour les interroger sur les
comportements sexuels non désirés. La jeune femme avait alors
évoqué ce baiser, « ajoutant qu’il n’avait pas été
désiré ». Ensuite interrogé, l’enseignant récusait cette
version : selon lui la jeune femme « avait pris les devants ».
La procédure engagée en concluait qu’il n’y avait pas de preuve
suffisante pour soutenir l’accusation de harcèlement sexuel (de
surcroît la plaignante n’était pas alors inscrite à
l’université). Cependant la directrice du département convoquait
l’enseignant pour lui signifier « qu’en cette troisième
année de son contrat d’une durée de cinq ans, il était
remercié ». </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Laura
Kipnis consacre plusieurs pages à la consommation d’alcool à
l’université, dont nous rappelons qu’aux USA l’âge légal
pour en consommer est fixé à 21 ans. Ce qui parait difficilement
compréhensif si l’on sait que dans la quasi totalité des États
américains la majorité civile se trouve fixée à 18 ans. Nous
avons vu avec l’affaire Cho - Ludlow que ce rapport à l’alcool
n’avait pas été sans incidence sur le déroulement de l’enquête
universitaire. Kipnis constate que quand deux étudiants ivres ont
une relation sexuelle, si elle est portée à la connaissance de
l’université celle-ci la déclare non consentie. Laura Kipnis,
partant du principe (exposé devant ses étudiantes) selon lequel il
importe « de baiser tous les mecs que vous voulez », mais
« de s’abstenir de baiser ceux dont vous ne voulez pas »
ajoute : « Or c’est là que les choses se corsent, puisque
cela exige justement des femmes qu’elles résistent à ce qu’elles
ne veulent pas. Est exigée une certaine dose de lucidité qui ne
vient pas naturellement quand on est dans les vapes ». Il
s’agit bien évidemment d’un terrain miné au sujet duquel,
« pour solution, les administrations universitaires ont cru bon
ériger en délit les relations sexuelles dés lors que l’un ou
l’autre des protagonistes consomme de l’alcool ». Ce qui
revient à dire, « en cas de plainte, de tenir les hommes comme
seuls responsables ». Certes, précise Laura Kipnis, un
parallèle reste à faire entre la consommation d’alcool et
l’agressivité masculine (du moins dans certains cas). L’auteure
insiste aussi sur le fait que boire déresponsabilise. Mais si cela
rend de nombreux hommes agressifs, la consommation d’alcool, dans
les mêmes proportions, n’a t-elle pas tendance à rendre les
femmes passives ? Ainsi Kipnis écrit, en faisant rimer beuverie et
amnésie : « Ce que les hommes </span><span lang="fr-FR"><em>et
</em></span><span lang="fr-FR">les
femmes ont </span><span lang="fr-FR"><em>tous
</em></span><span lang="fr-FR">principalement
oublié, c’est la dernière cinquantième d’années marquée par
le progrès vers l’autonomie des femmes. D’où cette pseudo
expression de l’égalité des sexes : boire comme les mecs
! ». </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Par
association Laura Kipnis aborde le sujet délicat de « l’ambivalence
sexuelle ». Elle se réfère alors à un article de Veronica
Ruckh traitant du « viol équivoque ». Une expression
appelée à rencontrer un certain succès sur les campus américains.
Ruckh se réfère ici « aux rapports sexuels auxquels les
femmes participent sans en avoir envie, parce qu’elles ne disent
pas non ou ne le peuvent pas, ou parce que l’homme n’a pas
demandé leur consentement et s’est tout simplement exécuté ».
A vrai dire Kipnis le mentionne parce qu’elle a retrouvé cette
notion dans une procédure en titre IX où la future plaignante, lors
d’un exposé sur le « viol équivoque » par la
représentante en titre IX de son université, s’était retournée
contre le collègue étudiant avec qui elle avait eu deux rapports
sexuels huit mois plus tôt. Lors de cet exposé elle avait compris,
ou plutôt cru comprendre que l’un des deux rapports sexuels
n’avait pas été alors consenti. La même responsable en titre IX,
enquêtant depuis la plainte de cette étudiante, y souscrira. Ce que
l’université entérinait en expulsant l’étudiant incriminé
pour « une relation non consentie ». D’où il ressort
que la notion de « viol équivoque » risque d’être de
plus en plus évoquée dans ce cadre-là pour requalifier des
relations sexuelles d’abord consenties. C’est là l’un des
aspects les plus pernicieux de la question. Cette notion s’inscrit
en faux contre toute approche individualisée dans le domaine pour le
moins complexe des relations sexuelles. C’est la version soft,
depuis des pseudo justifications psychanalytiques, de l’assertion
selon laquelle toute relation sexuelle s’apparente à un viol. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Une
donnée relevée par ci par là dans les pages du </span><span lang="fr-FR"><em>Sexe
polémique…</em></span><span lang="fr-FR">,
aurait pu faire l’objet d’un chapitre particulier. Celui relatif
à l’existence d’un marché des « inconduites sexuelles »
aux USA au travers duquel les universités américaines ne sont pas
sans tirer un double bénéfice. D’abord du point de vue de la
concurrence entre elles. Laura Kipnis indique que « le succès
d’une université américaine dans « sa lutte contre les
agressions sexuelles » se mesure à l’augmentation des
plaintes retenues ». Ce qui fait appel d’offre et n’est pas
sans incidences sur l’orientation des enquêtes en titre IX. Cela,
indépendamment de cet aspect concurrentiel, conforte l’opinion
selon laquelle « le monde universitaire se mobilise contre les
agressions sexuelles ». Dès lors que les universités
américaines se comportent de plus en plus comme des entreprises les
étudiants deviennent des clients : la satisfaction du client doit
alors primer. Et comment mieux le satisfaire que de lui accorder ce
qu’il serait censé demander. Ce n’est pas anodin d’ajouter
avec Kipnis « qu’il est de plus en plus facile de déposer
des plaintes de façon </span><span lang="fr-FR"><em>anonyme</em></span><span lang="fr-FR"> »,
pour constater « que sont réunies dans nos établissements
universitaires toutes les conditions favorables à une chasse aux
sorcières ». </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">L’autre
aspect de ce bénéfice est d’ordre pécuniaire. J’ai plus haut
cité quelques exemples : il y a comme une surenchère dans le
montant des dommages et intérêts, des honoraires d’avocats et des
frais de justice qui met particulièrement à jour les inégalités
sociales. Mais ce second aspect de la question n’ayant pas été
développé par Laura Kipnis j’en resterai là. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
citant d’autres cas similaires à ceux déjà relevés, Laura
Kipnis en conclut que « les nouveaux règlements universitaires
ne </span><span lang="fr-FR"><em>préviennent
</em></span><span lang="fr-FR">pas
les relations sexuelles non consenties mais les </span><span lang="fr-FR"><em>produisent</em></span><span lang="fr-FR"> ».
Des politiques universitaires qui reproduisent ce que d’aucuns ont
appelé « la comédie des sexes » puisqu’elles
accréditent in fine l’idée, insiste Laura Kipnis, que « les
hommes sont capables d’agir » alors que « les femmes
subissent passablement les événements ». Ce qui peut paraître
paradoxal parce que dans la réalité, comme nous venons de
l’observer en plusieurs occasions, ce sont principalement les
étudiants, voire les professeurs de sexe masculin qui en subissent
les conséquences. Ce sentiment d’arbitraire, d’injustice,
d’absurdité que nous éprouvons devant l’exposé de situations
qui, pour certaines d’entre elles, dans le détail des
investigations, relèvent de « la bêtise au front de
taureau », nous en connaissons les causes : l’idéologie
néoféministe et ce que conséquemment elle produit, en l’occurrence
ce climat de paranoïa sexuelle sur les campus américains. D’où
la question posée implicitement par Laura Kipnis dans </span><span lang="fr-FR"><em>Le
sexe polémique… </em></span><span lang="fr-FR">:</span><span lang="fr-FR">le
féminisme est-il du côté de l’émancipation (à travers entre
autres « la capacité d’agir des femmes ») ou de
l’asservissement (le ressentiment, la victimisation, le
puritanisme…) ? Le féminisme que dénonce Kipnis « guide
aujourd’hui les universités dans un esprit profondément
conservateur et répressif, détournant les ressources financières
destinées à l’éducation vers l’appareil punitif ». Dans
cet ordre d’idée il importe d’appeler un chat un chat. Laura
Kipnis l’illustre à travers les lignes suivantes : « On sait
que les factions considérées comme les plus radicales du courant
dominant du féminisme américain ont en fait souvent été des
conservatrices qui s’ignoraient, se consacrant aux modèles les
plus convenus de la vertu et de la délicatesse féminine ».
D’ailleurs ces féministes soi-disant « radicales »
n’ont pas hésité « à faire alliance avec les chrétiens
conservateurs contre le démon de la pornographie ». Et de
manière plus déterminante (et plus significative) les discussions
sur les « questions de classe » se sont trouvées
réduites à une peau de chagrin.</span></p>
<p align="center" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">2</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cela
n’arrive-t-il qu’aux États-Unis ? Oui pour ce qui concerne le
dispositif titre IX (et ses effets délétères). Oui pour ce vieux
fond de puritanisme qu’une partie des féministes américaines
réactualise en percevant le sexe comme le lieu de tous les dangers
(« On le percevra dangereux, plus souvent qu’en temps normal,
et tout ce qui lui est assorti paraîtra menaçant, même ce qui est
complètement inoffensif - une remarque audacieuse, une blague
idiote » (Laura Kipnis)). Non en se référant à un courant
néoféministe présent dans l’université française, parfaite
réplique de l’exemple américain, quoique minoritaire lui. Non en
indiquant que les thématiques rapportées depuis l’ouvrage de
Laura Kipnis ne sont pas absentes de maints débats hexagonaux depuis
une vingtaine d’années, y compris en dehors du féminisme
proprement dit.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Je
passe rapidement sur un premier exemple. En février 2002 le
démographe Hervé le Bras était accusé d’avoir harcelé
sexuellement une doctorante. La plainte déposée contre lui
débouchera sur un non lieu en novembre de la même année. Dans
cette séquence la Heidi Lockwood de service s’appelait Éric
Fassin, un sociologue bien connu. Je renvoie le lecteur aux pages
écrites sur cette significative et instructive « affaire le
Bras » dans </span><span lang="fr-FR"><em>Néoféminisme
et ordre moral<a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote2anc" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote2sym"><sup>2</sup></a>.</em></span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Le
second exemple date de février 2020. Nous disposons de deux
versions. La première émane de Pauline Peretz, maître de
conférences à Paris 8 (co-auteure d’un ouvrage sur le dossier
secret de « l’affaire Dreyfus »). Dans le cadre d’un
enseignement (« L’histoire sous d’autres formes »)
portant sur les usages publics de l’histoire, le cours du 11
février devait être consacré aux représentations de « l’affaire
Dreyfus », et en particulier « à l’interprétation qui
en a été proposée par le film </span><span lang="fr-FR"><em>J’accuse
</em></span><span lang="fr-FR">de
Roman Polanski ». Dès le premier cours deux étudiantes
émettaient des réserves. Une discussion collective s’ensuivait.
Pauline Peretz justifiait son choix « par l’originalité du
parti pris historiographique de ce film dans un champ où
l’héroïsation de Dreyfus (ou non) pose encore question ».
Il était également précisé aux étudiantes « qui ne
voulaient pas discuter de ce film » (lequel ne serait pas
projeté) « qu’elles n’étaient pas obligées d’être
présentes le 11 février ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ce
jour-là « un groupe de 12 à 15 jeunes femmes »
étrangères au cours de Pauline Peretz (à une exception près)
entraient dans la salle de cours en affirmant que « toutes étaient
là pour empêcher la discussion sur le film de Polanski (…)
qu’elles ne quitteraient la salle » que sous cette condition.
Ce que l’enseignante refusait en proposant que l’on débatte
« des raisons pour lesquelles je souhaitais maintenir cette
discussion et des enjeux de liberté académique qui y étaient
associés ». Elle se heurtait bien évidemment à une fin de
recevoir. L’un des membres du commando néoféministe écrivit au
tableau noir le nom de chacune des victimes présumées de Polanski,
puis accusa Pauline Peretz de complicité envers un violeur. D’autres
lurent un texte « dans lequel il était dit une nouvelle fois
qu’étudier Polanski c’était être complice de ses crimes ».
Il fut alors intimé à l’enseignante de se taire parce qu’elle
était « dominante » en temps habituel. « Intimidée
par la violence verbale et la présence physique de ces jeunes
femmes » et « déstabilisée par l’impossibilité
d’engager une discussion », Pauline Peretz décidait de
quitter la salle de cours. Durant tout le temps qu’avait duré cet
échange houleux, la totalité des étudiants présents, à
l’exception d’une étudiante, étaient restés silencieux.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">La
seconde version, un tract non signé, a été rédigé par les
étudiantes (se disant « militantes féministes ») venues
perturber le cours de Pauline Peretz. Après un bref rappel des
« crimes » de Polanski, les rédactrices affirment que
« Étudier son oeuvre, c’est cautionner le réalisateur et
cautionner l’impunité judiciaire et médiatique des hommes
puissants dans une société patriarcale ». C’est là un
discours souvent entendu durant le dernier épisode de cette
interminable « affaire Polanski » : articulé autour du
refus de séparer l’oeuvre de l’homme. Ce qui est une façon
jésuitique de poser le problème. De l’oeuvre en réalité il n’en
est pas question, puisque pour les contempteurs de Polanski seules
entrent en ligne de compte les considérations morales sur l’homme
(pour ne pas dire moralisatrices). Ensuite il convient de rappeler,
une fois de plus, que tout ce qui peut être reproché à l’homme
Polanski relève du judiciaire. Quant au cinéaste, à condition de
quitter l’anathème moralisateur pour rester dans le débat
d’idées, il reste à prouver que son oeuvre serait explicitement,
ou même implicitement une apologie du viol et de la prédation
masculine. En empêchant manu militari toute discussion depuis
</span><span lang="fr-FR"><em>J’accuse
</em></span><span lang="fr-FR">sur
l’antisémitisme en général, et le film de Polanski en
particulier, les membres du commando néoféministe, même si elles
s’en défendraient, se situent de facto sur le terrain de « la
concurrence entre les victimes ». A l’argument, également
souvent entendu, selon lequel Polanski avec </span><span lang="fr-FR"><em>J’accuse
</em></span><span lang="fr-FR">se
défausserait à bon compte de ses accusations de viols, nous
renvoyons les ignorants à la biographie du cinéaste.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Pour
revenir au tract, le refus manifeste d’étudier l’oeuvre de
Polanski ne se fait pas depuis un mode argumenté (je viens de
l’illustrer) mais depuis celui de l’intimidation. Curieusement
les rédactrices reconnaissent avoir « fait le choix de ne pas
laisser parler la professeur (…) car elles connaissaient les
arguments qui l’ont poussée à faire le choix (politique)
d’étudier cette oeuvre ». Elles disent aussi l’avoir privé
de parole « car le rapport de domination professeurs /
étudiants qui se joue dans l’université ne permettait pas une
discussion d’égale à égales ». Nous retrouvons là, par la
bande, l’une des raisons selon lesquelles Peter Ludlow ne pouvait
qu’être coupable d’après les critères d’une Heidi Lockwood.
De chaque côté de l’Atlantique cela s’apparente à un argument
d’autorité. Une discussion collective pourtant avait eu lieu
lorsque deux étudiantes s’étaient interrogées sur la présence
du film </span><span lang="fr-FR"><em>J’accuse
</em></span><span lang="fr-FR">dans
le cours programmé le 11 février. Pauline Peretz, avant qu’on lui
retire la parole, aurait évoqué, précisent les rédactrices, les
« méthodes fascisantes » de ces dernières. Celles-ci
lui demandant dans le tract de « relire ses cours d’histoire ».
Sans pour autant reprendre la formulation de Pauline Peretz (qui
s’explique certainement par le climat de tension généré par
l’intrusion du commando dans la salle de cours) ses interlocutrices
ignorent sans doute que les étudiants nazis intervenaient sur un
mode comparable avant la prise de pouvoir d’Hitler. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ensuite,
dans une seconde partie, le tract répond à une motion émanant des
personnels du département d’histoire de Paris 8. Les rédactrices
persistent et signent en affirmant que « la seule « étude
critique » qui vaille sur le pédocriminel Roman Polanski
serait une étude sur les violences sexuelles et sexistes dans le
monde du cinéma et leur impunité dans la société ». Elles
s’élèvent aussi contre le qualificatif de « censure »
concernant leur action. Elles n’ont pas tort d’ajouter que « la
censure s’exerce d’un système et / ou d’un groupe dominant sur
la production d’un groupe dominé ou de dissidents ». Mais ce
n’est que la moitié de la question. Elles oublient de mentionner
que des associations proches de l’extrême droite, qui pourraient
également revendiquer un statut de « dominé »,
s’efforcent de censurer des oeuvres pour des causes qu’elles
estiment non moins justifiées que celles de nos néoféministes
étudiantes. D’ailleurs les unes comme les autres (quoique situées
a priori aux deux extrémités du spectre politique) entendent
moraliser la société, plus explicitement certes pour les
associations droitières. Là encore nous retrouvons une collusion
relevée précédemment par Laura Kipnis.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Les
rédactrices du tract prêtent beaucoup à Polanski quand elles
prétendent que « la culture du viol structure la société et
que la présence de Roman Polanski dans l’univers médiatique et
culturel en est la preuve ». Mais laissons là pour l’instant
l’auteur du </span><span lang="fr-FR"><em>Bal
des vampires </em></span><span lang="fr-FR">et
ses contemptrices pour nous attarder sur la notion de « culture
du viol », laissée volontairement ce côté dans la première
partie. Ce concept qualifie à l’origine un ensemble d’attitudes
et de comportements masculins au sein de la société qui
minimiseraient, normaliseraient ou encourageraient le viol. Ce qui
devait être mis en relation avec certains rôles assignés aux deux
sexes : depuis des injonctions contradictoires autour de la séduction
et de la libre disposition des corps par exemple chez les femmes.
Seuls des rapports sexuels égalitaires, librement consentis, cassant
les codes dominants assignés aux deux sexes, pouvaient contribuer à
rendre inopérante toute « culture du viol ». Sauf que,
l’exemple américain l’illustrant, le néoféminisme a transformé
une notion qui, mise à l’épreuve comme je viens de l’indiquer,
serait condamnée à quasiment disparaître dans une société libre,
égalitaire, émancipée, sans tabous, en un mantra dont l’usage
vise à occulter ce possible pour ne se situer que sur le terrain de
« la prédation masculine ». </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">C’est
l’occasion de revenir sur l’ouvrage de Laura Kipnis. Elle y
indique que sur les campus américains « l’idée de
culture du viol est devenue l’équivalent du 11 septembre 2001
(…) En ce sens que l’expression « « culture du
viol, comme avant elle le mot « terrorisme », en est
venue à servir une rhétorique de l’urgence ». Reprise par
maints responsables en titre IX dans les universités américaines,
par conviction ou de manière plus démagogique, cette rhétorique
leur permet de s’abstraire plus ou moins de l’examen des faits.
Ce qui n’est possible qu’à partir du moment où « la
culture du viol » devient quelque chose d’irréfutable, qui
ne peut être démenti. Cette digression faite, pour revenir sur
l’expression « la culture du viol structure la société »,
les rédactrices du tract induisent à travers cette formulation que
dans notre société les hommes seraient uniment des prédateurs
sexuels et les femmes leurs victimes. Par delà l’aspect
caricatural et polémique de la formule c’est vouloir se situer sur
le seul terrain de « la lutte des sexes », et simplifier
outrageusement ce qu’ont de complexes, voire de problématiques
maintes relations sexuelles.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Je
n’ai pas de compétence particulière pour me prononcer sur
l’accusation, présente dans la motion des personnels du
département d’histoire, « de saper les libertés académiques
au moment même où celles-ci sont menacées par le projet de loi
LPRP ». Je relève cependant que la réponse des rédactrices
du tract (« Nous considérons que les libertés académiques ne
sont pas menacées par les militantes féministes. Les libertés des
femmes sont menacées si elles existent partout et tout le temps par
le régime patriarcal. L’université est pourrie par le sexisme
structurel qui régit la société ») confirme ce qui vient
d’être dit dans les paragraphes précédents. A la différence que
le sexisme (et non la culture du viol) viendrait ici structurer la
société. Le côté péremptoire d’une telle affirmation étonne
puisqu’à l’université, de nos jours, en dehors de ceux qui
rejoignent ou soutiennent ces associations féministes, de nombreux
étudiants de sexe masculins adoptent un profil bas. D’ailleurs,
lors de l’intrusion du commando néoféministe dans la salle de
cours, seule, parmi les étudiants présents, une étudiante était
intervenue pour soutenir Pauline Peretz. Le sexisme existe certes
mais dans des proportions moindres à l’université que dans le
reste de la société. C’est à se demander dans quel monde vivent
nos néoféministes de Paris 8. Dans cet « entre soi »
communautariste seules les questions relatives à la domination
masculine, au patriarcat, ou encore à la « culture du viol »
et au « sexisme » (lesquels, comme on l’a appris,
« structurent la société ») se trouvent prises en
considération. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Citons
ici des extraits d’un mail adressé lors de la rentrée
universitaire 2020 par le Comité féministe de Paris 1 aux étudiants
de la Sorbonne. Ce comité qui entend, parmi d’autres actions,
« lutter contre le viol et le harcèlement et d’autres
problématiques rencontrées à la fac », se « revendique
d’une gauche radicale orientée autour des valeurs anti-raciste,
anti-homophobie, anti-transphobie, anti-validiste ».
L’essentiel étant dans les lignes suivantes : « Le comité
est en mixité choisie, c’est à dire qu’il réunit tout type de
personnes, cis, trans, ou non binaires, à l’exception des hommes
cisgenres, dans l’objectif de créer un espace safe de
discussion ». Nous sommes là en présence d’une version
postmoderne du néoféminisme surtout présente et active dans les
universités (pour les lecteurs l’ignorant : un homme cisgenre ne
différencie pas son sexe biologique de son genre). Cela confirme ce
que nous relevions dans le paragraphe précédent avec cette
précision supplémentaire : l’université s’avère être le lieu
où prioritairement le néoféminisme recrute et prospère. Il
faudrait réécrire l’équivalent de </span><span lang="fr-FR"><em>La
Misère en milieu étudiant </em></span><span lang="fr-FR">pour
prendre toute la mesure de ce sectarisme, de cette novlangue importée
des USA, ou de cette boursouflure qui s’habille en « gauche
radicale ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Nous
revenons à Paris 8. Signalons aussi (mais cela vaut pour tout le
courant néoféministe et même au-delà) la qualification de
pédocriminel accolée régulièrement à Roman Polanski. De quoi
faire oublier qu’accessoirement l’intéressé serait cinéaste.
Et puis, puisque son nom se trouve cité dans le tract, nous
conseillons à ses rédactrices de faire venir à Paris 8 Samantha
Geimer (la victime du seul viol reconnu par Polanski), qui depuis une
vingtaine d’années intervient sur cette première « affaire
Polanski » pour donner son point de vue (que l’on peut
résumer par : « personne n’est en droit de dire à une
victime ce qu’elle doit penser »). Il en ressortirait un
échange d’un grand intérêt, pour ne pas dire réjouissant. Aucun
des auteurs féministes citant le nom de Samantha Geimer (toujours
décrite comme une victime de Polanski) ne prend la peine, ou plutôt
se garde bien de citer les propos pertinents qu’elle tient sur la
victimisation dont elle fait l’objet, et surtout ce qu’elle en
retient de manière plus générale.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Pour
comparer, depuis l’angle choisi, la situation de l’université
aux États-Unis et en France, les actions et déclarations parmi
d’autres qui viennent d’être mentionnées indiquent-t-elle que
le ver serait dans le fruit ? Toutes les conditions ne sont pas
réunies pour que cet activisme débouche sur une reconnaissance de
type institutionnel au sein de l’université française (à
l’instar des USA). Cependant il n’est pas sans recueillir un
certain écho, y compris en dehors du cadre universitaire, toujours
en ce qui concerne le cas devenu emblématique de Roman Polanski. A
travers par exemple la volonté de certains édiles de gauche (en
Seine-Saint-Denis) de censurer </span><span lang="fr-FR"><em>J’accuse
</em></span><span lang="fr-FR">lors
de sa sortie, ou pour d’autres intervenants de mettre ce film sous
tutelle (en encadrant les projections par des débats sur les
violences faites aux femmes), ou encore via les remous consécutifs
aux nominations de </span><span lang="fr-FR"><em>J’accuse
</em></span><span lang="fr-FR">dans
le cadre des Césars 2020. Mais également à travers l’affaire
Adèle Haenel, ou celle associée à Gabriel Matzneff (le succès
rencontré par l’ouvrage de Vanessa Springora en étant la parfaite
illustration).</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">C’est
là qu’il convient de revenir au livre de Laura Kipnis pour
remettre en perspective ce qui vu de France passe pour être
« progressiste ». On pourrait lister maints aspects
« régressifs » de l’idéologie néoféministe
mentionnés par Kipnis et leur trouver quelque équivalent hexagonal.
Par exemple en se référant au tableau caricatural et victimaire
brossé par la philosophe féministe Heidi Lockwood dans l’un de
ses ouvrages, celui « d’étudiantes presque détruites à
cause d’une expérience avec un professeur sexuellement vorace »),
il serait malvenu de prétendre que ce genre de discours ne se
retrouve qu’aux États-Unis. Dans ce registre nous pourrions citer
parmi tant d’autres les « thèses » d’un livre comme
</span><span lang="fr-FR"><em>La
violence impensable </em></span><span lang="fr-FR">(publié
il y a une vingtaine d’années par un trio de thérapeutes
familiaux), qui dans le domaine de « la protection de
l’enfance », depuis des relevés de symptômes qui parfois
semblent sortir de la plume du Père Ubu, ne laisse pas de place au
doute : tous les enfants, sans exception, seraient victimes d’abus
sexuels (les « parents voraces » remplaçant les
professeurs).</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">D’ailleurs
beaucoup d’intervenants oeuvrant sur le front de la protection de
l’enfance soutenaient mordicus au tout début de ce XXIe siècle
que « l’enfant dit toujours la vérité » (dont une
certaine Ségolène Royal). Ceci jusqu’aux deux procès d’Outreau
où cette vérité s’était trouvée particulièrement malmenée.
Cette même conviction figure en bonne place dans le catachisme
néoféministe. Telle, je le rappelle, une Zarline Maxwell répétant
: « Nous devrions d’office croire ce que dit une
accusatrice ». Un propos entendu maintes fois de ce coté-ci de
l’Atlantique. C’est là l’un des mérite du livre de Laura
Kipnis d’y répondre dans le détail des situations exposées.
Comme nous l’avons vu avec l’une ou l’autre des
« accusatrices » citées dans </span><span lang="fr-FR"><em>Le
sexe polémique…,</em></span><span lang="fr-FR">
ces accusations - déjà relevant de la géométrie variable - se
trouvent sensiblement révisées à la hausse lors de l’intervention
d’une militante ou d’une idéologue néoféministe (ou alors
elles s’apparentent au registre de la « révélation »
lorsque, par exemple, un exposé quelques mois plus tard sur « le
viol équivoque » transforme dans l’esprit de l’auditrice
une relation consentie en son contraire). Je n’entends nullement
minorer, minimiser, ou même nier ces accusations de viol ou
d’agressions sexuelles dans « la vie ordinaire »
mais juste souligner que la question doit être chaque fois être
posée dès lors que des Heidi Lockwood ou leurs équivalents
hexagonaux entrent en action.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Le
lecteur se souvient que parmi les griefs adressés à Laura Kipnis
par ses deux accusatrices l’une d’elles alléguait que l’article
incriminé (traitant de la paranoïa sexuelle à l’université)
avait un effet dissuasif sur la capacité des étudiants à signaler
des inconduites sexuelles. Ce genre d’argumentation, modulé d’une
situation à l’autre, n’a pas manqué d’être repris en France
dans les lendemains du mouvement #meetoo. Je citerai deux cas.
D’abord celui de Sandra Muller, à l’origine du hashtag #balance
ton porc », condamnée en septembre 2019 par un tribunal
parisien pour avoir diffamé Éric Brion (le porc en question). Cette
décision judiciaire provoquait l’ire de militantes néoféministes
pour qui ce jugement, à leurs yeux inique, bafouait la cause des
femmes et entendait les faire taire dans toute situation de
harcèlement sexuel. Ces protestations évitaient d’entrer dans le
détail du différend opposant les deux protagonistes pour ne poser
que la question, certes légitime (voire très légitime) que
rencontrent de nombreuses femmes pour se faire entendre lors du dépôt
d’une plainte pour viol, agressions et harcèlement sexuel. Sauf
que Sandra Muller n’était pas la bonne personne dans ce cas de
figure. Ce genre de réaction sur le mode indigné contribue à noyer
le poisson. Le lecteur qui n’a pas oublié ce qu’est devenu Peter
Ludlow ignore peut-être que le personnage ainsi balancé par Sandra
Muller, insulté et vilipendé sur les réseaux sociaux, s’était
trouvé progressivement réduit à un état de « mort
sociale ». Entre d’un côté la remarque indiscutablement
sexiste de Brion à l’adresse de Muller (qui quelques années plus
tard donnera naissance au fameux hashtag) et de l’autre les
conséquences de ce #balance ton porc dans la vie de l’intéressé,
il n’y a pas d’équivalence possible. Prétendre le contraire est
un déni à tout sens élémentaire de justice. C’est du moins ce
qu’ont compris les juges ayant condamné Sandra Muller<a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote3anc" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote3sym"><sup>3</sup></a>.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Dans
un registre plus grotesque, cette argumentation, toujours modulée,
était reprise par l’avocat de Solveig Halloin (une activiste
féministe et animaliste) après le classement sans suite en février
2020 de la plainte déposée contre le comédien Philippe Caubère
(accusé de harcèlement, viol et menaces de mort : ce qui donnait
lieu à des investigations policières) : Maître Haddad déclarait
que « c’est le sort que l’on réserve à un certain nombre
de femmes qui portent plainte, notamment dans des affaires agression
sexuelle » à qui « on fait endurer une procédure très
lourde, dans laquelle on remet toujours en cause leur parole ».
Plus encore que Sandra Muller, Solveig Halloin n’était pas ici la
bonne personne. Heureusement que la parole de cette dernière avait
été remise en cause parce que sinon Caubère aurait passé de
longues années en prison pour des accusations relevant de
l’affabulation. Dans cette histoire lamentable, soulignons-le, la
« parole des femmes » avait été instrumentalisée par
des médias peu regardants<a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote4anc" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote4sym"><sup>4</sup></a>.
Enfin l’on ne saurait trop mettre en garde contre des affirmations
du genre du genre « nous devrions d’office croire ce que dit
une accusatrice », d’autant plus irresponsables quand des
Zerline Maxwell et consort ajoutent « il en coûte plus de
douter à tort d’une survivante que de désigner un violeur ».
Cette féministe ignore certainement que son propos se situe dans la
lignée du fameux « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les
siens », de Simon de Montfort.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">De
plus en plus fréquemment, des deux côtés de l’Atlantique, des
penseurs ou des militantes néoféministes qualifient de
« survivantes » des femmes ayant porté des accusations
de viol, d’agressions sexuelles, voire de harcèlement sexuel (même
avant les éventuelles condamnations des auteurs présumés). Cette
terminologie, dans l’usage devenu courant du mot, désigne à
l’origine les rescapés des camps de la mort. Elle s’est ensuite
élargie aux personnes victimes d’un attentat terroriste, également
rescapées. Il y a plus que de l’abus à vouloir la reprendre dans
le cadre de « présumés » (tant qu’ils n’ont pas été
jugés) viols ou agressions sexuelles. On relève comme une perte de
l’esprit critique quand une juriste et chroniqueuse judiciaire du
</span><span lang="fr-FR"><em>New
York Time </em></span><span lang="fr-FR">soutient
que « le terme ne fait pas débat dans les rédactions : on
essaye de respecter la façon qu’ont les gens de se définir
eux-mêmes, si la terminologie est pertinente bien sûr ». En
tout état de cause considérer cette terminologie ici comme
pertinente contribue à mettre sur le même plan l’extermination
nazie ou le terrorisme islamique, de ce que les intéressées
appellent patriarcat, ou domination masculine, ou violences sexistes.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Dans
</span><span lang="fr-FR"><em>Néoféminisme
et ordre moral deux </em></span><span lang="fr-FR">je
commentais les effets produits par le livre de Vanessa Springora, </span><span lang="fr-FR"><em>Le
Consentement<a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote5anc" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote5sym"><sup>5</sup></a>.
</em></span><span lang="fr-FR">Un
ouvrage à ce point exemplaire, selon ses innombrables admirateurs,
que toute crique le concernant se trouvait pour ainsi dire frappée
de vacuité. On lut même sous la plume d’un sociologue que le
livre de Vanessa Springora « venait renverser la domination
masculine » (sic). Je ne l’avais pas lu à l’époque. Il y
a de quoi s’étonner quand, de manière rétrospective, cet oubli
réparé, on se confronte de nouveau au concert de louanges qui
avaient accompagné la sortie de cet ouvrage. La figure du « mal
absolu » étant incarnée par Gabriel Matzneff, Vanessa
Springora ne pouvait représenter que son exact contraire. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Alors,
ce </span><span lang="fr-FR"><em>Consentement,
</em></span><span lang="fr-FR">que
faut-il en penser ? Il faut d’abord dissiper ce qui tend à devenir
une « vérité » pour la majorité des lecteurs de
Springora, principalement ceux n’ayant pas connu « en
direct » la période principalement traitée dans </span><span lang="fr-FR"><em>Le
consentement, </em></span><span lang="fr-FR">c’est
à dire le milieu des années 1980. Parce que la célébrité
aujourd’hui de Matzneff (de celle dont on préfèrerait se passer)
est récente : elle ne s’explique que par le succès du
</span><span lang="fr-FR"><em>Consentement
</em></span><span lang="fr-FR">et
plus encore par ses conséquences. Gabriel Matzneff n’était connu
(dans les années 1970, 1980, et cela déclinait dans les années
1990) que de lecteurs qui s’intéressaient de près à la
littérature. Ce que l’on appelle le « grand public cultivé »
ne le connaissait que de de nom, voire de réputation, ou pour
l’avoir vu lors de ses deux passages à </span><span lang="fr-FR"><em>Apostrophes,
</em></span><span lang="fr-FR">ou
pour avoir lu l’une de ses « chroniques » du </span><span lang="fr-FR"><em>Monde
</em></span><span lang="fr-FR">dans
les années 1980</span><span lang="fr-FR"><em>.
</em></span><span lang="fr-FR">Il
est faux d’en faire, comme le prétend la quatrième de couverture
du </span><span lang="fr-FR"><em>Consentement,
</em></span><span lang="fr-FR">« un
célèbre écrivain quinquagénaire » lors de sa rencontre avec
Vanessa Springora. Sans doute son passage alors chez Pivot lui avait
donné une visibilité que d’autres écrivains ne recherchent pas
nécessairement. Mais son lectorat restait modeste : les ventes de
ses ouvrages en apportent la preuve. Ceci pour dire que Matzneff,
contrairement à ce que l’on affirme ici ou là, était un auteur
de « second rayon » (mais il en est d’excellents)
durant ses meilleures années, avant de devenir ensuite un écrivain
confidentiel, davantage soutenu par ses éditeurs que par ses
lecteurs (dont beaucoup avaient oublié son existence à l’avènement
du XXIe siècle). Gabriel Matzneff n’est devenu ce « monstre »,
le pire des pédocriminels encore en vie, qu’à la faveur de la
parution du </span><span lang="fr-FR"><em>Consentement</em></span><span lang="fr-FR">
et de la cascade de réactions que ce livre a suscitées. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">On
aura compris que l’évocation d’un « célèbre écrivain
quinquagénaire » par Vanessa Springora et les Éditions
Grasset entend charger la barque Matzneff auprès d’un public peu
informé de la situation de l’écrivain au siècle précédent. Je
rappelle par exemple que lors du déballage médiatique au tout début
de ce siècle, provoqué par l’exhumation dans les colonnes de
</span><span lang="fr-FR"><em>L’Express
</em></span><span lang="fr-FR">de
passages taxés de « pédophiles », extraits d’un
ouvrage de Cohn-Bendit datant des années 1970 (déballage durant
lequel les deux fameuses pétitions de 1977, soi-disant favorables à
la pédophilie, avaient déjà fait l’objet d’un traitement que
l’on retrouvera à l’identique durant l’hiver 2020), le nom de
Matzneff, parmi les protagonistes des années 1970 (censés défendre
la pédophilie), n’avait pas pour ainsi dire été cité.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Quand
Vanessa Springora indique dans son livre (elle prenait alors
connaissance des nombreux passages consacrés « en grande
partie à notre rupture » dans le </span><span lang="fr-FR"><em>Journal
</em></span><span lang="fr-FR">de
Matzneff) « qu’il a transformé notre histoire en fiction
parfaite », on pourrait lui renvoyer le compliment. A les lire,
les commentateurs du </span><span lang="fr-FR"><em>Consentement
</em></span><span lang="fr-FR">sont
tous persuadés, ou du moins veulent faire accroire que ce récit
serait authentique d’un bout à l’autre. On peut fortement en
douter à la lecture par exemple du passage concernant Cioran (qui
pour de bons connaisseurs de l’oeuvre du philosophe misanthrope, et
plus encore pour ceux qui l’on bien connu relève de l’invention),
et de quelques autres. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Il
fallait du temps, une trentaine d’années, pour que cette « fiction
parfaite » versus Springora puisse être écrite. Contrairement
à ce que croient les lecteurs les plus naïfs du </span><span lang="fr-FR"><em>Consentement
</em></span><span lang="fr-FR">ce
livre n’a pas été écrit pour se libérer d’une emprise, trente
cinq ans plus tard (de ses séquelles psychologiques, plutôt). Ce
travail, cathartique diraient certains, avait été effectué plus
tôt, lors d’une psychanalyse. Alors pourquoi ce livre ? Le constat
fait par l’auteure dans les dernières pages de son ouvrage (que
nulle des adolescentes séduites par Matzneff ne se soit manifestée
depuis 20, 30, 40 ans) n’est pas sans l’étonner et la
contrarier. Vanessa Springora avance alors que l’emprise exercée
par le beau Gabriel sur des « jeunes filles solitaires,
vulnérables, aux parents dépassés ou démissionnaires »
l’expliquerait (elle parle pour elle). Elle ajoute que Matzneff
« savait pertinemment qu’elles ne menaceraient jamais sa
réputation ». Comment en être certaine ? Cependant il
semblerait que dans ce tableau des « conquêtes » du
séducteur Vanessa Springora fasse plutôt figure d’exception que
de modèle. Nous subodorons, en nous référant à quelques uns des
passages de la fin du </span><span lang="fr-FR"><em>Consentement,
</em></span><span lang="fr-FR">que
pour Matzneff également cette relation n’a pas été sans laisser
des traces.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Sinon,
pour revenir à la question posée plus haut, la quatrième de
couverture en indique les enjeux : « Au delà de son histoire
intime, elle questionne dans ce récit magnifique (sic) les dérives
d’une époque et la complaisance d’un milieu littéraire aveuglé
par le talent et la notoriété ». L’assertion selon laquelle
les écrivains et les artistes bénéficiaient d’une tolérance
(dans le cas de relations sexuelles entre adultes et mineurs de moins
de quinze ans), non accordée au commun des mortels, s’expliquerait
selon Vanessa Springora de la façon suivante : « Il faut
croire que l’artiste appartient à une caste à part, qu’il est
un être aux vertus supérieures auquel nous offrons un mandat de
toute puissance, sans autre contrepartie que la production d’une
oeuvre originale et subversive, une sorte d’aristocratie détenteur
de privilèges exceptionnels devant lequel notre jugement, dans un
état de sidération aveugle, doit s’effacer ». Cette
enfilade de lieux communs aurait en d’autres temps été qualifiée
de réactionnaire. Car nous sommes plus dans le registre de la
« sagesse des nations » que dans celui d’une réflexion
un tant soi peu conséquente sur l’art, les artistes et la société.
Mais après tout cette charge contre une « élite artistique »
qui serait au-dessus des lois morales a tout pour caresser dans le
sens du poil les philistins à la mode de ce temps. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">C’est
pourtant, en recentrant son propos sur Matzneff, ce que reprend en
substance une lectrice de Vanessa Springora, Cloé Korman (dans une
tribune publiée par </span><span lang="fr-FR"><em>Le
Monde</em></span><span lang="fr-FR">),
pour qui l’aide apportée à Gabriel Matzneff « a représenté,
pendant des années, une opération réputationnelle qui allait
au-delà de l’écrivain (…) Aider Matzneff, ou ne pas s’opposer
à ce qu’il soit aidé a été le signe d’une audace morale, d’un
« pas froid aux yeux », permettant de faire plaisir au
sein d’une certaine élite ». Elle ajoute que nous vivons
heureusement dans une autre époque, et que tout cela a bien changé.
En reprenant ce que mentionnait plus haut Vanessa Springora, nous
constatons qu’il existe cependant un monde entre les complicités
d’un petit milieu germanopratin dont Matzneff a pu bénéficier et
la volonté d’en tirer des généralités sur la situation d’une
certaine catégorie d’artistes dans la société. Matzneff n’a
pas les épaules suffisamment solides pour qu’on puisse, depuis son
cas personnel, en tirer des conclusions définitives sur l’impunité
de l’artiste ici en l’occurence. Et même à l’échelle de
l’élite évoquée par Springora et Korman cela sonne curieusement
si l’on prend l’exemple d’un autre écrivain de la même
« génération littéraire » que Matzneff, dont le nom a
pu se trouver associé plus que d'autres à celui du précédent dans
la rubrique « pédophilie », Tony Duvert, décédé en
2008 dans une misère et une solitude complète (dont les livres
durant les années 1970 et 1980, publiés aux Éditions de Minuit,
avaient recueilli plus d’échos que ceux de Gabriel Matzneff) : un
écrivain plus subversif (dans le sens plein du mot), plus politique,
plus ancré dans la modernité que Matzneff (et dépourvu lui de tout
narcissisme). Ceci précisé sur Tony Duvert, la preuve par Matzneff
tourne plutôt à vide. Ce qui signifie que Matzneff ne s’explique
que par Matzneff, ou par la petite coterie littéraire à laquelle il
appartenait, une coterie aujourd’hui quasiment disparue.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Quand
Vanessa Springora écrit qu’elle a hésité à publier son livre
par « crainte du petit milieu qui peut-être protège encore
Matzneff », à qui le fait-elle croire ? Comme dirait le
camarade Staline : les soutiens de Gabriel Matzneff, combien de
divisions ? Dans le même registre elle ajoute qu’elle « pourrait
faire face à de violentes attaques, de la part de ses admirateurs ;
mais aussi d’anciens soixante-huitards qui se sentiraient mis en
accusation parce qu’ils étaient signataires de cette fameuse
lettre ouverte dont il était l’auteur ; peut-être même de la
part de certaines femmes opposées au discours « bien pensant »
sur la sexualité ; bref de tous les pourfendeurs du retour à
l’ordre moral ». On remercie ici Vanessa Springora de
faciliter pareillement notre travail ; de lister précisément ce
qu’il nous importait de reprendre dans le détail, la lecture du
</span><span lang="fr-FR"><em>Consentement
</em></span><span lang="fr-FR">achevée.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Procédons
par ordre. D’abord même le lecteur le mieux disposé envers notre
auteure a compris que les « violences attaques » évoquées
ci-dessus ne valaient que comme argument rhétorique. D’ailleurs
qui a osé attaquer </span><span lang="fr-FR"><em>Le
Consentement </em></span><span lang="fr-FR">lors
de sa parution : personne ! A la seule exception de Juan Asensio, qui
n’est ni soixante-huitard, ni un défenseur de Matzneff, ni
concerné par tout ce à quoi se réfère Vanessa Springora (seule
l’intéresse la « valeur littéraire » du
</span><span lang="fr-FR"><em>Consentement,
</em></span><span lang="fr-FR">qu’il
déclare nulle). Il s’agirait même d’un livre « inattaquable »
: si vous critiquez Vanessa Springora, vous êtes donc du côté de
Gabriel Matzneff, alors ? Ensuite, quant aux signataires de la
« fameuse lettre ouverte », ceux qui sont encore vivants
ont adopté un profil bas depuis de longues années. J’en exclus
cependant l’un d’eux. Mais je m’en voudrais de jeter ce nom en
pâture dans ce climat de chasses aux sorcières. Enfin mentionnons
le coup de patte adressé aux cent signataires de la tribune de
janvier 2019 publiée par </span><span lang="fr-FR"><em>Le
Monde, </em></span><span lang="fr-FR">improprement
appelée « Du droit d’être importunées ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Reste
le cas de l’ordre moral, ou plutôt le refus par Vanessa Springora
d’y souscrire. Évoquer un quelconque « retour à l’ordre
moral » est pour les néoféministes et leurs alliés
irrecevable. Nous retrouvons là Cloé Korman affirmant que « parler
d’ordre moral est assez consternant ». Comme elle possède
quelques lectures elle reprend la définition proposée par des
historiens au siècle dernier (relative aux années de présidence de
Mac-Mahon). Mais il s’agit de tout autre chose depuis les années
1970, comme il en va de même pour d’autres notions. Ce qui
relevait d’une catégorie historienne, connue des seuls
spécialistes, a pris par la suite de manière plus conséquente et
plus convaincante une toute autre signification. Je ne peux que
renvoyer le lecteur aux pages écrites sur l’ordre moral dans
</span><span lang="fr-FR"><em>Néoféminisme
et ordre moral<a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote6anc" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote6sym"><sup>6</sup></a>
</em></span><span lang="fr-FR">Ce
changement de sens Cloé Korman s’y réfère d’ailleurs sur un
mode se voulant burlesque puisqu’à la lire « l’ordre moral
désigne désormais un monde où l’on ne peut plus violer
tranquillement les enfants, ou les femmes de ménage, ou les
prostituées, sans que cela fasse des vagues, à moins que l’ordre
moral, ce soit quand on ne peut plus préserver le bien-être
libidinal de certains au détriment de tous les autres ». Nous
violons certes une multitude d’enfants consentants et toutes les
femmes de ménages noires répondant au prénom de Nafissatou, mais
quand nous allions chez les prostituées (avant que ne soient
pénalisés les clients dans le cadre de la loi abolitionniste de
2016) nous n’avions pas pourtant l’impression de les violer (ni
elles de l’être par nous). Mais est vrai que depuis cette date les
viols de prostituées sont en nette augmentation. Nous remercions
madame Korman de nous donner l’occasion de le rappeler. Sa courte
liste parait bien réductrice et trop peu exhaustive. Cette plaisante
caricature de l’ordre moral permet à Cloé Korman de ne pas
aborder ce que recouvre généralement cette notion. Rien, par
exemple, sur l’interdiction ou la mise sous tutelle des expositions
Gauguin ; rien sur la volonté d’élues (de gauche de surcroît) de
Seine-Saint-Denis de déprogrammer le film </span><span lang="fr-FR"><em>J’accuse
</em></span><span lang="fr-FR">des
salles que gère le département ; rien sur la bouffonne réécriture
de </span><span lang="fr-FR"><em>Carmen
</em></span><span lang="fr-FR">à
Florence ; rien sur la suppression de la rétrospective Jean-Claude
Brisseau à la Cinémathèque française sous le pression
d’associations féministes ; rien sur l’anathème jeté par un
collectif d’étudiantes féministes lyonnaises en 2017 sur un poème
de jeunesse d’ André Chénier (</span><span lang="fr-FR"><em>L’Ouristys</em></span><span lang="fr-FR">)
censé représenter une scène de viol, et donc participant de la
« culture du viol » (au moins ce Chénier-là n’avait
pas été guillotiné pour rien !) ; rien sur la condamnation pour
« apologie du viol » du poème </span><span lang="fr-FR"><em>Les
Amours </em></span><span lang="fr-FR">de
Ronsard en 2019 par des agrégatives en lettres non moins féministes
(ici l’étude du poème pouvant s’avérer « extrêmement
violente » pour certaines étudiantes, et placer d’autres
« en situation d’insécurité ») ; rien sur les
demandes de suppression (en Angleterre et en Suisse) dans les
recueils de Perrault, de Grimm, de La Mère L’Oye, du conte de </span><span lang="fr-FR"><em>La
belle au bois dormant « </em></span><span lang="fr-FR">pour
cause de baiser non consenti » ; rien sur les nouvelles formes
de censure en cours dans le monde de l’édition sur des passages
sexuellement « problématiques » ou « condamnables »,
ou sur le fait que les personnages masculins et féminins ne
correspondent pas à des stéréotypes féministes (ou, plus
inquiétant encore, du recours à l’autocensure que cela entraîne)
; etc, etc.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">J’ajoute,
pour clore ce commentaire sur </span><span lang="fr-FR"><em>Le
Consentement </em></span><span lang="fr-FR">:</span><span lang="fr-FR">rien
sur les lectures révisionnistes du </span><span lang="fr-FR"><em>Lolita
</em></span><span lang="fr-FR">de
Nabokov. Vanessa Springora consacre deux pages à ce roman,
significatives d’un changement de doctrine, initié peut-être en
France par la psychiatre et psychanalyste Marthe Coppel-Batsch<a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote7anc" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote7sym"><sup>7</sup></a>,
chez ceux qui naguère trouvaient ce roman « déplaisant »,
« pervers », ou tout simplement « dégueulasse »
(voire le condamnant comme « favorisant la pédophilie »).
L’appréciation de Vanessa Springora se trouve précédée par ce
propos catégorique : « </span><span lang="fr-FR"><em>Lolita
</em></span><span lang="fr-FR">est
tout sauf une apologie de la pédophilie ». Elle ajoute dans la
foulée : « C’est au contraire la condamnation la plus forte,
la plus efficace qu’on ait pu dire sur le sujet ».
Franchement Vanessa ? Nabokov, nous le savons, l’a prétendu pour
des raisons facilement compréhensives dans le contexte américain,
et même ailleurs. Sa délectable préface à </span><span lang="fr-FR"><em>Lolita
</em></span><span lang="fr-FR">(signée
John Ray Jr, Docteur en philosophie) pathologise autant que
possible le cas Humbert Humbert, et en appelle à une « vigilance
inflexible, pour élever des générations meilleures dans un monde
plus sûr » . Mais qui en est dupe ? Il y a quelque ambiguïté
fondamentale chez Nabokov qui contribue au plaisir de la lecture de
ce grand roman. L’écrivain a joué dans ce registre une partie de
sa vie non sans une certaine délectation. La naïveté (à moins
qu’elle soit simulée) de Vanessa Springora parait confondante
quand elle écrit avoir « toujours douté d’ailleurs que
Nabokov ait pu avoir été pédophile ». C’est d’autant
plus remarquable qu’il s’agit du propos d’une éditrice. Que
retient-elle des manuscrits de romans qu’on lui adresse aux
Éditions Juliard ? Voilà un éditeur à éviter pour des textes
romanesques qui relèveraient d’une certaine complexité dans le
domaine sexuel. Enfin, j’y reviens, comme si la question était là
! Nabokov n’a jamais été pédophile et l’on se fiche bien de
savoir « s’il a lutté contre certains penchants » !
Mais son imaginaire s’est plu à créer le personnage Lolita (une
affriolante nymphette, nous comprenons Humbert Humbert et l’envions,
du moins sur un certain plan), et plus tard celui d’Ada (</span><span lang="fr-FR"><em>Ada
ou l’ardeur</em></span><span lang="fr-FR">,
autre grand roman, autour du thème de l’inceste). C’est ce qui
dans </span><span lang="fr-FR"><em>Lolita
</em></span><span lang="fr-FR">nous
intéresse et nous séduit (tout comme le portrait au vitriol de
l’Amérique). Tout lecteur de </span><span lang="fr-FR"><em>Lolita,
</em></span><span lang="fr-FR">même
le plus obtus, comprend bien entendu que « jamais Nabokov
n’essaie de faire passer Humbert Humbert pour un bienfaiteur, et
encore moins pour un type bien ». Comme si ces mauvais lecteurs
de </span><span lang="fr-FR"><em>Lolita
</em></span><span lang="fr-FR">que
nous sommes, selon les critères de Springora et consort,
prétendaient le contraire ! Cette lecture révisionniste de </span><span lang="fr-FR"><em>Lolita
</em></span><span lang="fr-FR">s’explique
principalement par la volonté de nier « qu’un ouvrage comme
celui de Nabokov, publié aujourd’hui, se heurterait nécessairement
à la censure ». Allons donc Vanessa, de nos jours il ne
trouverait pas d’éditeur !</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Laura
Kipnis, comme elle l’indique au début de son ouvrage, est devenue
durant un certain temps la « coqueluche » d’une
« certaine aile libertarienne de la droite », qui
l’applaudissait pour avoir tenu tête au « politiquement
correct » (non sans par ailleurs la traiter de « gauchiste »
avec tout ce que cela implique). Elle ajoute : « Que la droite
félicite une personne comme moi montre bien que la politique telle
qu’on la connaissait est désormais tout à fait
incompréhensible ». Plus haut elle constate : « Malgré
l’incessant discours sur le gauchisme qui aurait envahi
l’université, la culture politique actuelle sur les campus
brouille toutes les distinctions traditionnelles entre la gauche et
la droite ». Laura Kipnis relève ici que « les
explications politiques ne suffisent pas, et les alliances
habituelles ne tiennent plus : nous sommes dans l’ordre de
l’hystérie ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Sans
vouloir commenter ce qui est spécifique aux États-Unis, que les
limites de ce texte ne permettent pas de traiter, les lignes
précédentes n’en inspirent pas moins plusieurs remarques. D’abord
je rappelle qu’en France des médias comme </span><span lang="fr-FR"><em>Causeur
</em></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><em>Figaro
vox </em></span><span lang="fr-FR">(aux
côtés de </span><span lang="fr-FR"><em>Libération
</em></span><span lang="fr-FR">et
du </span><span lang="fr-FR"><em>Monde</em></span><span lang="fr-FR">)
ont rendu compte favorablement du livre de Laura Kipnis. Et l’on
peut subodorer qu’ils l’ont fait en des termes proches de ceux
des libertariens de la droite américaine. D’ailleurs nous
observons aujourd’hui que cette critique du « politiquement
correct » se trouve davantage reprise dans l’hexagone sur le
côté droit. L’accusation d’y céder visant principalement
certains secteurs de la gauche (ou considérée telle), en
particulier le néoféminisme. J’ajoute que cette droite ne dénonce
le « politiquement correct » de ce féminisme-là que
pour mieux en accuser la gauche, laquelle baisserait la garde sur le
plan des libertés. C’est là qu’il convient de revenir au </span><span lang="fr-FR"><em>Sexe
polémique. </em></span><span lang="fr-FR">Moins
explicitement certes qu’il nous importera de le démontrer plus
loin, la dénonciation par Laura Kipnis d’un conservatisme propre
au néoféminisme n’entend pas céder sur la question de
l’émancipation (telle que Kipnis l’a depuis longtemps formulée
depuis sa vie, dans son enseignement et ses différents engagements).</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Si
j’avance que du point de vie de la question sociale il n’y a pas
lieu de distinguer fondamentalement l’émancipation de l’homme de
celle de la femme, j’entends indiquer que la question de
l’inégalité entre les deux sexes (celle des revenus, des
fonctions, des places) n’est que le corollaire de l’inégalité
sociale. Le féminisme a joué ici un rôle d’aiguillon mais ne
s’est pas révélé à proprement parler un agent de transformation
sociale, moins en tout cas que les forces politiques le revendiquant.
En revanche force est de reconnaître le rôle plus particulier,
disons plus décisif des féministes dans la remise en cause de la
sempiternelle assignation faite à la femme (son rôle d’épouse,
de mère, de gardienne du foyer…) dans notre civilisation
judéo-chrétienne. Le mouvement des femmes apparu durant les années
1970 a en grande partie à travers ses mobilisations contraint le
pouvoir en place à légiférer dans la direction souhaitée (la loi
sur l’IVG en étant l’exemple le plus représentatif et le plus
emblématique). Cette critique s’exerçait également sur un plan
plus individuel à travers la remise en cause de la domination
masculine au sein du couple, ou dans les relations entre les deux
sexes. Ceci et cela renvoyant à la « capacité d’agir des
femmes » revendiquée et illustrée tout au long de son livre
par Laura Kipnis : cette « capacité d’agir »
représentant ce que le féminisme a produit pour le mieux dès lors
que ce qui se trouvait mis ici en jeu entendait émanciper les deux
sexes (dans le sens du mot de Bakounine : « Ma liberté étend
celle des autres à l’infini »). </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">L’historienne
Christine Bard distingue trois vagues du féminisme (la première,
originaire, était représentative de l’affirmation « d’une
priorité des femmes dans l’espace public » ; la deuxième,
celle des années 68 à la fin de XXe siècle, mettait « au
coeur de son combat (…) la sexualité et le droit de disposer de
son corps » ; la troisième, celle du XXIe siècle,
mettant elle « au premier plan les violences faites aux
femmes »). Si l’on reprend grosso modo les deux premières
catégories, par contre un correctif doit être apporté en ce qui
concerne la troisième vague, celle précisément de l’avènement
du néoféminisme.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">On
reconnaîtra, cela ne se discute pas, que ces violences se trouvent
incontestablement mises en avant depuis une vingtaine d’années (et
plus encore depuis #meetoo) à condition d’apporter les précisions
suivantes. Ces violences n’en existaient pas moins auparavant,
sinon plus, mais le féminisme n’en faisait pas pour autant l’alpha
et l’oméga de ses combats. Également, ces violences étaient
davantage « tolérées » (les guillemets s’imposent)
dans la société, voire dans la nébuleuse féministe. Parler ici de
tolérance, même en le nuançant fortement, signifie que là ne
résidait pas l’essentiel pour l’ensemble des courants féministes
qui, comme l’indique Christine Bard, mettaient eux en avant le
droit pour les femmes de disposer de leurs corps, et donc de leur
sexualité. Il est important de souligner ici que cette sexualité
était alors connotée de façon positive alors qu’elle se trouve
aujourd’hui perçue de manière de plus en plus négative
(l’ouvrage de Laura Kipnis le confirmant sur les plans théorique
et pratique). Ce qui en découle n’est pas sans notable incidence
sur la manière dont sont de nos jours perçues, appréhendées et
traitées maintes affaires de viols, d’agressions sexuelles ou de
harcèlement sexuel. Il ne s’agit évidemment pas de nier la
réalité de ceux-ci dès lors que les faits se trouvent avérés
mais de reconnaître qu’il y a comme une suspicion jetée sur la
sexualité qui passe, entre autres condamnations morales, par celle
de la « libération sexuelle » de l’après 68 (ou du
moins ce qu’il est convenu d’appeler ainsi). Ce qui ressort de
cette suspicion devient d’ailleurs une arme que d’aucuns
utilisent dans l’espace public. Cela se vérifie plus
particulièrement dans le monde politique, voire dans les médias ou
l’entreprise. Les exemples bien connus de plaintes déposés contre
x, y ou z, même si elles rencontrent des fortunes diverses, n’ont
pas besoin d’être rappelées. A ce sujet, quand des commentateurs
évoquent le traitement favorable dont bénéficieraient les hommes
politiques dans ce genre d’affaire on leur rétorquera qu’en 2020
la tendance tend à s’inverser : un homme politique (ou tout
personnage médiatique) risque aujourd'hui plus que le commun des
mortels de connaître ce genre de désagrément (du moins à
l’échelle de ce qui s’ensuit dès lors qu’une plainte est
déposée). Les médias qui relaient ces plaintes servent alors plus
ou moins de caisse de résonance selon la notoriété du suspecté.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">L’un
de ces exemples, pas le plus médiatisé, parait cependant davantage
exemplaire dans le cadre de notre démonstration. Dans le
prolongement de la création en décembre 2018 d’un Comité de
suivi contre les violences sexistes et sexuelles (comité
exclusivement féminin : qu’une militante peut également saisir si
elle subit ou se trouve confrontée à des blagues sexistes ou à des
propos misogynes), la France Insoumise a répertorié en juin 2020
dix-sept cas de violences au sein de l’organisation (se décomptant
entre deux cas de violences conjugales, trois de viols, sept de
harcèlement sexuel, quatre de sexisme ordinaire, et deux divers)
ayant entraîné l’exclusion de dix militants. La seule à être
connue en dehors de LFI, celle du politologue Thomas Guénolé, avait
été provoquée par le signalement en mars 2019 d’une étudiante
de Sciences-Po (auprès du Pôle de vigilance et d’écoute contre
les violences faites aux femmes de LFI dénonçant des faits
« pouvant s’apparenter à un harcèlement sexuel » : à
savoir des compliments de Guénolé sur « la voix » de
l’étudiante, sur sa « présence » : la plaignante
disant s’être sentie « mal à l’aise à plusieurs
reprises » (d’après </span><span lang="fr-FR"><em>Mediapart
</em></span><span lang="fr-FR">cette
étudiante « se sentait un peu spéciale, désignée comme la
préférée », trouvant les regards de Guénolé « gênants
et ses mails bizarres »). Le « pouvant s’apparenter »
n’en conclut pas à la réalité d’un harcèlement sexuel mais
relève d’une forte présomption. Si le ressenti d’une étudiante
doit être pris en compte dans ce cas d’espèce cela conduit à
prendre des libertés avec la réalité des faits. Ce qui ouvre la
porte à l’arbitraire avec tous les risques d’instrumentalisation
qui peuvent en découler. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Informé
par LFI de cette suspicion de harcèlement sexuel (émanant du Pôle
de vigilance et d’écoute, lequel proposait en interne l’exclusion
de Guénolé au Comité électoral), puis interrogé le 6 avril, le
politologue réfutait toute accusation. Il publiait le 18 avril un
communiqué remettant vivement en cause le fonctionnement de LFI et
ses dirigeants. Précisons que Thomas Guénolé n’a fait l’objet
à ce jour d’aucune plainte devant la justice, ni d’aucune
enquête d’un service de police. En revanche, faute de disposer de
toutes les informations, il parait difficile de savoir si Guénolé,
informé officiellement de la nature du signalement, s’est alors
retourné contre LFI, ou si l’organisation, étant elle
précédemment avertie de critiques en interne par le politologue, a
choisi de jouer la carte du harcèlement sexuel pour établir un
contre-feu. Pourtant, on l’apprendra ensuite, le cas de Guénolé
n’était pas unique. Un autre « insoumis », Laurent
Courtois, figurant également sur la liste de LFI aux élections
européennes, que l’on savait opposé à la direction de
l’organisation, avait précédemment connu le même sort (pour des
« comportements inacceptables envers les femmes » dont ne
connait pas la nature). En octobre 2020 cette « affaire
Guénolé » se situe sur le terrain judiciaire : le politologue
poursuit LFI devant les tribunaux, pas pour « diffamation »
ou « dénonciation calomnieuse » puisque LFI n’a pas
accusé nominalement Guénolé de harcèlement sexuel, mais pour des
manquements relatifs à la procédure disciplinaire interne organisée
contre lui.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cette
« affaire Thomas Guénolé » n’est pas sans renvoyer
une fois de plus à l’ouvrage de Laura Kipnis. Ce qui ressort de
l’existence d’un Comité de suivi contre les violences sexuelles
et sexistes (et du mode de fonctionnement d’un Pôle de vigilance
et d’écoute contre les violences faites aux femmes) nous
reconfronte à quelques unes des procédures en titre IX portées à
notre connaissance dans </span><span lang="fr-FR"><em>Le
sexe polémique. </em></span><span lang="fr-FR">LFI
n’est pas le seul parti à vouloir surfer sur la vague néoféministe
mais sa volonté de traiter en interne les « violences
sexuelles et sexistes », en se dotant de procédures ad hoc,
n’est pas sans évoquer le fonctionnement des universités
américaines dans le traitement des cas « d’inconduite
sexuelle ». Dans l’un et l’autre cas une instruction est
menée indépendamment d’une information et d’un traitement
judiciaire, voire se substituant à eux : soulignons que les deux
militants de LFI ont été exclus, l’un pour suspicion de
harcèlement sexuel, l’autre pour des comportements sexistes, alors
que nulle plainte n’avait été déposée à leur encontre par des
plaignantes. On en déduit que LFI préfère faire la police et la
justice elle-même dans ce cas d’espèce en se montrant plus
tatillonne, ou plus exemplaire c’est selon que l’institution
judiciaire. D’une façon plus générale, parmi les nombreuses
façons de se débarrasser d’un adversaire politique au sein d’un
parti affirmant vouloir lutter contre les violences faites aux
femmes, l’accusation de harcèlement sexuel (pour s’en tenir là)
a de beaux jours devant elle.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Christine
Bard ne prend pas en considération une autre caractéristique liée
à cette « troisième vague du féminisme », qui
d’ailleurs prend de plus en plus d’importance au sein de la
nébuleuse néoféministe : l’évolution vers des positions
communautaristes. La version la plus caricaturale ou la plus sectaire
se trouve en quelques sorte illustrée par Alice Coffin, dont le
propos promu à la célébrité (« Moi, en tant que femme, ne
pas avoir de mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne
pas être tuée, ne pas être tabassée. Et cela évite que mes
enfants le soient aussi ») a fait le tour de la toile.
Contrairement à ce qu’affirment ses défenseurs qui estiment que
les propos de la militante féministe ont été dénaturés, Alice
Coffin persiste et signe dans </span><span lang="fr-FR"><em>Le
désir lesbien </em></span><span lang="fr-FR">(où
« l’hétérosexualité de la femme reste pour elle un
douloureux problème ») en prétendant que « les hommes
mènent une guerre permanente contre les femmes et tentent de le
dissimuler ». D’ailleurs auparavant, dans un entretien
accordé à </span><span lang="fr-FR"><em>National
géographic, </em></span><span lang="fr-FR">la
militante féministe exhortait ses soeurs en ces termes : « Évitons
toute critique publique envers d’autres femmes en position de
pouvoir », ceci devenant « indispensable si nous ne
voulons pas entretenir la misogynie. Concentrons, en public, nos
attaques contre les hommes ». Ou comme le dirait Houria
Bouteldja dans un autre registre : « Un banquier noir c’est
d’abord un noir ». Ici nous avons : « Marine le Pen
c’est d’abord une femme », une soeur quoi.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Le
communautarisme féministe (à l’instar de ceux, religieux, ou
indigéniste, LGBT…) prend le particulier, le sien, pour le
général. Ce qui revient à dire qu’il entend se substituer à ce
que le féminisme a produit pour le mieux (lequel, dans sa version
émancipatrice, en défendant la cause des femmes, n’en défendait
pas moins une humanité plus libre, plus égalitaire, plus
solidaire), afin de transformer cette cause en une « lutte des
sexes » pour qui, plus ou moins certes d’un positionnement à
l’autre, l’ennemi devient l’homme, le mâle, voire dans la
version la plus postmoderne du néoféminisme « l’homme blanc
hétérosexuel ». Ce communautarisme féministe se trouve
parfois logé à l’enseigne d’un « féminisme radical ».
Cette radicalité-là n’ayant qu’un lointain rapport avec ce
qu’il est convenu d’appeler depuis Marx, à savoir « prendre
les choses à la racine ». Il est vrai que l’adjectif
« radical » et le nom « radicalisme » (ne
parle-t-on pas d’un « radicalisme islamiste », ou
« identitaire » ou « animaliste ») ainsi
vulgarisé désigne aujourd’hui l’une ou l’autre forme d’un
extrémisme. Le mot radicalité semble résister encore : mais pour
combien de temps ?</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Notre
conclusion nous pourrions la tenir avec quelques uns des autres cas
de communautarisme évoqués ci-dessus. En admettant comme l’auteur
de ces lignes que la « question sociale » (qui ne
correspond plus à la définition devenue aujourd’hui restrictive
qu’en avaient les révolutionnaires du XIXe siècle) englobe toute
les autres, il importe une fois de plus de défendre une critique
unitaire contre l’une ou l’autre de ces idéologies qui a
contrario se situent sur le seul terrain identitaire. Un féminisme -
tel que l’exprime Laura Kipnis et toutes celles et ceux pour qui
l’émancipation de la femme n’entend pas in fine être distinguée
ou différenciée de celle de l’homme - participe depuis des
modalités qui lui sont propres de cette critique unitaire<a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote8anc" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote8sym"><sup>8</sup></a>.
En revanche le néoféminisme, en se repliant sur des positions
communautaires et identitaires, contribue peu ou prou à substituer à
la « question sociale » celle de la « lutte des
sexes ». En ce sens il doit être combattu comme étant l’une
des fausses réponses à la manière dont cette société devrait
être réformée, et surtout transformée. Celle-ci est certes
divisée, mais sur les seules bases susceptibles de créer les
conditions révolutionnaires d’une société sans classes. Ou, pour
le dire autrement avec un bon auteur : les habitants de cette société
« se sont divisés en deux partis, dont l’un veut qu’elle
disparaisse ».</span></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Max
Vincent</span></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">octobre
2020</span></p>
<div id="sdfootnote1">
<p lang="en-US" class="sdfootnote-western" style="page-break-before: always">
<a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote1sym" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote1anc">1</a><sup></sup>
<span lang="fr-FR">La seconde
partie de </span><span lang="fr-FR"><em>Sur
l</em></span><span lang="fr-FR"><em>’</em></span><span lang="fr-FR"><em>ouvrage
</em></span><span lang="fr-FR">Le
sexe pol</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">mique</span><span lang="fr-FR">…
</span><span lang="fr-FR">renvoie
le cas </span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">ch</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">ant
</span><span lang="fr-FR">à
</span><span lang="fr-FR">l</span><span lang="fr-FR">’</span><span lang="fr-FR">une
ou l</span><span lang="fr-FR">’</span><span lang="fr-FR">autre
de ces contributions.</span></p>
</div>
<div id="sdfootnote2">
<p lang="en-US" class="sdfootnote-western" style="page-break-before: always">
<a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote2sym" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote2anc">2</a><sup></sup>
<span lang="fr-FR">Se reporter
aux pages 11 </span><span lang="fr-FR">à
</span><span lang="fr-FR">13 :
</span><ins><a href="http://lherbentrelespaves.fr/public/neofeminisme.pdf"><span lang="en-US">http://lherbentrelespaves.fr/public/neofeminisme.pdf</span></a></ins></p>
</div>
<div id="sdfootnote3">
<p lang="en-US" class="sdfootnote-western" style="page-break-before: always">
<a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote3sym" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote3anc">3</a><sup></sup>
<span lang="fr-FR">Se reporter
pour un plus long d</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">veloppement
sur cette </span><span lang="fr-FR">« </span><span lang="fr-FR">affaire
Muller - Brion) aux pages 4 </span><span lang="fr-FR">à
</span><span lang="fr-FR">6 de
</span><span lang="fr-FR"><em>N</em></span><span lang="fr-FR"><em>é</em></span><span lang="fr-FR"><em>of</em></span><span lang="fr-FR"><em>é</em></span><span lang="fr-FR"><em>minisme
et ordre moral Deux </em></span><span lang="fr-FR">:
</span><ins><a href="http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf"><span lang="en-US">http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf</span></a></ins></p>
</div>
<div id="sdfootnote4">
<p lang="en-US" class="sdfootnote-western" style="page-break-before: always">
<a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote4sym" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote4anc">4</a><sup></sup>
<span lang="fr-FR">Se reporter
</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">galement
aux pages 11 </span><span lang="fr-FR">à
</span><span lang="fr-FR">13 du
m</span><span lang="fr-FR">ê</span><span lang="fr-FR">me
texte.</span></p>
</div>
<div id="sdfootnote5">
<p lang="en-US" class="sdfootnote-western" style="page-break-before: always">
<a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote5sym" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote5anc">5</a><sup></sup>
<span lang="fr-FR">Se reporter
aux pages 38 </span><span lang="fr-FR">à
</span><span lang="fr-FR">40 de
</span><span lang="fr-FR"><em>N</em></span><span lang="fr-FR"><em>é</em></span><span lang="fr-FR"><em>of</em></span><span lang="fr-FR"><em>é</em></span><span lang="fr-FR"><em>minisme
et ordre moral Deux </em></span><span lang="fr-FR">:
</span><ins><a href="http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf"><span lang="en-US">http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf</span></a></ins></p>
</div>
<div id="sdfootnote6">
<p lang="en-US" class="sdfootnote-western" style="page-break-before: always">
<a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote6sym" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote6anc">6</a><sup></sup>
<span lang="fr-FR">Les pages 5
</span><span lang="fr-FR">à
</span><span lang="fr-FR">9 :
</span><ins><a href="http://lherbentrelespaves.fr/public/neofemonisme.pdf"><span lang="en-US">http://lherbentrelespaves.fr/public/neofemonisme.pdf</span></a></ins></p>
</div>
<div id="sdfootnote7">
<p lang="en-US" class="sdfootnote-western" style="page-break-before: always">
<a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote7sym" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote7anc">7</a><sup></sup>
<span lang="fr-FR">Se reporter
aux pages 18 et 19 de </span><span lang="fr-FR"><em>N</em></span><span lang="fr-FR"><em>é</em></span><span lang="fr-FR"><em>of</em></span><span lang="fr-FR"><em>é</em></span><span lang="fr-FR"><em>minisme
et ordre moral Deux </em></span><span lang="fr-FR">:
</span><ins><a href="http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf"><span lang="en-US">http://lherbentrelespaves.fr/public/ordremoral.pdf</span></a></ins></p>
</div>
<div id="sdfootnote8">
<p lang="en-US" class="sdfootnote-western" style="page-break-before: always">
<a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote8sym" href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2020/10/16/SUR-L%E2%80%99OUVRAGE-LE-SEXE-POL%C3%89MIQUE-%28QUAND-LA-PARANO%C3%8FA-S%E2%80%99EMPARE-DES-CAMPUS-AM%C3%89RICAINS%29%2C-DE-LAURA-KIPNIS#sdfootnote8anc">8</a><sup></sup>
<span lang="fr-FR">Laquelle, en
plus de la question sociale proprement dite, prend en compte la
destruction des bases biologiques de la vie, la marchandisation du
monde, la d</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">culturation
g</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">n</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">ralis</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">e,
les replis et illusions identitaires et populistes (en y ajoutant
les questions raciales et f</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">ministes
d</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">barrass</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">es
de leurs avatars indig</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">niste
et n</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">of</span><span lang="fr-FR">é</span><span lang="fr-FR">ministe).</span></p>
</div><br />CONSIDÉRATIONS (INTEMPESTIVES ?) SUR LE « MOMENT COVID-19 »urn:md5:6b8d2b7d226c7294cd240d4cfb1cb3812020-08-25T16:47:00+02:002020-08-25T16:47:00+02:00Max VincentCritique sociale <h2><center>CONSIDÉRATIONS </center><center>(INTEMPESTIVES ?) </center><center>SUR LE « MOMENT COVID-19 » </center></h2>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">
Que
dire du vertige qui fut le nôtre en mars 2020, alors que nous étions
confrontés à une situation inouïe, sans précédent dans
l’histoire moderne, un scénario auquel quelques mois plus tôt
nous n’aurions pas accordé le moindre crédit ? Certains, parmi
les commentateurs, avancèrent que le monde qui naitrait de l’après
Covid-19 serait nécessairement différent de celui qui l’avait
précédé, que de nombreuses remises en cause devaient en résulter
(celle du capitalisme en premier lieu). Toute certitude mise de côté,
l’hypothèse méritait néanmoins d’être retenue. Il faut
reconnaître, cinq mois plus tard, que cette hypothèse se trouve
sensiblement révisée à la baisse. Ce qui ne signifie pas qu’il
faille abonder dans l’autre sens, pour reprendre le propos de ceux
qui en mars ne se faisaient aucune illusion, déclarant même que le
pire ne pourrait qu’advenir. Et force est de constater que la crise
économique et sociale annoncée, dont il paraît difficile de
prévoir à ce jour toutes les conséquences ne serait pas sans
accréditer ce point de vue. A vrai dire nous retrouvons là
l’éternelle querelle entre les optimistes et les pessimistes : les
uns et les autres ayant à la fois tort et raison. Par conséquent il
paraît préférable de ne pas se laisser enfermer dans ce genre de
dilemme pour tenter de comprendre et d’analyser ce « moment
Covid-19 ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Nos
remarques partent de cette indication fondamentale : la pandémie
créée par le virus SARS-COVID-2 relève de ce que l’on appelle un
« fait objectif ». Les États, les uns après les autres,
ont été dans l’obligation de le reconnaître pour prendre,
contraints et forcés, les mesures propres à pouvoir limiter la
diffusion de l’épidémie : des mesures plus ou moins
contraignantes et coercitives d’un pays à l’autre. Donc,
phénomène sans précédent, de « privilégier la vie »
au détriment de l’économie. Ce qui signifie que le capitalisme
s’y est résolu parce que le contraire - ne pas en tenir compte -
lui apparaissait encore plus préjudiciable du point de vue de sa
pérennité. Il lui importait de guérir le mal par le mal pour
repartir sur d’autres bases, voire se régénérer, avec le risque
d’engendrer une crise économique et sociale de l’importance de
celle de 1929, ou même pire.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Des
commentateurs ont récusé l’importance ou encore l’existence du
Covid-19, nous verrons plus loin à quelles fins. D’autres, sans
pourtant reprendre ce discours, n’en ont pas moins remis en cause
les mesures mises en place (le confinement d’une grande partie de
la population, et ce qui en résultait) pour affirmer qu’elles
auraient pu être évitées. Certes mais en réécrivant l’histoire.
D’où la nécessité depuis l’exemple hexagonal de replacer les
tribulations du Covid-19 dans un contexte d’abord général (celui
bien connu d’un constat de « casse sanitaire » allant
s’accroissant, conséquemment aux politiques néo-libérales des
trente dernières années), et celui plus particulier de l’hiver
2020 (très peu commenté) pour démontrer si besoin était que ce
qu’il aurait alors fallu faire (que ces commentateurs préconisaient
depuis leur lieu de confinement) n’était tout simplement pas
envisageable. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ce
qui nous ramène à la gestion de la crise sanitaire par le
gouvernement français. Elle ne peut être analysée indépendamment
des raisons pour lesquelles l’exécutif en France souffre d’un
discrédit sans équivalent dans les pays de l’Europe de l’ouest.
Depuis cette antienne tout ce qui sera à juste titre reproché au
gouvernement dans sa gestion de la crise sanitaire fait partie du
problème, en est l’un des éléments les plus patent, mais n’est
pas tout le problème. Ici nos considérations pourront paraître
intempestives. Elles prolongent d’une certaine manière celles
faites seize mois plus tôt sur le mouvement des Gilets Jaunes. Le
populisme diffus propre à cette époque n’est pas sans incidence
sur la façon d’interpréter ce « moment Covid-19 ».
C’est en terme de tendance que nous relevons par exemple que le
ressentiment et la perspective dégagiste prennent le pas sur
l’esprit critique et la dimension émancipatrice. Les réseaux
sociaux y concourent. Ce n’est que l’un des aspects d’une
tendance plus générale - le dégagisme étant en d’autres lieux
remplacé par la revendication communautariste - qu’illustrent le
néoféministe et l’indigènisme (ou les décoloniaux).</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ceci
précisé l’analyse serait à reprendre là où nous l’avions
laissée quelques mois plus tôt, en ajoutant que ce « moment
Covid-19 » ne l’a nullement démentie. D’où l’obligation
de reprendre le problème à sa source, de le traiter prioritairement
depuis ses causes : ce qui n’est pas nier ou éluder ses
conséquences mais celles-ci ressortent d’une part d’un autre
niveau d’analyse, d’autre part il ne paraît pas encore possible
d’en faire un relevé exhaustif. Parmi les principaux enseignements
de ces derniers mois, il en est un qui renvoie plus directement à
notre mode de vie (plus particulièrement dans le monde occidental).
Nous le savions déjà, mais le savons encore mieux eu égard la
principale cause de décès due au Covid-19. L’âge à lui seul
n’expliquait pas tout quand les patients infectés se trouvaient
déjà fragilisés par l’une ou l’autre de ces affections
principalement imputables à notre mode de vie. L’alimentation
industrielle, en premier lieu, en porte la responsabilité. Cependant
cette prise de conscience - à condition bien sûr qu’elle soit
suivie d’effets - qu’ici la pandémie a renforcé ne peut
concerner dans l’état actuel des choses que la partie la plus
privilégiée de la population. Une question là encore, que ce
« moment Covid-19 » a mis sous une lumière crue, qui ne
peut être résolue en dehors d’une profonde transformation de la
société.</span></p>
<p align="center" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">1</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Nous
ne saurions trop renvoyer au texte de Jérôme Baschet (« Qu’est
ce qui nous arrive ? »), publié sur </span><span lang="fr-FR"><em>Lundi
Matin</em></span><span lang="fr-FR">
en avril 2020, pour introduire ce « moment Covid-19 »
(même si nous ne partageons pas certaines des conclusions de
l’auteur). Ainsi Baschet propose la définition suivante : « Les
pandémies sont des phénomènes qui transgressent la dissociation
moderne entre nature et société, et qui dépendent en grande partie
des interactions entre milieux naturels et mode d’organisation des
collectifs humains ». Ce que l’on appelle la « révolution
néolithique », poursuit Baschet, « a créé les
condition d’une promiscuité tout à fait nouvelle entre humains,
animaux domestiques et commensaux attirés par les stocks de denrée.
C’est ce qui a favorisé la transmission à l’homme d’agents
pathogènes jusque là propres à diverses espèces animales,
provoquant ainsi l’émergence des grandes maladies infectieuses
qui ont depuis affecté l’humanité ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Venons
en à la dernière en date. Déjà responsable de la diffusion rapide
de la pandémie de Covid-19 sur tous les continents, et plus
particulièrement en Europe sous sa forme mondialisée (ou
globalisée) le capitalisme l’est plus structurellement à travers
les effets délétères et destructeurs de l’alimentation
industrialisée, lesquels sont généralement la cause de l’obésité,
du diabète et de l’hypertension dont un tiers de l’humanité se
trouve affectée. Ces trois maladies constituent la principale
co-morbidité des décès de personnes atteintes par ce coronavirus.
Ce qui doit être souligné. D’abord pour insister sur ce qui
distingue fondamentalement le Covid-19 des virus qui l’ont précédé
depuis un demi siècle. Ensuite pour indiquer que la lutte contre
cette pandémie (et celles qui pourraient au XXIe siècle lui
succéder) passe par la condamnation sans appel du capitalisme (et
des modes de vie qu’il génère), à condition que celle-ci soit
suivie d’effets. Ce qui signifie qu’il nous faut traiter le mal à
sa racine et en tirer toutes les conséquences. C’est l’un des
principaux enseignements de ces derniers mois : parmi toutes les
raisons de vouloir en finir avec ce monde il convient d’ajouter
celle-ci.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cependant
un large état des lieux s’impose préalablement. Et même, avant
d’en venir à la manière dont les États ont réagi face à cette
pandémie, il importe de bien distinguer deux points de vue
antagonistes : le premier en reconnait la réalité, tandis que le
second la nie. Comme on le verra plus loin, politiques, médecins et
opinions publiques ont, à l’exception d’une partie du continent
asiatique, largement sous-estimé l’importance de ce phénomène
épidémique dans un premier temps, avant de changer radicalement de
cap devant la progression exponentielle de la pandémie. Ce qui a pu
conforter les partisans du second point de vue.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Parmi
ceux-ci, qui donc récusent l’importance du Covid-19, voire son
existence nous trouvons en premier lieu le philosophe italien Giorgio
Agamben. Il y a quelque ironie à relever que dans un second temps
Trump puis Bolsonaro ont emprunté ses pas. Non sans préciser que le
propos d’Agamben - celui-ci l’illustrera ensuite de différentes
manières - soulève bien évidemment des questions absentes de
celles qui se rapportent aux deux chefs d’État américains,
uniquement dictées par des considérations économiques. C’est à
la date du 26 février qu’Agamben (dans un pays, l’Italie, le
premier en Europe confronté au phénomène épidémique) signe un
article retentissant dans lequel, s’abritant en partie derrière un
rapport du Centre National de la Recherche italien, il évoque les
« mesures d’urgence frénétiques, irrationnelles et
totalement injustifiées, pour une supposée épidémie de
coronavirus », et ajoute plus loin que « la disproportion
face à ce que, selon le CNR, est une grippe normale, peu différente
de celles qui se répètent chaque année est évidente. Il
semblerait que le terrorisme étant épuisé comme cause de mesures
d’exception, l’invention d’une épidémie puisse offrir le
prétexte idéal pour les étendre au-delà de toutes les limites ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">D’autres
textes d’Agamben suivront en mars et en avril, moins explicites en
terme « d’invention d’une épidémie » mais qui
néanmoins tenteront de l’accréditer. Y compris de façon
complètement retorse dans un entretien accordé par Agamben en mars
au </span><span lang="fr-FR"><em>Monde</em></span><span lang="fr-FR">)
: « Quand on parle d’invention dans un domaine politique, il
ne faut pas oublier que cela ne doit pas s’entendre dans un sens
uniquement subjectif. Les historiens savent qu’il y a des
conspirations pour ainsi dire objectives qui semblent fonctionner en
tant que telles sans qu’elles soient dirigées par un sujet
identifiable ». En réaction à ce fragment d’entretien
François Rastier répondait : « Ce propos singulier semble
marquer une nouvelle étape dans l’histoire du conspirationnisme
contemporain : alors que jusqu’ici une théorie de la conspiration
visait à donner une interprétation fausse d’une situation
objective, ici c’est la situation objective qui devient une
conspiration ». Ce qui est bien vu.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Dans
des </span><span lang="fr-FR"><em>Nouvelles
réflexions </em></span><span lang="fr-FR">datées
du 22 avril, Agamben relativise la mortalité causée par le Covid-19
en Italie sans préciser que ce soi-disant faible nombre de décès
est dû aux mesures de confinement qu’il critique. Certes Agamben
ne fait pas preuve ici d’une grande originalité puisque ce
discours est tenu par beaucoup de ceux qui, sans pourtant nier la
réalité de la pandémie, remettent cependant en cause les mesures
propres à la juguler. Par delà ce genre de constat le propos
d’Agamben n’est que l’un des aspects au travers duquel le
philosophe de manière constante, pour citer l’un de ses
commentateurs, rejette la « science vue comme un dogme ».
Ainsi Agamben reprend le discours selon lequel il serait « dangereux
de confier aux médecins et scientifiques des décisions qui sont, en
dernière analyse, éthiques et politiques ». Ce qui est un
sujet très légitime de discussion à condition de bien indiquer que
ces médecins et scientifiques n’avaient eu durant la période de
confinement qu’un rôle consultatif en Italie comme en France. Les
gouvernements avaient il est vrai suivi leurs préconisations avant
de s’en affranchir dans un second temps. En tout cas cet « oubli »
permet à Agamben d’assortir son propos de comparaisons déplacées
sur le nazisme, puis de déclarer sans barguigner que « les
virologues admettent ne pas savoir exactement ce qu’est un virus,
mais en son nom ils prétendent décider comme doivent vivre les
êtres humains ». Là encore Agamben déforme la réalité pour
que ce qu’il en retient vienne étayer son postulat initial. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Pourtant
le pire reste à venir. Le philosophe conclut ces </span><span lang="fr-FR"><em>Nouvelle
réflexions </em></span><span lang="fr-FR">par
le constat suivant : « Et le contrôle qui vient s’exercer au
moyens de caméras de vidéo-surveillance et maintenant, comme il a
été proposé, avec les téléphones portables excède de très loin
toute forme de contrôle exercée sous les régimes totalitaires
comme le fascisme et le nazisme ». Un lien doit être établi
entre le « déni dangereux, forme de négationnisme sanitaire »
(François Rastier) de l’article du 26 février 2020, et ce que
Agamben reformule deux mois plus tard : qui sidère d’autant plus
que la comparaison, déjà totalement contestable, se trouve
renforcée par la mention « excède de très loin ».
C’est tellement outrancier qu’il n’y a pas lieu de le récuser
(en s’étonnant, au passage, de l’absence du totalitarisme
soviétique). On se contentera d’ajouter que ce genre de propos
relativise la réalité de fascisme et plus encore du nazisme, autant
qu’il les banalise. Ceci ne saurait cependant pas trop surprendre
les lecteurs d’Agamben qui savent depuis </span><span lang="fr-FR"><em>Le
pouvoir souverain de la vie nue </em></span><span lang="fr-FR">et
</span><span lang="fr-FR"><em>L’État
d’exception, </em></span><span lang="fr-FR">parmi
d’autres ouvrages, que ce qui nous parait plus haut outrancier
trouve un fondement théorique dans l’oeuvre d’un philosophe
assurément post-moderne, mais plutôt classé à l’ultra-gauche.
Après tout que peut-on attendre d’un penseur se référant
principalement (à côté du dernier Foucault) à Carl Schmitt et à
Heidegger.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Confrontés
à l’irruption d’une épidémie virale du nom de SARS-COVID-2
pour laquelle il n’existait (pas plus qu’il n’existe en août
2020) ni traitement curatif efficace ni vaccin, les États ont pris
des mesures, plus ou moins contraignantes et coercitives, visant à
endiguer cette pandémie. Préalablement à la rapide description de
ce qui sera mis en place d’un pays à l’autre indiquons que ces
trains de mesures reposaient sur les trois stratégies suivantes
(déjà connues, même si les secondes et troisièmes renvoient à de
lointains exemples historiques). Premièrement laisser l’épidémie
se propager en attendant que devienne effective une immunité de
groupe. Deuxièmement mettre en oeuvre un confinement strict,
impliquant l’arrêt de nombreuses activités économiques et le
contrôle de la population. Troisièmement privilégier en amont des
mesures de prévention sanitaire (renforcées par des confinements
partiels et la limitation d’activités de tout ordre).</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">On
l’a dit et redit : des pays comme la France, l’Italie, l’Espagne,
la Grande-Bretagne payent au prix fort leurs désastreuses politiques
néo-libérales qui, dans le domaine sanitaire, les avaient conduit à
faire des coupes sombres dans les budgets alloués à la santé
depuis plusieurs décennies. Cela était aussi le cas de l’Allemagne
mais dans une moindre mesure : sur la question devenue cruciale avec
le Covid-19 des lits de réanimation l’Allemagne se trouvait mieux
dotée que ses voisins de l’Europe de l’ouest à la veille de la
pandémie. Ce n’était pas faute, en France, d’avoir été alerté
depuis de longues années par le personnel hospitalier sur le manque
accru de moyens, le problème récurrent des urgences, des
dysfonctionnements de tous genres qui, cumulés avec la modicité des
traitements des personnels, reléguaient l’hôpital au rang d’un
parent pauvre de la société, malgré les réformes successives du
système de santé jouant le rôle d’un pansement sur une jambe de
bois.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
France donc, comme dans les autres pays européens cités, ainsi que
la plupart des pays à travers le monde, aucun État (à de rares
exceptions près) n’était en mesure d’affronter sans dommages la
menace représentée par un virus encore inconnu quelques mois plus
tôt. C’est bien parce que le Covid-19 les mettaient tous au pied
du mur qu’il leur fallu prendre des mesures drastiques, plutôt
acceptées par les populations dès lors qu’elles réalisaient
qu’il s’agissait d’un moindre mal dans un contexte de crise
sanitaire où ne rien faire aurait été encore pire. Bien entendu
une telle analyse doit être affinée et modulée, remise en
perspective, voire quelque peu corrigée en regard de situations
locales précises. Cependant on n’insistera jamais trop sur notre
méconnaissance (celle il va de soi des scientifiques, médecins
épidémiologues en premier lieu) envers un virus que l’on
apprendra à mieux connaître au fil des mois : ce déficit de
connaissance étant l’un des éléments structurants au travers de
laquelle cette acceptation, en plus des données objectives relevées
plus haut, reposait sur la peur. J’ajoute que cette peur était
fondée, en premier lieu chez les personnes les plus à risques, mais
également de manière plus diffuse dans l’ensemble de la
population qui, j’y reviens, n’avait pas à ce stade de réponses
véritablement satisfaisantes, soit sur l’usage des masques,
l’importance des tests, soit sur la nocivité même du virus (vis à
vis des enfants en premier lieu). Une meilleure connaissance du
Covid-19 permettra peu à peu de rectifier le tir en agissant de
manière plus adaptée. Ce qui n’empêchera pas, bien au contraire,
les frustrations de s’étaler de plus en plus au grand jour durant
une période de confinement qui s’éternisait.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Parallèlement
à ce qui vient d’être indiqué sur le plan sanitaire, le problème
en France se trouve redoublé par une donnée qui certes l’excède
mais que l’exemple suivant met particulièrement en valeur. Celui
d’un sondage Odoxa réalisé le 10 mai dans les cinq principaux
pays de l‘Europe de l’ouest : à la question posée (le
gouvernement a-t-il été à la hauteur de la situation face à la
crise liée à la pandémie de coronavirus ?), les espagnols
répondent oui à 32 %, les français à 34 %, les italiens à 50 %,
les allemands à 60 %, les britanniques à 63 %. C’est plus
qu’étonnant de trouver un tel degré de confiance des britanniques
envers un gouvernement dont la responsabilité dans la crise
sanitaire parait plus engagée que celle des autres pays cités,
principalement pour avoir privilégié dans un premier temps la
stratégie d’immunité collective. Au point de dépasser
successivement tous ses voisins européens dans la sinistre
comptabilité des décès dus au Covid-19. Cette surprenante
confiance (dans un pays où la presse n’a pas ménagé le
gouvernement) ne s’explique qu’en partie par le fait que Boris
Johnson avait été lui-même affecté par le coronavirus et
hospitalisé plusieurs jours dans un service de soins intensifs. Sur
l’ensemble des questions posées dans ce sondage, portant sur la
confiance envers leurs gouvernants, nous retrouvons 23 à 25 %
d’approbations positives chez les français contre 43 et 46 % pour
la moyenne des sondés européens. La France étant le pays dont la
population se montre la plus défiante envers son exécutif.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">La
gestion de la crise sanitaire en France n’a pas été plus
calamiteuse qu’en Italie et en Belgique, voire moins qu’en
Espagne, et moins qu’en Grande Bretagne (mais plus qu’en
Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas ). Dans chacun des premiers pays
cités les autorités ont piloté à vue, en fonction de ce qu’elles
apprenaient presque chaque jour sur la spécificité du virus (d’où
cette gestion erratique), confrontées à l’obligation de trouver
rapidement des solutions souvent insatisfaisantes en raison du
sous-équipement des secteurs hospitaliers (manque de masques, de
tests, de lits de réanimation). La question de l’impréparation,
qui également y concourait, doit ici être remise en perspective. On
s’est souvent référé à la Corée du sud comme exemple d’un
pays où la population, mieux préparée, avait été en mesure de
répondre de manière plus satisfaisant, plus efficace et plus
concertée à une telle pandémie. Mais ce qui était envisageable
dans ce pays asiatique, déjà confronté depuis le début de ce
siècle à deux importants phénomènes épidémiques, dont les
habitants d’avèrent moins rétifs sur les questions dites de
« protection sanitaire » aux injonctions
gouvernementales, ne pouvait l’être en Europe (à l’exception
très relative de l’Allemagne). Et l’on ne saurait oublier, comme
le rappelle l’économiste Pierre Velz, que « les maladies
infectieuses, respiratoires en particulier, constituent dans nos pays
riches une cause devenue très mineure de mortalité (moins de 2 % de
décès), alors qu’ils sont toujours une cause essentielle dans les
pays pauvres ». Velz ajoute, chiffres à l’appui : « Même
si elle est « coupable », une certaine impréparation est
donc explicable ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Mais
revenons à cette « exception française ». dont
l’ampleur excède le cadre macronien. Le discrédit sans égal dans
l’Europe de l’ouest des français envers l’actuel chef de
l’État et son gouvernement, en y ajoutant les « élites »,
les médias, les institutions diverses, voire les partis politiques
et les syndicats, si elle ne date pas des trois dernières années
s’est cependant trouvée accentuée dans les lendemains de
l’élection de Macron. Dans le monde d’avant, celui du XXe
siècle, on relevait il va sans dire de profonds désaccords entre
une forte minorité de français (sinon plus) et le gouvernement en
place : avec l’alternative droite / gauche ce n’était d’ailleurs
pas la même d’un septennat à l’autre (ou à l’intérieur d’un
septennat en période de cohabitation). Mais dans un cas comme dans
l’autre il s’agissait de mécontentements politiques bien
identifiables, associés au rejet d’une politique de droite ou de
gauche. Cette donne, qui avait le mérite de la clarté, s’est
trouvée très progressivement remise en cause avec la seconde
élection de Chirac. L’absence du candidat de gauche au second tour
face au président sortant, inaugure une autre époque, plus confuse.
Et pourtant, en 2003 encore, nous vivions dans « le monde
d’avant ». Si l’on reprend dans le détail l’épisode de
canicule de l’été 2003, l’observateur de ce printemps 2020 ne
peut qu’être effaré par la légèreté de l’exécutif devant ce
qui relevait certes d’une situation exceptionnelle, jamais vécue
auparavant (nous ne parlions pas encore de « réchauffement
climatique »). Alors que les médecins urgentistes dénonçaient
un « désastre sanitaire » sans équivalent, le
gouvernement lui restait en vacances. D’ailleurs le Ministre de la
Santé n’avait pas jugé utile de quitter son lieu de villégiature
lors de sa première et tardive intervention publique. Le Premier
Ministre ne mettra fin à ses vacances que la veille du déclin de la
canicule. Seul le Ministre de la Santé sera débarqué quelques
moins plus tard lors d’un remaniement ministériel. Chirac, revenu
plus tard lors de ses vacances québécoises, niera la responsabilité
de l’exécutif dans ce désastre sanitaire (préférant incriminer
un « manque de solidarité entre les citoyens »). En
octobre il recueillait encore 50 % d’opinions positives. Ensuite,
avec Sarkozy d’abord, Hollande puis Macron, ce discrédit déjà
repérable vers la fin du quinquennat de Chirac, va peu à peu
s’accentuer pour atteindre, lors du mouvement des Gilets Jaunes en
2019, puis celui contre le projet de réforme des retraites un an
plus tard, un étiage encore inusité sous le Cinquième République.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
cette année 2020 donc, pour prolonger ce qui a été indiqué plus
haut, c'est principalement en amont que doit être posée la
responsabilité de l’exécutif dans le bilan de sa gestion de
crise. En mars, avril ou encore en mai, le pouvoir sur le plan
sanitaire a géré tant bien que mal la situation la plus
catastrophique que nous ayons connu depuis la Seconde guerre
mondiale. Cela aurait-il pu être évité ? Il faudrait réécrire
l’histoire pour y répondre. Quand par exemple le docteur Gérard
Délépine écrit (pour reprendre un discours entendu maintes fois) :
« La seule stratégie qui a prouvé qu’elle était efficace
pour arrêter une épidémie est de fermer précocement les
frontières, de dépister massivement, puis de confiner les
contaminés et / ou les traiter, tout comme les cas à risques. La
population non contaminée doit pouvoir se protéger (masques, gel)
et poursuivre ses activités pour permettre à la nation de disposer
de toutes les armes nécessaires pour combattre », il a bien
entendu raison. Mais nous aurions aimé l’entendre au moment même
où ces dispositions auraient dû être mises en place, plutôt
qu’après de longues semaines de confinement. Le docteur Délépine
et tant d’autres ne nous ont fait part de leurs certitudes en terme
de « gestion de crise » qu’a posteriori. Ce qui n’est
pas inutile puisque cela vaut comme enseignement pour les éventuelles
pandémies à venir. Et puis, sans pourtant récuser pareille
stratégie (la justesse du constat n’est pas mis en cause), tout
simplement, je vais y venir, un tel programme on le regrette n’était
pas auparavant envisageable.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">D’abord
re-contextualisons ce moment pro-épidémique. Tout le monde en
France a minimisé dans un premier temps l’importance de ce qu’on
n’appelait pas encore une pandémie : le pouvoir politique comme
son opposition, les autorités médicales et les chefs de service
hospitaliers (ce qui est plus problématique), l’auteur de ces
lignes, ses amis, etc. En janvier et février des professeurs de
médecine, majoritairement urgentistes et infectiologues, relayés
par des « experts » et des journalistes médicaux, se
sont succédés sur les plateaux de télévision pour relativiser la
menace représentée par ce coronavirus inconnu. Il ne fallait pas
s’inquiéter, nous répétait-on, la Chine étant la Chine et
l’Europe l’Europe. En plus nous n’avions pas été infectés,
ou à une moindre échelle, par les précédentes épidémies en
provenance d’Asie. Quand le virus fit son apparition en Italie ce
discours persista, même si des interrogations se firent entendre. Un
peu moins cependant lorsque l’épidémie s’étendit à toute la
Lombardie. Même les premiers cas de Covid-19 signalés en France ne
changèrent pas véritablement la donne. Disons pour résumer que le
souci de ne pas affoler la population prévalait. Un souci qui
paraissait alors fondé.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cependant
cette re-contextualisation resterait insuffisante sans le rappel
suivant. Dans l’hypothèse où en février 2020 (et même en
janvier), le gouvernement informé à bon escient (mais par qui ?)
ait cru bon nous alerter sur l’importance de l’épidémie et la
nocivité du Covid-19, envisageant pour y répondre de prendre les
mesures nécessaires pour affronter la pandémie en toute
connaissance de cause (celles là mêmes préconisées ensuite par le
docteur Délépine et compagnie depuis leurs lieux de confinement),
que n’aurait-on alors entendu ! Le gouvernement eût été accusé
par l’opposition de gauche, les syndicats, Médiapart (voire même
le RN et les Républicains pour d’autres raisons), de se livrer à
une opération de diversion pour détourner l’attention de la
population de ses responsabilités dans la poursuite d’un conflit
qui s’enlisait, ce mouvement contre la réforme des retraites
pourtant soutenu par une majorité des français ; de jouer d’une
façon indécente sur les ressorts de la peur, de vouloir créer un
climat de panique. Edwy Plenel aurait sorti l’un de ces éditoriaux
dont il est coutumier, que ses lecteurs attentifs peuvent imaginer
sans trop de difficulté. Doit-on rappeler aussi que l’affaire
Matzeff / Springora, celle associée à Polanski et aux Césars (avec
Adèle Haenel en Guest-star), et auparavant l’affaire Griveaux
volaient largement la vedette à ce coronavirus dont beaucoup
prononçaient difficilement le nom.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Une
fois le confinement mis en place, c’est surtout sur le problème de
l’absence de masques sanitaires que ce sont concentrées les
critiques envers l’exécutif. Précédemment les mêmes sommités
médicales qui défilaient sur les plateaux TV ne les préconisaient
que pour les seuls soignants du secteur hospitalier ou les personnels
pouvant se trouver en contact avec des patients Covid. L’OMS tenait
à l’époque le même discours. Confronté à la pénurie de
masques le gouvernement a menti par omission. Une position qui
devenait difficilement tenable dès lors que l’on apprenait à
mieux connaître la nature de ce coronavirus. Sans parler des
atermoiements, des maladresses ou des contradictions de l’exécutif
durant une période de confinement de moins en moins supportée par
une partie de la population. Nécessité aussi de se replacer dans le
contexte du moment, en rappelant que le gouvernement, une semaine
avant l’annonce du confinement, et jusqu’en mai, aura suivi à la
lettre les préconisations du Conseil scientifique mis en place au
début de mars, y compris en changeant de doctrine sur cette
sempiternelle question du port de masque.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Des
enquêtes journalistiques ont souligné la responsabilité des
gouvernements des quinquennats Sarkozy, Hollande, puis Macron dans la
gestion des stocks de masques sanitaires ; auxquels venaient
s’ajouter les pesanteurs de l’administration, rendant encore plus
opaque cette gestion. Durant le confinement, et même après, cette
pénurie de masques a joué le rôle de l’arbre cachant la forêt.
La crise sanitaire l’a mise au premier plan alors qu’il ne
s’agissait que la partie émergée de l’iceberg. En tout cas
cette focalisation sur l’absence de masques n’a pas été sans
provoquer maints commentaires critiques. Les plus outragés affirmant
que cette pénurie serait responsable de plusieurs milliers de morts.
Des affirmations nullement vérifiables puisque cette comptabilité,
soumise à un principe de géométrie variable, n’entre pas dans la
catégorie de ce qu’on appelle des « faits objectifs ».
Comment la mesurer si l’on sait que les masques sanitaires, d’un
modèle à l’autre, ne protègent pas à 100 %, qu’ils doivent
recouvrir le menton, la bouche et le nez pour être efficaces, et que
leur usage est limité à quatre heures. On a également dit, sans
pouvoir en apporter la preuve, que les autres « gestes
barrières » (la distanciation physique en premier lieu)
s’avéraient davantage protecteurs. Pour prendre un exemple concret
de « faits objectifs », nous pouvons précisément
chiffrer les victimes des violences policières pendant les
manifestations des Gilets Jaunes, en terme de blessures graves (perte
d’un oeil), de blessures légères, ou d’incapacité de travail.
Mais pareille comptabilité ne peut être rapportée dans le cas
présent de pénurie de masques en l’absence de tout critère
objectif. Dans le même registre d’autres commentateurs (ou parfois
les mêmes) ont prétendu que le choix des autorités sanitaires,
proscrivant la prescription de l’hydroxychloroquine aux malades
Covid, serait la cause de milliers de décès (le professeur Perronne
l’a même chiffré : 25 000 morts, affirmait-il en juin) : ces
décès auraient pu être évitées si l’on avait, selon eux,
prescrit massivement cette molécule. A lire ces différents
commentaires on en déduit qu’il ne s’agirait pas nécessairement
des mêmes victimes. Ce qui nous entraine, en additionnant le
chiffrage des uns et des autres, du moins depuis les hypothèses les
plus alarmistes, à trouver un nombre de décès dépassant le seuil
des morts du Covid-19 comptabilisé à ce jour. L’illustration en
quelque sorte de la célèbre pagnolade selon laquelle tel breuvage
comporte « un tiers de curaçao, un tiers de citron, un tiers
de picon, et un tiers d’eau ». Plus trivialement nous
subodorons que le professeur Perronne et ses émules feraient en
quelque sorte voter les morts.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Redevenons
sérieux en indiquant que des commentateurs plus conséquents, en
regard des mesures drastiques prises par les autorités de chaque
pays pour enrayer la pandémie, ont relevé que l’intérêt du bien
commun ne pouvait que restreindre durant une période variable nos
libertés individuelles. Pour l’économiste Pierre Velz, comparant
vers la fin du mois de mars les épidémies précédentes à
celle-ci, cette différence spectaculaire de traitement indique que
« nous avons </span><span lang="fr-FR"><em>augmenté
la valeur de la vie humaine</em></span><span lang="fr-FR"> ».
Ceci se trouvant corrélé par le souci de transparence dans une
époque où les médias et Internet ont pris l’importance que l’on
sait. Ce que résume l’un de ces experts médicaux présent sur un
plateau de télévision pendant le confinement par la formule :
« Pour la première fois nos sociétés ont choisi la vie
plutôt que l’économie ». Un « </span><span lang="fr-FR"><em>refus
de la mort évitable</em></span><span lang="fr-FR"> »
qui pour Velz est « un immense progrès ». Sans pour
l’instant discuter ou relativiser ce propos, notons qu’il traduit
très précisément le caractère exceptionnel de la période que
nous venons de traverser. Là où d’aucuns se réfèrent à un
changement radical de paradigme, d’autres le mettent sur le compte
d’une révolution anthropologique.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Pour
prolonger le commentaire de Pierre Velz revenons sur une donnée
essentielle du Covid-19 : la surmortalité des personnes âgées.
Avant que la quasi totalité des pays européens choisissent pour
lutter contre cette pandémie de confiner contraintes et forcées
leurs populations, nous savions à travers l’exemple italien
(confirmant ceux des pays asiatiques) que le Covid-19 pouvait
infecter toutes les classes d’âge mais que, contrairement aux
grippes classiques, seules dans leur grande majorité les personnes
âgées décédaient de ce coronavirus. Cette donnée se
trouvait-elle suffisamment étayée quand les États européens ont
confiné les uns après les autres leurs populations ? Parce que sur
le moment la question de savoir s’il ne fallait pas
préférentiellement confiner les personnes âgées (ou plus
généralement les personnes « à risque »), ceci pour
éviter un arrêt brutal de l’économie, n’a pas été posée ;
du moins publiquement. Devant les progrès spectaculaires de la
pandémie le souci de reproduire ce qui avait été mis en place en
Chine (avec un certain succès, semblait-il), puis en Italie,
l’expliquait en partie. Sans parler du caractère impopulaire,
ségrégationniste d’une telle mesure. Par la suite le confinement
se prolongeant, la question devenait davantage recevable. Elle fut
d’ailleurs posée en France au plus haut sommet de l’État, et de
manière moins interrogative par la présidente de la Commission
européenne. Devant la levée de boucliers provoquée par une telle
éventualité, l’exécutif en France peu de temps après indiquait
que le déconfinement concernait toutes les classes d’âges.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">D’un
point de vue que l’on qualifierait de rationnel, en confinant
uniquement les personnes à risques (donc âgées) on évitait que la
plus grande partie de la population, celle dite active, le soit. Les
écoles, les commerces et les services restaient ouverts, les
transports circulaient, les salariés se rendaient sur leur lieu de
travail, ainsi l’économie n’était nullement paralysée. Cela
n’excluait pas, bien au contraire, le virus continuant à circuler,
l’obligation de mesures adéquates, préventives, donc le port de
masques sanitaires et le respect strict de « gestes
barrières ». Ce choix aurait pu s’imposer. Ce qui n’a pas
été le cas puisque aucun État ne s’y est résolu, les raisons
éthiques prenant alors le pas sur la raison économique. Cependant,
ceci avancé, cette rationalité n’est-elle pas un trompe-l’oeil
? A vrai dire nous nous serions retrouvés dans une situation
d’immunité de groupe dont on sait que seules en Europe la Grande
Bretagne (durant peu de temps), et la Suède (depuis une formule
mixte ) l’ont expérimentée. Et puis les hôpitaux auraient été
débordés, pas tant du point de vue des seuls services de
réanimation, que dans leur capacité d’admettre des personnes de
tout âge. Soit l’hôpital implosait ; soit la médecine de ville,
débordée, se trouvait dans l’incapacité de traiter de manière
satisfaisante les malades Covid. Mais l’hypothèse d’une moindre
mortalité paraît plus sérieuse (quoique l’exemple suédois
l’infirmerait). </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
réalité, on en revient toujours au même point, les États
européens, et l’Italie en premier lieu étaient intervenus trop
tard. Il n’y avait pas d’autre solution en mars que de confiner
la population avec tout ce que cela supposait et impliquait. Disons,
pour conclure provisoirement là-dessus, qu’il me paraissait
essentiel de recontextualiser le propos selon lequel « pour la
première fois nos sociétés ont choisi la vie plutôt que
l’économie ». Certes, mais à leur corps défendant, et sous
la pression des événements.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ne
nous ne méprenons pas cependant sur cette « augmentation de la
valeur de la vie humaine » : ce constat n’a pas lieu d’être
démenti mais on ne saurait s’en tenir là. La meilleure réponse à
la question (« Comment en sommes nous arrivés là ? »)
émane des responsables de deux des principales institutions
mondiales, Kristalina Georgieva (Directrice du FMI) et Tedros Adhnom
Ghebreyesus (Directeur de l’OMS), dans une tribune du 3 avril
publiée dans </span><span lang="fr-FR"><em>Daily
Telegraph. </em></span><span lang="fr-FR">La
contradiction entre des obligations à ce point opposées, le souci
sanitaire contre l’impératif économique, donnant la primauté au
premier (« Tous les pays se trouvent face à la nécessité de
contenir la propagation du virus au prix d’une paralysie de leur
société et de leur économie ») se trouve résorbée de la
façon suivante : « Sauver des vies ou sauver des moyens de
subsistance ? Contrôler le virus est, dans tous les cas, une
condition préalable pour sauver des moyens de subsistance (…) Le
cours de la crise sanitaire mondiale et le destin de l’économie
mondiale sont inséparablement entrelacés. Combattre la pandémie
est une nécessité pour que l’économie puisse récupérer ».
</span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Tout
est dit. Le capitalisme confronté à une menace dont seuls les
ignorants récusent l’importance devait préférablement choisir
une solution qui trois mois plus tôt aurait appartenu au registre de
la science fiction : guérir le mal par le mal avec le risque de
mettre l’économie mondiale à genoux, sans parler des conséquences
sociales désastreuses pour les populations des pays les plus
exposés. Mais c’était la seule solution qui puisse, à moyen ou
long terme, permette au capitalisme de se régénérer (au prix d’une
sévère crise économique et sociale à l’échelle de la planète).
Ce qui suppose, comme l’indique Jérôme Baschet, « que
derrière la conjonction des exigences sanitaires et économiques, se
dessine une triple alliance des acteurs, du Capital, d’un pouvoir
politique éclairé et des experts de la science ». Ceci bien
évidemment au détriment des populations les plus défavorisées.</span></p>
<p align="center" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">2</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Dans
son commentaire sur le « refus de la mort évitable » (ou
du « choix de la vie contre l’économie ») Pierre Velz
ajoutait que cette donnée n’en comportait pas moins un « grand
danger qui est de penser que toute mort est évitable ». Ce qui
contribue à « faire des responsables politiques et
sanitaires des boucs émissaires faciles » dès lors que
ceux-ci ne seraient plus en mesure de répondre à cet impératif
qui, comme pour les guerres modernes, rend de plus en plus
intolérable toute perte humaine. Un discours déjà repris dans le
courant de mars par les populistes, lesquels « risquent de
tirer les marrons du feu. Au « tous pourris » s’ajoute,
on l’entend déjà, les « tous nuls » ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ce
qui est indéniable et vérifiable, mais reste néanmoins
insuffisant. Ici, par souci de clarification, je préfère me
cantonner à l’exemple hexagonal. Nous avons dans la première
partie relevé qu’en France le phénomène de défiance envers
l’exécutif, les gouvernements, voire les « élites »
et certains corps constitués n’avait pas d’équivalent dans
l’Europe de l’ouest. Une défiance encore accrue avec le
mouvement des Gilets Jaunes, puis ravivée plus récemment lors du
mouvement social opposé à la réforme des retraites. Elle marqua
une pause, toute relative, lors de l’annonce du confinement, et
jusqu’à la fin du mois de mars. Puis, rapidement, les critiques
s’abattirent sur l’exécutif, les plus sévères concernant la
pénurie de masques.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Les
opposants politiques à Macron, toutes tendances confondues,
reconnaissaient dans leur grande majorité - du moins les appareils -
la réalité de la pandémie, et par conséquent le bien fondé des
mesures (de confinement, gestes barrières, distanciation physique…)
que ce constat nécessitait. Certaines modalités furent discutées,
par exemple sur le contrôle de la population (et l’attitude d’une
police trop zélée, arrogante ou revancharde). Sans parler du
paternalisme de l’exécutif, estimé à juste titre déplacé ou
insupportable. Mais l’essentiel des critiques porteront sur la
gestion de la crise sanitaire par le gouvernement à travers tous les
problèmes relevés dans notre première partie. Notons ici que les
critiques les plus virulentes provenaient des réseaux sociaux, d’une
opposition plus diffuse au macronisme, qui ne recoupe que
partiellement les courants politiques traditionnels.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Cependant
il paraissait parfois difficile de retrouver une cohérence critique
dans un ensemble où les causes de cette impéritie sanitaire
différaient sensiblement chez tous ceux qui ne s’accordaient que
pour incriminer l’exécutif. Je distinguerais trois tendances. La
première, a priori la plus importante, vient d’être évoquée.
Pour la seconde, dont les représentants reprenaient les thèses
d’Agamben, le confinement et ce qui s’ensuivait ne s’imposait
nullement puisque cette supposée épidémie de coronavirus
permettait aux États de prendre des mesures d’exception à moindre
frais, avec l’accord généralement des populations. Ce qui était
tout à fait cohérent (mais complètement faux). Une troisième
tendance allait chercher ses arguments dans les deux précédentes.
D’une part en soulignant le fiasco de l’exécutif dans sa gestion
de crise, d’autre part à travers la critique du confinement et des
mesures d’exception qui en résultaient. Il manquait cependant un
élément essentiel : en vertu de quoi le confinement se trouvait-il
ainsi rejeté ? On a pu prendre connaissance de textes dont la
virulence venait combler l’absence de causes de ce dont on
s’indignait, en ne prenant en compte que les conséquences. Rien à
dire sur le virus, en quelque sorte : grippette ou coronavirus ? On
n’en savait rien. Au couteau de Lichtenberg il manquait soit la
lame, soit le manche.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Dans
un registre différent, pour d’autres commentateurs, qui
entendaient eux dépasser le cadre hexagonal, la situation en tous
points exceptionnelle provoquée par la pandémie de Covid-19
représentait néanmoins une chance pour l’humanité. Encore
fallait-il la saisir en tirant toutes les conséquences de cette
crise sanitaire mondiale, c’est à dire en remettant radicalement
en cause un mode de vie qui sous de nombreux aspects avait
indirectement provoqué une telle catastrophe. Cependant le
confinement se prolongeant, il devenait de plus en plus certain que
nous nous dirigions vers une crise économique et sociale sans
précédent, si ce n’est celle de 1929. Ce qui révisait à la
baisse le discours précédent, qui de ce fait recueillait moins
l’adhésion de tous ceux pour qui un autre monde devait
nécessairement accoucher de l’après Covid-19. Comme autre effet
de la prolongation du confinement, le thème de la gestion de crise
sanitaire par le gouvernement s’imposait dans l’espace public. Ce
qui n’était pas moins le cas en Italie, en Espagne, en
Grande-Bretagne, mais il nous faut revenir une fois de plus sur cette
« spécificité française » pour tenter d’approfondir
en terme d’analyse politique ce « moment Covid 19 ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ce
dernier, sous certains aspects, possède des points communs avec le
« moment Gilets Jaunes ». J’ai écrit et mis en ligne
en avril 2019 des </span><span lang="fr-FR"><em>Remarques
critiques sur le mouvement des gilets jaunes </em></span><span lang="fr-FR">dans
lesquelles, tout en soulignant les côtés positifs d’un mouvement
ne ressemblant à nul autre, qui ne valaient que comme rappels,
j’insistais davantage sur l’hétérogénéité d’un mouvement
pouvant le cas échéant charrier tout et son contraire. L’extrême
droite, contrairement à ce que parfois l’on prétendait, n’avait
pas été absente de ce « moment Gilets Jaunes », en
particulier au début du mouvement (dans les réseaux sociaux
surtout, sur les ronds points et dans les manifestations en partie,
moins à travers les assemblées générales issues de l’appel des
Gilets Jaunes de Commercy). Ce qui se traduisait entre autres
incidences par l’existence de thèmes complotistes au sein du
mouvement ou la reprise de slogans du RN dans les manifestations. Un
sondage effectué fin novembre 2018 parmi des « Gilets jaunes
déclarés » indiquait que lors de la précédente élection
présidentielle, 42 % d’entre eux avaient voté Marine le Pen au
premier tour (loin devant Mélenchon (20 %). Ensuite, en relevant la
présence récurrente d’une indéniable rhétorique populiste chez
les Gilets Jaunes, je n’entendais pas pour autant réduire ce
mouvement à cette seule dimension, eu égard son hétérogénéité.
Enfin ce mouvement, surtout dans sa composante le plus orthodoxe
(appelée « canal historique ») se distinguait sur le
plan politique par son « dégagisme ». Les slogans
« Macron démission ! » ou « Macron dégage ! »
se révélaient plus fédérateurs que le catalogue hétéroclite des
42 revendications de janvier 2019. On avait commencé à parler de
dégagisme au lendemain des « printemps arabes » de 2011,
devant des mobilisations politiquement hétérogènes, popularisées
par les réseaux sociaux, indépendantes des forces politiques et
syndicales traditionnelles, qui avaient fait tomber plusieurs régimes
autoritaires sans pour autant transformer ces mouvements en
positivité révolutionnaire. D’ailleurs, pour en revenir aux
Gilets Jaunes, je me demandais « si le dégagisme présent dans
les rangs des GJ n’est pas l’un des principaux freins aux
possibilités qu’aurait ce mouvement de se développer dans la
perspective d’affrontements dépassant le cadre de « Macron
démission ! » pour poser à tous les niveaux la question du
</span><span lang="fr-FR"><em>pouvoir</em></span><span lang="fr-FR"> ».</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Une
donnée - à la fois indispensable à la compréhension de ce
« moment Covid-19 », et dernière illustration en date de
cette « exception française » relevée plus haut, mais
également en phase avec le mouvement décrit ci-dessus (le
personnage dont il va maintenant être question n’a-t-il pas été
qualifié de « médecin Gilet Jaune ») - n’a pas encore
été traitée : le différend autour du professeur Raoult et de
l’hydroxychloriquine. Je ne reviendrai pas sur le détail de cette
querelle, elle est suffisamment connue. Je ne suis pas en mesure de
me prononcer en faveur ou en défaveur de cette molécule, n’étant
pas plus convaincu par les arguments du professeur Raoult (et de ses
partisans) que par ceux de ses détracteurs (du moins ceux qui
préconiseraient d’autres médicaments). J’observe cependant que
le positionnement des uns et des autres, entre ceux qui sont
persuadés que le traitement par l’hydroxychloroquine serait le
seul susceptible de traiter efficacement le Covid-19, et ceux qui en
doutent ou le récusent, n’est pas sans incidences sur
l’appréciation en France de la crise sanitaire du printemps 2020.
Elle s’avère même particulièrement clivante puisque pour les
premiers, du moins dans leur grande majorité, il s’agit d’un
« crime d’État ». </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ici
les partisans du professeur Raoult dénoncent, soit les collusions
entre le pouvoir politique et l’establishment médical, soit la
corruption des pontes de la médecine par l’industrie
pharmaceutique, soit l’orientation voire l’imposture de
nombreuses études scientifiques, et donc la volonté de dissimuler
ici ou là ces collusions, corruptions et manipulations. Ce tableau,
dont j’ai gommé les nombreuses outrances rhétoriques, pour parler
de manière euphémique, n’est pas inexact. Encore faut-il replacer
tous ces éléments constitutifs dans le cadre plus général d’une
critique du capitalisme pour savoir de quoi l’on parle. Et ne pas
se contenter, par exemple, de dénoncer la course aux vaccins, Big
Pharma, la fondation Gates, le professeur Lacombe, voire le
milliardaire Soros et d’agiter le tout. La question de la
prescription de l’hydroxychloroquine s’avère évidemment
centrale : si le professeur Raoult dérange à ce point
l’establishment médical, expliquent ses partisans, il ne peut
qu’avoir raison. Le traitement simple, bon marché, ayant fait ses
preuves que le professeur préconise se trouve contesté parce qu’il
remet en cause, ajoutent-ils, les intérêts d’une industrie
pharmaceutiques soucieuse de commercialiser une molécule plus
rentable. Puisque nous disposons d’un médicament ayant fait ses
preuves, poursuivent-ils, et que nous sommes confrontés à ces
milliers de malades Covid qui risquent de mourir il faut prescrire
rapidement de l’hydroxychloroquine car il est criminel d’attendre
que l’on attende les résultats des différents études mises en
place pour savoir si ce médicament-là répond aux attentes, celle
d’une efficacité reconnue par la communauté scientifique pour
traiter le Covid-19. C’est le discours que les partisans de Raoult
tenaient durant ce printemps 2020. A partir du moment où l’on
adhérait sans restriction au raisonnement précédent (lequel
reposait sur la « croyance » envers un médicament
contesté) les responsables de ce qui devenait un « crime
d’État » devraient en rendre compte, y compris pénalement.
Et par effet d’entrainement ce crime en recoupait d’autres
(l’absence de masques, de tests, etc). </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">J’en
reviens à des considérations plus générales, pour introduire ce
qui suit. Un mécontentement diffus, qui sous certains aspects
recoupait celui qui s’était exprimé plus d’un an plus tôt lors
du mouvement des Gilets Jaunes, s’est progressivement fait entendre
durant la période de confinement. Moins diffus certes, à partir du
moment où la question de la responsabilité de l’exécutif dans la
gestion de cette crise sanitaire se trouvait posée de manière plus
explicite après plusieurs semaines de confinement. Disons le
clairement. D’une part tout ce qui peut être à juste titre
reproché ici au pouvoir fait partie du problème, en est l’un des
éléments les plus patents, mais n’est pas </span><span lang="fr-FR"><em>tout
</em></span><span lang="fr-FR">le
problème. D’autre part nous retrouvons en première ligne de ce
mécontentement des courants politiques que l’on pouvait deux ans
plus tôt qualifier « antagonistes » mais qui, d’abord
lors du mouvement des Gilets Jaunes, puis durant ce « moment
Covid-19 » seraient en mesure de se rapprocher sur de nombreux
points. D’ailleurs la création ce printemps 2020 de la revue </span><span lang="fr-FR"><em>Front
populaire </em></span><span lang="fr-FR">par
Michel Onfray venait crédibiliser ce qui pouvait pour beaucoup
apparaître encore hypothétique. La volonté chez son animateur de
réunir les souverainistes et populistes de droite comme de gauche
dans un même projet commun n’étant pas sans trouver un certain
écho auprès d’intellectuels non encartés (plutôt de droite
d’ailleurs), et même dans l’opinion publique.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">De
ceci et cela il découle que le rapport à la politique, chez un
certain nombre de gauchistes, de libertaires, voire de radicaux,
s’est plus ou moins sensiblement modifié depuis quelques années.
D’où l’obligation de s’interroger, par delà les
mécontentements relevés ci-dessus, sur ce que ce cette « nouvelle
donne » traduit et met en jeu. Trois données y concourent.
D’abord l’investigation rend à occulter la dimension réflexive.
Ensuite le ressentiment prend le pas sur l’esprit critique. Enfin,
plus important, le dégagisme réduit à la portion congrue toute
perspective émancipatrice.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
premier lieu, pour ne citer qu’un seul exemple, l’historique de
la gestion des masques sanitaires par les gouvernements qui se sont
succédés depuis une dizaine d’années est bien connu, alors que
le Covid-19, ses causes et conséquences, sa dimension
anthropologique (en terme d’écologie des relations) souffre d’un
déficit de réflexion. Dans un autre registre la figure du « lanceur
d’alerte » est incontestablement plus populaire, plus
« sexy », plus « anti-système » </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
second lieu, se focaliser sur le « mensonge d’État »,
ou le « scandale d’État », et plus encore sur le
« crime d’État », c’est vouloir avant tout désigner
des coupables et qu’ils paient pour leurs erreurs, leurs
approximations, leurs mensonges, et surtout leurs crimes. Le
ressentiment, selon Nietzsche, est « esprit de vengeance ».
Il ne se contente pas, comme l’écrit l’un des exégètes du
philosophe, « de dénoncer les crimes et les criminels »
mais « veut des fautifs, des responsables ». Dans ce
contexte de crise sanitaire l’interrogation prévaudrait si
finalement pareille focalisation ne jouait dans l’histoire le rôle
d’un écran de fumée. Faire preuve ici d’esprit critique c’est
vouloir trouver la bonne distance face à tout événement, celle qui
permet de privilégier l’analyse au ressenti. Donc de se donner les
moyens de remettre globalement en cause un système social, la
société capitaliste, le monde tel qu’il va. Les hommes qui en
sont les agents, les représentants et les exécutants doivent être
nécessairement combattus, mais toujours dans la mesure où ils
incarnent et représentent le système social à abattre (et non pas
à travers leurs seules personnes, qui seraient alors remplacées par
d’autres sans changer la nature du pouvoir en place : les mêmes
causes produisant régulièrement les mêmes effets). Voilà de quoi
anticiper ce qui suit. </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">En
troisième lieu « dégager » tel chef d’État, de
gouvernement, ou tout homme de pouvoir, c'est se débarrasser de
celui qui apparait comme la cause du problème tout en conservant ce
dernier. Et pour le remplacer par qui ? A ce jeu, compte tenu du
discrédit de la classe politique, auquel la droite comme la gauche
qui ont auparavant gouverné ce pays ne sont pas indemnes, en
fonction aussi de la virginité dont peut se prévaloir le RN (plus
que LFI) dans ce cas de figure, mais également parce que dans la
confusion propre à cette époque les pires scénarios ne doivent pas
être écartés, l’extrême droite serait en mesure de tirer de
nombreux avantages d’une telle situation. Ce n’est qu’une
hypothèse mais elle mérite néanmoins d’être prise au sérieux.
Surtout si on remarque que par ailleurs le RN serait en passe de
devenir un parti comme tous les autres (et l’extrême droite une
expression politique parmi d’autres). Plus fondamentalement le
dégagisme crée l’illusion d’un changement. Il appartient, en se
référant principalement aux « printemps arabes », plus
au registre de la contre-révolution que de la révolution. C’est
toute la différence entre la volonté de « dégager » un
pouvoir parce qu’il serait « pourri », « corrompu »,
« dépravé », et la volonté de transformer le monde. Le
pouvoir en place n’est que le représentant, l’agent et le
gestionnaire du Capital. Certes on le nuancera d’un pouvoir à
l’autre, mais comme dirait l’un de mes amis : « on peut
toujours trouver des nuances dans le fade ». Enfin, entre
toutes les apories du dégagisme, la principale revient à nier toute
perspective émancipatrice.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Ceci
pour le contenu. D’un point de vue plus formel (en élargissant ces
données à l’ensemble du corps social), il convient de souligner
l’importance, voire la prédominance des réseaux sociaux. Comme
l’observe Marie Peltier sans son ouvrage </span><span lang="fr-FR"><em>Obsession,
dans les coulisses du récit complotiste</em></span><span lang="fr-FR">,
d’aucuns profitent de « la viralité qu’offre ce médium en
proposant des idées simples, binaires, facilement reconnaissables et
appropriables par le plus grand nombre ». Ce qui conduit par
exemple à privilégier l’image au texte, et donc le format vidéo,
plus enclin à « frapper les esprits », et à s’abstraire
« de la complexité des situations, des nuances, de
l’argumentation, et même des faits eux-mêmes ». Ce n’est
pas un secret d’ajouter que l’extrême droite a très tôt
compris l’avantage qu’elle pouvait tirer de ce mode de
communication. Les réseaux sociaux ont, comme nous le savons,
largement contribué aux élections de Trump et de Bolsonaro.
Précisons, si besoin était, qu’il y a un monde entre l’usage
contemporain du tweet et ce que l’aphorisme a produit de meilleur :
de Lichtenberg à Cioran en passant par Chamfort et Leopardi.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Un
second facteur, qui prolonge le premier, met encore plus l’accent
sur l’aspect formel de la chose. L’anonymat au travers duquel
très généralement les utilisateurs des réseaux sociaux
s’expriment ne peut que renforcer le constat qui suit. A savoir que
les mots pour le dire se distinguent souvent par leur virulence (ou
leur véhémence ou leur violence). Ce qui n’a rien en soi de
véritablement nouveau - de nombreux exemples historiques nous
viennent à l’esprit, en particulier dans l’entre-deux guerres -
n’en est pas moins l’un des marqueurs de cette époque, voire
l’un des éléments signifiants. J’entends là souligner que la
forme (la virulence d’un propos souvent anonyme) a tendance à
prendre le pas sur le contenu, ou à l’occulter. Comme si cette
virulence valait comme quitus pour ceux qui ne sont pas trop
regardants sur la personnalité du destinateur. Là encore
l’extrême-droite, et plus encore l’ultra droite sont en terrain
de connaissance.</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Quel
bilan tirer de cet épisode Covid-19 en ce mois d’août 2020 ? Il
est encore trop tôt pour tenter de mesurer les conséquences de la
crise économique et sociale en cours. En se plaçant sur le seul
terrain sanitaire, l’hypothèse d’une seconde vague épidémique,
sans être révisée à la baisse, ne paraît plus vouloir être
traitée de façon drastique comme en mars, en France ou ailleurs.
Sur un autre plan, depuis le début du déconfinement, on observe que
des voix, lesquelles relaient un sentiment présent chez une partie
de la population, entendent réviser le discours selon lequel le
confinement en mars s’imposait expressément compte tenu de
l’urgence de la situation. Ceci sans pourtant nécessairement
abonder dans le sens de ceux qui dénonçaient depuis de longues
semaines un « scandale sanitaire ». Il n’est sans
intérêt de signaler que l’une de ces voix, BHL (son dernier livre
</span><span lang="fr-FR"><em>Le
virus qui rend fou</em></span><span lang="fr-FR">),
imposture médiatique bien connue, mais surtout caisse de résonance
de « la voix de son maître » depuis des lustres, aura
comme à son ordinaire fait le tour de tous les médias pour tenir un
discours que des auditeurs naïfs ont pu croire critique envers le
pouvoir. D’ailleurs ce n’est pas tant le pouvoir politique qui se
trouve remis en cause par BHL et consort que celui des scientifiques
et médecins, et plus particulièrement le « Comité
scientifique » mis en place au début de mars par l‘exécutif.
Ce Comité n’avait qu’un rôle consultatif mais le pouvoir, en
France comme ailleurs généralement, a suivi durant plusieurs
semaines ses recommandations avant de s’en affranchir en partie sur
la question du déconfinement. Le ton polémique de BHL envers le
« Comité scientifique » ne doit cependant pas faire
illusion. C’est principalement le choix de sacrifier l’économie
que condamne plus subliminalement un BHL qui se fait en l’occurence
l’avocat de ses amis milliardaires. Derrière l’explicite (le
discours anti-médical qui rejoint sous certains aspects celui
d’Agamben), l’implicite (les nombreux griefs de l’histrion
envers l’écologisme) parait davantage avoir été à l’origine
de ce livre : haro sur ces écologistes qui entendent culpabiliser
ceux, à l’instar de BHL et compagnie, qui utilisent l’avion
comme moyen de transport (et qui plus généralement entendraient
détruire l’économie).</span></p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Comment
conclure ? Ce que nous avons considéré tout au long de ce texte
comme un « moment » semble pourtant perdurer. Dans un
article (« Transmission d’un virus « ) publié en juin
dernier sur </span><span lang="fr-FR"><em>Lundi
Matin, </em></span><span lang="fr-FR">Léo
S. Ross dit tout haut ce que ces </span><span lang="fr-FR"><em>Remarques…
</em></span><span lang="fr-FR">suggèrent
entre les lignes : « Cette crise éclaire cependant une
dimension désagréable pour tout esprit épris de liberté et
d’idéaux émancipateurs : il est des moments, et au-delà du
local, où une certaine forme de coercition peut se justifier ».
C’est évidemment particulièrement désagréable pour des esprits
libertaires. Ross ajoute : « Il y aura toujours des connards
qui voudront jouer les matamores de pacotille en refusant une mesure
sanitaire collective ». </span>
</p>
<p align="justify" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">L’une
des leçons que nous devrions tirer de ce « moment Covid 19 »
est que l’on ne doit pas tout attendre de l’État et des
gouvernements (y compris en se focalisant de la manière la plus
critique sur leurs insuffisances), mais que certaines initiatives
nées lors de la pandémie, basées sur la solidarité et l’entraide
(à l’instar des Brigades de Solidarité Populaires), par-delà le
fait d’apporter des réponses concrètes à des situations
d’urgence plaident implicitement pour l’élaboration de nouvelles
formes d’organisation collectives. A suivre…</span></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">Max
Vincent</span></p>
<p align="right" style="margin-bottom: 0cm; border: none; padding: 0cm; font-variant: normal; letter-spacing: normal; font-style: normal; font-weight: normal; line-height: 150%; page-break-inside: auto; text-decoration: none; page-break-before: auto; page-break-after: auto">
<span lang="fr-FR">août
2020</span></p>
<br />Brèves de confinementurn:md5:ac5276512e5061d165a6712ca76148bb2020-07-05T18:17:00+02:002020-07-11T16:02:00+02:00Max VincentPamphlets, satires, soties<p>Suivi de " Le professeur Raoult à l'épreuve de la Raoultmania " par Roland Barthes</p> <div><span id="docs-internal-guid-8e6b4845-7fff-5987-11dd-398c6dff8bd6"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 36pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">BRÈVES DE CONFINEMENT</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 16pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">SUIVI DE</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 32pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">LE PROFESSEUR RAOULT À L’ÉPREUVE DE LA RAOULTMANIA</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 16pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">PAR </span><span style="font-size: 21pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">ROLAND BARTHES</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Ce texte composé d’une série d’aphorismes et de courts fragments, appelé </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Brèves de confinement,</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> a été rédigé pendant la période de presque deux mois qui restera dans les annales comme celle du premier confinement d’une grande partie de la population de l’ère moderne. Il traduit le sentiment d’absurdité, voire de dérision du rédacteur devant une situation dont le caractère exceptionnel, inouï, presque irréel, se serait apparenté quelques mois plus tôt à un scénario de science-fiction. Il paraît possible que le traitement burlesque de cette séquence pandémique, en y incluant quelques uns des acteurs majeurs de cette année 2020, déplaise à ceux à qui cet aspect grotesque aurait en quelque sorte échappé. Ici l’auteur plaide coupable.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Depuis sa dernière demeure Roland Barthes nous a adressé cette « mythologie posthume » (intitulée </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Le professeur Raoult à l’épreuve de la raoultmania</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">)</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">qui entend contribuer de manière critique à une meilleure compréhension du « phénomène Raoult ». Il nous a semblé utile et judicieux de la publier en complément à nos </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Brèves de confinement.</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 32pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">BRÈVES DE CONFINEMENT</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">« En ces temps de confinement tout devient absurde, y compris l’absurde »</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Auteur non identifié</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">« Y’en aura pour tout le monde »</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Coluche</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> L’État vient de décréter que durant le confinement tous les nouveaux nés seraient appelés Covid. Le chef du gouvernement l’a justifié en avançant qu’il s’agissait ainsi de traiter le mal par le mal pour se donner les moyens d’immuniser les générations à venir contre le coronavirus.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Le PSG a déposé une réclamation après sa cuisante défaite au Stade Vélodrome devant l’Olympic de Marseille. Selon son président le ballon aurait été gonflé à la chloroquine.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> On a arrêté Covid-19 à la frontière belge. Il avait cru pouvoir abuser les douaniers en prenant l’apparence du nuage de Tchernobyl.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> On ne sait toujours pas pourquoi Marine le Pen a choisi l’un des EHPAD du Grand Est pour y placer son vieux père.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Les Gilets Jaunes ont décidé de transformer leur célèbre « Ahou ! Ahou ! Ahou ! » en « Raoult ! Raoult ! Raoult ! ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Le ville de Bergame, la plus éprouvée en Italie par l’épidémie de Coronavirus, a tenu à réparer une injustice à l’égard de Gabriel Fauré en le nommant citoyen d’honneur de la ville (rappelons aux ignorants que Fauré est l’auteur de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Masques et bergamasques, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">une délicieuse musique de scène créée en 1919).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Le général Macron et le colonel Philippe, en tournée d’inspection dans le Grand Est, sont venus vérifier la solidité de la ligne Maginot entre Sarrebourg et Belfort. Pas de chance, les armées du Coronavirus avaient déjà franchi la frontière française dans les Ardennes et s’apprêtaient à prendre Sedan.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Jacinthe de Corot-Navirus, la pétillante écuyère, en permanence moquée depuis le début de la pandémie dans les réseaux sociaux, vient de se séparer de son Navirus de mari.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> A la veille de l’élection de miss Covid 2020 les États Unis et la Chine se partagent les faveurs du diagnostic. Cela n’a pas étonné Jean de la Fontaine : « Selon que vous serez puissants ou misérables… ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Caroline de Monaco et Chloroquine de Marseille viennent d’annoncer leur prochain mariage. Interrogé, le professeur Raoult a fait part de son étonnement : « Je ne savais pas que ma fille ainée était lesbienne ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Au sujet de son autre fille, Azithromycine, le professeur Raoult se désole : « Comment voulez-vous que je la marie avec un nom pareil ! ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> &</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Depuis qu’il a appris que le ciel était confiné, Jésus n’en finit pas de se plaindre : « Et dire que j’avais l’occasion de prendre la poudre d’escampette lors de l’Ascension… C’est raté ! ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> En raison des obligations de distanciation sociale il a été demandé à Léonard de Vinci de repeindre </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">La Cène </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">en respectant les distances auxquelles chacun doit se conforter, apôtres ou pas. « Mais plusieurs d’entre eux vont sortir du cadre, a-t-il protesté, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">La Cène </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">sans Barthélemy, Jacques le mineur, Thadée et Simon ce n’est plus </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">La Cène </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">! ». On lui a fait remarquer que l’important était qu’y figurent Judas, Pierre, Thomas, et bien sûr Jésus : les autres n’étant que des comparses.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Le pape François a menacé d’excommunier tout catholique qui serait tenté de remplacer « le Christ ressuscité » par « Le Christ confiné ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Au « Téléphone sonne » de France Inter un auditeur du nom de Joseph Staline a posé la question suivante : « Le coronavirus, combien de divisions ? ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Puisqu’il serait question de prolonger les mesures de distanciation sociale à la fin de la période de confinement pour une période encore indéterminée, l’industrie du cinéma s’inquiète : quid des baisers et de tout rapport sexuel même simulé alors ! Comment faire ? Des voix autorisées ont évoqué dans le second cas de recourir à la masturbation, à condition qu’elle ne soit évidemment pas mutuelle.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Florence Foresti qui a accepté de présider la prochaine cérémonie des Covid, demande régulièrement : « Alors, avec pourtant l’âge qu’il a, il l’a pas encore attrapé le coronavirus, Polanski ? ». </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Vingt sept ans plus tard les autorités mirent fin au confinement. Contrairement à ce qu’elles supposaient les citoyens restèrent confinés : ils avaient oublié pourquoi ils l’étaient.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> L’alcoolisme dû à l’absorption de gel hydro-alcoolique a été multiplié par cent depuis le début du confinement. L’industriel qui les fabrique et les commercialise a répondu non sans cynisme qu’il s’en lavait les mains.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Après trois ans cinq mois et neuf jours de confinement les loups sont entrés dans Paris. Serge Reggiani les attendait porte d’Ivry et il avait envoyé Albert Vidalie et Luis Bessières porte de Passy. Mais allez savoir pourquoi les loups sont entrés par la porte des Lilas ! Le problème étant que ni René Clair, ni Pierre Brasseur, ni Georges Brassens n’étaient là pour les accueillir.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Bertolt Brecht vient de déposer une plainte contre x pour « détournement et usurpation de concept ». Il ne décolère plus contre ceux, hommes d’État, médecins, journalistes, qui de surcroit ont cru bon accoler les adjectifs « sociale » et « physique » au nom distanciation.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Lors du prochain Tour de France les coureurs engagés seront tenus de respecter les règles de distanciation sociale. Les commissaires devront sanctionner tout coureur qui, dans le peloton ou une échappée, ne respecterait pas une distance d’au moins un mètre avec le coureur qui le précède. Le nouveau règlement introduit les sanctions suivantes : lors d’un premier non respect par une amende, en cas de récidive par une pénalisation d’une minute. Une troisième fois sanctionné le coureur sera exclu de la course.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Les mêmes règles de distanciation sociale posent maintes questions dans le monde du ballon ovale. Parce qu’un match de rugby sans mêlées et sans placages est-ce encore du rugby ?</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Depuis le début du confinement les français regardent trois fois plus qu’auparavant les sites pornographiques. Ce qui a pour conséquence d’augmenter sensiblement la fréquence des rapports sexuels, voire leur durée chez les personnes vivant en couple. Suite aux doléances des associations de célibataires des deux sexes le gouvernement envisagerait de classer les poupées et baigneurs gonflables dans la liste des produits de première nécessité.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">En revanche il ne serait plus possible de commander sur Internet tous les instruments de type fouets, martinets, lanières diverses, en raison de la multiplication des violences conjugales et familiales. Ceci au conditionnel, parce que la décision que l’on croyait actée s’est trouvée repoussée en raison des vives protestations émises par les clubs sadomasochistes. Leurs représentants craignent cependant que l’arbitrage en question ne soit rendu en faveur de Marlène Schiappa. Selon l’un de ces représentants au micro de France Culture : « Castaner ne nous soutient qu’à 50 % : complètement certes sur le côté sado, mais pas du tout du côté maso ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Michel Onfray a fait savoir à grand renfort d’articles et de déclarations qu’il avait été infecté par le virus de la dengue et non par le coronavirus. Sur son blog on peut lire : « J’ai contribué à limiter la propagation des virus Freud, Sade, Thunberg, et tant d’autres. Le coronavirus a bien compris qu’il n’était pas de taille avec moi. C’est pas comme le peste, là respect ! ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Selon une autre version Onfray aurait déclaré : « Comment se protéger efficacement ? Il faut mettre son gilet jaune. Cela ne protège pas des coups de matraque mais je vous garantis son efficacité contre le Covid-19 ». Cependant comme cette information nous parvient des réseaux sociaux nous ne garantissons nullement son authenticité.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Annoncé comme étant un remake des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Sept samouraïs, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">ou encore des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Sept mercenaires, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">le film </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Les Sept confinés </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">devrait sortir l’année prochaine. Son tournage vient de commencer en pleine période de confinement, il s’effectuera uniquement en studio. Pour notre envoyé spécial, Jean Paul Sartre, il s’agirait d’un huis clos. Selon lui, ceci précisé, le film aurait gagné à s’appeler </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Les Huit confinés.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Don Juan a été dans l’obligation de s’inscrire au chômage après une semaine de confinement. Molière, Da Ponte et Mozart viennent d’ouvrir une souscription en sa faveur. Il leur aurait sans doute été possible d’obtenir une dérogation dispensant Don Juan du confinement mais on leur a fait savoir en haut lieu que les éventuelles conquêtes du séducteur ne sauraient elles y prétendre.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> D’après Boris Johnson il était temps que le Royaume Uni sorte de l’Union Européenne. « Sinon, a-t-il ajouté, avec le coronavirus nous aurions été confiné par l’Europe pendant des années ». Selon une autre source Bojo aurait dit « niqué » (et non « confiné »).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Méfiez-vous des contrefaçons ! A l’instar des « Confinés ! Confinés ! Confinés ! » entendus ces jours derniers dans les rues de Toulouse.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Covid-19 vient de déclarer au micro de RTL que le nombre soi-disant important de morts dont il porte la responsabilité dans le monde depuis le début de l’année n’est que de la petite bière si on le compare au massacre dont sont chaque jour victimes ses frères, les virus informatiques, par les internautes des cinq continents.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Cette semaine nous avons choisi de récompenser dans le cadre des « meilleurs concerts de 20 heures en soutien aux travailleurs du secteur hospitalier », les balcons du 43 boulevard de Charonne à Paris. Les habitants de l’immeuble, à l’instar des lauréats précédents, seront tous dépistés gratuitement durant la semaine suivante.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Les fidèles en provenance du monde entier, qui encore l’année dernière se rendaient en masse place Saint-Pierre à Rome pour y voir apparaître le Pape au balcon, ont déserté le Vatican pour se déplacer en très grand nombre devant l’Hôpital de la Timone à Marseille. Auparavant ces fidèles croyaient en Dieu, aujourd’hui ils croient en la chlroroquine. Avec modestie le professeur Raoult l’a commenté en ces termes : « Je ne suis que son serviteur ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Un fabricant de déambulateurs vient de commercialiser un modèle permettant de séparer l’utilisateur du mètre de distanciation sociale requis envers toute personne croisée dans l’espace public. Un système ingénieux permet d’élargir le périmètre d’isolement si les pouvoirs publics décidaient d’augmenter cette zone de distanciation. Harvey Weinstein n’a pas daigné commenter cette information : « Qu’est ce que j’en ai à foutre, je suis tout seul dans ma cellule ! ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Qui eut dit que le « jugement de Salomon », tant de siècles plus tard, serait chaque jour plébiscité à une heure de grande écoute par des millions de téléspectateurs ! </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> En cette période de confinement les corbeaux reprennent du service. A la différence de la période de l’Occupation ne sont plus dénoncés les Juifs et les résistants, mais les médecins, infirmières, aides soignantes, ou le reste du personnel hospitalier, du moins ceux coupables de résider dans le même immeuble que l’un ou l’autre de ces délateurs.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> A l’intention de ceux qui doutent de l’efficacité des « gestes barrières », ou qui évoquent leur instrumentalisation par les pouvoirs publics, le Ministre de la Culture a rétorqué que </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Ma vie </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">et </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Elle était si jolie </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">figuraient en bonne place dans le Top Ten de ces deux derniers mois.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Macron a déclaré la guerre au Covid-19, mais celui-ci ne lui avait pas adressé précédemment une déclaration de guerre, ni n’y a ensuite répondu. D’où le discours réitéré du gouvernement français dénonçant la fourberie et la duplicité de l’ennemi : il nous fait la guerre mais refuse de le reconnaitre. Depuis son Quartier général le Covid-19 s’est contenté de répondre : « Après tout je reproduis ce que faisaient les français en Algérie, c’est juste une opération de police. Et le bilan humain s’avère moins important ici en France qu’à l’époque en Algérie ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Il a été souvent question dans tous les médias des nombreuses catégories de citoyens que le confinement et les mesures de distanciation sociale privent de toute activité. Cependant personne n’a signalé la situation des « frotteurs du métro ». Nous tenons à réparer cet oubli.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> « J’avance masqué » écrivait Descartes. On a beau consulter l’édition en Pléiade de ses oeuvres complètes aucune note de bas de page ne nous indique s’il s’agit d’un masque chirurgical, FFP2 ou Grand public.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> On apprend que Mme de la Fayette a été confinée avec Nicolas Sarkozy. Les lecteurs de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">La princesse de Clèves, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">comme les associations intervenant dans le cadre des violences conjugales ont fait part de leur inquiétude. Pour Dominique Besnehard il ne s’agit que d’une erreur de casting.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Il est recommandé aux radios musicales de respecter les mesures de distanciation sociale dans le choix des titres programmés à l’antenne. Dans la liste de chansons mises à l’index citons (parmi d’autres) : </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">J’ai ta main dans ma main, Laisse mes mains sur tes hanches, Déshabillez-moi, Embrasse moi, Les baisers, Paris tu m’a pris dans tes bras. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">C’est également le cas de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Voulez-vous danser grand mère </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">(chanson pour laquelle la mention « recommandation » s’accompagne de l’adverbe « expressément »).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Il n’existe pour l’instant aucun masque susceptible de protéger le client durant ses repas, qui néanmoins lui permettrait de s’alimenter et de boire. Une PME a cependant proposé un modèle appelé « Cigogne », rejeté à ce jour par la quasi totalité des restaurateurs. Seule la chaîne de restauration </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">A la bonne soupe, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">intéressée par le projet, compte s’équiper de « vases à long col et d’étroite embouchure ». Une longue paille remplacerait cuillère et fourchette, bien évidemment. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Confrontées à l’hypothèse d’une double pandémie, coronavirus et grippe aviaire, des associations animalistes demandent que l’on équipe de masques sanitaires adaptés les populations de pigeons de nos villes. Une éventualité qui n’est pas sans occasionner de nombreuses prises de bec chez les intéressés, mais également parmi les défenseurs de la cause animale.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> La personnalité de l’année 2020 pour le magazine </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Times </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">est déjà trouvée. Pour la première fois le choix a été unanime : il s’agit bien entendu du coronavirus. Reste la question délicate de la photo qui figurera en première page : quel cliché choisir parmi ceux, nombreux, que </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Times </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">a reçus. Pour l’instant le magazine n’est nullement certain de l’authenticité des photographies en sa possession.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Le vengeur masqué a tenu à préciser qu’il ne portait que des masques FFP2 (renouvelés tous les trois heures, a ajouté son impresario).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Jean de la Fontaine vient de prendre position en faveur de l’Allemagne sur la question de la gestion de la crise sanitaire. A contrario, selon le fabuliste, de la France, l’Italie et l’Espagne, trois pays qui ont complètement failli. Je l’avais déjà anticipé dans l’une de mes fables, a-t-il ajouté, relisez </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">La cigale et la fourmi.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Au mois de mars 2020 </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">La peste </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">d’Albert Camus était en tête des ventes de livres en ligne. Au mois d’avril le roman de Camus se faisait coiffer sur le poteau par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Beau masque </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">de Roger Vaillant. Déjà, en raison du frémissement qui accompagne la réédition d’un roman oublié de Charles Teste, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Mes dépistages,</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> certains commentateurs estiment qu’il ne faut pas aller plus loin pour trouver le prochain lauréat.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> En raison de la pénurie de pain azyme, indispensable pour la confection des hosties, l’épiscopat français s’est dit soulagé après l’annonce de la fermeture des églises pour cause de confinement. Relevons la déclaration du Primat des Gaules : « Cela vaut mieux parce que la messe sans la communion, c’est plus la messe ». </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> En rappelant que le prénom Covid est unisexe, les autorités tiennent à préciser que les prénoms orthographiés « Covide » ne sauraient être acceptés sur les registres d’État civil pour les nouveaux nés de sexe féminin. Plusieurs associations féministes ont déposé un recours devant le Conseil d’État.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Tout Marseille et alentours était présent lors de l’inauguration de l’avenue du Professeur Didier Raoult, anciennement appelée Canebière. Manquaient à l’appel César, Panisse, Monsieur Brun et Escartefigue, retenus par une partie de cartes. Et Paul Cézanne également, sans qu’on en connaisse la raison.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> En période de confinement les mauvais élèves sont soumis à la double peine : ils doivent conjuguer vingt fois le verbe « se confiner » à tous les temps de l’indicatif.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Pourtant invités lors du couronnement de Covid-19, Louis XVIII et Charles IX n’ont pas jugé utile de se déplacer : « On ne mélange pas les chiffres arabes et les chiffres romains », ont-ils fait savoir dans un communiqué. Marine le Pen s’est déclarée en total accord avec cette déclaration.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Depuis que Giorgio Agamben nie l’existence du coronavirus ses lecteurs se divisent en deux camps : les déconfits et les confinés. On ignore pour l’instant la proportion de personnes infectées dans chacune des deux catégories.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Robert Faurisson vient de déclarer à ce sujet au micro de Radio Courtoisie : « J’aurais moi nié l’existence du coronavirus tout le monde me serait tombé sur le râble. Mais quand c’est Agamben… ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Le programme du professeur Raoult pour les prochaines élections présidentielles tient en une seule phrase : « Chloroquine pour tout le monde ! »</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Nous sommes toujours sans nouvelles de Gabriel Matzneff, confiné dans une localité non identifiée du nord ouest de l’Italie. Vanessa Springora et plusieurs associations féministes redoutent le pire. « Cette saloperie de coronavirus risque de nous priver d’un procès », expliquent-t-elles.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">&</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Chaque jour, sous couvert de faire le point sur la pandémie aux USA, Donald Trump nous distille en réalité, sans qu’il en soit conscient, des « brèves de confinement » qui sont partout reprises dans le monde. Cela s’appelle de la concurrence déloyale. L’association des brèveurs de confinement, à laquelle l’auteur de ces lignes appartient, tient à émettre une vigoureuse protestation. Nous ne saurions nous contenter de prendre acte du fait que chez Trump la réalité dépasse la fiction.</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">An 01, après 44 jours de confinement (anciennement avril 2020) </span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 26pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">LE PROFESSEUR RAOULT À L’ÉPREUVE DE LA RAOULTMANIA</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 18pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Par ROLAND BARTHES</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">« Cet homme (Didier Raoult) porte plus que lui, il est exactement ce que Hegel appelle un grand homme : un homme qui fait l’histoire en même temps que l’histoire le fait ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Michel Onfray </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">« Le professeur Raoult est un général Boulanger de la médecine, accaparant la science au profit d’un culte de la personnalité, rendant impossible la transmission de savoir ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Christian Lehmann</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">« Macron est un homme intelligent, qui comprend tout »</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Didier Raoult</span></p>
<br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Lors de la réédition en 1970 des </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Mythologies </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">dans l’édition de poche, j’indiquais que « je ne pourrais donc dans leur forme passée (ici présente) écrire de nouvelles mythologies ». C’est encore plus vrai un demi-siècle plus tard. J’y précisais également que « l’ennemi capital » demeurait cette « norme bourgeoise » (ou « raison petite bourgeoise ») que je m’étais efforcé de déchiffrer au gré de l’actualité dans une cinquantaine d’articles écrits entre 1954 et 1956 (et regroupés en 1957 dans le volume </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Mythologies</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">). Aujourd'hui je ne saurais tenir le même discours : le mythologue étant dans l’obligation de procéder depuis d’autres dévoilements pour conserver à l’analyse critique (idéologique et sémiologique) sa fonction « d’acte politique ». Cependant je reste pleinement en accord, pour en venir à cette nouvelle « mythologie » (« Le professeur Raoult à l’épreuve de la raoultmania »), avec la phrase conclusive de mon avant propos de 1957 : « Je réclame de vivre pleinement la contradiction de mon temps, qui peut faire d’un sarcasme la condition de la vérité ». Elle représente la meilleure introduction à cet article.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Dans l’une de mes </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Mythologies </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">(« Iconographie de l’Abbé Pierre ») je relevais d’emblée que « le mythe de l’abbé Pierre dispose d’un atout précieux : la tête de l’abbé ». Et j’expliquais assez longuement pourquoi. Il paraît loisible de tenir un discours équivalent avec la tête du professeur Raoult. C’est même encore plus évident à la lecture de certaines gazettes : la longue chevelure jaune argentée du professeur, sa barbe grise qu’il caresse en parlant, son look de rocker ou de biker (ou encore sa bague à tête de mort) y concourent. Toutes ces caractéristiques physiques le distinguent du tout venant des sommités scientifiques et des professeurs de médecine. </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Paris Match </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">décrit « un druide aux yeux sioux » quand d’autres médias préfèrent évoquer l’image « rebelle » ou « christique » du professeur (ou encore, selon Michel Onfray, celle « du viking qui descend de son drakkar »). D’ailleurs les presses mainstream et people raffolent du personnage, et ont largement contribué à le faire connaître du grand public.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Cette fascination d’une grande partie des médias envers Didier Raoult peut parfois prendre des aspects répulsifs (à l’instar de ces « journalistes philosophiques » comme Enthoven et consort qui détestent le professeur) mais ne saurait à elle seule expliquer la popularité de notre personnage. D’abord le professeur Raoult, pour parler le langage de l’époque, s’avère être un « excellent communicant ». En témoignent les vidéos postées depuis le début de la pandémie sur la chaîne </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">you tube</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> de l’IHU Méditerranée Infection. D’où ces commentaires sur la simplicité, la cohérence, la force de conviction, au travers desquelles un professeur de médecine encore inconnu du grand public au début du mois de mars s’exprime sur des questions épidémiologiques réputées difficiles, la principale étant la défense et illustration d’un médicament censé traiter l’affection de type Covid-19 de la manière la plus efficace. Cette pédagogie marquée au coin du bon sens n’étant pas sans parfois rimer avec un soupçon de démagogie : « les gens comprennent les choses simples, pas les journalistes ». Pourtant, ici encore, surtout même, cette explication resterait insuffisante si l’on n’ajoutait, d’abord en raison du positionnement de ce chef de service contre l’establishment médical, ensuite à travers son scepticisme ou ses réserves devant les mesures prises par les autorités pour lutter contre le Covid-19, que le discours du professeur Raoult avait été en capacité de séduire les secteurs de l’opinion les plus rétifs devant ces différents trains de mesures. De là cette image de « personnage anti-système » (envers l’un des virologues les plus réputés de la planète) qui va se retrouver rapidement popularisée par les réseaux sociaux.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Le mythologue n’a pas à ce stade d’opinion sur les bienfaits on non de l’hydroxychloroquine. Comment pourrait-il en avoir une alors que la question posée, sujette à maintes controverses, ne relève pas de sa compétence. Il ne peut qu’attendre comme la majorité de ses concitoyens que la communauté scientifique se positionne de manière satisfaisante sur le médicament le plus efficace contre le Covid-19, ainsi qu’elle a pu le faire par le passé dans des cas similaires, au sujet desquels des scientifiques se trouvaient pareillement divisés. La différence étant que ces débats et polémiques ne se trouvaient pas rapportés et discutés sur la place publique à l’instar de ceux qui, sur la prescription de l’hydroxychloroquine, ont transformé en un temps record des millions de français en épidémiologues et virologues. Un tel emballement (en terme l’adhésion ou de rejet) devant une prescription médicale controversée s’avère sans commune mesure avec aucun des exemples passés qui pourraient lui être comparés. Le rôle et l’importance des réseaux sociaux l’explique en premier lieu. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Cependant, plus fondamentalement, c’est à travers la personnalité du professeur Raoult, depuis la diffusion sur </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">you tube</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> de ses prises de position, plus particulièrement celles concernant la prescription de l’hydroxychloroquine, mais également en regard de ses analyses sur la situation sanitaire présente qu’il faut trouver la principale explication à ce phénomène de raoultmania. Puisque Raoult dérange à ce point l’establishment médical, affirment ses partisans, il ne peut qu’avoir raison. Le traitement simple, bon marché, ayant fait ses preuves que le professeur préconise, se trouve contesté, ajoutent-ils, parce qu’il remet en cause maints intérêts d’une industrie pharmaceutique plus soucieuse d’un laboratoire à l’autre de promouvoir des molécules plus juteuses, meilleures en terme de profit. Puisque que l’on dispose d’un tel médicament et que nous sommes confrontés à cette masse de patients atteints du Covid-19 qui risquent de mourir, poursuivent-ils, il faut intervenir tout de suite car il est criminel d’attendre que l’on mette en place le protocole de contrôle en usage pour savoir si l’hydroxychloroquine répond aux attentes, celle d’une efficacité reconnue par la communauté scientifique contre le Covid-19.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Tout ce qui vient être avancé sur le rôle de l’industrie pharmaceutique en sous-main, et les profits pas toujours occultes qu’elle peut en retirer est vrai et vérifiable sur un plan général : les exemples ne manquent pas (conflits d’intérêt divers, pressions sur les pouvoirs publics, lobbying). Cela néanmoins semble plus problématique en ce qui concerne l’hydroxychloroquine. La preuve n’a pas été faite, malgré ce que prétendent certains soutiens de Didier Raoult, que ses détracteurs soient « achetés » par l’industrie pharmaceutique (avec l’exemple patent du professeur Lacombe). Et puis les protocoles établis par le professeur pour établir la primauté de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 se trouvent fort discutés, pour ne pas dire contestés par une majorité de scientifiques.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Sinon, pour en venir à la seconde explication du phénomène de raoultmania, le discrédit de l’exécutif, à la veille de la vague épidémique, s’est trouvé renforcé dés lors qu’aux critiques récurrentes sur la politique sanitaire menées par tous les gouvernements depuis une quinzaine d’années sont venues s’ajouter celles relatives à l’impréparation de l’exécutif et sa gestion d’une crise sanitaire sans précédent. Le professeur Raoult s’en est fait plus ou moins l’écho sans toutefois reprendre le discours maximaliste de la plupart de ses partisans (« Quand on fait la guerre, indique-t-il en substance, on ne remet pas en cause les généraux durant le conflit. Ce n’est qu’après »). Cependant notre professeur « anti-système » a largement bénéficié du climat de défiance envers Macron et le gouvernement, ce phénomène s’accentuant durant le confinement.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Un autre facteur, de moindre importance, mais plus significatif que le précédent sur « l’effet Raoult », illustre cette sempiternelle opposition entre Paris et Marseille : le dernier épisode en date opposant les élites médicales parisiennes au virologue marseillais. Ce qui explique en grande partie le soutien sans faille apportée par les droites (les Républicains) marseillaises et provençales au professeur Raoult et à l’hydroxychloroquine. En particulier celui de ce personnage burlesque, l’actuel maire de Nice, appelé « le motodicdacte » par ses « amis » politiques. On en conclut que la figure tutélaire de Didier Raoult protège aujourd’hui davantage Marseille que Notre-Dame de la Garde, cette influence bénéfique s’étendant à toute la Provence. En retour, lors de l’audition du professeur par les membres de la commission parlementaire consacrée au Covid-19, on observa que ceux-ci l’interrogeaient le petit doigt sur la couture du pantalon, ne lui posant aucune question embarrassante, à l’exception d’un député MODEM, un dénommé Berta, qui ayant l’audace de concentrer son tir sur le « protocole Raoult » demanda au professeur « Pourquoi n’avez vous pas fait des essais cliniques dignes de ce nom ? », sans obtenir de réponse, sinon celle passablement agacée « Je suis un très bon méthodologiste et un grand scientifique ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> En avril la visite inattendue du Président Macron au professeur à Marseille, plus les déclarations de Raoult à </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Paris Match </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">(« Macron est un homme intelligent, qui comprend tout ») n’ont pas été sans provoquer quelques flottements dans les rangs des partisans du professeur les plus hostiles à l’actuel président de la République. Une lune de miel qui, comme on pouvait s’y attendre, ne dura pas. Le professeur Raoult va corriger le tir comme en témoigne durant tout le mois de mai sa présence massive dans les grands médias. Son attitude souvent agressive, voire méprisante envers les journalistes a redonné du grain à moudre à ses partisans ; en même temps qu’elle accentuait les clivages concernant sa personne. Les prestations du professeur ont alors plus qu’auparavant relevé du jeu de massacre, les uns s’en félicitant quand les autres le lui reprochaient. Les premiers buvaient du petit lait en entendant Raoult fustiger le Paris d’aujourd’hui (comparé au Versailles de l’ancien régime), se moquer de l’ignorance de ses interlocuteurs, relever l’absence de crédibilité de la plupart de ses confrères médecins (dont celle de l’actuel ministre de la Santé), ou affirmer sur le ton de la plus grande certitude « les gens pensent comme moi », tandis que les seconds soulignaient l’arrogance, la mégalomanie ou l’égocentrisme du professeur. Comme tout jeu de massacre qui se respecte ceux qui s’y adonnent, ou dans le cas présent le vivent par procuration, éprouvent une pleine et entière satisfaction à voir dégommer les figurines des puissants sans pour autant remettre en cause le spectacle dans lequel pareil jeu de massacre fait fonction d’exutoire. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Le mythologue n’a pas également été sans remarquer que ces médias influents se rendaient les uns après les autres à Marseille. Raoult lui ne se déplace pas, on vient à lui y compris lorsqu’on est Président de la République. Ce qui renforce l’idée, même si elle ne se trouve pas formulée ainsi, que tous ces visiteurs « viennent à Canossa ». A ce compte le professeur Raoult serait devenu en quelques mois l’un des personnages les plus influents de l’hexagone, sinon le plus populaire (en dépit de sa personnalité clivante), du moins la seule personnalité ayant véritablement émergé durant toute cette période de pandémie.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> En tout état de cause les médias, même ceux qui s’attendent à être maltraités, s’avèrent très demandeur du moindre avis du professeur Raoult (puisqu’il dope l’audience ou les ventes, fait le </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">buz</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">, affole la toile…). Ce dernier les fascine, cette fascination se retrouvant même dans les pages des médias les plus critiques. On ne peut pas non plus exclure une certaine connivence entre les partenaires quand Raoult en « rajoute » sur le mode de l’agression simulée, histoire de ne pas rester en deçà du personnage que ses interlocuteurs s’attendent à trouver. Nous retrouvons-là l’un des ressorts classiques de l’âge d’or du cabaret </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Le Chat noir, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">lorsque le public bourgeois qui franchissait la porte de l’établissement savait à quoi s’en tenir sur l’accueil que lui réserverait Aristide Bruant, le maitre des lieux, et prenait grand plaisir à être copieusement insulté. On nous dit que seuls les naïfs prennent pour argent comptant toutes les saillies du professeur. En terme de spectacle, puisqu’il faut ainsi qualifier ces entretiens, nous ne serions donner tort à ces naïfs, ou prétendus tels. Je l’avais d’une certaine manière souligné en 1955 dans la première de mes </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Mythologies, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">« Le monde où l’on catche », dans laquelle je remarquais que le public présent dans la salle « se confie à la première vertu du spectacle, qui est d’abolir tout mobile et toute conséquence : ce qui lui importe n’est pas ce qu’il croit, c’est ce qu’il voit ». Lors de l’un de ces simulacres de pugilat qui oppose Didier Raoult à l’une ou l’autre des vedettes du journalisme des presses écrites ou télévisées, le dit public, comme dans les salles de catch, « se moque complètement de savoir si le combat est truqué ou non, et il a raison ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> L’un des enseignements de ce « moment Raoult », et non des moindres se trouve énoncé à travers le paradoxe suivant : les partisans du professeur dénoncent, soit les collusions entre le pouvoir politique et l’establishment médical, soit la corruption des pontes de la médecine par l’industrie pharmaceutique, soit l’orientation voire l’imposture de nombreuses études scientifiques, soit de façon plus générale la volonté de dissimuler ici et là ces collusions, corruptions ou manipulations. Ce qui, à certaines outrances rhétoriques près, n’est pas contestable à la condition expresse de replacer l’un ou l’autre de ces propos dénonciateurs dans le cadre plus global d’une critique du capitalisme. Je n’ai pas été sans observer que la notion de « corruption », devenue dans pareil cas de figure celle des « élites », est peu à peu devenue l’un des marqueurs de l’extrême droite, ou plus généralement des populistes de tout bord. D’ailleurs le discours pro Raoult, dans ce registre de dénonciation précisément, figure en bonne place parmi les éléments à charge au travers desquels le « peuple » intente un procès aux élites, discours qui en même temps valorise, quand il ne porte pas au pinacle les travaux, les recherches, ou tout simplement les opinions de l’une de ces sommités médicales, le professeur Raoult (par ailleurs directeur d’un IHU soutenu financièrement par de nombreux partenaires publics). C’est là, pour appeler les choses par leur nom, l’expression d’un populisme sanitaire que, second paradoxe, les presses mainstream et people encouragent, mais qui dépasse stricto sensu le cadre de cette crise pandémique si l’on entend analyser, par delà la personnalité singulière du professeur Raoult, de quoi celui-ci serait le nom.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Nous remarquons que les partisans les plus virulents de Didier Raoult interviennent sur les réseaux sociaux (mode de communication par ailleurs valorisé ou plébiscité par l’intéressé). Indépendamment de ceux créés pour défendre le professeur Raoult et promouvoir l’hydoxychloroquine, nous relevons ceux de l’extrême droite (en y ajoutant les réseaux de Soral et Dieudonné), de LFI (davantage les mélenchoniens que le courant de Clémentine Autain), et ceux des Gilets jaunes. C’est peu dire que les théories complotistes circulent dans nombre de ces réseaux sociaux (du moins dans ceux de la nébuleuse extrême droitière et des Gilets jaunes). Elles ne datent pas d’aujourd’hui ni même d’hier mais leur diffusion s’est accélérée au fur et à mesure que la défiance envers l’exécutif, les gouvernements successifs, les élites, voire les opposants politiques et le monde syndical progressait comme l’indiquent les enquêtes d’opinion publique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Fin avril nous apprenions que le professeur Raoult venait de rejoindre l’équipe de la revue </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Front populaire, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">un projet impulsé par Michel Onfray. Ce dernier y « propose de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">construire une machine de guerre populiste </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">susceptible d’être opposée à la machine de guerre populicide » en faisant appel aux souverainistes de droite comme de gauche (mais en excluant Mélenchon et Marine le Pen). C’est pourtant le même professeur Raoult, sa notoriété en moins, qui écrivait en 2015 dans </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Le Point </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">: « L’histoire romaine doit nous apprendre à nous méfier du populisme, qui en dressant une partie de la population contre l’autre mène à la guerre civile, comme on l’a vu pour le nazisme ou le fascisme qui sont issus du mariage de la démocratie et du populisme ! ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Dans sa présentation de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Front Populaire</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Onfray précisait vers la mi d’avril : « Notre revue ne porte aucune candidature cachée, elle souhaite travailler à un programme susceptible de faire émerger le jour venu le nom de celui qui pourrait porter la cause du peuple contre les populicides qui travaillent à sa mort depuis trop longtemps déjà ». Et il ajoutait : « Je prends dès à présent l’engagement que je ne serai pas l’homme de ce combat politicien ». Cette dernière formulation sonne curieusement : Onfray n’a-t-il pas plutôt voulu évoquer un « combat politique » ? Car cela parait contradictoire avec ce qui précède. S’il ne s’agit pas d’un lapsus peut-être doit-on revenir plus en arrière, dans un autre passage de cette présentation, pour mieux comprendre l’assertion selon laquelle « Pour constituer un Front populaire contemporain, il faut regarder ce qu’Emmanuel Macron a obtenu avec son élection à la présidence de la République : il est parvenu à cristalliser toutes les forces du Front populicide sous un seul nom ! ». On croit comprendre qu’il conviendrait de cristalliser ici toutes les forces populistes et souverainistes sous le nom évoqué précédemment pour obtenir un même résultat.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Mais quel nom ? Onfray en avait-il déjà un en tête en rédigeant l’acte de naissance de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Front populaire </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">? Nous pensons que oui. Cependant aucune des personnalités ayant pris en marche le train de la locomotive pilotée par Michel Onfray depuis avril ne semble en mesure de répondre aux attentes du philosophe caennais. A l’exception de Didier Raoult (qualifié de « grand homme » par Onfray). Pourtant le professeur répète que la politique ne l’intéresse pas. A ce point même que toute question posée sur ce sujet lui parait relever de l’insulte. Comme il l’explique : c’est aberrant de vouloir prêter des ambitions politiques à un médecin qui comme lui n’a pas d’équivalent dans sa spécialité en Europe. Il n’y a pas à douter de la véracité des propos de Didier Raoult. Cependant nous le savons capable de dire une chose tel jour, et son contraire des mois plus tard avec le même ton de certitude. Prenons un seul exemple, mais le plus évocateur, de la nécessité de prescrire de l’hydroxychloriquine comme il le préconisait haut et fort dès février (ce serait « comme une faute médicale que de ne pas donner de la chloroquine contre le virus chinois »), une recommandation réitérée dans maints entretiens ou vidéos. Alors que lors de son audition en juin devant la commission parlementaire chargée d’enquêter sur la crise sanitaire, le professeur Raoult affirmera benoîtement n’avoir « jamais recommandé » l’hydroxychloroquine, faisant valoir qu’il n’avait « pas le droit de recommander un traitement ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> Cette candidature reste donc à l’état d ‘hypothèse. Pour qu’elle soit validée cela dépend en grande partie de la capacité de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Front populaire, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">qui déjà bénéficie d’une attention médiatique soutenue, à se transformer en un mouvement politique susceptible de représenter une alternative crédible à ce qui tient lieu d’opposition au macronisme. Le scénario alors pourrait être le suivant (à condition que la crise économique sévère qui s’annonce n’ait préalablement raison de Macron et du macronisme). La candidature de Didier Raoult à la présidence de la République (évidemment soutenu par </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Front populaire</span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">) serait présentée comme la seule capable de l’emporter au second tour contre Macron. Ce en quoi ni Marine le Pen ni Jean-Luc Mélenchon ne sont en capacité de réussir, ajouteraient-ils. C’est l’une des raisons pour lesquelles cette candidature susceptible de fédérer autour du nom Raoult les souverainistes et populistes de gauche et de droite ne peut évidemment provenir des rangs du RN comme de ceux de LFI. D’où l’obligation de présenter lors du premier tour cette candidature comme étant le seul vote utile possible. Pour ce faire la campagne électorale du candidat Raoult serait ponctuée de pétitions en provenance de la société civile ou des milieux intellectuels, les unes comme les autres appelant à voter dès le premier tour pour le seul candidat capable de battre Macron. Ceci ne pouvant réussir que si une bonne partie des électorats RN et LFI, auquel on peut ajouter la totalité de l’électorat Gilets jaunes, et un nombre conséquent d’abstentionnistes se reportaient sur le professeur Raoult. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> D’ailleurs, je reviens au texte de présentation par Onfray de </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-style: italic; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Front populaire, </span><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">celui-ci se référait implicitement à un tel scénario en évoquant l’habileté de Macron au printemps 2017 à se présenter comme un candidat susceptible de rassembler sur son nom en dehors des partis, quitte à en créer un autour de sa personne. A la différence qu’il s’agissait du courant opposé : de tout ce qui à gauche comme à droite se voulait libéral, social, mondialiste, européaniste. Une fois de plus il s’agit d’une hypothèse. Parce qu’il ne parait pas certain que notre professeur veuille endosser ce rôle. Et puis comment concilier les deux égos (Onfray, Raoult) les plus démesurés de l’hexagone ? Mais après tout, pourquoi celui qui prétend être de loin le meilleur dans sa spécialité n’aurait-il pas la tentation, puisque beaucoup l’imaginent ou en rêvent, de se glisser dans les habits de « l’homme providentiel », un costume jamais trop grand pour lui. Car cela serait faire injure au professeur de citer ici à titre comparatif un Reagan ou un Zelensky. Enfin pour conclure, puisque l’histoire romaine n’a pas de secret pour le professeur Raoult, à quels empereurs penserait-il à l’heure de faire ce choix : à Auguste, Vespasien et Titus, ou à Caligula, Claude et Domitien ? </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">Roland Barthes</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;">juillet 2020</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.7999999999999998;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size: 12pt; font-family: "Helvetica Neue", sans-serif; background-color: transparent; font-variant-numeric: normal; font-variant-east-asian: normal; vertical-align: baseline; white-space: pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /></span></div>NÉOFÉMINISME ET ORDRE MORAL, DEUX : ADÈLE, GABRIEL, ROMAN, VANESSA ET LES AUTRESurn:md5:d88b9313fa06776fe6e2cfe1e15e70792020-02-12T17:16:00+01:002020-02-12T17:20:40+01:00Max VincentCritique sociale2020 <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-1c34ec30-7fff-54cc-ebc7-eab0c6031702"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-1c34ec30-7fff-54cc-ebc7-eab0c6031702"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></strong></p>
<strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-1c34ec30-7fff-54cc-ebc7-eab0c6031702">
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:27.999999999999996pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"><a href="http://lherbentrelespaves.fr/index.php?post/2018/02/25/N%C3%A9of%C3%A9minisme-et-Ordre-moral" hreflang="fr" title="Néoféminisme et ordre Moral">NÉOFÉMINISME ET ORDRE MORAL</a>, DEUX : ADÈLE, GABRIEL, ROMAN, VANESSA ET LES AUTRES</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce texte prolonge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Néoféminisme et ordre moral. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est même un additif en ce qui concerne la première partie, plus courte, articulée autour de quatre « affaires » ayant plus ou moins défrayé la chronique de ces deux dernières années. La seconde, plus développée, plus réflexive aussi, ne retient de cette actualité que « l’affaire Gabriel Matzneff » (et secondairement celle associée à Paul Gauguin). Sans se positionner en faveur ou en défaveur de l’écrivain, elle entend analyser de quoi cette « affaire Matzneff » serait le symptôme. Car, par delà la condamnation sans appel dont fait l’objet un écrivain hier inconnu du grand public, ce sont les « années soixante-dix » qui se trouvent mises en accusation (à travers ce qu’on a appelé à tort ou à raison la « libération sexuelle », ou une prétendue permissivité de la société, ou un modèle libertaire qui selon ses contempteurs aurait fait faillite). C’est aussi dire que l’on ne peut aborder la « question pédophile » de manière « hors sol », comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Il importera donc de se livrer préalablement à une réflexion de type généalogique depuis différentes façons d’appréhender toute « sexualité déviante » et en particulier celle qui se trouve privilégiée ici (sous les angles sociologique, psychologique, historique, juridique, littéraire). Cette réflexion, uniquement limitée au siècle précédent et à celui-ci, n’intégrera donc pas les relations sexuelles entre adultes et enfants au sein des sociétés primitives, ni celles dans la Grèce antique - de type pédérastique - qui avaient valeur d’initiation pour les jeunes garçons, pas plus que ne seront évoquées des figures de « pédérastes » ou de « libertins » notoires de ce premier millénaire. Ce rappel vaut juste pour indiquer que la pédophilie (une terminologie insatisfaisante que par commodité nous conservons) est également une construction sociale et culturelle, que par conséquent elle n’a pas toujours été rejetée, condamnée, stigmatisée et honnie comme c’est le cas en ce début de XXIe siècle. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci précisé je m’attarderai principalement sur la période qui, depuis le déclenchement de « l’affaire Dutroux, » se clôt provisoirement avec le second des procès d’Outreau, celui de Paris. Il ne parait pas possible de faire l’économie de ces années durant lesquelles la promotion de la pédophilie, au rang d’infamie des infamies, avait comme corollaire « l’innocence sexuelle de l’enfant », ou prétendue telle par tous ceux pour qui « la crédibilité de la parole de l’enfant » ne devait en aucun cas être mise en doute. Cette histoire-là, ce texte entend en reprendre de larges pans, souvent occultés, jusqu'à ce jour afin de répondre à la question posée : comment en est-on arrivé là ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Trois facteurs principalement y concourent. D’abord, comme conséquence de cet épisode Dutroux, relevons la criminalisation des relations sexuelles entre adultes et non adultes. Ce qui était disons blâmé, réprouvé, condamné, ou faisait l’objet d’un délit (à l’exception du viol) est devenu un crime, toutes situations confondues. Ensuite, parallèlement, une tendance encore minoritaire dans les milieux psys, se positionnant contre l’abandon par Freud d’une « théorie de la séduction » (ou rejetant le freudisme), peu à peu s’imposait dans les cas « d’abus sexuels sur mineurs ». Et trouvait des relais dans les monde judiciaire, politique, et associatif (surtout celui de la protection de l’enfance). Les deux procès consécutifs à « l’affaire d’Outreau » ont remis en cause l’assertion selon laquelle l’enfant dit toujours la vérité, sans que ceux qui s’en faisaient les propagandistes ne rendent pour autant les armes. Enfin le troisième facteur, plus diffus, est indirectement lié à l’émergence depuis une quinzaine d’années du néoféminisme. On relève que ce dernier a en quelque sorte annexé ou absorbé la « question pédophile » en proposant quelque équivalent depuis par exemple ses grilles de lecture sur le consentement et le traumatisme. Là aussi #Metoo et #Balance ton porc ont été des accélérateurs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Compte tenu de l’interdit aujourd’hui posé sur toute relation sexuelle, de quelque nature que ce soit, entre des adultes et des mineurs de moins de 15 ans, la machine à culpabiliser fonctionne à plein régime. Toute relation de ce type ne peut, dans l’esprit de ceux pour qui dans ce monde rien n’est pire, qu’engendrer des traumatismes. A ce point même que celui ou celle qui devenu adulte ne garderait d’une telle relation que de bons souvenirs, ou s’en amuserait, ou du moins de s’en formaliserait pas, ne peut qu’avoir été corrompu moralement, et sa parole et ses explications seront considérées nulles et non avenues (quand il ne sera pas traité de pervers). De même, celui ou celle qui aurait subi un traumatisme, mais qui résiliant s’en est sorti parce qu’il en avait les capacités, que les professionnels qui l’ont aidé et soutenu avaient su mobiliser ces capacités pour lui permettre de passer à autre chose, de vivre comme vous et moi, pour ces personnes-là donc il n’est pas de résilience qui tienne dans l’esprit des militants de la cause anti-pédophile en cas « d’abus sexuel », puisque les séducteurs, les suborneurs, les abuseurs, les prédateurs doivent payer d’une manière ou d’une autre même si leurs crimes sont prescrits par la loi : ils doivent payer au plus fort pour que leurs victimes retrouvent la paix, ils doivent donc payer davantage que les auteurs de crimes de sang, les meurtriers, dans le cas d’un viol.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Depuis l’écho donné à « l’affaire Matzneff », autant médiatique qu’à travers des interventions d’intellectuels dans différents champs de la pensée, d’aucuns, dans le contexte de crise sociale de ces derniers mois, seront ici tentés de trouver négligeable du point de vue de la « question sociale » le type d’argumentation proposé précédemment. Certes les questions relatives à l’égalité ne sont pas abordées dans ce texte qui, par la bande, traite lui de questions trop négligées par les mêmes, relatives elles à la liberté. Ici l’exercice devient difficile car encore faut-il préciser ce qu’on entend là. Il convient de ne pas prendre l’écume de la chose pour la chose même. L’objectif serait, pour parler comme Adorno, de voir « ainsi apparaître dans la chose, dans la désobéissance aux règles orthodoxes de la pensée, ce qu’elles ont en secret pour finalité objective de tenir caché aux regards ». Par conséquent, pour y revenir, il paraît difficile de traiter de la pédophilie sans dire un mot, et beaucoup plus sur l’état d’une société pour qui, à intervalles réguliers, de Dutroux en Matzneff, le pédophile représente l’un des boucs émissaires de l’époque, de ses peurs et de ses inquiétudes, sinon le « mal absolu ». Dois-je ajouter que malgré tout, malgré les malentendus qui peuvent en résulter, malgré la difficulté de s’adresser de nos jours à des lecteurs « sans préjugés », le point de vue défendu tout au long de ce texte se veut libertaire ? Nos héroïnes ne s’appellent pas Adèle Haenel, Vanessa Springora, Sandra Muller ou Denise Bombardier, mais restent indéfectiblement Germaine Berton, Violette Nozières, les soeurs Papin, Gudrun Ensslin et Ulrike Meinhof.</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:20pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« Nous demandons dès à présent à nos élus la liste des cinéastes dont nous n’aurons plus le droit de programmer des films et la définition de leurs critères. Un comité de la moralité des artistes est-il prévu, puisque la liberté individuelle des spectateurs n’est pas suffisante ? ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Stéphane GOUDET (cinéma « Le Méliès », Montreuil)</span></p>
<br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cet additif à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Néoféminisme et ordre moral </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’articule autour des affaires dites « Sandra Muller », « Roman Polanski », « Adèle Haenel », « Philippe Caubère ». Un peu moins de deux ans plus tôt je relevais que « la libération de la parole des femmes » initiée par « l’affaire Weinstein » (laquelle avait eu un retentissement mondial) présentait - je schématise - un côté positif, la dimension « #Metoo », et un côté négatif, l’aspect « #Balance ton porc ». Celui, en second lieu, d’une « libération de la parole » pouvant le cas échéant s’apparenter à de la délation, relever de règlements de comptes ou de vengeances, ou participer d’une « chasse à l’homme ». J’insistais principalement, en m’appuyant sur des exemples concrets, sur les effets délétères de « #Balance ton porc » dans le domaine de la création.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La manifestation du 23 novembre 2019 contre « les violences faites aux femmes, sexistes et sexuelles » mettait en avant, dénonçait et condamnait majoritairement les violences conjugales et assimilées. On ne pouvait que s’en féliciter. C’était d’ailleurs un aspect que je n’estimais pas suffisamment pris en compte par le mouvement « #Metoo » comme je l’avais d’ailleurs indiqué dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Néoféminisme et ordre moral. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les quatre affaires que je me propose de traiter ci-dessous ne représentent nullement dans ce contexte l’envers de cette mobilisation contre les violences conjugales. Elles doivent être analysées, je tiens à le souligner, indépendamment des raisons pour lesquelles des milliers de manifestants se sont principalement retrouvés dans les rues de Paris et d’ailleurs le samedi 23 novembre 2019.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Rappelons que la journaliste Sandra Muller, à l’origine du hashtag « #Balance ton porc », a été condamnée le 25 septembre 2019 par un tribunal parisien pour avoir diffamé Éric Brion (le « porc » en question), « balancé » par un tweet bientôt relayé par près d’un million d’utilisateurs. Très rapidement, en raison du succès de cet hashtag, Sandra Muller devenait l’une des icônes du néoféminisme. Cette soudaine célébrité lui permettait de signer un contrat chez Flammarion (l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Balance ton porc</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), d’être désignée par le magazine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Times </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comme « l’une des trente personnalités de l’année 2018 », et même d’être invitée à l’Élysée par Macron lors d’une soirée consacrée aux « héros 2018 ». Alors que Éric Brion, vilipendé et injurié à longueur de journée sur les réseaux sociaux, se trouvait progressivement réduit à un état de « mort sociale ». Ceci parce qu’à l’occasion d’un cocktail, lors d’une fin de soirée arrosée, Brion avait tenu le discours suivant à Muller (« Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit »), un propos peu glorieux au sujet duquel, dessoûlé, il s’était excusé le lendemain (d’ailleurs, dans une tribune publiée par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en réponse au hashtag, Éric Brion reconnaîtra le caractère « déplacé » et de « drague lourde » de ce propos). Sandra Muller avait accepté ces excuses et tous deux étaient restés en contact sur Facebook. Le refus, en 2016, de Brion de s’abonner à la revue de Sandra Muller, mettait fin à leurs relations. Un an plus tard, le premier se trouvait « balancé » par la seconde de la manière que l’on sait. Seul « Je suis Charlie » surpassant « Balance ton porc » en notoriété. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il importait de donner le détail de ce différend opposant les deux protagonistes pour indiquer que la « vérité » de Sandra Muller n’était pas toute la vérité. Cette vérité, la sienne, largement diffusée dans les médias, omettait de préciser ce qui s’était passé entre la soirée arrosée et la publication du tweet. Le plus remarquable dans cette affaire, une fois le jugement de première instance rendu, étant le déni des faits par les partisans de Sandra Muller tels qu’ils viennent d’être rappelés. Ce choeur indigné ne retenait qu’un jugement inique bafouant la cause des femmes, rendu par un tribunal s’appuyant sur des arguties juridiques pour invalider une situation de harcèlement sexuel. Un jugement, selon lui, qui entendait faire taire toutes les femmes s’y trouvant confrontées. On subodore ce que les conseils de Mme Muller plaideront lors du procès en appel. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’argumentation de l’auteure d’un article (publié dans le cadre des « Amis de Mediapart ») intitulé « Condamnation de Sandra Muller : nous ne nous tairons pas » (et contresigné par « plus de 200 femmes ») évite d’ailleurs d’entrer dans le particulier du différend pour ne poser que la question, certes légitime (voire très légitime), sur les difficultés que rencontrent de nombreuses femmes pour se faire entendre lors d’un dépôt de plainte pour viol, agression sexuelle ou harcèlement sexuel : question qui s’avère ici avec Sandra Muller complètement hors sujet. Il est permis de sourire quand l’auteure de l’article prétend que « ce jugement renforce la justice de classe ». D’abord parce que Sandra Muller comme Éric Brion appartiennent tous deux aux « classes privilégiés » (ce que l’on appelait jadis « la bourgeoisie ») ; ensuite, plus déterminant, Éric Brion se trouvait défendu par Maître Nicolas Benoit, qui ne figure pas que je sache parmi « les maîtres du barreau », tandis que Sandra Muller avait comme conseils - excusez du peu ! - Maîtres Francis Szpiner et François Baroin (il ne manquait que Sarkozy). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En prenant connaissance des noms des « 200 femmes et plus », ayant contresigné cet article, on en déduit que ces signataires ne représentent qu’un courant minoritaire du féminisme. Celui, me semble-t-il, d’un « néoféminisme à l’américaine » auquel Sandra Muller, qui vit aux USA, se réfère principalement dans ses entretiens. Relevons aussi que l’auteure de l’article prend de sérieuses libertés avec la vérité dans d’autres affaires mentionnées. Pour en venir à ce qui motive la décision des juges, pour qui le harcèlement sexuel n’est pas caractérisé (en référence à la loi de 2012 sur le harcèlement sexuel), on ne sait pas bien sur quoi s’appuie notre auteure pour le récuser. Avancer que ce jugement bafoue la cause des femmes permet de faire l’impasse sur le fond de l’affaire : diffamation ou pas ? On concèdera, le jugement rendu, que les propos d’Éric Brion pourraient relever de « l’outrage sexiste » (dans les termes de la loi d’août 2018), sanctionné par une amende. Mais l’intéressé s’étant excusé, et sa « victime » ayant accepté ses excuses, alors…</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On se souvient que la rétrospective Roman Polanski, programmée de longue date à la Cinémathèque de Paris, avait ravivé le choeur des plaignants qui depuis plusieurs décennies protestent contre l’impunité dont bénéficierait le cinéaste polonais. Non sans succès d’ailleurs puisque précédemment Polanski avait dû renoncer à venir présider la cérémonie des Césars en 2017. La Cinémathèque, en revanche, avait maintenu la programmation de cette rétrospective ainsi que la présence de Polanski le jour de l’inauguration. Une fois de plus distinguons l’homme du cinéaste : le cinéma de Polanski ne peut se trouver réduit à ce dont on accuse l’homme Polanski. On a le droit de ne pas aimer ce cinéma, de le critiquer sans ménagement, mais il est parfaitement saugrenu de demander par exemple l’annulation de la rétrospective d’un cinéaste au prétexte que l’homme fait l’objet d’accusations qui relèvent du judiciaire. Il s’agit ni plus ni moins, dans l’intention, d’un acte de censure. Le cinéma de Polanski excuse-t-il, même implicitement ce que d’aucuns appellent « une culture du viol » ? Non, bien entendu.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je n’entrerai pas dans le détail du marathon judiciaire s’étalant sur 40 ans, déclenché par une première accusation, celle de « rapports sexuels illégitimes avec une mineure de 13 ans », reconnue par Polanski en 1977. La même année le cinéaste était condamné à une peine d’emprisonnement de 90 jours (il ne sera incarcéré que 42 jours, étant libéré pour « conduite exemplaire »). Pour échapper à de nouvelles poursuites, un juge voulant requalifier l’accusation, Polanski quitte en 1978 les États-Unis pour s’installer en France. Depuis 1997, la victime, Samantha Geimer, intervient publiquement pour dire et redire qu’elle a pardonné au cinéaste, et demande régulièrement l’abandon des poursuites visant Polanski en son nom, ce qu’elle dénonce comme étant abusif. Elle a par exemple déclaré qu’elle avait davantage souffert de la médiatisation faite autour de cette affaire (« Si je devais choisir entre le viol et revivre ce qui s’est passé après je choisirais le viol »). Il parait possible que l’acharnement d’une partie des féministes à l’égard de Polanski soit indirectement lié aux déclarations de Samantha Geimer, des propos inadmissibles aux yeux de ceux et celles pour qui Polanski est d’abord un prédateur.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le cinéaste a formellement nié les accusations qui se sont abattues sur lui en 2017. Ces dépôts de plaintes, enregistrés entre août et décembre 2017, ceci pour des faits présumés de viols et d’agressions sexuelles datant des années 70, commis à l’époque sur des « victimes » dont certaines avaient 9 et 10 ans au moment des « faits » laissent circonspect, sinon plus. Il est vrai, pour l’expliquer, que Polanski se trouvait à nouveau sous les projecteurs en 2017, du moins ceux de la justice américaine, puisque le juge Gordon décidait en août 2017 de ne pas mettre fin aux poursuites visant Polanski, malgré le témoignage devant le même juge de Samantha Geimer en faveur du cinéaste. Il y a comme une concordance de date entre la décision du juge et les dépôts de plaintes évoqués ci-dessus. De quoi faire appel d’offre, si l’on peut s’exprimer ainsi. Une meilleure connaissance du profil psychologique des « victimes » permettrait sans doute de mieux répondre à la question (sans exclure en quoi « profil » rime ici avec « profit »). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Reste le cas de Valentine Monnier, la dernière accusatrice en date, arguant que la sortie du film </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’avait incitée à sortir de son silence. Pourtant, entre autres pour des raisons biographiques (père juif, une partie de sa famille décédée dans les camps de la mort), la légitimité de Polanski à vouloir réaliser un film sur « l’affaire Dreyfus » ne peut être remise en cause. Même si l’on reprend les déclarations du cinéaste concernant ce projet, elles paraissent plus nuancées que ce que prétendent les détracteurs de Polanski et Mme Monnier. C’est d’abord une résurgence de l’antisémitisme qui les motive. Polanski a pu le cas échéant se référer à ses démêlés judiciaires outre-Atlantique. Mais ce qu’il a exprimé, de façon constante, tient dans la déclaration ci-dessous : « Je ne parlerai pas d’une identification, ou alors dans un sens assez général. L’essentiel de cette affaire c’est quoi ? Le refus d’une institution, l’armée en l’occurrence, de reconnaître son erreur, et son obstination à s’enfoncer dans le déni en produisant des fausses preuves. Moi je connais ça, même si ce n’est pas l’armée ». Des propos inacceptables pour qui ne doute pas un seul instant de la véracité des accusations rapportées ci-dessus. En revanche, si le doute est permis, on peut juste reprocher au cinéaste, non pas de s’identifier à Dreyfus, comme ses accusateurs le martèlent, mais de s’être laissé aller, même dans un autre registre, à une comparaison n’ayant rien de scandaleux ni de répréhensif mais qui dans le contexte très particulier de la sortie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">peut paraître déplacée.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sorti nous n’en sommes pas restés là. Alors que les demandes d’interdiction d’un film émanaient jusqu’à présent de municipalités de droite ou d’associations catholiques, pour la première fois des élus de gauche (la maire, PS, de Bondy ; et l’une de ses adjointes, PCF) demandaient au président de l’établissement territorial Est Ensemble (regroupant plusieurs salles en Seine-St-Denis) de déprogrammer </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce dernier élu donnait un accord de principe, puis revenait sur sa décision devant les réactions négatives des programmateurs de salles, dont celle de Stéphane Goudet, le directeur du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Méliès </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à Montreuil, déclarant excellemment : « Nous demandons dés à présent à nos élus le liste des cinéastes dont nous n’aurons plus le droit de programmer les films et la définition de leurs critères. Un comité de vérification de la moralité des artistes est-il prévu, puisque la liberté individuelle des spectateurs n’est pas suffisante ». Quand Sylvie Badoux, la maire adjointe de Bondy, l’élue la plus en pointe pour l’interdiction de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">répond : « Ce n’est pas du contenu d’un film contre lequel nous nous insurgeons, mais de la personnalité d’un homme abject », elle ne sait pas à quel point elle aiguise les ciseaux de dame Anastasie, puisque le critère ici retenu pourrait s’appliquer à quelques autres cinéastes renommés, dont Chaplin, Clouzot, W. Allen. Et comme l’abjection des uns n’est pas nécessairement celle des autres, cette liste devrait sensiblement s’élargir selon d’autres critères : dame Anastasie ne serait pas prête de chômer !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Comment qualifier la démarche, faite précédemment, « d’encadrer » </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au Festival de La Roche-sur-Yon par un débat avant la projection ? Une demande acceptée par la programmation du festival faisant appel à Iris Brey pour en débattre. Cette chercheuse n’avait pas vu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et déclarait haut et fort qu’elle n’entendait pas voir ce film. Nous entrons là dans quelque chose d’inédit, du moins pour l’hexagone. Premièrement ce n’est pas le contenu d’un film qui se trouve incriminé mais la personnalité d’un cinéaste. Ensuite tout film mis à l’index - eu égard la personnalité d’un cinéaste - devrait être « encadré » selon par exemple le protocole retenu à la Roche-sur-Yon. D’où cette situation ubuesque d’un débat sur « les violences faites aux femmes » avant la projection de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un encadrement qui n’est pas sans effet pervers. Puisqu’il tend à nier le contenu du film incriminé (en l’occurrence avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’antisémitisme) pour lui en substituer un autre, on sait lequel. Ce qui renvoie, indirectement certes, ou par la bande, à une version non moins inédite de concurrence entre les victimes. Encadrer de la sorte n’est pas censurer mais se révèle plus pernicieux. Car les appels à censurer un film ont au moins le mérite d’appeler un chat un chat. Et l’on peut s’y opposer frontalement. Ici l’on se défend de censurer un film tout en le réduisant à l’état d’une coquille vide. Les plus militantes de nos néoféministes répondront qu’il s’agit de la meilleure des tribunes possibles pour faire avancer la cause des femmes et lutter contre le féminicide. A ce compte-là n’importe quel groupe de pression peut procéder de même, et prendre tel film en otage au nom des « personnes racialisées », des gays lesbiens et trans, des handicapés, ou de la cause animale, parce que le réalisateur du film en question serait, soit raciste, ou homophobe, ou handicapophobe, ou encore coupable de mauvais traitements envers les animaux.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un lien peut être fait avec la troisième affaire puisque cette riche idée « d’encadrer » la projection de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’accuse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à la Roche-sur-Yon émane d’Adèle Haenel. Un long article de Marine Turchi publié le 3 novembre 2019 sur le site </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mediapart, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puis un entretien entre Adèle Haenel, Edwy Plenel et Marine Turchi retranscrit en vidéo sur le site lançaient « l’affaire Haenel ». Celle-ci, très largement médiatisée, est à ce point connue que les faits la concernant n’ont pas besoin d’être rappelés dans le détail. Entre le moment où Adèle Haenel s’est « confiée » à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mediapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et le long article de Marine Torchu sept mois se sont écoulés. Les journalistes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mediapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ont souligné la longueur inusitée de ce type d’enquête : tous les témoins susceptible d’apporter des éléments à charge (voire à décharge pour un nombre très limité) ayant été contactés et interrogés. Rappelons que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mediapart, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et surtout Edwy Plenel s’étaient retrouvés en première ligne lors de la séquence #Metoo. En raison de la nature de cet engagement nous étions quelques uns à subodorer que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mediapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">finirait bien par débusquer quelque équivalent d’un Hervey Weinstein. Le journal en ligne a fini par le trouver en la personne de Christophe Ruggia. On dira qu’il s’agit d’un Weinstein au petit pied : Ruggia s’était précédemment engagé en faveur du mouvement #Metoo et n’a jamais été accusé de viol (il reconnait l’emprise, bien réelle, exercée de longues années plus tôt sur la toute jeune Adèle Haenel, mais nie les attouchements sexuels qu’elle lui impute). J’ignorais l’existence de ce cinéaste, qui avait pourtant eu des responsabilités au sein de la société des réalisateurs de films. Alors que l’accusatrice est bien connue : en tant qu’actrice césarisée, ayant de surcroît une « bonne image » (de celle qu’un magazine comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Télérama </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">met en avant, en y incluant les couvertures de ce média). Indiquons que l’homosexualité affichée par l’actrice ne réduit nullement la portée de ses accusations, bien au contraire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je ne sais si Adèle Haenel a choisi préférentiellement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mediapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour s’exprimer</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou si le journal en ligne, depuis les « confidences » de l’actrice, s’est délibérément engagé à ses côtés pour donner à son témoignage un caractère plus général, celui des violences faites aux femmes</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Venons en à cet entretien vidéo, largement diffusé. Malgré les difficultés parfois de l’actrice à s’exprimer (ce que l’on comprend aisément en raison de ce qu’elle rapporte), ce n’est pas vouloir réduire la valeur de son témoignage d’ajouter qu’Adèle Haenel avait été briffée pour l’occasion. Il n’y a rien d’illégitime de procéder ainsi, ni d’en tirer les enseignements qui suivent. Du moins si j’en crois les perches tendues par Plenel durant l’entretien. En particulier celle selon laquelle cette fois-ci l’accusatrice s’appuyait sur sa notoriété pour accuser un homme beaucoup moins connu. Ce statut lui permettant depuis son cas particulier de parler pour toutes les femmes, de celles plus précisément se trouvant dans une situation inverse à la sienne. Une perche reprise avec plus de bonheur que celle, à un moment de l’entretien, tendu par son interlocuteur au sujet de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Nabokov (Plenel entendant, de ce ton jésuitique qui n’appartient qu’à lui, aborder « l’affaire Adèle Haenel » sous le prisme pédophile). Une perche reprise maladroitement par l’intéressée répondant que « des livres sont produits massivement sur ce thème de la culture du viol, du fait qu’il faut enlever les femmes… ». Il était permis de se demander que diable </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">venait faire dans cette galère ? Pour comparer Christophe Ruggia à Humbert Humbert, ou pour nous dire comme ça en passant qu’un roman comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’en</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">faisait pas moins l’apologie de la pédophilie (et qu’à ce titre il devrait être « encadré » ?). D’ailleurs des signes avant-coureurs laissent supposer que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et Nabokov seraient devenus persona non grata à l’université.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En revanche, la perche suivante (« Vous auriez pu saisir la justice ? ») se trouvait reprise sans grande surprise. Adèle Haenel répondant bien évidemment par la négative, arguant que très peu de plaintes pour viols ou agressions sexuelles aboutissaient à une condamnation devant un tribunal, la justice n’étant en ce sens pas représentative de la société. Donc qu’elle ne jugeait pas utile de la saisir, mais qu’il lui importait de témoigner en raison des déclarations de Christophe Ruggia refusant de reconnaître la réalité de ses attouchements sexuels 15 à 18 ans plus tôt. Adèle Haenel plus tard changera d’avis : son audition par des enquêteurs, à la suite de la décision par le parquet de Paris de l’ouverture d’une enquête préliminaire, l’incitera alors à porter plainte contre Ruggia. Mais ce sont ses premiers propos sur la justice qui ont surtout retenu l’attention des commentateurs, et provoqué de très nombreuses réactions. Les seconds passant presque inaperçus.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Chacun peut constater que depuis un certain temps déjà les médias entendent de plus en plus se substituer à la justice. N’évoque t-on pas, pour s’en féliciter ou le déplorer, par « tribunal médiatique » les attendus de maintes enquêtes journalistiques, ou pour le pire les « jugements » rendus par les réseaux sociaux. Cette séquence </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mediapart </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">/ Haenel s’y inscrit de plain pied. C’est l’occasion de rappeler que le rôle ainsi dévolu aux médias avait été en quelque sorte théorisé par Edwy Plenel presque vingt ans plus tôt. Le 2 octobre 2002 un éditorial non signé du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(mais qui ne pouvait qu’avoir été écrit par l’omniprésent directeur de la rédaction, Edwy Plenel en personne) revenait sur la première « affaire DSK » (appelée aussi « affaire de la MNEF ») durant laquelle deux ans plus tôt DSK, alors Ministre de l’Économie et des Finances, avait été mis en examen : l’intéressé devant alors démissionner du gouvernement Jospin. A l’époque </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de M. Plenel avait été à la pointe d’une campagne de presse entendant contraindre Jospin à appliquer dans ce cas d’espèce le jurisprudence dite Balladur. Deux ans plus tard, en 2002 donc, DSK était blanchi par la justice. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Monde, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sous la plume de Plenel, on y revient, précisait qu’un « préjudice grave avait été commis envers DSK », lequel, ajoutait benoîtement le rédacteur, « conduit à s’interroger sur le pouvoir des juges et son impact public ». Ce qui, compte tenu de ce qui vient d’être indiqué, ne manque pas de sel. Mais le plus important est à venir, à savoir la défense et illustration du journalisme. Citons le rédacteur : « Après tout la presse, en informant le public, a rempli sa mission ; et la justice en relaxant l’ancien ministre a montré qu’elle était capable de reconnaître ses erreurs. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le temps de la presse n’est pas celui de la justice, ni celui de la politique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(…) c</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">’est celui de l’immédiateté </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(c’est moi qui souligne) qui ne permet pas d’estimer la valeur des charges retenus contre un accusé ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La messe est dite. Les « erreurs » sont bien entendu le fait de la justice (alors que l’on sait pourtant que tout « mis en examen » bénéficie de la présomption d’innocence), et non du journalisme. La presse, selon Plenel, s’exonère de ce que l’on ne saurait dispenser juges et politiques. Cette « exception du temps journalistique » a l’avantage de préserver les journalistes contre les conséquences auxquels les juges, et plus encore les politiques doivent s’attendre quand la vérité se trouve par eux malmenée ou bafouée. En revanche l’élargir aux journalistes remettrait en cause la « liberté de la presse ». Un argument presque vieux comme la presse puisque Karl Kraus, déjà, s’en faisait l’écho de manière critique au début du XXe siècle.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « Le temps de l’immédiateté » disait Plenel. Ce qui se vérifie davantage en 2020 qu’en 2002 : les smartphones l’illustrent à longueur de clics. Tout doit aller très vite. Comme l’écrit Olivia Dufour (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Justice et médias : la tentation du populisme</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : « Nouveau maître du monde dès lors qu’il tient en main un smartphone, le citoyen-consommateur-internaute exige en tout domaine de diriger les opérations et d’obtenir un résultat satisfaisant dans un délai rapide (…) On dénonce sur Internet sous prétexte que c’est l’ultime solution, la seule qui fonctionne ». Le temps de l’immédiateté devient celui de la dénonciation, voire de la délation. On oublie que de nombreuses accusations de harcèlement sexuel ou pire, mettant en cause des personnes publiques se sont conclues par des non-lieux ou des classements sans suite. Alors que chacun garde à l’esprit le moment où médias et réseaux sociaux ont jeté ces noms en pâture. Ce qui n’est pas sans effets pervers, comme l’indique Olivia Dufour « subrepticement s’installe dans les moeurs une religitimation décomplexée de la vengeance privée » .</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il paraît difficile, sinon impossible de séparer en terme d’analyse le « troisième pouvoir », la justice donc, du monde dans lequel nous vivons. C’est surtout flagrant en correctionnelle, où chaque justiciable peut vérifier que l’on y rend à l’égard des plus pauvres une « justice de classe ». Néanmoins la justice rendue dans les tribunaux après une plus ou moins longue instruction, celle qui sort par définition du « temps de l’immédiateté », malgré sa lenteur, malgré son manque de moyens, malgré ses dysfonctionnements surtout, reste préférable à tout « tribunal médiatique » pour les raisons exposées ci-dessus. Et compte tenu de l’importance prise aujourd’hui par les réseaux sociaux c’est encore plus évident. Par exemple la condamnation de Jérôme Kerviel (lors de ses deux procès) pour « faux et usage de faux, abus de confiance et introduction frauduleuse de données » est justifiée du point de vue de l’application de la loi si l’on prend la peine de lire attentivement le détail des deux jugements (et non les déclarations des avocats de Kerviel). Ce qui a pu faire accroire à l’existence d’un jugement inique, du moins pour le premier procès, étant l’indemnité demandée par la Société Générale en terme de préjudice : une somme complètement disproportionnée pour ne pas dire absurde (mais logique selon la règle juridique !). Si les médias avaient plutôt soutenu Kerviel dans un premier temps, ils vont davantage le soutenir entre les deux procès. Un large soutien dépassant la sphère médiatique, allant de l’establishment catholique au Parti de Gauche (Mélenchon n’a-t-il pas comparé Kerviel à Dreyfus !!!). Soulignons que ce n’est pas donné à toute personne condamnée en première instance d’être invitée trois fois au journal de 20 heures sur France 2, de publier deux ouvrages sur son cas, d’être le héros d’une adaptation cinématographique de l’affaire, d’avoir des amis « prestigieux », d’échanger quelques mots avec le pape, et de faire le buzz en maintes occasions.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quelques précisions ne sont pas ici inutiles. Ce n’est pas parce que dans ce litige opposant ce trader à son employeur, la Société Générale, le premier s’était rendu coupable de ce que le second l’accusait qu’en l’avalisant on baisserait la garde vis à vis des banques et de la finance. Bien au contraire. C’est tout un système qu’il faut incriminer, à condition d’ajouter que Kerviel en est le pur produit. Vouloir, dans ce cas très particulier, refuser d’admettre l’expression de la vérité (un petit voleur pris en flagrant délit par un gros voleur) nous reconfronte une fois de plus à la question de la fin et des moyens. Tous les moyens ne sont jamais bons pour arriver à ses fins. Kerviel n’est pas dans le cas présent le bon exemple. Sa responsabilité s’avère évidemment moindre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en soi</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> à l’échelle de la société que celle de la Société Générale, ou de toute autre banque, mais il n’est pas la victime que d’aucuns prétendent. Seuls les naïfs ou les ignorants ont pu croire en l’innocence de Kerviel. Quand d’autres, mieux renseignés, se sont efforcés de l’accroire depuis des considérations politiques, critiques envers les banques et la finance, que l’on ne discutera pas (évidentes et incontestables) mais qui rapportées à Kerviel accréditent l’idée que la vérité serait relative. Vaste question qui dépasse le cadre de nos quatre affaires. J’aimerais juste ajouter que travestir la vérité, même pour les meilleurs raisons du monde, nous renvoie invariablement à la sempiternelle question de la fin et des moyens.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’affaire portant le nom de Philippe Caubère (le comédien étant accusé de viol, pour simplifier, par l’activiste Solveig Halloin) a fait l’objet d’un classement sans suite au début 2019. J’avais été informé un an plus tôt de la plainte déposée par cette militante féministe et antispéciste, et des accusations qu’elle portait à l’encontre de Philippe Caubère par un article du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">signé Sandrine Blanchard et Soren Seelow. Je n’avais pas été sans remarquer que les éléments de langage se rapportant au comédien étaient à charge, tandis que Solveig Halloin témoignait elle « d’une intense activité militante en faveur des droits des femmes et de la cause animale ». Ce qui ne suffit pas (pas encore ?) à faire condamner un Caubère qui, pour aggraver son cas, ne fait pas mystère d’appartenir à la clientèle des prostituées (et aurait une inclination coupable pour la tauromachie). Ce qui s’ensuit mérite d’être raconté parce que là, contrairement aux trois affaires précédentes, les médias eux seuls portent la responsabilité de ce qui n’aurait jamais du devenir une « affaire Caubère ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le 18 avril 2018, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Point, Le Parisien libéré</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HuffPost </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">font état d’une plainte pour viol déposée par Solveig Halloin à l’encontre de Philippe Caubère. Dans le dossier concocté par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Parisien libéré </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sont par exemple rapportés les propos de l’un des avocats de la plaignante comparant le comédien à Tariq Ramadan : tous deux étant accusés d’avoir « usé de leur domination mentale, de leur emprise sur les victimes, pour les convaincre que ces relations, contraintes, sont en fait normales ». Le même jour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HuffPost </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">diffusait une vidéo dans laquelle Solveig Halloin se mettait en scène : elle expliquait avoir été harcelée, violée et menacée de mort par le comédien. Elle précisait également avoir écrit une « lettre ouverte » aux centaines de victimes de Philippe Caubère afin qu’elles se joignent à elle et déposent plainte à leur tour ». Une première fois convoquée par le SRPJ de Toulouse, la plaignante était une seconde fois entendue par d’autres enquêteurs (le parquet de Bézier se dessaisissant du dossier au profit de celui de Créteil) en novembre 2018. On apprendra par la suite qu’aux accusations déjà connues, Solveig Halloin ajoutait que Caubère avait violé d’autres femmes (dont elle donnait les identités) et torturé l’une d’elles, que l’ordinateur du comédien contenait des images pédopornographiques, qu’il faisait la sortie des écoles maternelles, et qu’il torturait et tuait des prostituées dans son appartement de Saint Mandé. Sans doute en raison, peut-on supposer, de l’incrédulité des enquêteurs devant pareilles déclarations (du moins pour ce qui vient d’être ajouté), Solveig Halloin demandait aux policiers de « faire réaliser un scanner de son cerveau, se disant certaine de souffrir du cerveau depuis le viol dénoncé ». Deux semaines plus tard Philippe Caubère était convoqué au commissariat de Créteil et placé en garde à vue. Son appartement est alors perquisitionné et ses appareils multi-médias exploités. L’examen de l’ordinateur et du téléphone portable infirme les accusations de la plaignante. Interrogées, les femmes désignées par Solveig Halloin comme ayant été violées par Caubère ne confirment nullement les accusations de la première, y compris celle qui de surcroît aurait été torturée. Le 17 février 2019 le tribunal de Créteil classait la plainte sans suite en l’absence de charges à l’encontre du comédien. En premier lieu faute d’éléments permettant de corroborer les allégations de la plaignante sur l’absence de « consentement » (il s’agissait de relations sexuelles consenties et non de viols). Ceci s’élargissant aux accusations concernant des personnes désignées comme victimes de viol et de torture.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il importe de souligner, premier point, qu’à ma connaissance Solveig Halloin n’a pas été soutenue par des associations féministes. On peut faire l’hypothèse que la connaissant, pour l’avoir vue auparavant sur un plateau de télévision, celles qui auraient eu vocation à soutenir la porte parole de « Boucherie abolition » subodoraient que la « cause des femmes » avait plus à perdre qu’a gagner dans le cas présent. A l’inverse les médias, non moins en toute connaissance de cause, se sont efforcés de donner le maximum de publicité aux accusations de Solveig Halloin (une excellente cliente, faisant chaque fois le buzz lors de ses interventions télévisées). En particulier </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Parisien Libéré, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en raison de l’importance accordée par le quotidien à cette affaire (eu égard la notoriété de Philippe Caubère). Mais plus encore </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HuffPost </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui n’avait en réalité que conservé que neuf minutes d’une vidéo de 50 minutes. Dans les 41 minutes restantes, Solveig Halloin tenait des propos (ceux ajoutés plus haut) dont la nature délirante, mythomaniaque ne laissait pas de place au doute. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HuffPost </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avait jugé plus prudent de ne pas les diffuser afin de conserver au témoignage de la prétendue victime toute sa véracité. Il paraissait préférable de ne produire de l’intervention que la partie susceptible de mettre en cause de manière crédible le comédien. Cela s’appelle de la manipulation ; y compris envers Solveig Halloin dont - usons d’une litote - la « fragilité » apparaissait déjà lors de l’une ou l’autre de ses interventions télévisées, dans un premier temps comme militante féministe engagée contre la prostitution, et ensuite comme porte parole de choc de l’association Boucherie abolition. La vidéo de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HuffPost </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">étant versée dans son intégralité au dossier judiciaire, la défense avait ainsi pu en prendre connaissance. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce n’est pas tant Solveig Halloin, ceci posé, qu’il faudrait incriminer que les médias qui se sont servis d’elle, je le répète en toute connaissance de cause, pour vendre de la copie ou faire de l’audience. Et que dire de son avocat, Maître Jonas Haddad, qui envisage de relancer la plainte en demandant la désignation d’un juge instruction, qui même confronté à l’inexistence de tout élément objectif venant corroborer les accusations de sa cliente persiste à tenir le discours hors sujet selon lequel « c’est le sort que l’on réserve à un certain nombre de femmes qui portent plainte, notamment dans des affaires d’agression sexuelle » à qui « on fait endurer une procédure très lourde, dans laquelle on remet toujours en cause leur parole ». Encore lui faudrait-il le plein concours de sa cliente qui tweetait à la fin de décembre 2018 : « Plusieurs autres victimes, le parquet et les flics complices pour étouffer l’affaire Caubère et discréditer les témoignages. Cooptation des violeurs entre eux. Les palais de justice sont là pour préserver les privilèges masculins d’asservir les femmes, les enfants et les zoonimaux : brûlons les tribunaux fascistes ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En second lieu on dira que cette « affaire Caubère » témoigne d’une instrumentalisation de la parole des femmes par des médias (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Parisien libéré, HuffPost</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) peu regardants, si l’on peut s’exprimer sous cette forme euphémique. Dans l’histoire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">jouant le rôle de « l’idiot utile ».</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:20pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">2</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« Ma jeunesse n’est peut-être pas morte, mais personne ne la voit plus dans mes yeux. On m’a dit que Paule n’était qu’une enfant. Que m’importe son âge. L’amour n’est rien sinon l’anéantissement du temps ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Joé BOUSQUET </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« Ah ! petite Ah ! petite / Tu peux reprendre ton cerceau / Et t’en aller tout doucement / Loin de moi et de mes tourments / Tu reviendras me voir bientôt / Tu reviendras me voir bientôt / Le jour où ça ne m’ira plus / Quand sous ta robe il n’y aura plus / LE CODE PÉNAL ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Léo FERRÉ</span></p>
<br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La seconde partie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Néoféministe et ordre moral </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entendait définir ce que serait aujourd’hui l’ordre moral dans le contexte #Metoo. Pour ce faire quelques retours en arrière s’imposaient. Je mettais principalement la focale sur trois séquences. D’abord sur « de Dutroux à Outreau » (celle d’un emballement médiatique autour de deux affaires de pédophilie) ; ensuite sur le « volet prostitution » de la loi sur la sécurité intérieure de 2002, et ses conséquences ; enfin sur une affaire de harcèlement sexuel (l’accusation portée contre le démographe Hervé le Bras). Préalablement, j’avais proposé la définition suivante (qu’il m’importe de reproduire compte tenu de ce qui suit) : « L’ordre moral en 2018 ne doit pas être confondu avec le moralisme moralisateur (qui a pu parfois au siècle dernier lui être associé), lequel traduit davantage l’une ou l’autre expression d’un conservatisme dans les moeurs, par exemple celle des contempteurs de la « libération sexuelle » des seventies. L’ordre moral peut être comparé à ces poussées de fièvre qui durant certaines périodes s’emparent du corps social. Ceci pour le côté manifeste de la chose. Cependant, de manière plus significative, il convient d’appeler ordre moral un mode d’expression réactif qui, sous couvert parfois d’un certain progressisme, et depuis le lobbying de groupes de pression, entend combattre des conduites, pratiques, activités, enseignements considérés répréhensibles, principalement dans le domaine des Arts et des Lettres ou de la culture (pour la séquence qui nous intéresse relevons la pédophilie, la prostitution, les violences faites aux femmes). Personne, bien entendu, de nos jours ne se réclame de l’ordre moral. Pourtant il n’est pas exclu qu’en ces temps de pensée décomplexée, d’aucuns choisissent de le revendiquer. En attendant l’ordre moral relève d’un mode de désignation (de stigmatisation diraient certains) ne facilitant pas la tâche de qui entend le définir ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout va très vite puisqu’en ce début d’année 2020, à travers cette « libération sexuelle » justement, les seventies se trouvent accusées de tous les maux. J’y reviendrai à plusieurs reprises. Cependant, en restant sur la dernière phrase de cette définition, j’anticipais ce qu’a pu écrire récemment le philosophe Mathieu Potte-Bonneville : « La critique de « l’ordre moral » est devenue l’un des arguments préférés de ceux qui défendent la préservation des hiérarchies et des dominations existantes ». Nous sommes confrontés ici au même problème qu’avec la notion de populisme. Ce n’est pas parce que certains commentateurs, parmi ceux qui par exemple défendraient le monde tel qu’il va, ou se classeraient « à droite » sur l’échiquier politique, se payent de nos jours le luxe de tancer un « ordre moral » dont la critique relevait il n’y a pas si longtemps des prérogatives du camp opposé, plus particulièrement dans une acception libertaire, que cela remet pour autant en cause la réalité de ce qu’il m’a importé de redéfinir plus haut. Plusieurs raisons expliquent ce qui ne relève pas d’un « changement de paradigme - n’exagérons pas ! - mais d’une suspicion à l’égard d’idées, de pratiques et de comportements qui relevaient eux, j’y reviens, de la « libération sexuelle » de l’après 68. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Des féministes affirment aujourd'hui que cette libération-là « libérait » les hommes et non les femmes. Ce qui fait bon marché de combats auxquels participaient les deux sexes et de quelques unes des avancées qu’ils occasionnèrent. Indiquons qu’il s’agit d’un discours a postériori, celui d’un néoféminisme réécrivant l’histoire de la « libération des femmes » à l’aune de » #Metoo ». Dans la troisième partie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Néoféminisme et ordre moral </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">je soulignais combien les éléments critiques à l’égard de « #Metoo » et de « #Balance ton porc » présents dans la tribune improprement appelée « du droit d’importuner » (contresignée par cent femmes) avaient provoqué une levée de bouclier dans les rangs néoféministes, et même au-delà sur des questions qui relevaient implicitement d’une critique de l’ordre moral (sans que cela soit explicitement spécifié par les rédactrices de la tribune).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais laissons là le néoféminisme pour en venir à ce qui par ailleurs apporterait un autre éclairage sur la suspicion dont il a été question plus haut. On fera ici le constat, en se référant aux « forces vives » de la société, à celles qui adhèrent à un projet de transformation sociale, qu’elles ne cèdent rien - bien au contraire - sur la question de l’égalité, comme en témoignent les mouvements sociaux de ce début de second millénaire. Ce qui n’est plus exactement le cas, en se livrant à une comparaison avec ces fameuses années 70, pour ce qui concerne la notion de liberté. Cela doit être nuancé mais n’en traduit pas moins une tendance. Ce qui, entre autres conséquences réduit à la portion congrue la question jadis récurrente de l’utopie. C’est à dire le désir, et plus encore la capacité de pouvoir rêver d’un monde radicalement différent. C’est en ce sens que pour de bons auteurs, comme Walter Benjamin, l’utopie se situait du côté de l’émancipation. On ne saurait penser différemment avec les questions qui nous occupent ici, de celles relevant de la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">libération sexuelle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(sans les guillemets qui l’associent aux années 70). L’utopie, on le sait, selon le discours d’un certain révisionnisme historique, très présent durant les années 80 et 90, aurait donné naissance aux deux totalitarismes du XXe siècle. Une comparaison, toute proportion gardée, peut être faite avec cette </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">libération sexuelle, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">laquelle aurait accouché de ce monstre, le pédophile (ou de cette monstruosité, la pédophilie), appelé aujourd’hui pédocriminel par tous ceux pour qui nous serions en quelque sorte en présence du « mal absolu » ; en concurrence avec une autre figure de ce type, le terroriste islamiste, qui l’avait davantage supplantée lors des attentats de l’année 2015.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En ce début d’année 2020 cette figure du « mal absolu » se trouve incarnée à travers la personne de Gabriel Matzneff. En quelques semaines, cet écrivain octogénaire, quasiment oublié, est devenu une figure de réprouvé, de pestiféré, un objet de haine, le pédocriminel par excellence. Mais ce qui doit être ici souligné n’est pas tant la personnalité de Matzneff que tout ce qui découle d’accusations dépassant largement la personne de l’écrivain. En incriminant le passé « pédophile » de Matzneff la plupart des commentateurs font « une pierre deux coups » puisque se trouve aussi incriminée l’époque durant laquelle, comme l’écrit un hebdomadaire bien-pensant, « au prétexte de la libération sexuelle, la pédophilie y était non seulement tolérée, mais valorisée ». Pour nos nouveaux procureurs la question des responsabilités se trouve posée à différents niveaux. Par ceux d’abord, pour qui beaucoup - dans le monde de l’édition, les milieux littéraires, des universitaires, voire des politiques - « savaient », des personnalités qui se sont tues pendant longtemps. D’autres, non sans arrière-pensées politiques, dénoncent les « permissives années 70 », et à travers elles les écrivains et intellectuels qui ont durant l’année 1977 pétitionné en faveur de pédophiles condamnés à des peines de prison, ou appelé à la révision du Code pénal pour les relations mineurs-adultes. J’y reviendrai en temps voulu. Cependant, soit par méconnaissance, soit par volonté de désexualiser la pédophilie (en ne conservant que la prédation), soit par incapacité de penser au-delà de leur « indignation », d’aucuns, parmi ceux qui crient haro sur le Matzneff, n’étendent pas cette question des responsabilités en amont de ces sempiternelles années 70 (du moins dans les termes où ils la posent).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Qu’est-ce que l’enfance ? J’aimerais répondre, comme Yves Lemoine : « Je crois que l’enfance c’est le désordre du monde ». C’est aussi une convention. Les historiens nous rappellent que la sacralisation dont l’enfant fait l’objet dans nos sociétés contemporaines n’a pas toujours existée. Juste cet exemple. Au milieu du XXe siècle encore, principalement dans les familles bourgeoises et paysannes, les enfants n’avaient pas l’autorisation de parler durant les repas. Aujourd’hui, dans la plupart des milieux, les bambins focalisent sur eux l’attention, quand ils ne monopolisent pas la parole à table. Pourtant entre eux les enfants inventent un monde enchanté, merveilleux, quelquefois cruel, que le regard des adultes, du moins certains, désenchante ou caricature. D’aucuns évoquent la pureté et l’innocence de l’enfant. Il est sacré, n’y touchez pas ! Allons donc ! Mais on le vend l’enfant ! Dans la presse, à la télévision, sur les murs des villes : pour vendre des crèmes, du papier toilette, des parfums, et que sais-je encore. Enfant prostitué, offert à la convoitise du passant, du consommateur ! </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Changeons de registre. Pour dire en quoi l’enfant serait « le désordre du monde », il parait préférable de s’adresser aux écrivains. Comme l’écrivaient en 1976 René Schérer et Guy Hocquenghem (dans un numéro de la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Recherches </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">intitulé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Coïre : album systématique de l’enfance</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), les romanciers « ont le mieux parlé de l’enfance, parce qu’ils n’ont pas eu le souci de l’expliquer ni de la guider ». Parmi les nombreuses oeuvres littéraires citées (dont celles de Tournier, Musil, Nabokov, Caroll, James) </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Coïre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">exhume des auteurs oubliés, telle la princesse Bibesco, Steven Milhauser ou Mme Guizot. On y redécouvre un monde où certains thèmes récurrents de la littérature pour enfant, le rapt, le vagabondage, la fugue, l’animalier, viennent pervertir des récits à vocation éducative. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Écolier </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Mme Guizot, en dépit des efforts pédagogiques de la romancière, ce que le lecteur retient de Raoul, l’enfant fugueur, qui échappe « à l’enfance telle qu’elle devrait être » en refusant de suivre les parcours balisés pour leur préférer les chemins de traverse, prend le pas sur les intentions moralisatrice de l’auteure. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sans famille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’Hector Malot est plus connu. Qu’importe l’intrigue qui se dénoue avec le retour de « l’orphelin » dans sa riche famille. Ce qui nous ravit, et fait le charme du récit réside ailleurs : dans cette « succession d’abandon, d’achats, de semi-enlèvements par de faux parents, de branchements erratiques où se déploie à l’état libre une énergie passionnelle en compagnie d’un vieillard vagabond, de petits mendiants, d’escrocs, repères fortement inscrits d’un trajet que le retour au havre familial, l’encrage définitif, fait, par contraste, ressortir, par sa fadeur insignifiante ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Valéry Larbaud et ses </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Enfantines </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aurait pu figurer dans cet </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Album systématique de l’enfance. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il fallait la plume de ce grand prosateur pour décrire l’enfance (et la première adolescence) dans tous ses émois, et redonner à cet « âge de la vie » son indéfectible part d’imaginaire. Dans les délicieuses nouvelles d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Enfantines, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Larbaud avoue une préférence pour les petites filles, telle cette Rose Lourdin, douze ans, amoureuse d’une fillette d’un an plus âgée, avec le rappel de ces « dimanches matins, quand je sentais devant moi un grand jour sans leçons, pour ne penser qu’à elle » ; ou les deux petites françaises de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rachel Frutiger </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(un miracle de sensibilité sur l’errance dans Genève et ses faubourgs) ; ou </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Portrait d’Éliane à quatorze ans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(peut-on mieux d’écrire comment la sensualité vient aux jeunes filles ?) ; ou encore </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Gwenny toute seule, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« les baisers de Ruby sont une des meilleures choses que j’aurais eues dans la vie. La bouche pure et confiante s’appuyait avec un souffle tiède, et me disait qu’une petite fille me respectait beaucoup et m’aimait bien ». Une mention à part pour le petit Milou du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Couperet, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui s’éprend de Justine, gamine de onze ans, une petite paysanne déjà marquée par la vie et le malheur, portant à la main gauche une large cicatrice. Milou va s’emparer d’un couperet pour se faire une entaille, pareille à celle de Justine qui pensera peut-être : « Tiens ! c’est arrivé au fils des maîtres la même chose qu’à moi, et au même doigt et à la même main ». Mais là où nous serions prêts à le prendre dans nos bras, le petit Milou, c’est lors d’un repas durant lequel ses bourgeois de parents ont convié un sénateur. Tandis que « ces messieurs qui lui arrangent son avenir, dégoûtent l’enfant » qui « voudrait les insulter, les scandaliser, leur dire à la suite tous les mots grossiers qu’il soit : cochon, catin, bougresse » à la question : « Que voulez-vous être quand vous serez grand mon jeune ami, ambassadeur ou académicien, général ou Président de la République ? », l’enfant répond, forcément sublime : « Moi, je veux être domestique ! ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Vladimir Nabokov est un grand roman, l’une des oeuvres romanesques majeures du XXe siècle et à ce titre ne peut que susciter de nombreuses interprétations. Ce roman, nul ne l’ignore, a bénéficié ou pâti (c’est selon) d’un « succès de scandale » qui encore aujourd’hui lui attire des commentaires du genre « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est un roman dégueulasse ». Cette affirmation péremptoire, toute négative soit-elle, a néanmoins le mérite de traduire sans fard un sentiment de lecteur. Une attitude que nous préférons à quelques unes des interprétations, a priori non rejetantes, dont nous soulignerons plus loin le caractère fallacieux. Mais pour tordre le bâton dans l’autre sens, citons une phase du milieu du roman venant conclure l’une des scènes les plus importantes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Une ambition plus haute me guide ; fixer à jamais la magie périlleuse des nymphettes ». D’ailleurs, au début du roman, Nabokov, à travers le personnage d’Humbert Humbert, nous explique de manière brillantissime ce qu’il entend par nymphisme. Ce sont certainement ces pages, superbes (où Nabokov est au somment de son art), qui suscitent le plus l’hostilité, manifeste ou latente, de lecteurs qui ne verraient là qu’une façon retorse du louche Humbert Humbert de justifier sa « prédation ». Même chose pour la scène signalée plus haut : c’est la petite Lolita, douze ans et six mois, qui prend l’initiative dans la chambre d’hôtel des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chasseurs enchantés. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une scène qui n’a pas échappé à l’attention de Schérer et Hocquenghem qui écrivent dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Coïre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Un des plus beaux passages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est celui justement où Nabokov décrit comment son héros s’approche de Lolita pendant son sommeil : on peut le lire comme une tentative qui échoue jusqu’au moment où Lolita, à son réveil, prend les choses en main. Mais on peut aussi penser qu’elle n’était pas dupe, et que le sommeil était une façon d’attirer et de faciliter la démarche du désir ». Ajoutons, pour qui n’aurait pas lu le roman, que Humbert Humbert sera ainsi instruit de la nature des jeux que pratique Lolita en copulant avec Charles Holmes, treize ans. Ici Nabokov précise : « A ses yeux l’acte sexuel était partie intégrante du monde furtif de l’enfance, et les adultes en ignoraient tout. Ce que les grandes personnes faisaient aux fins de procréation ne lui importait point ». Des lignes vertigineuses que nous proposons à la méditation des détracteurs de Nabokov et de ses « faux amis ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Venons en à ces derniers. A la suite d’une conférence de Pierre Fedida sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(recueillie après le décès du psychanalyste), lors des échanges ensuite avec le conférencier, Marthe Coppel-Batsch, psychiatre et psychanalyste, déclarait : « Par des touches très subtiles on perçoit, on ressent le drame que vit cette petite fille, alors que dans la première partie elle n’existe que de façon très extérieure, comme une fillette attirante. Dans la deuxième partie, l’auteur se sépare du narrateur pour s’identifier à la fillette et je trouve cela très bien fait d’ailleurs - réellement Nabokov a compris, me semble-t-il, ce que peut vivre une jeune fille abusée sexuellement ». Nous sommes déjà en présence d’une manière d’interpréter </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à l’aune de #Metoo, puisque dans ce commentaire affligeant la nymphette (d’ailleurs décrite comme une « petite fille ») se trouve réduite au statut de victime. La subtilité de Nabokov n’est nullement dans ce que MCB croit percevoir, qui ne nous renseigne que sur ses présupposés de lectrice, mais dans la nature changeante, indécise et réversible des relations entre Humbert Humbert et Lolita. En plus, prétendre que « l’auteur se sépare du narrateur » dans la seconde partie du roman « pour s’identifier à la fillette » apporte la preuve que MCB ne sait pas lire. On peut être analyste et ne rien comprendre à un roman dont la subtilité échappe en substance à la lectrice ; ou plutôt celle-ci n’est pas en mesure de comprendre ce qui se joue ici dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nous parlons de littérature, pour éliminer tout ce qui n’entre pas dans sa grille de lecture afin de ne retenir que la fiction d’un Nabokov choisissant vers le milieu du roman de s’identifier à une prétendue victime. Je ne connais pas les travaux de Marthe Coppel-Batsch, « psychanalyste et psychiatre renommée » paraît-il, mais j’incline à penser que son nom restera dans les mémoires comme étant celui de la première victime mortelle du Velib. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En tout cas reconnaissons que sa lecture de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en anticipait d’autres, beaucoup plus récentes, qui depuis #Metoo confondent allègrement les pouvoirs de la littérature et les impératifs d’une bienséance propre à notre époque. En particulier dans cette université américaine, où Anne Dwyer, professeure de russe, rapporte que des étudiants lui ont demandé si « la lecture de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> était obligatoire » tout en « se plaignant que ce roman participait d’une culture du viol ». En Espagne la romancière Laura Freixas juge elle que « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lolita </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est écrit de telle manière qu’il réussit à nous faire oublier qu’il est mal de violer les petites filles ». Je pourrais citer d’autres exemples, tout autant caricaturaux, plus ou moins inspirés par les vagues #Metoo et #Balance ton porc. Pour ne pas quitter ce registre on dira, pour conclure, que lorsque vers la fin du roman Lolita balance le porc Humbert Humbert, c’est pour partir avec un autre porc, Quilty, peut-être pire. Ce roman de Nabokov est décidément indéfendable !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « D’où le goût des petites filles pour les hommes tire-t-il son origine ? ». C’est ainsi que Georg Groddeck s’interroge dans son indispensable </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Livre du ça. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">En constatant plus loin que la femme lui paraît plus libre que l’homme dans l’érotisme et son choix d’objet sexuel Groddeck y répond en partie. Je conserve le souvenir des deux scènes suivantes datant du siècle dernier. Dans la première, j’attends le RER sur le quai de la station Rueil-Malmaison. En face de moi, sur l’autre quai, deux fillettes (du genre que Nabokov appellerait « nymphettes ») discutent de vive voix. Je les regarde ostensiblement. Une rame arrive dans l’autre sens. Les deux fillettes, juste avant de disparaitre derrière le train, m’envoient des baisers. L’autre scène est presque identique. Je marche dans une rue d’une banlieue populaire. Un autobus me dépasse, avec deux fillettes sur la plate forme du bus réagissant de même. Autre souvenir, plus ancien (mais j’avais déjà l’âge requis). Je fais de l’auto-stop à la sortie de Port-en-Bessin (Calvados). Un groupe de jeunes adolescentes s’attarde en ma compagnie. Il se fait tard et la nuit commence à tomber. Une des fillettes me propose de partager son lit en compagnie de l’une de ses copines. Quelques autres « provocations » s’ensuivent. Une des gamines, en partant, me fait un geste obscène. Toutes pouffent de rire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Scènes banales, presque ordinaires. Manifestations d’un érotisme diffus, jeux de séduction primaire débouchant rarement sur des passages à l’acte. L’adulte mâle, sans être un Humbert Humbert, émoustille d’autant plus nos fillettes qu’il aurait l’âge de leurs paternels. Il y a toujours un phénomène d’émulation, de surenchère dans l’érotisation, quand les gamines se retrouvent en groupe, dans des situations comparables à celles qui viennent d’être rapportée. Seule, la fillette fera très rarement le premier pas, sauf si une relation de confiance l’y autorise.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Catherine Breillat, dans son film </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">36 fillettes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">renverse la question de Groddeck. Une femme « d’âge mûr », à l’adresse du quadragénaire qui sort la dite fillette, la désigne ainsi : « De la chair fraîche ». Serions nous des ogres, aurions nous besoin de consommer cette « chair fraîche » pour nous régénérer ? C’est là une explication, certes moins poétique que celle de Nabokov avec sa « magie périlleuse des nymphettes ». Une affaire de poésie plus que d’âge, bien entendu. Car des femmes de cinquante et même soixante ans restent belles et séduisantes. Pas de ce charme que l’on accorderait sur le tard à celles qui ne l’ont jamais vraiment été, séduisantes, sur qui le passage du temps ne semble pas laisser véritablement de trace. Non, je parle de celles qui furent belles et qui vieillissent comme vous et moi. Dont la beauté devient émouvante, quand bien même le miroir leur renverrait l’image d’une femme vieillissante.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La chanson a très rarement traité d’un sujet auquel le mot « pédophilie » ne rend pas complètement justice. Mais quand les exceptions s’appellent Léo Ferré et Georges Brassens il n’est nullement question de bouder son plaisir. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Petite </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui date de 1969, a été créée sur la scène de Bobino par Léo Ferré. Mais je lui préfère la version de 1970 sur l’emblématique disque « Amour Anarchie » en raison de le la subtile orchestration de Jean-Michel Defaye. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Petite </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">évoque le désir d’un homme vieillissant pour une gamine (non sans une certaine réciprocité). Une belle chanson, avec cette justesse de ton dans la voix de Ferré, de délicatesse même, pour décrire les impasses de ce désir. Et puis, tout à la fin, sur le ton solennel qui convient, une expression propre à renvoyer le Code pénal dans les poubelles de l’histoire nous en restitue les enjeux. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Petite, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aujourd'hui, n’aurait pas la moindre chance de passer à la radio, ni même d’être enregistrée par un autre interprète, et on doute très fortement que le moindre auteur-compositeur contemporain s’enhardisse à écrire quelque équivalent à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Petite</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La princesse et le croque-note </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">date 1972. Elle a été gravée sur l’avant dernier disque de Georges Brassens. Ici la fillette (treize ans) déclare sa flamme au croque-note moustachu de trente ans, qui n’est « pas chaud / Pour tâter la paille humide du cachot ». Donc « Y a pas eu détournement de mineur ». Pourtant, vingt ans plus tard, repassant dans cette « zone » où il connut la petite princesse, « il a le sentiment qu’il le regrette ». A l’écoute de ces deux chansons on vérifie, peut-être plus que dans d’autres domaines, à quel point nous avons changé d’époque. C’est cette liberté-là que nous avons perdu.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Comme contrepoint négatif à ce qui vient d’être dit, citons une </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Note sur la pédophilie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’André Green (extraite de son ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les chaînes d’éros, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publié en 1997 en pleine « affaire Dutroux », ce qui n’est pas indifférent). Dans cette </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Note </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ce psychanalyste hausse le ton au sujet de ceux qui, « fiction soutenant un formidable déni, confondent la sexualité et la littérature érotique ». Green soulève là, dans une perspective que je discuterai ci-dessous, un lièvre essentiel. Nos analyses divergent sensiblement, mais je vais m’efforcer de préciser quels sont les enjeux en présence, dont certains dépassent certainement le cadre de cette </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Note.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’en est-il des rapports entre l’art et la vie ? On tient à distinguer l’un et l’autre, généralement. Chaque chose à sa place, dit le sens commun. Pourtant les vaches ne seraient pas si bien gardées qu’on veuille nous le faire accroire puisque des artistes, des poètes, des penseurs font le pari contraire : que la vie devienne une oeuvre d’art, demandent-ils. L’art et la vie intimement liée, ou réaliser le monde de l’art, ou encore que l’art vienne se fondre dans la vie. Cela peut se décliner sous différents modes et modalités : depuis Hôlderlin jusqu’aux situationnistes, en passant par Fourier, Nerval, Rimbaud, Nietzsche, les surréalistes (dont toute l’activité en est la parfaite illustration), et tant d’autres. Pour l’auteur de ces lignes, le fondamental même : confondre autant que possible l’art et la vie.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plaçons-nous maintenant sur le terrain d’André Green en faisant appel à Joyce Mac Dougall (autre psychanalyste dont je recommande la lecture de deux livres, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Plaidoyer pour une certaine anormalité, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et surtout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Éros aux mille et un visages</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Joyce Mac Dougall cite dans ses ouvrages des cas de personnes analysées dont les « scénarios pervers » témoignent d’une réelle activité artistique. Par exemple « cet exhibitionniste qui photographiait sous tous les angles, au bois de Boulogne, les endroits où il avait l’intention de s’exhiber et qui prévoyait les allées et chemins où il serait susceptible de rencontrer des « partenaires » qui participeraient à son spectacle. Il préparait son scénario comme un artiste prépare une exposition de ses oeuvres ». Ou encore ce pédophile qui pendant des jours « errait dans des sex-shops et à la porte d’établissements scolaires, en fantasmant sur l’image d’un jeune adolescent avec qui il aurait une relation passionnelle. Il lui importait que l’adolescent qu’il choisirait fût, comme lui-même, intéressé par l’art et la musique, et les intérêts qu’il attribuait à ce partenaire potentiel étaient essentiels à son scénario. sa mise en scène devait suivre un certain schéma, à savoir qu’il fallait qu’il soit convaincu que la séduction proviendrait de l’adolescent (ce qui semblait être, bien souvent le cas) ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ces « pervers » (ou désignés tels) ne se retrouvent pas tous, loin de là, sur le divan. Je pourrais compléter le tableau esquissé ci-dessus en citant, parmi les « sujets » qui transforment leur « perversion » en oeuvre d’art d’autres exemples, des cas auxquels j’ai été confrontés, et d’autres qui m’ont été rapportés. Mais leur énumération n’apporterait rien de plus à ma démonstration, et j’ose espérer que le lecteur saurait trouver autour de lui des exemples appropriés. J’évoque ici une activité fantasmatique, et non des « passages à l’acte ». Continuons à confondre allègrement et en toute impunité sexualité et littérature érotique. La première y gagne en élargissant « l’horizon borné de sa finitude », la seconde y perd la gratuité qu’on y trouve parfois (comme catalogue de « prêt-à-jouir » que l’on feuilletterait avec ennui).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Remontons le temps pour en venir à année 1905, celle de la parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Trois essais sur la théorie de la sexualité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Sigmund Freud. On sait l’importance que revêt dans la théorie freudienne la découverte d’une sexualité infantile. Celle-ci « en tant qu’elle est soumise au jeu des pulsions partielles, étroitement liée à la diversité des zones érogènes et en tant qu’elle se développe avant l’établissement des fonctions génitales proprement dites, peut être écrite comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">disposition perverse polymorphe</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Ce dernier terme, souligné par Freud, a depuis fait couler beaucoup d’encre. Je ne suis pas certain, plus d’un siècle après la parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Trois essais sur la théorie de la sexualité, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que la communauté analytique l’accepte sans restriction. Ou alors, tout en reconnaissant l’importance de cette découverte, certains analystes regrettent qu’elle puisse susciter des malentendus ou des interprétations malencontreuses. Nous retrouvons-là André Green se plaignant que « les pervers spéculent sur l’importance, indéniable, d’une sexualité infantile ; ils en exploitent les poussées et les désirs pour se déculpabiliser ». C’est à peu près ce qu’écrit un autre psychanalyste, lacanien celui-là : « Nous nous trouvons ici confrontés à la morale, au moralisme du pervers, qui fort de son appui sur la nature ou sur la découverte freudienne de l’enfant pervers polymorphe, essaie à tout prix de convaincre l’autre que le vice est en lui, de voir le mal là où il n’est pas, ou de lui refléter son exhibition ou sa gêne devant la sexualité afin de le capturer dans les rets de son filet pour l’entrainer vers la jouissance à tout prix ». Ce même auteur, dans un ouvrage consacré à la pédophilie, nous apprend que « si de nombreux pédophiles se refusent à effectuer la sodomisation physique de leur partenaire de crainte de commettre un acte violent, cela ne les empêche pas de les « sodomiser mentalement » si l’on peut dire ». Après le « sida mental » de feu Louis Pauwels, la « sodomie mentale » de Guidino Gosselin ! Compte tenu de la nationalité de cet analyste on répertoriera cette saillie parmi les plus mauvaises blagues belges !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> D’un tout autre niveau, l’article de Sandor Ferenczi, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">représente une référence courante pour qui, en milieu analytique, entend se colleter avec la « question pédophile ». Cet article, qui date de 1932, tend d’ailleurs à devenir un classique de la littérature psychanalytique. Pourtant une confusion peut en masquer une autre puisque Ferenczi, si l’on prend en compte ce qu’il lui importe de définir en terme de « confusion de langue entre les adultes et l’enfant », parait l’analyser uniquement depuis des cas d’incestes. Du moins à travers ce qu’il rapporte dans un premier temps en se référant aux « parents eux-mêmes qui cherchent un substitut à leurs insatisfaction », mais également « des personnes de confiance, membres de cette même famille (oncles, tantes, grands-parents) ». Et surtout à travers la mention « les relations incestueuses se produisent habituellement ainsi » qui introduit la démonstration proprement dite, laquelle ne revient qu’incidemment sur l’origine familiale de ces relations enfants / adultes. D’où une certaine ambiguité qui rend cette lecture très problématique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La réalité décrite par Ferenczi dans cet article est indiscutable, mais est-ce pour autant toute la réalité ? Pour lui les jeux de l’enfant prennent une « forme érotique », laquelle reste « toujours au niveau de la tendresse ». Première confusion, par conséquent : celle d’adultes « ayant des prédispositions psychopathologiques » qui « confondent les jeux des enfants avec les désirs d’une personne ayant atteint la maturité sexuelle ». Cette explication parait irréfutable en ce sens où, pour des raisons qui renverraient à la pathologie de l’adulte, celui-ci serait incapable de différencier dans le cas présent un enfant d’une personne adulte. On peut cependant nuancer la proposition de Ferenczi en ajoutant que cette volonté de différentiation s’atténue avec les années, et qu’il s’agit surtout de l’affirmer avec des jeunes enfants (disons impubères). En revanche la distinction entre la « tendresse » de l’érotisme infantile et le « passionné » de l’érotisme adulte laisse dubitatif. Je veux ben admettre que pour des adultes de type pervers la question ne se pose pas. Mais pour les autres ? La tendresse est présente dans les relations amoureuses entre adultes, et peut même sur le long cours en représenter l’essentiel. D’après le sens commun la femme serait plus prodigue en tendresse que l’homme, mais là aussi ne faudrait-il pas le nuancer en ce début de XXIe siècle ? En tout cas pourquoi refuser à des adultes d’entrer en relation avec des « enfants » (doivent-ils être encore considérés tels ?) sur le « mode tendre de l’érotisme » (pour parler comme Ferenczi puisque toutes violences, contraintes et manipulations seraient par définition exclues ?). Bien sûr, Ferenczi ne répond pas à des questions qu’il ne se pose pas. Que dit-il ? L’adulte séduit, agresse ; l’enfant, sans défense, devient inhibé, prend peur, puis se soumet à la volonté de son agresseur, et finit par s’identifier à lui. Cela est vrai, vérifiable, sans être pour autant toujours vrai et toujours vérifiable. Le psychanalyste y est confronté certes, et en rend compte. Nous disposons par ailleurs de témoignages qui relativisent ce que traduirait ici l’expérience clinique. Comme en toute chose la réalité s’avère plus complexe. A bien lire cette </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Confusion</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> force est de constater que Ferenczi, en référence à son « adulte agresseur », nous brosse par excellence le portrait de ce que j’appellerais plus loin du nom de « pédophobe ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Du différend qui oppose Freud et Ferenczi après 1930, quelques lignes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Confusion… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en indiquent l’un des enjeux, sans doute le principal : « L’objection, à savoir qu’il s’agissait des fantasmes de l’enfant lui-même, c’est-à-dire de mensonges hystériques, perd malheureusement de sa force, par suite du nombre considérable de patients, en analyse, qui avouent eux-mêmes des voies de fait sur des enfants ». Ce qui, même indirectement, remettait en cause l’abandon par Freud en 1897 de la « théorie de la séduction » qu’il avait élaboré deux ans plus tôt, et dont l’abandon représentera « un pas décisif dans l’avénement de la théorie psychanalytique et dans la mise au premier plan des notions de fantasme inconscient, de réalité psychique, de sexualité infantile spontanée, etc » (Laplanche et Pontalis). D’ailleurs le mot « séduction » refait surface dans la littérature analytique traitant de la pédophilie. Quoique Freud ait abandonné très tôt sa « théorie de la séduction », celle-ci revient par la bande sous la plume de nombreux psys. Cette séduction n’a bien sûr pas grand chose à voir avec le donjuanisme. Le pendant de « l’adulte séducteur » n’est-il pas pour eux celui de « l’enfant innocent » ? Nous avons là un couple qui fonctionne bien. Pour nos psys le pédophile est d’abord un malade. Cependant, comme l’écrivait il y a vingt ans le sociologue François de Singly le pédophile « profite de la dévalorisation des statuts du père et de la mère pour exploiter au maximum les possibilités que lui offrent la fin de l’autorité et des interdits ». Un salaud par conséquent, plus qu’un malade.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sachant que l’abandon d’une théorie de la séduction, par le père de la psychanalyse, s’explique par la mise en cause chez Freud de la véracité des scènes de séduction décrites par plusieurs de ses patients, celles-ci relevant d’une reconstruction fantasmatique, la voie se trouvait alors tracée pour creuser les fondations de ce qui deviendra le chantier de la sexualité infantile exposée dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Trois essais sur la théorie de la sexualité. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les partisans de cette « théorie de la séduction », ainsi réintroduite analytiquement parlant, s’efforcent par conséquent de réhabiliter une notion que l’on croyait pourtant relever de la sagesse des nations, d’un lieu commun médiatique, ou de l’indécrottable conviction des catholiques et religieux de toute obédience, celle d’une « innocence sexuelle » de l’enfant. Ou d’une innocence tout court, pour mieux évacuer cette sexualité que l’on ne saurait voir. Comme l’écrivent pertinemment Laplanche et Pontalis : « Ce que refuse Freud, c’est que l’on puisse parler d’un monde de l’enfant ayant son existence propre avant que cette effraction, ou cette perversion, se produise. Il semble que ce soit pour cette raison qu’il range en dernière analyse la séduction parmi les « fantasmes originaires » dont il reporte l’origine à la préhistoire de l’humanité. La séduction ne serait pas essentiellement un fait réel, situable dans l’histoire du sujet, mais une donnée structurale qui ne pourrait être transposée historiquement que sous la forme d’un mythe ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un siècle après l’abandon par Freud de la « théorie de la séduction » l’épisode Dutroux, ou plutôt ses conséquences, faisait apparaître plus qu’auparavant une ligne de fracture dans les milieux psys. Des professionnels, en plus grand nombre, vont désormais argumenter au nom de cette « théorie de la séduction », laquelle, comme je l’ai précisé, viendrait étayer en retour « l’innocence sexuelle » de l’enfant. C’est le cheval qu’enfourche la psychanalyste Catherine Bonnet dans son livre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’enfant cassé. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">On peut parler ici de révisionnisme. Freud devient responsable d’une « diabolisation de l’enfant » que cette analyste croit observer dans le monde contemporain. Mais elle va encore plus loin quand elle désigne à la vindicte publique « un courant pro-agresseur », coupable, écrit-elle, de faire régner à nouveau « le temps des enfants menteurs et vicieux ». De là des propos manichéens (sur le mode de la « théorie du complot ») : avec d’un côté les « bons », un monde de « chevaliers blancs » et de « croisés » unis pour la meilleure des causes, celle de l’enfance en danger ; de l’autre les « méchants », les pervers et leurs otages. Ces derniers l’étant dans la mesure où leurs interrogations critiques (sur la suggestibilité de l’enfant, sa manipulation par l’un des parents lors d’un divorce, sur le syndrome des faux souvenirs, sur les campagnes antipédophiles, etc. ) feraient le jeu des pervers.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Signalons, avant d’en venir plus précisément à ce « moment Dutroux », l’existence d’un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Essai de classification des pédophiles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: publié dans le revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Synapse</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> en 1990 par un psychiatre, Laurent Jacquesy. La classification proposée, celle de pédophiles de type immature, régressif, pervers, incestueux et féminin, ne paraît pas avoir convaincu ses collègues et pairs par sa pertinence. Ce qui semble regrettable même si l’auteur, de mon point de vue, aurait été plus avisé de décrire deux grands groupes, afin de mieux différencier le « pervers » des types immature, régressif, incestueux et féminin. L’intérêt de cette étude réside là où paradoxalement nous sortons des sentiers battus de l’investigation psychiatrique. On ne s’attend pas toujours à trouver sous la plume d’un psychiatre l’interrogation suivante : « Peut-on qualifier la perversion de maladie mentale ? ». Un questionnement qui a priori surprend dans un texte dont le statut viserait à mieux connaître le pédophile, y compris en « psychiatrisant » ce dernier à des fins d’éradication de la pédophilie (ou pour s’en donner les moyens). Tout est question de perspective et les faits relatés dans cette étude peuvent être diversement interprétés par les lecteurs. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Jacquesy n’hésite pas à parler « d’adulte séduit » et de « retournement des demandes ». Je le cite : « L’enfant, la victime, peut alors se présenter en fait comme instigateur, l’adulte n’étant coupable que de sa faiblesse vis à vis du désir de l’enfant. Il n’y a pas là d’aspects particuliers de l’adulte (que l’on ne peut plus à proprement parler qualifier d’auteur), qu’une fragilité et un défaut de certitude morale ». La situation qui se trouve là décrite est particulière et n’a pas « force de loi », pas plus que d’autres d’ailleurs, mais elle permet de relativiser une approche trop souvent univoque chez les « professionnels de la profession ». Autre exemple : « Une relation de type marital pourra naître entre le père et la fille, celle-ci pouvant prendre la place de la mère, partie ou décédée (…) C’est la prise de conscience du père que sa fille, le plus souvent ainée, assure la fonction de femme au foyer de façon satisfaisante ». D’où « l’apparition d’un amour réel chez le père et parfois chez sa fille », et Jacquesy indique plus loin qu’une « intense activité érotique peut s’ensuivre ». Des relations incestueuses prennent fin lors d’une éventuelle grossesse de la fille, ou si cette dernière fait une rencontre amoureuse, ou encore si elle finit par dénoncer son père quand le voisinage ne s’en charge pas.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A la lecture des typologies pédophiles immature et régressive décrite par Jacquesy l’on constate que l’élément pathologique se trouve minoré. Si pour prendre l’exemple des « régressifs » les causes de leur inclination pédophile sont à mettre sur le compte de conduites d’échec, Ce qui entraine « l’adulte à chercher un objet de satisfaction qui soit à sa portée, qui ne l’inhibe pas et qui lui permette d’exprimer et de satisfaire ses pulsions sexuelles sans risque de castration phantasmatique par un sujet critique. C’est auprès de jeunes fillettes qu’il trouvera satisfaction ». Le psychiatre relève également chez ces régressifs « un attachement souvent profond à la victime avec laquelle il pourra se former une relation affective parfois intense et de type mature ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En définitive les « imperfections » de cet </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Essai de classification des pédophiles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en font un texte ouvert, exhaustif, décrivant au plus près une réalité que beaucoup s’accorderont à trouver déplaisante. Cette étude témoigne de la complexité de comportements trop souvent caricaturés, voire éludés, pour les besoins d’une cause qui s’attache davantage à discriminer qu’à comprendre. Un tel texte aujourd’hui, provenant du milieu psychiatrique, serait impubliable pour des raisons au sujet desquelles je me suis exprimé, et dont il sera encore question plus loin.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il y a un avant et un après Dutroux. C’est à partir de ce moment-là que la pédophilie, encore très relativement tolérée dans certains discours (mais de moins en moins depuis le début des années 80 : « l’affaire du Coral d’abord en 1982, puis en 1988 une série d’interpellations de personnes dites pédophiles abonnées à une revue belge, enfin les modifications apportées au Code Pénal en 1994) change radicalement de statut. Il est inutile de raconter dans le détail toutes les péripéties de cette affaire : la presse écrite, les radios, les télévision en ont fait leurs choux gras pendant des mois. Tout a été dit et redit par les médias qui tenaient là, avec Marc Dutroux, l’incarnation de l’horreur absolue. Je citerai juste une anecdote. La scène se passe en pleine « affaire Dutroux » dans un compartiment de train corail entre Lyon et Clermont-Ferrand. Devant moi une gamine, douze ans peut-être, qui voyage seule. Elle semble s’ennuyer et engage une discussion avec la femme, cinquante ans, qui se trouve de l’autre côté de l’allée centrale. La femme, l’air sévère, s’inquiète de voir une si jeune fille voyager sans être accompagnée. S’ensuivent des questions sur les parents qui acceptent cela, etc. La gamine, que ce bavardage finit pas lasser (on la comprend) se tourne de temps à autre dans ma direction. Elle finit par me demander : « A quelle heure arrive-t-on à Clermont-Ferrand ? ». Un échange a lieu, assez plaisant : la fillette est drôle et plutôt délurée. Cela dure à peine cinq minutes. Tournant la tête je rencontre alors le regard de la femme de cinquante ans. J’y lis de la haine.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A l’automne 1997 paraissait un numéro de la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Infini </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">consacré à la « La Question pédophile ». Un questionnaire avait été préalablement adressé à de nombreux écrivains, philosophes, juristes, psychanalystes, sociologues, etc., et ce numéro 59 reproduisait les réponses à cette enquête. Le tout constituant un dossier bienvenu, voire indispensable car il apportait de précieux éléments de réflexion sur cette « question pédophile », tout en s’inscrivant en faux, du moins les réponses les plus pertinentes y contribuaient, contre maintes lieux communs, approximations, contre-vérités et autres insanités déversés par les médias depuis le déclenchement de « l’affaire Dutroux ». En tout état de cause plusieurs contributions insistaient - l’esprit plus que la lettre - sur ce point important, fondamental, sur lequel il faudra bien revenir en le modulant, mais sans jamais céder sur l’essentiel, à savoir (en citant Tony Duvert, opportunément cité dans ce dossier par Jean-Luc Henning) : « Ni violence, ni contrainte, ni domination, ni propriété sur autrui : voilà les seuls devoirs auxquels nos actes sexuels, comme tous nos actes, ont à se plier. Cela se résume à ne rien faire à quelqu’un contre son gré. L’interaction sexuelle présente une « moralité » sans reproche dès lors que sont respectées ces deux conditions : le consentement des deux partenaires et, corrélativement, la liberté de se démettre, c’est à dire de reprendre son consentement ». J’ajoute que si toutes relations sexuelles me semblent exclues entre des personnes adultes et d’autres impubères (des deux sexes), en revanche la puberté devrait être le marqueur à partir duquel les unes comme les autres peuvent entrer en relation sur le plan sexuel. Donc pour les secondes que cela varie d’un sujet à l’autre et d’un sexe à l’autre. Ce qui remet évidemment en cause les dispositions actuelles du Code pénal, non sans faire remarquer que celles qui faisaient force de loi au début du XXe siècle correspondaient davantage à ce qu’ici nous proposons.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Citons quelques extraits de ce numéro de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Infini </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Nombreux sont les enfants qui aiment et recherchent la sexualité des plus âgés. Mais comme vous-mêmes, ils n’apprécient ni le viol ni la contrainte » (Florence Dupont). « Il est clair que la protection de l’autonomie de l’enfant n’est pas un argument. Ce qui est visé est le plaisir sexuel considéré comme coupable en lui-même. On ne peut supporter que l’enfant le ressente, et encore moins que l’éprouvent, à son contact, d’autres adultes constitués en pervers » (René Schérer). « J’ai le souvenir au foot aussi d’un éducateur qui adorait nous « sucer », ce qui était pour nous un plaisir indicible, et dont avec mes anciens camarades qui ont tous cinquante ans aujourd’hui nous rions encore, et gardons le plaisir intense » (Bertrand Boulin). « Tony Duvert (…) a remarquablement montré que le « problème de la pédophilie » a été forgé pour nier l’attrait réel que les enfants éprouvent pour des adultes et pour substituer au problème répandu de la violence sexuelle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans les familles </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le problème beaucoup plus rare de la violence sexuelle du criminel obsessionnel » (René de Ceccatty). « On n’a aujourd’hui que ce mot à la bouche, qu’on répète jusqu’à l’écoeurement, comme s’il avait une vertu apotropaïque : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le Pédophile. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est un mot qui veut dire Monstre, Ravisseur, Criminel, Assassin et beaucoup d’autres choses encore. Il n’y a pas au monde de mot pire que celui-là. C’est le mot qu’on a inventé pour dire le Mal absolu » (Jean-Luc Henning). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans ce numéro figure également une intervention de Gabriel Matzneff, que je ne considère pas comme étant la plus développée, ni la plus pertinence, ni même la plus percutante de cette recension. En ne quittant pas cet écrivain, vingt-trois ans plus tard, eu égard l’actualité liée à son nom, on réalise combien - vertigineusement même ! - pareille publication consacrée à la « question pédophile » ne pourrait aujourd’hui voir le jour. C‘est dire à quel point une censure implicite interdit toute intervention ou tout propos sur la pédophilie comparable à ceux que j’ai plus haut cités, voire même toute considération qui sur ce sujet s’écarterait un tant soit peu du consensus ambiant. On se trouve également confronté à un phénomène d’autocensure en précisant que toute personne publique qui n’entendrait pas crier haro sur le Matzneff peut difficilement le faire savoir publiquement à l’ère des réseaux sociaux. Ceci entre autres raisons, comme le remarquait déjà l’un des contributeurs à ce numéro de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Infini, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">parce que toute référence jugée positive envers la pédophilie, reprise de façon négative par ceux qui la vouent aux gémonies, permet « de déconsidérer à jamais et même d’éliminer du terrain de l’échange intellectuel quiconque prendrait la liberté de tenir une parole ou d’entretenir une opinion qui s’écarteraient si peu que ce soit du discours sympathique en place - lequel, vautré dans l’adhésion qu’il provoque, et qu’il entretient par un mélange de complaisance et de terreur, écrase tous les autres, et interdit toute nuance, confondant sans scrupule le monstrueux avec l’insignifiant ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Étrange destin du mot pédophile. Étymologiquement, celui « qui aime les enfants » est d’abord devenu celui qui « éprouve une attraction sexuelle pour les entants » du dictionnaire le Robert, avant d’incarner le monstre, le meurtrier, le mal et l’horreur absolue de l’après Dutroux. Pourtant, si les mots ont un sens, ces violeurs, ces abuseurs, ces agresseurs devraient être appelés </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pédophobes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">:</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quand on violente un enfant on ne l’aime pas que je sache ! Alors appelons un chat un chat, et un violeur, un abuseur, un agresseur d’enfant un pédophobe ! Il faut dénoncer cet odieux amalgame entre des adultes qui se trouvent attirés par des adolescents pubères et ont avec eux des relations à caractère sentimental et/ou sexuel, basées sur un consentement mutuel, et ces personnages qui défraient la chronique des faits divers, qui se livrent sur des enfants à des abus sexuel pouvant aller jusqu’au viol, et déboucher sur un meurtre. Nos « belles âmes » agitent le tout, y mettent l’étiquette « pédophile », et le tour est joué.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A qui le crime profite en fin de compte ? Est-ce véritablement un hasard si la pédophilie, ou supposée telle, s’est trouvée ainsi exposée sous les projecteurs les dernières années du XXe siècle ? La famille est d’abord le lieu où s’exercent la violence sexuelle : une violence certes moins spectaculaire que celle des criminels du genre Dutroux, mais beaucoup plus répandue. C’est celle des pères et des mères, des oncles et tantes, des grands parents. Pour qui en doutait à l’époque, les chiffres communiqués par le « Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée », depuis les 26 000 appels répertoriés en 1996 au titre d’abus sexuels, étaient éloquents : 70 % pour la famille proche, et 84 % pour toute la famille. Des chiffres qui ne seront nullement infirmés par la suite, jusqu’à nos jours, par d’autres enquêtes. C’est d’ailleurs à cette époque, en cette toute fin de XXe siècle, que cette « spécificité familiale », qui se confondait souvent avec « la loi du silence », a fait l’objet de remises en question par des spécialistes ou des porte-parole de l’enfance (ces derniers, ne nous leurrons pas, le faisant au nom des « vraies » valeurs familiales). Était-ce parce que la famille se délitait, qu’il devenait ainsi urgent de se rassembler autour de l’enfant, pour le protéger contre des agresseurs extérieurs et contre lui-même (petit salaud de pervers polymorphe !), de nier l’existence d’une « compétence libidinale de l’enfant » (Roger Dadoun), ou de toute relation érotisée entre un enfant (ou un adolescent) et un adulte ? Pour toutes ces raisons le pédophile devait s’incarner dans la figure du suborneur, du violeur, et même du meurtrier (la preuve par Dutroux), « réalisant ainsi ce qui est considéré comme un meurtre symbolique par la collectivité : l’initiation d’un enfant à la sexualité » (Florence Dupont). Ce qui revient à dire que le pédophile est la projection des fantasmes de tous ceux pour qui l’imaginaire s’origine dans une figure non moins fantasmatique : celle de l’enfant pur et innocent. Plus l’enfant sera sacralisé, plus le pédophile focalisera sur lui la haine des bien-pensants.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Parmi les conséquences de l’onde de choc provoquée par « l’affaire Dutroux » je retiendrai les quatre faits suivants : l’opération « Ado 71 », un « pan sur le bec ! » à l’adresse du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Canard enchaîné, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la condamnation d’Antoine Soriano, et une triviale affaire d’assassinat de pédophile. Il sera alors temps de faire un premier bilan avant d’aborder cette séquence sous un angle plus juridique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En juin 1997, le parquet de Mâcon lançait sous l’appellation « Ado 71 » l’une des opération les plus spectaculaires de cette fin de siècle : 700 personnes dont les noms figuraient dans les fichiers d’un éditeur de cassettes vidéos classiques et pornographiques (dont certaines présentaient un caractère pédopornographique) étaient arrêtées. Dans un contexte où l’opinion publique se trouvait particulièrement sensibilisée par « l’affaire Dutroux » ces arrestations, très médiatisées (et présentées comme une opération antipédophile de grande ampleur), provoquèrent une vive réaction de la Ligue des droits de l’homme qui dénonça à travers ces « rafles scandaleuses » les amalgames faits entre les différents possesseurs de cassettes-vidéo. En effet, premier amalgame, comme on put le vérifier lors du procès mâconnais au printemps 2000, ce dont précisément se trouvaient accusées la quasi totalité des personnes inculpées relevait d’abord du voyeurisme, et non de la pédophilie active (d’ailleurs elles étaient maintenant accusées de « recel d’objets obtenus à l’aide de corruption de mineurs »). Cela venait un peu tard car pour les médias et l’opinion publique l’opération « Ado 71 » avait été pendant presque trois ans associée au démantèlement d’un vaste réseau pédophile. Des accusations en amont dont on saisi la portée si l’on sait que parmi les personnes arrêtées lors de cette opération cinq d’entre elles se suicidèrent lors de la garde à vue. Le second amalgame relève de la sémantique. En se référant au contenu des cassettes incriminées l’enquête, relayée par les médias, évoqua des enfants là où il s’agissait d’adolescents ayant accédé à la majorité sexuelle, et même pour certains d’entre eux à la majorité tout court. Ce qui ne put être vérifié en raison de l‘absence d’indication d’âge des acteurs dits « corrompus ». Faute de tout critère objectif une « expertise » fut alors confiée à un photographe et à un chasseur d’image. C’est certainement le seul aspect savoureux de cette affaire : ceci eût fort réjoui Alphonse Allais et l’aurait incité à remercier la justice d’avoir enfin résolu l’insoluble problème de « l’âge du capitaine ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ajoutons que de nombreux prévenus prouvèrent que les cassettes saisies à leur domicile avaient été achetées dans des sex-shops ayant pignon sur rue (cassettes présentant des garanties sur l’âge des acteurs), et non via le « réseau Alapetitte » incriminé (l’éditeur étant condamné à trois ans de prison). D’où cette impression de gâchis confirmée, lors du procès de Mâcon, par les jésuitiques regrets de l’avocat général déclarant : « C’est triste que cinq personnes aient perdu la vie, car, de toute évidence, cela ne méritait pas une telle conséquence ». Cependant le mal était fait. Sans parler des bénéfices secondaires : brandir l’épouvantail pédophile pour discriminer des pratiques qui ressortent de la pédérastie non active ou du voyeurisme (la consommation d’images pornographiques). Ainsi se trouvait implicitement stigmatisée toute attitude illustrant la sexualité dans sa diversité, ou l’expression d’une « singularité sexuelle », ou encore qui en appellerait à l’esprit critique devant l’utilisation faite dans les lendemains de l’après Dutroux de « l’abus sexuel sur enfant » (sous prétexte qu’une telle attitude ferait ici le jeu des défenseurs de la pédophilie).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> J’en veux pour prendre un article du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Canard enchaîné </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui, publié en novembre 1999, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">provoquait de nombreuses réactions eu égard sa principale conséquence (l’obligation pour la collection « Les Empêcheurs de penser en rond », financée par les laboratoires Sanofi, de se trouver un autre éditeur). Cet article non signé s’en prenait à Ian Hacking, un universitaire canadien, auteur de l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’âme réécrite. Essai sur les personnalités multiples et les sciences de la nature </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(publié deux ans plus tôt aux Empêcheurs de penser en rond). L’article du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Canard </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">représente une bonne illustration du dicton « quand on veut noyer son chien on l’accuse de la rage » puisque tout lecteur de bonne foi s’aperçoit en prenant connaissance de ce livre que les allégations du rédacteur anonyme (Hacking est accusé de défendre des thèses ambigües sur la pédophilie) ne sont nullement fondées. Certes l’universitaire canadien se distingue de l’habituel antienne sur la pédophilie lorsqu’il relativise les conséquences des abus sexuels en s’appuyant sur plusieurs études publiées depuis une dizaine d’années. Et rappelle opportunément que 24% des femmes interrogées en 1953 dans le cadre des fameux rapports Kinsey reconnaissaient avoir eu des expériences sexuelles avec des adultes durant leur enfance. Le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Canard, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en citant la thèse de Ian Hacking, à savoir que « le concept d’abus sexuel sur enfant ne peut faire l’objet d’une connaissance scientifique », ceci pour pour la récuser, se référait à des « spécialistes consultés par le journal ». On aimerait connaître ces « spécialistes », pourquoi ne pas avoir cité leurs noms ? On comprend que la thèse en question d’Hacking, était d‘autant plus inacceptable qu’elle émanait d’un universitaire connu et reconnu (et candidat à un poste au Collège de France).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette affaire en évoquait une autre. Un an plus tôt, sous la plume de Nicolas Beau, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Canard </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avait été mieux inspiré. Dans cet article le journaliste précisait que lors de l’émission de France 2 « Ligne de vie », consacrée à la pédophilie, « les témoignages des victimes sont entrecoupés des « confessions » de détenus qui, dans le cadre d’affaires toutes différentes, avouent leurs crimes et s’assument comme pédophiles. Autant de récits chocs qui naturellement crédibilisent l’accusation ». Cette émission « à charge » me permet de faire le lien avec l’exemple suivant puisque Nicolas Beau indiquait que l’un des accusés cités dans « Ligne de vie », le libraire et éditeur Antoine Soriano, condamné à dix ans de prison pour des faits qu’il niait depuis le début de l’instruction, se situait encore sur le terrain judiciaire en attendant la décision de la Chambre de Cassation. L’auteur de l’article ajoutait que l’un des psychiatres, le docteur Sabourin, coauteur de l’émission, « était à la fois juge et partie » puisqu’il venait de témoigner contre le même Antoine Soriano lors du procès en assise de ce dernier. Et l’on apprenait également que le patient de ce psychiatre, la présumée victime de Soriano, jouait dans « Ligne de vie » le rôle de l’accusateur !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C'est l’un des enseignements de « l’affaire Antoine Soriano ». Il existait déjà en France en 1998 un lobby antipédophile particulièrement actif. Apparu dans les lendemains de « l’affaire Dutroux » ce lobby a fait la preuve de ses capacités lors de l’instruction, puis du procès de Soriano. Il s’agit d’un réseau articulé autour d’un noyau dur, des psychiatres et thérapeutes familiaux dont les thèses, dessinant les contours d’un « thérapie policière », ne sont pas sans rencontrer alors de larges échos auprès de magistrats, de travailleurs sociaux, ou de psys divers. Des thèses exposées dans un ouvrage collectif, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La violence impensable </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(dont certaines pages paraissent avoir été écrites par le Père Ubu,)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">où l’on apprend que s’adonner à la prostitution, à la délinquance, ou même l’expression de la bêtise constituent d’irréfutables symptômes post-traumatiques ; que l’abus sexuel peut se présenter sous les formes les plus innocentes, même recommandées par les manuels de puériculture (tels les bains pris en communs, le « nursing pathologique », l’utilisation du thermomètre rectal ou de suppositoires) ; qu’il convient de qualifier ces abus de « viols par ascendant sur mineur » ; que toute plainte d’un enfant (ou d’un adolescent doit être considérée comme véridique et constituer une preuve pour un tribunal) ; que l’abus sexuel peut être décelé depuis une fugue, ou une soudaine conduite d’échec scolaire, ou l’intérêt récent manifesté par l’enfant pour la sexualité, ou dans l’analyse de dessins, voire même dans des appartements où aucune porte ne ferme à clef, en particulier celle des toilettes ; ou encore lorsqu’un enfant est plus gâté que ses frères et soeurs ; et bien entendu par un « auto érotisme compulsif ». On a compris à la lecture de cette énumération que tous les enfants sans exception sont victimes d’abus sexuels.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La planète psy a trouvé là ses intégristes. L’enfant, qui dit toujours la vérité, ne peut que vouloir protéger son agresseur s’il se rétracte dans un second temps. Cette rétractation représente d’ailleurs une « des preuves de la terreur familiale que l’enfant subit » et un « indicateur supplémentaire de la réalité des abus commis ». Imparable ! Pour les rédacteurs de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La violence impensable </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(Frédérique Gruyer, Martine Nisse, Pierre Sabourin)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la famille est souvent perçue comme le lieu de tous les dangers. Sans être pour une fois fondamentalement en désaccord avec eux, il me paraît utile d’ajouter que ce qui relève du registre de la dénonciation dans l’énumération proposée ci-dessus rappelle fâcheusement les campagnes hitlériennes et staliniennes incitant les charmants bambins à dénoncer leurs subversifs parents. En cas de signalement d’abus sexuel, la voie judiciaire est préférée à la voie administrative : « le recours à la loi » étant un préalable à la thérapie », affirment les rédacteurs. Donc il importe qu’une plainte soit déposée, puis assortie de l’audition de l’enfant par les services de police avant toute consultation. Un préalable, par conséquent, à l’organisation - je cite - « de thérapies familiales avec les agresseurs sexuels incarcérés et leurs familles d’origine (…) Ceci suppose d’accepter la présence de policiers et de gardiens pendant le temps de la séance, ce qui pour nous constitue un travail avec le réseau fort enrichissant ». Sans commentaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Depuis ces « années Dutroux » les écrans télévisés se trouvent particulièrement investis par ce genre de thérapeutes (avec le secours de membres d’associations de protection de la jeunesse, voire de magistrats et de policiers). Ils y trouvent là un terrain à leur convenance puisque ces émissions, dans leur grande majorité, en privilégiant l’émotionnel et l’indignation sélective, au détriment de toute réflexion critique, favorisent l’expression de discours régressifs et répressifs. Et l’on ne retient des généralisations abusives, des affirmations réductrices et de l’indigence théorique de ces « spécialistes », que l’attitude militante et bienveillante de thérapeutes et consort ayant déclaré la guerre aux pervers et aux agresseurs sexuels. Une de ces émissions, pour rester dans l’après Dutroux, diffusée sur France 3 (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paroles d’enfants, animée</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> par Élise Lucet), présentait le dossier d’une affaire déjà jugée et qui avait débouché sur un non lieu. Une journaliste dans un reportage reprenait les thèses d’une accusation dont on saura plus tard (l’émission « Arrêt sur image » du 21-05-2000) qu’elle reposait sur des témoignages d’enfants affabulatoires. Pendant le débat de fin d’émission (celle de FR 3, auquel participait l’une des rédactrices de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La violence impensable</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), une magistrate avouait sans barguigner avoir eu connaissance de « charniers d’enfants » en Seine-et-Marne. Lors de ce même « Arrêt sur image » on apprenait que cette « révélation » avait provoqué des réactions en haut lieu et obligé la chancellerie à démentir l’existence de tout charnier d’enfants en Seine-et-Marne ou ailleurs. L’imprudente magistrate, Martine Bouillon (administratrice de l’association </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La voix de l’enfant, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">engagée sur le front anti-pédophile), ayant plus tard reconnu qu’elle répercutait un propos de couloir tenu quelques années plus tôt devant elle. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette longue digression s’avérait nécessaire pour mieux situer les enjeux du procès Soriano. Un portrait de « coupable idéal » ne pouvait se constituer qu’à travers la construction d’une « victime idéale ». L’instruction, d’abord, n’a pas permis de vérifier les allégations de la prétendue victime. Lors du procès l’avocate générale a d’ailleurs reconnu l’absence de preuves : « c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre ». L’accusé ne pouvait opposer que sa bonne foi face aux arguments de thérapeutes (nous avons reconnu parmi eux le bon docteur Sabourin) qui ont pesé de tout leur poids dans la balance en présentant au tribunal un modèle, celui d’une « victime par excellence d’abus sexuel » élaboré patiemment durant l’instruction. Ces mêmes thérapeutes n’hésitant pas à exercer auprès des jurés ce type de chantage qui tient lieu dans l’affirmation : « la guérison de notre patient passe par la condamnation d’Antoine Soriano ». Le contexte, l’onde de choc Dutroux, ne se prêtait pas à la tenue d’un procès équitable. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais le pire, si l’on peut dire, était à venir. Un verdict rendu courant 2000 par un tribunal nous apprenait que l’immunité (ou presque) accordée aux flics meurtriers de « jeunes de banlieue » s’élargissait à une autre catégorie, celle des assassins de pédophiles (ou considérés tel). Plusieurs années auparavant un homme de 78 ans reconnaissait des attouchements sexuels sur les deux enfants de son voisin. Des histoires de main dans la culotte qui n’avaient pas apparemment traumatisé ces deux enfants, selon les gendarmes. Le procureur de Bourgoin remettait d’ailleurs le vieil homme en liberté en demandant qu’une mesure d’éloignement soit prise. Plus tard, à la veille du placement de ce dernier en maison de retraite, le père des deux enfants étranglait le « papy pédophile ». Le 26 mai 2000, la Cour d’Assise de Grenoble rendait son verdict : trois ans de prison ferme. C’est ce chiffre qu’il faut retenir pour le comparer à celui (10 ans) condamnant Antoine Soriano sans la moindre preuve, sur le témoignage d’une « victime » prise en charge par des intégristes de la planète psy. Un chiffre à mettre également en relation avec celui (10 ans toujours), de la peine maximale qu’encourt alors toute personne condamnée pour » atteinte sexuelle », c’est-à-dire les infractions en ce sens commises sans violence, contrainte, menace, ni surprise sur des mineurs de 15 ans. Un tel verdict fait « appel d’offre » en quelque sorte. N’importe quel père outragé, ou tout autre membre de famille ou extérieur à elle pouvait désormais se faire justice en risquant une peine minimum. Cela s’appelle en bon français « incitation au meurtre de pédophile ». Et quand on sait que parmi les personnes accusées de pédophilie certaines le sont injustement on mesure la portée d’un tel jugement. Plus inquiétant encore. Les attouchements sexuels sur enfant et de surcroît le viol étant devenus en ce tout début de XXIe siècle l’abomination des abominations - pire même que des crimes de sang ! - que le violeur, tout compte fait, ne prend pas davantage de risque en étranglant l’enfant ou l’adolescent qu’il vient d’abuser. C’était faire là le constat d’un important changement de paradigme sur lequel il importait de réfléchir, dont les conséquences déjà sensibles en matière pénale (le viol sur enfant faisant l’objet de condamnations plus lourdes que les crimes de sang) méritaient d’être analysées sur les plans philosophique et anthropologique. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ces quatre affaires, pour conclure sur ce thème, possèdent des points communs. Chaque fois, on l’a vu, l’accusation de pédophilie, ou de complaisance envers elle, permettait soit (l’opération « Ado 71 ») de discriminer des « pratiques sexuelles » non actives, qui relevaient principalement du voyeurisme ; soit (l’article du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Canard Enchaîné</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) de disqualifier un universitaire s’interrogeant sur l’abus sexuel comme « véritable objet de connaissance » (relativisant par cela même l’antienne selon laquelle il y aurait « du traumatisme partout ») ; soit (la condamnation d’Antoine Soriano) d’instrumentaliser la justice à travers la fabrication d’un « coupable idéal » par un groupe de thérapeutes malgré l’absence de preuves ; soit encore (le jugement de Grenoble) de créer les conditions d’une incitation au meurtre de pédophile. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plus implicitement, en l’élargissant au lobbying des associations de protection de l’enfance (du moins celles se focalisant sur « l’abus sexuel sur enfant »), nous retrouvons là l’une ou l’autre des manifestations de cet ordre moral qui entend, sous couvert de dénonciation et d’éradication de la pédophilie, extirper la sexualité de ses singularités. Dans ce climat délétère de l’après Dutroux toute discussion devient impossible dès lors que l’on s’efforce d’un côté de distinguer les sadiques et agresseurs sexuels, de l’autre des adultes dont l’inclinaison vers des jeunes mineurs n’admet pourtant ni violence, ni contrainte, ni domination. Le discours dominant, celui de l’ordre moral, voit toujours de l’abus sexuel dès lors que ces deux sexualités, celle de l’adolescent et de l’adulte se rencontrent. Le sexuellement correct impose sa norme et procède par intimidation. Cela s’observe même en dehors de ce domaine de réalité, dans le registre de la création, comme j’aurai l’occasion plus loin de l’illustrer à travers un exemple plus récent.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sur le plan juridique, du droit, force est de reconnaître que depuis la création d’un Code pénal en 1810, celui-ci, qui à son origine ne contenait aucune disposition relative aux relations sexuelles entre les adultes et les mineurs (et se révélait être le seul en Europe à ne pas condamner l’homosexualité !), va progressivement évoluer dans un sens qu’il faut bien qualifier de « répressif ». En tout cas, jusqu’à la Monarchie de Juillet, la loi ne réprimait ces relations-là que lorsqu’il y avait eu violence physique et dans les mêmes conditions que celles entre adultes. Contrairement à ce que l’on croit généralement, le régime de Vichy, dans ce cadre-là, n’a pas représenté une parenthèse vite refermée à la Libération. La législation pétainiste, la plus répressive en l’occurrence depuis 1810, ne sera que très partiellement modifié par l’ordonnance du 8 février 1945. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une loi « relative à la prévention et à la prévention des atteintes sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs » est votée le 17 juin 1998. Cette loi se singularise par l’introduction d’une mesure dite de « suivi socio-judiciaire » qui à l’époque suscita de fortes réserves chez de nombreux psychiatres. Ce qui fut moins le cas de l’un des autres volets de la loi, celui pénalisant les crimes et délits à caractère sexuel commis contre des mineurs à l’étranger par des français ou des personnes résidant habituellement en France. Nous en venons au tourisme sexuel, par conséquent. Ceux qui prostituent les enfants, mettent en place des réseaux de prostitution infantile, ou tirent un quelconque profit de ce commerce sont des personnages ignobles et doivent être traités comme tels devant tout tribunal. En ce qui concerne les usagers du tourisme sexuel, qui ont également leur part de responsabilité dans ce genre d’exploitation (et nul ne saurais s’en abstraire), je serais tenté ceci précisé de faire la distinction qui, en matière de toxicomanie, sépare le dealer du consommateur. En le tempérant, bien sûr, par le fait que celui-ci peut mettre sa vie en danger, ce qui n’est pas le cas du touriste sexuel (sauf exceptions qui ne sont pas à mettre sur le même plan). Ceci dit le touriste sexuel est un touriste parmi d’autres, qui consomme de « l’enfant ou de l’ado » comme d’autres consomment de l’exotisme, de la culture congelée ou du palace. C’est pour eux, tous touristes confondus, que l’on détruit des sites, bétonne le littoral, ou réduit les échanges avec les autochtones à de simples échanges marchands. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant de devenir miss foldingue, la juriste Marcela Iacub, dans un remarquable article de 2001 (« Une histoire juridique du viol », reproduit dans l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le crime était presque sexuel</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), en évoquant « une exception sexuelle dans le droit », entendait démontrer en quoi « le droit pénal n’a pu saisir la spécificité « sexuelle » d’un crime sans être emporté lui-même dans un processus de transgression de ses propres limites ». J’en viens à sa conclusion qui, depuis la désignation d’une « nouvelle criminalité sexuelle », ne peut que poser la question suivante : pourquoi les crimes et délits sont-ils dans ce cas d’espèce si sévèrement réprimés en cette fin de XXe siècle et ce tout début de XXIe siècle ? Trois raisons y concourent (indépendamment du rôle joué par les groupes de pression évoqués précédemment). La première s’explique par la mise à mal de quelques uns des principes du droit pénal dans le cas strict de la sexualité. La seconde concerne les dérives du couple punir et guérir : punir vise « moins la répression ou la prévention que la constitution même du traumatisme de la victime ». La troisième se rapporte aux effets pervers d’un discours de « libéralisation sexuelle ». Ce que Marcela Iacub introduit par : « Il faudrait sans doute expliquer l’économie politique du crime sexuel à l’intérieur d’un ordre juridique qui, semblant s’écarter du puritanisme ancien, a volontairement récusé la notion de « moeurs », et a voulu encadrer la libération des désirs et des plaisirs ». D’où des expressions sur le plan juridique en faveur d’un « destin minimaliste de la sexualité » qui n’était pas dans l’air du temps, ni chez ceux qui croyaient à la libération de la sexualité et qui pensaient le viol comme un épiphénomène de la misère sexuelle, ni chez les féministes qui y voyaient un combat décisif contre l’oppression des femmes et qui voulaient calmer les élans des libérateurs du sexe ; Il ne l’était pas non plus pour les conservateurs, allés circonstanciels des féministes, qui voulaient à travers la répression du viol mettre de l’ordre dans ce qu’ils pensaient être devenue une anarchie des moeurs ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un mot sur sur « l’imprescriptibilité des crimes (et des délits !) sexuels » réclamée par des associations féministes et de protection de l’enfance. Elle est revenue d’actualité lors du projet de loi de 2018 sur les « violences sexuelles et sexistes » où le délai de prescription des crimes sexuels est passé de 20 à 30 ans après le vote de l’un des articles de la loi. Parmi les nombreuses objections relevées envers l’application d’une telle imprescriptibilité (citons, comme on le verra dans le paragraphe suivant, d’éventuelles manipulations autour de la « mémoire traumatique ») je retiens la principale : seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles dans le droit français et doivent impérativement le rester. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je suis passé trop rapidement sur la notion de traumatisme. Ce terme, utilisé de longue date en médecine, repris par la psychanalyse, s’est trouvé largement diffusé par les médias dans des cas « d’abus sexuels sur enfants ». Dans le traitement médiatique de ce genre d’affaire, le traumatisme tend à prendre le pas sur le fait même, « l’abus sexuel », et le criminalise davantage à l’aune de l’irréparable (ou prétendu tel). Quant nous lisons sous la plume de thérapeutes américains (« Si vous êtes incapables de vous souvenir d’un moment spécifique d’abus sexuel dans votre enfance mais si vous gardez néanmoins le sentiment qu’une forme d’abus sexuel a été exercée sur vous, vous avez forcément raison. Et si vous pensez que vous en avez réellement été victime et que votre vie en montre les symptômes, alors vous l’avez réellement été »), toutes les dérives, et même les pires, deviennent possibles. Cette façon de manipuler le souvenir, d’insinuer et de distiller le doute chez des personnes fragiles peut déboucher sur des accusations sans fondement, d’autant plus graves qu’elles ont été « suggérées » par un thérapeute. Cela vient des États-Unis certes, mais la vieille Europe ne se trouve pas épargnée : le Royal Collège of Psychiatrists de Londres n’a-t-il pas interdit à ses membres la pratique consistant à inciter leurs patients à se remémorer un abus sexuel subi durant l’enfance !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A la veille de « l’affaire d’Outreau » il n’est pas inutile, ceci posé, de se livrer à une rapide analyse de l’évolution de la psychiatrie en France. Le bradage de la psychiatrie publique, déjà alors amorcé depuis une dizaine d’années (et cela perdure jusqu’à nos jours), son manque accru de moyens et de personnels incite de nombreux professionnels à choisir d’autres options que celles qui, malgré tout, même a minima, restaient attachées aux impératifs de la psychiatrie de secteur. De là la « reconversion » de certains d’entre eux dans des créneaux plus « porteurs » sur le plan symbolique qui les entraîne, à l’intérieur de la sphère publique mais principalement dans l’associatif, à investir, qui sur la « victimisation », qui sur « l’abus sexuel sur enfant » : deux domaines qui attirent davantage l’attention des médias (sans parler de l’air du temps).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Poursuivons cet inventaire en rappelant que les associations de protection de l’enfance, du moins certaines, se trouvent alors en première ligne sur le terrain généralement de la « défense des moeurs », et de la pédophilie en particulier (poursuites contre le roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rose bonbon, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">contre un ouvrage de Louis Skorecki, contre l’exposition « Présumés innocents », etc.). Les membres de ces associations vivent dans un monde, une représentation du monde plutôt, où sévissent les pervers, les sadiques, les pornographes et les pédophiles. Ces figures d’un mal, qu’il faut extirper, s’en prennent à ce qui est de plus sacré dans le monde : l’enfant. Elles devront payer, toujours plus, pour réparer l’irréparable, la souffrance de l’enfant victime, son traumatisme. Plusieurs de ces associations sont proches, on le sait, de l’extrême droite. Mais il n’est pas moins vrai qu’une certaine gauche leur emprunte le pas, le cas échéant. Les débats alors en cours, autour de la prostitution et de la pornographie, mettent en perspective de curieux rapprochement entre plusieurs députés PS et les affidés de Christine Boutin. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les politiques maintenant. Du temps où elle exerçait la fonction de Ministre de la Famille, Ségolène Royal tenait des propos bien imprudents, pour ne pas dire irresponsables quand on connaît la suite, en répétant sur tous les tons : « L’enfant dit le vrai ! ». En novembre 2003, six mois avant le procès de Saint Omer (Outreau), 71 parlementaires de la majorité de droite déposaient une proposition de loi « visant à lutter contre l’inceste en donnant du crédit à la parole de l’enfant ». On lit dans l’exposé des motifs la phrase suivante : « Il nous parait important que la présomption de la crédibilité de la parole de l’enfant puisse être retenus comme un principe dans toutes les procédures le concernant ». Là ce n’est plus simplement de l’irresponsabilité puisqu’il s’agit d’une proposition de loi.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La même année, dernier souvenir, déjeunant avec une collègue psychologue (mais aussi membre d’une association de protection de l’enfance) j’avais été abasourdi de l’entendre, entre le fromage et la poire, me certifier que de très nombreux hommes politiques étaient pédophiles, qu’ils allaient être bientôt dénoncés, et que ce serait un tremblement de terre comme jamais encore connu dans le monde politique, etc. Pourtant cette collègue, nullement un « perdreau de la veille », avait publié vingt ans plus tôt un ouvrage dit de référence dans la collection </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Que sais-je </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">! Bien entendu, c’était le genre de rumeur, de fantasme plutôt, qui circulait parmi les membres de cette association.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le procès de Saint Omer, mais surtout celui de Paris en novembre 2005 ont remis sur ses deux pieds une société qui sur toutes ces questions marchait depuis le « moment Dutroux » sur la tête. La justice reconnaissait sa faillite, avec l’écrasante responsabilité du juge Burgaud, mais également celle des membres de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Douai, du procureur général de cette même juridiction, de l’avocat général au procès de Saint Omer, et du Garde des Sceaux de l’époque. En y ajoutant l’incompétence, le sectarisme et la partialité des deux experts psychologues. Ce qui valait aussi pour les deux associations « parties civiles », avec en plus pour ce qui les concernait une bêtise crasse. Enfin de cette responsabilité il ne fallait pas absoudre la presse écrite dans sa quasi totalité, ainsi que les médias radiophoniques et télévisés, coupables d’avoir commis des articles, des reportages ou des dossiers qui, depuis le début de « l’affaire d’Outreau », jusqu’aux premières audiences du procès de Saint Omer avaient amplifiés les rumeurs les plus fantaisistes sur les protagonistes de l’affaire, s’étaient complus dans une vision misérabiliste d’Outreau, et n’avaient en aucune manière rapporté des éléments pouvant remettre en cause l’enquête et l’instruction.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce qu’on a appelé à l’époque « l’affaire Cohn-Bendit », durant l’hiver 2001, devait nécessairement prendre place ici, et introduire notre partie conclusive, puisque le lecteur pourra constater que celle associée dix-neuf plus tard à Gabriel Mattneff en est presque le papier-collé. On ne l’a que très peu rappelé ces temps derniers, et pourtant à l’évidence la comparaison s’impose. D’autant plus que si la première affaire s’avérait être l’une des conséquences de ce « moment Dutroux », on a dit de la seconde que #Metoo en était indirectement la cause. Donc, pour rester avec Daniel Cohn-Bendit, l’accusation de pédophilie avait été portée contre lui en ce début d’année 2001. Revenons encore en arrière, en 1975, l’année où l’ancien animateur du Mouvement du 22 mars publie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Grand bazar. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cet ouvrage s’inscrit dans un courant qui s’efforce d’apporter des « réponses politiques » depuis des pratiques relevant de la vie quotidienne, dans une perspective privilégiant l’expérimentation sur le mode alternatif. Un livre parmi d’autres dans ce même registre, que seule la personnalité de l’auteur met sur le devant de la scène. Parmi ces pratiques, Cohn-Bendit se réfère volontiers à son activité d’éducateur dans un jardin d’enfants de Francfort. Ce sont les lignes suivantes, extraites du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Grand Bazar, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Express </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">exhume 25 ans plus tard : « Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de façon différente selon les circonstances mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : »Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avoir choisi moi, et pas les autres gosses ? ». Mais s’ils insistaient je les caressais quand même ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ces lignes, lors de la parution de l’ouvrage, nul ne les avait commentées ou citées, ni même remarquées. D’ailleurs puisque </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Express, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">alors suivi par une bonne partie de la presse, parlait de « faits », qu’en était-il ? L’ancien Dany le rouge, sommé de s’expliquer, évoqua alors des propos provocateurs imputés aux années 70. Précisons que les usagers de ce « jardin alternatif » l’avaient d’ailleurs défendu en publiant une lettre où ils rejetaient « catégoriquement toute tentative de rapprochement entre Daniel Cohn-Bendit et des personnes coupables d’abus sexuels sur enfants ». Cela devait suffire. Mais non, la machine s’emballe. On ressort deux pétitions datant de ces mêmes années 70, L’une d’elles fait état de « reconnaissance du droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations avec les personnes de son choix ». Il s’agit d’une pétition rédigée lors de la comparution en janvier 1977 devant la Cour d’assise de Versailles de trois hommes poursuivis pour « attentats à la pudeur sur mineur de moins de 15 ans (selon la terminologie de l’ancien Code pénal »). Ce sont les trois années de préventive précédant ce jugement qui, tout d’abord, avait été à l’origine de la protestation se transformant en une pétition relayée par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Libération. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">On cite les noms des pétitionnaires : il s’agit de quelques uns des intellectuels les plus en vue de ces années-là (Sartre, Barthes, de Beauvoir, Deleuze, Sollers, Lang, Aragon, Chéreau, C. Millet, Glucksmann, Chatelet, J.P. Faye, Guattari, D. Guérin, Hocquenghem, Schérer, Ponge, Leiris, Lyotard, Guyotat, et Matzneff parmi d’autres pour la première pétition, auxquels venaient s’ajouter les noms de Foucault, Althusser, Derrida, Klossovski, Mascolo, Rancière, Robbe-Grillet et F. Dolto pour la seconde). C’est l’occasion rêvée d’un grand déballage, de rappeler les « errements » de l’après 68. Entre des « nouveaux procureurs », tous vent debout contre la laxisme des années 70, et les signataires interpellés, du moins ceux qui disent regretter une erreur de jeunesse, le discours ne diffère guère. Pourquoi d’ailleurs les anciens gauchistes qui avaient renié leur passé politique depuis un certain temps déjà en resteraient là ? Il leur faut aussi avouer qu’ils se sont trompés sur le terrain des moeurs (celui de la pédophilie précisément). Un écrivain connu affirmera avoir signé cette pétition sans l’avoir lue. Une habitude de l’époque, à l’en croire. En 2001, évidemment, tout cela semble à Philippe Sollers « extraordinairement naïf ». Alors que Sollers est l’éditeur et responsable de la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Infini </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sont j’ai cité plus haut de larges extraits du numéro de l’automne 1997 consacré à « La question pédophile » !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un amalgame en tout cas avait été fait. Par delà le passé éducatif de Cohn-Bendit, ce sont mai 68, les années 70, la « pensée libertaire » que l’on voulait discréditer sous l’accusation d’apologie de la pédophilie. Comme si cette « permissivité » évoquée par certains, donc imputable pour eux à la « libération sexuelle » et aux « idées libertaires », portait in fine la responsabilité des abus sexuels relevés depuis l’épisode Dutroux ! Les auteurs incriminés, libertaires et autres, qui avaient alors porté la réflexion et écrit sur les relations sexuelles et affectives entre adultes et enfants (et adolescents) rappelaient tous qu’il était exclu de faire à quiconque quelque chose contre son gré. Ce qui se traduisait par, je ne le rappellerai jamais trop : ni violence, ni contrainte, ni rapport de domination, ni propriété sur autrui. Cela incitait à dresser la liste des personnes sur qui portait l’accusation « d’abus sexuel sur enfants et adolescents » depuis cette séquence Dutroux. Qui étaient-elles ? Hormis le fort contingent des abuseurs familiaux et l’habituel lot des criminels et sadiques sexuels nous trouvions des enseignants et des éducateurs, soit. Mais aucun d’eux, que nous sachions, ne se référait à un quelconque enseignement ou pédagogie libertaire. Bien au contraire l’abus (si abus il y avait, sachant que de nombreux professionnels avaient été accusé injustement durant cette période, et le seront encore durant les deux décennies suivantes) renvoie à une relation éducative contraignante et autoritaire. Qui d’autres ? Des prêtres évidemment (et là ce n’était qu’un début). Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Pourquoi les prêtres seraient-ils différents des autres hommes ? Ils prennent leur plaisir là où ils le trouvent. Et il se trouve que leur ministère les met en contact avec les enfants de leurs paroissiens, ou de jeunes gens auprès desquels ils jouent un rôle d’encadrant ou de conscience morale. J’en resterais là, n’ayant pas pour vocation de réformer l’église catholique (étant d’ailleurs sans opinion sur le mariage des prêtres).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ces textes et livres, pour y revenir, incriminés lors de ce déballage durant l’hiver 2001, ne ravalaient nullement l’enfant à l’état de « chose » ou de « produit » comme le fait la publicité, ou le font ceux qui acceptent et avalisent cette « raison publicitaire ». Bien au contraire ils mettaient en avant l’autonomie, les capacités créatrices et l’esprit d’initiative des enfants et des jeunes adolescents. Les questions sexuelles figuraient certes en bonne place, mais ne représentaient que l’un des axes d’une réflexion prenant en compte les problématiques familiale, scolaire, médicale ou juridique. Comme le précisait à l’époque René Schérer, en réaction à la campagne dont il vient d’être question : « Le soupçon légitime s’élève que tant de haine déchaînée, de mobilisation vengeresse, de fureur hystérique ne soient que l’expression de l’impuissance du monde actuel à proposer aux enfants un avenir et un bonheur crédible. Ou que, de la part de ceux qui détiennent les pouvoirs et les centres de manipulation, ce ne soit un alibi commode pour éviter d’affronter les problèmes combien plus graves de la société, de l’économie, des guerres locales multipliées, de la détérioration matérielle de la planète ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Qui aurait imaginé que dix-neuf ans plus tard on remettrait le même couvert avec Gabriel Matzeff ? Les deux fameuses pétitions de 1977 ont de nouveau été exhumées pour proclamer que toutes deux justifiaient la pédophilie (d’autant plus qu’on apprenait que la première avait été rédigée par Matzneff). Ce qui permettait, comme en 2001, mais de manière encore plus indignée, de citer les noms des pétitionnaires les plus connus (y compris du nom de celle, Dolto, que l’on ne s’attendait pas à trouver) pour les livrer à la vindicte publique. Encore que, contrairement à l’épisode Cohn-Bendit, c’est parfois l’incompréhension, voire la sidération qui succédaient à l’indignation. Comment cela avait été possible, a-t-on entendu ? Des féministes témoignèrent de leur désarroi : Beauvoir avait signé ! Là encore, comme en 2001, on fit porter la responsabilité sur ces fichues années 70, durant lesquelles tout était possible, permis, toléré, et même encouragé. On incrimina même le « Soyez réaliste, demandez l’impossible » de Mai 68. La principale différence, avec la séquence 2001, résidait dans la personnalité du protagoniste puisque ce Matzneff, qu’en dehors de certains milieux littéraires personne ne connaissait, dont la petite notoriété (limitée aux années 70 et 80) était principalement due à quelques passages chez Bernard Pivot, voire une chronique publiée par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">durant plusieurs années, ce Matzneff donc, quasiment absent du déballage de 2001, accédait soudainement à une surprenante notoriété, non pas depuis son statut et sa qualité d’écrivain, mais comme monstre pédophile, prédateur en chef, porc balancé par l’une de ses nombreuses anciennes petites maîtresses (alors âgée de 14 et 15 ans à l’époque), devenue entre temps l’éditrice des Éditions Julliard.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je ne reviendrai pas sur la chute de la maison Matzneff, les médias s’en sont fait largement l’écho. En très peu de temps l’écrivain (jadis reçu chez Pivot, ancien chroniqueur du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au lectorat comportant des noms prestigieux, encore lauréat du prix Renaudot essai en 2013)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est devenu un pestiféré. Une situation que traduit bien l’expression « les rats quittent le navire », rapportée à l’attitude de ses éditeurs, de ses anciens soutiens, ou de ceux qui peu ou prou avaient indirectement aidé financièrement un vieil écrivain n’étant plus en capacité de vivre de la vente de ses livres.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le 15 janvier dernier, point culminant de cette « affaire Matzneff », François Busnel recevait Vanessa Springora dans l’émission littéraire de la Cinq, « La Grande librairie »</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une émission toute entière consacrée au livre-événement de cette rentrée littéraire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le consentement, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans laquelle vinrent les rejoindre dans un second temps sur le plateau : Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, Pierre Vedrager, sociologue, et Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat (ce dernier, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, faisant le tour des médias depuis le début de « l’affaire Matzneff » en tenant invariablement le même discours : « Tout adulte ayant des relations sexuelles avec un mineur de moins de quinze ans tombe sous le coup de la loi, doit être poursuivi, jugé et condamné. Point barre »). Busnel, remonté comme une pendule, suggéra même que Mitterand, qui figurait parmi les lecteurs du jeune Matzneff, pouvait avoir comme tant d’autres sa part de responsabilité dans l’affaire en question. Une perche non reprise par ses interlocuteurs, pas en tout cas par Rosenczveig s’inscrivant en faux contre cette interprétation (sans doute en raison de son passé mitterandien).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La mention de cette émission vaut surtout par la présence du sociologue Pierre Vedrager sur le plateau de « La Grande librairie ». Elle s’explique par la publication en 2013 d’un ouvrage (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’enfant interdit. Comment la pédophilie est devenue scandaleuse</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), passé presque inaperçu lors de sa publication, mais remis en selle tout comme son auteur par « l’affaire Matzneff » (cela vaut aussi pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire de la pédophilie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Anne-Claude Ambroise-Rendu, 2014). Ce soir-là Vedrager tint un propos équivalent à celui d’un entretien accordé une semaine plus tôt à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Télérama. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">En réponse à la question, constat indigné plutôt selon lequel « La tolérance dont a longtemps bénéficié Gabriel Matzneff semble aujourd'hui stupéfiante », le sociologue rappelle d’abord quelques évidences sur les plans philosophique, anthropologique, psychanalytique. Puis, se référant aux sempiternelles années 70, Verdrager avance que si la société rejetait la pédophilie c’était, pour les partisans de cette dernière, « parce que les masses se trouvaient sous l’emprise d’une sorte de panique morale. Le corps social était malade, pas eux ! Ils accusaient les parents de maintenir leurs enfants sous le joug familial et, s’ils portaient plainte, d’être motivés par la seule recherche de dommages et intérêts. Une rengaine reprise par ceux qui soupçonnent Vanessa Springora de vouloir faire un succès de librairie ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On ne sait pas de quelle réalité le sociologue veut nous entretenir ici, à moins de confondre le très particulier avec le général. Ou plutôt, on comprend mieux où Verdrager veut en venir quand il associe cette fiction de « seule recherche de dommages et intérêts » à ce dont certains « soupçonnent Vanessa Springora ». Pierre Verdrager et d’autres entendent nous persuader que défendre une telle cause (la dénonciation de la pédophilie) n’a pas à rendre de comptes, que cette défense frappe même de vacuité toute analyse un tant soit peu critique sur la promotion d’un livre qui, dans le cas présent, relève pourtant d’une stratégie marketing ayant fait ses preuves en d’autres occasions. Ce que nous relevons ici n’empêche nullement, ceci posé, toute discussion sur les qualités ou pas d’un ouvrage, ni n’en dévalue le contenu, mais à qui fera-t-on croire que l’éditrice des Éditions Julliard, même publiée chez Grasset, serait innocente de tout ce qui sur le plan stratégique concourt au lancement d’un livre, le sien ne l’occurrence ! Sans vouloir réduire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Consentement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à ce seul aspect le « succès de librairie » paraissait assuré avant même la parution de l’ouvrage. C’est accorder bien trop d’importance à ce qui n’a qu’une valeur de témoignage que d’affirmer, comme le fait Verdrager, que « la prise de parole de Vanessa Springora vient renverser la domination masculine ». Rien que ça ! Il n’est pas du tout certain que ceux et celles qui réfléchissent et travaillent depuis de longues années sur la « domination masculine » prennent ce renversement au sérieux. En revanche on comprend que notre sociologue ait une dette envers Vanessa Springora (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le consentement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lui permet d’être interviewé par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Télérama, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de passer chez Busnel, d’être cité dans les médias comme étant un auteur de référence sur « la question pédophile ») mais là franchement il en fait un peu trop !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Rien d’étonnant, ensuite, de constater que Vertrager s’en prend à ces « cercles littéraires, où il est si important d’affirmer sa singularité », et où « la transgression y est valorisée », et où encore « défendre l’indéfendable est une manière d’affirmer son originalité ». Ce genre de discours nous l’avons entendu en maintes occasions. Il était jadis tenu par ceux que l’on appelait des « philistins ». D’une époque à l’autre, les mots pour le dire diffèrent mais l’intention demeure. C’est le discours des modérés, des timorés, de la « raison raisonnante », de « il faut se méfier des extrêmes », de la mesure. Aujourd’hui nos « nouveaux philistins » enfourchent le cheval d’une « vie décente » pour l’opposer à l’indécence de ces écrivains, de ces artistes, ou ces intellectuels parfois. Ce qui dessine les contours d’un monde d’où toute utopie, tout « écart absolu », toute volonté de changer la vie, toute poésie même sont bannies. D’ailleurs quand le sociologue indique plus loin qu’il « n’est pas impossible que nous soyons en train d’assister à la naissance d’un #Metoo littéraire » (alors qu’auparavant il précisait qu’il « n’existe quasiment pas de censure en France, on peut publier à peu près ce qu’on veut ») nul besoin de traduire ce que souhaiteraient là les Vertrager et consort. Sauf que la censure dans les Lettres, nous y sommes déjà confrontés, s’effectue plus en amont, dès la réception d’un manuscrit. Sans parler de l’autocensure, encore plus pernicieuse. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin, pour en terminer avec cet entretien, la dénonciation pour Vertrager de l’ordre moral est évidemment un « grand fantasme ». De surcroît ce serait « un argument rhétorique entièrement faux ». Pourquoi donc ? La réponse déconcerte : « puisque ces dernières années ont vu la reconnaissance légale de l’homosexualité, puis sa normalisation avec l’accès au PACS et le mariage civil ». En premier lieu on récusera la terminologie « dernières années » en précisant que le 27 juillet 1982 la France dépénalisait l’homosexualité en abolissant une disposition du Code pénal héritée de Vichy, ce qui entraînait de facto la reconnaissance de l’homosexualité. Mais surtout ne définir l’ordre moral qu’en fonction de l’homosexualité c’est très sensiblement réduire sa signification. Cette façon qu’ont les Verdrager et compagnie d’évacuer, de minimiser ou de nier ce qui relève pourtant d’un ordre moral n’est pas sans jouer le rôle d’un écran de fumée, ou d’occulter principalement en quoi conséquemment cet ordre entend censurer des oeuvres (littéraires et picturales, surtout), ou produire des effets d’autocensure. Je ne citerai qu’un seul exemple, ci-dessous, mais il parait significatif et symptomatique de ce qui se joue ici (non sans craindre que le pire serait à venir).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le 21 novembre 2019, dans un article du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">New York Times, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la question de l’interdiction d’une exposition consacrée à Paul Gauguin se trouvait posée. Comment en était-on arrivé là ? Ce qui chez ce peintre suscite la polémique est d’autant plus exemplaire que le procès fait à Gauguin se trouve instruit par des néoféministes (pour le volet dit « pédophile ») et par des postcoloniaux (pour le volet prétendument « colonial » et « raciste »). Dans la série « l’Amérique reste le laboratoire de l’aliénation », nous remarquons que vers la fin du siècle dernier, dans certains campus américains, l’on soupçonnait déjà Gauguin de ce qu’on l’accusera plus explicitement une vingtaine d’années plus tard. Des soupçons relayés en 2006 par Jean-François Staszak dans son ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Géographie de Gauguin, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">auteur se faisant l’écho des cultural studies en écrivant qu’il fallait replacer « la démarche du peintre dans la cadre d’une société indubitablement impérialiste et phallocratique, interprétant celle-ci comme une exploitation de la culture et des femmes tahitiennes, et mettant en cause sa légitimité comme sa réussite ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les biographies de Paul Gauguin récusent pourtant cette vision partiale et caricaturale du peintre - j’en donnerai quelques exemples ci-dessous - visant à le discréditer ou même à le déligitimer pour remettre en cause, voire censurer son oeuvre (du moins sa partie polynésienne). Les lignes suivantes de Daniel Guérin (extraites de la préface consacrée aux écrits de Gauguin), déjà le démentaient en 1974 : « Toujours révolutionnaire pour notre temps », Paul Gauguin « aura combattu, au service des autochtones et des petits colons, non seulement gouverneurs, procureurs, sangsues capitalistes, mais les deux représentants « caractéristiques » aux Marquises d’une forme de société qui lui était intolérable : le curé et le gendarme » ; ou encore : « anticlérical et anticolonialiste, pacifiste, antimilitariste, anti-versaillais, chantre de l’amour libre et de l’émancipation féminine ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour qui trouverait la mariée trop belle avec Daniel Guérin, les biographies du peintre confirment dans le détail chacun des points avancés par l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ni dieu ni maître. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">En 1961, auparavant donc, Henri Perruchot souligne combien Gauguin avait pris « la défense des indigènes » et s’était opposé de façon constante aux institutions coloniales, aux gendarme et à l’Église. Perruchot indique également que le peintre avait été « adopté » par la population tahitienne, et qu’il vivait pauvrement parmi les indigènes. D’ailleurs, plus tard aux Marquises, la dénonciation par Gauguin de la terreur exercée par les gendarmes lui vaudra une condamnation à trois mois de prison. L’anthropologue Bendt Danielsson rappelle lui en 1964 de quelle manière Gauguin avait pris fait et cause pour la culture polynésienne, exemples à l’appui. Pour lui aussi la position anticolonialiste du peintre est « très nette et claire et il n’y a aucune raison de douter de sa sincérité ». Dans les années 90, sans doute devant l’émergence des postcolonial studies, David Sweetmen s’inscrit en faux contre l’idée d’un Gauguin colonialiste, patriarcal et touriste sexuel. Jean Luc Coatelem en 2001 insiste lui sur les convictions anti-chrétiennes du peintre. Laure Dominique Agniel en 2014 verse une pièce importante au dossier Gauguin, celle de l’absence de la syphilis chez le peintre (comme on l’a longtemps prétendu). Elle indique aussi, précision fondamentale, que l’on ne peut pas parler de pédophilie avec Gauguin sans indiquer que « toutes les jeunes filles polynésiennes étaient en ménage dès leur puberté ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je ne reviendrai pas sur l’inanité de commentaires décrivant Gauguin comme un personnage raciste et colonialiste, l’idéologie de leurs auteurs prenant le pas sur la réalité des faits. En revanche l’accusation de pédophilie mérite que l’on s’y attarde puisqu’il s’agit de l’argument principalement mis en avant par les dénigreurs du peintre pour entretenir à son sujet le soupçon le plus susceptible de desservir son oeuvre, voire de la censurer. Relevons ici que trois des compagnes de Gauguin avaient treize et quatorze ans. Ce qui s’explique par la précocité des relations sexuelles en Polynésie, et se traduisait par des unions et des mariages dés l’âge de la puberté. Aux contempteurs de Paul Gauguin répétant à l’envi que les relations entre une très jeune fille et un homme blanc plus âgé (et même beaucoup plus âgé) figurent en bonne place dans la littérature coloniale, et qu’à ce titre elles participent d’une vision occidentocentriste et colonialiste du monde, rappelons simplement à ces universitaires nantis et bien lotis que Gauguin partageait la vie souvent misérable des indigènes, jusqu’à vers la fin de sa vie s’identifier à eux.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En France, un film consacré au peintre en 2017 (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Gauguin - Voyage de Tahiti</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) va susciter la polémique. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Jeune Afrique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ouvre le feu avec un court article qui sera repris, erreurs comprises, par tout le courant décolonial. Cet article réduit Gauguin à une caricature de colonialiste que même un historien comme Pascal Blanchard n’a pas manqué d’avaliser. Mentionnons cependant l’assertion suivante, qui sera également reprise telle quelle par tous ceux qui entendent de manière formelle condamner la pédophilie du peintre. Léo Pajon écrit que même du temps de la vie du peintre « l’âge de ses partenaires aurait valu la prison à Gauguin s’il avait été en métropole ». En parler en ces termes est absurde mais même si on l’accepte il nous faut répondre par la négative : Gauguin ne se serait pas retrouvé en prison parce qu’alors le Code pénal punissait que « les attentats à la pudeur sans violence en dessous de treize ans » (selon la terminologie de l’époque). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Parmi les commentateurs mi-figue mi-raisin, Philippe Dagen dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(à qui on ne fera pas l’injure de ne pas connaître Gauguin) écrit que l’attirance du peintre « pour les très jeunes femmes et les corps exotiques » doit être mise sur le compte de « la manifestation physique de l’obsession de l’innocence perdue qui domine sa pensée et sa création ». Pourtant quand il ajoute « On aurait préféré qu’elle ne s’exprime que dans ses oeuvres, mais tel n’est pas le cas » un vertige nous saisit. Mais c’est justement parce que Gauguin, comme Van Gogh et d’autres, a mis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ainsi</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> sa vie dans son oeuvre que celle-ci nous émeut à ce point (indépendamment de tout ce qui sur le plan formel nous touche sur un tout autre plan). Le propos de Dagen entend ménager la chèvre de l’oeuvre et le chou pédophile. En bon français on appelle cela de la duplicité : notre critique d’art a très bien compris dans quel sens souffle le vent, d’où ce regret digne d’un tartuffe, mais tient malgré tout à en sauver l’oeuvre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Venons en à l’automne 2019. Le National Gallery à Londres, en exposant Paul Gauguin, répondait en quelque sorte au souhait manifesté par l’article du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">New York Times </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à travers la mise en garde suivante : « L’artiste a eu de façon répétée des relations sexuelles avec de très jeunes filles, épousant deux d’entre elles et engendrant des enfants. Gauguin a de façon indubitable profité de sa situation d’occidental privilégié pour s’accorder une grande liberté sexuelle » (sic). La seconde phrase va dès lors constituer presque exclusivement l’argumentation de tous ceux (dans les rangs néoféministes et décoloniaux) qui depuis novembre dernier instruisent le procès de Paul Gauguin, en faisant fi de toutes les indications biographiques qui viendraient récuser ce discours, ou plutôt cette fiction d’un Gauguin pédophile, colonialiste et raciste. Il y a de quoi s’étonner de l’absence, ou de la quasi absence de réactions s’inscrivant en faux contre de pareils discours, contre l’idéologie explicite qui les sous-tend, contre ce révisionnisme qui ne dit pas son nom du moins chez ceux qui se veulent critiques avec le monde tel qu’il va. Seul à ma connaissance Philippe Lançon remarquait en janvier 2020 dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie Hebdo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au sujet de cette polémique autour de Gauguin que « la morale de l’oeuvre n’est pas dans sa vie, certes pas celle rêvée d’un ange, mais dans les formes qu’il crée. La censure - et l’imbécilité qu’inévitablement elle exige et produit - commence lorsqu’on se met à confondre les deux, au point de regarder celle-ci qu’à la lumière de celle-là ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Au moment de conclure, je m’aperçois qu’un mot (une notion ou un concept plutôt) n’a pas été prononcé, celui de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ressentiment. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Comme l’écrit Nietzsche dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ecce homo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « On n’arrive à se débarrasser de rien, on n’arrive à rien rejeter. Tout blesse. Les hommes et les choses s’approchent indiscrètement de trop près ; tous les évènements laissent des traces ; le souvenir est une plaie purulente ». Il faudrait écrire un autre texte, ou prolonger celui-ci pour dire en quoi nombre de protagonistes de l’histoire que nous venons de raconter « marchent » au ressentiment. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max VINCENT (février 2020)</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:13pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">INDEX </span><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">( uniquement depuis le pdf de ce texte)</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">AGNIEL Laure Dominique : 41</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BEAU Nicolas : 29</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BEAUVOIR de Simone : 36 - 38</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BENJAMIN Walter : 15</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BLANCHARD Pascal : 41</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BONNET Catherine : 23 - 24</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BOULIN Bertrand : 26</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BRASSENS Georges : 19 - 20</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BREY Iris : 7- 8</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BREILLAT Catherine : 19</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BRION Éric : 4 - 5 - 6</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BURGAUD Fabrice : 35</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">BUSNEL François : 38</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">CAUBÈRE Philippe : 11 - 12 - 13</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">CECCATY de René : 26</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">COHN-BENDIT Daniel : 35 - 36</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">COPPEL-BATSH Marthe : 18</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DAGEN Philippe : 42</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DOLTO Françoise : 36 - 38</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DUFOUR Olivia : 10</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DUPONT Florence : 26 - 27</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DUTROUX Marc : 25 - 27</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DUVERT Tony : 25 - 26</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">FEDIDA Pierre : 18</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">FERENCZI Sandor : 21 - 22 - 23</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">FERRÉ Léo : 14 - 19 - 20</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">FREUD Sigmund : 21 - 22 - 23</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">GAUGUIN Paul : 40 - 41 - 42</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">GEIMER Samantha : 6</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">GOSSELIN Guidino : 21</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">GOUDET Stéphane : 4 - 7</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">GREEN André : 20 - 21</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">GRODDECK Georg : 19</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">GUERIN Daniel : 40 - 41</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HACKING Ian : 29</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HAENEL Adèle : 3 - 8 - 9</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HALLOIN Solveig : 11 - 12 - 13</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HENNING Jean-Luc : 25 - 26</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">HOCQUENGHEM Guy : 16 - 17 - 18</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">IACUB Marcela : 33</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">JACQUESY Laurent : 24 - 25</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">KERVIEL Jérôme : 11</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">LANÇON Philippe : 42</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">LAPLANCHE Jean PONTALIS J-B : 23</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">LARBAUD Valéry : 17</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">MAC DOUGALL Joyce : 20 - 21</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">MALOT Hector : 16 - 17</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">MATZNEFF Gabriel : 15 - 16 - 26 - 27 - 38</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">MONNIER Valentine : 7</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">MULLER Sandra : 3 - 4 - 5 - 6</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">NABOKOV Vladimir : 9 - 16 - 17 - 18 - 19</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">NIETZSCHE Friedrich : 20 - 43</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">PERRUCHOT Henri : 41</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">PIVOT Bernard : 38</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">PLENEL Edwy : 8 - 9 - 10</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">POLANSKI Roman : 6 - 7 - 8</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">POTTE-BONNEVILLE Mathieu : 14</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ROSENCZVEIG Jean-Pierre : 38</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ROYAL Ségolène : 35</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">RUGGIA Christophe : 8 - 9</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SABOURIN Pierre : 29 - 30 - 31</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SCHÉRER René : 16 - 17 - 18 - 26 - 37</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SINGLY de François : 23</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SPRINGORA Vanessa : 3 - 38 - 39</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SOLLERS Philippe : 36</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SORIANO Antoine : 27 - 29 - 30 - 31 - 32</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">STRAUS-KAHN Dominique : 9 - 10</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">STAZZAK Jean-François : 40</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">TURCHI Marine : 8</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:11pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">VEDRAGER Pierre : 38 - 39 - 40</span></p>
<br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
</strong><br class="Apple-interchange-newline" />POÉSIE ET RÉVOLUTION : Sur l'ouvrage POÉTIQUES RÉVOLUTIONNAIRES ET POÉSIE de Jacques GUIGOUurn:md5:28e9a12c4140458426233c3b2078564a2019-10-29T17:21:00+01:002019-10-30T17:15:38+01:00Max VincentEssais littéraires2019LittératurePoésie<br /><br /><br /> <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-e95c665c-7fff-19b9-89d9-0b4de7331f59"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-e95c665c-7fff-19b9-89d9-0b4de7331f59"><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">POÉSIE ET RÉVOLUTION</span></strong></p>
<strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-e95c665c-7fff-19b9-89d9-0b4de7331f59">
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:20pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">SUR L’OUVRAGE </span><span style="font-size:20pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">POÉTIQUES RÉVOLUTIONNAIRES ET POÉSIE </span><span style="font-size:20pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DE JACQUES GUIGOU</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Opération capable de changer le monde, l’activité poétique est révolutionnaire par nature.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Octavio Paz</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le problème le plus général est le conflit, méconnu même, entre la modernité et le contemporain. Où se jouent les confusions intéressées et entretenues sur la modernité : elles mêlent la modernité philosophique (des Lumières à Habermas) à la modernité au sens de Baudelaire ; et toutes deux mêlées, alors qu’elles sont incomparables, sont confondues avec la modernisation (technique, urbaine) ; le tout confondu à son tour avec le nouveau, ou avec le récent, ou avec la rupture, bref le contemporain, pris successivement ou ensemble pour tout cela.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Henri Meschonnic</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La poésie doit être faite par tous</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Lautréamont</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce texte devrait prendre place dans un ensemble, sans doute un abécédaire, traitant de de la poésie depuis différents aspects. Cependant, compte tenu de la nature de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poésie et révolution</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, une lecture critique de l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Jacques Guigou (publié dans la collection « Temps critiques » aux éditions de L’Harmattan) , le choix de le mettre préalablement en ligne sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> s’explique, principalement par le caractère d’autonomie de ce texte vis à vis de l’ensemble projeté, accessoirement par le souci de ne pas m’adresser qu’à des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">happy few </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(poètes et lecteurs de poésie : les seconds tendant de plus en plus à se confondre avec les premiers, en des temps bien déprimants pour la poésie (comme pour le reste)).</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Jacques Guigou appartient au collectif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et est co-fondateur de la revue du même nom. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poésie et révolution </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’entend pas commenter, discuter ou récuser les thèses défendues non sans constance par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">depuis de longues années</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sinon de manière très périphérique. D’ailleurs notre texte se retrouve dans la rubrique « essais littéraires » de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et non celle de « critique sociale ». Jacques Guigou indique dans la quatrième de couverture que son « livre n’est pas une critique littéraire ». C’est déjà, par la bande, une façon de lui répondre.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La première phrase de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">donne le ton. Jacques Guigou y écrit : « Au cours des révolutions modernes, des poètes se sont « mis au service » des divers pouvoirs révolutionnaires. De Chénier à Lamartine, de Pottier à Maïakovski, de Breton à D’Annunzio, de Senghor à Sénac, ils ont célébré les nouvelles puissances politiques issues des bouleversements historiques de la modernité, qu’elles soient triomphantes ou vaincues ». Dans cet inventaire à la Prévert nous pouvons grosso modo souscrire à ce propos en ce qui concerne Lamartine et le pouvoir issu de la Révolution de février 1848, Maïakovski et le bolchevisme, d’Annunzio et le fascisme, Sénac et le FLN,. Déjà moins avec Chénier (qui adhère davantage aux « idées » de 1789 qu’à un quelconque pouvoir révolutionnaire). Pour Pottier et la Commune l’expérience fut trop brève, et il parait difficile de mettre la Commune et les exemples précédents sur le même plan. Nous laissons à Guigou, pour Senghor, la responsabilité de qualifier de « pouvoir révolutionnaire », la SFIO, puis le Bloc Démocratique Sénégalais. Quant à Breton on se demande bien de quel pouvoir révolutionnaire il serait là question. On n’ose penser que l’auteur voudrait évoquer le PCF, ceci pour des raisons qui sont bien connues. Pareil amalgame, pour revenir à la liste, s’explique par la terminologie « mise en service » (« leur idéologie de service, écrit Guigou, les a tenus éloigné du devenir-autre de la poésie »). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour rester avec André Breton (puisque la liste proposée, comme nous le verrons, semble avoir été confectionnée pour y loger son seul nom), on ne rappellera jamais assez que l’intitulé de la seconde revue surréaliste, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le surréalisme au service de la révolution, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">renvoyait à l’idée, partagée par d’autres, de ce qu’entendaient les surréalistes par « révolution » en ce début des années 1930, et nullement à un pouvoir révolutionnaire à l’instar de ceux associés aux noms des poètes cités plus haut (du moins pour Lamartine, d’Annunzio, Maïakovski et Sénac). Il suffit de prendre connaissance des six numéros de la revue pour le vérifier. Avec le recul de presque un siècle, force est de constater que cet intitulé s’avérait discutable. D’après Jacqueline Leiner, la préfacière de la réédition de la revue, c’est Aragon « qui aurait imposé le titre de la revue ». D’ailleurs dans ses </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Entretiens, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Breton reconnaîtra que ce titre « à lui seul, marque une concession très appréciable sur le plan politique ». Il paraît curieux que Guigou ne cite pas pour étayer son point de vue (que je partage dans la mesure où nous serions confrontés à un « pouvoir révolutionnaire », les guillemets s’imposent) la ribambelle de poètes staliniens qui ont pour le pire illustrés ce qu’avec l’auteur nous appellerions dans ce cas non sans raison « l’idéologie de service de ces poètes ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pourtant, en exergue à son ouvrage, Jacques Guigou cite Marie Tsvetaeva (« Le thème de la Révolution est une commande du temps. Le thème de la glorification de la Révolution est une commande du Parti » : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le poète et le temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1932) et Pierre Reverdy (« Que le poète aille à la barricade, c’est bien - c’est mieux que bien - mais il ne peut aller à la barricade et chanter la barricade en même temps. Il faut qu’il chante avant et après » : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Circonstances de la poésie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1946). La première citation n’a pas besoin d’être commentée. Quant à la seconde, ces lignes extraites de « Circonstances de la poésie », texte écrit par Reverdy dans le contexte de la Libération, s’inscrivent en faux contre la « poésie de circonstance » qui faisait alors florès et se trouvait défendue par les intellectuels staliniens et leurs supplétifs. Il importe ici de préciser qu’il ne sera pas question de « poésie de circonstance » dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et les noms de Neruda, d’Aragon, d’Amado, ou du second Éluard, pour s’en tenir à ceux-ci, ne seront pas cités des pages de cet ouvrage. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Très rapidement, dès les premières pages de l’ouvrage, le lecteur réalise que l’auteur cible plus particulièrement ceux dont il dit en substance qu’ils ne font « que répéter l’ancienne antienne surréaliste ou situationniste selon laquelle « la révolution et la poésie sont une seule et même chose », une antienne toujours démentie par l’histoire de la poésie et par l’histoire des révolutions ». Une « thèse » que l’on retrouve avec d’autres mots dans la quatrième de couverture puisque « pour les poétiques qui s’inscrivent encore dans ces filiations néo-avant-gardistes, le poète devient un thérapeute social et culturel dont le poème sauvera le monde ». Ce qui est très exagéré. Pour Guigou il convient de séparer impérativement ce qui relève de l’écriture de la poésie d’un côté, de l’activité politique révolutionnaire de l’autre. Ou, pour le dire autrement, citons encore la quatrième de couverture indiquant que « depuis la fin des années 1960, Jacques Guigou mène, sans les confondre, des activités de politique et de poésie ». Ce qu’on ne lui reprochera pas. Pourtant on aurait aimé que l’auteur s’en explique, ou apporte davantage de précisions. Dans la mesure, surtout, où il convoque dans l’avant dernier chapitre deux poètes qui ont séparé « strictement poésie et révolution » sans que sa démonstration, comme on le verra, emporte notre conviction. C’est l’un des points aveugles de ce livre qui finalement dessert son auteur. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Venons en d’abord, pour aborder la partie la moins argumentée de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au surréalisme. Jacques Guigou, à la façon désinvolte de ces journalistes ou plumitifs qui pensent régler le compte du surréalisme en une ou deux phrases convenues, nous informe que le surréalisme « n’a plus de portée historique pour notre présent et notre devenir-autre », puis ajoute que « les impasses politico-poétiques du surréalisme ne soulèvent plus guère de controverses ». C’est très vite dit. Relevons que Guigou, auparavant, consacrait cependant quelques lignes au mouvement surréaliste. En s’appuyant sur Jules Monnerot qui, selon lui, avait démontré « la fonction mystificatrice des poétiques révolutionnaires avant gardistes » dans son ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La poésie moderne et le sacré </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(publié en 1945). Guigou écrit : « Monnerot compare le rapport des surréalistes à la révolution communiste avec celui des gnostiques aux églises chrétiennes de la première époque du surréalisme ». Sa démonstration en découle. Ainsi les surréalistes « se laissent aller à penser que la poésie communique avec la révolution, qu’au poète est permis ce que nul autre ne peut : la révolution sauvera la poésie que la société capitaliste met en péril (…) Une certaine pente surréaliste conduisait ainsi à rêver que la grâce révolutionnaire pourrait être obtenue (qui sait ?) par la pratique de la poésie ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Trois remarques. D’abord Guigou ne retient de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La poésie et le sacré </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que les passages qui viendraient confirmer son point de vue sur le surréalisme. Car l’ouvrage de Monnerot ne se réduit pas à ce que le lecteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est invité à retenir. Breton s’était exprimé sur cet essai, lors de sa parution, en des termes favorables. Bataille également (précisons que Monnerot, ancien surréaliste, avait participé vers la fin des années 1930 aux travaux du Collège de Sociologie), qui consacrait dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Combat </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un court article au livre de Monnerot se terminant par « le surréalisme a donné le premier quelque consistance à une « morale de la révolte », et que son apport le plus conséquent - conséquent même peut-être en politique - est de demeurer en matière de révolte une révolution ». Assurément Bataille et Guigou ne sont pas sur la même longueur d’onde. Il y a façon et façon de lire. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Auparavant, pour en venir à la seconde remarque, Jacques Guigou citait l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et la gnose </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’Yves Bonnefoy. pour prendre acte, à la suite de ce poète, « de la séparation absolue entre la poésie et la gnose » et donc, conséquemment, pour refuser les « séductions » de cette dernière. On voit déjà le lien avec le paragraphe Monnerot. Guigou souligne son total accord avec Bonnefoy affirmant que « le poème n’est pas la poésie » (je le rectifierais en disant que le poème n’est pas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nécessairement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la poésie). Ce qui lui permet de s’en prendre à tous les « poéthiciens qui subordonnent l’existence de la poésie au poème ». Mais les surréalistes n’ont jamais prétendu le contraire ! Ils ont même été des précurseurs en l’occurrence. Venons alors à la transition avec ce qui suit. Guigou ajoute que « Jules Monnerot a lui aussi montré la fonction mystificatrice des poétiques révolutionnaires avant gardistes ». On retranchera « lui aussi » parce qu’auparavant Bonnefoy ne disait rien de tel. Il paraît possible que Bonnefoy, autre ancien surréaliste, ait exprimé de manière certainement plus nuancée quelque chose d’équivalent dans l’un ou l’autre de ses ouvrages, mais en tout cas pas à travers les citations faites par Guigou de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La littérature et la gnose.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Enfin, troisième remarque, plus de fond celle-là : Jacques Guigou, dans son propos caricatural sur le surréalisme n’en retient que l’aspect « politique », ou encore appelé avant-gardiste. De ce point de vue-là le groupe surréaliste a évolué entre sa création en 1924 et sa dissolution quarante-cinq ans plus tard. Je passe sur tout ce qui par ailleurs constitue la spécificité, la richesse et la singularité du surréalisme, nous risquerions de sortir de notre sujet. Rappelons juste, pour ne pas le quitter, l’affirmation d’André Breton selon lequel « » Transformer le monde » a dit Marx. « Changer la vie » a dit Rimbaud. Ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un ». Je relève que Guigou, à qui nous ne ferons pas l’injure de penser qu’il l’ignore, ne le cite cependant pas dans son ouvrage. Nous sommes pourtant au coeur de la question que pose, sans toutefois la poser dans ces termes (et encore moins la commenter) </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il est vrai, mais j’anticipe, qu’il s’agit là pour notre auteur de vieilles lunes, puisque la seule révolution à l’ordre du jour serait celle du capital. Quant à « changer la vie », l’absence d’Arthur Rimbaud des pages du livre vaut pour réponse.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Si le surréalisme se trouve cavalièrement traité, et rapidement évacué, en revanche Jacques Guigou accorde plus d’attention à l’Internationale situationniste au sujet de laquelle il écrit, étrangement, que « la poétique situationniste rallie encore à sa cause divers cercles et individus qui veulent « poétiser la révolution » ou bien mettre la « révolution poétique » aux commandes des bouleversements de la vie quotidienne ». Quels sont ces « cercles et individus », plus loin appelés « suiveurs révolutionnaires », coupables ici en l’occurence de vouloir mettre leurs pas dans ceux des situationnistes, puisqu’ils se seraient ralliés à une « poétique situationniste » au sujet de laquelle nous attendons des explications ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais procédons dans l’ordre indiqué. Dans les cinquième chapitre (« Magie, performatif et dispositifs »), voire le sixième (« Prégnance du paradigme révolutionnariste »), Jacques Guigou se livre à une analyse critique de collectifs et d’individus intervenant sur le front de la « poétique ». Ces pages consacrées à la poésie/performance (« révolution du performatif »), ou à la poésie conçue comme dispositif (« dispositifs poétiques » à l’instar des « dispositifs urbains », « artistiques », « techniques », etc.), ou encore à la poésie de type combinatoire, ne soulèvent pas d’objections particulières. C’est vouloir généralement partager les analyses de l’auteur, non sans se demander pour chacune d’entre elles de quelle nature serait leur lien avec les situationnistes. Car dans le détail de ce qui est exposé cela n’a rien d’évident, bien au contraire. On croit comprendre plus en amont que cette triade performatif/dispositif/combinatoire, en raison de sa focalisation sur le langage, se situerait dans le prolongement d’un « basculement langagiste de l’I.S. ». Pour qui a lu les douze numéros de la revue, sans parler des livres de Debord et des autres situationnistes, cela interroge, sinon plus. J’y reviendrai un peu plus loin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Seconde question : qu’est ce donc que cette « poétique situationniste » ? Elle se trouve exprimée selon Guigou dans ce qu’il appelle « le texte-manifeste de la poétique révolutionnaire situationniste », à savoir l’article </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il s’agit certes d’un texte important, du numéro 8 de la revue daté de janvier 1963 (non signé mais écrit par Debord et Vaneigem). Cependant quand Guigou y évoque « un moment décisif pour la théorie situationniste : celui de la suppression de l’art et sa réalisation dans le bouleversement de la vie quotidienne », il a tort de l’associer à ce texte de 1963. Cela avait déjà eu lieu auparavant : les sept précédents numéros de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">I.S.</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. apportent la preuve d’une évolution en ce sens, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’en étant que l’une des conclusions. Même chose lorsque il parle d’un « nouveau positionnement de l’I.S. « qu’il attribue faussement au « rejet des oeuvres et des actions lettristes » : nous constatons que ce texte ne mentionne rien de tel, bien au contraire. D’ailleurs, dans le quatrième chapitre de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Jacques Guigou se réfère assez longuement à l’ouvrage de Vincent Kaufmann </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guy</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Debord, la révolution au service de la poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(qualifié de livre « honnête et bien documenté »), qui signale pourtant dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« le retour assez inattendu du terme « lettriste », symptomatique à la fois d’une continuité et d’une évolution ». Je partage l’intérêt de Guigou pour ce dernier ouvrage : son mérite étant, contre une certaine doxa, de replacer ou souligner la place de la poésie dans l’oeuvre et la vie de Guy Debord, ceci en continuité, plus qu’en rupture, avec Dada et le surréalisme, en dépit des polémiques des années 1950, voire de déclarations ultérieures. Ce dont le dernier Debord conviendra. Comme on pourrait s‘y attendre Guigou a d’abord retenu du livre de Kaufmann son sous-titre (« la révolution au service de la poésie ») au point d’en faire un « mot d’ordre situationniste ». Un prétendu « mot d’ordre » qui ne figure qu’en une seule occasion dans les douze numéros de l’ </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">I.S.</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">justement (ceci comme détournement, par les auteurs, du titre de la seconde revue du groupe surréaliste). On conclura temporairement avec cette soi-disant « poétique révolutionnaire » de l’I.S. » en mentionnant que cette expression ne figure pas dans le moindre texte situationniste. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Par méconnaissance, en partie disons, toutes ces pages sur les situationniste sont peu convaincantes. Citons un exemple, pour rester avec le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Guy Debord </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Vincent Kaufmann. Quand Jacques Guiguou écrit que son auteur mentionne « des analogies entre les thèses de l’I.S. dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en 1963 et celles du groupe Tel Quel dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Théorie d’ensemble </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de 1968 », il sollicite le texte de Kaufmann, qui il est vrai « suggère une proximité » mais « ne tente ici aucun rapprochement forcé ». D’ailleurs une note de bas de page de Kaufmann indique en quoi cette « proximité » se trouve traitée par anticipation de manière ironique. Ainsi dans l’une des photos illustrant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(légendée « L’Afrique et l’écriture ») « on y voit une automobile barbouillée de mots d’ordre favorables au FLN. Sous l’image un peut lire une citation de Roland Barthes tirée du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Degré zéro de l’écriture ». </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Kaufman la cite, puis ajoute : « Comme quoi un « argumentiste » comme Barthes est détournable. Il suffit de le faire revenir en légende d’une Opel rendue à la poésie par le FNL ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous sommes loin de la lecture faite dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: Guigou ne retient de cet extrait de l’ouvrage de Kaufmann que ce qui lui permet d’amalgamer à très bon compte l’I.S. et Tel Quel en affirmant que « ces deux groupes situent l’événement révolutionnaire et l’événement politique comme un seul et même moment : celui du bouleversement de la vie quotidienne, de l’avènement d’une vie libérée de l’information cette « poésie du pouvoir », le moment de la vie devenue « communication ». Il suffit de prendre connaissance, même a minima, de ce qu’ont écrit les uns et les autres pour vérifier que les lignes précédentes s’apparentent à une aimable plaisanterie. Guigou s’abstient aussi de préciser que Tel Quel, en 1968 précisément, soutenait le PCF. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Comme d’autres avant lui, Jacques Guigou s’en prend à la notion de détournement popularisée par les situationnistes. Il laisse entendre que plusieurs décennies plus tard le détournement situationniste aurait été récupéré. Ce mot n’est pas prononcé mais selon notre auteur cet « opérateur majeur de la subversion révolutionnaire » serait devenu « une des figures de la « révolution du capital » ». On conviendra qu’un usage fétichiste du détournement dans une époque de basses eaux le soit. Mais si le mot comme tant d’autres s’est déprécié, la chose n’en persiste pas moins, </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je suis passé rapidement plus haut sur le référent « dispositifs poétiques ». Guigou cite Christophe Hanna (et son ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nos dispositifs poétiques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Cet auteur se réfère dans son livre à « l’opération conduite en 1979 par Julien Blaine » consistant « à inciter des individus à s’installer (nus ou habillés) sur un socle de statue abandonné », avant de suivre différentes consignes. Guigou se montre évidemment sceptique sur la portée et les prétentions de ce type de « performances à visée artistico-poétique » qui, nous sommes d’accord, n’est pas sans évoquer sur le plan programmatique quelques unes des techniques publicitaires. Pourtant, dans ce registre « socle de statue », j’aimerais citer un autre exemple, dix ans plus tôt. Le 10 mars 1969, en fin de journée, la statue de Charles Fourier était remise place Clichy sur son socle. Il s’agissait d’une réplique en plâtre, mais finement bronzée, de la statue déboulonnée durant l’Occupation par les nazis. Une plaque gravée à la base de la statue désignait les auteurs de ce détournement : « En hommage à Charles Fourier, les barricadiers de la rue Gay Lussac ». Le surlendemain, trente gardiens de la paix, aidés d’une grue, étaient mis à contribution pour retirer la statue du socle. Ici ou ailleurs, dans ce registre, tout dépend de l’usage qui en est fait. Ce détournement situationniste faisait le lien entre la pensée de Charles Fourier et mai 68. Ceci de belle manière. Ajoutons qu’en 1960, suite à la proposition d’un conseiller municipal de Paris, René Thomas, exhortant le préfet de la Seine à faire disparaître le socle même où reposait jusqu’en 1942 la statue de Fourier, André Breton avait adressé une vigoureuse protestation à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Combat. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Elle fut reproduite mais amputée des lignes suivantes : « Ce M. René Thomas vit, en effet, en plein accord « avec son époque », celle qui livre Paris aux bandes fascistes sans que les partis de gauche aient envisagé la moindre contre-manifestation ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il existe au moins un point commun entre Jacques Guigou et Annie Le Brun : tous deux, depuis une argumentation différente, s’en sont pris à la notion de détournement situationniste (cette dernière dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Si rien avait une forme ce serait cela</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Dans un article publié en 2018 sur le blog de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« La beauté capitalisée »), Guigou y analyse « les forces et les faiblesses » de l’ouvrage qu’Annie Le Brun venait alors de publier, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce qui n’a pas de prix. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Indépendamment de ce qui relevait d’un « tableau convaincant de l’union de l’art contemporain et du Capital », Guigou souligne à juste titre les « sensibles tendances au catastrophisme » d’Annie Le Brun, mais en les mettant sur le compte de ses « référents surréalistes et situationnistes », alors que tout lecteur averti d’Annie Le Brun n’est pas sans savoir que cette tendance chez elle s’explique par son adhésion depuis presque vingt ans aux thèses du courant anti-industriel. Notre auteur semble ignorer qu’elle a pris des distances voire plus avec les situationnistes et Debord (qu’elle a bien connu). Ce qui n’est pas exactement le cas avec le surréalisme qui reste une référence toujours présente et vivante chez Annie Le Brun. Un surréalisme que l’on ne saurait en aucune mesure dissoudre dans le catastrophisme. Tout ceci, pourrait-on me répondre, nous éloigne de notre sujet. Pas tant que cela puisque cet article ne fait que confirmer ce que je relevais plus haut sur le traitement par Guigou du surréalisme. Par exemple, toujours dans cet article, soulignons la réaction presque outrée de l’auteur en regard d’une déclaration d’Annie Le Brun citant André Breton (« L’oeil existe à l’état sauvage » : pour Guigou il s’agit d’une « affirmation pour le moins péremptoire qui, éblouit par son idéalisme, frise la tautologie puisqu’on pourrait en dire autant des cinq sens de la main »). Il importe de préciser que cette phrase de Breton est la première de l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le surréalisme et la peinture. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce que mentionne Annie Le Brun dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce qui n’a pas de prix</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> mais que Guigou omet volontairement de rappeler dans son article (les phrases suivantes, dans le texte de Breton, remettant en perspective cet incipit). Sans s’attarder sur le commentaire rapporté ci-dessus, force est de constater que Jacques Guigou s’avère totalement étranger au surréalisme, mais qu’en plus il s’évertue à ne pas vouloir le comprendre en tenant ici un propos hors sujet. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avec les années 1960 et le structuralisme. Là encore Guigou procède par amalgame puisqu'il cite Althusser (désigné parmi les « ennemis théoriques et pratiques du Capital »), mais par ailleurs auteur d’une « lecture structuraliste du même Capital », pour ajouter sans craindre le raccourci que « pièce majeure de la modernisation du discours du capital, cette extension totalisante de la notion de langage à tous les rapports sociaux et humains constitue aussi le présupposé dominant des écrits lettristes puis situationnistes ». Je souligne </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">présupposé dominant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à l’attention de tous ceux qui auparavant n’y auraient vu que du feu ! Même si Guigou ensuite reconnaît que les situationnistes se sont montrés critiques envers le structuralisme, il retombe sur ses pieds en affirmant sans sourciller que cette critique « n’a pas non plus échappé à ce langagisme ». Ceci corroboré par l’évocation ensuite d’un « paradigme langagiste porté par l’I.S. à son acmé ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Qu’est ce donc que ce « langagisme » dont se trouvent accablés les situationnistes ? Un retour sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’impose puisque nous aurions dans ce texte l’ébauche d’une explication. On dira que Jacques Guigou</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">traite de la question du langage chez les situationnistes en des termes qui, usons d’une litote, ne rendent pas justice à ce qu’entendent-là les rédacteurs de l’article. C’est en quelque sorte « la surprise du chef » puisque l’argumentation qu’en tire Guigou, depuis un « basculement langagiste de l’I.S., ou encore un « paradigme langagiste porté par l’I.S. » va inspirer ce qui s’ensuivra : une argumentation reprise durant les décennies suivantes par tous ceux qui, à l’instar des situationnistes, mettent « la révolution au service de la poésie ». On avait lu tout et son contraire sur l’I.S. et ses « prétentions exorbitantes », mais pas qu’elle était implicitement à l’origine des « divers avatars contemporains des poétiques révolutionnaires ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je précise que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est l’un des rares articles de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">I.S </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui ait fait publiquement l’objet d’un commentaire de l’un de ses deux auteurs, puisqu’en 2006 l’édition des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Oeuvres complètes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Guy Debord reproduit une lettre que ce dernier avait adressé en 1964 à la revue anglaise </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tamesis, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">laquelle, sous la plume des professeurs Bolton et Lucas, traitait « par la spécialisation un texte qui précisément la rejette ». Ceci parce que Bolton et Lucas reprochaient à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">All the King’s men</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> de parler « au départ du problème du langage » et ensuite de s’en écarter « assez rapidement ». Jacques Guigou tombe lui dans le travers inverse puisqu’il se focalise sur le mot « langage » pour placer « la question du langage (…) au coeur de la poétique révolutionnaire situationniste ». Comme l’indique Debord dans sa réponse, « le problème du langage » est l’un, parmi tant d’autres, auxquels se confrontent les situationnistes à cette époque, problème traité du « seul point de vue où il est possible de comprendre le langage » : celui « de la totalité socio-culturelle ». D’aucuns donc se croient autorisés, en arguant d’une quelconque autorité linguistique, de traiter une question qui en substance les dépasse ; lorsque d’autres, à l’opposé, eu égard à la focalisation signalée plus haut, occupent la place du tiers dans le célèbre apologue chinois : « quand le sage montre la lune, etc. … ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le lecteur doit se demander pourquoi Jacques Guigou revient à plusieurs reprises sur ce qu’il appelle « le langagisme », de surcroit à travers l’exemple bien peu concluant des situationnistes. La réponse nous est donnée au début du troisième chapitre où l’auteur entend opposer « langage et parole ». C’est à dire « mettre en tension les deux pôles qui affectent toute création poétique : le pôle de la parole et la pôle du langage ». Une telle opposition se révèle autant factice qu’artificielle, sans fondement, arbitraire surtout. Guigou n’est pas sans savoir que cette manière d’opposer ainsi langage et parole susciterait pour le mieux de l’incompréhension. Il nous gratifie alors d’un tableau qui, selon lui, illustre ces « deux polarisations poétiques fondamentales », tout en prenant le soin d’indiquer que « ce tableau est schématique, excessif dans son dichotomisme abrupt car prises telles et absolutisées, ces oppositions duelles ne pourraient que déboucher sur de superficielles réductions idéalistes ». Ce dont on convient aisément. Que faire alors d’un tel tableau, à ce point inopérant ? « Il faut le dialectiser », nous répond-on. Sans préjuger ce qui suit, on dira (petit clin d’oeil aux situs) que la dialectique en question ne casse pas vraiment les briques. Il y a peut-être un aspect (la dixième et dernière opposition du tableau) qui peut à la rigueur être pris en considération : la parole étant « du côté de la voix, du son, du parlé, de l’oralité », et le langage « du côté de la lettre, du signe, de l’écrit, de l’imprimé, du textualisé ». A savoir pour la première cette tradition de « poésie orale », de poètes privilégiant le poème lu à haute voix, la déclamation. Je me souviens d’une discussion déjà ancienne avec Serge Pey (poète cité par Guigou sur le mode mi chèvre, mi chou) ou chacun exprimait grosso modo l’un et l’autre de ces points de vue. Il en ressortait que rien n’exclut rien. C’était là question d’écriture (déjà préalablement), de sensibilité, d’oreille, de rapport au corps, et de l’usage ensuite qui en était fait.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Par conséquent, revenons à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’exercice s’avère difficile. Jacques Guigou cite, en le soulignant, un propos de Paul Zumthor selon lequel la poésie « aspire (…) à s’épurer des contraintes sémantiques, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à sortir du</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">langage</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Ainsi, selon Guigou, « sortir du langage » serait « l’aspiration vers laquelle toutes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les poésies non littéraires </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(là c’est moi qui souligne) se sont depuis toujours orientées ». On aimerait savoir à quoi l’auteur se réfère sous le vocable « poésies non littéraires ». Des poèmes n’ayant pas fait l’objet d’une publication ? Non, Guigou n’en cite aucun. Quoi alors? Non sans ironie, ce qui s’en rapprocherait le plus ne doit-il pas être associé à Dada, voire au surréalisme ? Curieusement Jacques Guigou appelle Jean-Paul Sartre à la rescousse. Sartre qui s’est comme on le sait trompé sur le plan politique (ce dont Guigou conviendrait), ne s’est pas moins trompé sur le plan littéraire dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’est ce que la littérature ? </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sauf que Guigou a trouvé dans cet ouvrage deux trois phrases qui viennent confirmer son propos, en particulier « Les poètes sont des hommes qui refusent d’utiliser le langage » car pour les poètes les mots « restent à l’état sauvage (…) Ce sont des choses naturelles qui croissent naturellement sur la terre comme l’herbe et les arbres ». On ne commentera pas ce propos de Sartre qui ne comprenait pas grand chose à la poésie comme en témoigne, pour ne citer qu’un seul exemple, son consternant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Baudelaire. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour ne pas quitter la « question du langage », Jacques Guigou cite plusieurs fois Henri Maschonnic en des termes positifs, et en particulier l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Célébration de la poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(avec juste une restriction sur le terrain politique) sans apparemment s’apercevoir que Maschonnic dans ce livre précise « que le langage est toujours parole ». Ce linguiste insistant même plus loin sur le fait que « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toute </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">poésie a </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toujours </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">été fondée sur le langage ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> N’ayant pas lu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Crise de mots </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Daniel Blanchard, livre auquel Guigou consacre trois pages en partie critiques, j’en resterai là. Par contre, depuis une ébauche de réflexion sur les rapports entre poésie et magie (tançant ceux qui prétendent qu’elles « sont encore aujourd’hui une seule et même chose »), Guigou en vient à signaler un texte de Jacques Camatte (extrait de la série 4 d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Invariance, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1968) sur les relations entre poésie et magie. Mais ce qui nous importe ici c’est ce qu’écrit Camatte. Après avoir précisé que les poètes, « au fil des ans, se sécularisèrent en opérant de plus en plus à l’aide d’une technique, en se plaçant de plus en plus au service des classes dominantes », il ajoute : « Au cours de ces dernières années, on assiste à une industrialisation de la poésie, comme on peut le percevoir avec R. Queneau, par exemple, et le triomphe d’une combinatoire, qui a été préparée par le dadaïsme, le surréalisme, le lettrisme, l’Oulipo, etc. ». Jacques Guigou qui n’est pas sans reconnaitre le « schématisme » de ce « tableau historique », préfère pourtant évoquer dans la même phrase, en nous laissant sur notre faim, « une dégénérescence de la poésie par rapport à la magie » qui « incite à commentaire ». D’où des commentaires sur lesquels je ne me prononcerai pas débouchant sur l’hypothèse d’une « antériorité de la poésie sur la magie ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons, de préférence, sur la longue citation de Camatte que malgré tout Guigou avalise. D’abord on aimerait bien savoir en quoi, pourquoi et comment « les poètes » se sont mis « de plus en plus au service des classes dominantes ». Et puis la terminologie « industrialisation de la poésie » associée à Queneau (ce qui est pour le moins saugrenu) doit certainement s’appliquer à l’Oulipo. L’ouvroir fondé par Queneau et Le Lionnais n’échappe certes pas à la critique mais le réduire à une « industrialisation de la poésie » témoigne d’une méconnaissance des recherches de l’Oulipo. Cela aurait peut-être diverti Pérec. Pour le reste, plus essentiel, je n’ai pas eu le courage de me plonger dans les oeuvres complètes de Jacques Camatte pour y trouver un semblant d’étayage à ce tableau historique infondé. Ce qu’écrit Camatte apporte le témoignage de la cécité d’une certaine ultra-gauche généralement partie en guerre contre une certaine idée de la modernité. On distinguera deux conceptions de la modernité. La première, qui fait remonter cette dernière aux Lumières, vient de la philosophie mais se trouve plus conséquemment reprise dans le champ des sciences politiques. Une toute autre conception de la modernité, imputable à Baudelaire, l’avait précédée. Elle se rapporte plus précisément aux arts et aux lettres : Benjamin, Adorno, ou plus récemment Jameson l’ont illustrée à des nuances près. Cette conception-là, soulignons le, ne se confond pas comme la précédente avec un processus de modernisation. Rabattre celle-ci sur celle-là n’est pas sans produire des effets délétères, voire burlesque quand des diafiorus à la mode d’aujourd’hui nous expliquent doctement qu’on ne peut appréhender et comprendre le dadaïsme, le surréalisme, le lettrisme, et tutti quanti qu’à travers le processus de modernisation du capital. Camatte, assurément, paraît étranger aux principaux enjeux poétiques du XXe siècle (lesquels sont en grande partie redevables à Lautréamont, Rimbaud et Mallarmé). Je parlais plus haut de cécité : les présupposés théoriques de Camatte le condamnent à utiliser une grille de lecture qui, dans ce cas d’espèce, se révèle inopérante. Comme aurait pu le dire un célèbre auteur barbu du XIXe siècle : ce qui manque à tous ces messieurs, c’est la révolte. Citons comme contre-exemple ce qu’écrit Gunther Anders, à qui l’on fait davantage confiance sur ce genre de question, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’obsolescence de l’homme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(les poètes auxquels se réfère Anders étant Apollinaire et ses contemporains)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Ce n’est évidemment pas un hasard si ces poètes sont apparus au moment historique précis où les techniques de distraction (les magazines, entre autres) commençaient à se répandre à l’échelle des masses. Mais les poètes tentaient désespérément de réunir ce qui était dispersé, quand l’objectif des techniques de distraction et des appareils de divertissement consistait, à l’inverse, à produire ou à favoriser la dispersion ».</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il existe au moins deux poètes, appelés « poètes communistes conséquents » par Jacques Guigou, qui aux yeux de l’auteur « séparent strictement poésie et révolution ». Pour Guigou : « que des poètes se soient arrêtés d’écrire de la poésie quand ils militaient ou pour commencer à militer semble impensable pour les adeptes des poétiques révolutionnaires ». Impensable, vraiment ? Et puis le verbe « militer » réduit sensiblement le contingent des poètes en question, dès lors que Guigou entend dans son livre ignorer comme on le sait les poètes staliniens. Du premier de ces poètes, George Oppen, Guigou nous dit qu’il « dissociait fortement sa pratique de la poésie et son engagement au Parti Communiste américain ». A savoir, ajoute-t-il, « une séparation stricte, absolue, puisque pendant les vingt-cinq ans où il militait, il a cessé toute écriture de poésie ». Le préfacier de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poésie complète </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de George Oppen, que cite largement Guigou, précise pourtant : « On ne sait même pas à quelle époque au juste il a quitté le parti ». Il semblerait qu’Oppen, inscrit au Parti Communiste Américain en 1935, ait pris de la distance avec lui vers la fin des années 1930. Il l’avait très certainement quitté lorsqu’il s’est engagé dans l’armée américaine en 1941. Quand Oppen fut inquiété comme tant d’autres à l’époque du maccartisme il le fut en tant que sympathisant communiste (ou supposé encore tel). L’insistance de Guigou à quelque peu travestir cette réalité s’explique par l’addition 1935 + 25 = 1960. C’est à dire la date à laquelle Oppen s’est remis à écrire. Pour accréditer une séparation « stricte, absolue » et véritablement conséquente il fallait bien réécrire la biographie d’Oppen en la dotant de ces 25 ans de militantisme.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quant à l’autre « poète conséquent », Giorgio Cesarano, ce choix se révèle non moins problématique pour de toutes autres raisons. D’ailleurs Cesarano, dont très peu de lecteurs de poésie connaissent le nom, est aujourd’hui davantage connu en France, même très relativement, par ses écrits théoriques, de nature philosophique, que par sa poésie et son théâtre. Jacques Guigou lui consacre huit pages (où il s’abstient de préciser que Cesarano était proche de Camatte). C’est dire toute l’importance qu’il lui accorde. Dans l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Romanzi naturali </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(non traduit en français), figure l’appendice « Introduzione a un commiato » (1974) où « Cesarano déclare rejeter le titre de poète afin de consacrer toutes ses forces à la critique radicale ». Un texte donc écrit plusieurs années après l’abandon par son auteur de l’écriture poétique, dans lequel Cesanaro pour Guigou « confirme ici sa confiance dans la voie nouvelle qu’il s’est tracée, sa conviction dans la puissance de l’activité politique critique, à la fois pratique et théorique ; d’où la référence à ses deux derniers livres comme preuve du combat de la parole contre la langue. Seule la révolution est parole humaine, le langage n’est que prose de la survie, voire discours d’apocalypse ». Voilà qui nous renvoie à l’un des chapitres précédents de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(à travers l’opposition parole / langage), sauf que cette polarisation ne concerne plus stricto sensu la poésie : elle se rapporterait maintenant à « l’activité politique critique ». S’il est précisé que la parole se situe du côté de la révolution nous avons plus de difficulté en ce qui concerne le langage : serait-il contre-révolutionnaire ? On a comme l’impression que l’histoire se répète, un avatar chassant l’autre. Plus loin, de manière davantage convaincante, Guigou aborde l’abandon de la poésie par Cesarano en portant l’interrogation sur le processus d’individualisation qu’elle impliquerait : « Parce qu’elle l’enferme dans un rôle de « poète » qui le sépare des autres êtres vivants ? ». D’où, pour s’en abstraire, ne convient-il pas de privilégier la « critique révolutionnaire » afin d’affirmer « son être communautaire, son individualité Gemeinwesen ». Faute de pouvoir lire l’italien (Guigou se réfère toujours à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Romanzi naturali</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), j’en prends acte sans aller plus loin.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plus haut Jacques Guigou indiquait qu’un autre livre de Giorgio Cesarano, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Manuale di sopravvivenza </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(il y ajoutait les premiers écrits d’un projet de « critique de l’utopie capital ») « constitue l’expression de la critique la plus radicale des aliénations de la société capitaliste de cette époque ». Voilà de quoi nous inciter à venir le vérifier puisque cet ouvrage vient d’être traduit en français sous le titre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Manuel de survie. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette lecture, si prometteuse, s’est révélée en fait bien éprouvante. J’ai d’ailleurs dû l’abandonner à la page 187. La phrase suivante ayant été la goutte d’eau propre à faire déborder le vase : « D’un côté la survie transcrue par la perception cénesthésique, de l’autre l’anticipation purement symbolique d’une cohérence en procès vécue seulement comme désir malheureux et comme métaphore mythique, la « psyché » est le reflet intériorisé de l’état où, dans son mouvement vers la totalité du monde émancipé de l’aliénation naturelle, verse tout « quantum » social, toute « communauté humaine » telle qu’elle est dans le présent : c’est à dire prisonnière du sens fictif matérialisé dans ses modes de se produire ». On croirait lire du Heidegger (qui serait l’une des nombreuses références de Cesarano, au même titre que Lacan, Camatte, et d’autres). Je ne crois pas qu’il faille incriminer la traduction ; celle ci, datant de 1981, ayant été « relue et modifiée en de nombreux points » par les éditeurs de La Tempête. Sinon, pour en terminer avec Cesanaro, je mentionnerai la phase suivante, toujours extraite du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Manuel de survie,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> lisible celle-là (« Face à la dictature d’une </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">langue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sans cesse plus armée contre le sens vivant, l’art n’a rien trouvé de mieux que d’apprêter en show le suicide de la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">parole</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » : les mots soulignés sont en français dans le texte d’origine), pour confirmer si besoin était l’origine de cette « parole versus langage » illustrée dans de nombreuses pages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le dernier chapitre de l’ouvrage s’intitule « Salut à quelques poétiques non sotériologiques ». A l’entrée « sotériologie » le Petit Robert indique : Doctrine de salut par un rédempteur » ; et Wikipédia : « Étude des différentes doctrines religieuses du salut de l’âme. Les théories du salut occupent une place importante dans de nombreuses religions ». Dans ce chapitre donc Jacques Guigou entend saluer « des poétiques et des poèmes étrangers à toute sotériologie ». Cependant ceux-ci se trouvent réduits à deux seules unités, dont la seconde, avouons-le, n’était pas connue de nos services. Octavio Paz, qui pour Guigou n’est pas exempt de tout reproche sotériologique, a néanmoins pris « acte de cette illusion que serait « la conversion de la société en communauté et celle du poème en poésie pratique » ». Il ne cite ici que ce qui chez Paz viendrait confirmer ce qu’il tente de démontrer, car dans d’autres pages, plus nombreuses, le propos de Paz l’infirmerait, y compris dans l’ouvrage cité par Guigou, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’arc et la lyre, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">où le poète mexicain écrit par exemple que « l’activité poétique est révolutionnaire par nature ». L’on ne saurait aussi oublier le compagnonnage d’Octavio Paz avec les surréalistes, et son amitié avec Benjamin Péret (qui, d’après la grille de lecture qui nous est proposée, et dans la logique de tout ce qui vient d’être dit serait lui un poète sotériologique !!!).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans ce registre « non sotériologique », Guigou convoquait plus haut René Ménard et son livre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La condition poétique, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lequel « nous met non seulement en garde contre les pièges du « poétique » (…) mais aussi envers toute illusion salvatrice «. D’après Ménard « la vraie poésie ne console de rien », puis Guigou souligne la « justesse » du constat suivant : « Deux sortes de poètes sans avenir : ceux qui se réclament d’un paradis perdu, ceux qui promettent un âge d’or ». Je veux bien croire que René Ménard qui, lors de la publication de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La condition poétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1951), occupait depuis de longues années le poste de Directeur général de l’Office technique pour l’utilisation de l’acier, nous fasse part de ses fortes réticences envers ceux qui, parmi les poètes, « promettent un âge d’or ». C’est dirions nous dans l’ordre des choses. Jacques Guigou a beau conclure que « le présupposé sotériologique (…) implique la nécessaire fusion du poème et de sa poétique », par conséquent que « persévérer dans cette antienne c’est rester dépendant de la poétique (…) comme sphère séparée du poème, surplombant le poème et le légitimant comme tel », nous avons comme l’impression, à lire ce qui précède sur Paz, Ménard, et les autres que cette conclusion tient pour le mieux de la pièce rapportée.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> De quelle manière la poésie, par l’auteur incriminée, aurait-elle ainsi cédé au « présupposé sotériologique » (ou prétendu tel) ? Plus haut, dans le même chapitre, Guigou l’explique par l’existence du mot d’ordre : « La poésie et la révolution sont une seule et même chose ». Qui le dit ? Nous n’en saurons rien. Sinon que Guigou l’associe à « la profession de foi « Je suis la révolution » ». Il s’agit d’une phrase de Maurice Blanchot datant de 1968, déjà citée dans le premier chapitre, que Guigou decontextualise soixante-quinze pages plus loin pour en faire une « profession de foi ». Ensuite, conséquemment, ces « poétiques révolutionnaires » qui relèvent d’un « présupposé essentiellement religieux » (sic) n’en finissent pas de réciter « leur mantra » : « La poésie sauvera le monde ». Là au moins Guigou se réfère à un exemple indiscutable, cité dans un chapitre précédent, celui de Jean-Pierre Siméon, auteur de l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La poésie sauvera le monde. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La moisson semble cependant bien maigre : la montagne en définitive n’accouche-t-elle pas d’une souris ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Voilà pour la poétique. Intéressons nous maintenant à la révolution. Il faut revenir en arrière (le chapitre VI, intitulé « Prégnance du paradigme révolutionnaire » pour nous confronter au sujet. Jacques Guigou s’appuie sur Jacques Camatte pour qui « le cycle historique des révolutions conduites par une classe sociale est achevé ». D’ailleurs Camatte (dans un texte de 1989, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Émergence et dissolution</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) écrit étrangement : « Le procès révolution est terminé. La dernière révolution, celle qui devait clore le cycle et se produire dans les années 75-78 n’a pas eu lieu ». L’oracle a parlé. Plus loin Guigou indique que « la révolution communiste visé par Bordiga et par d’autres a échoué ». D’où la question posée par notre auteur : « mais de quelle révolution s’agit-il désormais, si elle n’est pas prolétarienne ? ». A nous de demander, quand donc l’oracle Camatte situe-t-il précisément la fin de ce qu’il appelle « le procès révolution » : en 75-78 ou auparavant (et dans ce cas avant ou après 1968) ? A lire Guigou, pour qui « Mai 68 peut être vu comme un vaste élan des individualités vers la communauté humaine », la cause était déjà entendue, alors ? A vrai dire, le propos maintes fois réitéré par Jacques Guigou de « révolution du capital », sous différentes variantes, depuis « la société de l’information et de la communication que le capital impulse à partir des années 1970 », ou « les injonctions et les modes de vie que dicte la société capitalisée », ou « c’est le capital qui a révolutionné tous les rapports sociaux », ou « la société capitalisée contemporaine », ou « la globalisation totalisante du capital », ou « la globalisation, une forme monde de la capitalisation des individus et de l’espèce humaine », ou « ces subjectivités combinées, dans lesquelles la dynamique du capital les place », ou encore « la religion du capital », nous renseignent davantage sur les thèses défendues, non sans constance, par le collectif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">depuis de longues années qu’elles ne nous permettent de répondre aux questions posées précédemment. Si la seule révolution devient celle du capital, toute autre révolution, prolétarienne, sociale, ou que sais-je, n’a plus de raison d’être. A ce compte pourquoi s’évertuer à vouloir encore parler de « poétiques révolutionnaires » puisque toute poétique se trouve frappée de vacuité, et que la révolution appartient à un passé révolu ? C’est, sans entrer dans les détails, la conclusion du rédacteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chroniques critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(l’article « poésie et révolution ») qui écrit que « dans son livre Jacques Guigou dresse un constat qui devient fataliste. Il semble également abandonner toute perspective révolutionnaire. La « société capitalisée » s’apparente à un rouleau compresseur qui écrase tout sur son passage. Les individus semblent entièrement soumis à la logique marchande et plus aucune contestation ne peut émerger ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un autre article, Frédéric Thomas, sur le blog </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dissidences, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">écrit pertinemment que « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">développe une double dichotomie parole / langage, séparée ou au service de la révolution, qui est par trop figée, usant de manière trop cavalière d’exemples pliés à sa démonstration, et qui, surtout, n’envisagent pas les correspondances (possibles) entre poésie et révolution, correspondances dégagées de toute « mise en service », et qui supposent, en retour, une double redéfinition, moins sentencieuse, de la révolution comme de la poésie. Soit des poèmes qui gardent la trace de la déchirure, et l’indice de ces affinités pour les appréhender conjointement. Car les poètes n’ont pas d’abord, ou même prioritairement, à aller à la barricade pour reprendre le mot de Reverdy, mais à aller à la parole ou s’élèvent aussi des barricades ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce sont les présupposés théoriques de Jacques Guigou qui expliquent que son livre manque en grande partie sa cible. C’est plus particulièrement sensible avec son analyse tronquée de l’Internationale situationniste (réduite à un article de 1963 de la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">I.S. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et à l’ouvrage de Vincent Kaufmann sur Guy Debord), et plus encore avec le surréalisme (il paraît totalement incongru de laisser au seul Jules Monnerot le soin de commenter le mouvement surréaliste). Dans ce registre polémique donc, mais également quand Guigou s’en extrait pour prendre comme contre-exemples « deux poètes communistes conséquents ». Ajoutons que le lecteur se demande, depuis des exemples choisis, plus haut mentionnés dans notre texte, si Guigou ignore des éléments qui, rapportés, tendraient à infirmer son point de vue, ou si, les connaissant, il les ignore sciemment. La lecture de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> s’en ressent assurément. Même lorsque Guigou quitte cette tonalité politique pour aborder la question proprement dite de la « création poétique », sa volonté de séparer catégoriquement et arbitrairement parole et langage en décrétant comme un vulgaire Sartre que « le poète refuse le langage » n’est pas convaincante, pour rester mesuré.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En des temps de reflux inaugurés par les sinistres années 1980, des commentateurs de tous bords n’en finissent pas de dénombrer les « erreurs » commises durant le XXe siècle par ceux qui, nous dit-on, se trompèrent puisque l’Histoire n’aurait pas confirmé les théories, ni vérifié leurs jugement. Entres autres exemples, un tel s’en prendra à travers la notion d’écriture automatique aux surréalistes ; tel autre déclarera nul et non avenu le constat de « dépassement de l’art » énoncé par les situationnistes au début des années 1960 ; tel autre encore, pour élargir le cadre, dénoncera le sort fait par Adorno à Stravinski dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Philosophie de la nouvelle musique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">; etc., etc. Mais il fallait, pour en finir avec une certaine idée de la littérature, ceci dans le prolongement de la célèbre phrase de Lautréamont (« la poésie doit être faite par tous »), le démontrer par la pratique de l’écriture automatique ; mais il fallait également signer l’acte de décès des différentes disciplines artistiques pour ne pas rester en deçà de cette exigence : que l’art un jour puisse se fondre dans la vie ; mais il fallait, encore, contre la « restauration » qu’incarnait Stravinski et le néoclassicisme, lui opposer la modernité émancipatrice de Schoenberg et de l’École de Vienne. Même si, comme l’écrivait déjà André Breton en 1934, « l’histoire de l’écriture automatique est celle d’une longue infortune », et qu’aujourd’hui cette « pratique » ait fait long feu (le mot, pas la chose) ; même si, en corrigeant le constat des situationnistes, on reconnaîtra que l’art a plutôt perdu son caractère d’évidence ; même si Stravinski, après la mort de Schoenberg, s’émancipera de l’écriture tonale, et qu’ainsi la thèse d’Adorno doit être relativisée (ce dont ce dernier conviendra) ; même si ici ou là la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lettre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">porte à discussion, l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">esprit, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en revanche doit toujours être invoqué puisqu’il continue d’insuffler et d’impulser toute activité artistique, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">critique, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">digne de ce nom, le reste relevant du bavardage culturel, d’un divertissement haut de gamme, ou de la pensée servile. Et quant à ces « erreurs » que d’aucuns ne cessent de relever, j’aimerais répondre comme le fit Dimitri Chostakovitch à Sofia Gubaïdulina, dont l’anticonformisme musical était blâmé par les apparatchiks de la musique soviétique qui demandaient à la jeune compositrice de s’amender : « Je vous souhaite de progresser le long de votre chemin d’erreurs ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons, pour conclure, aux sources d’une histoire que l’on peut faire remonter à la Révolution française, mais en se tournant cette fois-ci de l’autre côté du Rhin. Cette révolution enthousiasme Friedrich Hölderlin qui écrit en novembre 1794 à son ami Neuffer : « S’il le faut nous briserons nos malheureuses lyres, nous </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ferons </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ce que les artistes n’ont fait que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">rêver</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». Il y a comme une filiation, qui depuis Hölderlin passerait par Büchner au XIXe siècle et Celan au siècle suivant (pour se limiter à ces deux noms). On ne sait pas toujours que Paul Celan disait avoir « grandi avec les écrits de Kropotkine et de Gustav Landauer », et qu’il resta fidèle aux idéaux de sa jeunesse en déclarant en 1967 qu’il « n’avait jamais abandonné l’espoir d’une transformation, d’un tournant, qui ne pouvait se traduire que par une « révolution » (…) à la fois sociale et antiautoritaire » (d’ailleurs, comme le mentionne son biographe John Felstiner, Celan participa l’année suivante « avec un certain enthousiasme aux démonstrations de mai 68 dans les rues du Quartier Latin (…) en chantant l’Internationale en français, en russe et en yiddish »). Une autre filiation, ici plus décisive, a déjà été évoquée, ou plutôt suggérée : celle qui remonte à Rimbaud et Lautréamont, voire Mallarmé et ensuite Apollinaire, et à laquelle se rattache le surréalisme (et dans une moindre mesure le Grand Jeu et divers autres collectifs). Depuis plus de deux siècles, mais principalement durant le XXe siècle poésie et révolution n’ont cessé de se croiser, de s’entrecroiser, de correspondre. Les poètes qui, de notre point de vue (et en dotant l’expression suivante de forts guillemets), « se sont mis au service de la révolution », obéissaient en réalité aux consignes de partis qui n’avaient plus rien de révolutionnaires (à condition qu’ils l’aient un jour été). C’est la principale ligne de fracture qu’il convient de retenir. Pour le reste, l’essentiel, il nous faudrait prolonger cette discussion sur la poésie d’un côté, la révolution de l’autre, pour illustrer ces croisements, entrecroisements, ou mises en relation signalés plus haut. Disons seulement que ni l’une (la poésie), ni l’autre (la révolution) ne se portent particulièrement bien en ce début de XXIe siècle. Pour des raisons certes différentes, mais qui parfois se recoupent. On en restera là. Les exposer, ou tenter de le faire, nous ferait sortir définitivement de notre sujet, cette lecture critique de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poétiques révolutionnaires et poésie.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">octobre 2019</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<br /></strong>Défense du cinéma de Hanekeurn:md5:f01605c13dad17bfb029dd75bfbd09462019-09-01T16:25:00+02:002019-09-01T16:25:00+02:00Max VincentCinéma2019Cinéma <strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-cec83b26-7fff-6ef9-9118-3adc1b395331"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: center;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:27.999999999999996pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DÉFENSE DU CINÉMA DE MICHAEL HANEKE COMME ANTIDOTE À L’ALIÉNATION DU SPECTATEUR DANS LE MONDE ET LE CINÉMA CONTEMPORAINS</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le cinéma de Michael Haneke est depuis une vingtaine d’années l’un des plus controversés, sinon plus par une partie de la critique cinématographique. Encore faut-il distinguer parmi ces critiques l’explicite, auquel il sera répondu en général et dans le détail (d’un film à l’autre). Et l’implicite. Dans ce registre on dira que le cinéma d’Haneke remet en cause celui, dominant, du modèle américain ou de ceux qui à travers le monde s’en inspirent (ou en reprennent la facture et les recettes), voire en amont le cinéma hollywoodien ou tout cinéma dit « de genre » (appellation de moins en moins contrôlée en raison de la prolifération des genres, la mention d’un « cinéma social » en étant la dernière illustration). Cela relèverait donc d’un crime de « lèse cinéma » qui ne doit pas resté impuni. D’où cette hostilité envers Haneke depuis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et qui n’a cessé depuis de perdurer</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Elle paraît autant alimentée par des propos tenus par Haneke (à travers les nombreux entretiens accordés ici et là par le cinéaste : du moins ceux sur lesquels s’est focalisé cette même critique) que par ses films mêmes. C’est évidemment plus commode d’isoler un propos d’Haneke pour renchérir sur maints aspects jugés insupportables de son cinéma. A ce titre, citons quelques uns des qualificatifs que lui adressent ses détracteurs : « moralisateur », « professoral », « démonstratif », « pervers », « ennuyeux », « obsessionnel », « rabat-joie », et j’en passe. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant, principal reproche, Haneke serait un « manipulateur » : on l’accuse ici de vouloir « manipuler le spectateur ». Ce qui prête à sourire s’agissant du cinéma. Pour tenter de l’expliquer ajoutons que cette même critique ne retient ici des propos d’Haneke que la lettre, ou plutôt une partie de la lettre. Citons l’exemple d’un entretien de Michael Haneke avec Sarah Chiche dans lequel le cinéaste déclare : « J’essaie de manipuler le spectateur pour qu’il se rende compte qu’il est manipulé et l’amener à plus d’indépendance d’esprit. C’est exactement le contraire de ce que fait un film de propagande. Et beaucoup de films de « divertissement » ne sont rien d’autre que des films de propagande. Un grand nombre de films américains, sous couvert d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entertainment, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sont des films de propagande politique ». Ce propos, à condition de le citer en entier, est parfaitement clair. Je le partage entièrement. On comprend bien les réticences ou l’hostilité d’une certaine critique devant pareille déclaration. Et l’utilisation qui peut être faite dans le cas présent d’un membre de phrase. Le malentendu, pour parler euphémiquement, tient à l’emploi du verbe « manipuler ». Il s’avère ici mal choisi. Je dirai plus loin en quoi, contrairement à ce que prétendent les détracteurs du cinéaste, Haneke s’adresse à l’intelligence du spectateur. Nous aurons l’occasion de le vérifier à travers des exemples concrets, tirés de ses films.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une dimension, partie prenante de cette controverse, n’a pas été encore évoquée. Je la tient pour négligeable tout en reconnaissant qu’elle ne l’est nullement pour les professionnels de la profession. Là le reproche concerne moins le cinéma d’Haneke à proprement parler que sa réception critique, publique et institutionnelle. Deux films, successivement présentés par Haneke au Festival de Cannes dans la section officielle (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Ruban blanc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en 2009, et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en 2012), ont tous deux reçus la palme d’or. Ce qui n’a pas été sans interférer défavorablement sur la réception critique du second de ces films (du moins dans les rangs des critiques réservés, pour ne pas dire plus envers le cinéma d’Haneke). Indiquons, pour dire un mot sur les festivals en général, que la focalisation des médias sur pareil événement n’a principalement d’importance qu’en fonction des retombées économiques que ces différents marchés génèrent. Ce qui n’est pas incompatible avec la volonté des responsables de ces festivals de promouvoir le cas échéant des films provenant de pays n’étant pas en mesure de lutter à arme égale dans un marché mondial très largement dominé par les productions américaines (et dans une moindre mesure les pays véritablement dotés d’une industrie cinématographique). Cela contribuant à rectifier un tant soit peu la tendance dominante du marché. Donc, pour résumer, si l’essentiel à Cannes pour les professionnels se passe en off, le public lui, à l’instar de la critique, ne retient que le côté promotionnel de l’événement. Et plus encore l’aspect compétitif de la sélection officielle. L’attribution de prix à Cannes, Venise et Berlin n’a d’importance, répétons-le, que pour ceux qui veulent bien la lui accorder. Il s’agit de vitrines indispensables à la bonne santé du cinéma, diront certains. Sans aller jusqu’à dire que ces compétitions relèvent de la loterie, différents facteurs (la personnalité du président du jury, les habituels marchandages, les dosages subtils pour obtenir un palmarès « équilibré », des préoccupations plus politiques et humanitaires que cinématographiques, la mise à l’écart des films les plus « dérangeants », etc.) contribuent à l’établissement de palmarès parfois insolites. Pour rester à Cannes et avec la palme d’or rares sont les années ou le jury couronne « le meilleur film » de la compétition. Il suffit de consulter le palmarès depuis 1950 pour constater que mains films « majeurs » des 70 dernières années n’ont obtenu que des lots de consolation, ou sont revenus bredouilles. Alors que mains films « mineurs », médiocres, ou aujourd’hui totalement oubliés se sont trouvés couronnés. Il arrive cependant, rarement, que cette palme d’or soit justifiée. Citons, dans l’ordre (en rajoutant à cette liste les deux films d’Haneke) : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Viridiana, Le guépard, Les parapluies de Cherbourg, L’homme de fer, Paris Texas, La vie d’Adèle. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est peu en regard des 68 palmarès rendus depuis 1950 (à l’exception de 1968 où nul prix ne fut attribué). Plusieurs cinéastes considérés « majeurs » par l’auteur de ces lignes ont concouru plusieurs fois à Cannes ou Venise ou Berlin sans rien obtenir. Je viens d’en donner les raisons, les huit exceptions citées confirmant la règle. Il y aurait beaucoup à dire sur l’ambiguité d’un art (le septième) qui est même temps la principale des industries culturelles à l’échelle mondiale. Il semble préférable d’en rester là avec cette digression cannoise.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce court essai sur Michael Haneke ne traite que de la production dite cinématographique du cinéaste alors qu’Haneke, auparavant, avait réalisé plusieurs films de fiction pour la télévision autrichienne. Ceci parce que ces « téléfilms », pour des questions de droit, ne sont pas en mesure d’être diffusés sur les écrans français ou d’ailleurs. Les seules projections « autorisées » l’étant dans le cadre de festivals ou de rétrospectives consacrées au cinéaste autrichien. Ce qui parait regrettable puisque lors de ses entretiens avec Michel Cieutat et Philippe Rouyer (recueillis dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Haneke par Haneke</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), le cinéaste et ses interviewers s’y réfèrent assez longuement. C’est également le cas de plusieurs des contributeurs du livre coordonné par Valérie Carré, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fragments du monde : retour sur l’oeuvre de Michael Haneke. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">J’ai eu l’occasion de voir l’un d’eux, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Leminge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(diffusé à la télévision autrichienne en 1979) lors de la rétrospective que la Cinémathèque française avait consacré en 2009 à Michael Haneke. Ce film m’avait fait une très forte impression lors de sa projection. Donc il est très dommage qu’il n’existe pas une édition en DVD de ce film.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Disons, pour clarifier notre propos, que cette défense et illustration de cinéma d’Haneke ne l’érige pas en « modèle absolu » de ce qu’il serait souhaitable que le cinéma devienne. Un discours équivalent, par delà ce qui diffèrencie ces deux cinéastes, pourrait être tenu par exemple avec Bruno Dumont, voire Hong Song Soo. Il y a cependant une spécificité propre au cinéma d’Haneke qu’il convient de souligner. Celui-ci, indépendamment de l’indéniable plaisir que nous ressentons devant l’un et l’autre de ses films, relève d’une pensée sur le monde dont le contenu critique va maintenant être abordé. Cependant, avant d’en venir dans le détail à l’analyse de cette filmographie, trois données doivent d’abord être prises en compte sur le cinéaste. Celles-ci ne sont pas étrangères à ce qu’à de « rigoureux » ce cinéma. Il s’agit de la notion d’auteur, de la direction d’acteurs, et du rôle de la musique.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Haneke a écrit - scénarisé et dialogué - tous ses films (à l’exception de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La pianiste, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">adapté par ses soins d’un roman d’Elfriede Jelinek). Dans ses entretiens il revient souvent sur ce qu’on appellera « l’attention méticuleuse » du cinéaste à la lumière, aux costumes, aux décors, au montage. On y apprend qu’avant un tournage il sait exactement ce qu’il veut. Relevons aussi le très grand nombre de prises, preuve manifeste de l’exigence du cinéaste (du moins selon les critères propres à ce cinéma). Ce qui permet de passer à la direction d’acteurs puisque la plupart les comédiens interrogés sur ce sujet n’ont pas manqué de relever cette même exigence. Pour reprendre une métaphore musicale on pourrait dire que les acteurs jouent exactement ce qu’indique une partition comportant de multiples indications. Ce qui se traduit sur le plan cinématographique par la grande justesse de ton des comédiens, connus ou méconnus, d’un film à l’autre. A l’instar de celle, sans être exhaustif, de Juliette Binoche dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Benoit Maginel, Annie Girardot et surtout d’Isabelle Huppert dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La pianiste, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Daniel Auteuil dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Rivat dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour aborder la troisième donnée, Haneke, fait suffisamment rare pour être souligné, n’a jamais fait appel à un compositeur de musique de film ; ni même utilisé de musique déjà enregistrée (classique, jazz, pop, chanson) pour aucun de ses films (à l’exception, minimale, de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Les seules musiques présentes dans le cinéma d’Haneke sont diégétiques. Ce qui veut dire que les personnages dans le film les entendent : concerts, enseignement du piano, radio, télévision, ordinateur. On remarque que des cinéastes dont Haneke se sent proche (Bresson, Pialat, Dumont) se signalent aussi par leur retenue, pour ne pas dire plus sur le plan musical (</span><span style="font-size:10pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. Pourtant, le paradoxe n’est qu’apparent, tous ne sont nullement réfractaires à la musique, bien au contraire. Et l’on ajoutera qu’Haneke la connaît certainement mieux que la quasi totalité de ses confrères cinéastes. Evidemment aimer la musique ne signifie pas aimer toutes les musiques. En tout cas pareille raréfaction est en totale contradiction avec l’attitude de maints cinéastes postmodernes qui nappent (comme on le dirait d’une sauce) du début à la fin leurs films d’un fond musical. Une attitude en phase avec celle de nos contemporains ne pouvant se passer (chez eux, dans les lieux publics, en voiture, et même au bureau) d’un fond musical. Il existe certes des formes d’aliénation plus pernicieuses, mais celle-ci souligne une dépendance qui n’a pas grand chose à voir avec l’amour de la musique. C’est même exactement le contraire. D’ailleurs pour qui l’ignorerait Haneke est un mélomane. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les trois premiers films d’Haneke sont souvent associés sous le nom de « trilogie de la glaciation ». Le cinéaste, à qui l’on doit cette formulation, l’a récusée dans un second temps : reprise par la critique elle se révélait trop restrictive et un tantinet simplificatrice. Par commodité nous la conservons cependant entre guillemets. En ce qui concerne son premier film, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le septième continent </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1989), Haneke s’est inspiré d’un fait divers pour écrire son scénario : le suicide collectif d’une famille autrichienne ayant auparavant détruit tous les biens et objets présents dans son appartement. Le film est divisé en trois parties (1987, 1988, 1989), trois moments de la vie de cette famille. Citons un propos d’Haneke qui vaut pour toute son oeuvre, et qui se révèle déjà pertinent avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le septième continent </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Je crois en revanche qu’on ne peut s’empêcher d’avoir recours à la critique de l’idéologie dès qu’on tente de se confronter consciemment au monde, mais là ne réside pas le but premier d’une oeuvre d’art. La dimension politique, comme d’ailleurs toute autre dimension en art, dépend exclusivement de la pratique de l’art et non de la volonté de faire passer un message ». Ceci pour dire, ici précisément, que la « dimension politique » du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Septième continent, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nullement explicite, se rapporte à tout ce qui dans ce monde-là réifie les individus (monde où l’homme perd sa qualité de sujet pour se trouver réduit à l’état d’objet). Le film l’exprime avec l’exactitude requise, depuis une forme proche de celle du cinéma de Bresson, la plus à même de traduire le sentiment de dépossession de personnages pourtant bien dotés par la société de consommation. Comme l’indique Éric Dufour dans son ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’est-ce que le mal monsieur Haneke ? </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Les échanges sont réduits à des échanges marchands et les objets réduits à leur valeur d’échange. De plus ce sont les rapports entre les individus eux-mêmes qui sont montrés comme devenant des rapports entre des marchandises, où l’autre n’apparaît plus que comme un instrument réduit à sa fonction ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une existence (celle d’un couple de la classe moyenne et de leur enfant) par conséquent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">réduite à sa plus simple fonctionnalité, faite de répétitions (les gestes quotidiens après le réveil, les courses au supermarché, le lavage de la voiture). La seule possibilité de s’extraire de ce vide quotidien étant matérialisée par la présence d’une affiche publicitaire de vacances au bord de la mer (ou d’évasion vers l’Australie). La seconde partie du film, un an plus tard, reprend le déroulé de la première avec quelques sensibles variations cependant, qui introduisent comme de légères et significatives distorsions dans une mécanique bien réglée. Dans la troisième partie, en rupture avec les précédentes, les protagonistes détruisent progressivement tout ce que contient leur appartement (à l’exception du poste de télévision) avant de se donner la mort. Il paraît possible que la « mauvaise réputation » d’Haneke provienne de deux scènes de cette troisième partie : d’abord celle où le père brise l’aquarium malgré les protestations de l’enfant (provoquant l’agonie des poissons rouges), et surtout celle durant laquelle le couple se débarrasse dans la cuvette des WC de tous les billets que contenait leur compte en banque, en y mettant le temps nécessaire. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le second film de cette trilogie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Benny’s Vidéo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1992) a fait connaître Michael Haneke en France. Le propos critique, moins général que dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le septième continent </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(moins abstrait également), se rapporte à la prolifération des images en cette fin de XXe siècle, leur consommation passive, et plus encore ce que peut produire pareille dépendance. Il s’agit d’un film pionnier puisqu’il est, du moins à ma connaissance, le premier à rendre compte d’un tel sujet d’une manière que je qualifierai d’adéquate (en évitant ce double écueil : celui d’une dénonciation strictement morale, ou d’une incapacité à trouver la bonne distance vis-à-vis de ce sujet). Benny n’a pas un comportement qui puisse, généralement, le différencier des adolescents de son âge. En ce sens il n’est pas plus perturbé qu’un autre. Même s’il s’agit d’une tendance dominante chez tous les adolescents des pays développés, Benny, ici plus que d’autres, s’isole du monde réel dans sa chambre, lieu circonscrit à la diffusion des images (celles de la télévision et des vidéos filmées par Benny). Ce qui contribue, malgré les apparences, à l’isoler de sa cellule familiale : les parents en étant en partie responsables, bien involontairement. Fait remarquable un rideau posé sur la fenêtre de sa chambre, de jour comme de nuit, isole l’adolescent de l’extérieur tandis qu’une caméra filme en permanence la rue (images que Benny reçoit s’il le désire par le canal de son écran de télévision, selon le principe d’une caméra de surveillance). Une vidéo plus particulièrement fascine Benny (nous la découvrons au tout début du film) : celle de l’abattage d’un cochon, filmé par l’adolescent, que Benny repasse en boucle en s’arrêtant chaque fois sur le moment l’on tue le porc à l’aide d’un pistolet d’abattage. C’est ce même pistolet (il l’a dérobé) que Benny appliquera sur le trempe d’Eva, une fille de son âge, afin de lui faire subir (à l’issue d’un jeu stupide entre eux) le même sort que le cochon. Ceci après avoir montré à Eva la vidéo sur l’abattage. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il parait possible que Benny ait été à la fois déçu et contrarié par l’absence ou presque de réaction de la jeune fille devant les images de cette vidéo et qu’il lui en ai tenu rigueur. Mais il ne s’agit que d’une interprétation. Ce qui importe avant tout, ce que plusieurs commentateurs d’ailleurs ont relevé lors de la sortie du film, étant que Benny, qui comme beaucoup d’adolescents consomme de manière massive des vidéos de films empruntés, et de préférence de films violents (à l’instar ici de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Toxic Avenger</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) n’est plus en capacité ceci posé de faire la différence entre la réalité et la fiction. C’est aussi dire que la dépendance soulignée plus haut entraîne Benny à vivre dans un monde virtuel, mais pas n’importe lequel : celui à travers lequel l’esprit de Benny se déplace, comme s’il s’agissait d’un jeu vidéo, prend les contours de ce cinéma américain que l’adolescent consomme à fortes doses. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sinon, pour revenir à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Benny’s Vidéo, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lors du passage d’Eva dans sa chambre Benny avait déplacé la caméra (filmant en permanence la rue) dans leur direction : seul moment où la jeune fille manifeste quelque affect en découvrant son image sur l’écran. Ce qui s’ensuit, le meurtre ou l’accident (c’est selon), se trouvera donc filmé par cette caméra. Benny, qui parait surpris et désemparé par l’effet produit par le pistolet d’abattage, ne supporte pas alors les cris de la jeune fille (« Tais-toi ! tais-toi ! lui demande-t-il), et s’y reprend en deux fois (il revient chaque fois recharger le pistolet) pour tuer définitivement Eva. On ne voit que le corps de la jeune fille qui rampe pour sortir de la pièce (et donc sort du cadre de la caméra), ces deux derniers coups de feu ayant lieu hors champ. Benny aura néanmoins la présence d’esprit de nettoyer le sol du sang d’Eva, (peut être refait il machinalement des gestes vus auparavant dans un film), et de cacher le cadavre dans un coin de sa chambre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Deux jours plus tard ses parents rentrent de week-end. Benny, qui se trouve dans l’incapacité de les informer de ce drame (du moins, en se faisant raser le crâne juste avant leur retour, éprouve-t-il le besoin de les alerter à sa façon). Sans prononcer le moindre mot il les en informe en les confrontant aux images vidéo du meurtre. Les parents hésitent d’abord sur la décision qu’il convient de prendre, puis en l’absence de Benny (retourné dans sa chambre mais qui a laissé la porte entrouverte et entend leur conversation) ils décident de se débarrasser du cadavre. Cela se fera en dehors de la présence de Benny et de sa mère, partis durant une semaine en Egypte. Tout est réglé dit le père, quand tous deux rentrent de ce voyage. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La vie reprend alors son cours. Pas tout à fait puisque nous voyons des images enregistrées par la caméra de Benny. Celle d’une raie de lumière à l’extérieur de sa chambre. Nous comprenons, en entendant la voix des parents, que Benny a enregistré leur discussion ce soir-là, débouchant sur la décision que l’on sait. Une vidéo, découvre-t-on alors, passée sur l’écran du poste de police où Benny s’est rendu. Et où, ce témoignage rapporté, il demande : « Je peux m’en aller maintenant ? ». Durant le plan suivant l’adolescent croise ses parents qui s’apprêtent sans doute à être auditionnés. Le regard de ces derniers exprime à la fois de la dureté et de l’incompréhension. Nulle parole n’est dite. Seul Benny balbutie : « Excusez-moi ». Auparavant, interrogé par les policiers, qui cherchaient une explication au meurtre d’Eva, Benny leur avait répondu : « Je voulais simplement savoir comment c’est ». Une phase qui à elle seule résume tout le film.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout au début de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">71 fragments d’une chronologie du hasard </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1994), le troisième volet de cette « trilogie de la glaciation », un carton indique : « Le 23 décembre, l’étudiant Maximilien B, âgé de 19 ans, a tué trois personnes dans la succursale d’une banque viennoise, et s’est donné la mort en se tirant une balle dans la tête ». C’est depuis ce fait divers qu’Haneke a construit son scénario. Ou plutôt il sert de conclusion à une fiction fragmentée (celle des vies de l’étudiant, des trois personnes assassinées, de leurs proches) en 71 séquences. Le geste criminel de Maximilien ne s’explique pas, du moins rationnellement. Car l’enchaînement des faits débouchant sur ces meurtres et ce suicide (l’indifférence méprisante d’un pompiste, le rabrouement d’une employée de banque, l’agressivité physique d’un client de cette même banque, puis celle verbale d’un automobiliste) ne sauraient tenir lieu d’explication, sinon par l’évocation d’un « pétage de plomb ». Cependant, à la lumière de tout ce qui précède, de ces différents fragments de vue donc, on émettra l’hypothèse que l’explication doit être recherchée dans l’existence d’un tel monde, du fonctionnement d’une telle société. L’action se passe certes en Autriche mais pourrait se dérouler dans n’importe quel autre pays développé, les mêmes causes produisant les mêmes effets. On étaiera notre hypothèse depuis le rapport dialectique établi par le cinéaste entre les images d’actualité, télévisées, vues par quelques uns des personnages du film, et les fragments de vie évoqués plus haut ainsi inscrits dans cette temporalité-là. Si Haneke souligne l’incommunicabilité ici au sein d’un couple, là entre un père et sa fille, elle s’explique moins pour des raisons psychologiques que par celles qui renvoient à l’organisation sociale, laquelle plus que dans n’importe quel film de Haneke mérite d’être qualifiée « société du spectacle ». Pour ne donner qu’un exemple, le garçon roumain venu clandestinement en Autriche (nous suivons de manière fragmentaire ses pérégrinations dans une ville autrichienne), dont le sort indiffère sinon plus tous ceux qu’il croise (à l’exception des policiers, pour de toutes autres raisons), passant à la télévision après s’être rendu à la police, et y racontant sa vie suscite alors l’empathie des téléspectateurs (pas tous, on l’imagine, mais du moins quelques uns de ceux qui auraient pu auparavant le croiser). Et en particulier celle du couple se trouvant à ce moment-là dans une démarche d’adoption envers une fillette autrichienne (qui se révèle très rétive à l’affection que lui prodigue ce couple), et qui jette alors son dévolu sur le petit roumain.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Vincent Grossmann (dans l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fragments du monde : retour sur l’oeuvre de Michael Haneke</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) a consacré une étude à cette trilogie dite « de la glaciation ». Elle s’articule selon lui autour de trois refus. « Tout d’abord un refus de donner des explications claires et rationnelles aux actes violents commis par Georg, Benny et Maximilien ». Ce qui signifie que chaque spectateur peut avancer les explications psychologiques qui lui conviennent mais qu’aucune ne prévaut, l’accent se trouvant mis par Haneke sur la dimension sociale (dans le sens d’une critique sociale). Ensuite le refus « de tout montrer ». On a vu avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Benny’s Vidéo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’importance du hors champ lors du meurtre d’Eva, ce qui vaut aussi pour l’agonie des trois membres de la famille du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Septième continent, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et à l’intérieur de la banque pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">71 fragments… </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(les victimes se trouvant également hors champ). Enfin, pour conclure, « ces trois films manifestent le refus d’une violence présentée comme un spectacle dont le spectateur pourrait se délecter ». Ce que le film suivant, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">exprimera avec maestria. Ceci et cela incitant Grossmann à écrire que Haneke « crée ainsi, en creux, en négatif, une véritable éthique du spectateur ». Une dimension fondamentale de ce cinéma sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> De 1997 date </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce film, controversé lors de sa sortie, contribue néanmoins à mieux faire connaître Haneke. Le cinéaste fait désormais partie de ceux « qui comptent », grâce ou en dépit des controverses qui ne cesseront désormais, en particulier avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">On dira de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qu’il s’agit d’une « expérience limite » de ce que peut produire pour le mieux le cinéma. A savoir l’un des projets les plus ambitieux (sans remonter à l’invention du cinématographe) depuis l’émergence de la « nouvelle vague ». D’ailleurs, sous un certain aspect (l’utilisation du regard caméra), </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n'est pas sans point commun avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A bout de souffle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Godard. D’une manière plus générale </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pourrait être comparé à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une sale histoire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Jean Eustache, cette géniale mise en abîme de la représentation au cinéma. A la différence qu’Haneke poursuit la réflexion ébauchée dans ses trois films précédents, en dénonçant certes la violence d’un certain cinéma d’action ou d’horreur, mais surtout en l’exprimant formellement : la forme, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">induisant le contenu. C’était déjà d’une certaine façon ce qui caractérisait les trois films dits « de la glaciation » (plus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Benny’s Vidéo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que les deux autres) mais Haneke ici avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’illustre d’une manière plus radicale, puisqu’il remet en cause par la bande la grammaire même du cinéma. C’est bien entendu ce qu’on lui reprochera le plus sous des prétextes divers.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le scénario de ce film peut être résumé en deux phrases. Une famille (un couple et un enfant) appartenant à la classe moyenne autrichienne se rend un week end au bord d’un lac où elle possède une résidence secondaire. Ils reçoivent la visite de deux garçons (deux jeunes adultes aperçus précédemment dans la propriété des voisins) qui, très progressivement, vont se révéler être des tortionnaires, puis des meurtriers. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">échappe à toute catégorisation (ce n’est pas véritablement une fable, ni une anticipation, ni un film d’horreur) et ne contient nulle information sur les deux tortionnaires (sont-ils des anges exterminateurs, des incarnations de la puissance du mal, des agents d’une allégorie nazie ?). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Écartons d’abord un premier contresens. Des commentateurs, en évoquant le jeu auquel le couple se livre en voiture, dès le générique (reconnaître des chanteurs interprétant des oeuvres lyriques, selon le modèle de notre « Tribune des critiques de disques »), en ont conclu que revendiquer pareille musique renvoyait à une classe bien précise, la bourgeoisie. Ce qui serait expliquer le comportement des deux tortionnaires, métaphoriquement s’entend, sans bien entendu le justifier. Passons sur le fait que dans l’Italie du XIXe siècle (l’une des deux oeuvres lyriques entendues étant de Mascagni) le peuple était majoritairement présent à l’opéra. Relevons que cette famille appartient sociologiquement parlant à la « classe moyenne supérieure » (voiture confortable, résidence secondaire au bord d’un lac, bateau, cannes de golf, etc.). Ce qui constitue un dispositif sur lequel va s’appuyer le cinéaste. Haneke reprend à dessein un environnement et des personnages renvoyant au cinéma américain dominant (ou à tout cinéma mainstream). Une indication essentielle s’impose concernant la direction d’acteur. Haneke a demandé aux comédiens représentant les victimes (les trois membres de la famille) de jouer dans un registre dramatique, et à ceux désignés comme étant leurs tortionnaires de privilégier le registre comique. Cet aspect ludique accentuant la cruauté de certaines scènes. Dès l’arrivée des deux jeunes intrus l’enchaînement des faits relève d’une mécanique implacable. Peter, l’un des deux jeunes gens (le gros), se révèle d’abord maladroit et ridicule. C’est un autre sentiment, proche d’un certain malaise, celui d’une inquiétude diffuse, qui prend peu à peu le relai. Moins diffuse certes quand l’un des deux jeunes gens, en réponse à une gifle de Georg, le père, lui casse la jambe avec une canne de golf. Dès lors le huit clos devient étouffant. L’enfant d’abord, puis ensuite Anna (la mère) essaient de s’enfuir de la maison pour trouver du secours auprès du voisinage, mais ces deux tentatives sont vouées à l’échec.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout ce qui vient d’être indiqué dans l’écriture du scénario pourrait se retrouver dans mains films d’horreur ou thrillers. Ce qui différencie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de ce cinéma là ne doit donc pas être recherché du côté du contenu, presque identique, mais de celui de la forme. On parlera ici de distanciation sans pour autant faire explicitement référence à Brecht. D’abord par le premier « regard caméra » (assorti d’un clin d’oeil) de Paul, le plus inquiétant des deux jeunes intrus. Ensuite par l’ironie présente dans la scène suivante. Lorsque Georg demande à l’un des deux tortionnaires : « Pourquoi faites-vous ça ? », Paul indique que Peter vient d’un milieu défavorisé (ses frères et soeurs se droguent, le père est alcoolique, la mère « en réalité, c’est lui, Peter, qui la baise »). Georg alors s’écrit : « Vous êtes dégoûtant, vous pourriez éviter de raconter ça devant le petit ! ». Ce à quoi Paul répond, benoîtement : « Oh pardon ! Quelle réponse voulez-vous ? Laquelle vous satisferait ». Et d’emballer sur une autre explication ponctuée par le rire de Peter (qui feignait précédemment l’accablement). Plus tard, s’adressant à la caméra, et reprenant la dernière phrase de Georg, Paul déclare : « Il y en a assez ? Vous voulez une autre fin, avec un développement plausible, non ? ». Mais le point d’orgue dans ce registre est atteint peu de temps après cette « adresse au spectateur ». Anna, à qui les deux tortionnaires demandent quelle arme aurait sa préférence pour éliminer Georg du monde des mortels, s’empare du fusil que tient Paul et tire sur Peter (lequel s’écroule, tué sur le coup). Paul, qui pour la première fois manifeste de l’affolement et de la contrariété, s’écrit : « Mais où est donc cette putain de télécommande ! ». Il la cherche fébrilement, la retrouve, et fait défiler en arrière les images vues précédemment à l’écran. Il s’arrête au moment où il tenait encore bien en main la carabine. On voit alors Anna tenter de s’emparer de l’arme sans y parvenir. Enfin, dans le dernier plan du film, Paul qui vient chercher soi-disant des oeufs de la part d’Anna chez une voisine, a un dernier regard caméra (l’image se fige tandis que défile le générique de fin) : invitation en quelque sorte à reprendre le film depuis le début, avec d’autres protagonistes victimes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tous ces éléments, et en premier lieu l’essentielle séquence de retour en arrière (avec la télécommande) - de distanciation donc - contribuent à classer </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">parmi les « expériences limites » du cinéma. Dans ce registre le quatrième opus d’Haneke est certainement le film le plus singulier et le plus radical du cinéaste. Il l’est toujours, 22 ans plus tard, dans la mesure où par la suite Haneke n’a plus reproduit ce qui (je viens d’en donner le détail) aurait tourné au procédé et réduit ainsi </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à un exercice de style. Quand Haneke a décidé de refaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(devenu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games USA</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) pour affronter « l’ennemi » sur son propre terrain, il a refait le film de 1997 à l’identique, plan par plan (même si l’on peut relever ici ou là de légères différences, relevant des conditions de production). Ce que j’appelle distanciation, pour y revenir, illustre ce qui pour Haneke tient lieu de manifeste : insister sur le fait que ses films ne portent pas sur la violence mais sur le rapport que le spectateur entretient avec la violence (« contrairement à ce que l’on prétend trop souvent, je ne traite pas de la violence en soi, mais uniquement de sa représentation et de l’exploitation qu’en font les médias »). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Haneke rappelle que lors de la première projection de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au moment où Anna s’empare du fusil entre les mains de Paul et tire à bout portant sur Peter (le corps du tortionnaire semble comme pulvérisé sous la violence du choc), des spectateurs dans la salle ont applaudi. Tout comme ils le font ou le feraient, en leur for intérieur, avec maints thrillers, films d’horreur, ou dits « de genre ». Cela porte le nom de « violence légitime » et est l’un des invariants du cinéma américain depuis ses origines (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La naissance d’une nation </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour ne citer que lui). Le western l’illustrera à travers l’épopée de la conquête de l’Ouest : la défense et illustration de la loi et l’ordre mettant plus ou moins hors champ l’extermination des tribus indiennes. Le western ne remplissant plus ce cahier des charges vers les années 1960 (ou parodiquement à travers son avatar « spaghetti »), cette violence-là avait en partie perdu son pouvoir de légitimité. Cependant elle n’a pas pour autant disparu des écrans : cette « violence légitime » se trouvant aujourd’hui illustrée par d’autres genres cinématographiques.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il est dommage qu’une conférence de Michael Haneke de 1995, intitulée « Violence et médias », n’ait pas été traduite en français. Éric Dufour la résume en ces termes : « Haneke souligne ce qui fait passer et valoir la violence dans les films américains contemporains : d’abord l’inscription du film dans un genre ; ensuite la justification morale de la violence (…) qui fait apparaître cette violence comme une libération ; et enfin, l’humour et le côté parodique, on pense évidemment aux films de Tarantino qui produisent, par là, une esthétisation de la violence ». On ajoutera qu’Haneke, de film en film, détourne les codes d’un cinéma fasciné par la violence. Mais c’est certainement avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> que sa manière de traiter frontalement le sujet a fait l’objet de plus d’incompréhension : des « critiques » prenant au pied de la lettre ce que Haneke pourtant dénonçait. Citons, lors de la sortie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en France, ce commentaire de Pierre Murat dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Télérama </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Dégueulasse ! C’est un film détestable. A la fois bête et déplaisant (…) Froid, glacé. Impersonnel. Mais peut-on impunément filmer l’horreur sans prendre parti ! ». D’autres commentaires, moins stupides que ceux de Murat, ont reproché à Haneke de dénoncer la violence au moyen de la violence.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quelques précisions s’imposent. Tout comme dans ses films précédent les deux meurtres (celui de l’enfant d’abord, du père ensuite) ont lieu hors champ. Dans le premier cas nous entendons un coup de feu alors qu’à l’écran Paul, impassible, se confectionne un sandwich dans la cuisine. Comme l’indique Haneke dans un entretien : « On ne peut pas montrer le visage de la mère après le meurtre de l’enfant , ça n’est pas possible, ça deviendrait obscène (…) Pour moi, montrer ça de loin relevait d’une décision éthique ». C’est également ce qu’exprimait Alain Tanner vingt ans plus tôt lors de la sortie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Messidor </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(son sixième film et la première mort violente présente dans son cinéma : également hors champ, on n’entend qu’un coup de feu) où Tanner revendiquait le même souci éthique. Reste l’exemple cité plus haut, du meurtre de Peter par Anna, particulièrement spectaculaire, filmé selon les critères en vigueur des films d’action ou d’horreur contemporains. Mais, répétons-le, Haneke l’annule puisqu’il s’agit comme on le sait d’une fausse suppression. L’unique raison pour laquelle cette mort-là pouvait être montrée, en même temps que sa spectacularisation se trouvait elle dénoncée.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> J’ai parlé plus haut de distanciation en l’illustrant à travers des exemples précis. On pourrait aussi dans une moindre mesure relever des « éléments de distanciation » avec d’autres films de Haneke. Pourtant le cinéaste de s’y est pas référé explicitement dans l’un ou l’autre de ses entretiens. Il n’en a pas moins exprimé d’un film à l’autre son souci de prendre de la distance avec le sujet et les personnages. Citons ici ce propos extrait de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Haneke par Haneke </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Quand j’écris un scénario je me sens obligé de créer une certaine distance, sinon je me sens mal à l’aise ». Il y a deux façons d’aborder ce sujet. D’abord à travers la référence brechtienne. Citons Brecht : « Le but de la distanciation était d’amener le spectateur à considérer ce qui se déroule sur la scène d’un oeil investigateur et critique. Les moyens utilisés étaient ceux de l’art ». Des commentateurs ont durant la seconde moitié du XXe siècle usé et abusé de la terminologie « distanciation ». D’où ce côté démonstratif que l’on a parfois non sans raison reproché au théâtre de Brecht. Didi-Huberman, dans un ouvrage principalement consacré à l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mère Courage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Quand les images prennent position</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), indique justement que « Brecht, d’abord, ne prétend distancier toutes choses que pour démontrer les rapports historiques et politiques où elles prennent position à un moment donné. En ce sens, la distanciation est une opération de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">connaissance </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui vise, par les moyens de l’art, une possibilité de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">regard critique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sur l’histoire ». Ajoutons qu’il y a nécessité de créer une distance pour éviter que le spectateur ne s’identifie à l’un ou l’autre des personnages. Même si cette question de l’identification s’avère plus complexe, voire plus retorse que ce qui vient d’être indiqué. Haneke n’a jamais été brechtien, y compris que je sache durant la partie de sa vie où il se partageait entre son travail de metteur en scène de théâtre et celui de réalisateur à la télévision autrichienne. Néanmoins, avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">plus particulièrement, cette « possibilité de regard critique sur l’histoire » s’élargit même à tout le cinéma fonctionnant sur le principe dénoncé par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(les éléments de distanciation que j’ai relevés l’accréditant).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ensuite il existe d’autres moyens au cinéma de mettre à distance le spectateur sans se référer à Brecht. Par exemple Robert Bresson à travers sa notion de « modèle » : ces modèles, comme l’écrit Vincent Amiel, « ne composent pas de personnages, ils se contentent de prêter au cinéaste des fragments de gestes, des éclats de voix, que le montage prendra en charge ». Ce décalage créant des effets de distanciation qui ont éloigné Bresson d’une grande partie du public, mais qui ne sont pas moins constitutifs de ce qu’il faut bien appeler la radicalité du cinéma de Bresson. Haneke s’est souvent référé à Bresson, du moins dans les débuts de sa carrière cinématographique (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Au hasard Baltazar </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">étant, avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Miroir </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Tarkovsky, le film préféré d’Haneke). Une influence sensible dès les premiers plans du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Septième continent, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mais qui deviendra moins évidente dans la filmographie ensuite d’Haneke.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On a pu dire avec le film suivant, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(2000), qu’il serait en quelque sorte l’équivalent français de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">71 fragments d’une chronologie du hasard. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cela se discute puisque dans le film autrichien il n’existe pas véritablement de différence de traitement entre les nombreux personnages alors que dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’accent se trouve principalement mis sur le couple Anne / Georges (ensemble ou séparément, et plus ici Anne que Georges). Davantage en tout cas que les personnages liés aux séquences « africaine » (articulée autour d’Amadou et son père), « roumaine » (Maria), et « paysanne » (Jean, le frère de Georges, et son père). </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est peut-être le film d’Haneke qui résiste le plus à l’interprétation. Citons ce qu’en dit le cinéaste dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Haneke par Haneke </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Comme toujours mon souci, quand je faisais ce film, était de permettre un maximum d’interprétations, d’inviter le spectateur à apporter ses propres réflexions à partir de ce que je montre. Il faut être particulièrement vigilant sur la fin, qu’elle ne se ferme pas sur le point de vue du réalisateur, mais incite au contraire le spectateur à l’investir avec ses propres convictions ». Ce qu’affirme ici Haneke de la fin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">vaut pour tous ses films. Pourtant avec ce cinquième opus force est de constater que l’aspect « ouvert » revendiqué par le cinéaste peut encourir le reproche de dispersion. En raison, d’abord, de la différence de traitement des personnages évoquée plus haut. Pas tant car Haneke consacrerait moins de temps aux épisodes « africain », « roumain », « paysan » que parce que les scènes qui se signalent plus que les autres à l’attention du spectateur sont précisément celles où figure Anne (jouée par Juliette Binoche). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant d’y venir signalons le long plan séquence de la seconde scène (virtuose dans sa manière de présenter les principaux personnages du film, Georges et son père paysan exceptés). J’y reviendrai un peu plus loin. Dans trois scènes que l’on pourrait qualifier de « film dans le film », les différentes prestations d’Anne, une actrice, donnent l’occasion à Haneke de détourner, depuis ce procédé de mise en abîme, les codes du cinéma spectaculaire. Pourtant, dans un tout autre registre, c’est principalement la scène appelée « Anne dans le métro » qu’il convient de décrypter. Cette séquence, remarquable, a souvent été commentée. Il s’agit d’un long plan fixe juste modifié par quelques légers recadrages. Anne se fait draguer par un jeune arabe dans le métro. Comme elle ne répond pas et manifeste la plus totale indifférence, le jeune homme devient agressif, puis se tait lorsqu’il s’installe à côté d’elle. Enfin il lui crache au visage lorsque que la rame s’immobilise. Il se fait alors rabrouer par un vieil arabe qui l’apostrophe (en arabe) : « Honte à toi ! ». La rame repart avec les trois protagonistes : Anne (qui a des difficultés à cacher son trouble), le vieil arabe (qui regarde fixement devant lui), et le jeune arabe (hors champ) qui descendra à la prochaine station en poussant un cri.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il y a différentes façons d’interpréter cette scène au fort contenu émotionnel. On peut tancer le jeune beur en estimant que son attitude relève du harcèlement, débouchant (le crachat) sur une agression physique, et donc déclarer son comportement inadmissible. Tout comme on peut considérer que l’attitude d’Anne, son indifférence, n’a pas été sans faire monter les enchères. Se serait-elle manifestée en demandant au jeune arabe de ne plus l’importuner, l’incident, sans doute, n’aurait pas pris de telles proportions. Car son indifférence peut, à tort ou à raison, être prise pour du mépris. Le jeune beur ne connaît certes pas les codes de bonne conduite. A ce sujet remarquons que ce qui était déjà vrai en 2000 l’est encore plus en 2019. Il paraît possible de se livrer à ces différences interprétations sans se prononcer en faveur de l’un ou l’autre des protagonistes. Ceci parce que Haneke, durant la totalité de ce plan séquence, ne se positionne pas comme le feraient d’autres cinéastes prenant le parti d’Anne pour les uns, ou du jeune arabe pour les autres : soit d’un point de vue féministe, soit depuis une position « racialiste » ou « décoloniale ». Haneke laisse donc le soin au spectateur de se faire par lui-même sa propre opinion. Ce qui s’inscrit particulièrement en faux contre le principal reproche que les détracteurs d’Haneke adressent au cinéaste.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette scène se situe vers la fin du film. Elle permet, celle-ci et d’autres précédemment, de relever qu’Anne, une actrice qui joue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">juste, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est pas toujours dans la tonalité qui conviendrait, ou souhaitée dans la vie quotidienne. Quant à son compagnon, Georges, il parait avoir comme on le dit trivialement « le cul entre deux chaises : entre ses tribulations de grand reporter et photographe de guerre (il revient du Kosovo) et ce qu’il vit à Paris. Pour lui les choses sont plus simples là-bas qu’ici. C’est du moins ce qu’il préfère penser puisque, lors d’une discussion qui l’oppose dans un restaurant à l’une de ses amies, il n’est pas capable de lui prouver en quoi ses photos de guerre relèvent d’une « expérience vécue » (alors qu’auparavant il récusait le propos de son interlocutrice, laquelle s’interrogeait sur le bien-fondé de ce genre de photos, en taxant sa démarche de « théorique »). Anne et Georges, chacun dans leur registre, ne sont pas exempts d’une certaine mauvaise conscience vis-à-vis de quelques uns des aspects de la « misère du monde » dont </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">rend compte. La seconde scène, dont plus haut j’ai évoqué la virtuosité, donne plusieurs indications indispensables à la bonne compréhension du film. Citons ce racisme qui ne dit pas son nom (avec Amadou) et la situation des migrants (via Maria, la mendiante roumaine). Amadou s’insurge contre le geste de Jean (l’adolescent jette un papier qui contenait des pâtisseries en direction de Maria), et lui demande de s’excuser auprès d’elle. De l’altercation qui s’ensuit Amadou se retrouve au poste de police dans une position d’accusé, tandis que la mendiante roumaine (qui tente de prendre la fuite), sans papiers, sera expulsée. Un regrettable enchaînement de faits provoqué par une réaction on ne peut plus compréhensive. Le film, ensuite, nous rappelant de manière non démonstrative les conséquences d’un geste a priori anodin. C’est du moins l’un des thèmes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mais pas nécessairement celui que l’on retient en premier lieu le film vu.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La pianiste </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(2001) est le seul film, de cinéma, d’Haneke adapté d’une oeuvre romanesque. Et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit du roman de ce nom d’Elfriede Jelinek, l’écrivain vivant à mes yeux le plus important depuis la disparition de Thomas Bernhard. Haneke s’est trouvé confronté à l’habituel problème concernant l’adaptation des oeuvres romanesques majeures. Il semble préférable de les « trahir » (tel Manoel de Oliveira avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Madame Bovary, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">devenu au cinéma </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Val Abraham</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) que de vouloir être le plus fidèle possible (à l’instar, pour ne pas quitter ce roman, de Claude Chabrol avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Madame Bovary </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le film), où le risque d’académisme devient patent. A trop vouloir respecter la lettre on risque souvent d’en perdre l’esprit. Ce que j’appelle ici « trahison » vaut pour les oeuvres classiques ou d’auteurs décédés. Car il parait difficile, voire impossible de « trahir » un auteur d’importance encore vivant. Avec son adaptation de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La pianiste </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Haneke ne pouvait pas retranscrire ce qui fait principalement l’intérêt du roman de Jelinek : son écriture. Un discours que l’on ne tiendrait pas par exemple avec un Houellebecq. Haneke s’est relativement bien sorti de cet exercice périlleux. D’abord en éliminant tout ce qui se trouvait rapporté au passé d’Érika, la pianiste, pour privilégier la relation Érika - Walter (sans pour autant minorer celle, non moins névrotique, liant Érika à sa mère). Ensuite par la place accordée à la musique qui, si l’on peut s’exprimer ainsi, a rarement été si bien filmée (avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rendez-vous à Bray </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’André Delvaux). Enfin par l’impeccable direction d’acteurs. Signalons, pour conclure, qu’un certain nombre de critiques adressées à ce film lors de la sortie provenaient à l’évidence de journalistes qui n’avaient pas lu le roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La pianiste </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisqu’il paraissait incongru de reprocher à Haneke ce qui était d’abord imputable à Jelinek.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le temps du loup </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(2003) est en partie un film raté. Ce qu’Haneke ne serait pas loin d’admettre. Il le met sur le compte d’une « erreur de casting ». Sans doute, mais il y a d’autres raisons. N’étant pas en mesure de dire par exemple en quoi des problèmes liés à la production du film ont pu négativement interférer sur le tournage du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps du loup, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">j’en resterai là.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(2005) reste exemplaire du point de vue que Michael Haneke adopte pour chacun de ses films : laisser le soin au spectateur de se faire sa propre idée en laissant la porte ouverte à plusieurs interprétations. Ce qui paraît encore plus évident avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisque la vérité qui nous est peu à peu révélée (un souvenir d’enfance refoulé) ne contribue pas pour autant à résoudre la question posée dés le début du film : qui envoie les inquiétantes cassettes reçues par le couple Laurent ? En ce sens il y a comme une parenté entre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Château </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Kafka (adapté en 1996 par Haneke pour la télévision autrichienne) : plus nous nous approchons de la « vérité » de Georges Laurent, le principal personnage du film, plus - malgré les indices qui s’accumulent - l’incertitude prévaut en ce qui concerne la désignation d’un « coupable ». A l’exception du dernier plan du film, qui semble donner la clef de l’énigme. Mais sans qu’on sache à quel moment de l’histoire (avant, pendant, après) la rencontre insolite qui se présente à nos yeux à eut lieu. Une rencontre d’ailleurs qui peut échapper à certains spectateurs en raison de la nature de ce plan (un plan large, fixe, délimitant un cadre dans lequel se déplacent de nombreuses personnes). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est un autre plan fixe qui ouvre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: le générique défile alors que rien, ou presque rien n’apparaît dans un plan de rue. Ce « presque rien » se rapportant au passage sur l’écran de quelques passants, parmi lesquels Georges et Anne sortant de leur domicile à des moments différents. On apprend rapidement que tous deux le découvrent en visionnant une cassette vidéo réceptionnée devant leur porte. Pourtant, comme Georges le vérifie dans un second temps en se déplaçant dans la rue, il ne comprend pas comment, refaisant son itinéraire, il n’a pas remarqué la présence d’une caméra. Une seconde cassette, identique à la première, se trouve elle enveloppée dans un dessin, d’enfant a priori, représentant une tête d’où s’échappe du sang d’une bouche à demi ouverte. Un appel téléphonique où une voix inconnue demande à parler à Georges Laurent puis raccroche, puis un dessin d’enfant (identique au premier) reçu sur le lieu de travail de Georges (précisons que ce dernier est animateur d’une émission littéraire sur une chaîne de télévision), décide le couple à en informer la police qui se contente d’enregistrer sa déclaration. Ensuite Pierrot, leur fils, reçoit à l’école (soit disant adressé par son père) le même dessin d’enfant. Puis une troisième cassette (enveloppée dans un dessin d’enfant représentant un coq la gorge maculée de sang) est réceptionnée alors que les Laurent reçoivent des amis. Celle-ci, contrairement aux deux précédentes, a été filmée depuis une voiture sur une route de campagne, le véhicule s’immobilisant devant une habitation : « La maison de mon enfance », reconnaît Georges. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un souvenir d’enfance, désagréable, va peu à peu ressurgir de la mémoire de Georges. C’est à ce moment-là que ses soupçons se portent sur une personne bien précise, sans qu’il se décide à en informer son épouse. Une quatrième cassette, permettant d’identifier une commune, une avenue, un immeuble, et un numéro de porte (il s’agit d’une cité HLM de Romainville où Georges n’a jamais mis les pieds) l’incite à refaire la même chemin, comme on semble l’inviter. Georges frappe à la porte de ce logement. L’homme qui y vit se révèle être, comme il le soupçonnait, Majid, ce jeune arabe que ses parents quarante ans plus tôt envisageaient d’adopter. Un projet que le petit Georges avait contribué à faire échouer. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les événements s’enchaînent alors en lien avec le dévoilement du « secret » de Georges. L’association se faisant entre la « mauvaise conscience » de notre personnage (qu’il refuse d’admettre) et le massacre de manifestants algériens en octobre 1961 par la police de Papon (où les parents de Majid, qui travaillaient dans la ferme des parents de Georges, ont très certainement trouvé la mort). Haneke dans ses entretiens a bien précisé qu’il n’avait pas voulu faire un film sur la guerre d’Algérie, que ce refoulé-là dans un film produit et tourné en France s’imposait, mais qu’il aurait pu trouver des équivalents dans n’importe quel autre pays. Ce souvenir désagréable de Georges, longtemps refoulé, se rapporte à la décapitation d’un coq par Majid, et au sang qui avait alors giclé sur le visage de l’enfant (Georges prétextant que son père demandait à Majid, plus âgé, de tuer ce coq). Le petit Georges avait ensuite dit à ses parents que Majid crachait du sang, puis qu’il avait décapité ce coq pour lui faire peur. Les parents avaient alors sans doute compris que Georges ne voulait pas qu’ils adoptent Majid. D’où une certaine mauvaise conscience aussi de leur côté, ceci se trouvant accrédité par l’attitude de sa mère, quand Georges vient la voir lors d’un déplacement dans le sud et lui dit avoir rêvé de Majid (anticipant le cauchemar de la nuit suivante, durant lequel Majid décapite le volatile, puis s’approche menaçant sa hache à la main du petit Georges). Dans l’avant-dernier plan de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Georges se remémore le moment où les professionnels de l’aide à l’enfance viennent chercher Majid, non sans difficulté : l’enfant s’enfuyant et criant qu’il ne veut pas partir. La place de la caméra indiquant le lieu où se trouvait alors Georges, assistant à la scène.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vocabulaire de la psychanalyse </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Laplanche et Pontalis précisent que pour Freud le souvenir écran est un « souvenir infantile se caractérisant à la fois par sa netteté particulière et l’apparente insignifiance de son contenu ». Et qu’il distingue des « souvenirs écran « positifs » et « négatifs » selon que leur contenu est ou non dans un rapport d’opposition avec le contenu refoulé ». Un contenu évidemment négatif avec Georges. La manière dont ce refoulé se manifeste, d’abord inconsciemment, puis consciemment se trouve remarquablement traité par Haneke. Par de rapides plans d’insert, puis un autre un peu plus long, dans un premier temps. C’est lorsque que Georges prend connaissance de la troisième cassette, celle de la maison de son enfance, que ce souvenir refait consciemment surface. La mauvaise conscience de Georges se trouvant redoublée par celle qu’il éprouve envers Anne, à qui il ne ne dit rien de ses soupçons (sous le prétexte de les protéger, elle et Pierrot). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous en venons par conséquent au contenu de la cinquième cassette (l’échange filmé qu’ont Georges et Majid dans l’appartement de ce dernier). Pris pour ainsi dire en flagrant délit, Georges se trouve dans l’obligation d’avouer à son épouse la vérité. Ce n’est cependant qu’une partie de cette vérité, puisque Georges évoque le contexte de la guerre d’Algérie, la manifestation du 17 octobre 1961, la disparition des parents de Majid au lendemain de cette disparition, le désir de ses parents d’adopter Majid et celui de l’enfant qu’il était d’y contrevenir : d’où son « caftage » à l’époque. Pourtant le narrateur s’arrête là : Georges étant dans l’impossibilité de dire précisément ce qui avait provoqué de « caftage » (disant ne plus s’en souvenir), reconnaissant cependant qu’ensuite Majid s’était retrouvé dans un home d’enfants. Plus tard, bouleversé autant que traumatisé sur le moment par le suicide de Majid, se tranchant la gorge devant lui, Georges finit par avouer à Anne ce qu’il lui avait jusqu’à présent caché (l’épisode de la décapitation du coq). On subodore que pour son épouse rien ne sera jamais plus comme avant avec Georges. Elle risque à l’avenir de le mépriser. Soit en prenant sur elle, comme tout à la fin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Aventura, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quand le personnage joué par Monica Vitti pose une main consolatrice sur l’épaule de son pitoyable compagnon, parce que les hommes sont faibles n’est-ce pas. Ou le mépris définitif du film de ce nom (celui du personnage joué par Bardot envers Piccoli). C’est également dans ce registre qu’il faut replacer la conversation tendue vers la fin du film entre Georges et le fils de Majid. Le jeune homme le quittant sur ce constat : « Je voulais savoir comment on se sent quand on a un homme sur la conscience. C’était tout ». En laissant Georges, qui s’en défendait quelques secondes auparavant (« Tu n’arriveras pas à me convaincre d’avoir mauvaise conscience parce que la vie de ton père a été peut-être triste ou bousillée ! Je ne suis pas responsable ») bouillir dans ce jus. L’échange suivant, « Bon alors qu’est-ce que tu veux ? Que je te demande pardon ? - A qui ? A moi ? « , le souligne.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Si l’on s’en tient à l’exposé des faits, le doute ne parait pas permis quant à la « culpabilité » de Georges. Pourtant, si l’on prend de la distance, ou si l’on tire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du côté de la fable n’est-on pas tenté de rééquilibrer les deux partis en présence ? Sans rien ajouter en ce concerne Georges, tout a été dit. Mais en face, ne faut-il pas évoquer, provoqué par l’esprit de vengeance, un dispositif particulièrement pervers. Autant raffiné d’ailleurs que pervers. Sans que l’on sache si le suicide de Majid en fait réellement partie (ce qui serait le point culminant de ce dispositif pervers, eu égard la décapitation du coq). Il est pourtant permis d’en douter, et même de le récuser puisque nulle cassette n’a été adressée aux Laurent après la cinquième (la cassette réceptionnée par le supérieur hiérarchique de Georges à la télévision n’étant qu’une copie de la cinquième). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une question se pose au sujet de la mort de Majid. Pourquoi Haneke dont le cinéma nous avait habitué à reléguer la violence hors champ, qui a pour ainsi dire théorisé cette démarche, filme-t-il frontalement le geste meurtrier de Majid envers lui-même, un geste d’autant plus terrifiant qu’il est inattendu ? Sarah Chiche remarque que cette scène, en ajoutant la fausse suppression de Peter dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(qui s’explique comme cela a été dit par son annulation) et celle de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La pianiste </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">où Walter frappe Érika (mais nous ne sommes pas ici dans le même registre) « sont les seuls exemples dans la filmographie de Haneke, où précisément on voit cette violence en action ». J’ai plus haut évoqué un « dispositif pervers », celui de l’envoi de cassettes et de dessins d’enfant. Mais ce dispositif n’est-il pas enrayé par la disparition de Pierrot ? En réalité une fausse disparition, le jeune adolescent ayant « oublié » de prévenir ses parents. Car le ravisseur ne peut être que Majid dans l’esprit de Georges. Une pseudo disparition dont les conséquences - l’irruption de la police (avec Georges) au domicile de Majid, l’interrogatoire de ce dernier et de son fils au commissariat - sont-elles de nature à expliquer ce suicide ? C’est là qu’il convient d’ajouter que la cinquième cassette montrait (Georges la découvrait à son domicile avec Anne, qui l’avait déjà visionnée) un Majid, après le départ de Georges, effondré et se prenant la tête dans ses mains. Un moment bouleversant, si l’on tente de reconstituer ce qu’a été la vie de cet homme, élevé dans un orphelinat, qui pourtant, malgré l’aversion que lui inspire Georges, reste digne lors de cette rencontre. Et l’on pourrait dire la même chose de son fils, lors de cette conversation tendue avec Georges, sur le lieu de travail de ce dernier. Un lien peut d’ailleurs être fait à travers le propos suivant du fils : « Vous avez privé mon père de la possibilité de recevoir une bonne éducation. A l’orphelinat on apprend la haine mais pas vraiment la politesse. Et pourtant mon père m’a bien éduqué ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fragments du monde : retour sur l’oeuvre de Michael Haneke </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">contient des contributions d’universitaires américains, dont celles de Scott Loren et Jorg Metelmann pour qui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">serait « la projection extériorisée d’un traumatisme interne portant sur la culpabilité post coloniale et l’espace domestique compromis ». C’est déjà forcer le trait. Plus loin on se demande si ces deux universitaires pêchent par méconnaissance de la société française ou si leur grille d’interprétation post-coloniale ne peut que déformer leur perception de la réalité, par exemple au sujet de la scène suivante. Lorsque Georges et Anne quittent le commissariat après avoir en vain alerté la police (deux cassettes et des dessins d’enfant leur ont été alors adressés), un Georges, énervé, s’engage entre une voiture et une camionnette pour traverser la rue. Un cycliste (jeune noir, assez grand) surgit soudainement et manque de le renverser. Georges lui crie alors : « Ca va pas, connard ! ». D’où s’ensuit une altercation à laquelle Anne met fin en déclarant que tous deux n’ont pas fait attention. Ce cycliste est évoqué par Loren et Metelmann comme « un migrant africain d’une classe inférieure » (sic). Que ce jeune noir soit d’origine africaine (plus qu’antillaise), c’est fort probable. Mais ce n’est nullement un migrant (rien dans son absence d’accent, son langage, ses expressions, son attitude ne l’accrédite). Et le fait de circuler en vélo dans les rues de Paris ne vous identifie pas pour autant aux « classes inférieures ». Cette altercation n’est là que pour signifier le degré de nervosité de Georges à ce moment-là. A l’opposé, si l’on peut dire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Rivarol </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">a cru discerner à travers « les manipulations hypercérébrales et ultra-Politiquement correctes » de Haneke comme un manifeste de « l’anti France ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant la palme revient à Jean-François Thoret, promu détracteur en chef du cinéaste, écrivant dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie Hebdo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Haneke ne filme pas à hauteur d’homme mais de mirador, comme un juge sinistre et peu inspiré, sans jamais donner à ses personnages cobayes - qu’au fond il méprise - la moindre planche de salut. Pas d’explication, pas de nuances, pas de rachat possible : de même que Georges est pathétique dans sa volonté de refouler ce trauma historico-intime avec lequel Haneke le pilonne, de même ceux qui le pourchassent paraissent ontologiquement innocents ». Il n’y a pas une seule phrase de juste dans ce commentaire acrimonieux, très en dehors du sujet. Ce contresens patent de Thoret sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">cachant difficilement la mauvaise foi du critique. Et puis, pour qui se souvient des éditoriaux à l’époque de Philippe Val (qui avait embauché Thoret) dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie Hebdo,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> il y a comme une proximité dans le discours entre l’un et l’autre. Mais nous n’en avons pas terminé avec l’insubmersible Jean-François Thoret.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ruban blanc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(2009) a suscité moins de polémiques que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ou celles à venir avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Cela s’explique certainement, une fois n’est pas coutume chez Haneke, par le temps de l’action, non contemporain (celle-ci étant située dans l’Allemagne du Nord à la veille de la guerre de 14/18) : le superbe noir et blanc y participant, et contribuant également à l’inscription du film dans un registre plus esthétisant qu’à l’ordinaire. Des éléments donc, en particulier le second, qui expliquent le relatif consensus autour du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ruban blanc. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce qui ne veut pas dire pour autant que Michael Haneke se serait amendé, aurait arrondi les angles, ou serait pris en flagrant délit d’académisme. Bien au contraire, la noirceur propre au film n’est pas uniquement due à l’utilisation du noir et blanc, mais prolonge en quelque sorte la récurrente réflexion d’Haneke sur l’état de la société. A la différence ici que son propos traite d’un sujet très en amont de ceux qui d’habitude sollicitent le cinéaste depuis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le septième continent. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’histoire que raconte Haneke dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ruban blanc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se situe entre le début de l’été 1913 et la fin de l’été 1914. Le cinéaste y brosse le tableau d’une société villageoise, très majoritairement paysanne, au sommet de laquelle le hobereau local, un baron, exerce son autorité sur la vie des chaumières et celle des champs. L’autorité spirituelle étant le domaine du pasteur, véritable gardien des âmes et des consciences dans cette Allemagne du nord profondément luthérienne. Entre ces deux autorités et la plèbe villageoise, l’instituteur, le régisseur du domaine du baron, voire la sage-femme occupent une position intermédiaire. Le médecin, un libre penseur, n’a de comptes à rendre à personne et fait figure d’électron libre. C’est sans doute la raison pour laquelle il est la première victime de la série d’incidents qui vont défrayer la chronique du village pendant un an. Une grave chute de cheval, provoquée par un mince filin dressé entre deux arbres, l’envoie à l’hôpital, la clavicule brisée. L’enquête faite par un gendarme ne donne aucun résultat. L’accident mortel ensuite d’une paysanne dans un grenier vermoulu du domaine, mis sur le compte de la fatalité, révolte son fils aîné (pour qui le baron est indirectement responsable de la mort de sa mère). Lors de la fête de la moisson il décapite un champ de choux appartenant au baron. Le même jour Sigi, le jeune enfant du couple de hobereaux, disparait. On le retrouve durant la nuit ligoté, et ayant subi des sévices. Le lendemain à l’église, devant les villageois réunis, le baron les encourage à dénoncer le ou les agresseurs de Sigi. Le fils du paysan, ici disculpé, n’en ayant pas moins reconnu devant les gendarmes être l’auteur du fauchage des choux. Entre autres conséquences de l’épisode Sigi, son percepteur et la jeune nurse (qui s’occupe des deux enfants en bas âge du baron) sont renvoyés. Tout comme la famille de paysans (dont le fils est en prison) du domaine. On retrouvera peu de temps après le père pendu. Enfin la baronne quitte le village et l’Allemagne avec ses trois enfants pour l’Italie, où tous séjourneront jusqu’au printemps.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Des mois s’écoulent, sans incidents. Le médecin revient au village et reprend ses consultations. L’incendie de l’une des granges du domaine précède l’agression dont est victime Karli, le fils handicapé de la sage-femme (retrouvé attaché à un arbre, et qui risque de perdre la vue). Une autre agression, moins grave, sur la personne du jeune Sigi incite la baronne à retourner en Italie avec ses enfants. On ne sait pas si elle mettra son projet à exécution puisque durant une violente dispute avec son mari celui-ci le lui interdit. Une altercation d’ailleurs interrompue par le régisseur, venu annoncer au baron l’assassinat de l’archiduc d’Autriche à Sarajevo. Il importe d’indiquer ici que le narrateur de ce récit, l’instituteur, entreprend de raconter ces événements de longues années plus tard. C’est la voix d’un vieil homme fatigué que l’on entend. L’instituteur avait 30 ans au début du récit et l’on suppose que son témoignage date des lendemains de la chute du Troisième Reich. Cette distance permet d’inscrire cette histoire locale dans la grande histoire. Celle racontée par un vieil homme qui éprouve parfois des difficultés à se souvenir.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci devait être précisé avant d’en venir aux scènes, essentielles, situées entre l’assassinat de Sarajevo et la déclaration de guerre. L’instituteur qui a récupéré une bicyclette (il lui importe de retrouver sa fiancée, qui vit et travaille à la ville, dans ce climat de menace de guerre) croise la sage-femme. Celle-ci le supplie de lui prêter ce véhicule : son fils venait de lui révéler les noms de ses agresseurs et il lui fallait le plus rapidement possible en informer la police du district. Il lui cède la bicyclette mais constate peu de temps après que l’habitation de la sage-femme est fermée. Tout comme celle du médecin où un écriteau précise que les consultations sont suspendues. Comme l’instituteur avait plus tôt vu plusieurs enfants du village rôder autour de la maison de la sage-femme il interroge deux d’entre eux : les deux enfants les plus âgés du pasteur, Klara et Martin. Puis il s’entretient avec le pasteur pour lui faire part de ses soupçons. A l’entendre, procédant par recoupements, les enfants pourraient être les responsables de la plupart des incidents survenus dans le village depuis un an. Le pasteur refuse d’en entendre davantage, et va jusqu’à menacer son interlocuteur.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plusieurs scènes, en amont, apportent le témoignage de l’éducation rigoriste (basée sur la culpabilisation et les châtiments corporels) que les enfants du pasteur reçoivent, principalement les deux aînés : Klara étant de surcroit humiliée par son père devant plusieurs de ses camarades, et l’on attache la nuit les mains de Martin pour l’empêcher de se masturber. Pourtant ce pasteur ne se confond pas, par exemple, avec la figure encore plus haïssable de l’évêque luthérien de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Fanny et Alexandre</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> de Bergman. Il n’est pas uniquement ce père sévère, fouettard, et despote domestique. Deux scènes avec le plus jeune de ses enfants (au sujet d’un oiseau blessé) prouvent qu’il n’est pas totalement dépourvu d’humanité. Ce n’est pas tant l’homme, fort déplaisant certes, qu’un système éducatif pervers, implicitement sadique, culpabilisant surtout, qui se trouve incriminé. Et à travers lui l’influence délétère de la religion. Quant au médecin, autre registre, il se livre à des attouchements sur sa fille ainée. Signalons que cette dernière, élevée par ce libre penseur, n’est jamais présente dans les groupes d’enfants que l’on peut non sans raison soupçonner d’être les auteurs des faits relevés plus haut. Un mot également sur le régisseur, dont la main n’est pas moins ferme que celle du pasteur pour corriger son fils. Mais cela ne s’accompagne pas chez lui d’une volonté de culpabiliser son rejeton, d’obliger à porter ce ruban blanc que Klara et Martin arborent, telle la marque d’un fer rouge, après avoir transgressé les lois divine et paternelle : un ruban blanc censé rappeler aux yeux de tous la pureté de l’enfance.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous sommes au coeur de la thématique qu’Éric Dufour présente ainsi : « C’est l’idée selon laquelle l’exigence morale la plus haute, la plus pure, finit toujours par produire le contraire de ce vers quoi elle tend ». S’inscrivant en cela contre la morale kantienne il ajoute que « dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ruban blanc, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">c’est bien la morale, l’éducation morale, dans son exigence de pureté qui fait qu’aucune entorse à la loi n’est admise, qui fait que les enfants deviennent des meurtriers ». Le conditionnel serait préférable puisque la culpabilité des enfants en l’occurrence n'est pas prouvée mais qu’il y a de fortes probabilités pour que les déductions de l’instituteur s’avèrent exactes. En tout état de cause, poursuit Dufour, « les enfants du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ruban blanc, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">éduqués moralement, deviennent des instruments du mal et se mettent à punir tous ceux qui ne sont pas à la hauteur de la loi - ce qui veut dire tout le monde si on ne se fie plus simplement à la conformité extérieure des actes à la loi ». On pourrait évoquer là quelque dialectique retorse en soulignant que les enfants agissent comme des agents inconscients de valeurs morales que les adultes responsables (le pasteur en premier lieu) mettent en avant sans pour autant que celles-ci se traduisent dans les faits. Ainsi il faut « punir » le couple illégitime que forment le médecin et la sage-femme, ou de manière plus diffuse le couple de hobereaux (le baron n’est pas aimé mais respecté, et une certaine rumeur le rend indirectement responsable de la mort de la femme du paysan) à travers leur fils Sigi (qui d’ailleurs paraît être plus élevé selon les critères de la mère que ceux du père).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ici une digression. Sans vouloir comparer les cinémas de Visconti et de Haneke, différents sur bien des plans, deux éléments doivent être signalés qui valent pour citation. Le costume de Sigi dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ruban blanc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est le plus souvent la réplique exacte de celui que porte Tadzio dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à Venise. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’hostilité du fils ainé du régisseur (et certainement des autres garçons de son âge) envers Sigi, par-delà le côté envieux, manifeste, pourrait aussi s’expliquer par l’aspect efféminé du jeune garçon, ce qui peut à travers lui renvoyer à l’homosexualité. Second élément : le nourrisson, dernier né de la famille du régisseur, échappe de peu à la mort (la fenêtre de la pièce où il dormait ayant été ouverte par l’un de ses frères). C’est la reprise de l’un des épisodes marquants de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’innocent </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(sauf que dans le film de Visconti l’enfant meurt). La comparaison de surcroît s’impose puisque </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mort à Venise, L’innocent </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ruban blanc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sont tous trois situés durant la période précédant la guerre de 14/18. A la différence que Visconti décrit un monde (aristocrate et grand bourgeois) en voie de décomposition, tandis qu’Haneke, à travers la chronique d’un village de l’Allemagne du nord, traite du risque que fait peser sur la société l’éducation la plus rigoriste, la plus autoritaire, la plus moralisatrice, sans exclure que celui-ci puisse se confondre un jour avec le pire, à savoir le nazisme. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est l’une des hypothèses que l’on retient non sans ajouter qu’Haneke a pris le soin de préciser que « dans ce film en particulier, il était primordial de prendre du recul sur l’éventuelle culpabilité des enfants qui, adultes, ne deviendraient pas tous des tortionnaires de juifs dans les camps ». Certes, mais des scènes a priori anodines, celles où l’on voit les enfants apparaître là où un drame a eu lieu, le groupe ne parlant qu’à travers l’inquiétante Klara, témoignent d’une menace diffuse et suscitent l’inquiétude, du moins vers la fin du film. On signale aussi que ce sont les enfants les plus âgés qui composent ce groupe, les plus jeunes en sont exclus (comme si l’éducation en question ne les avait pas encore pervertis).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour conclure, la scène du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ruban blanc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui a le plus heurté certains spectateurs, ou dont le souvenir s’impose pour d’autres, n’a apparemment rien à voir avec tout ce qui vient d’être dit. Quelque temps après son retour de l’hôpital, le médecin se trouve dans l’incapacité de manifester la moindre émotion sexuelle envers la sage-femme, sa partenaire et maîtresse, malgré les efforts de cette dernière. Il se retourne contre elle, et sur le ton de la colère froide entreprend de la déprécier sur le plan physique, de l’humilier de la manière la plus cruelle, la plus outrageante. Ce qui n’est pas exempt d’une certaine « haine de soi » que le médecin serait prêt à reconnaître dans un tout autre contexte. Indiquons aussi que sa maîtresse lui fait remarquer qu’elle n’est pas sans s’apercevoir qu’il « tripote » sa fille. Elle doit cependant boire le calice jusqu’à la lie lorsque son amant lui conseille de mettre fin à ses jours. Il parait aussi possible - d’après la rumeur - que le médecin soit le père de Karli, l’enfant handicapé de la sage-femme. Mais si l’on peut se fier aux souvenirs de l’instituteur pour ce qui concerne son observation directe, voire tout ce qui lui a été rapporté, il est permis de s’interroger sur le reste. Le médecin et la sage-femme partis sans donner d’explication, il ne fallait pas aller plus loin pour que cette même rumeur publique leur fasse porter la responsabilité des incidents survenus au village ces derniers mois. Cette double figure de bouc émissaire permettait ainsi d’occulter tout ce qui pouvait remettre en cause le bon fonctionnement, les « valeurs », et les règles de pareille société. Le pasteur l’avait bien compris : engager la responsabilité des enfants c’était prendre le risque d’ouvrir la boite à pandore. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est peu dire que les réactions lors de la sortie d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ont été contrastées. Le choeur des habituels détracteurs de Haneke s’est de nouveau fait entendre, alors que pour des commentateurs jusqu’à présent partagés sur le cinéaste il s’agissait de son meilleur film. Sans parler de tous ceux que le thème d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mettait mal à l’aise : les uns tentant de l’expliquer tandis que d’autres s’efforçaient de contourner l’écueil. Ce que l’on peut résumer par « donner la mort par amour » n’étant pourtant que la conséquence de tout ce qu’auparavant le film soulignait. C’est vouloir dire qu’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">possède sa propre logique si l’on prend en compte divers éléments : en premier lieu le souhait d’Anne, après son premier accident vasculaire cérébral, de ne pas retourner à l’hôpital, et la promesse faite alors par Georges de s’y tenir. Ceci n’étant que la partie émergée de l’iceberg.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce malaise face à la mort, que l’on apprécie ou pas le film d’Haneke, n’a pas été sans parfois masquer un sentiment de malaise moins avouable, celui devant la vieillesse, du moins dès lors qu’elle serait filmée sans complaisance. Car il y a vieillesse et vieillesse. En mettant de côté le genre documentaire (qui n’est pas à quelques exceptions près « grand public »), elle se trouve souvent dévitalisée au cinéma, en gommant ce qui chez elle dérange. Les personnages âgés montrés à l’écran sont généralement des vieux en pleine forme, sinon pittoresques. La publicité d’ailleurs ne s’y trompe pas en renchérissant sur leurs capacités physiques. Par conséquent il devient rare de se trouver confronté dans une fiction à une image de la vieillesse proche de ce que signifie le mot vieillir (la magnifique chanson de Brel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vieillir, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">valant de longs discours). L’attachant film de René Allio, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La vieille dame indigne, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">appartient à une autre catégorie, tout comme quelques autres films de cette veine. Ce qui vient d’être dit sur « l’image de la vieillesse » valant pour les corps vieillissants, dont la nudité se trouve encore plus rarement montée à l’écran (à l’exception notable de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Numéro 2 </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Godard).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Haneke nous confronte dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au quotidien d’un couple de personnes âgées, Georges et Anne, comparable semble-t-il à celui de beaucoup d’autres, mais que la maladie d’Anne (limitant dans un premier temps son intégrité physique, puis ensuite son intégrité intellectuelle) bouleverse. Ce qui va occasionner des malentendus, voire des conflits avec le monde environnant. Ceci dans la mesure où le déraisonnable prend alors le pas sur le raisonnable. L’attitude de Georges, compte tenu de son comportement alors envers Anne, peu raisonnable selon les critères habituels, usuels ou recommandés dans ce cas d’espèce, le mettra progressivement en porte-à-faux avec son entourage. Ce qu’illustre leur fille à chacun de ses passages : cette voix de la raison se confondant avec celle de l’incompréhension. Cela vaut aussi pour les deux infirmières. La première a un comportement adapté avec sa patiente, mais le discours qu’elle tient à Georges en le quittant (l’incitant à ne pas trop prendre au sérieux les appels de sa compagne : « Ils disent toujours quelque chose (…) C’est un automatisme ») nient Anne pour ne voir à travers elle qu’une malade parmi tant d’autres. C’est encore plus flagrant avec la seconde infirmière, maltraitante elle (sans le savoir), que Georges renvoie sans ménagement. Auparavant, alors qu’Anne était encore en possession de ses moyens intellectuels, son ancien élève, Alexandre, devenu un pianiste connu, en rendant visite au couple s’était montré maladroit et bien peu psychologue en posant à l’intéressée des questions sur sa maladie. Il le sera encore plus à travers le mot accompagnant l’envoi de son dernier CD.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans la première scène d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">des pompiers défoncent la porte d’un appartement, suivis par des agents en tenue et un officier de police. Ils découvrent dans une chambre le cadavre en voie de décomposition d’une vieille femme. Nous savons d’emblée qu’Anne est décédée depuis un certain temps déjà. Mais qu’est devenu Georges, qui semble avoir quitté son domicile peu de temps après le décès ? Nous n’en saurons rien. Comme d’ordinaire avec Haneke la fin reste ouverte. Ici cependant je ferai une réserve. Cela ne concerne pas tant la dernière scène - où l’on voit la fille, Eva, se déplacer de manière énigmatique dans l’appartement vide de ses parents - que la précédente. Celle d’une rêverie éveillée de Georges, plus que d’un rêve, durant laquelle Anne, vaquant dans la cuisine, puis s’apprêtant à sortir avec son compagnon, apparaît telle que nous l’avons découverte dans la seconde scène d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (avant la première manifestation de l’accident vasculaire cérébral). Serait-ce le début d’un processus de déréalisation chez Georges ? Dans ce cas pourquoi aurait-il quitté son domicile, lieu le plus propice aux « apparitions » d’Anne dans la vie quotidienne ? D’autant plus qu’il venait de condamner la porte de la chambre où reposait le cadavre, témoignage plus ou moins conscient d’une volonté de ne pas se trouver confronté à pareille réalité. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce sont plus que des réserves qu’exprime </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Cahiers du cinéma </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans le numéro de novembre 2012 qui consacre six pages (et une partie de l’éditorial) à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">On ne sait pas bien ce qui relève en premier lieu de l’incompréhension ou d’une certaine mauvaise foi à lire ce dossier à charge. Lorsque Stéphane Delorme cite dans l’éditorial le chanson </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les vieux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dit-il, aurait pu s’intituler ainsi) en évoquant « la chanson cruelle de Brel » (pour mieux souligner que ce film s’est en définitive appelé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« par coup de force ») je relève là un premier contresens : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les vieux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est nullement une « chanson cruelle » mais le tableau d’une justesse confondante d’un couple âgé (ressemblant à beaucoup d’autres couples de vieux). A vrai dire Delorme ne se réfère de manière erronée à la chanson de Brel que pour mieux affirmer qu’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">appartiendrait à la catégorie « des films insupportables de misanthropie ». Mais de quelle misanthropie nous entretient le film d’Haneke ? C’est absurde. Il n’y a pas plus de misanthropie dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(que dans les autres films du cinéaste autrichien), mais un regard clinique, sans complaisance, sur une triple confrontation depuis un exemple concret avec la vieillesse, la maladie et la mort. Quand on lit que la claque qu’Emmanuelle Rivat (Anne) reçoit de Jean-Louis Trintignant (Georges) serait en réalité « donnée au spectateur », rectifions. C’est à une certaine critique que nous serions tenté de l’adresser.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’article de Jean-Philippe Tessé, « Mal, mal, mal », par-delà le côté « réponse du berger à la bergère » (la plume de la bergère étant tenue par Gérard Lefort dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Libération</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), nous apprend que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Cahiers du cinéma </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« ont été interdit de projection de presse parisienne pour avoir insuffisamment aimé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à Cannes ». C’est fâcheux et regrettable (mais qui doit-on incriminer, la production ?). Ce qui explique en partie la mauvaise humeur des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mais prend un caractère grotesque quand on lit les lignes suivantes. Haneke rejetterait « ce qu’il considère de la sentimentalité parce qu’il comprend mal les sentiments du spectateur que son habitus de père-la-morale condamne sans lui donner la moindre chance ». Ceci, bien entendu, « par misanthropie ». C’est plutôt le spectateur qui devrait se retourner contre le commentateur : tu les connais, toi, mes sentiments ! Lorsque Tessé, vers la fin de son article, oppose « l’ironie dévorante et paradoxalement vitaliste de ses compatriotes Thomas Bernhard et Elfriede Jelinek, passés maîtres dans l’art du dégommage à l’autrichienne » au cinéma d’Haneke (« enfermé dans ses certitudes et sa posture radicale ») on subodore que l’aimable critique n’a pas vu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La pianiste</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, le film, ni pris connaissance du roman de Jelinek. Ni lu, surtout, la préface de cette dernière à l’ouvrage reprenant le scénario et le découpage du film d’Haneke. Si ce n’est pas de la méconnaissance, dans le cas où Tessé ne l’ignorerait pas, il faudrait reparler alors de mauvaise foi. Quant à Thomas Bernhard, seuls les bons connaisseurs de Haneke savent que notre cinéaste a jadis écrit sur son compatriote autrichien à une époque où Bernhard était loin d’avoir la notoriété qui est la sienne depuis une trentaine d’années. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Joaquim Lepestier dans son article, « Haneke père sévère », reprend une antienne commune aux détracteurs d’Haneke : « Il y a toujours chez lui cette façon de faire passer au spectateur, comme à ses acteurs, des moments délibérément pénibles, voire humiliants, tout en les enrobant d’un sévère « c’est pour ton bien » ». C’est trop caricatural pour être discuté. L’un des enjeux de cet article consiste à vouloir prouver dans un registre d’équivalence la supériorité du cinéma américain (ou de tous ceux « qui n’ont pas peur du kitsch, eux ! ») sur celui d’Haneke. Il oppose par exemple « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lost Highway </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de David Lynch et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- deux histoires de harcèlement et de cassettes vidéos - pour comprendre à quel point l’écriture de Haneke est surtout impeccable sur le plan du récit (et en cela effectivement digne du plus grand intérêt) que tout de même très contrite sur le plan de l’expression plastique ». Il existe un seul point commun entre ces deux films : les couples de l’un et l’autre reçoivent des cassettes vidéo. La comparaison s’arrête là : le traitement ensuite s’avérant très différent. « L’expressivité plastique » en question c’est celle de ce cinéma postmoderne auquel appartient celui de Lynch. Il n’est pas indifférent de rappeler ici la valorisation du kitsch par le critique des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cahiers</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On a curieusement reproché à Haneke, lors de la sortie de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">son ultime film à cette date, de se répéter. D’aucuns, parmi les critiques, estimant même que le « système Haneke » touchait avec ce dernier film ses limites. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">a pu laisser des commentateurs perplexes certes, pas pour cette raison mais parce que nous étions en quelque sorte confrontés à une « nouvelle manière » du cinéaste. Les guillemets s’imposent puisque nous retrouvons avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les fondamentaux du cinéma de Haneke. Il y a juste une différence de tonalité vers plus d’ironie, celle-ci apparaissant pour ce qu’elle est dans les deux scènes concluant ce film. Alors qu’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">renoue sous un certain angle avec l’aspect fragmentaire du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Septième continent, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">71 fragments d’une chronologie du hasard, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Code inconnu, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">il s’en distingue pour les raisons mêmes qui viennent d’être évoquées. Revenons par exemple sur l’épisode conclusif d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">On ne sait si Haneke s’est référé, négativement parlant, au lobbying auprès d’Hollywood vers la fin du XXe siècle d’un think tank proche du parti républicain « pour que les films continuent à valoriser l’image du mariage comme fin heureuse ». Car, comme l’écrit Sarah Chiche, « tout ceci est subverti d’une façon très farcesque à la fin du film ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Précisons qu’Haneke nous confronte aux tribulations d’une famille de bourgeois calaisiens, les Laurent. Chacun des membres de cette famille jouant dans sa partition. Seule Anne (le personnage joué par Isabelle Huppert), à la tête de l’entreprise familiale, tente de conserver l’unité du groupe, de sauver les apparences ou de recoller les morceaux, mais elle échoue a faire de son fils son successeur. D’où ce mariage avec cet homme d’affaire anglais, l’amant en titre, pour maintenir à flot l’entreprise Laurent. Le propos évidemment critique du cinéaste envers cette classe bourgeoise ne saurait à lui seul résumer le film. Relevons deux façons de filmer la bourgeoisie : la manière Chabrol et la manière Bunuel. Avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Haneke se range dans le second cas de figure. Le plan du repas de mariage durant lequel la famille Laurent découvre, étonnée, ce que le plan suivant nous apprend : l’irruption des migrants dans la salle de restaurant (conduits par Pierre, le fils, qui vient régler des comptes avec sa famille), n’est pas sans renvoyer à celui, célèbre, du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charme discret de la bourgeoisie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">où les bourgeois attablés découvrent, le rideau tiré, qu’ils se trouvent en réalité sur une scène de théâtre. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le frère médecin, puis le marié et enfin Anne tentent d’endiguer cette irruption en neutralisant Pierre. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quand Marcos Uzal (dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Libération</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) écrit sur la scène en question que Haneke « se montre alors mal à l’aise et distant envers ces intrus que les convives, gênés, incapable qu’il est de les filmer autrement que de loin, comme d’indistinctes silhouettes, de vagues emblèmes de la misère du monde. Face à cette scène qui ne dérange que par sa maladresse, on mesure l’impuissance de ce cinéma, engoncé dans sa froide maîtrise et ses condescendances certitudes, à s’ouvrir à l’altérité, à se laisser troubler par l’impureté du réel », nous nous demandons pour rester poli si nous avons vu le même film. Et puis la mention d’un Haneke « incapable qu’il est de les filmer que de loin » laisse supposer qu’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">serait le premier film d’Haneke vu par ce critique. Il n’en est rien puisque plus haut Uzal nous dit être sorti des films précédents de notre cinéaste « groggy et en rage ». Quant à la prétendue « maladresse » d’Haneke elle n’est qu’un piteux argument rhétorique qui lui, en revanche, souligne l’impuissance d’une certaine critique à prendre en compte cette oeuvre cinématographique, et plus encore à faire preuve d’un minimum d’objectivité la concernant. Lorsque dans une même phrase on reproche à Haneke sa « maladresse » et sa « maîtrise » c’est à se demander si Uzal se relit. Même quand il avance qu’avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Haneke « nous épargne ici les scènes coups de poing dont il a le goût » (qui mettent habituellement « en rage » notre pauvre critique) c'est pour ajouter que son cinéma « s’en trouve comme désarmé ». Cette « tonalité un peu plus légère », poursuit Uzal, fait d’autant plus ressortir la « mécanique » hanekienne, cet « enchaînement de scènes ternes, démonstratives. Ses personnages ne sont plus que les pantins sans âme d’un lugubre jeu de massacre, les archétypes désincarnés dans un monde sous cloche ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous retrouvons là, le refrain ne varie pas, les habituels reproches adressés à Haneke. Passons sur le ridicule uzalien d’un cinéma « si étranger à la joie » pour en venir à l’affirmation selon laquelle avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« le cinéaste filme le violent mépris de cette classe (bourgeoise) envers l’Autre (l’ouvrier, l’étranger, l’immigré) tout en étant dépourvu du « sens de la dialectique ou du contrepoint ». Uzal, pour aggraver son cas, n’est même pas capable de voir ce qui se passe sur l’écran. Cette famille bourgeoise, les Laurent, appartient bien à son époque. Elle est « sympa » comme on l’est à la mode de ce temps avec le couple de domestiques marocains qui la sert. Dans ce petit monde la cheffe de famille, Anne, n’en finit pas d’arrondir les angles, y compris lors du repas de mariage. Elle finit par proposer aux migrants, invités par son fils pour « casser l’ambiance », de prendre place à une table (malgré les regards et les murmures réprobateurs des convives invités). Parler d’un « violent mépris de cette classe envers l’Autre » n’est donc pas très pertinent. Il s’agit de quelque chose de beaucoup plus insidieux. Uzal se garde bien d’en parler parce que dans ce cas il se serait abstenu de glisser une phrase du genre « Haneke n’a aucun sens de la dialectique ou du contrepoint », comme il l’écrit bien imprudemment. Par exemple les Laurent proposent à la famille de l’ouvrier victime d’un accident de travail (la responsabilité de l’entreprise Laurent étant dégagée) un dédommagement financier. Mais c’est à prendre ou à laisser. Dans l’éventualité d’un procès l’entreprise Laurent ferait valoir que Pierre Laurent avait été rossé devant témoin par le fils de la victime. La lutte des classes se perpétue sans que les Laurent affichent ostensiblement un quelconque mépris de classe (à l’instar de leur relation avec le couple de domestiques). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce qui n’empêche nullement le ver d’être dans le fruit : aux deux bouts de la chaîne, pourrait-on dire, avec le patriarche qui ne supporte plus les outrages de la vieillesse et tente de mettre fin à ses jours, et la jeune adolescente, Eve, la nièce d’Anne. Un lien ici peut être fait entre Eve et Benny (l’adolescent de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Benny’s vidéo</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) à travers les relations que tous deux entretiennent avec le monde des nouvelles technologies, 24 ans séparant les deux films. Eve appartient au plein sens du mot à la génération du smartphone. Ce n’est pas tant chez elle sa dépendance envers cet outil technologique (puisque la très grande majorité de nos contemporains y sont plus ou moins soumis) que l’insensibilité de l’adolescence qui importe ici : Eve filmant sa mère, son hamster, en en dernier lieu son grand père, le patriarche. On ne sait pas si Eve provoque directement ou indirectement la mort de sa mère, ou si elle l’a souhaitée. Elle ne fait preuve d’empathie qu’envers son demi-frère, un nourrisson. D’où son inquiétude (la seule qu’elle manifeste) quand à une probable infidélité de son père vis-à-vis de sa seconde épouse (la mère du nourrisson). Une infidélité confirmée quand Eve prend indument connaissance sur l’ordinateur de son père de sa correspondance érotique avec sa maîtresse. Bien que totalement différents le grand-père et Eve se reconnaissent comme étant tous deux hors du circuit des Laurent, ceci facilité par leurs aveux réciproques : le vieil homme avouant avoir jadis tué sa femme (qu’il aimait), et l’adolescente disant elle avoir empoisonné l’une de ses camarades pendant des vacances (un substitut, peut-être, de l’empoisonnement de sa mère). Enfin profitant de l’émoi causé lors du mariage par l’intrusion des migrants dans la salle de restaurant, le grand père et sa petite fille (la seconde poussant le fauteuil roulant du premier) quittent les lieux. Eve conduit son grand père jusqu’au bord de la mer, toute proche. En prenant du recul, tandis que le fauteuil roulant disparaît très progressivement dans l’eau, elle filme la scène depuis son smartphone. Dans le dernier plan de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Happy end</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, qui peut résumer tout le film, nous voyons le père et la tante d’Eve courir en direction du vieil homme. Tandis que le père passe sans se préoccuper de sa fille, sa tante, se retournant, lui jette un regard plus réprobateur qu’interrogateur. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette recension faite il importe de lever une hypothèque sur une notion que l’on associe parfois à charge ou à décharge au cinéma d’Haneke : celle du mal, plus précisément de sa dénonciation par le cinéaste de film en film. On comprend bien les raisons pour lesquelles les détracteurs d’Haneke s’en emparent pour prétendre que l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Caché </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">serait un cinéaste obsédé par la culpabilité, voire la « faute ». Dans l’autre camp relevons que le petit ouvrage d’Éric Dufour, plus haut cité, est intitulé </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’est-ce que le mal, monsieur Haneke ? </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un titre qui d’ailleurs ne rend pas véritablement justice à ce livre en ne consacrant que l’un des sept chapitres à la question (« Mal et culpabilité »). L’analyse porte principalement sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ruban blanc </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et surtout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny Games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(l’auteur se livre par exemple à un long et exhaustif relevé des différences quelquefois imperceptibles entre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny games </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Funny games USA</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), mais elle reste le plus souvent descriptive et prolonge en quelque sorte celle du chapitre précédent, « Société violence et spectacle ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sarah Chiche, dans son ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Éthique du Mikado, essai sur le cinéma de Michael Haneke, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se confronte davantage à cette question du « mal » chez le cinéaste dans un registre plutôt psychologique. Pourtant ll s’agit moins de postuler en quoi le cinéma d’Haneke nous permettrait « d’aller jusqu’au bout de la connaissance du mal » que de dire plus exactement de quoi ce mal est le nom. D’ailleurs Sarah Chiche le rectifie d’une certaine façon en indiquant plus loin que « le trouble dans lequel nous jettent les films d’Haneke consiste toutefois en ceci que la représentation du mal ne s’y montre pas sous la forme d’une simple apocalypse, c’est-à-dire d’une vision du mal, mais sur le mode de la révélation d’une vérité. Mais cette vérité, ce n’est pas le cinéaste qui se refuse systématiquement à donner toute interprétation de ses films, qui la détient ». On conviendra donc qu’il paraît préférable de faire un usage parcimonieux de la terminologie « mal ». Celui-ci, je le répète, n’étant que le nom que l’on donne à l’une ou l’autre des pathologies propre à notre monde contemporain. Et nul mieux qu’Haneke n’en a fait le relevé exact dans le domaine cinématographique.</span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci précisé insistons sur ce qu’il importe de privilégier dans l’oeuvre de Michael Haneke. Relevons d’abord son contenu critique vis-à-vis des nouvelles formes d’aliénation dans notre monde contemporain. Ensuite cette dimension critique se rapporte plus précisément au cinéma dominant, de divertissement (ou d’une cinéphilie ayant rendu les armes en adoptant une posture postmoderne). Ces deux données d’ailleurs se complètent, voire se confondent d’un film à l’autre. C’est bien entendu, j’y reviens, la ou les raisons pour lesquelles Haneke est aujourd’hui détesté par une bonne partie de la critique de cinéma, en particulier celle qui aurait la vocation ou la prétention d’exercer un magistère dans le monde du septième art.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Prenons l’exemple de Jean-Baptiste Thoret, qualifié plus haut de « détracteur en chef » de Haneke. Ce critique et historien du cinéma, plutôt spécialisé dans le cinéma américain et le « nouvel Hollywood », qui a de longues années tenu la chronique cinéma dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Charlie Hebdo </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(parmi les nombreux forfaits de Philippe Val signalons celui-ci : d’avoir embauché Thoret en remplacement du regretté Michel Boujut, remercié par Val) est l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cinéma contemporain mode d’emploi</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, un luxueux ouvrage publié en 2011 que l’on trouve aujourd’hui chez tous les soldeurs. C’est un peu comme si l’on confiait un éventuel </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Musique contemporaine mode d’emploi </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à Benoit Duteurtre. Dans ce livre richement illustré, qui élargit la notion de « contemporain » aux années soixante (voire cinquante) il est très peu question de Bellochio, de Cassavetes, d’Eustache, de Hong Song Soo, d’Oshima, de Pasolini, de Pialat, de Rivette, de Rohmer, de Godard, de Truffaut, de Chabrol, de Varda, de Wenders, de Fassbinder. Et Kluge, Tanner, Oliveira, Monteiro, Garrel, Costa, Weerasethakul, Vecchiali, Mocky, Étaix, Guediguian, Kieslovski, Guerman, Tarkovski, Kaurismaki, Kiarostami, Imamura, Naruse, Akerman, Iosseliani, Delvaux, pour s’arrêter là, ne sont même pas cités ! C’est peu dire que les cinéastes américains se taillent la part du lion. Comme Thoret ne mentionne que des réalisateurs correspondant à ses goûts, il peut paraître étonnant aux yeux du lecteur non averti de ne trouver qu’un seul cinéaste maltraité dans les 250 pages de l’ouvrage. Vous l’avez deviné : il s’agit d’Haneke. Dans la page qu’il lui consacre (« Le point de vue du maton »), Thoret reprend ses habituels griefs envers Haneke. En s’efforçant d’occulter la critique sociale présente dans ses films pour se focaliser sur le « mal », qui serait « partout, chez tous les personnages, en gestation ou déjà à l’oeuvre ». Le cinéma d’Haneke s’articulerait donc « autour du couple faute/culpabilité ». Une façon d’évacuer (« décréter </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">a priori </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la culpabilité d’une image ») tout rapport critique du cinéaste autrichien à l’image mais plus généralement toute dimension politique. « Touche pas mon cinéma ! », dit en substance Thoret qui du moins a parfaitement compris que celui de Haneke ne jetait pas la suspicion sur « le tout venant du cinéma contemporain », comme il s’efforce de le faire accroire (le « cinéma contemporain » selon Thoret se trouvant réduit à la portion congrue, comme les noms des cinéastes peu ou pas cités dans son ouvrage l’accrédite), mais très précisément sur celui que cet historien du cinéma illustre et défend majoritairement dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cinéma contemporain mode d’emploi. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Auparavant Thoret s’interrogeait sur ce « qu’est un bon rapport (au cinéma) » et répondait : « Un rapport juste qui apprendrait au spectateur à négocier avec toutes les images ». Précisons que « le point de vue du maton » succède - dans un chapitre intitulé « Quel point de vue sur la violence ? » - au « point de vue d’Oedipe » (l’éloge des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Chiens de paille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Peckinpah) et précède « le point de vue de la bonne cause » (des réserves que l’on peut partager sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Indigènes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">film mineur, mais ayant fait débat lors de sa sortie). Si j’ajoute que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les chiens de paille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">concentre maintes raisons que l’on a de rejeter ce cinéma spectaculaire, complaisant envers la violence, on se demande ce que le spectateur peut bien négocier en l’occurrence. C’est comme si l’on appelait les syndicats à la table de négociation alors que toutes les décisions ont déjà été prises en amont. Quand Thoret prétend que les films de Peckinpah « n’ont cessé d’éprouver notre propre ambiguité et d’insister sur notre ambivalence naturelle face aux images de la violence » il ne parle que pour lui. Enfin, autre indication du fait que Thoret a du moins compris sur quel terrain il lui fallait contre-argumenter, il retourne contre Haneke ce en quoi le cinéma de ce dernier traite de l’aliénation en général (et celle du spectateur en particulier) dans le monde contemporain. Puisque cette fameuse « négociation avec les images », ici avec Haneke « se résume </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">in fine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à leur rejet pur et simple, tant il est vrai que ses films substituent aux multiples images qui font le monde (les bonnes comme les mauvaises) une même image nocive et aliénante ». Dans un ouvrage, répétons-le, où Haneke s’avère être le seul réalisateur à subir un tel traitement le cinéaste autrichien fait figure d’ennemi public numéro 1 pour tous ceux qui, comme Thoret, se plaignent qu’on veuille leur casser leur jouet. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Lors de la sortie d’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en salle, un Thoret remonté comme une pendule reprenait dans l’émission « La Dispute » - sur France Culture - ses habituelles diatribes contre Haneke (« cinéaste ignoble », « Haneke le maton », « un bâton dans la main en haut d’un mirador »), régulièrement recyclées. Cela prenant par moment un aspect pathologique. Une petite phrase avait cependant davantage attiré mon attention, selon laquelle le cinéma de Haneke se caractériserait par « sa haine envers toute fiction absolue ». En attendant que Thoret nous explique ce que serait une « fiction absolue », n’est-ce pas une façon détournée d’incriminer qui s’en prendrait à tout cinéma de divertissement ? Tout film devant divertir le spectateur : les exégètes de ce cinéma étant là pour nous susurrer à l’oreille que derrière le divertissement, etc. etc. Ce n’est évidemment pas le seul Thoret qui tient le genre de discours que j’avais appelé, dans un tout autre contexte, « Laissez-nous twister ». Oui laissez nous prendre notre plaisir là où nous le trouvons, laissez nous nous abandonner au flux incessant des images, laissez nous prendre notre pied. Au diable les critiqueurs, les dénigreurs, les ennemis de la joie, les empêcheurs de se divertir en rond, les Haneke quoi…</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le propos de Thoret dans son ouvrage n’est pas sans recouper le point de vue des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cultural Studies </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sur ce genre de question. A savoir la défense et illustration d’une « culture mainstream » au prétexte que ce cinéma de divertissement (d’autres diraient « de genre » ou « populaire ») est vu par le plus grand nombre, et qu’il n’y aurait pas lieu d’ostraciser la très grande majorité du public en arguant que « ce qui divertit n’est pas de l’art ». D’aucuns, depuis cette perspective, incriminent « le cinéma d’auteur », en prétendant que les happy few qui le défendent le font au nom d’une conception élitiste du cinéma, laquelle tend à proscrire les films qui n’entreraient pas dans leur grille de lecture. D’autres commentateurs vont même jusqu’à louer la capacité qu’à ce cinéma de divertissement de soustraire durant deux heures le spectateur à son triste quotidien. Et tous de se positionner contre ceux qui avancent que ce cinéma-là (commercial par définition) contribue à l’abrutissement des masses, les conditionne et les manipule d’autant plus qu’il provient majoritairement des USA. C’est d’ailleurs un philosophe, Arnaud Guigue, ayant enseigné l’esthétique du cinéma, qui résume ce genre de propos en affirmant que le divertissement reste « la vocation première du cinéma quel qu’il soit ». Cela ressort d’une spécificité du cinéma de constater qu’en son sein, en l’élargissant à son enseignement, des universitaires (l’élite soit) tiennent un discours anti-élitiste - ayant pour cible le cinéma dit « d’auteur » - pour mieux promouvoir celui de la culture mainstream. En se payant parfois le luxe de souligner le caractère « démocratique » de leur démarche. Une situation que l’on ne retrouve pas, ou peu, dans les domaines littéraire, pictural, ou musical (cela dépend bien entendu de quelle musique). En tout cas on imagine difficilement un universitaire spécialisé dans la chose littéraire déclarer que « le divertissement reste la vocation première de la littérature quelle qu’elle soit ». Enfin pas encore…</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Haneke n’est que l’un des nombreux noms visés à travers le cinéma dit « d’auteur ». Réduisons cette liste en indiquant que le cinéma d’Haneke s’inscrit dans ce qu’on a appelé la modernité du septième art. C’est-à-dire le renouvellement de l’expression cinématographique apparu en France, en Italie et au Japon à la fin des années cinquante et pendant la décennie suivante ; puis ensuite, durant les années soixante-dix, en Allemagne, en Suisse, aux USA pour le cinéma indépendant, ou pour l’un des trois pays cités préalablement avec d’autres noms. Soit la remise en cause des codes dominants du cinéma, de sa temporalité, de la notion de genre, de son économie même ; un cinéma se prêtant davantage à l’improvisation, ou encore pratiquant l’art du collage, de la citation, du détournement. C’est à dire tirant les conséquences de l’épuisement des formes cinématographiques dominantes, dites classiques. D’ailleurs le premier Haneke, le réalisateur de films à la télévision autrichienne, n’était pas sans être influencé par Godard. Quant au second (depuis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le septième continent</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), nous avons relevé plus haut sa dette envers Bresson (lequel n’est pas un cinéaste de la modernité proprement dite, mais qui figure parmi ceux qui avaient préparé le terrain à l’instar de Bergman, Bunuel, Tati, Welles, et quelques autres). Dans chacun des pays cités des « nouvelles vagues » s’en prenaient explicitement au cinéma dominant national. Pourtant, plus implicitement, cette modernité-là s’inscrivait en faux contre le cinéma hollywoodien ; y compris chez des cinéastes qui, du temps où ils écrivaient dans des journaux et revues sur le cinéma, avaient biberonné le lait hollywoodien, mais qui passés à la réalisation s’en affranchissaient (voire radicalement même pour certains). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: justify;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En 2019, l’existence depuis vingt-cinq ou trente ans d’un cinéma postmoderne brouille quelque peu la perspective esquissée jusqu’à présent. Relevons d’abord qu’il s’agit moins d’une rupture à proprement parler entre ce cinéma-là et ceux de la modernité qu’une manière de revaloriser le cinéma promu par l’industrie culturelle depuis un mode de formalisation hérité de la modernité ; ensuite que ce cinéma postmoderne parodie ceux de la modernité jusqu’à l’élaboration d’une esthétique kitch ; enfin qu’il contribue à vider la moindre expression cinématographique de tout contenu véritablement critique. On dira pour conclure que l’émergence de ce cinéma postmoderne accompagne la reprise idéologique datant des années 80 et amplifiée durant la décennie suivante. C’est aussi ce contre quoi le cinéma de Michael Haneke entend implicitement fourbir des armes. </span></p>
<br /><p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;text-align: right;margin-top:0;margin-bottom:0;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">août 2019</span></p>
<br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong>REMARQUES CRITIQUES SUR LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNESurn:md5:484f23a3dd296bb3f4cec3fff2058e9c2019-04-12T21:18:00+02:002019-04-12T21:18:00+02:00Max VincentCritique sociale <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-dc7485bf-7fff-ef1f-b07c-44b488578fe5"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: center;"><span style="font-size:27.999999999999996pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">REMARQUES CRITIQUES SUR LE MOUVEMENT DES GILETS JAUNES </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: right;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A la mémoire de Roger Langlais</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Comment qualifier ce mouvement des Gilets jaunes qui d’emblée est apparu composite, hétéroclite, labile, hétérogène, ambigu, contradictoire au point d’affoler la boussole des commentateurs ? Un mouvement que l’on ne pouvait pas véritablement qualifier d’anticapitaliste, et encore moins de révolutionnaire (tout en ajoutant que l’on ne pouvait pas pour autant le considérer réactionnaire ou régressif). Face à tout mouvement social d’une certaine ampleur, de cette </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nature-là</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, deux écueils dans pareil contexte sont à éviter : l’adhésion sans autre forme de procès (un soutien inconditionnel, non critique), et à l’opposé l’attitude du renard de la fable. C’est vouloir dans le premier cas prendre parfois, souvent même ses désirs pour des réalités, alors que dans le second cas les raisins sont toujours trop verts (et le cas échéant bons pour des goujats). Disons, pour éviter tout malentendu, que je ne me réfère ici et là qu’à des individus et des groupes qu’un accord lierait sur de nombreux sujets, mais pas assurément celui-là (des « amis de la révolution sociale », s’il faut le préciser, et non ses ennemis).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Donc l’exercice paraît difficile. Même si l’on s’efforce d’éviter ces deux écueils la navigation n’en est pas moins malaisée. Ne faut-il pas naviguer à vue dans une zone de turbulences, soumise à des courants changeants, centripètes et centrifuges ? Alors des « remarques critiques » ici peuvent indisposer, voire vous aliéner les uns, justement en raison de leur contenu critique ; et les autres, parce que pour eux vos remarques ne seraient pas suffisamment critiques. C’est par conséquent prendre le risque d’être accusé de vouloir dévaloriser ou déprécier ce mouvement des Gilets jaunes par les premiers, ou au contraire de tenir un discours trop valorisant à son égard pour les seconds. Ici je dois constater que ces derniers, cinq mois après le début du mouvement, se trouvent réduits à la portion congrue : sans qu’on sache s’ils ont changé d’avis, s’ils préfèrent se taire, ou s’ils ont enfourché d’autres chevaux de bataille.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il ne s’agit pas là d’établir une improbable ou impossible synthèse entre les soutiens déclarés, pour ne pas dire les thuriféraires des Gilets jaunes, et leurs détracteurs. La question que les premiers, pourraient poser (« Vous critiquez ce mouvement soit, mais vos critiques contribuent-elles à le rendre meilleur ? ») n’est pas moins recevable que celle que poseraient les seconds (« Vos critiques permettent-elles de dissiper les illusions que génère ce mouvement ? »). On répondra aux uns, les premiers, que ce qu’ils défendent pour le mieux (et l’on peut s’entendre sur ce « mieux ») ne représente qu’une partie de la réalité de ce mouvement, la plus convaincante certes, mais pas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toute </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la réalité. C’est vouloir dire qu’ils ne prennent pas en compte le caractère pluriel d’un mouvement social traversé par maintes contradictions, charriant tout et son contraire, pour ne retenir que les aspects les plus positifs. Le même type de critique, en l’inversant, sera adressé aux détracteurs des Gilets jaunes, qui se focalisent sur les aspects les plus négatifs de ce mouvement (évolutifs depuis novembre, mais de manière constante à travers la partition qu’y jouerait une nébuleuse extrême-droitière) pour réduire les Gilets jaunes à ces aspects particuliers, même s’ils ne sont pas réfutables. Pour résumer, ce mouvement des Gilets jaunes ressemble sous ce rapport à une auberge espagnole : chaque contributeur et commentateur n’y trouvant que ce qu’il a lui-même apporté.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quelle méthode alors adopter pour rendre compte de ce mouvement ? Il m’importe d’abord de l’inscrire dans son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">historicité. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Donc de tenir compte de son évolution, non sans préalablement m’attarder sur ce qui avait fait sa spécificité. Ce qui revient à mettre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toutes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les cartes du jeu sur la table. On peut certes discuter de la façon dont elles sont ensuite redistribuées. C’est dire que là où je persiste à parler de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">hétérogénéité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de ce mouvement des Gilets jaunes, d’autres, a contrario, entendent impérativement évoquer son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">unicité. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La défense et illustration, pour eux, d’un mouvement dont l’unicité serait garantie par le port du gilet jaune. De l’unitaire à l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">identitaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’y aurait qu’un pas, ici en l’occurrence ? Dès lors que ce qui faisait la force de ce mouvement, dans ses débuts, se transformerait au fil des mois un handicap ? Diverses réponses peuvent être apportées. L’une d’elles ne faisant pas l’économie d’un éventuel, possible ou nécessaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dépassement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de ce mouvement des Gilets jaunes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce texte est divisé en deux parties. La première traite du mouvement : ses prémices, le rôle des médias, son caractère insurrectionnel, la question de l’extrême droite et du populisme, l’hypothèque « dégagiste », les aléas de la notion de délégation, les contradictions au sein des Gilets jaunes, un état des lieux quatre mois plus tard. La seconde la prolonge à travers une lecture critique de trois contributions (deux de « soutien sans restriction » et une de « soutien critique »). Ce qui signifie que ces « remarques critiques sur le mouvement des Gilets jaunes » s’adressent également, voire plus à ceux qui parmi les soutiens indéfectibles de ce mouvement laissent accroire qu’à travers lui, ou grâce à lui, nous entrerions dans une ère nouvelle. De là se trouve posée la question de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">recompositions politiques, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au sujet desquelles, du moins dans le cadre limité par ces « remarques… », l’incertitude pour l’instant prévaut.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: center;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">1</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant d’en venir à une analyse plus approfondie et plus circonstanciée de ce mouvement soulignons d’abord ses côtés les plus positifs. En premier lieu les Gilets jaunes ont contribué à mettre une lumière crue, aveuglante, sur l’inégalité sociale inhérente à notre société (prouvant par leurs doléances et actions qu’il n’y avait plus lieu de se résigner à cet état de fait). Une partie des classes populaires (et des classes moyennes inférieures) a pu retrouver une « visibilité sociale » niée par la massification résultant du mode de production capitaliste. D’où ce sentiment d’une « dignité bafouée, puis retrouvée » par de nombreux Gilets jaunes découvrant, à travers leurs prises de parole, leurs actions, leur capacité à faire reculer le pouvoir, qu’ils pouvaient être des sujets en mesure d’agir sur leurs propres conditions d’existence. Une dynamique propre au mouvement n’a pas été également sans créer, même de manière embryonnaire, des formes d’auto-organisation d’un caractère inédit. Enfin ce mouvement des Gilets jaunes contribue accessoirement à relativiser, minorer, ou mettre momentanément sur la touche plusieurs mouvements sociétaux apparus depuis une dizaine d’années (en particulier l’antiracisme de type décolonial, le néo-féminisme version « balance ton porc », ou l’animalisme via ses traductions antispécistes et véganes). C’est plus le retour du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">social</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (depuis de multiples expressions) que celui de la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">question sociale </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comme d’aucuns l’ont prétendu. Nous verrons plus loin pourquoi. Je laisse pour l’instant de côté la question d’un « dépassement » du mouvement des Gilets jaunes. Elle a pu être posée en décembre dernier de façon globale, quoique hypothétique (d’un mouvement s’élargissant à des actions dans les entreprises, susceptibles de déboucher sur une grève générale) et continuerait à être d’actualité en ce printemps 2019 mais de manière plus tendancielle.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant d’en venir aux « remarques critiques » proprement dites, il convient préalablement de les faire précéder par deux thématiques se rapportant aux Gilets jaunes (mais pouvant par ailleurs faire l’objet d’un traitement particulier) : le rôle des médias (élargi à « l’opinion publique »), et la question en amont de l’extrême-droite et du populisme (avant de les aborder au sein du mouvement sans pour autant, avec les Gilets jaunes, les confondre). Viendront s’ajouter des considérations sur le caractère insurrectionnel du mouvement (qui prennent place ici puisqu’elles ne concernent que la première séquence, illustrée par les samedis de novembre et décembre).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Contrairement à ce qu’ont prétendu des commentateurs s’étant d’emblée positionnés en faveur des Gilets jaunes, les médias, dans un premier temps du moins, n’ont pas manifesté une véritable hostilité - pas celle qu’on leur a prêtée en tout cas - à l’égard du mouvement. Au contraire ils ont dans l’ensemble fait preuve d’une certaine bienveillance envers les Gilets jaunes. Dans la mesure surtout, ce qui n’est pas rien, où ce mouvement était soutenu par une large proportion de la population française.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> D’ailleurs, pour s’y arrêter un moment, n’a-t-on pas dit et répété que pour la première fois dans l’histoire des mouvements sociaux français contemporains celui des Gilets jaunes bénéficiait d’un important soutien de l’opinion publique (jusqu’à 83 % vers la fin de novembre). Il y a manière et manière de l’interpréter. Que cela mesure-t-il en réalité ? Y a t-il pour autant une relation de cause à effet ? Car il convient d’ajouter que ce fort soutien prouve également qu’un tel mouvement n’est nullement révolutionnaire. Ce qui est très largement acceptable par l’opinion publique ne mesure ici que les limites politiques du mouvement des Gilets jaunes. On ne fait pas, disons le explicitement, la révolution avec ce qu’on appelle « le soutien de l’opinion publique », du moins dans un pays développé. L’excellence d’un mouvement social se trouve certes corroborée par sa capacité à faire reculer le pouvoir (gaulliste en 1968, chiraquien en 1995, macronien en 2018), mais davantage dans celle de renfermer des potentialités en mesure de remettre fondamentalement en cause le pouvoir, la domination, l’ordre du monde. Il faut rester circonspect devant tout recours à la terminologie « opinion publique ». Dans une situation véritablement révolutionnaire, son invocation, en se basant sur des sondages plus équilibrés ou négatifs, serait une arme aux mains des pouvoirs en place pour tenter de discréditer le mouvement qui l’exprime et l’impulse.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il importe aussi de comparer la façon dont les médias ont couvert les mouvements sociaux depuis décembre 1995 (on se souvient que la quasi totalité des médias soutenaient le « plan Juppé ») jusqu’à aujourd’hui. En mettant la focale sur les deux précédents : le mouvement contre la loi travail et celui des cheminots. Que n’a-t-on alors entendu dans les médias ! A ce sujet Gérard Noiriel signale qu’aucune « des journées d’action des cheminots n’a été suivie de manière continue et les téléspectateurs ont été abreuvés de témoignages d’usagers en colère contre les grévistes, alors qu’on a très peu entendu les automobilistes en colère contre les bloqueurs Gilets jaunes ». Il fallait s’attendre de samedi en samedi à ce qu’une évolution, du point de vue de la couverture médiatique, se fasse dans le sens contraire, plus particulièrement après le 1er décembre. Les propos contre la violence émeutière s’accompagnant de ceux alertant sur le risque que le mouvement, en perdurant, faisait peser sur l’économie nationale. Cependant, même en fléchissant, le soutien de l’opinion publique est resté encore largement majoritaire durant le mois de décembre. Il faudra attendre la fin du moins de février pour voir la tendance s’inverser.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour revenir plus arrière il paraît étonnant que l’analyse la plus pertinente sur le succès rencontré rapidement par le mouvement des Gilets jaunes, à l’aune de sa reconnaissance médiatique, provienne d’un historien (très bon connaisseur certes de l‘histoire populaire), et non d’analystes rompus à l’exercice avec les mouvements sociaux apparus dans le monde ces dernières années (et défendant des points de vue disons « radicaux »). Mais peut-être ce qui manque à ces messieurs n’est pas tant la dialectique qu’un esprit critique parfois défaillant (ou à géométrie variable). L’analyse en question est celle de Gérard Noiriel (l’article « Les gilets jaunes et les « leçons de l’histoire » », qui figure parmi les premiers écrits sur le sujet). Noiriel, en s’arrêtant sur ce qui fait la « spécificité du mouvement », récuse après d’autres le qualificatif de « jacquerie » et remarque que (contrairement aux « bonnets rouges » par exemple) le mouvement s’est vite étendu à tout le territoire national, surtout via les réseaux sociaux. Toutefois, comme le remarque judicieusement Noiriel, « les réseaux sociaux, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à eux seuls, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’auraient jamais pu donner une telle ampleur au mouvement des gilets jaunes. Les journalistes mettent constamment en avant ces « réseaux sociaux » pour masquer le rôle qu’ils jouent eux-mêmes dans la construction de l’action publique. Plus précisément, c’est la complémentarité entre les réseaux sociaux et les chaînes d’information continue qui ont donné à ce mouvement sa dimension d’emblée nationale. Sa popularisation résulte en grande partie de l’intense « propagande » orchestrée par les grands médias dans les jours précédents. Parti de la base, diffusé d’abord au sein de petits réseaux via Facebook, l’événement a été immédiatement pris en charge par les grands médias qui ont annoncé son importance avant même qu’il ne se produise. La journée d’action du 17 novembre a été suivie par les chaînes d’information continue dès son commencement, minute par minute « en direct » ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ces interactions ont par conséquent largement contribué à populariser les Gilets jaunes. Toutes les explications sociologiques se rapportant à la nature du mouvement que l’on pourrait maintenant mettre en avant (que je ne discute pas) ne sauraient infirmer l’aspect souligné à juste titre par Gérard Noiriel. A savoir que dans la société du spectacle un mouvement de cette facture-là (des publicitaires se sont extasiés devant « le trait de génie » consistant à revêtit les acteurs d’un mouvement social encore dans les limbes du gilet jaune des automobilistes) ne peut prendre un tel essor sans le concours et « la bonne volonté » des médias. Dire qu’ils l’ont inventé serait très exagéré, mais ne peut être totalement récusé. Avec le risque ensuite de voir la créature se retourner contre l’inventeur. Contre cette même chaîne BMFTV, qui s’était révélé être l’agent principal de la « promotion » du mouvement, le présentant de surcroît comme « un mouvement inédit de la majorité silencieuse », les Gilets jaunes se sont retournés à partir du moment où la chaîne d’information continue, filmant la journée d’action du 17 novembre, filmait tout ce qui se passait sous ses yeux, y compris ce que nombre de Gilets jaunes auraient préféré ne pas voir (se trouvant par ailleurs en désaccord entre eux sur ce qu’il importait de dénoncer en raison de l’hétérogénéité du mouvement). Une autre remarque de Gérard Noiriel mérite d’être rapportée. Partant de l’intérêt économique que représente pour ces « chaînes privées dont le capital appartient à une poignée de milliardaires », celui des retombées financières d’audiences exceptionnelles, l’historien ajoute qu’au-delà « de ces enjeux économiques, la classe dominante a évidemment intérêt à privilégier un mouvement présenté comme hostile aux syndicats et aux partis. Ce rejet existe en effet chez les gilets jaunes ». Ces précisions s’imposaient pour rappeler que les médias, toujours avides de nouveauté, ne se sont pas d’emblée positionnés en défaveur des Gilets jaunes (comme beaucoup de zélotes du mouvement l’ont prétendu). C’est le même intérêt, ou la même avidité qui les avait conduits deux ans plus tôt à « célébrer » l’avènement de la macronie.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Véritable serpent de mer depuis les débuts du mouvement, la question récurrente de l’extrême-droite et des Gilets jaunes doit être précédée d’une réflexion plus générale sur le premier terme de la question. D’où l’obligation de quitter momentanément les seconds pour s’efforcer de distinguer - pour bien savoir de quoi l’on parle - l’extrême-droite du fascisme. Non sans préciser que pareille distinction ne vise nullement à relativiser ou à minorer toute expression critique en direction de l’extrême droite. Le Rassemblement National (RN, ex FN) est indiscutablement un parti d’extrême droite et ne peut en 2019 être considéré comme fasciste. Le slogan dans les manifestations (« F comme Fasciste, N comme Nazi ») glissait comme l’eau sur les plumes du canard du temps du FN. Ça ne marchait pas, ou plutôt ça ne marche plus. Pareil slogan ne signifiait déjà rien pour les électeurs du FN. Le RN est principalement un parti électoraliste. Marine Le Pen en soutenant les Gilets jaunes dès les débuts du mouvement n’en a pas trop fait, juste le nécessaire pour envisager un bon score aux élections européennes (elle ne s’est pas ridiculisée comme ce pauvre Wauquier). Elle espère ainsi, les sondages le confirmeraient, bénéficier de l’effet Gilets jaunes. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Autrefois, du temps du chef charismatique, existait certes une forte minorité fasciste au FN mais elle s’est trouvée réduite à une peau de chagrin après l’exclusion du père fondateur. L’argumentation, plus implicite qu’explicite, selon laquelle il importerait de toujours qualifier le RN de « parti fasciste » repose sur des arguments de type tacticien. Cela suppose que ne pas le considérer tel jouerait moins le rôle d’un repoussoir. Avec le risque de voir ceux qui le combattent baisser leur garde. Il s’agit d’un argument fallacieux. Lutter efficacement contre le RN et les autres composantes de l’extrême droite passe par une bonne compréhension des raisons pour lesquelles le RN et ses supplétifs occupent la place qui est actuellement la leur en ce début de XXIe siècle. Mais aussi par l’obligation de renouveler les analyses qui depuis les années 1980 se rapportent presque exclusivement au parti de la dynastie des Le Pen. L’étiage actuel du RN ne saurait s’expliquer à lui seul par l’habileté tactique et manoeuvrière de sa dirigeante (la fameuse dédiabolisation). Même chose concernant la montée du FN puis du RN qui s’expliquerait pour l’essentiel par l’affaiblissement de la gauche et le manque d’attractivité de la droite de gouvernement. Ces raisons, et d’autres sont certes à prendre en considération sans pour autant épuiser le sujet. A l’analyse classique qui définit l’extrême droite à travers les traits suivants (nationalisme, autoritarisme, traditionalisme, familialisme, inégalitarisme, décadentisme, sans oublier la collaboration de classe, et surtout la xénophobie) il convient d’ajouter deux données qui, parallèlement et concomitamment, renouvellent et prolongent l’analyse classique depuis des « expressions » apparues voilà un quart de siècle : le populisme et l’identitarisme (le repli identitaire). J’ajoute une troisième : le FN (depuis Marine le Pen) reprend dans ses discours une rhétorique sociale que seule parmi les partis de gauche La France Insoumise défend encore (cela passe par un gauchissement du vocabulaire susceptible d’abuser maints électeurs qui jadis auraient voté PCF : l’extrême droite lepéniste renouant ici avec celle de l’entre deux guerre, à la différence par exemple que le terme oligarchie remplace celui de ploutocratie).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le populisme d’abord. Une critique digne de ce nom aurait tort d’occulter ou de négliger ce que recouvre la notion de populisme, mais également les querelles sémantiques ou idéologiques que l’emploi de cette terminologie suscite dans l’espace public : depuis son instrumentalisation par les uns, jusqu’aux fortes réticences des autres à la reconnaître. Il importe donc de définir très précisément le populisme. Car ceux qui se veulent critiques, sinon plus envers le populisme ne le font pas toujours à bon escient, ni pour de bonnes raisons, ou alors élargissent cette notion à d’autres objets avec le risque d’en diluer le sens. Alors que leurs adversaires, contempteurs de la même notion, n’ont pas tort de relever le caractère parfois manipulateur de ce type de discours, mais en s’arrêtant là s’interdisent de penser par cela même la réalité du populisme. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Indiquons d’abord que le terme populisme, en ce début de XXIe siècle, ne saurait se confondre avec ce qu’il convenait d’appeler sous ce nom en se référant aux mouvements « populistes » américains et russes du XIXe siècle. C’est dire qu’il a changé de signification, progressivement il va sans dire, depuis une trentaine d’années. Il conviendrait mieux de parler de populismes en précisant qu’aujourd’hui cette notion plurielle se rapporte à des courants de pensée ou des forces politiques apparus vers la fin du XXe siècle dans un contexte de mondialisation accélérée, qui, disant parler au nom du peuple ou affirmant vouloir en défendre les valeurs, excipent des légitimes inquiétudes des classes populaires devant pareille évolution pour leur proposer une médecine et des remèdes pires que la maladie. Le populisme, d’une part, participe de la liquidation du prolétariat comme sujet émancipateur visant à l’abolition des classes sociales ; d’autre part, le mentionner ad nauseam sert de repoussoir (et exerce ainsi une forme de chantage) aux élites acquises à la mondialisation, lesquels brandissent le cas échéant cet épouvantail pour fustiger la défense très légitime des avantages acquis par les salariés. Nos gouvernants, et plus encore les « experts » qui les inspirent ont recours, par-delà la perniciosité bien réelle du populisme, au vocable « populiste » pour déligitimer des formes de dissensus qui remettraient en cause le consensus ambiant (en ce qui concerne l’expression démocratique des salariés). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Aborder la question du « repli identitaire » nous ferait sortir de notre sujet. On y revient en précisant qu’avant de nous livrer à une analyse plus serrée du mouvement des Gilets jaunes il importe de reprendre celle faite précédemment pour tenter en amont de dissiper (ou pas) cette équivoque extrême droitière. L’existence de thèses complotistes au sein du mouvement (le pacte de Marrakech, l’attentat de Strasbourg) est l’un des éléments patents de cette présence : les « éléments de langage » qui s’y rapportent provenant de RN et de ses satellites. On sait (ou on ne veut pas savoir) que des figures marquantes des Gilets jaunes, bien connues du grand public comme Éric Drouet et Maxime Nicolle, voire Benjamin Cauchy et Christophe Chalençon, pour ne citer qu’eux, ont pu non sans raison être associés à la nébuleuse extrême droitière. Le premier comme le second ayant éliminé de leurs pages Facebook des propos plutôt compromettants. Alors pourquoi ces réticences, à gauche souvent, et même chez des anarchistes à minimiser la présence de l’extrême droite au sein des Gilets jaunes, la relativiser, et même ne pas vouloir la reconnaître ? Parce que ce mouvement serait « authentiquement populaire », et donc qu’il conviendrait, comme jadis Billancourt, de ne pas désespérer aujourd’hui le « peuple » des ronds points ? </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un premier temps certains médias (lors du 17 novembre) ont plus ou moins complaisamment mis en épingle des attitudes et des actes chez les Gilets jaunes relevant du racisme, de l’homophobie et du sexisme. Dans la mesure où ces actes et ces attitudes restaient isolés la volonté de discrédit était avérée. Même chose pour les « On est chez nous ! » : repris par des petits groupes et non par la masse des manifestants. Quant aux nombreuses interventions des Gilets jaunes, sur les chaînes de télévision principalement, elles reprenaient une rhétorique (« Nous sommes le peuple », « nous parlons au nom du peuple », « nous exprimons ce que veut le peuple ») que ne démentirait nullement Marine le Pen, mais également Mélenchon. L’évocation ici des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Marseillaise </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et drapeaux français irait dans le même sens (même si elle traduit davantage la présence de sympathisants du RN que de LFI) Ceci pour dire que l’extrême droite s’avère présente au sein des Gilets jaunes, mais qu’elle n’est que l’un des éléments constitutifs de ce mouvement.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une autre donnée, liée à l’extrême droite et au populisme, doit être prise en considération. Après beaucoup d’autres, dans une tribune du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">publiée le 15 décembre, Sarah Kilami et Thomas Moreau ont relevé la phrase en passe de devenir célèbre d’Éric Hazan (extraite d’un entretien accordé à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Médiapart</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), que la présence de l’extrême droite dans les rangs des Gilets jaunes ne le « gênait pas » parce que « les ennemis de mes ennemis ne sont pas vraiment mes amis, mais un peu quand même ». Un peu, mais suffisamment pour qu’on y accole les adjectifs rouge et brun. Kilami et Moreau soulignent ici le danger que représente la « normalisation » d’un discours dont le relativisme rend encore un peu plus acceptable l’extrême droite. Les deux auteurs remarquent pertinemment que, malgré tout, malgré des réserves exprimées ici et là, des militants politiques et syndicalistes sur la brèche depuis de longues années, en cédant aux sirènes du « mouvementisme » et du « bougisme », » se sont finalement ralliés de pied en cap au mouvement des Gilets jaunes au prétexte qu’il se passait enfin quelque chose. C’est pourtant ce « quelque chose » qu’il faudrait interroger. Par exemple sur le fantasme d’un « peuple capable de s’unir malgré ses divergences » pour obtenir ce qu’il réclame. Dans ce schéma, où l’opposition se circonscrit à celle des petits contre les gros, ou des gens d’en bas contre les élites, toutes les « théories critiques » du monde deviennent inefficaces, et parler de « lutte de classes » devient même spécieux (les Gilets jaunes étant un mouvement interclassite d’aucuns en concluent que nous vivons une autre époque, qu’il importe de changer de logiciel, que la grève générale appartient au passé, etc). Dans cette nouvelle configuration on oppose bien évidemment le peuple aux élites mais aussi, cela ressortait dans les débuts du mouvement, cette partie de la population (les assistés, les immigrés) qui « profite de la redistribution ». Au point de se trouver exclue du « peuple » breveté, certifié et confirmé par le port du gilet jaune. Dans leur article, pour y revenir, Sarah Kilani et Thomas Moreau soulignent qu’une bonne partie de la gauche est en train de basculer dans le camp populiste. Nous serions donc à « la croisée des chemins », le choix se poserait aujourd’hui en ces termes : « union des populismes » ou « union des énergies anticapitalistes ». Il y a cependant, ceci précisé, une spécificité propre au mouvement des Gilets jaunes qui n’est pas réductible au populisme. Ce n’est pas minimiser l’importance des pesanteurs populistes chez les Gilets jaunes mais reconnaître le caractère hétéroclite du mouvement. D’où la nécessité de poursuivre l’analyse là où elle n’a été qu’esquissée auparavant.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Auparavant, comme je l’indiquais plus haut, l’aspect insurrectionnel du mouvement peut déjà faire l’objet d’une analyse indépendamment de ce qu’il conviendra ensuite d’analyser plus globalement. Les manifestations des 1er et 8 décembre correspondent davantage à cette qualification que celles des samedis de novembre, ou de décembre par la suite. Il parait difficile de distinguer ici ce qui relève de l’activité proprement dite des Gilets jaunes de ce qui incombe aux groupes de l’ultra droite ou d’une certaine ultra gauche (black bloc, antifas, « invisibles », etc). Il semble cependant que le côté « prise du palais d’hiver » (l’Élysée) soit principalement à mettre au crédit des Gilets jaunes (du moins le noyau dur de « La France en colère »). C’est l’une des traductions en acte de l’aspect dégagiste du mouvement. Même difficulté entre ce qui concerne l’ultra droite et l’ultra gauche : sous le gilet jaune tous les émeutiers se ressemblent. Nous savons que les premiers étaient davantage présents le matin du 1er décembre, et les seconds durant l’après midi. Tout comme il est avéré que le dirigeant d’un groupuscule d’extrême droite, identifié par des antifas, a été expulsé manu militari de la manifestation par ces derniers. En tout état de cause, certains d’entre eux, parmi les uns et les autres, se sont retrouvés à un moment donné côte à côte pour affronter les flics. Ce qui n’était pas arrivé depuis 1934, en rappelant, toute comparaison gardée, que la direction du PCF avait appelé à manifester le 6 février au côté des ligues fascistes afin « de donner à cette protestation un caractère prolétarien ». Reste à signaler, à la veille de la manifestation du 1er décembre, les lignes suivantes, extraites des pages Facebook de « La France en colère » : « Nous rejetons toute forme de violences et les nuisibles (casseurs, provocateurs) détectés lors de nos manifestations seront immédiatement signalés aux forces de l’ordre ». Ces « recommandations » n’ont pas que je sache été suivies d’effets : pour diverses raisons sur lesquels je dirai un ou deux mots plus loin. Cette phrase, qui suffirait à discréditer un mouvement social, témoigne certainement du sentiment d’ambivalence, à ce moment là encore, de la grande majorité des Gilets jaunes envers les forces de l’ordre : comme l’accréditent les slogans « la police avec nous ! » entendus à Paris et ailleurs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant pour revenir à l’aspect insurrectionnel de ces samedis l’exemple parisien doit être traité séparément sachant que le gros des manifestants venait de la province. Ce qui s’avère sans précédent dans l’histoire mouvementée de la capitale puisque pour la première fois les émeutiers n’appartenaient pas majoritairement à la population parisienne (ou francilienne). Autre différence : il ne s’agissait pas de « tenir un quartier » afin de le défendre contre la police, à l’instar des insurrections parisiennes passées, mais de se déplacer par petits groupes dans un espace dont le centre de gravité restait les Champs-Élysées et le palais présidentiel. Un espace correspondant aux beaux quartiers, une situation que l’on n’avait plus connue depuis le XIXe siècle. Une parenthèse : il n’est pas question ici de bouder son plaisir en ajoutant que le spectacle de boutiques vandalisées, ou de bons bourgeois apeurés était particulièrement réjouissant (et plus tard encore avec l’incendie du Fouquet's). Notons également l’absence de cortèges, replacés par des groupes mobiles, de responsables reconnus, de parcours négocié (les Gilets jaunes ayant refusé d’être parqués dans le Champs de Mars comme le leur proposait le pouvoir), de tracts et de banderoles (remplacés par des slogans inscrits au dos des gilets jaunes). Cette façon inédite de manifester et d’affronter les forces de l’ordre débordant ces dernières, du moins le 1er décembre : les policiers que l’on disait pourtant experts dans le domaine du maintien de l’ordre (modèle que la France exporte en dehors de l’hexagone) ayant été plusieurs fois dans l’obligation de reculer devant la détermination des manifestants. Ce à quoi le pouvoir s’était efforcé de remédier en rectifiant le tir le samedi suivant. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Remarquons, pour aborder le second aspect de ces manifestations, que durant cette « période insurrectionnelle » (qui cessera avec les vacances de Noël), la répression, elle aussi sans commune mesure (y compris à travers ce que le gouvernement a justifié en terme de « mesures de prévention »), n’a pas eu en décembre un écho à l’aune de son ampleur et des exactions policières (en comparant ce qui est comparable avec les répressions des décennies passées). Comment l’expliquer alors qu’une large partie encore de la population soutenait les Gilets jaunes ? Plusieurs réponses peuvent être apportées (parfois contradictoires). D’abord à travers la volonté de nombreux médias de séparer les « bons » manifestants des « mauvais », c’est-à-dire les Gilets jaunes des « casseurs » extérieurs au mouvement (les seconds ne recevant que la monnaie de leur pièce). Ensuite aux images témoignant de la violence de certains manifestants envers les flics, passant en boucle, succédaient d’autres images inversant les rôles, sur le même mode : ce qui revenait à mettre sur le même plan la violence des uns et la violence des autres (en l’occurrence celle de l’État). Un aspect de la question, problématique, doit être signalé. Des groupes et collectifs qui exprimaient un fort soutien envers les Gilets jaunes dès le début du mouvement, ne pouvant en aucun cas être soupçonnés de sympathie pour l’extrême droite, soit en émettant l’hypothèse que la base policière pourrait tôt ou tard rejoindre ce mouvement, soit en envisageant la possibilité de noyauter la police, n’ont-ils pas contribué paradoxalement à minorer cette répression-là ? Des hypothèses d’ailleurs que nous n’avons plus entendues après le milieu de décembre. Et encore moins par la suite puisque, même cette parenthèse insurrectionnelle refermée, la répression n’a pas pour autant cessé, bien au contraire. Nous y reviendrons ensuite plus dans le détail. </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On résumera l’émergence du mouvement des Gilets jaunes en rappelant que dans ses prémices il avait été qualifié non sans raison de « néo-poujadiste » ; puis rapidement, par la multiplication des lieux de blocage sur de nombreux ronds-points à travers tout le territoire, par l’implications de nouveaux acteurs, disant protester ou manifester pour la première fois (et se déclarant « apolitiques »), le mouvement tout en amplifiant l’aspect « révolte fiscale » de ses débuts, mettait progressivement au centre de ses revendications celles ayant trait au pouvoir d’achat. Parallèlement, les appels à manifester chaque samedi à partir du 17 novembre (principalement à Paris et dans les grandes villes) n’ont pas été sans prendre comme on vient de le voir un caractère insurrectionnel. Le recul tout relatif du pouvoir en décembre, d’abord sur le plan fiscal, puis de manière plus significative après l’intervention de Macron sur le mode de la contrition, n’avait pas pour autant entamé la détermination des Gilets jaunes. Au contraire, en janvier 2019 le mouvement est reparti de plus belle après la trêve des confiseurs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est l’occasion ici de traiter du macronisme (et à travers lui du dégagisme propre à ce mouvement) avant aborder le plus substantiel : une analyse plus en profondeur des Gilets jaunes (à travers leurs forces et faiblesses, les aspects singuliers et inédits du mouvement, et dans un autre registre les illusions qu’il génère), ainsi que les divergences apparues parmi Gilets jaunes depuis le mois de janvier.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Venons en à l’aspect dégagiste de ce mouvement. Mais on ne saurait y venir sans faire préalablement l’analyse du macronisme. Si tout le monde s’accorde à penser que la très forte impopularité de Macron a été l’un des facteurs déclenchant du mouvement des Gilets jaunes il paraît moins certain que ce qui sera relevé plus loin en terme de « dégagisme » fasse l’unanimité. Macron une fois président s’est révélé tel qu’on le percevait déjà lors de son accession au poste de ministre de l’Économie. Il avait su y faire entendre sa petite différence, d’un libéralisme affiché compatible avec une pâle sociale-démocratie. Il lui importait alors de quitter le gouvernement pour en recueillir les dividendes. Cela a fonctionné parce que Macron n’appartenait pas au monde politique traditionnel, celui des partis : il a pu apparaître comme un homme politique neuf, étranger aux politicailleries. En recrutant sur sa gauche et sur sa droite, Macron créait un parti entièrement voué à sa cause (se confondant avec sa personne). Une situation inédite dans l’histoire de la Cinquième République depuis de Gaulle : Macron bénéficiant de surcroît du discrédit des partis de gouvernement, de droite comme de gauche. Les médias, toujours avides de nouveauté, ont largement contribué à l’émergence du macronisme, puis de la victoire du candidat Macron. Une réussite qui s’expliquait également par l’effacement de Hollande, mais surtout la déconfiture de Fillon. On a parlé d’un « changement d’époque » sans trop s’appesantir sur le fait que Macron avait été mal élu et par défaut. Il paraît utile ici de le rappeler parce qu’un sondage, effectué fin novembre parmi les Gilets jaunes déclarés, indiquait que seuls 5 % de ceux-ci avait voté Macron au premier tour des élections présidentielles (alors que Marine Le Pen arrivait largement en tête avec 42 % devant Mélenchon 20 %). En regrettant que ce sondage n’ait pas mesuré le taux d’abstentionnistes. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il est déjà permis d’évoquer, même en le nuançant, un premier phénomène de dégagisme qui doit beaucoup à la manière dont les médias ont participé et contribué à la construction du macronisme, un phénomène auquel l’opinion publique était plus ou moins consentante. Quand les médias ont ensuite « lâché » Macron (plus sur un plan symbolique que véritablement politique) toutes les conditions paraissaient réunies pour qu’ils se comportent pareillement (en terme de nouveauté) avec les Gilets jaunes. On a beaucoup glosé sur le mépris (de classe disait-on à gauche) de Macron envers la population représentée par les Gilets jaunes. Ni plus ni moins pourtant que ceux l’ayant précédé depuis 1958 dans la fonction présidentielle (et même moins pour qui se souvient encore de Giscard). Ce qui avait fait la force de la macronie se révélant, l’exercice du pouvoir aidant, sa principale faiblesse. Les fameuses petites phrases (stupides ou malheureuses) du Président Macron étant moins la preuve, par anticipation ou non, d’un mépris envers les Gilets jaunes que l’illustration macronienne du « parler vrai » cher à Michel Rocard. Car Macron, qui doit principalement son succès au fait qu’il n’appartient pas au monde politique traditionnel, s’affranchit en ce sens de codes auquel il n’était à vrai dire pas tenu, ne les ayant jamais connus. Macron, on le souligne, a toujours été convaincu de l’excellence des mesures qu’il préconisait. C’est à dire servir pour le mieux les intérêts du capitalisme et de la firme France. Il a toujours cru dur comme fer que l’encouragement fiscal envers les « premiers de cordée » permettait de doper et de booster l’économie hexagonale. Cette théorie du « ruissellement » est pourtant d’une confondante naïveté pour ne pas dire stupide. Ce que dit Macron au sujet de la suppression de l’ISF (« Ce n’est pas injuste parce que c’est efficace ») illustre mieux qu’un long discours l’impéritie macronienne. Il y croyait encore en décembre dernier puisque malgré les appels du pied d’une partie de la majorité son raisonnement n’avait pas changé d’un pouce. Alors que l’ISF dans pareil contexte aurait été rétablie par tous les prédécesseurs de Macron. Tout est venu trop rapidement pour cet enfant gâté de la politique, qui a usé et abusé de ce « parler vrai » macronien sans se rendre compte que d’une petite phrase à l’autre son impopularité grandissait.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plusieurs comparaisons ont été faites ces derniers mois entre le mouvement des Gilets jaunes et la Révolution française. Des commentateurs ont même été jusqu’à comparer Macron à Louis XVI. La seule comparaison qui puisse être retenue étant que Macron paye pour tous les autres. Le discrédit des partis politique et des syndicats ne date pas d’hier. Il s’est progressivement accentué au cours des derniers quinquennats, et davantage encore dans les lendemains de l’élection de Macron. C’est ici qu’il faudrait évoquer au sujet du dégagisme un effet boomerang. Ce qui a concouru à porter Macron au pouvoir, qui déjà relevait comme cela a été dit d’un tropisme dégagiste, de façon plus significative, avec d’autres arguments, ceux de la rue et des réseaux sociaux, s’est retourné contre Jupiter pour lui signifier qu’il lui fallait, non se soumettre mais se démettre. Les cris « Macron démission ! » se révélaient plus fédérateurs que le catalogue des 42 revendications qui ressemblaient trop à un inventaire à la Prévert (certaines d’entre elles ayant d’ailleurs été obtenues sous la pression des événements). Cet aspect dégagiste difficilement niable, par delà son caractère exceptionnel, d’un événement sans précédent dans l’histoire de la Cinquième république, n’est-il pas - moins paradoxalement qu’il n’y paraitrait - l’une des limites intrinsèques du mouvement des Gilets jaunes ? Comme l’indiquaient en décembre dernier « Des agents destitués du Parti Imaginaire » (une émanation du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Comité invisible</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), reprenant le terme dégagiste : le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas sans rappeler les « révoltes arabes de 2011, lorsqu’une mobilisation politiquement très hétérogène, venue des réseaux sociaux, en grande partie détachée des organes politiques traditionnels, a fait tomber plusieurs régimes autoritaires, mais sans parvenir à aller au-delà et à affirmer une positivité révolutionnaire ». Il n’y a pas lieu de quoi évoquer des lendemains qui chantent quand on connait la fin de l’histoire. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On peut même se demander si le dégagisme bien présent dans les rangs des Gilets jaunes n’est pas l’un des principaux freins aux possibilités qu’aurait le mouvement de se développer dans la perspective d’affrontements dépassant le cadre de « Macron démission ! » pour poser à tous les niveaux la question </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du pouvoir. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Souvenons nous qu’en mai 68 il était moins question de renvoyer de Gaulle à la Boisserie que d’en finir avec le régime gaulliste, et davantage encore avec tout ce qui contribuait aux processus d’exploitation, d’asservissement, de domination. Comme il semble admis que l’hypothèque Macron n’est pas près d’être levée, du moins pas avant les prochaines présidentielles, les cris « Macron démission ! « risquent de perdurer sans trop de conséquence. Il est vrai que l’on peut aussi compter sur le « parler vrai » de Macron pour souffler sur la braise. </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les explications sociologiques sur l’émergence du mouvement des Gilets jaunes dans la France de 2018 s’avèrent plus consensuelles que les analyses sur le mouvement même. Elles sont bien connues : la presse ayant largement rendu compte des nombreuses études sur le sujet. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’adjectif « inédit » a souvent été utilisé pour qualifier différents aspects du mouvement. En des termes généralement positifs : comme si pour ceux qui le soutiennent sans restriction un nouveau monde se levait. C’est là question d’appréciation. On peut également relever que tel fait, telle situation, tel phénomène concourent à caractériser une mouvement social sans pour autant s’entendre sur leurs significations respectives. Remarquons d’abord, pour aborder le plus positif, que les blocages sur les ronds-points renvoient, du moins dans la forme, à tous les mouvements significatifs apparus à travers le monde durant ces vingt dernières années. L’inédit étant que beaucoup parmi ces bloqueurs disaient se mobiliser, occuper et manifester pour la première fois de leur vie. C’est là quelque chose d’exceptionnel, sur le plan politique, dont on peut tout attendre : le meilleur comme le pire. Il est possible de s’en faire une idée à travers le long reportage que Florence Aubenas a consacré pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Monde</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> aux Gilets jaunes présents sur les ronds-points entourant la ville de Marmande en décembre dernier. On y retrouve les aspects les plus sympathiques du mouvement (les rencontres, les échanges, les manifestations de solidarité, la perception d’un nouveau vécu, l’exemplarité de certaines actions), et d’autres qui le sont moins, ou beaucoup moins (les propos racistes, xénophobes, voire « anti-bobos »). Une absence étonne dans les propos recueillis, sinon plus : d’hostilité envers les patrons, le MEDEF, les multinationales. Alors que ceux dirigés contre les députés, les ministres, les énarques (sans parler du Président Macron) abondent. C’est déjà donner une indication sur l’un des talons d’Achille de ce mouvement, voire même le principal.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Des commentateurs ont souligné le rôle de la « démocratie directe » sur les ronds-points, non sans exagération. Que des décisions soient prises collectivement par les personnes présentes sur les lieux de blocage relève de l’évidence. Ces décisions engagent l’avenir de ces blocages, les actions qui peuvent y être menées, ou le cas échéant la mise en place d’un système de délégation. Nous restons dans un registre de discussions et d’échanges à l’intérieur d’un cadre plutôt consensuel. Il n’est pas question sur ces ronds-points de porter le débat sur des prises de positions qui, même à cette échelle, traitent du type de société à laquelle chacun aspire, donc de question directement politiques. Ceci pour dire que cette démocratie directe là reste embryonnaire. Et puis, pour y revenir, l’on sait que la grande majorité des Gilets jaunes interrogés en novembre et décembre, sur les ronds-points et dans les manifestations, se disaient apolitiques. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> D’autres commentateurs se sont focalisés sur l’émergence d’une nouvelle démocratie de type numérique, garantie par Facebook plus particulièrement. Si les réseaux sociaux ont pleinement contribué à la diffusion rapide des premières pétitions (et vidéos) associées à la naissance des Gilets jaunes, il est illusoire de croire que l’on pourrait réinventer la démocratie depuis cet outil informatique. Du moins tout dépend du contexte. Les activistes des Printemps arabes ont pu en utilisant les réseaux sociaux contourner la censure propre à des régimes dictatoriaux. Cette libération de la parole-là participait d’un processus démocratique. Mais à l’échelle des « démocraties occidentales », compte tenu du caractère exponentiel des réseaux sociaux, c’est une tout autre histoire. Il s’agit d’un « rapport à l’instantanéité inédit dans l’Histoire », comme l’écrit Marie Peltier dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Obsession : dans les coulisses du récit complotiste, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui ajoute, « les réseaux sociaux sont le lieu de la réaction immédiate, à chaud, en continu. Une réactivité qui suscite un flot ininterrompu de réactions, de commentaires, de prises de position, le plus souvent sans le temps de recul nécessaire à une véritable analyse. C’est ainsi que très vite, ce qui aurait pu être un formidable vecteur d’émancipation s’est aussi transformé en un terreau pour la parole de haine, le harcèlement et l’invective personnelle ». Ce qu’ont très bien compris les droites extrêmes et de nombreux pouvoirs autoritaires ou en devenir (l’élection de Trump doit beaucoup aux réseaux sociaux) dans le monde. Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus le web s’apparente aujourd’hui à un vaste champs de bataille. Marie Peltier indique également : « La parole en ligne est ainsi devenue au fil du temps de moins en moins personnelle et de plus en plus « reproductive », comme s’il s’agissait moins de se situer en sujet pensant que de se sentir appartenir à un groupe dont on reprend les slogans, tels des marqueurs d’identification à un courant de pensée ou à un groupe identitaire ou politique ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous n’avons pas pour autant quitté les Gilets jaunes. Si l’on tente d’entrer dans le détail de la manière dont s’exercerait cette « démocratie Facebook » à l’intérieur du mouvement il parait difficile de s’y retrouver, d’avoir des informations satisfaisantes ou des explications plausibles. A travers le principe de la délégation, par exemple. Plus précisément le mode de fonctionnement ayant permis la désignation de huit délégués censés représenter les Gilets jaunes dans la perspective de négociations avec le pouvoir vers la fin novembre. Une vidéo diffusée sur le réseau Facebook (« Fly Ryder » : 146 000 abonnés début décembre !) de Maxime Nicolle, nous informait à la date du 26 novembre qu’une coordination composée de « manifestants identifiés par leurs actions sur le terrain et connus des médias » avait établi une liste de huit délégués. Mais par qui, précédemment, avaient été désignés les membres de cette coordination ? Et qui la composait ? L’ouvrage de Patrick Farbiaz, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les Gilets jaunes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pourtant bien documenté n’en dit rien. Des explications, pas toujours claires de Maxime Nicolle, il semblerait qu’y figurent en plus de l’animateur de « Fly Ryder », les deux têtes d’affiche de « La France en colère » (le réseau Facebook le plus important), Éric Drouet et Priscilla Ludoski. Aucun autre nom n’étant cité par Nicolle, l’hypothèse d’une cooptation reste la plus plausible. Cette coordination donc établissait une liste de huit délégués comprenant cinq noms de Gilets jaunes désignés comme étant « élus » dans leurs départements respectifs, selon un mode de désignation non précisé par Maxime Nicolle (et auxquels venaient s’ajouter les « incontournables » Drouet, Ludosky, Nicolle). Notons que ne figuraient pas sur cette liste plusieurs Gilets jaunes pourtant « identifiés par leurs actions sur le terrain et connus des médias » : comme par exemple Jacline Mouraud (dont Maxime Nicolle nous informait qu’on ne l’aurait pas vue sur les ronds-points), Benjamin Cauchy (dissident du mouvement et initiateur des « gilets jaunes libres »). Ni Jean-François Barnaba (voulant transformer les Gilets jaunes en parti politique), ni le pittoresque Christophe Chalençon (l’admirateur du général de Villiers et futur interlocuteur de Luigi Di Maio). Tout cela, pour conclure provisoirement, paraissait bien opaque. Rappelons aussi qu’auparavant les deux tentatives de discussion avec le pouvoir, Drouet et Ludosky d’abord reçus par De Rugy ; puis deux Gilets jaunes non identifiés, reçus ensuite par Philippe, n’avaient donné aucun résultat.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En revanche la suite est bien connue. A l’exception des trois « incontournables », les autres délégués, pourtant « élus » dans leurs départements, puis mandatés par la coordination des Gilets jaunes ont été rapidement récusés sur les ronds-points et plus encore à travers le réseau Facebook. Ils étaient récusés parce que beaucoup, parmi les Gilets jaunes de leurs départements respectifs, ne les considéraient pas représentatifs puisqu’ils n’avaient pas pour ce faire été consultés, mais également pour protester contre le principe de l’ouverture de négociations avec le pouvoir macronien.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce refus de toute délégation a été décrit comme étant « un fait remarquable » (et il l’est d’une certaine manière, en y ajoutant d’autres raisons à celles invoquées). Une première explication peut être avancée. Une très forte minorité de Gilets jaunes (voire la majorité) avait depuis des années cessé de voter en raison du discrédit allant grandissant des partis politiques et de leurs représentants. Ce discrédit se reportant sur le moindre élu (en le relativisant peut-être pour les élus municipaux), coupable après son élection de ne pas être en mesure de réaliser ce qu’il avait promis, de trahir ainsi ses électeurs. D’où, chez les Gilets jaunes une méfiance envers toute personne mandatée, que l’on ne connaitrait pas de visu (à l’exception de celles s’étant fait connaître par des vidéos). En second lieu l’absence de culture et de tradition politique chez la plupart des Gilets jaunes n’a nullement nuit dans un premier temps à la popularisation du mouvement (toujours en raison du climat de forte défiance envers les partis politiques, les élus, les « élites », voire les syndicats). C’est aussi un atout dans la mesure où pareil mouvement ne laisse à nul autre (partis, syndicats, personnalités diverses) le soin de décider à sa place ou en son nom (en se référant ici à différents modes de récupération, de tentatives d’entrisme, ou de phagocytation du mouvement). Mais c’est aussi un handicap ou une faiblesse dans le cas qui nous occupe puisque le refus réitéré de toute délégation se révèle à la longue un facteur d’immobilisme ou d’impuissance. Du moins cela se discute d’un contexte à l’autre. Nous étions loin en cette fin de novembre (ou ce début décembre), pourtant le point culminant du mouvement des Gilets jaunes, d’une configuration dans laquelle le dit mouvement paraissait en mesure de paralyser l’économie du pays. Ce qui aurait alors mis le pouvoir dans l’obligation de négocier. L’absence de culture politique (ou l’émergence d’un nouveau rapport à la politique, encore balbutiant avec les Gilets jaunes »), a contrario de celle dont était doté l’ancien mouvement ouvrier (et qui n’a pas complètement disparue de ce qui en subsiste), ne peut que desservir n’importe quel mouvement social d’importance dès lors que l’on accepterait pas le principe selon lequel tout délégué est élu et révocable à tout moment (mais au sein d’assemblées souveraines, dont on accepte le verdict dans un sens comme dans l’autre). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette « incapacité » nous ramène à la question de la démocratie avec les Gilets jaunes. Les exemples évoqués ci-dessus permettent de douter de la réalité d’un fonctionnement véritablement démocratique. On me répondra que la conscience politique vient très progressivement à travers des discussions, l’action, l’affrontement avec le pouvoir. Et qu’il est déjà bien beau de voir des gens se disant « apolitiques », n’ayant jamais protesté ni manifesté de leur vie se comporter ainsi, sans rien lâcher, au point d’obtenir des résultats que ni la gauche, ni les syndicats n’ont été capables d’arracher depuis plus de vingt ans. Je n’en disconviens pas mais cela ne répond pas directement à la question posée, celle d’un fonctionnement démocratique au sein des Gilets jaunes. Il paraît préférable de la reprendre depuis une autre perspective.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons sur ce « refus de délégation » à travers les deux remarques suivantes. La première, qui vaut pour rappel, porte sur la principale raison donnée par les Gilets jaunes délégués pour ne pas donner suite à la rencontre envisagée avec le pouvoir (Philippe en l’occurence) : le refus par ce dernier que cette rencontre soit filmée et diffusée en direct sur Facebook. Il est toujours difficile dans ce genre de situation de savoir qui a pris la responsabilité de la rupture. C’est là question de rapport de force. On se souvient pourtant que la rencontre décisive, débouchant sur les « accords de Gdansk », dans une situation de grève générale, entre une délégation d’ouvriers et celle du parti communiste polonais, qui débouchera sur la création du syndicat Solidarnosk (fait sans précédent dans l’histoire des partis communistes), avait été filmée et diffusée en direct à la télévision à la demande de la délégation ouvrière. Là également il s’agissait d’une première dans l’histoire des mouvements sociaux. Cela avait été obtenu parce que le gouvernement n’était plus en mesure de le refuser : l’économie polonaise se trouvant en grande partie paralysée. Ce qui n’était pas le cas en France à l’automne dernier.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La seconde remarque prolonge la précédente. Nous savons que les « délégués » désignés par la coordination des Gilets jaunes pour venir le cas échéant négocier avec le pouvoir ont été récusés par la base. Ce rejet était parfois assorti (selon les témoignages de plusieurs de ces « délégués ») de menaces de mort envers qui se prévaudrait abusivement d’un rôle de porte parole du mouvement. Les « délégués » restés audibles ont usé de toutes les précautions oratoires pour bien signifier qu’ils n’étaient que des « communicants » du mouvement, leur rôle s’arrêtant là. Les insultes via les réseaux sociaux (voire plus) ne sont que la conséquence d’un mode de fonctionnement qui transforme du jour au lendemain « les amis Facebook » en ennemis. C’est la logique d’un type de communication numérique privilégiant à travers des messages souvent courts l’impulsivité, la réaction par à-coups, les raccourcis. On observe aussi que la vidéo, depuis les tous débuts du mouvement, a nettement pris le dessus sur le texte écrit (sous forme de tracts, communiqués, brochures, libelles), au point de devenir le mode d’expression privilégié, pour ne pas dire unique des « têtes de gondole » du mouvement (celle de Jacline Mouraud, juste avant l’émergence des Gilets jaunes, aurait dépassé le million de visites !). A ce jeu là Éric Drouet et Maxime Nicolle dominent largement les autres Gilets jaunes médiatisés. Comme l’indique Marie Peltier, ce mode de communication s’inscrit dans « une dynamique qui fait fi de la complexité des situations, des nuances, de l’argumentation et même des faits eux-mêmes ». Nous en avons eu quelque confirmation avec la large diffusion, voire la popularisation auprès d’un nombre non négligeable de Gilets jaunes des thèses complotistes reprises par Maxime Nicolle.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Parallèlement à cet épisode de « délégation, non délégation », les médias diffusaient une première liste de 42 revendications émanant des Gilets jaunes » (sans qu’on sache très précisément de quelle manière elles avaient été élaborées et par qui). On y retrouvait quelques unes des premières revendications datant d’octobre, incluses dans les pétitions ayant entrainé la naissance du mouvement, ensuite reprises sur les ronds-points et en boucle à travers les réseaux sociaux. A ce catalogue de revendications centrées sur le pouvoir d’achat et les conditions de vie (plébiscité par le RN et plus encore la France Insoumise), d’autres, s’y ajoutant, abordaient des questions plus institutionnelles (en terme de contrôle citoyen sur les élus) et comportaient un volet sur les problèmes posés par l’immigration. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A première vue, comme cela a été dit, ce catalogue ressemblait à un « magma de revendications hétéroclites », ce qui n’avait pas lieu de surprendre puisque ce mouvement sa caractérisait principalement par son hétérogénéité. Il s’est trouvé cependant un sociologue, Samuel Hayat, dans l’article « Les Gilets Jaunes, l’économie morale et le pouvoir » (datant de la mi-décembre), pour estimer que cette liste de 42 revendications était « profondément cohérente ». Partant du concept « d’économie morale » (qui serait une version améliorée de la notion de la « common decency »), en le rapportant aux Gilets jaunes, Hayat indique que cette « économie morale, si elle révèle la capacité collective du peuple et l’existence d’une marge d’autonomie réelle vis à vis des gouvernants, est en tant que telle conservatrice ». Ce qu’elle vise, principalement, étant « avant tout un retour à l’ordre, pas une transformation révolutionnaire (…) Ce n’est pas parce qu’un mouvement est authentiquement populaire, ancré dans les croyances les plus communément partagé par la grande majorité, qu’il est émancipateur ». Le sociologue rappelle en quelque sorte que ce n’est pas parce qu’un mouvement est véritablement populaire qu’il faut pour autant lui accorder tous les satisfécits (et mettre son esprit critique en berne). C’est, poursuit-il, moins « le signe d’une révolution que d’un sursaut, face à un véritable délabrement des institutions du gouvernement représentatif ». Quand Hayat ajoute « que les mouvements fondés sur l’économie morale s’inscrivent dans le rappel d’une coutume, la soumission à un ordre juste, mais aussi dans le cadre d’une </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">communauté. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’économie morale est conservatrice non seulement parce qu’elle rappelle des normes intemporelles, mais aussi parce qu’elle lie entre elles des personnes définies par leur commune appartenance », il est alors permis de faire le lien, indique l’auteur, avec les revendications les plus problématiques des Gilets jaunes, celles « contre la libre circulation des migrants, pour les expulsions d’étrangers, et plus encore pour l’intégration forcée des non-nationaux ». Il lui reste à préciser que si « l’économie morale est la proclamation des normes d’une communauté, elle n’étend pas la logique des droits aux étrangers ». Ceci faisant écho à des propos tenus par certains Gilets jaunes dans les débuts du mouvement. Et traduit sans contestation possible le poids de l’extrême droite au sein du mouvement.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Certes on peut discuter ce concept « d’économie populaire » (comme c’est le cas avec la « common decency »), et objecter trois mois après la rédaction de cet article que ce « retour à l’ordre » ressemble à une chimère. Il n’en est pas moins vrai que si la rhétorique du RN et de ses supplétifs apparaît moins dans ces 42 revendications que sur certains ronds-points et dans les pages Facebook parmi les plus suivies, elle n’en est pas moins présente sous une forme atténuée qui vient d’être rappelée. Le RN par ailleurs, en dehors de la partie problématique du catalogue, disait être d’accord avec la plupart des revendications portées par les Gilets jaunes. D’autres catalogues de revendications ont par la suite été diffusés par les médias, qui tous s’accordaient pour supprimer le volet « migrants », mais d’une part ils émanaient de consultations plus réduites que celle ayant permis l’émergence des 42 revendications, et d’autre part ils provenaient à n’en pas douter du « côté gauche » du mouvement.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il importe ici de revenir sur ce qui a été juste suggéré plus haut. Les principales cibles des Gilets jaunes sont les députés, les ministres, l’ensemble du personnel politique, Macron surtout, également les technocrates, les élites, l’État, mais très rarement le patronat et le capitalisme. D’où l’impression que l’exploitation de l’homme par l’homme, l’extraction de la plus value, sans parler de l’abolition du salariat (c’est quoi ça ?) n’ont pas ou plus de signification dés lors que l’on endosse un gilet jaune. C’est auprès de l’État que l’on réclame une meilleure redistribution des richesses. D’un côté c‘est l’un des points forts du mouvement : mettre le projecteur sur la scandaleuses inégalité des revenus. De l’autre côté, l’impasse faite par les Gilets jaunes sur la question salariale, l’absence de critiques adressées au monde patronal et d’une remise en cause explicite du capitalisme, représente l’une des limites intrinsèques du mouvement, et le déleste de surcroît de tout contenu révolutionnaire. D’où cette incapacité à produire une critique de type anticapitaliste, susceptible de trouver un plus large écho dans le monde du travail. Des salariés sont bien évidement venir grossir en nombre les Gilets jaunes, mais sans intervenir depuis leur relation au monde du travail et de l’entreprise. Ici on peut parler d’un rendez-vous manqué en décembre dernier, au moment où le pouvoir macronien était le plus affaibli : le mouvement aurait pris une toute autre dimension si ce mécontentement s’était alors étendu aux lieux de production, sous la traduction par exemple de débrayages. C’est toujours plus facile à dire qu’à faire (puisqu’il semblerait que la plupart des Gilets jaunes salariés travaillent dans des PME), mais pareille question en soulève d’autres, sur lesquelles je reviendrai dans la seconde partie.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette limite s’explique par différentes raisons, certaines viennent d’être exposées. Il en est une autre, déjà évoquée, mais qui n’a pas été véritablement mise en relation avec les Gilets jaunes : le poids du populisme au sein du mouvement. Deux données peuvent l’illustrer. La première, d’évidence, se rapporte à la présence conséquente chez les Gilets jaunes d’électeurs de Debout le France, des Patriotes, et surtout du RN pour le populisme de droite ; même chose avec LFI pour le populisme de gauche. Et puis, on a pu l’observer tout d’abord sur les ronds-points, le mouvement des Gilets jaunes concourait à minorer les différences existant entre ces deux populismes. Un peu partout, sur les lieux de blocages, dans les manifestations, sur Facebook, la grande majorité des Gilets jaunes qui s’exprimaient - qu’on leur tende un micro ou pas - reprenaient une rhétorique (« Nous sommes le peuple ») qui n’était pas sans produire des effets mimétiques parfois surprenants sur des esprits pourtant avertis, des militants ou des intellectuels que l’on avait connus plus circonspects avec certaines formulations.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ajoutons que de nombreux commentateurs (uniquement à gauche, à l’extrême gauche, ou chez les anars) ont souligné au sein du mouvement l’exemplarité des deux premiers appels des Gilets jaunes de Commercy. Il est vrai que dans le mouvement ils représentaient l’exemple à suivre, qu’il paraissait important voire essentiel de relayer ces deux appels, de leur donner davantage d’écho. D’ailleurs, d’autres Gilets jaunes, entre ces deux appels, à St Nazaire, en Gascogne ou ailleurs défendaient une ligne équivalente. Lors de leur premier appel, quand les Gilets jaunes de Commercy, évoquaient, pour les dénoncer, « certaines franges du mouvement » (lesquelles proposaient « de nommer des représentants par région »), à la date de rédaction de cet appel (la vidéo datant du 30 novembre) ce sont les Gilets jaunes de Commercy qui se situaient à la frange du mouvement, et non les gros bataillons de « la France en colère » et de « Fly Ryder ». Très rapidement les événements leur ont donné raison, mais cela n’a pas pour autant contribué à les placer au centre du mouvement, ou d’être en capacité d’en constituer le noyau dur. J’aurais ensuite l’occasion, compte tenu de l’évolution du mouvement après janvier 2019, d’aborder de nouveau la question des rapports de force au sein des Gilets jaunes. Cependant, pour rester avec ces deux appels, un esprit chagrin comme l’auteur de ces lignes, qui a jadis rompu des lances avec le maoïsme, préfèrerait ôter du gâteau la cerise (« Vive le pouvoir au peuple, par le peuple et pour le peuple ! »).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Deux données importantes pour une meilleure compréhension des Gilets jaunes n’ont pas encore été encore abordées : la place du Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) dans le mouvement, et celle des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Marseillaise</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> et drapeaux français dans leur cortèges.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Depuis décembre dernier la revendication associée au RIC a pris une telle importance dans les cortèges des Gilets jaunes qu’elle a dans un premier temps éclipsé les fameuses 42 mesures, avant de devenir l’un des deux principaux axes revendicatifs du mouvement (avec la démission de Macron). Elle avait déjà été exprimée auparavant mais il parait possible, entre autres raisons, que le rôle occulte d’un Étienne Chouard auprès de figures marquantes des Gilets jaunes n’a pas été sans contribuer à cette rapide popularité. D’autant plus, après l’intervention télévisée du Président de la République, que les Gilets jaunes ont compris que le pouvoir n’entendrait pas revenir sur l’essentiel.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le RIC a été présenté par les Gilets jaunes comme une sorte de panacée universelle susceptible de répondre dans le détail à la grande majorité des revendications contenues dans les cahiers de doléances du mouvement. Pour corriger, en quelque sorte, tous les travers d’un système, celui de la démocratie représentative, ne permettant pas aux citoyens de se mobiliser sur des mesures qui seraient considérées injustes par une partie conséquente de la population : le RIC donnant aux citoyens les moyens d’y remédier par la voie référendaire. Je n’entrerai pas dans des querelles de spécialistes sur la constitutionnalité ou pas du RIC, ou les différentes façons de l’habiller sur le plan juridique. Il importe davantage de replacer le RIC dans la dynamique interne du mouvement pour mieux analyser celui-ci. A la date du 27 décembre </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">remarquait que « si le RIC détruit la dynamique immédiate du mouvement, c’est parce que sa base actuelle, celles des ronds-points et des manifestations du samedi, ne porte pas de dynamique historique claire, d’autant que la pratique des assemblées comme l’idée de délégation trouvent peu d’écho ou alors créent des divisions au sein du mouvement. C’est parce qu’il est incapable de rendre historique sa dynamique sur une base assembléiste, qu’il peut se réfugier dans le RIC ». Ce constat sévère traduisant « le risque d’un début d’institutionnalisation du mouvement - ou pire la naissance d’un mouvement type Cinq étoiles comme en Italie ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le RIC en l’occurrence n’a-t-il pas eu pour effet de faire diversion ? Ou du moins de régler à bon compte des questions se posant au mouvement, que celui-ci n’était pas en mesure de résoudre en raison de son hétérogénéité : le recours au RIC apparaissant comme suffisamment consensuel pour être repris par l’ensemble des Gilets jaunes. On sait aussi que le recours au RIC, par principe et comme l’expérience le prouve, porte généralement sur des questions sociétales, donc pas exactement celles dont les Gilets jaunes voudraient se saisir (lesquelles avaient concouru à l’émergence du mouvement). Disons qu’il s’est emparé de la question depuis décembre, au point de la déclarer centrale, sans se rendre compte que cette focalisation, finalement, contrairement à ce qu’espéraient les Gilets jaunes l’ayant initiée, ne pouvait qu’affaiblir le mouvement ; ou alors lui permettre le cas échéant, mais nous anticipons, de représenter une porte de sortie honorable si, le mouvement se délitant, l’opposition au pouvoir macronien reprenait à son compte ce projet référendaire. Une hypothèse fragile.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Là où certains prennent le RIC pour le meilleur outil en faveur de la démocratie directe, je serais tenté de penser qu’il en représente la parodie, le simulacre, ou un moyen de la détourner. Ce n’est pas un secret d’ajouter que le RIC, l’un des fers de lance du Mouvement Cinq étoiles (ni gauche ni droite), bénéficie par ailleurs d’un préjugé favorable dans la nébuleuse extrême droitière. Rappelons que le FN a commencé à s’intéresser de plus près au RIC quand en 2009, lors d’une « votation fédérale » (l’équivalent de ce référendum), une majorité de suisses s’était prononcée contre « la construction de minarets »</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un entretien accordé à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mediapart,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> l’historienne Sophie Wahnich, interrogée sur la présence des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Marseillaise </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans les cortèges de Gilets jaunes, fait ce rapprochement intéressant : « Je pense que c’est grâce / à cause du foot ». Les conclusions diffèrent selon que l’on penche pour « grâce à « ou « à cause de ». Il y a certainement eu un effet Coupe du Monde. Relevons ce paradoxe : la « France qui gagne, » symbolisée par les </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Marseillaise </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et les drapeaux tricolores, se retrouvait dans la rue pour représenter « la France qui perd ». Mais qui dans les cortèges de Gilets jaunes entonnait l’hymne national en brandissant le drapeau français ? Ce n’est pas dans la tradition de la gauche, et encore moins de l’extrême gauche de se livrer à ce genre de célébration. Ces comportements appartiennent davantage à la droite, et plus encore à l’extrême droite. Des intellectuels, à gauche, parmi les plus favorables au mouvement, postulant que l’extrême droite serait beaucoup moins présente au sein des Gilets jaunes que d’aucuns le prétendent (cela ne visant qu’à discréditer le mouvement), ont tenté de résoudre l’équation en se référant à la Révolution française. C’est là une vue de l’esprit que démentirait certainement toute étude de terrain sur les comportements des Gilets jaunes concernés. Il parait possible, par delà tout ce qui les sépare, que les populistes de droite et de gauche peuvent s’accorder sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Marseillaise </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et le drapeau tricolore. Dans cette histoire l’internationalisme est totalement absent, lui, du mouvement des Gilets jaunes. A l’exception d’un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Appel à la solidarité internationale, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">signé par « Des révolutionnaires de quelques villes de France » : mais qui en a pris connaissance ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour ne pas quitter le populisme, rappelons ici les nombreux témoignages de Gilets jaunes s’insurgeant contre les salaires des députés, sénateurs et ministres (en se leurrant parfois sur leur montant). Alors que nous n’avons entendu nulle récrimination envers les plus importantes rémunérations des sportifs de haut niveau, des stars de cinéma, de certains chanteurs de variété, voire même celles des grands patrons. Sur le chapitre de la « révolte fiscale », très présent dans les débuts du mouvement, des propos remettant en cause l’aspect pourtant révoltant de « l’exil fiscal » ont été peu entendus, ou pas du tout dès lors que les bénéficiaires s’appellent Hallyday, Aznavour et Polnareff. Mais ce sont des chanteurs populaires, aimés du grand public, devenus « personne non grata » répond-on (« Comment, vous voulez empêcher les gens de rêver ! »). En tout cas cette France « invisible », sur laquelle on a tant glosé lors de l’émergence des Gilets jaunes, avait fait preuve entre le décès et les obsèques d’Hallyday d’une « visibilité » à toute épreuve (du moins telle que nous la montraient avec insistance les médias). Dans un registre équivalent une vidéo faisait le buzz au début de l’année : on y voit le fou du roi, Stéphane Bern, être applaudi sur un rond-point par tous les Gilets jaunes présents. L’intéressé expliquant dans un second temps cette popularité auprès des Gilets jaunes par sa « sincérité » envers le public (que celui-ci reconnaissait). Selon que vous serez histrion médiatique ou homme politique… etc.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Alors qu’il paraissait difficile dans un premier temps de relever l’existence de tendances ou de courants au sein du mouvement (sinon la présence, surtout sur les ronds points ou dans les manifestations, de Gilets jaunes proches de ce que les médias appellent « les extrêmes des deux bords », qui tous cohabitaient), plusieurs Gilets jaunes plus visibles que d’autres se sont imposés sur la scène médiatique. Certains, comme Priscilla Ludoski, Jacline Mouraud, Éric Drouet, en raison de pétitions ou vidéos ayant grandement contribué à l’émergence du mouvement ; d’autres, comme Maxime Nicolle (révélé dans l’émission très regardée de Cyril Hanouna), ou Benjamin Cauchy, Ingrid Lavavasseur, Jean-François Barnaba, Christophe Chalençon, parmi d’autres, pour leur aisance sur un plateau de télévision. Parallèlement, de manière parfois plus déterminante, les pages Facebook de « La France en colère » (Drouet et Ludoski), ou de « Fly Rider » (Nicolle) n’ont pas été sans populariser des thématiques qui se sont imposées, et parfois durablement auprès d’une large majorité de Gilets jaunes. Une première fracture est apparue avec la création (à l’initiative de B. Cauchy) d’un groupe dissident de « gilets jaunes libres », relayée par une tribune publiée dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Journal du dimanche </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(signée entre autres par B. Cauchy et J. Mouraud), lequel et laquelle entendaient exprimer un point de vue « modéré » au sein du mouvement. Cette dissidence s’est trouvée rapidement marginalisée. D’ailleurs Jacline Mouraud quittera plus tard le mouvement pour créer un parti, les Emergeants. Cauchy, lui, vient de rejoindre Dupont-Aignan (en étant en position non éligible sur la liste présentée par Debout le France aux européennes). En janvier, des désaccords entre Éric Drouet et Priscilla Ludoski avaient incité la seconde à rompre avec le premier (avant que tous deux ne se réconcilient ensuite).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour les soutiens patentés des Gilets jaunes toutes ces questions de personnes, de tendances, de courants, et tutti quanti importent peu : l’important étant le mouvement, ce qu’il impulse et propose collectivement. Et d’ajouter que procéder ainsi avec les Gilets jaunes, ou accessoirement séparer chez eux le bon grain de l’ivraie, reviendrait à rendre compte du mouvement par le petit bout de la lorgnette. Je n’en disconviendrais pas si ce mouvement, sans trop entrer dans les détails, se caractérisait par son homogénéité. Ce qui n’est pas le cas, et l’était encore moins en novembre, décembre et janvier derniers. C’est là question de méthode. Toute analyse d’un mouvement qui à l’instar des Gilets jaunes se caractérise principalement par son hétérogénéité oblige le commentateur à prendre en considération les contradictions, dissidences ou fractures présentes dans ce mouvement. Même si les médias contribuent non sans arrière pensée à la promotion de certains Gilets jaunes, ou insistent sur les dissensions au sein du mouvement, ou encore mettent en épingle tels propos ou tels comportements difficilement justifiables, faut-il pour autant incriminer ou condamner toute analyse provenant de l’extérieur du mouvement ? Parce que, nous dit-on, seule l’action des Gilets jaunes serait en capacité de traduire mieux que quiconque ce qu’ils sont et veulent, y compris en devenir ? L’objection, déjà discutable en soi, l’est encore moins ici avec les Gilets jaunes : d’une part elle évacue la dimension hétérogène du mouvement, d’autre part le caractère d’unicité de l’action n’est nullement prouvé.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Poursuivons. Au début du mois de février il paraissait possible de distinguer plusieurs tendances au sein des Gilets jaunes. D’abord un noyau dur représenté par « La France en colère !!! » et « Fly Rider » (sur lequel venait s’agréger maints Gilets jaunes de la première heure), celui d’une ligne apparemment « officielle » du mouvement. Ou du moins plus en mesure que d’autres d’en donner l’impulsion ou d’en garantir l’esprit premier (pouvant être qualifié, avec toutes les précautions d’usage, de « populiste » : d’un populisme disons « rampant », du moins ouvertement « dégagiste »). Une autre tendance, dont l’importance restait à quantifier, s’était exprimée les 26 et 27 janvier à Commercy lors de « l’assemblée des assemblées » des Gilets jaunes, rassemblant des représentants de l’une et l’autre de ces assemblées à travers le territoire. Notons qu’une partie de l’extrême gauche parait s’être ralliée à ce courant, que l’on appellera « assembléiste », depuis le premier ou le second appel des Gilets jaunes de Commercy. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Signalons en ce début de février la présence de la tendance initiée par Hayk Shakinyan, laquelle entendait trouver un débouché politique au mouvement en se donnant dans un premier temps les moyens de constituer une liste « Gilets jaunes » aux élections européennes à venir. Un objectif d’ailleurs controversé au sein du mouvement : les membres de cette liste, lors de sa présentation à Strasbourg, étant violemment pris à partie par d’autres Gilets jaunes (et qu’auparavant, la tête de liste, Ingrid Levavasseur, s’était fait vertement rabrouer par Drouet et Nicolle lors de l’annonce du projet). La défection au début février du directeur de campagne, Hayk Shakinyan, plus l’hostilité persistante chez de nombreux Gilets jaunes à l’égard de cette « liste européenne » ne préjugeant pas favorablement de son avenir. Une quatrième tendance, plus récente, se trouvant représentée par des « Gilets jaunes constructifs », appelant à la tenue d’un « Vrai débat » pour concurrencer le « Grand débat » macronien et en faire ressortir les limites et l’inanité.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quoi qu’on puisse en penser, le personnage le plus influent parmi les Gilets jaunes restait Éric Drouet en ce début de février. Approché depuis le début de l’année par de nombreuses « personnalités » (dont Mélenchon, que le personnage « fascine », Chouard, Hulot, Besancenot, Doc Gyneco…), Drouet lance un ballon d’essai auprès des abonnés de « La France en colère !!! », et au delà pour tâter le terrain (sur l’opportunité de rencontrer l’une ou l’autre de ces « personnalités », les citant, se disant prêtes à aider les Gilets jaunes). Priscilla Ludoski et Maxime Nicolle refusent, et les réactions des Gilets jaunes consultés sur Facebook se sont certainement révélées négatives puisque Drouet élimine ensuite son post. Puis propose dans un second temps de travailler sur un projet de charte « Gilets jaunes » articulé auteur du RIC et de la Sixième république : une charte pouvant être rédigée par Étienne Chouard et l’avocat François Bulo (l’étoile montante des Gilets jaunes).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce personnage, Éric Drouet, difficilement saisissable sur un plan politique (dont les sympathies, avant novembre, paraissaient le situer, tout comme Maxime Nicolle, du côté de l’extrême droite, en raison de propos anti-migrants postés sur ses pages Facebook puis retirés par la suite) n’est pas sans se comporter depuis les débuts du mouvement comme un vieux briscard. Drouet a ce qu’on appelle un « flair » qui lui permet de coller au mouvement, ou de le précéder dès lors que le vent changerait de sens. Son « traitement de faveur » (sous l’angle répressif) par le pouvoir macronien et sa justice lui a donné un surcroît d’aura au sein des Gilets jaunes. Il sait aussi habilement souffler sur le chaud ou le froid, lorsque la situation l’oblige. Et puis surtout son statut, celui d’être l’un des initiateurs du mouvement (tout comme Priscilla Ludoski, plus « modérée » elle, plus sensible aux questions écologiques) lui donne une légitimité incontestable parmi les Gilets jaunes (même si son nom n’est jamais cité par ceux qui, sur le « côté gauche », ont dans un second temps rejoint le mouvement). Une vidéo où Éric Drouet intervient sur sa page Facebook au sujet des élections européennes illustre l’un des talents du personnage. Posant la question de savoir s’il était préférable ou pas pour les Gilets jaunes d’avoir une attitude commune lors de cette consultation, Drouet propose qu’un sondage pourrait être effectué très largement auprès des Gilets jaunes pour connaître la tendance en cours (pas voter, voter, et alors pour qui). Éric Drouet, tout en répétant qu'il n’avait pas d’idée là-dessus, glisse, l’air de rien, au détour d’une phrase : « je vois bien le nom d’Asselineau qui ressort ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En ce mois de mars 2019, la candidature de la liste Gilets jaunes aux élections européennes (dite RIC) n’étant plus d’actualité, et aucune autre arborant cette couleur n’étant en mesure de lui succéder, cette tendance encore forte deux mois plus tôt auprès des Gilets jaunes (mais plus significative encore à l’extérieur du mouvement : des sondages accordant alors 12% à une liste « Gilets jaunes ») a quasiment disparu. D’ailleurs le soutien apporté par Luigi Di Maio au mouvement, en présence de Gilets jaunes de la liste RIC qui n’en demandaient pas tant (sans parler du rôle trouble joué par Christophe Chalançon) avait contribué à discréditer cette tendance politico-électoraliste. Moins exposé, le courant articulé autour du « Vrai débat » n’a pas été en mesure de concurrencer le « Grand débat » macronien, ni d’augmenter le contingent des « gilets jaunes constructifs ». Il paraît condamné à disparaître avec l’arrêt du « Grand débat ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ne restent donc en présence que ceux que j’appelle « les Gilets jaunes canal historique », et les Gilets jaunes que l’on pourrait qualifier « assembléistes ». Des premiers (les abonnés de « La France en colère !!! », ceux de « Fly Rider », et bien au-delà) on dira qu’ils sont au sein des Gilets jaunes les plus attachés au caractère </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">identitaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du mouvement (une tendance principalement articulée autour des « Macron démission ! » et l’adoption d’un référendum d’initiative citoyenne). Les seconds se sont structurés lors de « l’assemblée des assemblées » à Commercy (laquelle assemblée n’était pas représentative de tous les Gilets jaunes comme le croient Plénel et d’autres). Ce serait exagéré de dire que cette tendance est en train de se gauchiser, mais les mots d’ordre, les propos tenus dans les AG, la présence de militants politisés (et non d’organisations) replacent implicitement ce courant dans une dynamique anticapitaliste. C’est même explicite avec le journal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Jaune </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui a le mérite d’appeler un chat un chat. Il s’agit, cela précisé, d’une photographie dans un moment donné, plutôt floue d’ailleurs : des passerelles existent entre ces deux tendances. Également, comme on le verra plus loin, tout ce qui pourrait s’apparenter à un facteur de division se trouve souvent récusé d’un côté comme de l’autre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il est au moins une donnée qui fédère indiscutablement les Gilets jaunes, qui concourt même à redynamiser le mouvement malgré les signes objectifs d’une mobilisation allant decrescendo : la répression. La dénonciation de la vigueur de la répression dépasse d’ailleurs largement les Gilets jaunes. Il suffit de se référer à l’exemplaire et exhaustif travail de recension publié et mis à jour par le journaliste David Dufresne pour se faire une idée précise de l’ampleur et du caractère particulier de cette répression. Bien entendu il importe de protester contre la politique macronienne de maintien de l’ordre, et de dénoncer (pour ne citer qu’elle) l’utilisation du LBD par la police dans les manifestations. Un pouvoir un peu plus intelligent, ou plus aguerri aurait davantage lâché de lest en novembre ou décembre. Cette répression laissera des traces, et pas seulement dans le corps de nombreux manifestants. La macronie s’en sortira à moins bon compte qu’elle ne le croit. A signaler aussi, en décembre surtout, l’omniprésence de représentants des syndicats de policiers sur les plateaux de télévision. C’est un élément appréciable. Surtout si l’on sait que les flics ont obtenu après une journée de protestation tout ce qu’ils réclamaient, alors que tant de salariés ne récoltent que des miettes à l’issue de grèves s’étalant sur plusieurs semaines. Au moins les grotesques appels « la police avec nous ! », entendus lors des premiers samedis de manifestation, ont complètement et heureusement disparu vers la mi décembre.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant la vigueur d’une répression ne garantit pas l’excellence d’un mouvement social, avec les Gilets jaunes et ailleurs. L’exemple algérien en cette fin d’hiver 2019 en apporte la preuve inversée. En signalant qu’il s’agissait-là d’un mouvement de plus grande ampleur : à l’échelle de l’Algérie, du moins, il y avait beaucoup plus de manifestants dans les rues d’Alger et des grandes villes du pays que de Gilets jaunes en France aux plus forts moments de la mobilisation, en novembre et décembre 2018. Ajoutons que le mot d’ordre de grève générale paraissait en mesure d’être suivi quand Bouteflika a annoncé ne plus vouloir se représenter. Mais ce n’est sans doute que partie remise.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour ne rien oublier, l’agression verbale de nature antisémite à l’encontre d’Alain Finkiekraut a été très largement commentée. Il n’est pas utile de s’y attarder. Sinon pour relever que les médias, puis la classe politique s’en sont emparés pour dénoncer l’antisémitisme : les avis étant partagés entre ceux qui entendaient dénoncer l’antisémitisme en général (en associant Simone Veil à Finkielkraut) et ceux qui entendaient porter l’accusation sur les Gilets jaunes. Selon toute probabilité les agresseurs de Finkielkraut ne représentent qu’un courant très minoritaire au sein des Gilets jaunes. Plus problématique étant l’agression concernant Ingrid Levavasseur. Elle encourait certes le reproche de s’être fourvoyée avec ce projet de liste « Gilets jaunes » aux élections européennes (et venait de reconnaître son erreur), mais le caractère injurieux, violent, ouvertement sexiste des Gilets jaunes qui l’ont contrainte à quitter la manifestation ne peut être passé sous silence. Contrairement à l’épisode Finkielkaut, les Gilets jaunes ayant pris à partie Ingrid Levavasseur ne représentent nullement une minorité dans le mouvement (l’un d’eux, justifiant ensuite pareille attitude devant une caméra de télévision, disait s’exprimer au nom du mouvement). On peut supposer que les déclarations en amont de Maxime Nicolle et Éric Drouet, s’adressant directement par le canal de la vidéo à Ingrid Levavasseur en des termes significatifs, n’ont pu que « chauffer à blanc » tous ceux qui dans un second temps l’ont copieusement insultée sur Facebook (avec son lot de menaces de mort). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il paraît difficile de se faire quelque idée du rapport de force entre les deux tendances relevées plus haut. D’une part en raison du caractère lui aussi hétérogène des GJ « canal historique » et des GJ « assembléistes », et surtout parce que ce rapport de force est très difficilement quantifiable (à condition déjà de reconnaître l’existence de tendances). J’émettrai cependant l’hypothèse, depuis un certain nombre d’indices (recueillis sur les ronds points, dans les manifestations, ou le contenu des pages Facebook), que la première reste majoritaire (à l’exception, semble-t-il, de la région parisienne). Cela peut évoluer, comme le laissent entendre quelques signes avant coureur. Il serait souhaitable que cette tendance assembléiste devienne majoritaire. Ce qui permettrait au mouvement d’évoluer encore pour le mieux. Mais est-ce possible ? En face nous trouvons les bataillons de « La France en colère !!! » et consort. Et puis ces Gilets jaunes de type « canal historique » disposent d’une carte maîtresse : ils sont plus que les autres garants depuis les débuts du mouvement de son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">identité. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce qui dans un premier temps faisait la force du mouvement, cette identité Gilets jaunes donc, ne se transforme-t-elle pas imperceptiblement au fil du temps, des mois, des pesanteurs, des lassitudes, en handicap ? Alors, si cela était, ne vaudrait-il pas mieux pour les Gilets jaunes rangés dans ce courant « assembléiste » d’envisager une scission ? D’abandonner le gilet jaune pour se constituer en mouvement autonome, repartant ainsi sur d’autres bases, plus ouvertement politiques, explicitement anticapitalistes ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dès le début du mouvement, sur les ronds points plus particulièrement, des Gilets jaunes se disant proches des idées du RN, et d’autres affirmant la même chose envers LFI, ont déclaré pouvoir s’entendre, ou du moins dialoguer depuis une base de revendications communes. Chacun mettant en l’occurrence ses idées dans sa poche. Les deux éléments les plus fédérateurs, par delà une même volonté de s’affirmer comme « l’expression même du peuple », étant l’hostilité à Macron et l’élévation du pouvoir d’achat. Il paraissait alors possible de pointer là quelque convergence entre les populistes de droite et de gauche. Une hypothèse moins crédible quatre mois plus tard : des gauchistes, voire des anarchistes tenant (dans la forme plus que sur le fond) un discours comparable vis à vis de Gilets jaunes de type disons « canal historique ». D’où, chez les premiers, l’adoption d’un discours consensuel qui parfois étonne chez des personnes politisées, ou des militants que l’on avait connu plus tranchants auparavant. On me répondra qu'il s’agit d’une règle implicite dans tout mouvement social d’importance : chacun fait des concessions, privilégie des objectifs communs, remet à plus tard les sujets clivants. Une règle qui néanmoins comporte des exceptions, et plus encore avec un mouvement de la nature des Gilets jaunes. C’est vouloir reposer ici la question de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’identité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Gilets jaunes. Dés lors qu’un mouvement tel que celui-ci ne s’étend pas à la manière d’une tâche d’huile à travers tout le corps social, qu’il fait comme dit l’autre du surplace, que la mobilisation décroit, cette règle non écrite ne prévaut plus. Continuer à adopter un discours consensuel revient alors à faire le jeu de ceux qui à l’intérieur du mouvement excluent implicitement tout dépassement dans une perspective véritablement révolutionnaire, pour ne préserver eux ce qui devient alors un handicap ou une limite à l’extension du mouvement : à savoir l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">identité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Gilets jaunes (reposant sur ces trois piliers : dégagisme, RIC et élévation du pouvoir d’achat).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: center;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">2</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quatre mois après l’explosion du mouvement des Gilets jaunes on remarque que dans le camp de ce qui porte encore le nom de « gauche », mais également dans les rangs gauchistes, ultra-gauchistes, anarchistes, certains (intellectuels, militants, groupes) ont choisi de soutenir sans réticences le mouvement, ou de le rejoindre tout en faisant entendre le cas échéant leurs différences. Cela correspond à une évolution, parce qu’en novembre dernier le questionnement prévalait.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le premier intellectuel à prendre ouvertement parti en faveur des Gilets jaunes n’était autre que Jean-Claude Michéa. Son intervention le 21 novembre (une lettre adressée aux « Amis de Bartleby ») n’avait rien qui puisse étonner. Derrière son soutien sans restriction, Michéa réglait des comptes avec quelques unes de ses têtes de turc : de Nuit Debout (« l’exact contraire » des « gilets jaunes ») au « réformiste sous-keynésien Besancenot » (sic), en passant par un État qui « n’hésitera pas un seul instant à envoyer partout son Black Bloc et ses « antifas » » (…) pour discréditer par tout les moyens ce mouvement ». De quoi souhaiter à Michéa de ne pas croiser sur sa route un « antifa » lors de ses déplacements. Comme par exemple le 29 novembre au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Figaro Magazine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(qui écrit bien imprudemment que le philosophe, qui « habituellement ne rencontre jamais les journalistes », faisait une exception avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le Figaro Magazine </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: alors que Michéa accorde des entretiens tout azimut, avec une préférence marquée pour la presse de droite).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le recul, même relatif du mouvement après le samedi 8 décembre, puis les annonces de Macron introduisent une nouvelle séquence : des groupes et personnalités positionnées à gauche, et plus encore à l’extrême gauche prennent le train des Gilets jaunes en marche. Un volumineux dossier concocté par les Éditions Sylepse en apporte la preuve la plus manifeste. Un article remarqué de Pierre Dardot et Christian Laval (« Avec les Gilets jaunes : contre la représentation, pour la démocratie ») va servir de référence pour des intellectuels ou des militants ralliés au mouvement sur le « côté gauche ». A ce titre il mérite toute notre attention.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce texte illustre sous certains aspects les apories d’une certaine gauche, et les reproduit à l’échelle des Gilets jaunes : le RN est considéré comme un parti « néofasciste » (ce qui permet en retour de prétendre que pour les détracteurs des Gilets jaunes - nous verrons plus loin lesquels - « le mouvement était intrinsèquement fasciste »), le « refus du principe de représentation » par les Gilets jaunes est insuffisamment traité, tout comme le rôle des médias. En général les deux auteurs ne retiennent des Gilets jaunes que les aspects positifs du mouvement, les survalorisant même (« l’esprit profondément démocratique du mouvement » ou d’un prétendu lien entre « justice sociale » et justice écologique ») au point que l’on aimerait, devant ce tableau idyllique, un supplément d’information sur « les tentations fascisantes qui pourraient se développer en cas d’échec et de pourrissement ». D’où viendraient-elles : des Gilets jaunes, de la macronie ? Il faut en venir aux deux tiers de l’article pour réaliser que Dardot et Laval, au sujet des « détracteurs » évoqués plus haut, visent plus particulièrement cette « partie de la gauche dite « radicale » » incapable de comprendre un mouvement social déjouant « toutes les catégories de son lexique politique conventionnel ». Alors que, pour d’autres raisons bien évidemment, ce genre de reproche pourrait être adressé à nos deux auteurs. Cependant la dernière partie de l’article (« Le quiétisme politique est une faute ») nécessite qu’on lui réponde plus dans le détail </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Partons de l’observation suivante : cette « gauche radicale » mettrait en avant le fait « qu’un tel mouvement « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">risque</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » de dériver dans un mauvais sens réactionnaire et fascisant, dans la mesure où il ne présente pas toutes les garanties requises pour nous rassurer sur son avenir politique ». En réalité, indiquent Dardot et Laval, le problème porte sur l’usage du mot « peuple ». Cette « gauche radicale » ferait donc la fine bouche devant ce mouvement parce qu’il ne s’agirait pas avec les Gilets jaunes du vrai peuple, de « celui qui porte les authentiques valeurs de la gauche (…), qui lui ne risque </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’être entrainé sur la pente du fascisme ». A vrai dire on ne sait pas bien à qui s’adressent les deux auteurs, faute de préciser ce qu’ils entendent par « gauche radicale ». A lire leur démonstration, plutôt brillante d’ailleurs, nous avons comme l’impression que Dardot et Laval tournent autour du pot sans pour autant se résoudre à l’appeler par son nom : le populisme (même pour se plaindre de l’utilisation qui en serait faite). Cela tient de la gageure, parce que sous certains aspects nos deux auteurs font implicitement et pertinemment la critique du populisme.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Venons en aux deux remarques qui, cette introduction faite, vont constituer l’essentiel de la fin de cet article. La première vient d’être en partie évoquée. Je suis entièrement d’accord avec Dardot et Laval pour reconnaître que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">peuple au singulier, appelé par eux « peuple idéal », n’existe pas. Ils ajoutent : « Si ce n’est dans le ciel quasi platonicien du gauchisme inaltérable (…) il n’y a que « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">des</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » peuples ». Pareille ambivalence ou ambiguité se retrouve dans la définition que donne le Dictionnaire Robert du mot peuple, laquelle « recouvre une notion vague qui recoupe parfois cette de « nation », « pays », « populations », « ethnie » et dont le contenu est fortement marqué par ceux qui l’utilisent ». Citons ici ce qu’écrit Georges Didi-Huberman dans l’ouvrage collectif (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’est ce qu’un peuple ?</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), publié en 2013 par La Fabrique : « Le « peuple comme unité, identité, totalité ou généralité cela n’existe tout simplement pas (…) Il n’y a pas un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">peuple, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">il y a des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">peuples </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">coexistant non seulement d’une population à l’autre, mais encore à l’intérieur d’une même population ». La notion de « peuple » que l’on a ainsi congédié reprend cependant du service quand les deux auteurs entendent justifier l’existence d’un « peuple politique » (qu’ils opposent à un « peuple social ») que représenteraient aujourd’hui les Gilets jaunes. Au passage Dardot et Laval récusent la notion de « peuple de gauche ». Plus subliminalement, par delà leurs explications, nous y entendons la récusation du « peuple de droite » (certainement un oxymore pour les deux auteurs).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La seconde remarque relève de l’argument philosophique selon lequel dans ce cas d’espèce toute « attitude quiétiste » s’apparente à une faute politique. L’argumentation de Dardot et Laval porte, on le sait, sur « ceux qui mettent en garde contre un danger de dérive droitière du mouvement ». Ceux qui se retrouvent ainsi dans le viseur des deux auteurs « refusent d’invoquer le destin et la fatalité et se bornent à supputer les risques, c’est à dire de simples possibilités. Mais toute la question est justement de savoir quelle attitude adopter à l’égard de ce qui n’est pour l’heure que des « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">possibilités</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> » ». C’est raisonner comme si « la réalisation de telle possibilité plutôt que telle autre » était « complètement absente de notre propre action », et donc se placer « dans celui qui dégage par avance sa propre responsabilité ». La messe est dite : quelle que soit la possibilité, même la pire « nous n’y sommes pour rien ». Par conséquent de toute façon « il est vain d’intervenir », et dans le cas du pire cela consiste à rejeter « par avance la responsabilité sur les insuffisances et les ambiguïtés du mouvement ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Tout ceci paraît bien mécanique, casuistique et surtout trop abstrait. Cela permet d’évacuer le contenu critique des objections adressées au mouvement des Gilets jaunes, ou de les traiter depuis un argument philosophique exposé jadis par Ciceron. Une analyse bien comprise porte sur les potentialités d’un mouvement social, ses possibilités, son devenir, mais aussi </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’il y a lieu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ses insuffisances, limites et ambiguïtés. Ce qui est très exactement le cas avec les Gilets jaunes. La démonstration des deux auteurs ne pouvait que déboucher sur ce refrain connu, trop connu : « Le quiétisme politique fait le jeu de l’adversaire, et c’est en quoi il est impardonnable ». La traduction en quelque sorte de : qui refuse de rejoindre voire de soutenir le mouvement des Gilets jaunes fait objectivement le jeu de Macron et du pouvoir qu’il représente. Pour des penseurs qui entendent contribuer au renouvèlement de la pensée critique à gauche c’est plutôt raté, cela rappelle trop de souvenirs. Quand, pour finir, ils ajoutent que « l’urgence commande d’agir dans ce mouvement tel qu’il est et avec les Gilets jaunes en les prenant tels qu’ils sont et non tels que nous voudrions qu’ils soient », il y a tout lieu de supposer que même sur ce « tel qu’ils sont » il parait déjà difficile de s’accorder.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le 29 décembre dernier </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">faisait paraître « Une tenue jaune qui fait communauté » sur son site internet (texte qui avait été précédé par « Sur le mouvement des Gilets jaunes » au début du mois, et sera suivi par « Ce qui dure dans la lutte des Gilets jaunes » en janvier, « L’envie de Révolution française des Gilets jaunes » en février, « Gilets jaunes : sur la ligne de crête » en mars). Ce corpus qui, toutes divergences mises de côté, est sans doute ce qui a été écrit de plus substantiel sur le mouvement, s’inscrit dans un positionnement de « soutien critique » (ce qui le distingue du soutien « sans restriction » de Dardot et Laval, et de Freddy Gomez (dont il sera question plus loin)). Signalons que l’article « Une tenue jaune qui fait communauté » s’est trouvé ensuite reproduit par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sans patrie ni frontière </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A contretemps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dont les animateurs respectifs ne sont pas, c’est le moins qu’on puisse dire, sur la même longueur d’onde en ce qui concerne le mouvement des Gilets jaunes. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans ce texte relève après d’autres l’aspect interclassiste de ce mouvement en soulignant la présence parmi les Gilets jaunes de salariés n’intervenant pas « à partir du rapport de travail » mais depuis « leurs conditions de vie et de leur inexistence sociale ». Ce qui est appelé (recoupant une analyse faite auparavant par Clément Homs, « La gauche, les « gilets jaunes », et la crise de la forme sujet », sur le site Palim Psao) une « lutte sans classe plutôt qu’une lutte de classe ». Et que par conséquent il paraît inutile d’y rechercher quelque « aile prolétarienne » absente structurellement du mouvement. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">évoque alors une « communauté de lutte faite de partage sur les conditions difficiles de vie » en l’assortissant d’exemples concrets. Ce qui semble bien éloigné, soulignent les rédacteurs, « des sempiternels couplets politiques sur « l’émancipation » qui accompagnent les manifestations ouvrières ou gauchistes ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On peut s’accorder grosso modo sur ce constat sans pour autant en tirer les mêmes enseignements. Dans ce texte qui, contrairement à ce que je viens de citer, comporte plusieurs passages critiques envers les Gilets jaunes, l’avant dernier paragraphe prolonge le constat fait précédemment depuis une analyse plus globale de la situation, prenant en compte le corpus théorique élaboré par </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">depuis de longues années</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: selon lequel « la défaite du dernier cycle révolutionnaire », celui de la période 1967-1978, « a ruiné tout projet d’émancipation, hors celui que réalisait lui-même le capital dans le cadre de l’achèvement du processus individualisation dans une société capitalisée ». Valider ou pas, ou en partie pareille analyse nous ferait sortir de notre sujet. On y revient en ajoutant que pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « le mouvement embrasse et questionne l’ensemble des rapports sociaux » (depuis ce que les rédacteurs du texte perçoivent comme étant l’expression chez les « Gilets jaunes » d’une tension concrète vers la communauté), mais également met à plat et en cause « la totalité capitaliste à partir de points de vue ou d’angles de tirs en soi partiels ». Ce qui paraît contredire les nombreux éléments critiques présents dans ce texte. A moins que ceux-ci soient solubles dans la « société capitalisée ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mon désaccord (pas uniquement avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Temps critiques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> : de nombreux autres commentateurs reprennent peu ou prou ce discours) porte sur cette remise en cause « de la totalité capitaliste » par les Gilets jaunes, dont comme la soeur Anne du conte je ne vois encore rien venir en ce mois d’avril 2019. Ce constat discutable recoupe celui cité plus en amont, selon lequel la question sociale serait de retour. Elle l’est, mais en partie. Ce qui revient ce sont certes nombre questions de nature sociale - et l’on ne peut que féliciter les Gilets jaunes d’y contribuer - mais pas </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">question sociale. Cela oblige à la redéfinir. Indiquons d’abord qu’elle n’a plus exactement la signification qu’on lui donnait au XIX siècle. La tendance, chez certains thuriféraires des Gilets jaunes, à vouloir chercher leurs références dans le XIXe siècle, ne plaide pas en faveur d’une bonne compréhension d’un mouvement social qui, comme j’essayerai plus loin de le démontrer, reste en deçà de cette question proprement dite. Ce que fait bien ressortir le mouvement des Gilets jaunes se rapporte principalement à l’inégalité sociale. Comme cela a déjà été dit cette donnée ne représente que la partie d’une question plus globale, puisque, pour rester avec cet exemple, ce souci d’égalité sociale ne s’adresse qu’à l’État, directement ou par l’intermédiaire du gouvernement mis en cause. Comme si dans un État capitaliste celui-ci était en mesure de répondre à toutes les doléances en l’espèce</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">des Gilets jaunes. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’autre aspect de l’inégalité sociale, celui des salaires, des relations dans le monde de l’entreprise (y compris la « souffrance au travail », laquelle concerne toutes les catégories de salariés), n’a pas fait ou peu l’objet de débats, de discussions, de critiques auprès des Gilets jaunes. D’abord car ce mouvement est né et a prospéré en dehors du monde du travail et de l’entreprise. Ensuite parce qu’il a été soutenu par des courants politiques, qui mêmes opposés sur l’essentiel, s’entendent explicitement ou implicitement pour déclarer que la grève générale serait aujourd’hui dépassée, voire qu’elle n’est que la vieille lune révolutionnaire d’une époque révolue. Relevons aussi l’incapacité des salariés présents dans le mouvement de faire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">véritablement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le lien entre les difficultés de l’existence au quotidien et leur exploitation sur leurs lieux de travail. Par delà les sempiternels discours alarmistes sur l’état de l’économie, tenus plus dans les sphères gouvernementales que patronales, imputables selon elles à un mouvement social s’inscrivant dans la durée, le patronat en général, et le MEDEF en particulier peuvent se féliciter d’avoir traversé ces cinq derniers mois sans avoir fait l’objet de critiques.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Parmi les contributions publiées dans les lendemains de « l’assemblée des assemblées » de Commercy, signalons celle de Freddy Gomez dans sa revue en ligne </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A contretemps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« Éclats de fugue en jaune majeur »). Ce texte brillant, écrit d’une plume alerte, mérite d’être commenté préférentiellement, au sein de cette tendance assembléiste, parce qu’il illustre mieux que d’autres ce qui fait </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sens </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aujourd’hui chez ceux (gauchistes, radicaux, anarchistes) qui se sont ralliés au mouvement des Gilets jaunes. Cet article, pour le considérer dans sa globalité, entretient la fiction d’un mouvement-Un dont l’unicité serait garantie par le port du gilet jaune, paradigme rassembleur, transcendant les « identités multiples », et endossé par tous ceux qui se pensent « comme peuple qui aurait la loi pour lui ». Cette « thèse » n’est pas sans occulter ce qui caractérise principalement ce mouvement, son hétérogénéité. Je passe sur les points d’accord avec Freddy Gomez (la violence émeutière, la répression du mouvement, la difficulté d’inscrire les Gilets jaune dans une filiation) pour en venir à des points plus problématiques, ou de désaccord. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le secondaire d’abord. Gomez se livre à un vibrant éloge de la couleur jaune en oubliant de préciser que le « jaune », dans la tradition ouvrière, est le travailleur qui refuse de prendre part à une grève, et par extension tout ouvrier embrassant la cause patronale. Mais est-ce véritablement un oubli, comme nous le verrons plus loin ? Restons dans ce chapitre des couleurs avec le drapeau tricolore (et la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Marseillaise</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Freddy Gomez reprend ici le discours de plusieurs intellectuels de gauche favorables au mouvement, minimisant sinon plus toute dimension nationaliste pour n’y voir qu’une « forme de réappropriation populaire » (alors qu’à l’évidence maints drapeaux tricolores dans les manifestations ou sur les ronds points étaient brandis par des Gilets jaunes d’obédience extrême-droitière). Enfin les médias sont traités par Gomez de façon univoque, et l’absence de toute référence au rôle joué dans le mouvement par les réseaux sociaux permet de mettre sous le boisseau un aspect non négligeable de la question.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Deux thématiques, principalement, ressortent de « «Éclats de fugue en jaune majeur » (du moins il m’importe de les souligner, de préférence à d’autres) : la première traite de mépris envers les Gilets jaunes (sous toutes ses occurrences) ; la seconde, plus conséquente, renvoie à la « question sociale ». Préalablement indiquons que dans une série de paragraphes rangés sous la rubrique « Du domaine des vanités », Freddy Gomez distingue quatre catégories (ou typologies « politiques ») peinant à comprendre les Gilets jaunes, de « l’expert » à « l’anarchiste » en passant par « le radical » et le « gauchiste », qui tous donc passent à côté du mouvement pour des raisons diverses (à l’exception de ceux qui parmi les anarchistes ont rejoint les Gilets jaunes). Ces descriptions, à l’intérieur de chaque catégorie, sont parfois justes, parfois discutables. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je relève, pour aborder la première thématique, en l’extrayant de la typologie « anarchiste », le propos suivant : pour l’anarchiste contemporain « peu de différence, en somme, entre lui et un « gauchiste » sociétal de base. Tout est bon dans la lutte contre les discriminations, mais le « beauf » - chasseur, tricolore et viriliste - ne lui inspire, comme le militaire de Cabu, que mépris. De là à juger qu’un Gilet jaune est, par nature, suspect, il n’y a qu’un pas que le très pavlovien postanarchiste n’hésite pas à franchir ». Gomez, dans la première partie de son propos, a raison de souligner cette proximité sociétale (évoquée dans plusieurs textes antérieurs de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à travers principalement l’anti-islamophobie et l’animalisme). Mais la suite nous ramène au coeur de notre thématique. C’est là un discours (autour de la figure honnie du « beauf ») que l’on a plusieurs fois entendu depuis le début du mouvement, autant à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche, pour tancer chez les détracteurs des Gilets jaunes le mépris (qui devient un « mépris de classe » à gauche) dont d’aucuns - Gomez cite les « journalistes, universitaires, gauchistes, ou radicaux » - accablent les Gilets jaunes. Freddy Gomez ajoute que « les pauvres imaginaires » de tous ces détracteurs « se rejoignent dans leur commune détestation du « beauf » de la France d’en bas qui ne comprend rien à l’intersectionnalité et se soucie comme d’une guigne de l’écriture inclusive ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce mépris existe bien évidemment. C’est inutile d’en donner des exemples, le lecteur n’est pas sans les connaître. Encore faut-il ne pas se tromper de mépris pour savoir de quoi l’on parle. Ce n’est pas tout à fait par hasard si Gomez revient plusieurs fois dans son texte sur le « beauf ». Pour qui l’ignorerait le premier à être monté au créneau contre la qualification de « beauf » n’est autre que Jean-Claude Michéa. On connait l’inclination (coupable de mon point de vue) de Freddy Gomez pour Michéa. Dans son précédent texte en faveur des Gilets jaunes (« Jeux et enjeux d’une cession diffuse »), le premier y revenait, prenant à travers l’exemple de la common decency la défense une fois de plus de Michéa (y compris contre certains de ses amis, précisait-il). Dans l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Impasse Adam Smith, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">déjà, le philosophe montpelliérain fustigeait les « élites intellectuelles et médiatiques » qui caricaturaient les « gens ordinaires » en « beaufs » et en « Deschiens ». Guignol avait changé de camp, se plaignait Michéa, puisqu’en ce début de XXIe siècle, l’on ne pouvait que prendre acte de ce renversement : c’étaient les élites qui aujourd’hui se moquaient du peuple. Pourtant ce personnage de « beauf » dessiné par Cabu est depuis sa création devenu incontestablement un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">type </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans la tradition caricaturale d’un Daumier. On parle à juste titre d’un « beauf » comme on parle, pour l’élargir à tous les domaines de l’art et des lettres, d’une « Bovary », d’un « Rastignac », d’un « Tartuffe » ou d’un « poulbot ». Le « beauf » désigne, n’en déplaise à nos nouveaux moralistes, un homme d’âge mûr, plutôt vulgaire, aux idées étroites et aux goûts discutables, rempli de préjugés, peu tolérant, peu cultivé et parfois le revendiquant, généralement chauvin, raciste et xénophobe, et pour finir satisfait de sa personne. Chacun d’entre nous l’a rencontré : le « beauf » existe. Ne voir là qu’un effet de la malignité des élites se moquant du peuple c’est d’abord manquer du plus élémentaire sens de l’humour. Ensuite c’est procéder, comme souvent dans pareil cas de figure, par amalgame : le « beauf » étant, socialement parlant, un membre des classes populaires, ou des classes moyennes inférieures chaque Gilet jaune devient alors un « beauf » en puissance. En réalité le « beauf » est davantage un petit bourgeois (d’une petite bourgeoisie traditionnelle et vieillissante). Enfin les tueurs ayant descendu Cabu en janvier 2015 ont réglé à leur façon la question. Cependant en admettant que les islamistes n’aient pas été liquidés par la police, qu’ils se fussent par conséquent ensuite retrouvés devant un tribunal, l’hypothèse d’un avocat lecteur de Michéa axant sa plaidoirie sur le tort immense causé par Cabu à l’encontre des classes populaires ne paraît pas improbable.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> D’un commentateur à l’autre cette focalisation sur le mépris envers les Gilets jaunes s’accompagne parfois, corrélativement, d’un discours misérabiliste. Ici Gomez se réfère à la manière péjorative dont ont été perçues les revendications des Gilets jaunes (leur « côté terre-à-terre » précise-t-il) pour ajouter : « C’était bien sûr ne rien comprendre au réel de la misère vécue dans la détresse des fins de mois qui s’étirent de plus en plus ». Nous avons tous entendu des Gilets jaunes se plaindre sur ce mode-là. Qui songe à nier cette réalité ? Mais il y a façon et façon de l’exprimer, et plus encore de l’interpréter et de la commenter.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Je ferai ici une parenthèse. Freddy Gomez a très certainement rencontré dans son existence des personnes (appartenant aux catégories « radical » et « anarchiste ») dont les revenus se révélaient inférieurs, pour ne pas dire très inférieurs à ceux de la moyenne des Gilets jaunes. Des personnes qui sur un plan disons sociologique peuvent être classés parmi les « assistés » (catégorie peu présente chez les Gilets jaunes : d’autant plus, comme cela avait été remarqué dans les débuts du mouvement, qu’un discours nullement minoritaire chez les mêmes dénonçait l’assistanat non sans cibler à travers lui les aides accordées aux migrants). Je ne pense pas que Gomez me contredira si je précise que la précarité dans laquelle vivent ces personnes s’explique par des choix de vie, voire des refus. Et encore moins si j’ajoute que nulle d’entre elles ne tient de discours misérabiliste comparable à celui tenu par nombre de Gilets jaunes s’exprimant devant un micro et une caméra de télévision. Discours donc que maints commentateurs reprennent non sans complaisance. Je veux bien croire que des universitaires, parmi ceux-ci, qui gagnent très bien leur vie et vivent dans un « entre nous », ne fassent pas preuve eux de complaisance (en comparant leur sort à celui des Gilets jaune « aux fins de mois difficiles »). Mais pour les autres ? N’est ce pas tenir un double discours selon que vous serez en présence d’un Gilet jaune ou de Tartempion ? N’est-ce pas, très subliminalement certes, une forme de mépris inversé ? </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bien sûr, il n’est pas question de nier, pour y revenir, les situations de détresse que vivent les Gilets jaunes s’exprimant sur ce mode-là. Nombreux sont ceux-ci, et pas spécialement les plus pauvres, ayant à l’instar de beaucoup de nos compatriotes des traites à payer chaque fin de mois. Et j’en passe. Voilà de quoi ouvrir un autre front. Ceci renvoie au rapport de tous et de chacun à la consommation. Un questionnement trop peu présent dans les rangs des Gilets jaunes, et même chez les intellectuels qui soutiennent le mouvement. Cinq mois après le sujet a été juste effleuré. Un Gilet jaune de base, représentatif de la tendance lourde du mouvement, déclarait récemment sur une chaîne de télévision : « l’important c’est le frigo, le reste c’est de la foutaise ». On ne dira pas le contraire en s’arrêtant à la virgule. Ou, pour citer Gomez paraphrasant Macron : « La plèbe (…) veut du pognon ». Mais je crains que cette « conscientisation » que Freddy Gomez croit percevoir dans le mouvement des Gilets jaunes progresse moins vite qu’il ne le croit.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La seconde thématique, plus importante, doit être précédée de quelques lignes sur mai 68. Contrairement à ce qu’écrit Freddy Gomez (pour opposer en ce sens le beau mois de mai à l’hiver des Gilets jaunes) mai 68 ne fermait pas un cycle mais en ouvrait un nouveau. L’après 68 en France, en Italie et ailleurs en témoigne éloquemment. Les sinistres années quatre-vingt le clôtureront. Cette critique radicale de tous les aspects de la vie (mai 68) s’appuyait, pour ce faire, sur la plus grande grève générale qu’ait connu ce pays. Ce qui se traduisait, comme l’écrivaient les situationnistes, par « la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">critique généralisée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de toutes les aliénations, de toutes les idéologies et de l’organisation ancienne de la vie réelle » ; mais également « le refus du travail aliéné (…) de toute autorité, de toute spécialisation, de toute dépossession hiérarchique ». Avec les Gilets jaunes nous sommes bien loin du compte ! Gomez ne va pas jusqu’à reprendre les thèses révisionnistes des Michéa, Le Goff et consort qui crachent sur mai 68, mais son analyse s’en inspire néanmoins en occultant ce qui faisait la spécificité de ce mouvement-là (c’est à dire « le commencement d’une époque » et non « la fin d’un cycle »), et en tenant sur mai 68 un discours de type PCF : « l’occasion idéale, pour une classe ouvrière encore unifiée et massivement syndiquée d’imposer des revendications concrètes ». Une façon benoite de passer sous silence que des travailleurs non syndiqués et syndiqués, en dehors de toute consigne syndicale, étaient à l’origine de cette grève générale que les centrales syndicales, non sans difficulté du côté de la CGT, tentaient de récupérer, ou du moins d’en limiter la portée. A vrai dire cette manière de « réviser » mai 68 permet ensuite d’affirmer que ce mouvement de grève générale fut le dernier (à la trappe décembre 1995 !). Et qu’après la classe ouvrière a « globalement disparu », ou plutôt qu’elle « s’est inessentialisée ». D’où il appert, selon Freddy Gomez, qu’il devient absurde de « refondre idéalement quelque chose qui n’existe plus ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C‘est en partie vrai. D’abord sur un plan quantitatif (le nombre d’ouvriers a diminué de moitié depuis 1970) ; ensuite en raisons d’éléments objectifs, liés au « mouvement d’un capital déstructurant » concourant au processus d’effacement du prolétariat. Mais en partie seulement. Car Gomez noircit volontairement le tableau quand il réduit les ouvriers (et le fait de ne parler que des « ouvriers » n’est pas innocent) à « leur condition d’êtres atomisés, séparés, privés de statut, surexploités » (alors que quand ils revêtent un gilet jaune les mêmes ne peuvent qu’emprunter la route menant à l’émancipation ?). Il s’agit d’un constat plus proche d’une fiction que de la réalité. On aura compris que plus rien d’intéressant ne peut provenir des usines (d’ailleurs sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Radio libertaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en février, lors d’un débat sur les Gilets jaunes auquel participait Freddy Gomez, une intervenante déclarait sans être contredite : « Ça ne sert plus à rien d’occuper les usines »). Relevons ici que dans de nombreux conflits sociaux de ces dernières décennies les personnels en grève n’étaient pas majoritairement ouvriers mais employés, ou appartenaient au corps des « professions intermédiaires ». Mais qu’importe puisque derrière ce constat discutable le discours, parfaitement audible, s’adresse à ceux qui continuent « d’agiter comme un fétiche » cette « classe » qui n’existe plus. Toute la démonstration de Gomez tend à démontrer, à contrario de ces vieilles lunes, combien le mouvement des Gilets jaunes ouvre lui un cycle nouveau. Un nouveau qui s’accommode de l’ancien puisque « par sa nature interclassite (c’est-à-dire, et pour cause, non strictement ouvrière, le mouvement des Gilets jaunes s’inscrit indubitablement dans une très ancienne tradition de révoltes pour le bien commun) ». Gomez semble principalement se référer dans son texte au XIXe siècle. Les références à Pierre Leroux et aux quarante-huitards le confirment, mais davantage encore une déclinaison lyrique très dix-neuviémiste ou des références à la « décence ordinaire » qui paraissent plus relever d’une filiation proudhonienne qu’orwellienne. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sans vouloir trouver des antécédents historiques au mouvement des Gilets jaunes, Freddy Gomez ne l’en inscrit pas moins , « comme résurgence du passé non advenu, dans la continuité discontinue de l’histoire des « communs », une histoire dont il signe sans doute le grand retour, la réémergence, en remettant la question sociale au centre des choses, en occupant l’espace plutôt que les usines, en contrariant les flux marchands, en refusant de limiter la question démocratique au droit de vote, en contestant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de facto </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">radicalement le système représentatif ». Passons sur les points d’accord (les deux aspects de la démocratie représentative) pour en venir au reste. A savoir la défense et illustration d’un mouvement interclassiste qui, en toute logique, occupe « l’espace plutôt que les usines ». Mais concrètement, cinq mois après le début du mouvement, pour quels résultats ? En comparaison le mouvement de grève de décembre 1995 avait au bout de quelques semaines obtenu le retrait du « plan Juppé ». Au moins, à cette époque, cela servait encore à quelque chose d’occuper les entreprises (qui n’étaient pas toutes des usines). Alors que, pour en revenir aux Gilets jaunes, ils n’ont pour l’instant obtenu en l’occurence que des miettes de la macronie. C’est dire aussi combien les « flux marchands » n’ont été que peu contrariés, à l’échelle du territoire national, en novembre et décembre derniers. Durant cette première séquence les Gilets jaunes n’ont contribué qu’à ralentir l’acheminement des marchandises vers quelques grandes surfaces en province, ou les petits commerces de certaines villes moyennes, ou encore à réduire l’activité du commerce de luxe des beaux quartiers parisiens. Le pouvoir a certes mis des chiffres en avant, censés traduire un ralentissement de l’économie française, modéré d’ailleurs, mais cet affichage traduisait surtout la volonté des macroniens de discréditer les Gilets jaunes auprès de l’opinion publique. Sur un plan quantitatif les Gilets jaunes ne sont pas suffisamment nombreux pour véritablement contrarier les flux marchands sur l’ensemble du territoire. Nous l’avons vérifié en novembre et décembre dernier : la force publique intervenant chaque fois pour déloger les Gilets jaunes bloqueurs (alors qu’elle faisait preuve d’une moins grande efficacité chaque samedi, confrontée à la mobilité des Gilets jaunes qui manifestaient). Il parait préférable en terme de blocage de choisir des objectifs précis, tel celui des dépôts pétroliers. Et puis, plus fondamentalement, seul un mouvement social s’inscrivant dans un contexte de grève générale serait en mesure de paralyser l’économie d’un pays. Mais l’un n’exclut pas l’autre. Tout mouvement social d’une certaine ampleur ne peut qu’avoir deux fers aux pieds : l’occupation de l’espace venant renforcer l’occupation des entreprises (ou réciproquement). </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette question sociale qui serait ici remise au « centre des choses », alors que précédemment Freddy Gomez indiquait qu’elle était « remontée, d’un coup, à la surface des choses », parait soumise à des effets de géométrie variable. Mais l’essentiel n’est pas là. Gomez insiste davantage tout au long de son texte sur « l’autonomie sécessionniste » du mouvement, sur « la claire conscience des fraternités et des connivences », « les coups de main échangés, les histoires partagées », ou « l’émotion commune qui nait d’un soulèvement, cette solidarité joyeuse que suscite l’échange », ou encore « une aspiration massive à une vie simplement décente ». Certes, certes, nous sommes d’accord, mais la mariée n’est-elle pas trop belle ? Car Gomez élude quelques autres aspects du mouvement, rapportés dans notre première partie, sa part d’ombre si l’on préfère. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons à la question sociale. J’avais plus haut, avant de commenter « Éclats de fugue en jaune majeur », abordé cette question sans aller jusqu’au bout de l’analyse. Ce qu’entend Freddy Gomez par « question sociale » (mais il n’est pas le seul), renvoie à sa définition originelle, celle du XIXe siècle. D’ailleurs sa démonstration arrime le mouvement des Gilets jaunes dans un espace/temps d’inspiration dix-neuvièmiste. Ce qui a contribué tout au long du XXe siècle à modifier notre perception de la question sociale se trouve en partie occulté. Comme si nous n’étions pas redevable de « pensées critiques » ayant eu pourtant le mérite d’élargir cette perception, et ainsi de favoriser des expressions révolutionnaires plus en accord avec le monde tel qu’il allait : depuis l’École de Francfort à l’Internationale situationniste en passant par Socialisme ou Barbarie, pour ne citer qu’eux. Ceci, corrélativement, en relation avec le meilleur des traditions marxienne et anarchiste : à savoir les différences expériences de conseils (qui n’étaient pas que des conseils de travailleurs) selon les modalités de la démocratie directe. L’analyse fort discutable de Gomez sur mai 68 témoigne de cette occultation.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On ne saurait par conséquent se contenter, pour définir plus précisément la question sociale, de reprendre la définition qu’en donnaient les révolutionnaires du XIXe siècle. Elle inclut aujourd’hui, en plus de la dimension sociale proprement dite, tout ce qui se rapporte à la destruction par le capitalisme des bases biologiques de la vie, mais également aux questions féminine et raciale (par delà leurs avatars néoféministe et décolonial). Une question aussi qui s’élargit à tout ce qui renvoie au processus de domination, d’asservissement et d’aliénation : c’est à dire la critique la plus rigoureuse des bourrages de crâne médiatique et publicitaire, de la marchandisation du monde, de la déculturation généralisée, des manipulations technologiques, et dans un autre registre des replis identitaires et populistes. </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A lire Freddy Gomez et quelques autres intervenants dans ce débat autour des Gilets jaunes le lecteur serait porté à croire que ce mouvement remet en cause maintes certitudes (principalement chez les « gauchistes », « radicaux », « anarchistes »), qu’à travers lui et grâce à lui nous entrons dans une ère nouvelle. Au point même - à rebours de la célèbre phrase de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Divine comédie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">- que l’on retrouverait ses espérances en revêtant le fameux gilet jaune. Un monde véritablement nouveau ? Il est permis d’en douter. Déjà, en 2017, depuis un tout autre argumentaire, les médias entonnaient ce genre de ritournelle avec Macron et l’avènement du macronisme. Une nouvelle ère que Patrick Farbiaz définit ainsi : « Les Gilets jaunes nous signifient que nous rentrons dans le nouvel âge de la plèbe qui se définit par son vivre ensemble immédiat et sa lutte pour vivre dignement ici et maintenant, plus que par son espérance dans la promesse d’un monde meilleur ». Nous ne le contredirons pas en ajoutant que ce monde nouveau que l’on nous décrit aujourd’hui, via le mouvement des Gilets jaunes, se caractérise par les traits suivants : le dépérissement voire la fin de la lutte des classes (le mouvement étant interclassiste), l’abandon de toute perspective révolutionnaire reposant sur des analyses devenues caduques (en particulier le sempiternel recours à la grève générale). Ceci et cela induisant que l’entreprise n’est plus préférentiellement le lieu des conflits et d’enjeux liés, non à la conquête du pouvoir, et encore moins à la volonté de « transformer le monde » mais à la capacité d’un mouvement social de faire reculer ce pouvoir, voire de « dégager » l’une ou l’autre de ses têtes. Ce rôle étant désormais dévolu à l’espace, à l’instar des Gilets jaunes installés sur les ronds points, ainsi contrariant les flux marchands, etc. Il s’agit d’un discours encore diffus, nullement sorti de la tête d’un théoricien. D’où l’impression que le forme l’emporte souvent sur le fond : les fraternités, le peuple (elles et lui retrouvés), le refus des chefs et de toute délégation (sans trop s’interroger, malgré tout, sur le leadership de Gilets jaunes assurément visibles dans la masse des invisibles : comme dirait Orwell, « certains Gilets jaunes sont plus égaux que d’autres »)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Serait-ce symptomatique d’un processus de recomposition politique, à l’oeuvre souterrainement depuis plusieurs années, mais qui là avec le mouvement des Gilets jaunes renverserait l’iceberg (ce qui était immergé apparaissant aux yeux de tous) ? C’est sans doute encore trop tôt pour le confirmer ou l’infirmer. Il parait très possible que le soufflé Gilets jaunes retombant chacun retrouverait son pré-carré. Tout comme il n’est pas exclu, rectifiant cette image (péjorative j’en conviens), que le mouvement en se dépassant pour le mieux puisse donner quelque crédit à l’hypothèse d’une ère nouvelle. Un mouvement peut également en chasser un autre. Celui qui s’articule depuis peu autour de la question climatique possède cet avantage, malgré ses nombreuses insuffisances, par rapport aux Gilets jaunes (qui ne se sont pas vraiment exportés), d’être lui un mouvement planétaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Au mois de novembre dernier, le collectif Athénée Nyctalope publiait un article critique sur les Gilets jaunes (« Le choix dangereux du confusionnisme »). Ce terme, « confusionnisme », a également été utilisé par Philippe Corcuff (pour qui il d’agit du « développement de domaines où circulent des passages entre les thèmes de gauche, de droite et d’extrême droite »). Et de rappeler, on aurait tendance à l’oublier, que dès le début du mouvement les Gilets jaunes ont été soutenus par tous les partis politiques, du RN à LFI (à l’exception de LREM), par une partie de l’extrême gauche, et de la totalité de la droite conservatrice ; plus « un arc de soutiens intellectuels » allant « d’Alain Soral et Éric Zemmour, pour l’extrême droite, à Emmanuel Todd et Frédéric Lordon pour la gauche critique, en passant par des figures effectives du confusionnisme comme Jean-Claude Michéa et Christophe Guilluy ». Des propos - l’emploi du terme « confusionnisme » plus précisément - qui n’avaient pas manqué de susciter des réactions chez quelques « chers collègues », mais également de la part du collectif La Mouette enragée pour qui, indication intéressante, « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">confusion </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est un terme pratique et abondamment utilisé par les avant-gardes qui se piquent d’avoir les idées claires en toute circonstance. Ce qui n’est absolument pas notre cas et nous le revendiquons haut et fort ». Soit. Remarquons cependant qu’un minimum de lucidité politique oblige que soit questionnée, puis analysée la nature d’un mouvement soutenu par des courants politiques ou des intellectuels que tout sépare (à l’exception remarquable des Gilets jaunes).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais revenons à l’article d’Athénée Nyctalope qui s’interroge sur la signification de ralliements qui, sous couvert d’efficacité, mettent de côté « nos utopies et nos refus ». D’où la précision, plus loin : « L’abandon progressif d’un langage et d’un imaginaire commun est sans doute un des éléments constitutifs de ce renoncement ». Ceci ayant été écrit au mois de novembre l’analyse doit être rectifiée, du moins en partie, compte tenu de l’évolution du mouvement. Pourtant, même en révisant à la baisse ce constat, il prolonge en quelque sorte notre propos sur l’éventualité d’un processus de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">recomposition </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">politique en cours. Serions nous en ce printemps 2019 à la croisée des chemins ? Constatons, pour nous en plaindre, qu’à travers quelques unes des modalités du soutien d’amis et de camarades aux Gilets jaunes c’est un peu de l’esprit critique qui s’en va. A les entendre ce mouvement, malgré ses insuffisances, ses limites, sa diversité, remettrait un peu de sens, voire de bon sens dans un monde marchant sur sa tête. Ou encore que les Gilets jaunes n’avaient certes pas réponse à tout, ni n’étaient dépositaires d’une quelconque panacée universelle, mais qu’au moins avec eux, parmi eux, il paraissait possible de reconstruire un projet, pas nécessairement révolutionnaire, mais qui reposait sur des bases solides, celles d’un mouvement authentiquement populaire, articulé autour des aspirations à une vie décente. Soit, mais qu’en serait-il alors du rêve, de l’utopie, de la négativité, de la poésie ? Comment ne pas entrer en dissidence, alors ?</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans « Éclats de fugue en jaune majeur » Freddy Gomez cite André Breton au début de son texte et le conclut par une citation de René Char. Décidément Char peut être tiré à hue et à dia puisque c’est également par une citation de René Char (et une autre de Sophocle) qu’Hannah Arendt conclut </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">De la révolution. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Alors qu’Arendt écrit dans cet ouvrage, « le fait que les « élites politiques » aient toujours déterminé le destin politique de la multitude et que dans la plupart des cas elles aient exercé une domination sur elles, signale d’une part l’exigence impérieuse où elles sont de se protéger de la multitude, ou plutôt de protéger l’îlot de liberté qu’elles ont fini par occuper contre l’océan de la nécessité qui l’entoure », Gomez entend lui témoigner activement du « réveil des multitudes, de leur joie d’être debout, rassemblées, vivante, faisant communauté humaines, enfin ». Deux points de vue diamétralement opposés donc. Cette macronie se révèle, par delà tout ce qu’on peut lui reprocher, bien inculte, car aucun des demi-soldes intellectuels à sa botte (qui font office de penseurs) n’a été en mesure de citer ce propos d’Arendt qui, en raison du statut iconique de la philosophe, aurait été susceptible d’apporter de l’eau au moulin macronien durant la séquence Gilets jaunes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La citation d’André Breton porte sur le « caractère immuable du murmure ». Ici, pour répondre à Freddy Gomez, je citerai volontiers une autre citation de Breton, plus connue : « Lâchez tout ! ». Elle s’adresse aux amis connus et inconnus que j’incite à franchir ce pas. Oui, lâchez tout ! Lâchez le gilet jaune, lâchez Drouet, lâchez Nicolle, lâchez vos illusions, lâchez la proie pour l’ombre. Partez sur les routes…</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Restons avec le surréalisme pour conclure ces « remarques critiques » par un court hommage à Roger Langlais, disparu en septembre 2018. Roger avait très jeune fréquenté les surréalistes vers la fin des années 1950 : André Breton bien sûr, mais davantage Benjamin Perret qui l’intimidait moins (et dont il parlait avec affection). D’ailleurs il avait connu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par le pamphlet </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Avez vous déjà giflé Aragon ? </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui entrait parfaitement en résonance avec la fameuse Une du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Monde Libertaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de novembre 1966 dont il était l’auteur : « Breton est mort. Aragon est vivant. C’est un double malheur pour la pensée honnête ». Ce libertaire, membre un temps du groupe </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Spartacus, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">présidera pendant la décennie suivante aux destinées du collectif « Pour une critique révolutionnaire ». Roger Langlais a durant ces mêmes années contribué à la publication de textes de Pouget, Libertad, Coeurderoy, Émile Henry. Relevons, surtout, qu’il a été de 1978 à 1985 l’animateur et le principal contributeur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Assommoir, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la meilleure revue politique, de critique sociale, des années 80. Il faudrait aussi évoquer l’étourdissante érudition de Roger, et l’exceptionnel archiviste qu’il fut jusqu’à la fin de sa vie. Ce lecteur attentif de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nous conseilla, discrètement, sur un sujet qu’il connaissait mieux que quiconque. Avec lui disparaît l’un des « acteurs remarquables » d’une époque qui semble aujourd’hui bien révolue. Comme l’écrit Alain Segura (dans l’hommage que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A Contretemps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et Freddy Gomez ont rendu à Roger Langlais après sa disparition) : « Il était indifférent à toute forme de reconnaissance dont il n’aurait pas su ni voulu s’accommoder ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: right;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: right;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avril 2019</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<div><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"><br /></span></div>Abécédaire André Dhôtel L-Vurn:md5:9e81e3261b74c4261a04e238789596882019-02-18T17:45:00+01:002019-02-18T17:50:05+01:00Max VincentEssais littéraires <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-1b50c865-7fff-fd61-82cf-2fd0a15a01a2"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> LUMIÈRE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le mot « lumière » revient souvent dans l’oeuvre romanesque d’André Dhôtel. Mot polysémique par excellence il apparait par exemple sous la plume de l’écrivain comme élément structurant (ou dissolvant) dans la description d’un paysage ou d’un tableau, à travers l’expression de sensations ou de sentiment divers. Ce qui nous permet de relever les quatre occurrences suivantes. D’abord celle, parmi d’autres (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), d’un paysage peu à peu plongé dans le brouillard, que Florent Dormel n’arrive pas à exprimer sinon par les larmes qui lui montent aux yeux : parce qu’il s’agirait « d’une lumière intense qu’on aurait dit semblable à la mort ». Puis celle (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) du témoignage d’un passage de Dhôtel à Amsterdam : « Quant à Vermeer, il nous aura prouvé que la lumière traverse la lumière ». Ou comme contrepoint à la violence des réprouvés dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Sauvage, Antoine le fut tout autant que Clarisse pouvait l’être. Cela ne peut guère se comprendre que s’il existe pour des gens comme lui, Vlaque et consort, une lumière enthousiasmante et inconnue qu’ils voient à certains moments n’importe où dans les rues ou dans les champs, à tout hasard, et que soudain ils abandonnent tout par une sorte d’amour pour cette lumière gratuite, aussi bien inexistante, si vous tenez à l’objectivité ». Ou encore la réponse d’un musicien des rues à qui Bertrand Lumin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) proposait un engagement : « Une chanson ça vient de la lumière et des pavés. Ou alors quoi ? ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cet exposé de quelques unes des manifestations de la lumière selon Dhôtel relève d’une dimension spirituelle, poétique, ou proche de ce qu’on appellera le « merveilleux dhôtelien » (même si dans l’extrait cité plus haut de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pareille dimension se trouve modérée par l’ironie de la fin de la seconde phrase). On pourrait comparer la démarche de notre écrivain à celle du peintre recherchant la lumière sur le motif, ou d’un cinéaste pensant la trouver sur le visage d’une actrice, ou d’un musicien recherchant l’inspiration dans un morceau de ciel. Plus exactement elle est donnée à qui saurait la voir. Comme l’écrit Jean-Claude Pirotte, en se référant à la façon dont les personnages de Dhôtel s’y confrontent, la présence de cette lumière traduit en quelque sorte « le miracle d’une vie impossible et pourtant réelle ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> MERVEILLEUX</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le merveilleux dhôtelien n’est certes pas celui des surréalistes, mais on aurait cependant tort de les opposer en des termes qui nieraient la pertinence du premier ou qui réduiraient le second à un contenu doctrinal. Plus loin, toujours dans cette entrée, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le miroir du merveilleux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Pierre Mabille, l’ouvrage le plus développé, le plus abouti et le plus convaincant écrit par un surréaliste sur le sujet, nous permettra d’établir quelques passerelles entre ces deux types de merveilleux.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> André Dhôtel s’est peu attardé sur la notion de merveilleux dans ses entretiens. Relevons cependant cette définition minimale extraite de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’école buissonnière </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Le merveilleux c’est d’abord l’attachement d’un être à un lieu quel qu’il soit. Un lieu où partent les rêves les plus fantastiques ». Ces lignes ne rendent pas tout à fait justice à ce qu’il serait loisible de traduire sous le vocable « merveilleux » dans une oeuvre romanesque qui se garde bien de l’afficher ici ou là en tant que tel. Ce merveilleux dhôtelien a été très tôt remarqué par Maurice Nadeau et Jean Paulhan au début des années cinquante. Arrêtons nous avec le premier. Nadeau indique qu’avec Dhôtel « il faut dépasser les apparences, traverser le miroir. Alors se révèle aux yeux une contrée vaste et lumineuse où les mouvements deviennent aériens, les imaginations volatiles, toutes les entreprises faciles ; c’est la contrée du merveilleux. Plus loin Nadeau écrit : « le merveilleux cristallise au point que les entreprises apparemment les plus folles qui s’ourdissent dans leur voisinage se posent en fait comme les plus raisonnables ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais là où Nadeau relève chez Dhôtel l’existence d’un « merveilleux social, non moins véritable que le merveilleux de la nature », Paulhan préfère parler d’émerveillement (qui serait le cadeau fait par Dhôtel, par exemple de « l’émerveillement qui nous vient d’un subit rayon de soleil, d’un sourire, d’une aurore »). Georges Limbour tient un propos proche de celui de Dhôtel sur la question, le développant même, quand il précise, partant de la relation qu’entretiennent les personnages des romans de Dhôtel avec ce que Limbour appelle des « pays », que pareils personnages ensorcellent « ces pays et les chargent d’une sorte de spiritualité, les « charment », les élèvent au-dessus de leur réalité, leur prêtent une inspiration qui dirige le destin des hommes, au point que l’on aimerait parcourir - mais il faudrait y vivre ! - ces pays s’ils existent, et surement ils existent, voilà bien leur magie et puis je dire que leur merveilleux secret est de véritablement exister ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Limbour se référait certainement au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays où l’on n’arrive jamais, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le roman où la notion de merveilleux a été le plus souvent associée à Dhôtel. Alors que l’écrivain lui-même, les bons connaisseurs de son oeuvre, et l’auteur de ces lignes ne considèrent pas ce roman, contrairement à ce qu’on lit parfois dans les gazettes, comme véritablement représentatif de l’oeuvre de Dhôtel. Cela dit le merveilleux du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays où l’on n’arrive jamais, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">même convenu - plus convenu que dans d’autres romans - n’est pas sans charmer le lecteur. Encore doit-on distinguer le trop explicite (le fameux cheval pie) de l’implicite : ici je relève « l’étonnante et cruelle nostalgie qui fait désirer pour chacun une vie plus grande que les richesses, plus grande que les malheurs et que la vie même, et qui sépare en nous les pays que l’on a vu de ceux que l’on voudrait voir, Ardenne et Provence, Europe et nouveau continent, Grèce et Sibérie ». Puisque le jeune Gaspard nous est présenté comme un enfant solitaire, qui inspire la méfiance, et rêve d’évasion tout en s’inventant un monde depuis des mots glanés au hasard des conversations, comment ne pas faire un premier rapprochement avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le miroir du merveilleux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quand Mabille écrit : « La situation change dès que (l’enfant) souffre de l’atmosphère familiale, du milieu social, dès qu’il rencontre des obstacles à son désir de connaissance ou à la satisfaction de ses impulsions affectives. Il sent alors toute la pauvreté d’un monde imparfait : il a la nostalgie d’autres pays, d’autres hommes meilleurs. La déification des parents et de leur monde a cessé, la révolte monte, le besoin d’évasion s’affirme, le merveilleux nait ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un second rapprochement pourrait être fait depuis le passage suivant du roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premier temps. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dhôtel y décrit la partie de pêche en rivière d’un trio de compères : Sylvestre et Gustave lancent chacun une ligne tandis que Raymond tient l’épuisette. Entre deux touches ce dernier a le temps et le loisir de jeter son dévolu sur les épaves qui circulent au fil de l’eau. Et de recueillir ainsi un lot d’objets hétéroclites qui ne dépareraient pas dans un inventaire à la Prévert. Une telle pêche, plus miraculeuse que celle des deux pêcheurs à ligne, ne peut qu’inciter Raymond à la rêverie. Il s’en s’extrait en apercevant « un petit carton blanc » que l’épuisette accroche in extrémis à son destin flottant. Sur ce carton figurent le nom et l’adresse du fils de Sylvestre que nos trois compères recherchent en vain depuis plusieurs mois. Là aussi les lignes suivantes du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Miroir du merveilleux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(« La communication du moi et des choses se fait encore lorsqu’un objet trouvé fortuitement s’avère l’instrument indispensable de notre désir, la réponse miraculeuse à une interrogation qui nous hantait ») entrent en résonance avec cet épisode des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Premiers temps. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour résumer : la présence, à l’instar du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays où l’on n’arrive jamais, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’une proximité entre le merveilleux selon Dhôtel et celui des surréalistes, s’élargit avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premiers temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">aux notions de trouvaille et de hasard objectif chères aux surréalistes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bien entendu dans de nombreux autres romans ce merveilleux dhôtelien emprunte des chemins qui lui sont propres. C’est le cas par exemple de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">des lors que la mémoire retrouve la trace d’un souvenir. Ainsi s’ouvrent les vannes du merveilleux puisque les cartes se trouvent brutalement redistribuées : la haine se transformant en amour fou. Dans un tout autre contexte, Émilien Dombe (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) s‘interroge sur la signification des apparitions d’une fille inconnue coiffée d’un chapeau de paille, toujours surgissant dans le fond d’une vallée peuplée de ronces et de buissons épineux. Émilien n’arrive pas à distinguer le vrai du faux dans les conversations des gens du hameau Rieux s’y rapportant. On lui laisse entendre que ces apparitions seraient surnaturelles tout en affirmant ensuite le contraire. Émilien qui ne croit pas au surnaturel (et d’ailleurs il a lui-même aperçu la jeune fille au chapeau de paille peu de temps après son arrivée à Rieux) se demande si on ne se joue pas délibérément de lui. A moins qu’il soit pris dans un jeu d’intérêts et de haines, d’intrigues et de passions amoureuses qui dépassent son entendement. Disons ici que ces interrogations portent sur la question du réel et de l’imaginaire : faut-il accorder quelque crédit à une légende vieille de deux siècles (à travers ce qu’elle a mis et met encore en branle), ou plus prosaïquement en conclure à un jeu pas trop innocent qu’affectionnent les jeunes filles du hameau ? Les deux explications d’ailleurs peuvent se rejoindre puisque Émilien subodore que le sabotage dont il est la victime (le jeune homme s’efforce en vain de de désensauvager le fond de vallée de Rieux) s’expliquerait par la volonté des habitants du hameau de « laisser la vallée livrée aux ronces et à la sylve, rien que pour laisser un lieu propice aux apparitions d’une fille inconnue », des apparitions que l’on dit croire ou pas croire, c’est selon. Cet enchantement auquel Émilien dans un premier temps n’entend nullement succomber le rattrapera par la suite. Le merveilleux, celui de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se confondant alors avec le basculement dans l’incertain, l’imprévu, l’ensauvagement : la jeune fille au large chapeau de paille métaphorisant la nature sauvage, inviolée, indomptable de ce fond de vallée. L’idée de merveilleux, juste suggérée au début de l’installation d’Emilien à Rieux (quand il aperçoit furtivement la jeune fille inconnue), se fraie progressivement un chemin jusqu’à la « révélation » de la dernière apparition, point de départ d’une initiation à l’envers qui verra Émilien remettre en cause ses certitudes, son mode de vie, et ses projets matrimoniaux.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le merveilleux se rapporte à la manière dont Dhôtel traite par la bande de la question de l’art. Durant le dernier chapitre du roman, Léopold Peruvat,(qui préfère crayonner sur les trottoirs plutôt que d’embrasser une carrière de peintre) dessine à la craie sur une dalle, à la demande d’une petite fille, Irène, une composition de son cru. Peu de temps après Irène invite Clarisse et Pulcherie (l’épouse de Léopold dont elle s’est séparée) à venir découvrir ces coloriages. Pulchérie, ne doute pas un seul instant de l’identité de l’auteur. Pour elle, qui auparavant avait mis Léopold à la porte du domicile conjugal en le traitant d’imposteur et de raté, ces coloriages sont révoltants. Ce à quoi Irène répond : « Jamais rien vu de plus beau ». Pulchérie regarde à nouveau la composition qu’il lui paraît difficile d’apprécier en raison d’une sorte « d’idée insolente du soleil, des herbes et des fleurs ». Pourtant les « regards enfantins et éperdus » d’Irène qui « expriment la révolte en même temps que l’admiration » troublent Pulchérie et un doute s’insinue dans son esprit : « La beauté n’était (…) ni dans l’image, ni dans l’idée du soleil, mais partout à la fois, insaisissable et brûlante. Oui, c’était révoltant et inoubliable parce que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tout, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ce soir là, était intensément lumineux et parfaitement désespéré ». Lorsque dans les dernières pages du roman Pulchérie et Clarisse retrouvent Léopold et Cyrille afin de mettre un point final à leurs relations il se passe alors quelque chose de complètement imprévu. Les deux jeunes filles, étonnamment, « fixaient leurs yeux derrière eux ». Ils se retournent pour constater, non sans trembler, que dans le halo entourant le soleil voilé figuraient deux autres soleils : « Trois soleils en tout. Pas quatre comme sur les dalles devant l’hospice. Quand même ils se répétaient avec une si vive netteté qu’on aurait pu dire si c’était de la simple beauté ou de l’épouvante. Pareille chose n’arrive pour ainsi dire jamais dans une vie ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le mot n'est évidemment pas prononcé mais comment ne pas évoquer ici l’une des manifestations de ce merveilleux dhôtelien. Dans pareille confrontation entre l’art et la vie que pouvait donc signifier ce coloriage flamboyant et insensé sur la dalle ? Mais la preuve d’amour que Pulchérie attendait sans toutefois vouloir la reconnaître. Et que Léopold lui apportait sans véritablement le savoir. L’un et l’autre en auront ensuite la révélation, ainsi que les lignes citées ci-dessus l’induisent.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le merveilleux et l’effroi se trouvent intimement liés. Dans cette forêt au sein de laquelle, indique Dhôtel, « On se perd avec horreur et émerveillement », la clairière devient ce lieu sublime où la merveille comme l’horreur en viennent à se confondre, d’autant plus que cette clairière ne serait accessible qu’aux seuls rares initiés de la forêt. Ou un lieu de perdition pour qui y accéderait à leur insu puisque ces naufragés d’un nouveau genre y perdraient tout sens de l’orientation ; voire même leur raison si d’aventure ils retrouvaient leur chemin pour réapparaître au grand jour. Véronique Leverdier, dont la sauvagerie s’accorde avec celle de la forêt, jouera ce rôle d’initiée auprès de Maximim, le conduisant jusqu’à cette clairière bien réelle (mais d’une réalité en quelque sorte enchantée).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> De façon plus explicite, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vaux étranges, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le dernier roman de Dhôtel, traite du merveilleux en l’opposant aux mensonges d’une féérie programmée par les animateurs d’un syndicat d’initiative pour attirer les touristes : « l’exigence essentielle de ce merveilleux » s’inscrivant particulièrement en faux contre « les variables appréciations d’une opinion qui exalte et puis déprécie tel lieu comme légendaire ». Dans cette ultime oeuvre romanesque, André Dhôtel affirme de la manière la plus nette que le merveilleux est la négation même de la bimbeloterie légendaire et mythologique que l’on vend le cas échéant aux touristes, et bien évidemment de toute volonté de faire mousser des mystères à des fins mercantiles. Bien que les références et les enjeux diffèrent nous ne sommes pas si éloignés que cela de l’argumentation d’André Breton dans sa préface (« Pont levis ») au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Miroir du merveilleux, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans laquelle Breton définit le merveilleux « par opposition au fantastique ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> MIDI À QUATORZE HEURES</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays natal, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Félix Marceau et son ami Tiburce rendent visite à l’oncle Célestin. Durant la discussion Tiburce indique que Félix et son amie Angélique « cherchent midi à quatorze heures ». Ce à quoi l’oncle répond : « Il n’y aurait pas de vie, si on cherchait midi quand midi sonne ». Excellente sentence qui pourrait résumer en une phrase toute l’oeuvre d’André Dhôtel. Et puis n’est ce pas aussi, plus implicitement, une définition de la poésie ? Ce qui est dit ici très littéralement dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays natal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">peut se trouver rapporté dans maints romans de Dhôtel : les personnages principaux n’en finissent pas de chercher midi à quatorze heures. Comme le précise l’un d’eux, Jacques Brostier à l’un de ses interlocuteurs dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « Je n’ai pas besoin de chercher midi à quatorze heures » puisque son avenir est déjà « tout tracé » par ceux qui veulent administrer sa vie. D’où son envie, on le comprend, de « tout plaquer ». C’est également le reproche que le père Amédée adresse à son fils Léopold et à Cyrille dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(les deux jeunes gens s’entendant à « brouiller les cartes ») : « Me laissera-t-on parler ? Vous cherchez tous midi à quatorze heures. Pulcherie et Léopold ne peuvent parvenir à s’entendre, non plus que Clarisse avec Cyrille ? Alors on veut divorcer sans tenir tellement à divorcer ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> MODESTIE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">On sait qu’André Dhôtel, malgré l’intérêt, pour ne pas dire plus de quelques uns de ses pairs (de Blanchot à Paulhan, en passant par Nadeau, Thomas, Jaccottet, Limbour, Robin, etc) portaient à son oeuvre, ou celui d’un lectorat le suivant de roman en roman, malgré tout Dhôtel préférait être classé parmi les auteurs secondaires. Certains commentateurs considéraient même, à tort ou à raison, que le rattachement de cette oeuvre romanesque à un genre par toujours bien défini (« fantastique », « féérique », voire « régionaliste » pour ne rien dire de l’insubmersible « littérature pour la jeunesse ») classait de facto Dhôtel parmi les écrivains secondaires. L’intéressé renchérissait en quelque sorte là-dessus en affirmant : « J’ai toujours désiré être un auteur secondaire parce que je savais pertinemment qu’un grand auteur a des responsabilités, des obligations, et je n’en voulais aucune ». Il y a de la malice dans cette profession de foi. Mais derrière l’ironie du propos force est de constater que la posture de « grand écrivain » était totalement étrangère à Dhôtel (ou pour le dire avec M. Teste « c’était pas son fort »). D’ailleurs se trouver classé parmi les auteurs secondaires ne pouvait qu’arranger Dhôtel : on ne vous demandait pas votre avis sur les affaires du monde, ni ne vous obligeait à jouer un rôle ou à tenir un rang en rapport avec ce statut ou ce magistère. Donc, pour parler comme Dhôtel, on vous fichait la paix. L’homme était modeste. Cela étant confirmé par tous ceux qui ont bien connu l’écrivain.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> MORALE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">S’il faut parler d’une morale propre à André Dhôtel elle n’a rien de moralisatrice, bien au contraire. Citons ce délicieux apologue qui n’a pas besoin d’être commenté (ou qui vaut pour commentaire de toute l’oeuvre de Dhôtel).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « Les gamins d’un village ont entrepris de cueillir les prunes d’une fermière consciente d’économie et qui les paie à demi tarif. Ce sont des gamins n’est pas ? Ceux-ci en viennent bientôt à prétendre que les kilos de prunes qu’ils cueillent ne pèsent pas moins lourd que celles des adultes. Soit ! On leur consentira un salaire raisonnable. Mais le raisonnable ne leur parait pas satisfaisant. Ils exigent le plein tarif. Après de longues discussions la fermière est bien obligée de s’y résoudre. Or, au moment de la victoire, l’inattendu se manifeste. Les gosses déclarent : « Hé bien alors on lui a dit merde. On ne les a pas cueillies - ses prunes » ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> MUSIQUE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">André Dhôtel ne s’est pas exprimé sur la musique dans ses romans (sauf de manière incidente) à l’exception - remarquée ici - de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amédée Peruvat reporte sur son fils Léopold ses ambitions artistiques (musicales) d’autrefois. En dépit d’une faconde qui l’entraine parfois à proférer d’imprudentes paroles, Amédée connaît la musique. Lors d’un repas, comme à son habitude, il prononce l’un de ces « discours allusif dont il avait le secret ». Citons le début : « L’harmonie, commença-t-il, la vraie harmonie, on croit qu’il n’y a rien de plus simple puisqu’il suffit d’apprendre le contrepoint. Or, si on veut concevoir une mélodie, il est impossible d’éviter les accidents et les dissonances qui ne font d’ailleurs que favoriser le progrès d’une pensée musicale. Le danger c’est de se bloquer sur une telle dissonance au lieu d’affirmer la décision d’aboutir ». On précisera d’abord que le discours d’Amédée traduit sous une forme métaphorique la situation qui se présente alors à Léopold sur le plan amoureux (son fils fréquente depuis peu Pulchérie). Il n’est pas cependant interdit d’y entendre également une manière détournée de l’écrivain d’aborder sous un angle particulier la problématique musicale. Depuis l’ébauche d‘une d’analyse en tout cas éloignée de tout traditionalisme en art, ou de toute conception rétrograde et conservatrice, mais qui néanmoins met l’accent sur le risque de se focaliser sur la « dissonance pour la dissonance » au détriment de toute avancée proprement dite. C’est en substance ce que durant les années 1950 Adorno reprochait au courant sériel (non sans défendre parallèlement l’utilisation de la dissonance favorisant « le progrès d’une pensée musicale » chez les compositeurs de la Seconde École de Vienne »).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un peu plus loin dans le récit, lors du repas de mariage de Léopold et Pulchérie, Amédée va de nouveau s’efforcer de résumer la situation des jeunes époux à l’aide d’une métaphore musicale : « Une composition classique, s’écriait-il, comporte généralement un morceau lent entre deux autres plus rapides. Pour ma part il me semble que ce mariage s’est annoncé par un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">presto </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’une brièveté excessive. Quant aux fiançailles ce fut vraiment un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">adagio</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> interminable, et aujourd’hui, en formant des voeux pour le bonheur des jeunes époux, je me demande quel mouvement nous allons aborder. Il ne faut pas qu’il soit trop lent ni trop vif, croyez-en mon oreille de musicien. Je proposerais un thème à variations, en souhaitant qu’elles se déroulent dans un bel équilibre et à une égale profondeur ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> NATURE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le sentiment de la nature chez André Dhôtel présente un caractère double : la poésie n’est jamais loin de toute volonté descriptive. On l’illustre par la phrase suivante (extraite de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : « Dans une prairie sèche la végétation privée d’eau doit s’abreuver à des sources imaginaires pour accomplir le rôle qui lui est assigné de décorer la terre et d’accueillir les bourdons comme les moucherons ». En même temps le savoir et les connaissances de Dhôtel sur les espèces végétales, la sylve, la flore, les champignons était ceux que l’on peut attendre d’un botaniste. Ainsi que le rappelle Jean-Claude Pirotte : « Quand on pense à la façon dont il peut décrire un paysage, avec quelle précision, dans les termes simplement botaniques, avec quelle précision admirable en ce qui concerne la couleur, le parfum, le bruit simplement d’un feuillu, qui n’est pas le bruit d’un autre, quand le vent vient du nord ce n’est pas le même bruit quand le vent vient du sud, Dhôtel était tellement attentif à cela qu’il trouvait que cela allait de soi. Il n’en faisait pas toute une affaire ». J’ajoute qu’il paraît difficile de trouver un autre romancier aussi instruit que Dhôtel sur tous ces sujets, et surtout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sans affectation.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Même un roman urbain et citadin comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ciel du faubourg </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comporte dans l’un de ses chapitres, celui de l’équipée de Marc Fontan et Paul Designe dans le centre de la France, la description haute en couleur du domaine Harset, lieu où la nature se présente sous son caractère le plus luxuriant. Pareille investigation résultant de la découverte par le cordonnier Trimard, grand connaisseur des insectes, d’une espèce inconnue dans cette banlieue parisienne où résident les protagonistes du récit. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est pas moins citadin (ici il s’agit de Reims et de ses faubourgs). C’est un peu par hasard que Léopold Péruvat découvre, à proximité de la ville, un coin de campagne ayant échappé aux cultures qui le séduit par son « air d’abandon total » (« une sorte de penchant abrupt couvert de taillis et de plantes sauvages »). On lui apprend que cet « étrange territoire » s’appelle Les Pleux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ce qui signifie « mauvaises friches ») : donc « une affaire inadmissible dans cette contrée fertile ». Un lieu que Léopold décrit ainsi à son ami Cyrille : « Tu n’as pas l’idée d’un endroit pareil. Des petits arbres, des buissons, des fleurs, des plantes idiotes. Ca part de tous les côtés, ça descend, ça remonte dans le ciel. Mon vieux, c’est magnifique ». Ce qui relève d’un enchantement peut basculer dans le désenchantement des lors que les deux couples que Les Pleux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ont favorisé (Léopold et Pulchérie, Cyrille et Clarisse) se défont. Ce discours est tenu par le père de Léopold, Amédée, pour qui Les Pleux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">serait un lieu où « on est mal à l’aise » qui « incite à la barbarie ». A se demander même si ce n’est pas là qu’a été tué au XIXe siècle le dernier loup du département : « les gens qui y vivent ne font que remplacer les loups ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est un sentiment comparable qui saisit Victor et Louis Bécaille (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) quand, recherchant leur oncle Roger, dont on dit pis que pendre, ils explorent les taillis que fréquente régulièrement ce dernier : un bois « inextricable », non entretenu, sauvage, inhospitalier, labyrinthique. Les deux jeunes gens pensent alors qu’un tel « lieu a pu faire de Roger un homme insociable ». Un bois cependant, comme on l’apprendra par la suite, qui avait constitué un imprenable refuge pour son propriétaire durant la guerre, pour échapper à la fois aux Allemands et à la vindicte villageoise. La nature la plus hostile, la plus sauvage, la plus impénétrable, s’avérant ici hospitalière pour qui serait confronté à l’inhospitalité du monde.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est une tout autre démarche qui anime Émilien Dombe, le jeune chef de culture de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui entend au nom du progrès débarrasser de ses ronces, taillis et buissons épineux le fond de vallée du hameau Rieux. Mais on sabote son travail et il lui faut renoncer à ce projet. Émilien quitte Rieux soulagé sans se douter qu’une attirance, malgré lui, l’incitera plus tard à y retourner en deux occasions. Il s’y conduira à rebours de tout ce qui pour lui auparavant avait de l’importance. Comme le lui dira une fille de Rieux : « Tu es détraqué maintenant, comme nous autres ». Cette remarque souligne l’attraction qu’exerce même sur un esprit rationnel comme Émilien ce fond de vallée : quelque chose proche d’une « volonté d’ensauvagement ». Citons le passage suivant, où Émilien au début du roman, dans le train le menant à Reims, observe le paysage et médite (ou plutôt sa méditation n’est qu’une forme de rêverie) : « Fin juin. L’époque des adonis goutte-de-sang sur les talus. Mais qu’il y ait ces fleurs-là ça ne comble pas le vide. Au contraire il s’agrandit et comment le vide peut-il s’agrandir ? Bien sûr on est occupé dans la vie, mais on trouve des temps morts à chaque instant, et pourquoi est-ce beau les temps morts ? A cause de la lumière ? Mais il y a autre chose. Quelle autre chose ? ». Ici Dhôtel ajoute : « Émilien ne se posait pas tant de questions à vrai dire ». L’auteur suggère - nous en aurons la confirmation beaucoup plus tard - qu’une faille néanmoins existait dans l’esprit de quelqu’un comme Émilien, plein de certitudes, et d’abord pour tout ce qui concernait la domestication de la nature. Comment le vide peut-il s’agrandir, n’est ce pas ? ». On voit jusqu’où ce genre de pensée/rêverie peut mener, surtout à l’insu de qui la tiendrait sans trop vouloir y accorder de l’importance. Émilien, vers la fin du roman, finira par comprendre que les « temps morts » valent bien toutes les occupations du monde, y compris les plus utiles. Ce qui suppose, et nécessite un certain type de rapport avec la nature (voir l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Écologie</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Et assurément </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est un grand roman. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Nous ne changeons pas véritablement de registre avec Jacques Soudret (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Ce docteur en pharmacie éprouve au début du roman de l’indifférence envers cette contrée, La Saumaie (une « campagne bornée (…) vouée à une sorte de désordre, à cause de la diversité des pentes où les prés alternaient avec des bosquets de sapins ou d’étables, des vergers, des épines, à tous les niveaux d’un relief verdoyant et étincelant à la belle saison »). Une vallée lotie de trois villages où, dans l’un d’eux, Jacques a autrefois passé des vacances (chez un oncle, l’actuel maire de ce village). Seuls des souvenirs d’enfance le rattachent à la Saumaie. Plus tard, pour tenter de retrouver son épouse Viviane, qui l’a quitté, et on dit qu’elle se serait réfugiée dans la Saumaie, Jacques s’installe chez son oncle. Contaminé, pour ainsi dire, par l’espace, les éléments naturels, la sauvagerie des lieux, par le temps qui passe aussi, Jacques va progressivement mettre à mal sa « bonne réputation » de chercheur promis à un brillant avenir : l’honorabilité de l’intéressé, qui de surcroit s’adonne à la boisson, partant en lambeaux. C’est à ce prix, devenir une loque (socialement parlant), que la vérité, celle que recèle le Saumaie, sera révélée à Jacques. C’est-à-dire l’accord, en quelque sorte, avec les lieux, la nature environnante, voire les superstitions locales : la condition pour lui permettre de retrouver Viviane.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le devenir d’une lande sauvage (sa préservation ou pas) est l’une des causes d’un conflit opposant deux familles de cultivateurs. Une lande, rapporte un tiers, certes dotée d’une « certaine intelligence ornementale », donc « tout à fait en dehors de notre goût de l’aménagement ». Cette lande laisse Damien Sorday dubitatif. Elle représenterait, selon lui, « une sorte de défi au bon sens, un mélange de vrai et de faux qui peuvent provoquer le désordre dans les pensées ». Entre l’aménagement de cette lande à des fins touristiques, ou la volonté de la préserver telle quelle, nul besoin de préciser quelle solution préfère André Dhôtel. Sans le dire explicitement, bien évidemment.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> NOTABLES</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette terminologie pourrait aussi bien désigner les bourgeois, les gens d’en haut, les nantis, les privilégiés, les élites ou les membres de la « bonne société » des romans d’André Dhôtel. Ce choix s’explique en partie par le caractère rural de nombreux romans. Dans un bourg de gros cultivateurs, ou des commerçants aisés, voire des fonctionnaires et des conseillers municipaux peuvent être qualifiés de notables. Nul « héros » ou « héroïne » de cet univers romanesque n’appartient à proprement parler à ce monde-là. Ou alors « il « ou « elle » entend rompre avec son milieu d’origine : délibérément et en se révoltant contre sa famille comme la Thérèse Pardier des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Premiers temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou progressivement à l’exemple de Jacques Soudret (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Très généralement ces figures de notables (notaires, industriels, avocats, édiles municipaux, administrateurs de biens, riches cultivateurs, gros commerçants, etc) appartiennent aux différents registres du conformisme, et se signalent plus ou moins par leur arrogance, leur intolérance, leur étroitesse d’esprit, leur médiocrité et leurs ridicules. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le second « vrai roman » de Dhôtel publié la même année que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, nous confronte une première fois (la ville de Béthune) à la vie bourgeoise et à ses modèles. Ce à quoi Jacques Brostier n’aspire pas, alors que l’on s’efforce autour de lui de l’y préparer. Une « vie bourgeoise » faite de certitudes (en terme « d’opinions bien arrêtées ») et de mesquineries (« Il y a rien de plus mesquin, dit Jacques, que les honnêtes gens »). Ajoutons la tendance à capitaliser (« Toi tu pars du capital (…) Tu considères les gens comme des machines à débiter de l’énergie. Moi je préfère commencer par m’associer avec des voyous et travailler avec eux par amitié ») de ceux qui veulent faire son bien. Jacques Brostier s’avère être le premier d’une longue lignée de personnages qui, confrontés aux modalités de la vie bourgeoise, la rejettent ou s’en extraient. Des personnages qui sont plus généralement rejetés ou bannis par les divers représentants de la « bonne société ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> De manière encore plus convaincante qu’avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">André Dhôtel dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">décrit l’étroitesse d’esprit, le souci des conventions, les mesquineries et lâchetés d’une bourgeoisie de province (celle d’Autun appelée Bautheuil dans le roman). Quand Bernard se fait licencier de la Maison Barraudat, les cousins Garois chez qui il loge (lesquels ambitionnent pour le jeune homme un « bel avenir » : Maître Garois, avocat, lui ayant d’ailleurs procuré ce poste) n’entendent pas plaider la cause de Bernard, et même se retournent contre lui : la récente mauvaise réputation de leur jeune cousin risquant de contrarier leurs relations avec les notables de la ville. C’est toute la « bonne société » de Bautheuil qui rejette maintenant Bernard. Comme Estelle Jaraudet le lui dit : « Vous êtes soudain devenu indésirable dans notre société ». Bernard s’étant récrié, disant qu’il s’agissait là d’une « vague dignité sociale », son interlocutrice en convient. Cependant elle ajoute que tout, dans la conduite de Bernard, laissait à désirer. Le comportement d’un imposteur en quelque sorte pour une bourgeoisie soucieuse « de maintenir les apparences » (comme ne manque par de l’affirmer devant Bernard le cousin Garois).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les époux Baurand (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) sont davantage des petits bourgeois : Julien Baurand, antiquaire, se signale par sa « démarche solennelle, à cause de son ventre orné d’un gilet où pendait une grosse chaîne en or ». Comme le couple Baurand éprouve « une sorte de passion pour la sécurité et l’honnêteté « (tous deux « pouvaient supporter bien des bouleversements, mais à condition de garder une bonne tenue ») la personnalité de Sylvestre, le frère de Julien, ne peut que les inquiéter, les angoisser même. Car le passé de Sylvestre, celui d’un voleur doublé d’un escroc, risque à chaque moment de le rattraper. Et puis, comme le remarque Julien : « Il croit toujours qu’on peut changer le cours de la vie, mon frère, et tout reprendre par le commencement (…) Ce qui le mettra dans le pur embarras ». Le souci des convenances bourgeoises dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comme dans la plupart des romans de Dhôtel s’accompagne bien évidemment du rejet de qui les mettrait en cause. Nous restons dans ce registre avec Gabrielle Brelicaut, la tenancière de l’Hôtel du Grand Cerf et tante du jeune Gaspard Fontarelle (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pays où l’on n’arrive jamais</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), qui avait « décidé que la plaie de l’univers c’étaient les gens originaux et que de tels gens feraient mieux de ne pas exister ». Quant aux notables de Charrières dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vaux étranges </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ils ne peuvent admettre tous ceux qui « se donnent l’air de vivre en dehors de l’ordre prescrit ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans ce monde-là il importe que chacun reste à la place qui lui est assignée. Comme Edgar Bécaille, l’industriel de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tente de l’expliquer à son cousin Victor : « Les parvenus ont un peu de mal à se faire un chemin, mais ceux qui s’abaissent troublent l’ordre social ». C’est également quelque chose de cet ordre qu’exprime Émile Beursaut, le directeur d’une épicerie en gros à Félix Marceau (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays natal</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : « Vous ignorez l’art de maintenir l’honorabilité. Chacun peut mentir et tricher, cela est certain. Dans notre société, comme vous dites, il y a bien des tares, mais voyez-vous il faut savoir jouer son rôle et le maintenir coûte que coûte. Le maintenir, me comprenez-vous ? En cela vous manquez de conviction ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> OPTIMISME</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est sans doute pour répondre indirectement à des journalistes littéraires peu attentifs ou l’ayant mal lu, qualifiant ses romans « d’optimistes », qu’André Dhôtel a tenu à récuser dans les entretiens de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’École buissonnière </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toute qualification d’optimisme au sujet de son oeuvre romanesque. Une partie de la critique ayant, il est vrai, tendance à prendre l’écume de la chose pour la chose même. Ou encore à prendre la proie pour l’ombre, c’est à dire le « merveilleux dhôtelien » pour d’inoffensives féeries. A ce compte-là, à n’en pas douter, la littérature devient optimiste. S’en défendre à juste titre ne fait pas pour autant de Dhôtel un écrivain pessimiste. Il y a certes chez lui, à travers le regard que nombre de ses personnages portent sur le monde immédiat, une attitude qui peut évoquer une quête du bonheur (dans la sens de la recherche d’un trésor). Mais ce bonheur-là n’a évidemment rien de commun avec celui que l’on nous vend quotidiennement, d’un message publicitaire à l’autre, en termes d’injonctions consommatrices. La pulsion consumériste s’avère absente de l’oeuvre de Dhôtel (ou alors il s’ y réfère pour s’en moquer). Un monde, pour ne pas dire un gouffre sépare « ce bonheur dans la consommation aliénée », formaté à des fins de reproduction du système économique, du capitalisme soit, de l’invitation toute dhôtelienne au bonheur : quelque part entre le « changer la vie « de Rimbaud et la volonté de ne pas se désolidariser des rêves de l’enfance.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Jean-Claude Pirotte traduit à sa façon ce dilemme en évoquant « l’état d’inextricable abandon » au sein duquel les personnages des romans de Dhôtel « s’extasient encore de pouvoir mesurer combien le monde, en les écrasant sous le poids de son incompréhensible beauté, leur réserve de surprise et de bonheur infiniment varié et pour tout dire immérité ». Même si la vie ne les ménage guère, ces personnages s’absentent d’une certaine manière de l’existence en opposant une indifférence déraisonnable aux raisons pour lesquelles le monde tel qu’il va les stigmatise ou les rejette. Car, on s’en réjouit, ils n’en ont cure : ils préfèrent bailler aux corneilles, vagabonder sans but précis, se passionner pour la forme d’un nuage, jeter un regard ébloui sur les plus humbles fleurs des champs, s’amouracher d’une libellule, enfin s’émerveiller pour des riens.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> PARESSE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">S’il est une qualité à laquelle les personnages des romans d’André Dhôtel ne sont pas dépourvus c’est bien la paresse ! Une qualité qui se trouve explicitement revendiquée par l’auteur. Dans cet attachant petit livre (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) qui tient autant du récit autobiographique que de la chronique buissonnière, voire d’un certain art de vivre, Dhôtel a intitulé l’un de ses chapitres « Paresse ». Il y écrit : « Rien de plus normal pourtant que la paresse, une vie étant faite bien souvent de traverses, et traversée à tout hasard par de longs moments absolument vains. Mais il y a diverses conceptions de la paresse ». Ce qui pourrait par ailleurs relever de l’une de ces conceptions, à lire ce qui suit, n’a cependant pas l’assentiment de Dhôtel. « Aujourd’hui, si l’on prétend à des loisirs, il parait nécessaire et hautement moral de les occuper ces loisirs, ne serait-ce qu’à se rôtir au soleil. A écarter ». On a compris que les longues stations d’exposition au soleil l’été sur les plages du sud ou d’ailleurs ne sont pas le fort de notre écrivain. Puisqu’il s’agit de vacances, restons y. Plus loin Dhôtel indique : « La conduite que j’avais adopté pour mes vacances ardennaises, c’était tout bonnement de ne rien faire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de ne savoir que faire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">jusqu’à la limite de l’ennui pendant des heures, des semaines ou des mois. Certes cela paraît trop simple et je me ferai difficilement comprendre. Il me semble donc utile, étant donné notre mentalité progressiste, de fournir encore des explications ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Première explication : « Certes on ne peut pas toujours rien faire. On n’évite ni de lire ni de se livrer à d’accidentelles occupations, mais il est possible de s’enfoncer assez profondément dans l’inaction. Non pas se détendre, ce qui suppose une tension antérieure ou future, non plus se perdre en des rêveries. C’est plutôt même le contraire de la rêverie : une obstination à affirmer une sorte de vacuité. S’accorder enfin avec l’étymologie du mot </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">vacances </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et lui conférer sa réelle signification ». D’autres explications suivent, qui traduisent de manière concrète ce que représente l’inaction pour Dhôtel. Cet abécédaire y revient avec le verbe </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">traîner</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. Il est maintenant temps d’évoquer l’oeuvre romanesque d’André Dhôtel sous le chapitre de la paresse.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">l’accent se trouve d’emblée mis sur la différence de caractère entre Odile et Julien Bouleurs, un jeune couple. Lui appartient plutôt au genre dilettante, tandis que sa compagne se révèle entreprenante et déterminée dans ses choix de vie. Odile reproche à Julien son manque d’ambition (en particulier son abandon de toute exigence littéraire) qu’elle met sur le compte de la paresse du jeune homme (« J’ai vu sur ton front la paresse la plus détestable », lui dit-elle avant leur mariage, sans que sur le moment cette parole porte à conséquence). Déjà, de ce point de vue là, Julien Bouleurs inaugure la langue liste des personnages dhôteliens qui préfèrent « rêver leur vie » plutôt que de la vivre selon les codes, usages et règles en vigueur. C’est également le cas de Jacques Brossier dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à qui Armande Coeuret reproche de se noyer « dans la paresse en compagnie de gens vulgaires ». C’est parce que, selon elle, Jacques « se laisse aller » qu’elle lui adresse ce genre de remontrance. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un registre plus humoristique, Alain Saumat, le jeune apprenti couvreur des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mystères de Charlieu-sur-Bar, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">profite de son séjour prolongé sur les toits pour de temps à autre y piquer un petit roupillon. Son patron le licencie : « Tout ça parce que monsieur, malgré ma défense, s’amuse à dormir en haut des toits ». D’après la doxa villageoise, Alain Saumat « c’est fainéant et anarchiste » (l’opprobre visant Alain s’étendant à toute sa famille : des gens pas comme tout le monde). Dans ce roman dès la première page Dhôtel affiche la couleur : « La paresse c’est la vie la plus haute qui soit ». Cette qualité peut même contaminer les villages environnant Charlieu-sur-Bar, où contrairement au bourg on y cultive une certaine paresse. Nous restons dans cette tonalité humoristique avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> du point de vue d’un manque d’ambition. Ce à quoi Léopold Peruvat répond : « Arriver ? Comment ? Pourquoi ? Il parait qu’on raisonne comme des paresseux, mais ma chère Clémence tu ne sais pas le mal qu’il faut se donner dans la société pour être paresseux ». D’ailleurs, plus loin dans le roman, Pulchérie flanque Léopold à la porte du domicile conjugal en les traitant, entre autres nom d’oiseaux, de « fainéant ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la paresse, celle de Bernard Cusmin, est moins donnée pour telle qu’elle cristallise les reproches qu’adresse la « bonne société » de Bautheuil au jeune homme. Cette paresse devient d’autant plus condamnable qu’on accuse Bernard de l’avoir dissimulée. Il est vrai que l’intéressé donnait le change dans un premier temps : « la certaine politesse infuse » qui le caractérisait et son « don de paraître digne et courtois sans même y penser » contribuaient à sa bonne réputation. Des qualités qui se transforment après le renvoi de Bernard de son emploi en autant de défauts : Casmin se révélant être un dissimulateur, un imposteur, un paresseux en réalité. Comme l’affirmera son ancien employeur : « Bernard se la coulait douce et n’essayait même pas de se mettre au courant des affaires ». Même son de cloche chez les cousins Garois qui hébergent le jeune homme (et envisagent pour lui des projets d’avenir). Pour résumer : « La politesse de Bernard, qui naguère enchantait le monde, semblait redoubler la méfiance dont il était l’objet. Bernard Casmin, un paresseux, disait-on, mais pire encore sas doute ». Sauf qu’on « ne parvenait jamais à exprimer en quoi consistait ce </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pire encore</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ». La paresse évoquée dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’a pas l’aspect souriant, subversif, un tantinet contrariant ou incompréhensif de celui d’autres romans de Dhôtel, mais prend un caractère plus infamant qui débuche sur un rejet sans appel de Bernard Casmin, puis sa stigmatisation.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avec l’architecte Surge (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La vallée du chemin de fer</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) le mot « paresse » peut paraître exagéré. En effet monsieur Surge « prend son temps » et s’intéresse à « mille choses en dehors de son travail ». Il a cependant sa place dans cette entrée puisque, cela mérite d’être souligné, M. Surge se déplace souvent dans les bureaux pour calmer l’ardeur des employés au travail : « Je voudrais leur apprendre à flâner quelques minutes pas semaine. Mais ils ont toujours l’esprit tendu. Ils croient que s’ils cessent de penser pendant une seconde au pont suspendu, le tablier va s’envoler ou bien que les piliers s’effondreront pour peu qu’un moineau s’y pose à leur insu ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Alors qu’on lui disait, lors d’un entretien, qu’à 78 ans sa vie avait été « bien remplie », André Dhôtel répondait ne pas l’avoir « fait tellement exprès », avant de mettre l’accent sur « les longues vacances passées à ne rien faire » et à traîner. Il avait alors ajouté : « Une vie plus fragmentée à loisir que « remplie » comme on remplit un devoir, selon le penchant actuel qui consiste à se glorifier de n’avoir jamais le temps ». </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> PARHÉLIES</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le dictionnaire Robert propose la définition suivante : « Image du soleil (dite aussi </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">faux soleil</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) due au phénomène de réfraction qui produit également le halo ». Un phénomène décrit ainsi dans la dernière page du roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Le soleil était voilé. Alentour il y avait un halo et deux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">autres </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">soleils assez éclatants. Des parhélies. Des soleils d’à côté. Trois soleils en tout ». Ce qui bouleverse d’abord Pulchérie et Clarisse, puis Léopold et Cyrille lorsque, surpris par l’attitude des deux jeunes filles, ils se retournent. Je n’en donnerai pas la raison parce qu’il me faudrait, en m’emparant de ce fil, dévider toute le pelote de ce roman. Disons juste que ce phénomène de parhélies nous donne le fin mot de l’histoire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un ou deux ans avant la rédaction de ce roman, André Dhôtel, dans une lettre à Marcel Arland informant son destinataire d’un passage récent à Amsterdam, écrivait ceci : « Il y a dans Van Gogh des distorsions singulières dans certains tableaux, le soleil semblant être à part, et les lumières venir d’on ne sait où ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Treize ans auparavant, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une passion </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’Ingmar Bergman, au tout début de film, Andréas (le personnage que joue Max von Sydow), juché sur le toit de sa maison pour y effectuer des réparations, se trouve confronté à ce même phénomène de parhélies. Un court instant son regard se porte vers ce « faux soleil » (le plan de coupe est bien celui d’une parhélie). Dans un livre d’entretiens avec le cinéaste, l’un des interviewers, se référant aux trois soleils que découvre Andréas, s’interroge sur la signification de ce phénomène au tout début du film : « Est-il un mauvais présage, une sorte de mise en garde ». Bergman répond que « cela n’a rien de remarquable en soi. Les parhélies sont des phénomènes qui ont toujours existé, et que l’on a pu constater ». Le cinéaste évoque alors un tableau « représentant sept parhélies qui ont présagé la guerre de Trente ans ». Puis ajoute : « Des phénomènes célestes du même genre ont annoncé la violence ou une catastrophe quelconque ». La thématique de « l’annonce d’une catastrophe » se rapportant à Andréas étant alors reprise par Bergman pour illustrer, à la manière des soleils s’élevant puis s’inclinant avant de disparaître, les tribulations du personnage central de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une passion </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(le troisième volet de la remarquable trilogie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’heure du loup, La honte, Une passion</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Rien ne permet de supposer que Dhôtel ait vu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une passion </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">lors de la sortie du film sur les écrans français en 1968. L’écrivain allait peu au cinéma semble-t-il (on sait qu’il aimait Buster Keaton : ce qui n’étonnera personne) et de toute façon préférait y voir des westerns (indiquons que les deux premières pages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">évoquent l’univers du western !). Ensuite, j’y reviens, la découverte de ce phénomène de parhélies tout à la fin de ce roman n’a rien de néfaste, bien au contraire. Ce n’est pas anodin que Bergman ait situé la présence de parhélies au début de son film, et Dhôtel cette même présence à la fin de son livre. Le propos du cinéaste s’avère délibérément pessimiste sans qu’on puisse pourtant affirmer que celui de Dhôtel serait optimiste. Mais ceci est une autre histoire racontée dans l’une des entrées de cet abécédaire.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> PROPRES À RIEN</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">On aurait presque envie de dire : tout le monde sur le pont ! Car la plupart des principaux personnages de sexe masculins d’André Dhôtel émargent dans cette rubrique. Cette qualification de « propre à rien » typiquement dhôtelienne paraît redevable à Arthur Rimbaud (ou Rimbaud en représente une bonne illustration). Comme l’indique Dhôtel dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en se référant aux possibilités de lecture ( depuis le mot « étude ») qu’offre l’oeuvre de l’auteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Une saison en enfer</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> : « Je ne me souciais guère d’abord du sens que lui donnait Rimbaud, quoique dans la suite j’ai trouvé une lointaine ressemblance entre mon idée de propre à rien et la sienne ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sélectionnons ici quelques unes de ces figures de « propres à rien ». Félix Marceau (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays natal</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), jeune homme prometteur, va décevoir ceux qui croyaient en ces promesses, pour choisir ce que d’aucuns appellent « une voie de garage », et d’autres « une vie de bâton de chaise ». Félix qui aime Angélique (et est aimé d’elle), subodore que « la jeune fille devrait s’apercevoir forcément à un moment donné qu’il n’était qu’un propre à rien ». D’ailleurs le mère d’Angélique ne se fait pas trop d’illusion sur Félix : « Tu as voulu épouser un propre à rien. Eh bien épouse le ! Tu n’es pas au bout ». Bertrand Lumin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), l’est lui, « propre à rien », depuis toujours, ceci d’une manière très personnelle. Dans sa vie professionnelle « il jugeait qu’il occupait un poste exceptionnel dès lors que ce poste ne menait à rien ». Nous sommes dans un registre comparable avec Antoine Marvaux (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : cette qualité de « propre à rien » n’étant pas étrangère à la kleptomanie de son enfance (qui le poursuivra). Antoine en conclut : « On me prend pour un imbécile. J’ai besoin de faire l’imbécile ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Gabriel Lefeuil (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), pourtant fils de garagiste, ne peut « pas supporter la vue d’un moteur ». Malgré tous les efforts de son père (qui refuse d’admettre que son fils soit limité à l’activité de pompiste), Gabriel rate tout ce qu’il entreprend au garage : il embrouille tous les fils en tronquant des courts-circuits, crève les chambres à air, n’est pas fichu de régler un problème d’allumage (quoique sachant « par coeur la théorie de l’allumage »). C’est la raison pour laquelle, comme il l’explique à Rinchal et Paticart : « Comme on me raconte que je rate tout ce qu’il y a de plus simple je me lance dans des affaires impossibles ». Même si le jeune Florent Dormel (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) donne le change sur son avenir professionnel, l’oncle Anselme (pour qui « le secret de la vie (…) consiste à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ne pas s’arrêter</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ») n’est cependant pas dupe. Plus tard, alors que Florent entend prendre conseil auprès d’Anselme, celui-ci, après avoir écouté le jeune homme, lui répond que Florent est bien « incapable de poursuivre une tâche, de s’appliquer à un métier ». Et incrimine la « mentalité de taré, de propre à rien » du jeune homme. On ne saurait exempter Léopold Péruvat (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) dans ce florilège de « propres à rien » : tous reconnaissables à leur façon de marcher en dehors des sentiers battus, ou leur répugnance à s’installer dans la vie et surtout à réussir selon les critères de la « bonne société ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> PROSCRITS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">André Dhôtel d’un roman à l’autre prend fait et cause pour des personnages voués à la vindicte publique, confrontés à l’hostilité d’une collectivité, ou totalement déconsidérés et ne bénéficiant d’aucun crédit. Ils relèvent de la définition du proscrit même si cette proscription se trouve le plus souvent limitée dans le temps. Il est cependant un roman où cette proscription perdure : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avec Roger Bécaille</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les démêlés de Roger avec les habitants du bourg Aigly nous sont rapportés par son neveu Victor, le narrateur. Ce différend date de l’enfance de Roger : un vol commis par l’enfant tout d’abord, puis son refus de divulguer un « secret » confié par son père avant de mourir. (sur l’emplacement d’un trésor, ou prétendument tel). Une première fois Victor entend parler de cet oncle qu’il ne connaît pas comme étant « un homme dont on craindrait les dangereuses fantaisies, et qui n’aurait aucune idée des convenances ». Ce propos est tenu par Edgar Bécaille, le directeur de la petite usine de textile où viennent d’être embauchés les inséparables Victor et Louis (son cousin, un autre Bécaille). Edgar ajoute qu’il a proposé en vain de l’argent à Roger pour que celui-ci aille « se faire pendre ailleurs ». Lorsque les deux jeunes gens rencontrent Roger Bécaille, ce dernier entreprend de leur raconter sa vie : celle d’un homme se mettant « les gens à dos », désirant qu’on « le déteste » sans pour autant qu’on « se moque de lui ». La conséquence en quelque sorte des bruits colportés sur son compte, Roger étant accusé « des pires forfaits ». Viendra même un temps où les gamins du villages crieront « Bécaille ! Becaille ! », comme « si c’était une injure absolue ». Victor constate : « Le nom de Bécaille devint alors l’expression même d’une honte et d’une misère qui devait jeter sur la famille un discrédit définitif ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Relevons avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ce savoureux paradoxe. A un moment de sa vie Roger était tombé gravement malade. Cependant, selon la rumeur publique, si un réprouvé tel que « Roger Bécaille s’en allait, cela ferait un vide ». N’avait-on pas « débité sur lui trop de ragots pour qu’on imagine qu’il puisse disparaître. Si on le tenait à l’écart, il demeurait nécessaire dans son rôle de proscrit ». De là à considérer qu’une société, à l‘instar du bourg Aigly, a besoin de ce type de bouc émissaire pour « exister », pour se perpétuer, il n’y a qu’un pas.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> RACINES</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il faut bien mal connaître André Dhôtel pour vouloir débusquer dans son oeuvre la présence de racines, ou quelque volonté d’enracinement qui se rapporterait au terroir ardennais. Dhôtel s’est plusieurs fois élevé contre ce type de réduction. Par exemple il a pris soin de préciser dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">non sans humour d’ailleurs,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ce qu’il en pensait : « Maintenant si j’ai ignoré les régions supérieures, ne venez pas non plus me parler de racines. On m’a répété que je devais, avec mes écritures, m’enraciner quelque part dans une terre natale et retrouver pour la sève d’une pensée problématique certaine origine en quelque sorte souterraine. En réalité ma plus vive expérience des Ardennes ce ne fut pas la terre mais l’eau » (il s’agit de la rivière l’Aisne).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’objection de l’écrivain s’élargit à la notion de « lieux de mémoire ». Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toujours, il écrit : « Pas plus que de racines il me faut parler de lieux de mémoire. Les lieux qui me saisissent n’ont en réalité de rapport avec rien ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> RELIGION</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">André Dhôtel était croyant. Pourtant il paraît difficile, sinon plus, d’évoquer - comme cela va de soi avec d’autres - un « écrivain catholique » à son sujet. Il y aurait même quelque incongruité à le prétendre. En plus Dhôtel a toujours été discret, du moins publiquement, sur le chapitre de la religion, de sa foi chrétienne. D’ailleurs dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’école buissonnière </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(en réponse à une question de Jérôme Garcin) il en parle sur un mode qui n’engage nullement le romancier : « Je ne considère pas la religion comme une application stricte des principes, à la manière de Kant, mais plutôt comme la décision de prendre la vie de façon « artisanale » ». On dira avec Jean-Claude Pirotte que « le sentiment religieux, la morale, le respect des conventions » n’étouffent pas les personnages des romans de Dhôtel. Bien au contraire. Certes, mais ne trouve-t-on par ci par là chez quelques uns de ces personnages des attitudes et des propos qui ne sont pas sans témoigner, même discrètement, d’habitudes et de sentiments religieux ? Ne serait-ce qu’à travers le fait de se rendre à la messe le dimanche. On le tempèrera en ajoutant que dans le monde rural souvent décrit par Dhôtel le poids des habitudes ou la force des conventions prennent le pas sur la foi proprement dite. Et puis ces discrètes manifestations de religiosité, qu’elles puissent être le cas échéant rattachées au « merveilleux dhôtelien », ou témoigner d’attitudes superstitieuses, ritualisées, n’empêchent nullement l’ironie bien dosée ou le télescopage humoristique. Citons ici </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Juste après le moment lyrique durant lequel Maximin Brégant découvre la fameuse clairière, le climax pour ainsi dire du roman (voir les entrées </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Forêt </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Merveilleux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), le jeune homme surprend Véronique Leverdier en train de prier devant un rocher : « Qu’y a-t-il ? Que fais-tu ? », lui demande-t-il interloqué. Ce à quoi la jeune fille, connue pour son instabilité (elle passe d’un emploi à l’autre), répond : « Je prie parce que je voudrais travailler au bazar de Verzier. J’aime tellement le bazar de Verzier ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> RÉVOLTE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Si la révolte, ou plutôt le sentiment de révolte se retrouve d’une manière diffuse chez la plupart des principaux personnages masculins des romans d’André Dhôtel, elle s’affirme de manière plus délibérée chez quelques uns de leurs équivalents féminins (des jeunes filles ici). La Thérèse Pardier des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Premiers temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui rompt radicalement avec sa famille, est la seule de ces révoltées à provenir d’un milieu bourgeois. Cette rupture, qui la confronte à l’existence précaire (mais combien plus passionnante !) d’une petite communauté de marginaux et de déshérités, se trouve d’abord matérialisée par une tentative de cambriolage : Thérèse désirant créer un scandale. Sylvestre Baurand a eu au même moment l’idée d’aller cambrioler Augustin Soriot, mais à d’autres fins.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les autres jeunes filles révoltées des romans de Dhôtel appartiennent à des milieux populaires. Lola et Pélagie, les petites filles du vieux Gildas, n’ont pas plus le souci des convenances que des bonnes fréquentations. Elle attendent « non des princes charmants, plutôt des sortes de voyous », davantage à même de leur procurer « des aventures plus ou moins déchirantes ». Norbert et Damien, en écoutant parler le vieil homme, finissent pas comprendre que la révolte des deux jeunes filles est d’abord dirigée contre tout ce qui va de soi. Comme le leur explique Gildas : » Elles croient que les choses doivent aller de travers (…) Pour mes petites filles rien n’est régulier ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La révolte viscérale de la jeune Clarisse (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) ne s’exprime pas par la parole mais à travers une attitude de rejet et de radicale mise à distance de son environnement. Cette petite sauvageonne il est vrai a de qui tenir. Sa mère, Irène, qui l’a abandonnée quelques années plus tôt, est décrite comme une femme « belle et misérable à la fois ». Mais « libre » surtout, puisque selon Vlaque : « Elle n’a rien alors elle fait ce qu’elle veut » (ou encore : « Elle n’a rien mais on croit qu’elle peut tout avoir »). Une Irène dont l’existence, ainsi que le désir qu’elle suscite chez les hommes finissent par rendre indésirable. Une autre jeune adolescente, Yvonne Porin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mystères de Charlieu-sur-Bar</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) n’est pas plus âgée que Clarisse. Sa révolte prend un caractère plus ludique, mystificateur, irrévérencieux. Cette gamine traite de « bande d’abrutis » les notables du bourg qui la soupçonnent d’avoir volé uns statuette.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Véronique Leverdier, pourtant présentée dans le premier chapitre des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comme une jeune fille effacée, sans trop de personnalité, n’en intrigue pas moins Maximim qui dit ne pas vouloir y attacher de l’importance non sans se demander « qu’est ce qu’elle avait à faire mine de se révolter toujours ? ». La révolte de Véronique s’exprime à travers sa farouche indépendance, son instabilité, sa sauvagerie, ou la réputation qu’on lui fait d’être « une petite coureuse ». On va finalement l’accuser de tous les maux qui défrayent alors la chronique du village Someperce. De là à la considérer comme une sorcière il n’y a qu’un pas. De manière plus atténuée, c’est également le sentiment qu’inspire Odile Bouleurs dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: elle aussi en but vers la fin du roman à l’hostilité des villageois. Ne disait-on pas d’elle auparavant qu’elle « avait la révolte dans la peau ». Et qu’il ne « se passerait pas de jours avant qu’elle ne constitue une sorte de syndicat pour semer le désordre ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> RÔDER (TRAÎNER)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ces deux verbes ont grosso modo la même signification chez André Dhôtel. Cette appétence des personnages de ses romans à rôder et traîner n’a pas véritablement d’équivalent dans la littérature romanesque de la seconde moitié du XXe siècle. Dhôtel s’est exprimé sur cette singularité dans le premier chapitre (« Paresse ») de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Après s’être exprimé sur ce qu’il entend par « inaction » il ajoute : « En fait l’inaction dont je parle consiste simplement à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">traîner </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(…) Traîner suppose une sorte de mauvaise volonté, un refus d’exercer ses muscles, de se choisir un but et de repérer des endroits ». Puis l’écrivain donne des exemples plus concrets, dont l’un (« que ce soit à pied ou à bicyclette il s’agit en ces circonstances, de changer d’allure selon son caprice et de s’arrêter souvent à des moments hasardeux et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’importe où. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La règle essentielle est de ne rien vouloir ni rien observer. Une incapacité foncière ») ne peut que laisser interdit, dubitatif ou circonspect tout esprit organisé, industrieux, raisonnable, voire rationnel. J’ajoute que dans cette manière très dhôtelienne de rôder et de trainer le modèle revendiqué s’appelle Arthur Rimbaud. Ici Dhôtel indique qu’il n’a découvert l’oeuvre de Rimbaud que par des « bouts de phrases ou des mots épars » qui entraient en parfaite résonance avec ses « façons de rôder dans les champs ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sinon le fait de trainer et de rôder prend un caractère différent d’un roman à l’autre. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Maximin Bregant, qui exerce la profession de comptable et gère le camping municipal, n’est pas sans s’attirer quelque réprobation (qui met à mal sa « respectabilité ») en prenant « l’habitude de trainer dans les rues », le samedi et le dimanche « et même aux jours ordinaires à la nuit close ou avant l’aube ». Dans le même roman Véronique Leverdier est accusée de tous les maux parce que, entre autres griefs, on la voit trop souvent rôder autour du village. On la traite également de « coureuse » : une trainée en quelque sorte.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bernard Casmin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), descendu au plus bas de l’échelle sociale, se remémore ce temps de l’enfance où « l’on rôdait dans ces rues et dans ces champs avec l’idée d’un monde étonnant ». Plus tôt Bernard, qui ne faisait aucun effort pour retrouver un emploi, préférait « traîner dans les rues avec peut-être l’espoir de rencontrer quelqu’un qui lui donnerait une solution ». Le Léopold Peruvat dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui ne sait pas vraiment ce qui le passionne, se demande si finalement ce n’est pas sa propension à trainer dans les rues qui l’intéressent au premier chef : « J’ai souvent d’immenses espoirs dans les rues sans savoir de quoi il s’agit ». D’ailleurs lorsque après son renvoi du lycée Léopold se fait embaucher chez un oncle photographe il peut ainsi concilier l’utile et l’agréable : une façon de gagner sa vie tout en trainant dans les rues, appareil photographique en bandoulière. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, pour clore la liste, Gabriel Lefeuil passe de longues heures à traîner le long de la voie ferrée, seul ou en compagnie d’Alfred, un jeune homme amnésique.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> SECONDS RÔLES</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le cinéma français des années 1930, 1940, voire 1950 se signale par la présence de seconds rôles plus « marquants » dans l’esprit des spectateurs de ces années-là que ceux qui leur succéderont durant les décennies à venir pour les générations suivantes (mais plus « marqués » aussi dans la manière de camper un personnage). Des acteurs, bien connus du grand public, ont endossé ces rôles secondaires avec quelquefois plus de bonheur que les têtes d’affiche de l’un ou l’autre de ces films. Ces seconds rôles étaient partie prenante d’une esthétique en phase avec les années 1930, et encore après, dont les années 1950 sonneront le glas. On fera cependant une exception avec le cinéma de Jean-Pierre Mocky (encore faudrait-il parler de « seconds seconds rôles » avec des « acteurs non acteurs » comme Jean-Claude Rémoleux, Dominique Zarbi, Jean Abeillé, etc)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Chez André Dhôtel les seconds rôles ne sont pas sans posséder des points communs avec leurs équivalents cinématographiques en termes de verdeur, de pittoresque, de singularité, et même d’infatuation. Quelques unes de ces figures, présentes dans cet abécédaire, méritent d’être ici citées : Paticart et Rinchal (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), Raymond et Gustave (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premiers temps</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), Durand et Falort (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), Eustache et un autre Gustave (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). On le remarque : dans cette galerie de personnages apparentés à des « seconds rôles » les protagonistes vont le plus souvent par deux. Signalons également en dehors de ces duos le Repanlin des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le père Amédée de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">etc</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> SEINS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans une oeuvre où l’acte sexuel n’est jamais décrit en tant que tel (sauf de manière allusive dans quelques lignes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), le désir, celui des jeunes personnages masculins des romans d’André Dhôtel envers les personnes de l’autre sexe, n’en est pas moins présent d’une manière à l’autre. Encore faut-il distinguer des inclinations, des attirances, et même des passions, enfin tous les relevés du sentiment amoureux (thématique présente dans quasiment tous les romans), des manifestations proprement dites de ce désir dans un registre plus délibérément sexuel. Une partie du corps féminin, les seins, l’illustre presque exclusivement. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On pourrait même évoquer une focalisation chez Dhôtel, sans pour autant parler de fétichisation comme les exemples qui suivent l’accréditeront. Les seins sont imaginés ou évoqués derrière une étoffe, ou plus prosaïquement découverts. C’est à une variation sur ce thème que nous invite André Dhôtel. Cela passe par l’évocation des « yeux d’Irène dans cette lumière, et les seins légers d’Irène » dans un moment où Paul Cervier (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le chemin du long voyage</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), poursuivi par Grégoire dans la montagne jurassienne, pourrait y laisser sa vie. D’ailleurs le narrateur ajoute : « Aucune mort n’aurait pu lui faire oublier cela ». Dans un tout autre genre, Maria, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à la demande d’Antoine, décrit sa soeur sa soeur Clarisse (la petite sauvageonne qu’aime Antoine, partie s’installer en Grèce) comme étant devenue des années plus tard une belle jeune fille, avec « des épaules magnifiques, des seins gracieux ». Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le plateau de Mazagran </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les épaules et les seins, ceux de Jeanne, se trouvent également associés : d’abord sous « le maillot de laine », pour Maxime ils évoquent la clarté de « l’aluminium ou de l’argent » ; ensuite, lorsque « les seins et les épaules de Jeanne semblent murmurer dans cette robe blanche et bleue qu’elle portait ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est quelque chose d’un sentiment non avoué envers deux gamines lors de parties de pêche (organisées par Henri Chalfour dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme de la scierie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en compagnie de Virginie et d’Yvette, dont il ignore les rencontrant que la seconde est sa fille) qui, lors d’une rencontre impromptue quelques années plus tard entre Virginie et Chalfour, ne laisse plus de place à l’équivoque. Ici le regard que l’homme porte sur la jeune fille qu’est devenue Virginie devient déterminant : « Elle se regarda et parut un peu confondue, parce que ses seins étaient si visibles ». Henri Chalfour, lui, sentant « son propre sang qui prenait en lui un étrange mouvement ». Nous changeons de registre avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisque la part de jeu devient patente entre Émilien Dombe et les jeunes filles du hameau Rieux. D’ailleurs le jeune homme s’interroge sur ce qui semble s’apparenter à un défi en relevant « leurs façons indifférentes de s’offrir et puis de rompre ». Un marivaudage campagnard, en quelque sorte. Avec Jenny cela donne : « J’ai beaucoup de sensibilité dit Émilien, qui ne pouvait détacher ses regards des seins de Jenny - Vous me faites la cour, lui demanda-t-elle en souriant ». Même attitude envers Blanche : « Elle était vêtue d’une robe élégante et d’un corsage au col largement ouvert. Il ne peut faire autrement que regarder ses seins. Il lui prit les poignets - Alors, vous allez me conter fleurette comme tout un chacun ? ». Les pulsions que ressent Émilien ne sont pas étrangères à la sauvagerie de la nature dans un lieu (le fond de vallée de Rieux) que le jeune homme entendait domestiquer dans un premier temps.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est le mot sauvagerie qu’il convient de conserver avec Claire dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que Victor et Louis Bécaille aperçoivent « échevelée » et traversant la route « juste devant le capot » sans savoir qui elle est : « Une femme d’une cinquantaine d’années peut-être. Ses épaules ses bras étaient nus, et sa robe s’entrouvrait sur ses seins ». Une vision qui reste présente dans l’esprit des jeunes gens quand tous deux apprennent qu’il s’agit de la femme de Roger Bécaille : une femme vivant « la rage au coeur » et gardant « dans le sang un amour insoupçonné ». Cette « scène primitive » reviendra tel un leitmotiv dans le roman avec le premier rappel « d’une femme échevelée les seins à demi-nus », et en second lieu à travers le souvenir d’une « femme aux seins nus qui traversait un chemin de champs ». La répétition peut prendre un aspect plaisant, humoristique, presque burlesque dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays natal. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cela devient d’ailleurs une ritournelle quand se trouvent évoqués à plusieurs reprises les seins d’Angélique. Félix déclare une première fois à Tiburce (en évoquant la jeune fille suivie dans les rues de Charleville et repartie en autocar) : « Elle avait des seins splendides ». Ayant fait plus tard connaissance, Félix avoue à Angélique que la première chose qu’il avait dit d’elle à Tiburce était qu’elle « avait des seins splendides » : Angélique étant « enchantée de cet aveu ». Puis viendra le temps où les deux jeunes gens vivront en couple. Angélique déduisant de l’attitude de Félix que celui-ci, sans dire le moindre mot, songeait immanquablement à ses « seins splendides ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On change de tonalité avec la découverte par Michaël, l’adolescent du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Maître de pension, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du corps d’Annie, vu la nuit à l’insu de celle-ci, qui le bouleverse : « Il vit alors avec une netteté extraordinaire (…) ses deux seins légers. Michaël fut saisi d’une tremblement comme s’il avait touché les deux seins et qu’ils lui appartenaient pour toujours, à partir de ce moment-là, quoiqu’il arrive ». Le souvenir des seins d’Annie ne le quittant pas lors de ses rencontres avec l’adolescente. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une courte averse fait se réfugier Julien et Mathilde sous une meule de paille. Ils ne sont pas sans savoir que leur attirance réciproque ne peut être que sans lendemain : « Il chercha à l’entourer de son bras, mais comme ce mouvement qu’il fit les enfonça elle et lui dans la paille, sa main glissa sur le corsage qui s’ouvrit. Le sein de Mathilde apparut ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La façon qu’à Rosalie (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) « de présenter ses seins couverts d’une étoffe serrée », tout en semblant s’offrir et se refuser à l’un ou l’autre danseur, paraît correspondre à l’image de la jeune femme libre « dépourvue de moralité qu’on lui prête ». Florent Dormel (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), amoureux transi de la belle et altière Prisca, ne peut que « s’émerveiller en devinant la naissance des jeunes seins » un jour que la jeune femme à cheval se penche vers lui pour entamer une discussion. Le mot « poitrine » vient plus naturellement sur les lèvres de Jean-Louis quand (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mémoires de Sébastien</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) évoquant l’ultime fois où il dit avoir vu sa tante Jenny, celle-ci, montée dans un canot de pêcheur, n’avait pas répondu aux appels du jeune garçon : « Sa veste était déboutonnée et on voyait sa poitrine nue », précise-t-il à Sébastien. Une évocation suffisamment forte et parlante pour que Sébastien s’en imprègne, se remémorant « l’image de Jenny, habillée en pêcheur et la poitrine nue ». En réalité, ce qui est plus troublant, Jean-Louis n’avait pas aperçu Jenny, mais sa soeur Marie-Jeanne (la mère de Jean-Louis que celui-ci ne connait pas, sa mère l’ayant abandonné très tôt). J’ajoute que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mémoires de Sébastien </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est pas réductible à ce côté « mauvais mélodrame » que les lignes précédentes laisseraient accroître.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Revenons au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Village pathétique. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vers la fin du roman, Julien et sa femme Odile, qui vivaient séparément depuis plusieurs mois, se retrouvent à la faveur de l’événement ayant chassé la jeune femme du village. De nouveau le désir qui nait entre eux se matérialise ainsi : « Leurs visages s’approchèrent. Les seins de la jeune femme tendaient la robe comme si ç’avait été des seins de cire. Ils sont bien vivants pourtant, songea Julien ». Autres retrouvailles, celles d’Henri Chalfour et de Virginie, également vers la fin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme dans la scierie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avant le départ de Chalfour pour le nouveau monde : « Les seins de Virginie étaient tout près des mains de Chalfour. Surement Virginie et Chaulfour ignoraient ce que tout cela signifiait ». Pas tout à fait cependant : mais il était préférable de donner le change, pour atténuer cette impression d’irrépressible regret. On pourrait de manière atténuée conserver le mot retrouvailles quand, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les rues dans l’aurore, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Georges Leban et Édith se retrouvent à Reims et renouent après des années de brouille et d’indifférence. Les deux jeunes gens n’en sont pas moins enclins à s’éprouver. Georges l’exprime sur un mode où le désir n’est jamais loin : « Il regarda avec impudence les seins de la jeune fille à peine dissimulés par une robe légère qu’elle portait sous la fourrure ». Plus tard, dans leur ville natale, lors d’une dispute (Édith reprochant à Georges d’être un « pauvre hère », bon à se « faire chasser de partout »), la réponse du jeune homme (« Tu as toujours des seins merveilleux, reprit Leban sans s’émouvoir »), indique en quoi le désir de Georges vers Édith (et l’on parlera de réciprocité) peut le cas échéant prendre un caractère agressif.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans deux romans, et non des moindres, les seins, ceux d’Estelle (dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et de Véronique (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les disparus</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) se trouvent évoqués dans deux scènes significatives, importantes des deux romans. Pour le premier, lors de l’avant dernière rencontre entre les deux jeunes gens (la dernière étant narrée par des tiers), Bernard Casmin qui vient d’avoir un échange assez vif avec Estelle (tous deux se détestent ou disent se détester) remarque que la jeune femme porte « une robe blanche presque transparente ». Il lui semble alors « que les seins d’Estelle allaient devenir aussi visibles que les bras ». Tout deux sont profondément émus (tandis que les paroles échangées restent hostiles). En revanche c’est de l’indifférence et non de l’hostilité que Maximin, comme Véronique, éprouvent l’un envers l’autre durant la plus grande partie des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sauf que cette indifférence va progressivement se transformer en ce quelque chose que Maximin n’ose pas d’abord s’avouer (il prend la défense de la jeune fille que l’on accuse d’être une incendiaire), qui apparaitra avec la force de ce que Maximin a refoulé (et cela vaut aussi pour Véronique, sans doute) : « Leurs épaules s’étaient rapprochées, et au lieu de s’écarter ils se serrèrent l’un contre l’autre. Maximin regarda la jeune fille. Alors seulement il s’aperçut que le haut de sa robe avait une déchirure qui laissait voir la courbe d’un sein », etc.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> SIMPLICITÉ</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">On ne saurait trop reprendre le mot d’Henri Thomas : « Méfiez vous de Dhôtel, méfiez vous de sa redoutable simplicité ». Oui, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">redoutable simplicité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: expression d’une confondante justesse ! En même temps comment en rendre compte, parce qu’il faudrait citer toute l’oeuvre d’André Dhôtel, ou presque ? Il paraît donc préférable de choisir une approche parmi d’autres, et de s’en tenir là.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans plusieurs romans Dhôtel nous met en présence de couples qui se défont, puis se refont à la fin du récit : tels </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(la seconde situation est évoquée dans l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Artistes</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Les dernières pages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">celles des retrouvailles entre Jacques et Viviane, se signalent pas une économie de moyens, le juste ce qu’il faut d’effusion sans plus, l’absence de pathos. Des explications nous sont données. Le lecteur les accepte ou pas. L’essentiel se résume dans cette phrase : « Son histoire était mince comme une histoire d’enfant, mais toute sa vie s’y trouvait en jeu ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans d’autres romans des jeunes gens, qui se connaissent depuis le début du récit, que l’on suit au gré de leurs pérégrinations, finissent, comme apportant un démenti à ce que nous enseigneraient leurs tribulations amoureuses, par recevoir de manière inattendue les flèches de Cupidon (pour alors former un couple). Une thématique commune aux romans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus, Je ne suis pas d’ici </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: elle est abordée avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">seins. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Damien Sorday, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> choisira finalement Pélagie (autant qu’il sera choisi par elle) plutôt que la sensuelle Lola et « l’intellectuelle » Alix. Un choix qui n’est peut-être pas étranger à un souvenir d’adolescence : celui de l’apparition d’une très jeune fille « se baignant nue dans la mer glacée ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pourtant, plus que les quatre romans qui viennent d’être cités, cette « redoutable simplicité » doit être de préférence évoquée avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vers la fin du roman, Émilien Dombe, qui vient de rompre avec avec la vie menée jusqu’alors (en quittant un bon emploi, en abandonnant la possibilité d’épouser Edmée ainsi que le plupart de ses certitudes, pour s’installer dans état d’insécurité, de vacuité et de douce torpeur) rencontre Fabienne à quatre reprises dans la petite ville de Bermont (elle y travaille comme institutrice, alors que lui vit à l’hôtel depuis peu). Lors de leur troisième rencontre, comparable aux deux premières, voire à celles, précédemment, durant lesquelles Émilien travaillait comme chef de culture non loin de Bermont, les deux jeunes gens se donnent rendez-vous pour le dimanche prochain au cinéma.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Avant d’en venir à la quatrième et dernière rencontre, précisons que dans la première page de l’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Émilien rencontre Fabienne à l’angle de la rue Racine et du boulevard Saint-Michel à Paris. Tous deux, d’origine champenoise, se sont connus à la Faculté et terminent leurs études. Il l’invite à boire un verre. Au café ils évoquent leurs avenirs professionnels. Émilien la quitte : il a un rendez-vous. Plus tard, remontant le boulevard Saint-Michel, Émilien retombe de nouveau sur Fabienne. Elle lui propose d’aller au cinéma. « Le film était commencé. Une histoire en couleur à la frontière du Mexique. L’azur. Une fille superbe. Et puis des tas de discussions. Encore l’azur ». Durant le film Émilien réclame un baiser. Elle le lui donne. « Un film sans baiser ça n’a pas de sens. Ce fut le seul d’ailleurs ». Cela, par la suite, va devenir un jeu entre Émilien et Fabienne : à chacune de leurs rencontres (ou presque) il réclamera un baiser qu’elle lui accordera. Ceci doit être souligné parce qu’Émilien sera davantage attiré par la sensualité des filles de Rieux (Jenny, Blanche, Aurore) ou par la personnalité d’Edmée (avec qui il doit se fiancer).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour revenir aux dernières pages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Émilien et Fabienne voient un film comparable à celui vu quelques années plus tôt à Paris. A la différence que durant la projection Émilien ne réclame pas un baiser. Au moment du film où l’héroïne apparait coiffée d’un « chapeau à large bord en paille grossière » (voir l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Merveilleux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) il prend la main de Fabienne. Tous deux sortent un peu ahuris de la salle de cinéma. Dehors ils se livrent à des comparaisons entre les deux films. Citons ici : « En plein milieu de la place, après avoir épuisé le sujet, elle songea à la quitter. Ce fut à ce moment-là qu’ils s’aperçurent que depuis la fin du film, quand il lui avait pris la main, ils étaient restés ainsi la main dans la main. Ils ne s’en étaient pas rendu compte le moins du monde, et ils se regardèrent avec un étonnement presque fantastique. Ils ne pouvaient pas desserrer leurs doigts. Les yeux de Fabienne s’emplirent de larmes. La carillon de la mairie… Alors elle sourit. Il y avait du monde alentour. Elle fit une moue pour signifier un baiser ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est là qu’il faut de nouveau rappeler « la redoutable simplicité » de Dhôtel. Les lignes précédentes n’ont certainement rien de bien prégnant pour le lecteur qui, n’ayant pas lu </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les découvriraient. Et pourtant elles sont essentielles, même bouleversantes si on les replace dans le contexte et la continuité du récit. Un peu comme si la basse continue, dans la partie conclusive d’une oeuvre musicale, finissait par s’imposer à l’étonnement de l’auditeur. Alors qu’à l’écoute, auparavant, cette basse continue se faisait discrète, tout juste audible, comparée à la virtuosité et à l’omniprésence de la ligne de chant (dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le marivaudage amoureux entre Émilien et les filles de Rieux, ou l’engagement du jeune homme envers Edmée). La plaisir est tel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">refermé (mais on pourrait également se référer à plusieurs autres romans de Dhôtel, de ceux qui sont les plus souvent cités dans cet abécédaire), que le lecteur éprouve l’envie de le relire depuis le début. Car dans les dix premières pages du roman (que l’on pourrait trouver banales lors de la lecture), ce qui plus tard fait sens</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">apparait déjà avec la force de l’évidence. C’est en cela que réside, parmi d’autres raisons, « la redoutable simplicité d’André Dhôtel ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> SURGISSEMENT</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La notion de surgissement se trouve pour le mieux exprimée chez André Dhôtel dans le roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quand, guidé par Véronique Leverdier, Maximin Bregand découvre cette clairière dont il a tant entendu parler, ce lieu légendaire et maléfique mais d’une réalité à toute épreuve, où l’on pouvait se perdre et errer durant plusieurs jours avant de retrouver son chemin : « Maximin fut soudain saisi par un espace impossible à définir » dans une étendue « où le regard ne pouvait s’arrêter nulle part et s’éblouissait aux fleurs sans cesse ravivées par l’espace même, qui s’affirmait comme une présence invisible ». Dhôtel dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’y réfère en ces termes : « Ici, au bord de la rivière, il y avait plutôt, sinon la misère ou l’ennui, du moins le fouillis variable et anéantissant des végétations et des heures. Aucune attente d’une vision. Or tout ce qui arrivait (prairie horizontale, violents asters) était vraiment </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quelque chose </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui surgissait. Une lumière inexorable qui traversait la lumière (si j’ose dire) tout autant que la littérature ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci suppose que les personnages de Dhôtel, confrontés au surgissement, se trouvaient préalablement dans un état de disponibilité, d’une disponibilité par défaut s’il est possible de s’exprimer ainsi. Dans la vacuité d’un quotidien banal ce qui arrive alors ne peut apparaître que comme un surgissement. Ce que Dhôtel exprime avec d’autres mots lorsque, dans sa volonté permanente d’errer sans rien chercher il précise : « Et c’est pour cela que certains espaces m’ont sauté au visage ». Plus loin, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">toujours, citons les lignes suivantes, superbes, pour traduite au plus près ce qu’il en est du surgissement avec André Dhôtel : « Les lointains d’une telle route c’est simplement avec ces oiseaux, avec tous les grands oiseaux du pays, milans, hérons, rares cygnes et cigognes, l’image hallucinante d’une immense dispersion qui célèbre au ciel l’imagerie désolante de ces champs indéfinis. Alors tout peut arriver, n’importe quoi, n’importe qui surgir… ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> SURRÉALISME</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Faut-il parler d’un rendez-vous manqué entre André Dhôtel et le surréalisme ? Le paradoxe étant que ce qui les rapproche le plus, le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">merveilleux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, n’a pas été sans entrainer des réserves et réticences des deux côtés, voire des malentendus. Car, reconnaissons-le, le « merveilleux dhôtelien » ne se confond pas avec celui des surréalistes. Pourtant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le miroir du merveilleux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Pierre Mabille contient des pages qui font écho à quelques unes des expressions de ce « merveilleux dhôtelien » (voir l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Merveilleux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Par delà les réserves, réticences et malentendus évoqués plus haut, ou ce qui pourrait passer pour tels sur le question du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">merveilleux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, Dhôtel a durant sa vie d’écrivain entretenu des relations disons problématiques avec le surréalisme. Les rares fois où il s’est exprimé à ce sujet il n’a pas été sans prendre quelque distance. Pour ne pas dire plus. A la fin de sa vie Dhôtel a été jusqu’à déclarer : « Je déteste les surréalistes. Ah ! Je peux vous dire pourquoi d’ailleurs. Parce que surréaliste d’abord ça ne veut rien dire et puis les surréalistes ont leur philosophie. Vous savez que leur école est issue du groupe dadaïste, j’adhérais beaucoup à l’esprit du dadaïsme. Mais à partir du dadaïsme ils ont fait de la philosophie ». Une curieuse attitude venant d’un professeur de philosophie, mais surtout la véhémence du propos étonne chez quelqu’un comme Dhôtel, habituellement mesuré. Il est dommage que notre écrivain ne se soit pas davantage exprimé sur le dadaïsme : ce qu’il aurait pu en dire - en relation avec son oeuvre romanesque - nous aurait particulièrement intéressé.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il semblerait cependant, à le lire auparavant, que son positionnement dans ce cas d’espèce était davantage liée au fonctionnement du groupe surréaliste, dans le sens d’une avant-garde, que de la doctrine surréaliste proprement dite. De l’autre côté, autant que je peux le vérifier, on n’a pas semblé faire grand cas de l’oeuvre de Dhôtel qui pourtant, sous certains angles, n’est pas sans parenté avec le surréalisme (du moins à travers ce qui l’éloigne le plus du réalisme). D’ailleurs je ne suis pas sûr que la plupart des membres du groupe surréaliste de l’après guerre connaissaient Dhôtel, pour l’avoir lu : lequel, je le souligne, était proche de Georges Limbour, un surréaliste de la première heure, dont la partie de l’oeuvre écrite en dehors du surréalisme conserve néanmoins une dette à l’égard de ce dernier. Ajoutons que Limbour - Dhôtel l’appréciait particulièrement en tant qu’écrivain - figure parmi les commentateurs qui ont écrit le plus pertinemment sur lui (même à travers le témoignage fragmentaire d’une correspondance).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un point de rencontre, même ténu, entre les surréalistes et Dhôtel pourrait être ici évoqué : les réticences des uns et de l’autre sur la notion de « mystère » (ce qui n’exclut pas chez Dhôtel son utilisation au pluriel). Un texte d’André Breton de 1936 s’intitule justement « Le merveilleux contre le mystère ». Ceci pouvant être élargi à la notion de fantastique : Breton dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pont-levis, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui introduit </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le miroir du merveilleux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de Mabille) oppose « merveilleux » et « fantastique ». L’oeuvre romanesque de Dhôtel, contrairement à ce qu’on peut lire parfois, ne relève pas du fantastique. C’est ce qu’exprime </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sans toutefois le signifier : cela s’entend entre les lignes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Mais après tout, ce qui rattache Dhôtel par-ci par-là, ou de manière fugitive au surréalisme se vérifie davantage dans des situations romanesques précises, l’attitude de certains personnages ou simplement des détails. C’est le caractère d’une révélation, liée à un souvenir d’enfance, qui redistribue les cartes dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(de la haine à l’amour fou) ; ou « la pêche au merveilleux » à l’aide d’une épuisette dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premiers temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">; ou « l’homme ébloui par la couleur bleue » qu’est Roger Bécaille (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) ; ou le caractère poétique de l’interprétation des signes dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">; ou la promesse merveilleuse et maléfique d’une clairière qui aimante le récit des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">; ou plus encore cette façon de saisir, en les photographiant, fugitivement des visages de jeunes filles qui, ces photos développées, présentent l’avantage de faire découvrir des beautés « non soupçonnées d’abord », que l’on s’évertuera ensuite à rechercher (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il n’a pas encore été question de « hasard objectif ». Mais comment ne pas s’y référer à travers l’exemple suivant, plus personnel. L’auteur de ces lignes, qui préside aux destinées du site </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> depuis 2003, n’a pas été sans être très agréablement surpris (la jubilation le partageant à l’émotion) par la découverte en septembre 2017 de cet extrait suivant d’une chronique de Jérôme Garcin dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’Obs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (rapporté dans le bulletin de « La route inconnue ») : « A la fin de sa vue, le merveilleux André Dhôtel, qui regrettait ses forêts ardennaises, disait qu’un simple brin d’herbe jailli d’entre deux pavés parisiens suffisait à son bonheur, à son espérance ». </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> VOLEURS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Voleurs et cambrioleurs sont bien représentés dans l’univers dhôtelien. Principale figure de cette galerie de personnages, le Sylvestre Baurand des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Premiers temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui s’est rangé et nous est présenté au début du roman comme exerçant la profession d’ébéniste (jadis il fut voleur et escroc, et a d’ailleurs purgé une peine de prison), met fin à de longues années de vie paisible et travailleuse pour s’en aller vivre une aventure de type road movie, laquelle débute par un cambriolage. C’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de Thérèse Pardier, une apprentie cambrioleuse elle.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quant à Roger Bécaille (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) sa vie de réprouvé commence le jour où, enfant, il a volé un collier de perles bleues turquoise sur un marché. La kleptomanie du jeune Antoine Marvaux (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) le met à l’index de la société du bourg le jour où l’on découvre dans le grenier de ses parents le produit de ses larcins (billes de verre, cartes postales, cendriers…). Un passé qui resurgira de longues années plus tard à l’occasion d’un meurtre : comme quoi les réputations ont la vie dure ! Et comment ne pas évoquer le désopilant Bertrand Lumin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), qui dès la première page du roman est surpris la main dans le sac (c’est à dire dans le tiroir-caisse du libraire Garache : celui-ci ayant la malencontreuse idée de faire exceptionnellement une entorse à sa promenade quotidienne en rentrant plus tôt dans son magasin).</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> LISTE DES OUVRAGES D’ANDRÉ DHÔTEL CITÉS DANS CET ABÉCÉDAIRE (AVEC LEUR ANNÉE DE PARUTION)</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Campement </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1930)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1943)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1943)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les rues dans l’aurore </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1945)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le plateau de Mazagran </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1947)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les chemins du long voyage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1949)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme de la scierie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1950)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1952)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premiers temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1953)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le maître de pension </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1954)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mémoires de Sébastien </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1955)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pays où l’on arrive jamais </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1955)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ciel du faubourg </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1956)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans la vallée du chemin de fer </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1957)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mystères de Charlieu-sur-Bar </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1962)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1963)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays natal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1966)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1967)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1968)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1970)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1972)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le couvent des pinsons </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1974)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1975)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1976)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonne nuit Barbara </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1978)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La route inconnue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1980)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1981)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1982)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1984)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vaux étranges </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1986)</span></p>
</li>
</ul>
<ul style="margin-top:0;margin-bottom:0;"><li dir="ltr" style="list-style-type:disc;font-size:14.5pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;margin-left: -18pt;"><p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1990) : ouvrage posthume.</span></p>
</li>
</ul>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: right;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Max Vincent</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: right;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">février 2019</span></p>Abécédaire André Dhôtel A-Iurn:md5:48b12dc04d5bfa1eb13197b50528ba792019-02-18T17:38:00+01:002019-02-18T17:48:39+01:00Max VincentEssais littéraires <p><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-d3078eb1-7fff-d5b9-9f87-f6d53d472f6e"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: center;"><span style="font-size:30pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ABÉCÉDAIRE ANDRÉ DHÔTEL</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">« L’oeuvre de M. Dhôtel est destinée à sauver le romanesque dans un temps où il se perd : l’essence du romanesque, sa vie pure et secrète et non sa projection tapageuse dans des aventures trop faites pour nous surprendre. C’est pourquoi, aux uns elle parait banale et vide, aux autres plutôt invraisemblable. Mais c’est pourquoi aussi, à qui veut bien voir ensemble la fatalité de l’inattendu et l’étrangeté de ce qui nous attend à coup sûr, elle semble naturelle et singulière et passionnante jusque dans sa monotonie, selon le rythme des plus belles histoires romanesques où il ne se passe rien, mais où l’imprévu est toujours imminent</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: right;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Maurice Blanchot</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ce n’est pas raisonnable. Il est question des « gilets jaunes</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> »</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> et je pense à André Dhôtel. On parle de la lutte contre le réchauffement climatique, des menaces liées à la montée de l’islamisme, et je pense à André Dhôtel. Non, ce n’est pas raisonnable ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: right;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’auteur</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La nouvelle nous est parvenue à la manière de l’un de ces orages venus du nord, dont on dit en Champagne-Ardennes que la foudre tombe avant la pluie : la parution en Pléiade de deux volumes d’André Dhôtel ! C’est dire combien de prime abord il y avait de quoi être surpris car rien n’indiquait qu’un tel projet puisse voir le jour. Les Éditions Gallimard, depuis de longues années, ne nous envoyaient aucun signe susceptible de nous alerter un tant soit peu sur l’éventualité d’une pléïadisation que même les plus fervents dhôteliens n’osaient envisager, voire imaginer. D’ailleurs, dès l’annonce de cette parution, plusieurs critiques littéraires s’étonnèrent que ce choix se soit cette fois-ci porté sur un auteur « mineur » (c’est moi qui mets les guillemets) alors que tant d’écrivains méritaient davantage pareil « bâton de maréchal ». L’un d’eux, plus facétieux que ses collègues, évoqua « l’esprit de Jean Paulhan » qui, par l’on ne sait quel tour de malice, avait en l’occurrence soufflé sur la rue Sébastien-Bottin. Et il imaginait dans l’autre monde un Paulhan fort réjoui de constater le trouble ainsi causé par le communiqué Gallimard auprès des professionnels de la profession. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’annonce avait évidemment fait l’effet d’une bombe chez des lecteurs qui persistaient à faire du romancier André Dhôtel l’un de leurs auteurs de chevet. Mais s’ils se dirent tous agréablement surpris, certains d’entre eux, dans un second temps, s’inquiétèrent de ce que l’un de ces dhôtéliens appela « un cadeau empoisonné ». L’image paraissait un peu forte mais traduisait cependant quelque chose d’un sentiment d’appréhension devant une situation à laquelle il faudrait tôt ou tard se confronter. Pour le dire plus crûment : Dhôtel avait-il les épaules assez solides pour soutenir le poids de deux volumes de la Pléiade ? On sait ce qu’il en résulta lors de la parution du premier tome de cette édition. Je n’en dirai mot : ce qui reste de « presse littéraire » s’est largement exprimée à ce sujet (ou pas suffisamment, c’est selon). Enfin pareille actualité Dhôtel devrait nécessairement se prolonger de la réédition par Gallimard de plusieurs romans épuisés (avec une préférence pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les rues dans l’aurore, L’homme de la scierie, Je ne suis pas d’ici, Histoire d’un fonctionnaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), et des volumes des collections Folio et L’Imaginaire devenus introuvables. Du moins l’espérait-on. Il importait également que les autres éditeurs de Dhôtel suivent le mouvement (en privilégiant ici </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">David, Le plateau de Mazagran, Le maître de pension, Mémoires de Sébastien</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> J’avais commencé à rédiger cet </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Abécédaire André Dhôtel </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quand la nouvelle (le communiqué Gallimard) me parvint. J’ai d’abord été décontenancé : devais-je changer mon fusil d’épaule, remettre à plus tard ce projet, voire l’abandonner ? Rapidement, j’ai pris la décision de poursuivre la rédaction de cet abécédaire comme si de rien n’était. Je ne commenterai pas, en regard du premier tome de cette double « Pléiade André Dhôtel », la présentation de ces deux volumes par les responsables de cette édition. Sinon pour indiquer que mon choix, par rapport à celui des maîtres d’oeuvre de ces deux Pléiade, se serait porté en partie sur d’autres titres que ceux ici retenus. Je livre ci-dessous ma liste (première indication sur les ouvrages qui seront le plus sollicités dans les pages de cet abécédaire). Pour le premier tome : les romans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique, Bernard le paresseux, Les premiers temps, La tribu Bécaille, Lumineux reste chez lui, L’azur. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour le second tome : les romans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra, L’honorable Monsieur Jacques, Le train du matin, Les disparus, Des trottoirs et des fleurs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">plus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(un essai posthume).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Malgré ce qui a été indiqué plus haut, il me paraît difficile de ne pas ajouter que dans ce premier tome - je parle de la présentation générale, et des notices concernant chaque roman - j’y ai bien évidemment découvert ce que je m’attendais à y trouver ; mais aussi, dans une moindre proportion, quelques éclairages inédits, bienvenus, et d’autres, moindres, que je qualifierais de discutables. Également, pour finir là-dessus, j’ai été parfois surpris de ne pas y trouver certaines thématiques ou des indications qui me paraissent pourtant, de mon point de vue, essentielles pour saisir dans tous ses registres l’oeuvre d’André Dhôtel. Je veux bien admettre que ce j’évoque ici, du moins sous des aspects particuliers, peut porter à discussion. J’en prends volontiers le risque : cet abécédaire l’illustrant ici ou là, dans quelques unes des entrées du moins. Voilà ce qui m’importait de mentionner sur une édition qui, je le répète, n’a eu aucune incidence sur la rédaction de cet abécédaire, celui-ci ayant été achevé avant cette parution (à l’exception, bien entendu, de cette introduction).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ayant écrit et diffusé en 2013 un petit essai (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dhôtel l’inactuel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">mis en ligne sur le site </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’herbe entre les pavés</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ; puis figurant parmi les liens du site de l’Association des Amis d’André Dhôtel, La Route Inconnue (</span><a href="http://andredhotel.org" style="text-decoration:none;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:underline;-webkit-text-decoration-skip:none;text-decoration-skip-ink:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">andredhotel.org</span></a><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)) sur l’oeuvre de l’écrivain (même si j’en privilégiais certains aspects au détriment de quelques autres), je me suis rendu compte, le relisant, que l’exercice - ce projet d’abécédaire donc - se révélait plus difficile que prévu. En premier lieu il faut évoquer le risque de répétitions. Mais après tout il y a façon et façon de redire. En même temps le procédé de type abécédaire me permettait de revenir dans le détail sur des données propres à certains romans, évoquées sans trop m’y attarder dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dhôtel l’inactuel</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, qui là nécessitaient d’être développées ou traitées depuis un angle différent. Enfin, plus généralement, il m’était possible de disserter avec plus de liberté que dans le cadre d’un essai sur des aspects que de très bons lecteurs de Dhôtel pouvaient eux trouver secondaires, négligeables, et même discutables. En même temps, toujours pour éviter de marcher sur les brisées de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dhôtel l’inactuel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">j’étais en quelque sorte contraint de ne pas revenir sur deux trois lignes de force de cet essai. D’où le caractère d’incomplétude de cet abécédaire, plus ou moins assumé.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> J’ai donc poursuivi la rédaction de cet abécédaire comme si j’étais dans l’ignorance du projet Pléiade concernant Dhôtel. Je prie par avance le lecteur de m’excuser mais j’irai jusqu’au bout de cette démarche, problématique il est vrai, puisque je vais en venir à des considérations qui n’ont plus lieu d’être, qui sont aujourd’hui devenues caduques. Disons qu’il m’importe de les faire connaître pour deux raisons. En premier lieu parce que ce sont les premières qui se sont présentées à mon esprit quand l’idée m’est venue, ayant relu André Dhôtel, d’écrire un abécédaire portant son nom. La question que je posai alors, j’aurais pu également la formuler avec d’autres, des écrivains, des musiciens, des cinéastes, etc, dans la mesure où elle se rapportait aux aléas de la postérité. Sauf qu’avec Dhôtel j’étais pris dans deux mouvements contradictoires. Mais d’abord il convenait de faire le constat suivant. Dhôtel traversait depuis plusieurs années une sorte de purgatoire dont on ne savait pas s’il allait perdurer. Selon la version la plus pessimiste il s’agissait d’un long et progressif processus conduisant à l’oubli (ou presque). Sans exclure, a contrario, la possibilité d’une redécouverte de l’oeuvre de l’écrivain. Une hypothèse plutôt faible au demeurant : rien de bien significatif ne la laissant supposer. J’avais déjà tenté dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dhôtel l’inactuel </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de rechercher les raisons de cette « désaffection », même relative. Je n’ajouterai rien. Mais je reviens à ce que j’appelai plus haut des « mouvements contradictoires ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quand un écrivain, parmi ceux que vous aimez et défendez (en se limitant à ceux nés au XXe siècle) voit son lectorat se réduire sensiblement (parce que ses livres ne sont plus réédités, et que ceux encore disponibles disparaissent des rayonnages des librairies), dont d’aucuns disent qu’il appartiendrait à une littérature « dépassée » ou obsolète, voire révolue (dans le cas où son nom serait encore mentionné dans les colonnes de la presse littéraire) ; ou, pour en venir plus directement à André Dhôtel, que l’écrivain en question se trouve le plus souvent rangé dans la rubrique « littérature pour la jeunesse », ou émargerait dans la catégorie des écrivains régionalistes (alors que, pour se limiter au seul aspect d’un « sentiment de la nature », très présent dés les premiers romans de Dhôtal, viendront plus tard, très progressivement, se greffer des considérations écologiques qui n’ont pas d’équivalent dans le roman hexagonal des années 1950, 1960, et peut-être même 1970), les motifs d’insatisfaction ne manquent pas. C’est un sentiment d’injustice que vous éprouvez de prime abord, lequel n’est pas sans entrer en résonance avec votre sentiment sur les tendances du moment à l’intérieur du champ littéraire, qui recoupent plus ou moins celles que vous inspire l’actualité éditoriale. Enfin il y a de quoi dire et médire quand tant d’écrivains que vous estimez surfaits ou surévalués (sans parler de ceux que des « effets marketing » propulsent sur le devant de la scène) squattent les pages littéraires des gazettes, et au delà. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cependant, dans un second mouvement, n’êtes-vous pas tenté, ceci posé, de penser que le relatif insuccès de Dhôtel de nos jours, ou plutôt que sa lente désaffection auprès du lectorat de romans serait la preuve, dans pareille époque, de la singularité d’un écrivain qui, l’air de ne pas y toucher, nous confronte à un univers romanesque ne ressemblant à aucun autre. Et par conséquent dans un temps où x, y et z sont portés au pinacle, le mot d’ordre envers Dhôtel et quelques autres écrivains de cet acabit serait : circulez, il n’y a rien à lire ! C’est bien entendu forcer le trait, mais ne faut-il pas quelquefois élever la voix pour se faire entendre ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En quoi consisterait donc cette « singularité » ? Cet abécédaire tente d’y répondre d’une entrée à l’autre, sans avoir la prétention d’être exhaustif. On le résumera en disant que les personnages principaux de Dhôtel se signalent par leur façon de marcher en dehors des sentiers battus, leur répugnance à s’installer dans la vie, et surtout leur impossibilité à réussir selon les critères de la société. Il importe d’ajouter que la poésie logée dans les pages de maints romans de Dhôtel n’est pas de celle qui peut apparaître telle. Dans le sens, je précise, où ce n’est pas véritablement du côté du style, d’une phrase poétique diraient certains, qu’on la trouverait (quoique…). N’ai-je pas surpris l’interlocuteur imaginaire qui lit parfois par dessus mon épaule, et confirme ou infirme ce que j’écris, ouvrir ensuite au hasard des pages l’un ou l’autre des romans de Dhôtel, pour lire ici un passage, là tout un paragraphe, puis reposer le volume d’un air dubitatif. Alors ? Sa voix me parvient comme assourdie. Je dois tendre l’oreille pour l’entendre. Dhôtel ne serait pas vraiment un styliste, ai-je cru comprendre. J’ai juste de temps de l’apostropher, avant qu’il ne disparaisse : mais que faites-vous des existences poétiques ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour qui, prenons de la distance, s’efforcerai de vivre poétiquement dans le monde (ou, sans craindre la redondance, de vivre poétiquement sa vie) la lecture de l’oeuvre romanesque d’André Dhôtel est fortement recommandée. Pas tant, l’ayant lue et relue, pour en faire une sorte de vade-mecum, que pour prolonger le rêve, le livre refermé, d’un monde inouï, fabuleux, merveilleux (sachant que les personnages de Dhôtel se signalent par « leurs souveraines attitudes à bouleverser l’ordre convenu du monde »). Celui d’une poésie accordée à nos rêves, en quelque sorte. C’est moi, c’est vous, c’est nous qui le disons, et non ces mêmes personnages. Mais ils l’expriment à leur façon, sans tambour ni trompette, sur le mode singulier, parfois déconcertant (comme le dit l’un d’entre eux : « Il n’y aurait pas de vie si l’on cherchait midi quand midi sonne ») qui n’appartient qu’à André Dhôtel</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les entrées de cet abécédaire : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Amours(s), Anarchisme, Artistes, Bleue, Botanique, Burlesque, Cancans, Chalfour, Classifications, Conventions, Côté Pirotte, Déchéance, Déchiffrement, Détails, Échec, Écologie, Enseignement, Forêts, Gens de peu, Géographie mentale, Grout, Humour, Illuminations, Imaginaire, Imprévu, Incertitude, Inceste, Instabilité, Irréguliers, Lumière, Merveilleux, Midi à quatorze heures, Modestie, Morale, Musique, Nature, Notables, Optimisme, Paresse, Parhélies, Propres à rien, Proscrits, Racines, Religion, Révolte, Rôder, Seconds rôles, Seins, Simplicité, Surgissement, Surréalisme, Voleurs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">AMOUR(S)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est peu dire que le sentiment amoureux innerve en grande partie les romans d’André Dhôtel. Curieusement cette thématique n’a pas été évoquée par l’écrivain dans ses entretiens (ou ses interlocuteurs n’ont pas jugé utile de l’interroger là-dessus). Ni n’a véritablement été traitée par la critique (que je sache), du moins depuis ce que cette thématique amoureuse mettrait en jeu dans un tel univers romanesque. L’adjectif « amoureux » étant polysémique à souhait reste à préciser ce qu’il en retourne avec Dhôtel. Indiquons tout d’abord que l’on ne trouve pas de scène explicitement sexuelle dans ses romans. Le seul qui mentionne une étreinte (dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entre Damien et Lola) se limite à deux phrases : « En un instant il fut dans ses bras et ne sut jamais si elle l’avait attiré ou s’il avait eu un élan inconsidéré. Toujours est-il qu’aussitôt liés ensemble, ils s’étaient livrés à de brûlants transports sans prononcer le moindre mot ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Deux réponses peuvent être données pour expliquer pareille absence chez Dhôtel. La première, subjective, celle de la pudeur de l’écrivain, ne saurait nous dispenser de porter l’interrogation sur le statut même de l’oeuvre romanesque d’André Dhôtel. Celle-ci ne se rattache nullement à la tradition naturaliste initiée par Zola et Maupassant. Pas plus qu’elle n’arbore le drapeau du réalisme. Ce qui n’exclut pas, bien contraire, la présence de sensualité chez Dhôtel. Pour ce qui concerne la sexualité nous sommes dans un registre plus suggestif. Mais la suggestion, après tout, permet de lâcher la bonde à l’imaginaire. Tout le contraire de scènes explicitement sexuelles, souvent répétitives, que l’on croirait dictées par la nécessité d’un cahier des charges : à l’instar de celles présentes dans de nombreux romans contemporains que, pour prendre le seul exemple du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Plate-forme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’Houellebecq, le lecteur a envie de sauter. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> D’ailleurs, j’y reviens, il n’y a rien d’éthéré, d’idéalisé, ou de purement cérébral chez Dhôtel dans ce domaine amoureux. Souvent les jeunes personnages masculins de ses romans ressentent un trouble en imaginant derrière une fine étoffe, une légère voilure ou une tenue négligée le corps d’une jeune fille. D’une manière générale Dhôtel fait appel à tous les registres de sa palette d’écrivain pour traduire les sentiments amoureux et les pulsions érotiques. En en ajoutant le badinage amoureux de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(celui d’Émilien Dombe avec les filles de Rieux). Du côté de la pulsion érotique je renvoie les lecteurs de cet abécédaire à l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">seins</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (dont il faut relever les nombreuses occurrences dans plusieurs romans de l’écrivain).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans l’un d’entre eux (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">il paraît loisible d’évoquer - cela est suffisamment rare chez Dhôtel pour être signalé - un paradoxal « amour fou ». L’écrivain y reprend une thématique déjà abordée dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ou Jacques Brostier s’éprend de Jeanne, sans que les deux jeunes gens qui jadis se sont connus se reconnaissent). Cependant la manière de l’illustrer dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est plus convaincante. Lors de leur première rencontre, Bernard Casmin et Estelle Jarraudet (sur le lieu de travail du jeune homme), sans pourtant s’adresser la moindre parole, ressentent une forte haine l’un envers l’autre. Comme l’évoque plus tard Bernard devant l’un de ses amis : « Il s’est passé quelque chose de très simple. Une sorte de coup de foudre à l’envers. Dès la première seconde j’ai éprouvé à son égard une véritable haine, et je crois que pour elle c’a a été tout à fait pareil quand elle m’a aperçu ». Bernard tout comme Estelle ont cependant l’impression de se connaître, même si cette impression ne repose sur rien de concret. Sur l’aspect irrationnel de la haine, qui dresse les deux jeunes gens l’un contre l’autre à chacune de leurs rencontres je reviendrai plus loin. C’était d’ailleurs pour donner un semblant de rationalité à sa haine qu’Estelle, dès le lendemain de leur première rencontre, s’était s’efforcée de dévaloriser Bernard aux yeux de son employeur en le présentant comme « un homme indigne de toute confiance ». Il faut louer l’art de Dhôtel qui, par petites touches subtiles, au fil de ces rencontres impromptues (au nombre de trois, plus une quatrième provoquée), laisse entendre que la haine chaque fois réitérée par l’un comme par l’autre, relève d’un excès qui ne peut faire l’économie d’un questionnement. Il faut s’arrêter à la quatrième rencontre, la seule provoquée par Bernard, qui se déroule sur le mode habituel, celui d’une agressivité partagée (Bernard Casmin étant venu informer Estelle qu’il a retrouvé le frère de la jeune femme, un frère qu’elle recherchait depuis de longs mois), jusqu’au moment où Bernard réalise qu’Estelle « était nue sous sa robe ». Son trouble se transmet à la jeune fille : « Elle était là devant lui, et Bernard avait la conviction qu’il connaissait depuis toujours ce corps charmant, plein d’une force merveilleuse. Il se sentait désespéré et il constata que les yeux d’Estelle étaient mouillés de larmes ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Quelques mois plus tard Bernard reçoit une lettre qui le bouleverse (la signature plus que le contenu). C’est l’occasion de revenir sur la thématique commune à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Freud analyse sous le nom de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">souvenirs écrans</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> « des témoignages qui mettent en relation la violence d’un refoulé depuis l’apparente insignifiance de son contenu. Ces souvenirs sont positifs et négatifs selon que le contenu est ou non dans un rapport d’opposition avec le contenu refoulé » (Laplanche et Pontalis). On dira donc avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que le négatif devient positif dès lors que la mémoire retrouve la trace de ce souvenir. C’est ce qui se produit avec Estelle tout d’abord, qui se souvient qu’enfant elle passait de longues heures devant une grille de jardin donnant sur la rue (à Boulogne-sur-Mer). Et qu’alors de temps à autre un garçon plus âgé, passant devant la grille, s’arrêtait pour observer la fillette (sans que tous deux prononcent le moindre mot). Ce garçon ne pouvait être que Bernard. Ce que ce dernier confirmera lors de leur ultime rencontre. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Signalons ici que par une sorte de retenue, certainement imputable à la difficulté de conclure un roman se terminant par la disparition tragique des deux jeunes gens (qui quelques minutes plus tôt venaient de réaliser qu’ils s’aimaient, d’un amour longtemps contrarié par cette haine qui les dressait l’un contre l’autre), Dhôtel confie le soin de narrer cette dernière rencontre entre Bernard et Estelle, dans un café d’abord, puis sur une rivière glacée (un soir de tempête de neige), non au narrateur mais à deux témoins, des tiers : la tenancière du café, et une femme habitant à proximité de cette rivière. Jean Paulhan, dit-on, n’aimait pas la fin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sans doute parce qu’il s’agit du seul des romans de Dhôtel se terminant sur cette note tragique. Je ne partage pas cette opinion si elle est avérée. Bien au contraire, par delà l’aspect factuel rapporté, c’est justement cette mise à distance qui rend bouleversant le dernier échange entre deux jeunes gens qui disent vouloir tout recommencer (en se promettant l’un à l’autre). Là encore, la « redoutable simplicité » d’André Dhôtel n’en accouche par moins de l’un de ses plus grands romans. Il est d’ailleurs sidérant que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">paraisse même oublié des bons connaisseurs de l’écrivain.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un tout autre registre, signalons, dans plusieurs romans de Dhôtel, le sentiment fort, pour ne pas dire l’attirance que des personnages masculins éprouvent à l’égard de très jeunes filles, et quelquefois leur réciprocité. Par exemple dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les relations autant difficiles que passionnelles entre Antoine Marvaux et Clotilde (qui a douze ans au début du récit). C’est une attirance réciproque qu’il faudrait évoquer avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme de la scierie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entre le quadragénaire Henri Chalfour et Virginie. C’est aussi un sentiment proche de l’amour (qui s’ensuivra) que Florent Dormel éprouve à l’égard de le jeune Edwige dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’histoire d’un fonctionnaire.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ANARCHISME</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tout au long de la plupart des romans d’André Dhôtel flotte comme un doux parfum d’anarchisme. L’homme n’était pas libertaire ni n’avait à un moment de sa vie fréquenté les milieux anarchistes. Cependant la question reste posée avec l’écrivain dans une oeuvre romanesque dont les personnages se signalent par leur mauvaise réputation, voire leur forte propension à la paresse ou au vagabondage, ou leur volonté d’emprunter des chemins de traverse ; une oeuvre également dans laquelle des personnages se trouvent mis au ban de la « bonne société », ou qui affirment un goût pour le désordre, quand ils ne cultivent pas l’illogisme, ou quelque désir d’ensauvagement, ou encore une inaptitude à tout ce qui chez d’autres fait société. Comment alors ne pas évoquer l’anarchisme ? </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Comme le rappelle Jean-Claude Pirotte, André Dhôtel se défendait d’être anarchiste. Pourtant, lorsque refusant toute assignation, il déclarait (« Je ne suis ni mystique, ni vagabond, ni tellement anarchisant, ni maudit, encore moins distingué et arrivé »), il nous laissait supposer - ce « pas tellement » n’est ce pas - que du moins pour l’anarchisme l’incertitude prévalait. C’est d’ailleurs ce qu’induit Pirotte précisant : « Mais il s’en défendait tellement qu’il devait l’être un peu (mais sans doctrine, bien entendu) ». On renchérira sur ce dernier membre de phrase en constatant l’absence de tout propos libertaire sur les plans philosophique, politique et social chez le romancier Dhôtel, tout en signalant néanmoins la présence de ce qui pourrait être appelé un « principe d’anarchie » à en croire la manière dont de très nombreux personnages de ces romans se déplacent dans l’existence, s’opposent à l’ordre établi, ou refusent toute bienséance. J’irais jusqu’à dire que le poison libertaire se trouve ainsi distillé mieux que ne le ferait un discours anarchiste explicite, susceptible d’indisposer certains lecteurs ou plus généralement de laisser indifférent la plupart d’entre eux. Également, en terme d’assignation, c’est aussi façon pour la « bonne société » chez Dhôtel de désigner certains de ses membres à la vindicte publique. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple, citons celui de la doxa villageoise à l’égard d’Alain Surmat, l’adolescent apprenti couvreur des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mystères de Charlieu-sur-Bar </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « C’est fainéant et anarchiste ». Et « voyou » de surcroit.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bien entendu ce « principe d’anarchie » peut se trouver associé à quelques uns des thèmes qui qualifient l’un ou l’autre aspect de l’oeuvre d’André Dhôtel (ceci étant illustré par maintes entrées de cet abécédaire). Yves Charnet, dans l’article « L’ignorance et l’indignité. Dhôtel selon Pirotte » (texte repris dans l’ouvrage collectif </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lire Dhôtel</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), évoque « la conscience paresseuse de qui s’installe ainsi à l’écart se manifeste par une attention émerveillée à tout ce qui censure l’affairiste affairement des responsables qui investissent leur énergie dans les affaires courantes » pour ajouter qu’un « anarchisme de la lenteur et de la rêverie propose sa dépense improductive pour résister aux pressions d’une société rentabilisant chaque minute du temps humains ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans deux romans publiés juste après la guerre, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les rues dans l’aurore </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">David </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ce dernier ayant été écrit avant guerre, mais refusé par Gallimard), Dhôtel évoque des expériences communautaires. Dans le premier de ces romans il s’agit d’une coopérative d’épicerie s’adressant aux habitants du quartier du Siourd (le plus déshérité de la ville). Le caractère libertaire s’avère plus flagrant avec le second roman : à ce sujet Maurice Nadeau remarquait que le personnage principal, David, « peut être tenu pour protecteur bénévole d’une colonie anarchiste qui s’installe sur ses terres ». D’après Philippe Blondeau, cette « communauté plus ou moins anarchiste (…) n’est pas sans rappeler la communauté fondée par Jean-Charles Fortuné Henry à Aiglement, près de Charleville, au tout début du XXe siècle ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Concluons ici par ce propos d’Armand Robin, poète anarchiste et homme universel, au lendemain de l’attribution du prix Fémina à André Dhôtel pour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pays où l’on n’arrive jamais </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Ce jury s’est honoré en vous donnant ce prix. Et je suis content pour vous. Cependant je suis attristé. Vous avez du talent et donc vous devez être puni. Où va-t-on si le monde auquel nous avons affaire se met, perfidement, à récompenser d’autres que les flics, les médiocres, les ministres ? Je suis sûr que cette insulte sociale que vous n’avez pas méritée (vous n’avez rien fait pour obtenir ce prix) ne vous changera pas ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ARTISTES</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les personnages d’artistes sont plutôt rares chez André Dhôtel. A part les musiciens ambulants du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays où l’on n’arrive jamais, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et Laurepin junior (le condisciple d’Antoine Marvaux dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui n’est qu’un comparse : « C’est un artiste dit Lacrou. Il n’a jamais compris ni comment ni pourquoi il est artiste. Qui peut jamais comprendre une affaire pareille ? Il finira à l’Institut ») la moisson s’avère bien maigre. On hésite à ranger dans cette catégorie le Julien Bouleur du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Village pathétique, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui dit avoir abandonné la littérature et se contente « de composer des poèmes de temps en temps ». Même chose pour l’Angélique Flilan de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays natal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui gagne un peu sa vie en « faisant des dessins pour les journaux ou les livres ». Pas plus (sinon moins) qu’on ne saurait qualifier tel le Maximin Bregant des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: joueur de trompette ou d’harmonica à l’occasion (qui finit par indisposer le voisinage).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Seul le roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">traite de la question de l’art et des artistes. Encore faut-il le faire précéder par cette figure de chanteur des rues (« Un homme encore jeune qui portait une guitare ») que Bertrand Lumin dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entend chanter devant un immeuble, qu’ensuite il aborde lors d’une pause pour lui proposer un engagement (où l’homme toucherait un « cachet raisonnable ») dans le cadre du Comité des loisirs de Romeux. Le chanteur, d’abord interloqué, lui répond : « Tu ne m’as pas regardé. Moi, que j’aille faire le guignol ! Mais, mon bon monsieur, si je ne vois pas un morceau de trottoir et un morceau de ciel, je ne peux pas sortir deux notes. Une chanson ça vient de la lumière et des pavés. Ou alors quoi ? ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est ce que l’on pourrait dire aussi de Léopold Péruvat, le personnage principal de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en y ajoutant maintes considérations sujettes à l’art ; ainsi qu’à la condition d’artiste, sa situation dans la société, et les tribulations qui en résultent. Dhôtel plante malicieusement le décors dés la première page du roman. Il y décrit un paysage de western où figurent au premier plan des cactus sur fond d’orage grondant dans le lointain du désert, et au sein duquel un jeune indien s’évertue « à allumer entre deux pierres un feu qui prenait mal » (alors que l’on entend jouer à l’harmonica l’air de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La vallée de la rivière rouge</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). En réalité cette description joue le rôle d’un trompe-l’oeil puisqu’il s’agit de la cour du pavillon de banlieue (enserré entre des immeubles), lieu de résidence de la famille Péruvat. Seuls les cactus sont vrais (en y ajoutant l’orage qui menace), car le désert (avec ses « hauts cierges de saguero » et son ciel « rougeâtre ») a été dessiné à la craie sur les murs du jardin par Léopold, le fils ainé. Le jeune indien, le benjamin de la famille, s’appelle Guy (on présume que sa panoplie de sioux lui a été offerte lors du dernier Noël). Le joueur d’harmonica n’est autre qu’Amédée, le père de Guy, de Léopold et de Clémence (l’air de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La vallée de la rivière rouge </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">étant ponctué de coups de tonnerre se rapprochant). Amédée, musicien à ses heures, a en quelque sorte reporté ses ambitions artistiques d’antan sur Léopold, un jeune homme dont « le talent de dessinateur, même de peintre », est reconnu depuis l’enfance « par tous ses professeurs ». Cependant Léopold, en bon personnage de Dhôtel, ne semble pas décidé à faire de ce talent quoi que ce soit qui puisse déboucher sur une carrière (et correspondre aux aspirations et désidératas de son paternel, et plus tard de son épouse Pulchérie) : notre jeune homme préfère dessiner à la craie sur les trottoirs.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On apprend que quelques années plus tôt Léopold avait été mis à la porte du lycée parce qu’il lui était venue l’idée saugrenue de peindre sur les murs de l’établissement une fresque non autorisée. Laquelle, sans être signée, portait derechef la signature de Léopold en raison d’antécédents picturaux de moindre dimension : des « créations intempestives » dans les couloirs du lycée. Depuis ce renvoi, Léopold travaille chez un oncle photographe. Une façon pour lui de concilier l’utile à l’agréable : gagner sa vie tout en exerçant une activité de nature artistique, ayant de surcroît l’avantage de lui permettre de traîner dans les rues. D’ailleurs, explique-t-il, « ça rend beaucoup mieux que le dessin (…) On surprend des choses qu’on n’a même pas vues ». Pour Léopold cependant, la question qui se pose n’est pas de celle d’un choix entre deux disciplines artistiques. Comme il le constate : « J’aurais dû travailler le dessin, la peinture, ça m’aurait donné un genre, mais je n’arrive pas à supporter d’avoir un genre ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Un jour qu’il dessine à la craie sur un trottoir, Léopold retrouve Marguerite, une idylle des années de lycée, perdue de vue depuis. Par son intermédiaire il fait la connaissance du frère de Marguerite, Cyrille, sorte d’alter ego de Léopold sur le plan littéraire. Les deux garçons sympathisent, puis deviennent d’inséparables amis. La rumeur publique, entretenue par leurs familles respectives, leur fait une réputation de « véritables artistes » promis à un bel avenir. Cette réputation perdure quand tous deux rencontrent Pulchérie et Clarisse, deux soeurs professeurs stagiaires. Les deux jeunes filles restent d’abord sur la réserve, persuadées d’avoir « affaire à des originaux doués d’une sorte de génie ». En se demandant si elles « pourraient s’entendre avec de pareils phénomènes ». Mais nous savons, Amédée s’en désole, que pour Léopold et Cyrille la seule « façon d’aimer la vie » consiste à « ignorer les avantages qui peuvent se présenter ». Tout en se disant indigné de la manière dont Léopold brade son talent, Amédée subodore cependant que le dernier dessin de l’intéressé sur le trottoir ressemble à s’y méprendre à une déclaration d’amour adressée par Léopold à Pulchérie : son fils étant bien incapable de se déclarer comme tout un chacun !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Finalement diverses circonstances contribuent à jeter Pulchérie dans les bras de Léopold. Les deux jeunes gens se marient non sans qu’auparavant Léopold ait manifesté quelque inquiétude sur son avenir conjugal. N’a-t-il pas constaté lors d’une visite dans un musée que Pulchérie connaissait « mieux la peinture que lui ». Ne va-t-elle pas rapidement réaliser qu’il n’est qu’un « peintre imaginaire », un personnage velléitaire dépourvu de talent ? Dans un premier temps Léopold donne le change, en prétextant des recherches d’ordre photographique, ou qu’il lui fallait s’imprégner de son nouvel environnement pour trouver l’inspiration. Une marge de manœuvre qui se se rétrécit cependant au fil des jours. Tant et si bien que Pulchérie, voulant mettre Léopold au pied du mur, le somme de passer à l’acte. Mais plutôt que de peindre une toile comme son épouse le lui demande expressément (depuis un projet resté à l’état d’esquisse), Léopold, que mécontente l’idée « de remplir une toile comme on remplit un devoir », entreprend en l’absence de Pulchérie de peindre une fresque sur le mur du vestibule : « Une palmeraie avec l’inévitable soleil couchant ». Le lendemain Pulchérie met Léopold à la porte du domicile conjugal (il n’y remettrait pas les pieds avant d’avoir réalisé « une toile qui ait un sens ») en le traitant « d’incapable (…) de simple vantard qui ne songeait qu’à tromper son monde en se faisant passer pour un artiste ». Léopold essaie de se justifier en avançant que « travailler et récolter le produit de son travail c’est de la pure technique », c’était passer « à côté de ce qui est beau », que « si on garde le nez dans la peinture, on ne voit plus rien et il n’arrivera rien jamais ». Autant de justifications qui excédent Pulchérie : « Abruti, feignant. Je ne te parlerai plus jamais ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La colère de Pulchérie va progressivement s’atténuer au fil des semaines : Léopold apprend par un tiers que son épouse ne demande pas qu’il « peigne un tableau génial » elle réclame « juste des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">résultats ». </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Léopold pourrait, par exemple, devenir l’un « de ces artistes qui font connaître leurs oeuvres dans un milieu provincial, mais qui savent aimer la peinture et la faire aimer ». Pourtant cela parait encore insurmontable à Léopold qui a déjà repris ses chères habitudes de dilettante en compagnie de Cyrille. Dans le dernier chapitre on le voit effectuer un énième coloriage à la craie sur une dalle. Un dessin qui changera le cours de l’histoire. Mais laissons le soin au lecteur de le découvrir par lui-même.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ceci précisé on dira que le principal intérêt de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(indépendamment de quelques autres aspects du roman, non traités ici) se rapporte à ce que ce roman met en jeu dans les relations entre l’art et la vie, mais aussi de manière moins ténue entre le vrai et le faux, le simulacre et l’accomplissement. Ce qui n’a rien ici de compassé et de démonstratif avec Dhôtel, et encore moins de pesant. Cette réflexion se trouve parfaitement intégrée au récit, y compris sur le mode humoristique qu’affectionne l’auteur. L’idée première, celle d’un Léopold se défendant d’être un artiste (tout en l’étant à sa façon, et mieux que d’autres) qui donne le la, s’articule avec celle, seconde (jouant le rôle d’un contrepoint), selon laquelle toute posture cacherait une imposture, et réciproquement. Même si Dhôtel ne le dit pas explicitement (sachant que l’explicite chez lui est léger comme une bulle de savon) il y a comme quelque chose d’implicite dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui contribue à remettre en perspective le jeu des apparences et des faux semblants. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il y a différents niveaux de signification dans ce roman que l’on pourrait énoncer de la manière suivante. Celui, d’abord, d’un certain « bon sens ». Léopold possède certes des dons artistiques (reconnus par ses professeurs), mais ces dons non suivis d’effets (dans le sens de résultats concrets) font-ils de lui un artiste à part entière ? Disons alors que Léopold gâche sa vie (du moins celle qu’on lui promettait) en n’en faisant rien. Celui, ensuite, de la doxa pour qui, même si le jeune dessinateur paraît faire preuve de dispositions artistiques, Léopold n’en est pas moins un faux artiste, un imposteur qui se fait passer pour tel (ou qui accepte plus ou moins complaisamment d’être considéré comme tel) pour abuser son monde. Alors que fondamentalement il n’aspire qu’à ne rien faire qui ait un sens quelconque, reconnu par tous (sinon séduire des jeunes filles crédules). Enfin, pour prolonger ce qui a été dit plus haut, posons la question suivante : qu’est-ce qu’un artiste en réalité ? Est-ce l’idée que l’on s’en fait à travers un statut, une situation, la reconnaissance (critique, publique, institutionnelle) ? Léopold se fiche comme de l’an quarante de la réussite (ou n’en a qu’une vague idée), n’a que faire d’une carrière qui l’embarrasserait et le contraindrait. Par conséquent il préfère dessiner à la craie sur les trottoirs plutôt que de peindre avec le souci de créer une oeuvre, et donc de donner pleinement sens à sa vie (selon l’idée dominante, reprise par Pulchérie). Pourtant, plus fondamentalement dirions nous, n’est-il pas en réalité plus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">artiste </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(à l'instar de chanteur des rues de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), lorsqu’il dessine ainsi sans trop y accorder de l’importance ses habituelles compositions à la craie sur les trottoirs, que les artistes reconnus, catalogués, estampillés comme tels, dont nous savons que certains, comme le fils Laurepin dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">finissent à l’Institut ?</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> BLEUE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le fil conducteur de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est autre que la couleur bleue. Ce thème se décline sous deux formes différentes qui parfois se rejoignent quand elles se trouvent toutes deux associées au personnage central du roman, Roger Bécaille : la première se rapporte aux émaux (et à tout ce qui dans la nature y ressemble) ; la seconde aux « yeux bleu pâle, empli d’une clarté inimaginable » d’une fille (l’imaginaire devenant réel, cette couleur se matérialisera dans le personnage d’Émilie).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une première fois Victor Bécaille, le narrateur, flanqué de son inséparable ami et cousin Louis, un autre Bécaille (tous deux étant employés dans l’usine dirigée par Edgar, appelé « le grand Bécaille », leur cousin germain) se trouvent confrontés dés le début du roman à la couleur bleue quand, se promenant le long d’un chemin de halage, une villageoise leur fait remarquer que le canal ce jour-là est « comme de l’émail bleu ». A Victor, ayant rapporté ce propos pour le moins curieux à Edgar, il est répondu qu’il vaut mieux à Aigly se méfier des cancans. C’est le point de départ des investigations de Victor et Louis qui les conduiront à faire la connaissance de Roger Bécaille, leur oncle (personnage réprouvé dans le bourg d’Aigly, voire dans la région). Comme l’expliquera Roger aux deux jeunes gens : « Les choses bleues me pourchassent ». Ceci depuis le jour où, enfant, il avait volé sur un marché un collier de perles bleues turquoise. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Peu de temps après le père de Roger Bécaille décédait. Il lui léguait une montre ornée d’émaux bleus. Puis tout s’enchaîne. On soupçonne Roger d’être le dépositaire d’un secret confié par le père avant de mourir à son garçon. Le secret de l’emplacement d’un trésor que l’on dit constitué par des émaux bleus. En but à de multiples questionnements (ses frères ainés, la population locale), Roger choisit de ne pas répondre, de se mettre ainsi « les gens à dos ». Il le précise en ces termes à Victor et Louis : « Je voulais que personne ne sache ce que j’avais vu réellement, qu’on me déteste, mais qu’on ne se moque pas de moi ». Il ajoute que c’est en raison de cette « couleur bleue » qu’on devait l’accuser « plus tard des pires forfaits ». Cependant, au fur et à mesure que Roger raconte sa vie, il apparaît aux yeux de ses neveux comme un « homme ébloui. L’unique vestige de sa vraie pensée c’est une couleur ou une voix ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le couleur bleue également c’est celle des yeux d’une petite fille que Roger, enfant, vit ou cru voir le soir où, dans une auberge, son père l’entretint de ce trésor, de ces émaux bleus : un discours dont Roger ne retint que des bribes. Beaucoup plus tard, Gaétan, autre neveu de Roger Bécaille, déposera chez lui sa fille Émilie, une enfant dont les yeux bleus « avaient la douceur des fleurs de chicorée et étincelaient comme des pierres précieuses ». Un passage de relais est en quelque sorte effectué, toujours par le biais de la couleur bleue, puisque la population d’Aigly hésite entre la fascination qu’exerce Émilie (en raison de ses magnifiques yeux bleus) et la réprobation (eu égard l’indépendance et la sauvagerie de la petite fille). La fillette deviendra aussi une réprouvée à l’instar de son grand oncle Roger.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Comme on le voit à travers ces exemples la couleur bleue contamine le récit. C’est elle qui lui donne cette imprégnation poétique que l’on retrouve dans les meilleurs romans d’André Dhôtel. C’est également l’une des portes d’entrée de ce </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">merveilleux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dhôtelien que les termes « féérie » et « mystère » ne sauraient épuiser, bien au contraire, avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans l’un des plus beaux passages du roman, Roger Bécaille, durant la dernière guerre, autant pour échapper aux autorités allemandes qui le recherchent qu’à d’éventuelles représailles de la part des villageois, se réfugie dans le petit bois qu’il possède, qui se révèle en raison de son opacité et de sa sauvagerie un lieu propice à le dissimuler et à dissuader quiconque voudrait l’investiguer. La faim tenaille l’estomac de Roger qui essaie de s’en abstraire en se concentrant sur le ballet des mouches et des abeilles tout autour de lui. Un « objet de méditation » qui l’entraîne à se perdre dans des « considérations affolées » celles du « violet métallique » se confondant avec « le noir absolu » des « abeilles xylocopes », pour finalement penser qu’a contrario « un certain bleu pouvait se mêler à la lumière pure et absolue ». Cauchemar « de l’homme qui a faim », précise alors Roger. Au même moment, levant la tête, il découvre des mésanges bleues. Et « comme ces mésanges volaient dans le ciel au-dessus du taillis, on voyait presque le bleu disparaitre et devenir une lumière nouvelle ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La merveille existe bien évidemment à l’état naturel. Encore faut-il la trouver, la débusquer, la reconnaître. C’est ce dont nous entretient Dhôtel avec la couleur bleue dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La tribu Bécaille. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il s’agit bien entendu d’une quête poétique. Pourtant l’auteur ne nous suggère-t-il pas que la poésie peut être donnée dans la moindre affectation ? Citons la dernière phrase du roman (qui fait écho à celle où se trouve pour la première fois évoquée la couleur bleue) : « Mais pendant longtemps, à Aigly, le premier venu vous dira que le canal est comme de l’émail bleu ». Une phase qui se trouve précédée dix lignes plus haut par celle, dite par Roger Bécaille : « Je crois que c’est au bord du canal que je mourrai, et que ce jour-là, et bien plus tard je verrai encore ses yeux ». Les yeux bleus d’Émilie, sans doute, mais peut-être aussi ceux de la petite fille vue ou rêvée jadis dans l’auberge du canal…</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> BOTANIQUE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">En éliminant les essences végétales communes (ou relativement connues), quel écrivain dans son oeuvre romanesque a cité les noms de plantes (ou d’arbres) qui suivent : achillée millefeuille, alchémille, angélique, asplénium septentrional, brome, cardère, centaurée, chérophylle penché, épilobe, épine vinette, erythrée, vinaigrette, matricaire, mélampyre, nivéole, ombellifère, osmonde royale, peigne de Vénus, pigamon, polyganatum verticale, rubanier, scabieuse, scrofulaire, séneçons des sarrasins, tanaisie, valériane… C’est André Dhôtel bien entendu. Il ne faudrait pas croire là que l’écrivain fait preuve de pédanterie, de cuistrerie, ou qu’il veut en mettre « plein la vue » au lecteur ignorant qui n’en peut mais. A ce sujet, sur les ondes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">France Culture</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> en 1976, lors d’un entretien radiophonique avec le naturaliste et mycologue Georges Becker, ce dernier constatait devant Dhôtel : « Il me semble que toutes les fois que vous citez une plante - et vous en citez beaucoup - vous les citez bien et vous les connaissez. Toutes les fois que vous citez une plante, elle prend une existence propre, elle n’est pas là pour faire bien, mais elle est là parce qu’elle doit y être, elle est un véritable personnage qui existe en elle-même et qui ajoute à tout ce qui l’entoure. Ce n’est pas seulement un dessin pour animer ce qui entoure les personnages, mais les fleurs, les plantes, les arbres, que vous citez, sont toujours exactement où ils doivent être et ils finissent par faire partie de l’histoire elle-même ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> BURLESQUE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le burlesque dont il est question se rapporte à quelques uns des personnages secondaires des romans d’André Dhôtel (voir l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Seconds rôles</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). La palme revient ici aux duettistes Durand et Falort de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ceux-ci, compagnons de jeu du jeune Antoine Marvaux, apparaissent dans le roman comme des garçons ayant « toutes les apparences du sérieux. Parfaitement ahuris d’ailleurs et prétendant ne s’intéresser à rien ». Durand et Falort initient Antoine à leurs jeux, dont celui de « rester des heures étendus à regarder le ciel, jusqu’à ce qu’ils voient un nuage qui ressemblerait au maire de Flagy, ou à tout autre notable ». De longues années passent. Un beau jour Antoine retrouve les deux compères, devenus les tenanciers du bazar de Flagy. On trouve de tout chez DURAND et FALORT comme à la Samaritaine, mais nos deux commerçants bien pourvus en marchandises de tout genre (« Des coquetiers en bois, d’autres en faïence avec une raie bleue, des coquetiers d’inspiration romantique en opaline ornés d’oiseaux en relief, d’autres avec des fleurs roses ou barbeaux ou bleuet, pour tous les goûts de notre clientèle ») sont le plus souvent infichus de retrouver les articles demandés par cette même clientèle. Comme l’explique Durand à Antoine : « Un bazar c’est un bazar. L’affaire essentielle c’est d’avoir tous les articles imaginables, et forcément il arrive que les choses se mêlent ». Ce qu’Antoine vérifie un peu plus tard : « Parmi les cannes à pêche on apercevait des flutes et des banjos. A une incroyable pile de parapluies noirs et multicolores se succédaient des serviettes et des costumes de bain ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> CANCANS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Maurice Nadeau a écrit : « Mais avec Dhôtel le cancan prend de singulières proportions. Il grossit, s’enfle et se transforme jusqu’à devenir une chanson de geste, l’épopée de toute une contrée ». D’un bout à l’autre de l’oeuvre d’André Dhôtel les cancans tiennent il est vrai une place de choix. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">depuis un propos de Florent Dormel, l’auteur donne quelque clef sur les place et raison de la cancanerie dans l’univers dhôtelien : « - D’abord, dit Florent, ce sont des inventions. Ca se présente comme les cancans de mon village. C’est à dire qu’on parle, qu’on parle, et qu’il n’y a rien au fond. Un tel a fait un héritage, un tel a enterré de l’argenterie dans son jardin, un tel est amoureux d’une tzigane qui est la fille naturelle d’un sénateur. - Tu veux dire que ça ne tient pas debout ? - Plutôt ça s’organise trop bien comme une histoire qu’on invente. Ca peut intéresser les gens du beau monde, mais pas un garçon comme moi ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il y aurait deux façons d’illustrer le cancan chez Dhôtel. Dans la lignée de ce qui vient d’être avancé avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la cancanerie est présentée sous son aspect dépréciatif et péjoratif : maints personnages, parmi les principaux, des romans de Dhôtel y sont confrontés. Le cancan a cependant dans d’autres pages une tout autre fonction. André Dhôtel raconte dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que parfois ses réticences à parler, pour ne pas se « mettre en peine d’entrer en conversation », l’ont conduit à préférer écouter, voire « passionnément », ce qu’il range sous la rubrique « cancans ». Dhôtel évoque même, depuis « certaines chroniques d’un ordre supérieur (…) les finesses des cancans ». Non sans ajouter : « Hors littérature », il va de soi. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> A travers le portrait de Lisa, « une femme de lessive », que le jeune Dhôtel aimait écouter, le cancan devient alors épopée (pour reprendre le mot de Nadeau). C’est tout un monde « aussi familier que fantastique » qui apparaît via les « déclamations » de Lisa. Quand Dhôtel écrit : « La principale attraction consistait à remonter l’origine des histoires et à imaginer des conséquences invraisemblables » nous supposons qu’il évoque certes le « torrent de paroles inépuisable » de Lisa, mais également l’écrivain qu’il est ensuite devenu, donnant ainsi une précieuse indication sur la manière dont s’organise sous sa plume un récit. En même temps, le portrait de Lisa se précisant, nous avons perdu de vue le cancan : notre « femme de lessive » se révélant être une conteuse.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> CANCRES</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">André Dhôtel a enseigné la philosophie durant sa vie professionnelle. Ce qui donne encore plus de relief à cette entrée, puisque les figures de cancres abondent dans son oeuvre romanesque. Dhôtel reconnaissait avoir choisi l’enseignement (voir l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Enseignement</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) pour les vacances. Au sujet d’une période datant des années 1920, où le futur écrivain enseignait à l’Institut d’études supérieures à Athènes, Dhôtel déclarera cinquante ans plus tard : « Cinq heures de cours par semaine seulement et cinq mois de vacances. C’est un bon équilibre. C’est ce que j’appelle moi la « civilisation » ». Et nous donc !</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dhôtel tout au long de sa vie a réitéré son goût pour l’école buissonnière. Comme il le disait : « A l’école buissonnière j’ai appris à être un écrivain qui ne peut travailler qu’en dehors des normes, des fonctions, des données officielles ». Voilà une « profession de foi » qui vaut un long discours ! On sait aussi que Dhôtel, rétif à toutes étiquettes, acceptait volontiers d’être traité de cancre. Ce qui nous renvoie indirectement à l’entrée </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Paresse</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> de cet abécédaire, notion récurrente chez un écrivain qui, pour parfaire le tableau, écrivait dans son lit (mais coiffé de son chapeau).</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> CHALFOUR (Henri)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Personnage principal de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme dans la scierie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Henri Chalfour est peut-être le moins dhôtelien des « héros » de l’écrivain. Ceci dans un récit d’une facture plus classique que les autres romans d’André Dhôtel. Chalfour se présente au lecteur alors que tous le croyaient mort, puisqu’ayant disparu depuis des semaines du chantier de la scierie où il travaille comme manoeuvre depuis plus de 15 ans. Nous sommes en juin 1918, et Chalfour a été démobilisé quelques mois plus tôt à la suite d’une blessure.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le roman est divisé en deux parties. Dans la première Chalfour, devenu presque amnésique à la suite de l’agression dont il a été victime (agression due au contremaître Thénard qui lui voue une haine inextinguible depuis une dizaine d’années) va progressivement retrouver sa mémoire au fil des chapitres. Nous reconstituons sous forme de fragments, à la manière d’un puzzle, des lambeaux d’une vie nous parvenant chronologiquement d’un chapitre à l’autre. Parallèlement aux tribulations de Chalfour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme de la scierie </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tient de la chronique familiale, celle des Joras, les châtelains de ce lieu de la moyenne vallée de la Seine, et propriétaires de la scierie où travaille Henri Chalfour. Le roman fait s’entrecroiser, directement ou indirectement, l’histoire de Chalfour et celle de la famille Joras (qui possède également une demeure en Normandie, où l’action se déplace momentanément durant la seconde partie).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans la famille Joras, la fille aînée, Éléonore, prend plus de place que les autres membres : son indépendance, son volontarisme, ses extravagances et son mépris des conventions (aimant les hommes tout en les méprisant, et disant être « une putain ») en font le pendant féminin de Chalfour. Pourtant tout les oppose, sur le plan social tout d’abord, à l’exception d’une même volonté de fer et d’indépendance (qui chez Chalfour s’accorde avec les adjectifs « têtu » et « obstiné »). Et puis Henri Chalfour est un taiseux. C’est ce qui rend ce personnage particulièrement attachant (à la mesure de la « force tranquille » qui habite le personnage). Pourtant cet attachement-là ne peut être comparé à celui qu’habituellement le lecteur éprouve à l’égard des personnages des romans de Dhôtel. D’où, reconnaissons-le, nos sentiments contrastés à la lecture de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme de la scierie. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Avec comme l’impression que dans ce roman ambitieux (qui par certains aspects, sous l’angle par exemple de la chronique évoque le Giono du cycle des « Chroniques » justement, ou le Richard Millet de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La gloire des Pytres </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ma vie parmi les ombres</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Dhôtel a sans doute hésité sur la manière d’agencer son récit ou de lui donner la forme adéquate. D’ailleurs la seconde partie, plus dhôtelienne que la première, parait parfois décalée et pas toujours en phase avec la précédente. A croire que Dhôtel a voulu se lancer dans la rédaction d’un roman plus classique que les précédents, pour prouver ou se prouver qu’il était capable d’en écrire un, mais que le naturel dhôtelien reprenant le dessus il n’a pu véritablement mener à bien le projet se dessinant dans la première partie.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bien sûr, je force ici le trait, seules mes impressions de lecteur me permettent de tenir pareille hypothèse. Pourtant le relatif insuccès de ce roman en 1950 (à l’aune de son ambition), plus l’indication qu’il ne s’est pas plus tard retrouvé dans une collection de poche, lui donneraient quelque crédit. Remarquons aussi que dans le roman suivant, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">André Dhôtel donnera la pleine mesure de la singularité (toute dhôtelienne) qui le distingue des écrivains de sa génération. Il ne faudrait cependant pas bouder </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme de la scierie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui par delà le personnage Henri Chalfour (que le lecteur n’est pas prêt d’oublier, d’où cette entrée) nous comble sur le plan romanesque. Mais l’aurais-je lu sans connaître le nom de l’auteur, ce roman m’aurait-il intéressé de la manière dont je viens d’en rendre compte (en dépit ou à cause des quelques réticences exprimées) ? Je n’en suis pas certain.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> CHANGEMENT</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le désir de changement revient de façon explicite ou implicite dans maints romans d’André Dhôtel. On se croit obligé de préciser que la notion de « changement » de nos jours ne signifie pas toujours un « changement pour le mieux et le meilleur » : cette rhétorique étant reprise par l’extrême droite (le changement pour le pire, soit). Ceci dit revenons à Dhôtel. Le changement c’est ce à quoi aspirent dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premiers temps</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sylvestre Baurand, Thérèse Pardier et leurs nouveaux amis</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">des marginaux vivant dans le quartier déshérité d’une cité urbaine. Même si ce changement n’est pas ici réductible à son seul aspect social. Julien, le frère de Sylvestre, n’est pas sans lui reprocher : « Il croit toujours qu’on peut changer le cours de la vie, mon frère ». Un Sylvestre qui devant Gustave et Raymond déclare, : « Mais j’espère que ça va changer ». Quoi, demandent-ils ? « J’ai comme l’idée qu’il va se produire des événements », leur répond-il. Il parait possible que Dhôtel dans ce roman entende se référer mezza voce à son cher Arthur Rimbaud. Cela est d’ailleurs dit, comme ça en passant, par Sylvestre : « On cherche à changer la vie ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Jacques Soudret (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) aspire dans la seconde moitié du roman à un « désir violent de changement » qui passe chez lui par l’inconduite, la perte, la possibilité d’une catastrophe. C’est quelque chose de comparable qu’a perçu Jean-Claude Pirotte quand, relevant la tendance de « critiques un peu superficiels » à vouloir circonscrire l’univers dhôtelien à la féérie, il insiste sur le « comportement radical » des personnages de Dhôtel et leurs « souveraines attitudes à bouleverser l’ordre convenu du monde ». Dans le même ordre d’idée Pirotte écrit que ces mêmes personnages sont tenaillés « par l’esprit d’un renouvellement total », d’une « rupture inespérée dans l’ordre des choses ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette terminologue peut prendre un aspect inattendu lorsqu’André Dhôtel, dans les entretiens de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’école buissonnière, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tisse la métaphore du « changement » depuis le massif des Ardennes en évoquant une « remise en cause incessante ». Dhôtel décrit le relief ardennais comme étant « fascinant et désordonné », où « tout change tout le temps ». Ici notre écrivain, qui en cite un autre, ne se réfère pas comme on pourrait le supposer à Rimbaud, mais à Daumal qui recommandait « de se remettre en question en permanence ». D’où l’explication plaisante : « En effet c’est le propre de ce lieu de se remettre sans cesse en question, pour le plaisir, pour voir comment cela va tourner ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une dernière fois, dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dhôtel reviendra sur le motif : « En vérité les gens éprouvaient tous le besoin que leur vie change tant soit peu. Ils en avaient assez de mener leurs jours à fonder des familles, à amasser de l’argent, à s’embaucher dans une religion ou une politique. Il leur fallait faire des contes qui tôt ou tard se dissiperaient en fumée ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> CLASSIFICATIONS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Classer, catégoriser, distinguer les romans d’André Dhôtel s’apparente à une gageure. Pourtant, depuis l’indication suivante, il paraît possible et même souhaitable de se livrer à une première classification. Tous les bons connaisseurs de Dhôtel s’accordent sur ce fait : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pays où l’on n’arrive jamais, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui reste son roman le plus connu, joue un tant soit peu le rôle de l’arbre qui cacherait la forêt. Cela finit par devenir préjudiciable dès lors que l’oeuvre de Dhôtel, presque trente ans après la mort de l’écrivain, s’effacerait très progressivement du paysage romanesque faute de pouvoir renouveler son lectorat (André Dhôtel n’étant pas le seul, certes). Donc réduire cette oeuvre au </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays où l’on n’arrive jamais </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’est pas sans contribuer à ce processus d’effacement (quoi qu’on puisse penser de ce roman par ailleurs). D’où la nécessité de ranger </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pays où l’on n’arrive jamais </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans ce que l’on pourrait appeler la « veine mineure » du romancier, sans pour autant que cela prenne une tonalité péjorative avec Dhôtel (mineur s’entendant dans les deux sens du terme) : une veine qui se rapporte aux romans s’adressant principalement à un lectorat jeune, voire adolescent (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le neveu de Parencloud, Les voyages fantastiques de Julien Grainobis, L’île aux oiseaux de fer, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour ne citer que ceux-là). On serait tenté d’y ajouter </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mystères de Charlieu-sur-Bar, Le Mont Damion, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">voire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La route inconnue.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette première classification faite, le même exercice, pour le reste, s’avère plus difficile. Certains romans, plus ambitieux que d’autres, n’ont pas toujours les moyens de leur ambition. Si cela paraît excessif disons qu’ils suscitent des réserves. Pour ne prendre qu’</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ce roman (ceci n’a rien d’un hasard) se signale par une longueur peu usitée chez André Dhôtel. Il comporte de belles pages, peut-être les plus attachantes écrites par l’auteur sur ce que j’appellerai « l’illumination propre à Dhôtel « , ici associée à la nature. En revanche ce roman pêche par la façon dont se construit le récit et parfait parfois redondant. Le </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">merveilleux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">même convoqué parait un tantinet affecté. Le lecteur peut aussi se perdre dans la surabondance des signes. Pourtant, malgré tout, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’une fonctionnaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">comporte maintes indications précieuses, de celles dont on dira qu’elles nous permettent de mieux comprendre comment « fictionne » l’univers romanesque dhôtelien.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est moins le cas avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonne nuit Barbara, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un roman en partie raté. Sans doute parce que le personnage principal, Arnaud Virier, s’avère trop caricatural. Cette caricature (celle d’un indécrottable citadin, « obligé » de vivre en province dans une maison isolée au milieu des bois, la nature se révélant généralement hostile) aurait gagnée à être endossée par un personnage secondaire. L’alter ego d’Arnaud, Barbara, n’a pas l’épaisseur romanesque ou la singularité de quelques uns de ses équivalents dans d’autres romans de Dhôtel. Et puis le happy end quelque peu forcé ne convainc pas. Pourtant le genre d’excès propre à caractériser le personnage (Arnaud Virier) dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonne nuit Barbara </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ne se retrouvait-t-il pas déjà auparavant chez le Bertrand Lumin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(même si la nature de cet excès diffère) ? Mais dans ce dernier roman cette « charge » ne suscite aucune réserve (il y a une tonalité d’emblée présente dés les premières pages désopilantes de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, que l’on retrouve tout au long du roman) alors dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonne nuit Barbara </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le récit se révèle trop relâché.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Évoquons une autre classification, plus ténue. Si l’on s’attarde sur les deux “ premiers ” romans de Dhôtel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(je mets volontairement de côté </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Campement, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">largement antérieur, un roman qui ne me semble pas vraiment représentatif de la « Dhôtel touch » : ici pour une fois je me sépare de Jean-Claude Pirotte relevant « l’insinuante présence » du « romanesque dhôtelien » dans ce roman datant de 1930), on constate combien l’univers propre au romancier Dhôtel apparait déjà de manière flagrante depuis des thématiques, la description de personnages, et les milieux dans lesquels ceux-ci évoluent. Cependant ces romans, qui tous deux annoncent l’oeuvre à venir, mériteraient d’être distingués selon les critères suivants : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">est plus « écrit », plus construit, plus sociologique d’une certaine façon, voire plus ambitieux dans son propos, tandis que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se signale par sa fluidité, apparaît plus décalé, moins construit sur le plan narratif (plus poétique peut-être). Le fait que le premier se situe dans un milieu rural et le second dans un monde urbain et citadin joue le rôle d’un trompe l’oeil. On pourrait, depuis </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’un côté, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">de l’autre, classer les romans à venir dans l’une ou l’autre de ces filiations. Un exercice qui comporte sa part d’arbitraire parce que nous aurions en premier lieu les « meilleurs » romans de Dhôtel (plus quelques autres, relevant d’une « veine réaliste »), et de l’autre des romans qui paraissent moins ambitieux sans pour autant céder sur le plan de la singularité propre à l’écrivain (et peut-être plus à mêmes de présenter des garanties sur le plan poétique). Par conséquent j’en resterai là.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> CONVENTIONS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Certains usages, relevant de codes sociaux quelquefois immémoriaux, perdurent dans l’oeuvre d’André Dhôtel, quand bien même l’évolution de nos sociétés réduirait la place et l’importance de nombre d’entre eux, ou en videraient d’autres d’une partie de leur substance. Cette remarque vaut surtout pour les romans des années 1970 et 1980. C’est particulièrement flagrant avec la question du mariage, récurrente chez Dhôtel, dont les effets prescripteurs ou pas conditionnent dans une certaine mesure les comportements des personnages qui y seraient assignés (par ceux qui s’efforcent de mettre en place un projet matrimonial). Dans l’esprit des « prescripteurs », membres de la « bonne société » ou parents « bienveillants », le mariage représente souvent la meilleure façon de stabiliser l’un ou l’autre de ces jeunes gens qui n’aspirent qu’à marcher en dehors des sentiers battus (quand ils ne marchent pas « à côté de leurs pompes ») : le mariage jouant ici un rôle stabilisateur ou normalisateur. Cela, soulignons le, n’étant pas sans paradoxalement relativiser l’institution du mariage puisque généralement rien n’advient avec Dhôtel dans le sens espéré par ces prescripteurs, personnes se voulant bien intentionnées. A croire que les échecs qui en résultent accroissent encore plus l’irresponsabilité des candidats plus ou moins forcés au mariage. Il va sans dire que l’irresponsabilité n’est pas connoté négativement chez Dhôtel. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’institution du mariage donc, vue sous cet angle, relève d’un enjeu social que nos jeunes héros dhôteliens déjouent par souci de ne pas s’installer dans le monde d’une manière ou d’une autre (qu’ils en soient conscients ou pas). Jacques Brostier (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">part) étant le premier de la liste. On n’en constate pas moins que cette référence maritale, j’y reviens, reste présente dans les romans écrits durant les décennies 1970 et 1980. Ici Dhôtel ne serait pas sans cultiver un archaïsme susceptible de rendre circonspects sur ce point précis les lecteurs nés après la fin des années 60. Encore faut-il replacer cette incidence dans l’oeuvre entière d’André Dhôtel, d’une rare cohérence, dois-je le préciser, pour savoir de quoi il retourne.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">CÔTÉ PIROTTE (le)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il y a manière et manière de lire André Dhôtel. Sans vouloir remonter aux années 1950, pour mettre en balance par exemple un « côté Nadeau » et un « côté Paulhan » (afin de citer deux écrivains - bons lecteurs de Dhôtel - dont les articles le concernant diffèrent sensiblement, et qui accessoirement ne s’appréciaient guère), voire un « côté Blanchot » (qui est lui de tous les côtés), cette façon de privilégier malgré tout certaines lectures par rapport à d’autres justifie, pour l’auteur de ces lignes, l’existence d’un « côté Pirotte, que l’on opposerait par exemple, toujours s’il fallait citer un nom (sans ignorer ce que l’exercice peut avoir d’arbitraire), à un « côté Bobin ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Refermons la parenthèse. Jean-Claude Pirotte étant plusieurs fois cité dans cet abécédaire (voir les entrées </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Anarchisme, Classifications, Géographie mentale, Irréguliers, Lumière, Nature, Optimisme, Religion</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), il parait donc inutile de reprendre ce qui est par ailleurs mentionné. Sinon pour citer cet extrait d’entretien suivant (dans l’ouvrage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lire Dhôtel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">coordonné par Christine Dupouy) : « Je ne voyais dans les histoires racontées par Dhôtel que le côté vagabond, trainard, paresseux, jean-foutre, qui ne veut pas aller à l’école ; le côté buissonnier de Dhôtel, c’était quand même cela qui me permettait de croire que j’avais le droit d’exister ». Voilà de quoi illustrer, littéralement parlant, ce « côté Pirotte ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les lignes suivantes de Jean-Claude Pirotte (extraites de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La légende des petits matins</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), ne pouvaient être écrites que par lui (mais n’y entend-on pas, en contrepoint, la voix d’André Dhôtel ?) : « Je l’ai dit, j’abomine le travail. Aucune activité n’exalte en moi cette certitude des lendemains qui m’afflige et m’étonne chez mes contemporains affairés. Ou chez les calmes au front droit qui ruminent avec componction les nourritures d’un sens commun de prisunic. Oui, j’abhorre le travail. Mais à cet échalas de haine s’accrochent des poussières d’étoiles, qui forment comme une torsade de regrets. Si la vie m’en avait ménagé le loisir, qui sait ? Je fusse devenu le tonitruant homme d’action qui plie le monde afin de l’arrondir et déplie l’agenda des jours avec des jours avisés de repasseuse ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> DÉCHÉANCE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Si le verbe déchoir parait excessif pour traduire chez de nombreux personnages d’André Dhôtel le sentiment d’une perte, d’un abaissement ou d’une chute, dans trois romans parmi les meilleurs la déchéance dont il est question n’a pas chez Dhôtel le caractère péjoratif qu’on lui prête habituellement. Ou, pour le dire autrement, cela dépend de quel point de vue l’on se place (comme qui dirait : déchoir encore !). D’ailleurs le mot (déchoir, déchéance, déchu) ne se retrouve pas en l’occurrence sous la plume de Dhôtel. Pourtant il semble plus approprié que d’autres si l’on prend en considération le regard que le monde environnant, la société, la parole cancanière portent sur ces personnages. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Et puis pour déchoir faut-il partir d’un haut pour se retrouver en bas. C’est le cas de Bertrand Lumin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) qui après avoir initié et présidé le Comité des fêtes de la ville de Romeux (et être ainsi devenu, lui l’ancien </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">propre à rien</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, une sorte de notable) s’exclut du jeu et finit par échouer dans un village où il va petit à petit se clochardiser (localité où Bertrand du temps de sa prospérité avait passé des vacances). Lumin s’y adonne à la boisson, exerce des petits boulots (devenant de plus en plus rares), et devient presque aphasique. Une épave en quelque sorte.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans deux autres romans de Dhôtel ce sentiment de déchéance prend davantage de relief en fonction du regard que la société, celle de la bourgeoisie de Bautheuil dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ou des campagnards de la Saumaie avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">porte sur les deux principaux personnages de ces romans. Dans le premier, la déchéance de Bertrand Casmin, mis au ban de la « bonne société » de la ville, se transforme en chance puisqu’elle lui permet de rencontrer la petite communauté d’amis réunis autour de de M. Courroux : des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">gens de peu</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> attachants, avec qui Bernard va se lier.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est certainement avec Jacques Soudret (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) que le mot déchéance prend le plus de signification. Jacques - docteur en pharmacie, chercheur dans un laboratoire parisien, paraissant promis à une brillante carrière - jouit d’une opinion favorable à Bercourt, son bourg natal, où il revient de temps à autre pour aider son père, le pharmacien local. A Bercourt comme dans la Saumaie (dans le même canton : trois villages lotis au sein d’une nature demeurée en partie sauvage), la « vie régulière » du jeune homme et son appartenance à cette « catégorie de citoyens dont la conduite ne donnerait jamais lieu à la critique » ne peuvent que contribuer à cette bonne réputation. Cependant, à la suite d’un mariage malheureux, cette belle machine va peu à peu se dérégler. Jacques, après plusieurs allers-retours entre Paris et les Ardennes, abandonne son emploi, puis s’installe vivre chez son oncle (le maire de l’un des trois villages de la Saumaie) pour y rechercher Viviane, son épouse disparue du domicile conjugal, dont on dit qu’elle se cacherait dans la Saumaie. Cette recherche ponctue le récit d’une déchéance sociale et personnelle (Jacques par exemple se met à boire). En même temps un autre rapport au monde, que l’on imputera à la nature environnante (sa sauvagerie), aux éléments naturels, au temps qui passe, va progressivement s’imposer à Jacques. Lequel en arrive à se demander si la recherche obstinée de son épouse n’est pas en réalité un prétexte : « Il ne s’agit pas de Viviane mais de savoir gâcher sa vie ». Du moins celle, précisons le, logée à l’enseigne du conformisme : pour mieux embrasser une vie improbable, faites d’incidents et de hasards aventureux. Ce qui passe, écrit Dhôtel, par « le désir violent d’un changement, aussi bien dans la catastrophe, quitte à mal se conduire ». Aucun des « héros » d’André Dhôtel n’aura à ce point basculé d’une vie à l’autre (de l’honorabilité à l’indignité, ou de l’affirmation d’une réussite sociale à cette manière de bruler tous ses vaisseaux) : le prix à payer, en quelque sorte, pour retrouver Viviane.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">DÉCHIFFREMENT</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A Vandresse comme à Vaucelles (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) « chaque geste avait sans doute un rôle (…) dans l’enchaînement des joies, des ennuis et des morts ». Plus encore à Vaucelles où « la moindre démarche » se trouve interprétée « parce qu’on croyait connaître sa signification ». En somme « des instants où n’importe qui croyait qu’il allait peut-être savoir quelque chose d’étonnant ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Chez André Dhôtel il y a différentes manières de déchiffrer le monde. Bertrand Lumin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), dés son enfance, se sent « gouverné par des opérations dont pouvaient dépendre les humeurs de son entourage, le cours du temps et le temps lui-même ». Il lui faut donc les conjurer, les exorciser d’une façon qui n’appartient qu’à lui. Ainsi Bertrand prend l’habitude de rechercher les signes qui pourraient lui permettre de déchiffrer le monde. Par exemple il rend de « fréquentes visites » à un dépotoir dans le but d’y trouver « des objets inattendus » pouvant « lui donner des perspectives inédites pour l’avenir ». Ou encore l’interprétation qui résulte de la consultation « des vols de moineaux » ou « d’un croissant de lune » l’incite à abandonner un emploi. Bertrand s’est fait un ami, Lucien, qui partage avec lui ce que les gens raisonnables appellent des lubies : « Pour l’heure le ciel m’apparait plutôt menaçant, assure Lucien. Si on veut faire quelque chose il faut attendre de vrais signes, des vrais, tu entends bien ? ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Sans pour autant tout attendre de signes censés régenter sa vie, Damien Sorday (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) n’en reprend pas moins ce genre de questionnement. En ce qui le concerne il s’agit de son indécision sur le plan amoureux. Certes il « avait embrassé follement Lola », et plus encore, « mais justement cela n’avait aucune signification. Ou bien une signification inconnue (…) Oui, vivement qu’il retrouve Alix ». Sans parler de Pélagie…</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> DÉTAILS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Tous les détails sont signifiants avec André Dhôtel. Les petites choses (ou les détails de l’existence) ont quelquefois plus de signification que les grandes (ou tout ce qui constitue un ensemble) chez les personnages des romans qui, comme Léopold Péruvat dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">n’en finissent pas de les observer. Une « qualité » que partage Cyrille, devenu son inséparable ami : « Nous ne sommes capable de voir et de comprendre que des détails. Un détail de campagne, un détail de jeune fille, un morceau de mariage. On a pas droit à autre chose ». Presque quarante ans plus tôt, après la parution de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Maurice Blanchot remarquait que l’un des charmes des livres de Dhôtel était dans « leurs détails, ordinaires et inattendus, dans leurs thèmes qui, si modestes qu’ils soient, bénéficiaient de l’intérêt profond que leur porte l’auteur ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans une page de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dhôtel éclaire à ce sujet la lanterne du lecteur (en même temps qu’il donne une indication sur sa « méthode ») : « Pour moi, comme je l’ai dit, la première règle était de ne pas faire attention, mais d’attendre d’être surpris par un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">détail. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Après quoi il était loisible (…) de partir de ce détail pour trouver à tout hasard le début d’une histoire sans raison, et peut-être un reflet de miracle, ou plutôt le reflet d’un reflet ». Des lignes à mettre en perspective avec le commentaire suivant d’Henri Thomas, qui fait très justement le lien entre ce qu’entendrait là Dhôtel et ce que « les moindres détails du monde » mettent en brante dans les romans de son ami écrivain : « La part de hasard et d’imaginaire pur est si grande chez Dhôtel que les moindres détails du monde où il nous introduit s’en trouvent touchés, délicatement allégés. Rien que de naturel dans ses peintures ou dans le caractère de ses personnages : c’est comme involontairement qu’ils renvoient à un secret à la fois proche et toujours perdu, pareil à une marge claire qui ne cesserait de déborder les êtres et les choses ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ÉCHEC</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’échec sous la forme d’une « appétence à l’échec » ou relevant d’une « conduite d’échec », figure parmi les traits dominants des personnages d’André Dhôtel. Mais ne nous méprenons pas sur sa signification dans cette oeuvre romanesque, elle n’a pas le caractère négatif qu’on lui prête habituellement. Chez Dhôtel l’échec peut être une « chance » (dans le sens où l’entendait Bataille). Dans un monde bien organisé, trop bien organisé, où chacun aurait une place et un rôle bien défini, tout pas de côté vous met par définition dans une situation d’échec. Mais, insistons là dessus, c’est ce « pas de côté » qui importe, qui compte, avec tout ce que cela induit et implique, et non le regard que la « bonne société » porte sur ceux qui le font ou le feraient.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’appétence à l’échec est pour ainsi dire consubstantielle de Bertrand Lumin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) qui pour aggraver son cas met un point d’honneur à paraître ridicule : « Bertrand qui se révélait en matière de livres et à force de lire, d’une capacité moyenne, ainsi qu’en toutes choses, aurait pu tenir son rôle avec une dignité passable, mais il semblait vouloir cette fois se livrer corps et âme au ridicule comme si très loin il retrouverait une sorte de gloire de la même manière qu’on retrouve le soleil en faisant le tour du monde ». Lorsque la route tourne, que la chance lui sourit (Bertrand gagne à la loterie, puis tout s’enchaîne rapidement : celui que l’on appelait par dérision « Lumineux » devient le responsable d’un ambitieux Comité des loisirs de Romeux), il va, parvenu au fait de sa prospérité, s’empresser de mettre à mal sa récente notoriété en écrivant la nuit sur les murs de la mairie des inscriptions hostiles à sa personne, dont le fameux LUMINEUX RENTRE CHEZ TOI ! C’est moins du masochisme qu’une volonté, pas toujours consciente, de déboulonner la statue, la sienne, que d’aucuns ont contribué à ériger à ses côtés, voire à son corps défendant. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Les deux inséparables Léopold et Cyrille (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) ne se privent pas, pour le mieux, de transformer la moindre conduite d’échec en règle de vie : « En attendant ils se trouvaient parfaitement heureux de scruter les herbes ou le ciel, et de risquer encore une fois de rater une occasion alors qu’il est du devoir de chacun de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">tout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">faire pour aboutir ». Florent Dormel (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) dont l’existence se confond avec l’échec d’une vie » n’ayant jamais cessé de se mettre en morceaux », en revient à désirer « un effondrement total comme si une lumière inespérée pouvait enfin s’y manifester ». Sans aller aussi loin, le Camille Crameau du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Couvent des pinsons, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui rate tout ce qu’il entreprend, s’est persuadé « que tous les projets qu’il pouvait faire devaient aller à vau-l’eau ». Certains s’en sortaient « mais pas lui. Il en éprouvait une profonde satisfaction ». D’ailleurs, « quoi qu’il fit, il serait toujours dans son tort et il lui semblait nécessaire d’accepter maintenant que tout aille de travers ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ÉCOLOGIE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La prise de conscience écologique en France, du moins dans sa traduction politique, date des lendemains de 1968. Avec un temps de retard ces thématiques écologiques se trouveront intégrés dans l’oeuvre des nouvelles générations de romanciers. Même si ces thématiques ne font pas la une de la chronique qui, lors de chaque rentrée littéraire, donne le la en matière de tendance du moment, elles ne sont pas moins régulièrement présentes dans le corpus des romans publiés depuis presque un demi siècle. Cela doit être rappelé pour mieux souligner l’absence, dans la production romanesque française antérieure aux années 1970, de préoccupations écologiques proprement dites. Ajoutons que les revendications de type écologiques durant la période 1945-1970, défendues par de rares universitaires, scientifiques ou journalistes, se trouvaient alors marginalisées, sans réels débouchés politiques. Il y avait eu auparavant Jean Giono certes. Mais plutôt le Giono de l’avant guerre, et surtout l’essayiste et militant de la période dite du Contadour, l’auteur de textes recueillis ensuite dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le poids du ciel</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">. Puis la Seconde guerre mondiale, l’Occupation, et les déboires de l’écrivain à la Libération (Giono n’étant coupable que de naïveté), son incarcération, plus la volonté chez d’aucuns de faire de l’écrivain un précurseur du pétainisme avaient profondément changé la donne : le Giono de l’après guerre se situant dans un autre registre, plus âpre, plus noir, plus pessimiste. Par la suite, durant les années 1960, certains événements (l’occupation militaire de la région de Canjuers, principalement) feront sortir Jean Giono de sa « retraite littéraire » : ici le pacifiste tendra la main à l’écologiste. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est pourquoi, pour en venir à André Dhôtel, il parait nécessaire d’indiquer la date suivante (1956), celle de la parution du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ciel du faubourg, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pour y trouver les lignes suivantes : « Les poireaux sont promis au rachitisme, ou à l’insolente et coûteuse obésité procurée par les engrais. Ainsi vont les temps ». L’année suivante Dhôtel sera plus explicite avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans la vallée du chemin de fer, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisque le personnage principal, Jérôme Baltar, songe devant le spectacle de la « nature » qui s’offre à ses yeux : « On arrivera à supprimer la campagne. Déjà on avait éliminé les bleuets et autres plantes parasites des céréales. Les herbes des talus et les insectes s’évanouiraient peu à peu, les revues scientifiques l’assuraient ». Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(1967)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bertrand Lumin erre la nuit dans la campagne et y croise parfois des « filles désemparée » qui « cherchent à deviner dans l’ombre les quelques fleurs qu’épargnent les arrosages chimiques ». Ce qui pouvait encore paraître incident va prendre une large place dans le roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(publié en 1968). Car pour la première fois dans l’oeuvre d’un écrivain que l’on savait sensible aux charmes de la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nature</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, d’une nature plus sauvage que domestiquée, ce sentiment prend dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une tonalité que l’on pourrait par anticipation qualifier d’écologique. Je ne sais pas de quelle manière la critique littéraire a reçu ce roman lors de sa parution, mais je doute fort qu’elle ait débusqué pareil lièvre. Il importe de préciser, ceci posé, que nous ne sommes ici avec Dhôtel nullement dans un registre revendicatif, ou même illustratif.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> La subtilité d’André Dhôtel, en bon romancier, étant de nous mettre en présence d’un jeune homme acquis dans son domaine professionnel aux idées dominantes de son temps, modernes il va s’en dire : celles d’une agriculture de type productiviste, ou intensive (même si cette dernière terminologie était peu usitée à la fin des années 60). Émilien Dombe, qui vient d’obtenir un diplôme universitaire (dans l’agronomie), s’engage comme chef de culture dans une ferme champenoise. Les idées en l’occurence d’Émilien apparaissent par petites touches dans le cours du récit. Il les expose au fermier Janret qui l’a engagé : celui ci semblant indifférent, voire hostile. Déjà, dès le début du roman, dans le Quartier Latin, Émilien qui vient de terminer ses études expose devant une Fabienne étonnée (« J’aurais plutôt pensé qui tu ferais des recherches ») son intention de prendre un poste de chef de culture. Il l’explique paradoxalement de la façon suivante : « Je voudrais trouver une bonne méthode pour détruire les ronces et les renoncules rampants. A part cela… ». Une fois installé à la ferme Janret Émilien réalise que ses propositions « pour améliorer le rendement » ne suscitent guère l’enthousiasme. Même chose à l’égard de l’essartage des bois ou du décloisonnement des herbages. Émilien en conclut qu’on le laissera faire à sa guise dans la mesure où cela n’entrainera pas de nouvelles dépenses. Avec l’assentiment de Janret (« Si ça vous amuse ») le jeune chef de culture transforme un petit réduit en laboratoire. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plusieurs mois plus tard, au printemps, Émilien propose de nettoyer le fond de vallée des ronces et des renoncules. Malgré l’avertissement de Janret, lui conseillant de ne pas s’en occuper (« Par en bas c’est la misère, la folie et le reste »), et celui de Fabienne, devenue institutrice dans la région, lui disant en face ce que chacun dans le hameau pense tout bas (« Qu’est ce qui te concerne ? Des kilomètres d’engrais et des calculs pour gonfler le bétail »), Émilien réitère sa proposition de désensauvager le fond de vallée. Il y est d’une certaine façon encouragé par M. Biernes (un marchand de biens), et sa fille Edmée, que courtise Émilien, qui tous deux défendent des idées « modernes » sur l’agriculture et l’aménagement du monde rural. Autant de guerre lasse, que sensible à l’argumentation de son chef de culture lui expliquant que l’opération permettrait d’agrandir son exploitation, Janret laisse faire Émilien. Cependant les deux tentatives du jeune homme pour assainir ce fond de vallée sauvage se soldent par des échecs. On joue d’abord un tour à Émilien, qui sous-estime ensuite la mise en garde d’un habitant du hameau (tout le monde à Rieux « ne partage pas cette façon de traiter la végétation » : qu’à l’avenir elle pourrait lui occasionner d’autres désagréments) et persiste. Lors de la seconde tentative Émilien est d’abord victime d’une attaque de frelons (que l’on a dirigée contre lui), puis constate que ses arrosoirs ont disparu. Il finit par reconnaitre que dans ce hameau tous préfèrent « laisser la vallée livrée aux ronces et à la sylve » pour des raisons qu’Émilien a des difficultés à reconnaître et à admettre. Comme le temps de la moisson est arrivé, notre chef de culture va s’y consacrer une partie de l’été. A l’automne Émilien quitte sans regret la maison Janret pour prendre la direction d’une ferme expérimentale dans la région. Le jeune homme se consacre entièrement à ses nouvelles tâches. Mais au printemps suivant, à la suite d’un certain nombre de péripéties (celles de deux passages « impromptus » à Rieux), Émilien va progressivement perdre ses certitudes, y compris dans le domaine agricole. Comme le lui dira lors de son second passage l’une des filles de Rieux : « Tu es détraqué maintenant comme nous autres ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un roman en revanche urbain (ou suburbain) comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">les préoccupations écologiques s’expriment à travers la menace d’un projet immobilier visant à lotir un bout de campagne (les Pleux) non loin de Reims : « On parla du journal, de l’écologie, de la nécessité de sauver ce qui demeure de la vraie nature ». Ce qui relevait encore de la suggestion dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">prend plus délibérément la forme d’une opposition dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Celle de deux familles voisines d’exploitants agricoles : dont l’une s’adonne à l’agriculture industrielle quand l’autre, qui entend aussi préserver telle quelle une lande sauvage, pratique une agriculture de type extensif, ou biologique comme on ne disait pas alors (« La laine de ses moutons avait une qualité exceptionnelle, mais qui l’appréciait à notre époque où triomphe la camelote ? Serait-il réduit à vivre de ses choux et de ses légumes, parfaitement sains eux aussi, mais rachitiques en comparaison de ceux qui s’étalaient dans les magasins de la ville ? « ). Signalons que lors de son unique participation à l’émission </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Apostrophes, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dhôtel, avant d’évoquer « deux sortes de champs : un grand terroir qui est traité chimiquement, où il n’y a pas une fleur, pas une mauvaise herbe, et à côté il y a la lande », avait précédemment, au détour d’une phrase, glissé l’idée malicieuse « qu’on mettrait de l’engrais sur le ciment » (ce qui avait fait rire Bernard Pivot).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Florent Dormel fait la connaissance du fiancé de sa soeur Clémentine, Robert Grémand, un jeune cultivateur « très instruit des méthodes modernes de culture » qui se présente « plutôt comme un industriel que comme un paysan ». Notre fonctionnaire réalise combien Grémand est étranger à l’idée que lui Florent a de la campagne (celle du « charme des bas fonds marécageux, d’une nature pleine d’oiseaux, de papillons, de fleurs ») tandis que son interlocuteur n’y voit que « des hectares de maïs, de blés ou de betteraves ». Une campagne, comme le remarque ironiquement Florent, que l’on avait fini par « tuer aux trois-quarts grâce aux produits bénéfiques avec lesquels on traite les sols ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Ce qui relève peu ou prou de considérations écologiques (le mot « écologie » comme l’adjectif « écologique » étant quasiment absent des romans de Dhôtel) n’a rien de démonstratif avec notre romancier. André Dhôtel s’est fait depuis la parution de ses premiers romans</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le défenseur d’une certaine idée de la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">nature</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> (davantage accordée à celle d’une nature sauvage et rebelle) qu’illustrent plusieurs ouvrages antérieurs à </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette défense et illustration devait en toute logique rejoindre les préoccupations écologiques de l’après 68 (voire la précéder dans les pages citées de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). C’est aussi dire que dans les romans publiés avant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le romancier plaidait implicitement pour une idée de la nature qui deviendra plus tard un enjeu politique à la faveur de la prise de conscience écologique des années 1970.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ENSEIGNEMENT</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> André Dhôtel enseignait la philosophie dans le secondaire. C’était un professeur atypique si l’on en croit les souvenirs de plusieurs de ces élèves. Citons par exemple le témoignage de Patrick Reumaux (qui plus tard deviendra l’ami de son ancien professeur et écrira </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Dhôtel </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : « Dhôtel arrivait toujours vingt minutes en retard, puis il prenait beaucoup de temps pour enlever son pardessus, chercher dans sa serviette. Le cours commencé en retard, la cloche en venait vite à sonner. Il disait aux élèves : « Interrogez-moi ». A ces interrogations il ne répondait souvent pas directement, il biaisait, quelquefois même disait : « Eh bien, je ne sais pas ». Parfois il faisait venir un petit de sixième pour expérimenter sur lui la psychologie, lui demander ce qu’il pensait. Souvent le gosse ne savait rien répondre. Un jour, une fille avait posé sur son bureau une cocotte en papier, il lui dit : « J’en voudrais une plus grande ». Elle s’exécute. Il lui demande à chaque fois une plus grande et elle dut arriver à en faire une gigantesque. Il ne suivait guère le programme ». (témoignage rapporté par Jean Follain dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Agendas</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Un autre témoignage d’élève, celui de Maurice Gâchiniard, a été recueilli dans le bulletin de « La Route inconnue » (l’Association des Amis d’André Dhôtel) : « Il parlait modestement, construisant ses phrases sans recherche particulière. L’intonation de sa voix était toujours la même (…) Son cours n’était pas imposé, il se déduisait objectivement de ce qu’il pensait tout haut (…) Cela n’avait rien à voir avec ce que certains pensaient de la philosophie. On ne voyait pas le temps passer ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Bienheureux professeur qui dans une lettre à Marcel Arland avouait : « Je n’arrive pas à me défaire, tu vois, d’une mentalité de mauvais élève ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ERRANCE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans les romans d’André Dhôtel de nombreux personnages sont confrontés à l’errance, ou s’adonnent au vagabondage. Cela prend même l’aspect d’un road movie avec Sylvestre Baurand (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premier temps</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Ce long chemin d’errance, auquel se trouve associée Thérèse Pardier, les conduit tous deux dans des lieux insolites à fréquenter des personnages autant singuliers que pittoresques. Durant son adolescence, déjà, le Bertrand Lumin de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">préférait les solitaires balades à bicyclette sans but précis à la fréquentation de ses semblables (ou alors il se livrait à des occupations inutiles). Cette tendance perdure à l’âge adulte, la marche remplaçant le vélo. Évitant les vallées pittoresques, Bertrand préfère « aller se perdre sur le plateau entre les blés et les champs de pommes de terre ». Il lui arrive de rencontrer « des filles comme lui désemparées ». Plus tard Bertrand s’amusera « à suivre de loin des passants », un peu par hasard.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’exemple le plus patent de l’errance dans l’oeuvre de Dhôtel étant celle du jeune Gaspard Fontarelle (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pays où l’on n’arrive jamais</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Ce fils de forains, pourtant élevé par une tante qui entend l’éduquer selon des principes stricts (et ainsi le préserver de l’existence désordonnée, difficile, nomade que vivent ses parents), va connaitre un tout autre destin. Gaspard fait par hasard la rencontre d’un enfant fugitif. C’est le point de départ d’une errance en quelque sorte aimantée par le massif des Ardennes. Gaspard partage un temps la vie de musiciens ambulants, puis vivra de nombreuses aventures, toujours en quête de cet improbable pays.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On pourrait évoquer quelque « pulsion nomade » dans les romans d’André Dhôtel. On relève que l’écrivain n’est pas sans manifester une certaine tendresse à l’égard de personnages vivant une existence nomade, ou envers ceux qui appartiennent aux peuples dits nomades (tziganes, gitans, bohémiens). A l’exemple des romanichels du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Couvent des pinsons </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui continuent à mener une vie de « camp volant » (cela valant aussi pour ceux qui entendent se sédentariser). </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> FORÊTS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Souvent présents dans l’oeuvre d’André Dhôtel, les bois, forêts et massif forestiers que l’on peut principalement identifier à ceux de l’Argonne n’en dessinent pas moins une cartographie mentale au sein de laquelle les personnages des romans se déplacent au gré des péripéties du récit. La forêt joue parfois un rôle de révélateur. Ceci dans la mesure où ce qui se trouve ici mit en jeu permet de répondre - sur un mode dhôtelien certes - à la question posée par Victor Segalen : l’Imaginaire décroit-il ou se renforce quand il se trouve confronté au Réel ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Une première occurrence forestière apparait dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les rues dans l’aurore. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">C’est celle (l’Argonne) que l’auteur situe au sud de la ville de Verziers. Cette forêt indiffère dans un premier temps le jeune Georges Leban lorsqu’il y est contraint d’y travailler à la veille de la guerre de 14/18. Cela jusqu’au jour où il y fait connaissance de la jeune femme dont il ne fera jamais tout à fait le deuil et qui restera associée à la forêt. Presque vingt ans plus tard, les mêmes bois favoriseront la rencontre entre Georges et Jeanne, la jeune soeur de la disparue. C’est également à l’Argonne que le jeune Tatane (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le maître de pension</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) rêve, comme étant le lieu de tous les possibles. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On change de registre avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les chemins du long voyage </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">où l’action se déplace du Charolais à la forêt jurassienne vers la fin du récit, devenue le théâtre d’une rixe meurtrière opposant deux rivaux. Avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">pays où l’on n’arrive jamais </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la forêt ardennaise reste présente tout au long du roman, à l’exception des chapitres où Gaspard vit à bord d’une péniche, puis sur un bateau mettant le cap sur les Bermudes. Contrairement aux exemples précédents le domaine Harset du </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ciel du faubourg </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">parait difficilement localisable sur la carte : plus proche de la Puisaye et de la Bourgogne boisée semble-t-il que du Morvan. Il s’agit d’un vaste domaine forestier privé abritant plusieurs étangs. Une nature luxuriante, sauvage, quasiment inviolée : le contraste par excellence avec l’univers du faubourg (la banlieue parisienne où l’auteur situe la très grande partie du récit). La description du domaine Harset n’est pas sans parenté avec celle qui vingt ans plus tard donnera à l’Argonne des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">une tonalité très particulière (et dont l’on retrouvera quelque écho dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisqu’il s’agit de ce bout de l’Argonne dans lequel Florent Dormel risque de se rompre le cou en tombant du haut d’un promontoire).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’Argonne encore, surtout dirais-je, innerve d’un bout à l’autre du récit l’un des meilleurs romans d’André Dhôtel. Elle est d’abord dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le lieu d’une présence insolite pour Maximin contemplant la forêt depuis son lieu de résidence. Une forêt qui le fascine puisque « à chaque instant tout semblait nouveau en raison d’une immobilité presque intolérable ». Des sentiments contradictoires traversent le jeune homme. D’un côté il lui semble que la forêt recèle quelque « vérité » propre à le renseigner sur ce qui hante les habitants du village Someperce. De l’autre Maximin n’entend pas entrer dans le jeu de ceux qui, pour des raisons stratégiques ou en but à quelque croyance, affirment que la forêt abriterait des fantômes et serait maléfique. D’ailleurs Maximin rejette le discours de quelques uns de ses proches qui, sans s’en laisse conter, reprennent à dessein les superstitions locales pour dénoncer les mensonges des notables locaux. Pour Maximin l’explication ici doit être recherchée dans la « beauté peu ordinaire » de la forêt, laquelle, en définitive, est faite « avec des feuilles, des vents, de la lumière dans l’espace. Tout le reste c’est de la foutaise ». Cependant n’est ce pas le silence assourdissant de ces bois qui incite Maximin à « jouer de la trompette » (ce qu’on lui reproche) et à « parler à tort et à travers » ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le décors ainsi planté la disparition de jeunes campeurs dans les bois va raviver le souvenir de quelques autres disparitions antérieures, que l’on attribuerait à l’influence néfaste des anciens seigneurs du lieu. Si l’on se perd dans cette forêt-là cela s’expliquerait plus prosaïquement par l’attraction représentée par une clairière : un lieu où « n’importe qui pouvait se perdre pendant des jours ». Maximin apprendra par Repaulin ce qu’il convient de penser des légendes liées à la forêt. Mais fallait-il encore que le jeune homme l’entende, guidé par Repaulin, dans l’enceinte du pavillon presque inaccessible situé au coeur de la forêt. Il comprendra alors qu’il lui fallait accéder à ce lieu pour « saisir l’incroyable réalité » et connaître le fin mot de l’énigme (enfin presque). Une seconde fois, en compagnie de Véronique cette fois-ci, Maximin passera une nuit dans ce pavillon. Le lendemain matin la jeune fille le conduira à cette fameuse clairière. C’est à la suite de cette expédition que les deux jeunes gens, chassés par les villageois, seront contraints de quitter le village. Comme l’indique la quatrième de couverture de l’édition Phoebus des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « L’aventure, écrit Dhôtel à propos de ce roman auquel il tenait beaucoup, est touffue comme la forêt, au sein de laquelle on se perd avec horreur et émerveillement. Aussi la lecture devient-elle un jeu complexe où la curiosité, le silence, la peur et on ne sait quelle joie obscure se trouvent inextricablement mêlés ». On ne saurait mieux dire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Enfin, trop évident peut-être, le prénom Sylvestre (Sylvestre Baurand, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premiers temps</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) ne peut que retenir l’attention du lecteur dès le début du roman quand cet ébéniste de métier affirme devant le narrateur « qu’on ne devait pas détruire les arbres, à moins que ça soit tout à fait nécessaire ». Plus tard il dira à Thérèse et Célestin que les arbres lui ont parlé dans sa jeunesse. </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> GENS DE PEU</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Sans pour autant qu’il y ait lieu d’évoquer à proprement parler une thématique du type « lutte des classes » dans les romans d’André Dhôtel, force néanmoins est de constater que l’opposition entre les nantis, bourgeois, privilégiés (réunis dans cet abécédaire sous le vocable </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">notables</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) et les autres, situés au bas de l’échelle sociale, les sans-grades, les humbles, les marginaux, les miséreux, ou encore les gens du peuple, les prolétaires, les petits paysans, voire la populace, reste constante d’un bout à l’autre de l’oeuvre de Dhôtel. Par delà la différence des conditions, des modes de vie, de culture et de langage, celles qui se rapportent à des « valeurs » peuvent parfois se confondre avec le rêve rimbaldien de « changer la vie » pour les seconds. Appelons les, faute d’une terminologie satisfaisante, les « gens de peu » (en l’empruntant au sociologue hétérodoxe Pierre Sansot). A moins que ce dernier l’ait trouvée chez Maurice Nadeau, qui dans un important article de 1951 consacré à notre écrivain (« La Méthode d’André Dhôtel ») cite une phrase extraite du roman </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">David </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « ces livres bien écrits et bien pensés dont la valeur est incontestable et force au respect les gens de peu ». Manière de rendre à Dhôtel ce qui lui appartient.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Plus que dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">roman situé dans le monde rural, majoritairement paysan, l’opposition entre ces deux mondes apparait une première fois dans les pages de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pour s’en tenir aux « gens de peu » il s’agit du milieu auquel appartient la famille Balloy, ainsi que Nicolas et Edmée, les deux jeunes amis de Jacques Brostier : des enfants poussés sur le pavé de Béthume, qui malgré leur prime jeunesse connaissent déjà les mille et une façons de se débrouiller dans l’existence. Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard Casmin, descendu au bas de l’échelle sociale, loue une chambre dans un quartier populaire de Batheuil « où l’on ne s’embarrassait peu de la réputation bonne ou mauvaise de quiconque ». Durant une période où il se retrouve sans travail, très démuni, Bernard rencontre une communauté de gens modestes, attachants et pittoresques, réunis autour de Robert Corioux (qui exerce la profession de « crieur public »). Un groupe d’amis dont fait partie Bromichet, qui choque son verre « avec l’élégance discrète et compliquée qui ne s’apprend que dans les faubourg » (merveilleuse trouvaille d’une justesse confondante). Bernard va plus ou moins s’agréger au projet d’habitation communautaire de ses nouveaux amis.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le monde que décrit Dhôtel dans plusieurs chapitres des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Premiers temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">celui que découvre Sylvestre Baurand et Thérèse Pardier lors de leur « cavale » appartient au sous-prolétariat (ou à une certaine marginalité). C’est celui de deux quartiers déshérités de la ville de Saint Eucher : le Cour des Choules, puis Ste Soline. Thérèse, qui quelques jours plus tôt vivait dans une famille bourgeoise, est étonnée des attentions qu’on a pour elle, et de la disponibilité des personnes rencontrées. Dans la Cour des Choules, le soir, les habitants se regroupent autour d’un accordéoniste et d’un chanteur, « M. Cyprien, un Noir ». Comme l’indique Dhôtel : « il s’agissait simplement de respirer l’air du soir et de bavarder, de combiner entre voisins et voisines des projets fabuleux pour acheter une radio, ou agiter quelques questions importantes sur la vie des mouches, les maladies inimaginables du genre humain et les mille moyens de ne pas gagner sa vie ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’opposition évoquée au début de cette entrée peut même se trouver rapportée à celle des bourgs et des villages. Une distinction toute dhôtelienne qu’illustre (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) la population du bourg Bercourt - représentative d’une mesquinerie provinciale avec son lot de cancaneries, de réputations qui se font et se défont, de tonalité petite bourgeoise - et celle des villages de la Saumaie, de paysans soumis à un mode de vie archaïque, plus ou moins voués à la superstition, amateurs de farces et d’embrouilles. On reste dans ce registre avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les mystères de Charlieu-sur-Bar </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">entre le bourg Charlieu</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(ses rivalités entre notables, le rejet des marginaux de la contrée), et les villages des environs (où on cultive une certaine indifférence, voire la paresse). C’est aussi le genre de regard surplombant que des personnes appartenant à l’élite locale portent dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">sur les habitants du hameau Rieux, lesquels sont perçus par les premiers comme des gens rétrogrades et fantasques. Précisons que l’attitude de ces « gens de peu » là, dans ce romans comme dans d’autres, ne relève nullement de quelque conservatisme étroit. D’une manière générale, pour l’étendre à toute l’oeuvre d’André Dhôtel, le camp des « gens de peu » est celui de la liberté, du mouvement, de l’ouverture d’esprit, de la solidarité. Ce qui n’exclut par les combines, les embrouilles, et surtout « les mille moyens de ne pas gagner sa vie ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> GÉOGRAPHIE MENTALE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des régions (et au sein de celles-ci des « pays ») sont parfois durablement associées à des écrivains : Giono et la Provence, Mauriac et le Bordelais, Pourrat et l’Auvergne, Perros et la Bretagne, Bergounioux, Michon, Millet et le Limousin, Calet et le quatorzième arrondissement parisien, etc. Pour Dhôtel ce serait les Ardennes.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est à la fois vrai et faux. Faux dans la mesure où un cliché qui semble avoir la vie dure s’attache à faire d’André Dhôtel le romancier d’un certain terroir (disons de la partie méridionale du département des Ardennes). Il est vrai qu’une bonne partie de ses romans se situe à l’intérieur d’un quadrilatère qui serait grosso modo délimité par Rethel à l’ouest, le Mont Damion au nord, Vouzier à l’est, et Mazagran au sud. Attigny, le bourg natal de Dhôtel, se trouvant au centre de ce quadrilatère. Jean-Claude Pirotte s’est à juste titre élevé contre la tendance réductrice d’une certaine critique : « On a dit et redit de Dhôtel qu’il était le « chantre » d’un terroir, ce pays imprécis et sinueux qui n’est ni l’Ardenne, ni la Champagne, ni l’Argonne, mais participe à la fois de ce triple voisinage. Un conteur régionaliste en somme. Rien n’est moins certain (…) L’Ardenne de Dhôtel elle est partout, et partout pour Dhôtel s’installe l’Ardenne ». De surcroît, les notions de racines, d’enracinement, et même de lieux de mémoire sont étrangères à André Dhôtel comme il a pris le soin de le préciser dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Ceci posé, comment ne pas reconnaître que les romans de Dhôtel situées à l’intérieur de ce quadrilatère (appelé parfois « Dhôteland », selon l’expression de Maurice Nadeau, qui le comparait à la « Faulknerie » : « On pourrait déjà en dresser le cadastre » ajoutait-t-il) peuvent entraîner le lecteur, rendus curieux par la manière qu’ont les personnages de ces romans de se déplacer dans un espace donné, à venir vérifier (c’est à dire déchiffrer sur la carte) la véracité de leurs déplacements ou celle des lieux décrits par Dhôtel. Je serais tenté d’évoquer là quelque complicité entre l’écrivain et son lecteur, non sans indiquer que l’attitude du second renvoie moins à une vérification </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">par surcroît de réalité </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qu’au décryptage d’une géographie mentale dhôtelienne, dont on dira que tout déchiffrage sur la carte relève d’un </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">surcroît d’imaginaire. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cette donnée certes excède la quadrilatère en question. Pourtant, faisons l’hypothèse, les autres lieux choisis par Dhôtel pour situer l’action de ses romans (le Cotentin, Autun, Béthune, Namur, Charleville, l’Ardenne du nord, la Champagne, Reims, le Jura, le Charolais, la Grèce…) cultivent moins que ceux logés à l’intérieur de notre quadrilatère cette « propension à l’imaginaire », qui d’ailleurs fait écho au propos de Dhôtel recueilli dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’École buissonnière, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">selon lequel, dans cette Ardenne-là, « il n’y a pas un seul endroit où l’on sache vraiment où l’on est, à quel niveau l’on se trouve (…) Le relief reste le même, fascinant et désordonné. Tout change tous le temps ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’une des preuves en quelque sorte de cette géographie mentale propre à l’écrivain Dhôtel (et à l’imaginaire qui s’y rapporterait), élaborée depuis un territoire repérable sur la carte. C’est ce qui fait par exemple de la Saumaie (vallée imaginée par Dhôtel dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">que l’on localise au dessus d’Attigny comme étant la vallée du ru de Saint Lambert) un pays autant réel qu’imaginaire ; ou à prêter à cette partie avancée de l’ouest de l’Argonne (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les disparus</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) un caractère qu’elle ne présente qu’accidentellement ou très localement ; ou à élever sur la place centrale de Vouzier la statue d’un général inconnu au bataillon (que des touristes chercheraient en vain). Un lecteur qui s’efforcerait de « retrouver » ou « reconnaître » in situ les lieux, localités ou paysages décrits dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le plateau de Mazagran, L’azur, Les mystères de Charlieu-sur-Bar, L’honorable Monsieur Jacques, Bonne nuit Barbara, Les disparus, La tribu Bécaille, Je ne suis pas d’ici, La route inconnue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> risquerait d’être déçu s’il prend au pied de la lettre les descriptions et indications de l’écrivain, lesquelles ne correspondent pas moins à une certaine réalité, du moins de celle dont Dhôtel fait ses romans : « une « réalité imaginaire » si l’on veut, bien éloignée de tout réalisme. Même dans les romans où notre écrivain plante « un cadre imaginaire », il ajoute (non sans humour) : « Il faut bien que j’en dresse un relevé topographique. Sinon comment pourrais-je surveiller les déplacements des personnages ? ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Comme l’écrivait Maurice Nadeau : « L’auteur raffine sur le Baedeker. Au point que tout ceci nous parait bientôt irréel et légendaire, tout droit sorti d’un esprit en pleine activité fabulatrice ». Les lignes suivantes d’André Dhôtel (extraites d’un entretien accordé aux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nouvelles littéraires </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">en 1983), pour conclure cette entrée, valent pour toute l’oeuvre de l’écrivain (à travers le regard qu’il porte sur le monde) : « Tout ce qui échappe aux définitions attire ma curiosité. Il en va de même pour les paysages et les personnes. L’insituable toujours présent me passionne ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> GROUT (Marius)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Dans l’article « Situation de l’écrivain en 1947 » (recueilli l’année suivante dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu'est ce que la littérature ?</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), Jean-Paul Sartre cite un certain nombre d’écrivains, ou de courants littéraires qui, selon lui, « ne valent pas ceux qui les ont précédés » dans leur domaine de prédilection. Au milieu de cette énumération il cite : « ni André Dhôtel ni Marius Grout ne valent Alain Fournier ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En premier lieu nous sommes surpris de trouver le nom Dhôtel parmi d’autres logés à la même enseigne : Georges Bataille - ce qui n’est pas rien ! - et le courant Lettriste (tous deux davantage familiers au lecteur de 1947). En même temps n’était-ce pas une manière de reconnaissance envers un écrivain qui n’avait publié que trois romans lors de la rédaction de « Situation de l’écrivain en 1947 ». Et puis que venait donc faire ce Marius Grout dans cette galère ? Qui était cet écrivain (inconnu de nos services) ?</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Marius Grout venait de décéder en 1946. Son nom, complètement oublié aujourd’hui, reste associé à l’obtention du prix Goncourt en 1943 avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Passage de l’homme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(la même année, on le rappelle, Dhôtel publiait </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le village pathétique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). En s’intéressant de plus près à la biographie de Marius Grout on constate que cet écrivain, né en 1903 (donc plus jeune que Dhôtel), a exercé la profession d’instituteur puis celle de professeur. Très tôt Marius Grout écrit des poèmes : il envoie l’un d’eux en 1923 à Francis James. D’après Georges Hirondel, la période proprement dite de création littéraire chez Marius Grout daterait de 1937. Paul Claudel, qui le découvre, le fait éditer dans la revue catholique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La vie intellectuelle. </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Grout, ayant dans un courrier précisé à Claudel qu’il n’était pas catholique mais quaker, s’attire la réponse suivante : « Vous auriez dû tout de suite me faire l’aveu qui est contenu dans cette dernière lettre. En ce cas je n’aurais certainement pas recommandé votre poème à une revue dominicaine ». Grout est mobilisé en 1939, puis retrouve le professorat l’année suivante. Après le Goncourt il se consacre exclusivement à la poésie : </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poèmes </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">parait chez Gallimard, et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Poèmes à l’inconnue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">au Seuil. Citons ces lignes de Georges Hirondel, commentant Marius Grout : « L’angoisse existentielle et la recherche de l’énigme du monde sous-tendent toute son oeuvre. Il est à ranger parmi les aventuriers de l’Absolu ». </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> HUMOUR</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’humour est présent sous une forme ou une autre, plus ou moins certes, dans les romans d’André Dhôtel. A travers, principalement, des figures comiques, burlesques, fantaisistes, malicieuses, farceuses, blagueuses, qui peuvent le cas échéant se révéler raisonneuses ou sentencieuses sans pour autant abandonner le registre humoristique. Distinguons d’abord l’humour des situations, auxquels les adjectifs improbable et cocasse rendent le plus justice. Ici c’est presque la totalité des romans de Dhôtel qu’il faudrait citer : cet humour se retrouvant en contrebande dans de nombreuses pages de cet abécédaire. Arrêtons nous en revanche sur les figures évoquées ci-dessus. Ce sont principalement celles de personnages secondaires (voir les entrées </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Burlesque, Musique </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">et </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Seconds rôles</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) à l’instar des duettistes Durand et Falort dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, ou de Paticart et Rinchal (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Le registre des deux derniers, plus étendu que celui du duo précédent, n’est pas sans excéder l’humour proprement dit. Néanmoins, pour y rester, il convient d’évoquer le goût de Pericart et Rinchal pour les discussions impossibles, interminables, voire oiseuses. Et puis le duo peut le cas échéant se transformer en trio quand intervient Mme Rinchal, dont son époux nous dit : « Quand elle se met à causer tu croirais assister à la création du monde ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Amédée Peruvat (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) ne dépare pas dans cette galerie de personnages comiques. Il est passé maître dans l’art de tenir des « discours allusifs dont il a le secret », qui n’ont pas l’effet escompté en se révélant imprudents et inappropriés, voire désastreux. Le Repanlin des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se rattache à cette veine humoristique à travers son âne Philippe et ses quatre chiens, des corniauds qui « au rebours des chiens bien élevés (…) se mettaient d’instinct du côté des individus mal accoutrés ou mal en point contre ceux qui se tiennent décemment ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Laissons le dernier mot à André Dhôtel en citant les lignes suivantes (extraites de fragments parus dans la revue </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Traverses </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) : « Ce n’est pas raisonnable. Il est question d’un problème social et je pense aux gypaètes. On parle du déclin de la moralité, des mille agonies du roman, et je pense aux gypaètes ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> ILLUMINATIONS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Arthur Rimbaud évidemment, l’écrivain et poète qui aura le plus compté pour André Dhôtel, auquel il a consacré plusieurs livres. Dhôtel dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’y réfère par la bande. Disons qu’il tourne autour du pot. En fait le mot est prononcé lorsqu’il rappelle « l’histoire de ce moine japonais qui est parvenu à l’illumination en écoutant le chant des corbeaux ». Une manière plaisante de contourner le sujet.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Pour en venir au romancier Dhôtel cette thématique apparait brièvement dans plusieurs livres sans que l’auteur s’appesantisse. A l’exception de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">un roman inégal comportant néanmoins maintes pages inspirées, d’une prose que l’on pourrait qualifier de « poétique ». En particulier celles durant lesquelles Florent Dormel découvre un coin de campagne qu’il ignorait. S’ensuit une description qui se transforme en méditation (quelque part entre Nerval et Rimbaud). Florent en arrive à perdre durant un court instant la notion du lieu où il se trouve. Ce qu’il éprouve alors (« Florent en venait à croire que ces sortes d’illuminations c’était </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">histoire à lui, des événements de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">son </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">histoire ») l’induit à supposer que « peut-être une sorte d’égarement « pouvait lui permettre de retrouver « son chemin ». Et l’on en terminera avec cette affirmation toute dhôtelienne : « La vérité c’était qu’il ne pouvait vivre que dans un conte tout à fait déraisonnable mais nécessaire ». </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> IMAGINAIRE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Existe-t-il un imaginaire propre à André Dhôtel ? D’autres entrées de cet abécédaire tentent d’y répondre (en particulier </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:700;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Imprévu, Illumination, Surgissement</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). A vrai dire le mot revient rarement sous la plume de l’écrivain (pas plus qu’il n’est mentionné dans ses entretiens). Même un livre comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Retour, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui dans certaines pages « ne parle que de ça » ne s’y réfère pas. Henri Thomas a évoqué « l’imaginaire pur » de Dhôtel (qu’il associe à « la part de hasard »). Sans doute faut-il distinguer chez notre écrivain les livres qui font la part belle à l’imaginaire, cela relevant d’une évidence, et ceux qui nous confrontent plus particulièrement à ce que l’on pourrait appeler « un imaginaire typiquement dhôtelien ». Citons deux exemples représentatifs de ces deux types d’imaginaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Le premier roman, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pays où l’on n’arrive jamais, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">traite de la vie nomade, de l’errance, des rêves de l’enfance, des pouvoirs de l’imagination. Gaspard Fonterelle, le jeune héros, est un enfant solitaire qui, dans l’univers routinier d’un univers ardennais, s’invente un monde depuis des « mots que l’on avait pas l’habitude d’entendre ici », des mots glanés au hasard de conversations surprises à l’insu des villageois. C’est cette ouverture sur l’imaginaire qui va rendre l’enfant disponible aux possibilités infinies qu’à la vie de susciter des événements rompant avec la monotonie de l’existence. Et contribuer autant que faire ce peut à changer le cours d’une vie. Nous restons avec </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le pays où l’on n’arrive jamais </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">dans le registre classique de l’imaginaire.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> En revanche, dans un roman comme </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">il parait utile de mentionner le passage suivant avant de le commenter. Nous retrouvons au bistrot Gabriel Lefeuil en compagnie de Rinchal et Paticart, deux employés de la SNCF : ces derniers adeptes de ces « conversations nocturnes où on se balade aux confins de l’univers ». Gabriel subodore que les deux discoureurs sont prêts « à s’engager dans des considérations célestes ou infernales ». Tout en trouvant « l’entretien déplacé » il reconnaît « que pour Rinchal et Paticart c’étaient des propos tout simples. Dans une condition dite subalterne, où ils n’avaient pas le loisir de disposer tellement de leur vie, tout les inclinait à des bavardages dénués de prétention et rien ne les empêchait de se passionner pour des personnages anciens, et même des dieux afin d’orner quelque peu leur médiocre condition. Ils avaient trop de soucis mesquins d’habitude, pour ne pas s’amuser quand l’occasion se présentait, à se perdre dans un pays lointain qui ne pouvait pas être plus faux que le leur. Voilà pourquoi jusqu’à minuit ils ne démordirent pas des affaires antiques, les arbres, les montagnes, les divinités, et tout le bazar ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Rinchal et Paticart, personnages cocasses, se signalent par leur goût pour les discussions impossibles et interminables. Ces deux modestes employés de la SNCF s’entretiennent ici de l’Antiquité avec Gabriel (qui apprend le grec). Ce dernier craint d’abord que les deux compères ne se lancent, comme ils en ont habitude, dans une joute ou un exercice de fausse érudition (d’où le côté « déplacé » de l’entretien), mais il comprend vite de quoi il en retourne. Ici Dhôtel excelle à vider l’expression (« péter plus haut que son cul ») de sa trivialité pour lui donner un tout autre contenu. L’écrivain nous dit en quelque sorte que l’imaginaire est donné à tout le monde. Et quelquefois mieux à ceux qui ignoreraient même le mot, quand le plus simplement du monde des Rinchal et Paticart se lancent non sans gourmandise dans des discussions érudites improbables sans pour autant se pousser du col (et sans prétentions intellectuelles il va de soi). On peut aussi y entendre, mezza voce bien entendu, l’enseignement suivant : qu’importerait le contenu quand la forme, n’est-ce pas…</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> IMPRÉVU (INATTENDU)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Chez André Dhôtel l’imprévu vient déranger le bon déroulement de l’existence, ou de tout ce qui irait de soi, ou encore de la pente ordinaire des jours. Cela est dit explicitement dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Des trottoirs et des fleurs </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">à travers le dialogue suivant, entre Léopold Péruvat et son ami Cyrille : « Admettons que nous sommes des abrutis, et après ? - L’ennui c’est que nous aimons être des abrutis. Sûrement ça nous passionne - Et pourquoi ça nous passionne ? demandait Cyrille - A cause de l’imprévu peut-être bien ». Ici le narrateur ajoute : « Les autres, Pulchérie et Clarisse en tête, devaient plutôt craindre l’imprévu dés lors que les deux phénomènes refusaient de s’affirmer de quelque manière ». Le roman suivant (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) l’illustre sur le même mode. Comme le rapporte le vieux Gildas, au sujet de Lola et Pélagie : « Pour mes petites filles rien n’est régulier. Elles ne s’intéressent qu’à ce qui est inattendu ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette notion (l’imprévu, l’inattendu) relève davantage de l’implicite dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">avec Antoine Marvaux. Relevant, sans pour autant les blâmer, que ses camarades Desserge et Laurépin n’ont plus qu’à suivre la voie déjà tracée pour eux (« Ceux-là pouvaient faire n’importe quoi (…) de toute manière ils </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">arriveraient</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> »), Antoine constate que pour lui « arriver » n’a pas trop de signification : « la véritable affaire serait que </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">quelque chose </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">d’incroyable arrive ». Gabriel Lefeuil dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, lui,</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">erre sur les voies de chemin de fer pour « y voir des choses ». D’ailleurs il peut en témoigner : « C’est là que j’ai trouvé Alfred (…) Trouver ça veut dire imaginer, mais c’est mieux que d’imaginer, parce que ça pourrait être vrai, vous comprenez ? ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Maurice Blanchot (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les rues dans l’aurore</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) a très tôt souligné « la fatalité de l’inattendu et l’étrangeté de ce qui nous attend à coup sûr » chez Dhôtel, du moins pour qui voudrait bien les « voir ensemble », dans des romans (et en particulier celui-là) « où il ne se passe rien, mais où l’imprévu est toujours imminent ».</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> INCERTITUDE (AMBIVALENCE)</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le mot « ambivalence » étant à notre connaissance absent des romans d’André Dhôtel, celui d’incertitude prévaut. On ne saurait cependant s’interdire de le mentionner pour indiquer que malgré tout il traduit avec Dhôtel, chez des personnages confrontés à la complexité du monde, ce qui relèverait de l’impossibilité parfois de trancher, quitte à revenir sur ce que l’on affirmait précédemment sans donner l’impression de se déjuger. Dans les meilleurs romans de Dhôtel la question du sens vient se greffer sur le comportement plus ou moins ambivalent des personnages principaux. Il y a toujours un moment où le récit bascule dans quelque chose qui devient signifiant quand bien même cette signification, variable d’un roman à l’autre, s’affranchirait de toute rationalité pour proposer des réponses d’ordre poétique. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette ambivalence ou incertitude se révèle encore plus massive lorsqu’elle se trouve exprimée par un collectif, celui par exemple des habitants de Rieux (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’azur</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Peu après son arrivée dans ce hameau, Émilien Dombe, le jeune chef de culture, qui s’interroge sur une présence intrigante, se trouve confronté à l’incertitude des villageois. L’un d’eux lui dit : « Personne ne sait au juste ». D’où cette constatation d’Émilien : « En fin de compte tous ces gens tenaient à demeurer dans une incertitude profonde ». Même si notre chef de culture en arrive à penser que cette récurrente indécision n’est peut-être qu’un leurre, un moyen de le berner, la réponse à ce nouveau questionnement (« On sait et quand même on ne veut pas savoir ») n’est pas de nature à éclairer sa lanterne. Et comment s’y retrouver quand, pensant trouver au moins un semblant d’explication chez le « réprouvé » du hameau, ce personnage lui répond : « J’y crois et je n’y crois pas. On voit et on ne voit pas. Les autres vous disent qu’ils ont vu, mais tout le monde ment, vous m’entendez ? ». Cela valant aussi à Rieux pour les histoires de coeur : « On aime à la folie, mais on aime personne, dit Jenny ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Même affirmation d’une chose et son contraire chez les habitants de la Saumaie (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’honorable Monsieur Jacques</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). L’explicite (« On sait et on ne sait pas ») de Gustave devient implicite tout au long du roman comme un principe d’incertitude lié indissolublement à la Saumaie. Gabriel Lefeuil (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), rétif à certaines explications, n’est pas sans répondre « C’est ça et ce n’est pas ça ». Ce à quoi souscrivent ses deux interlocuteurs, Paticart et Rinchal : « Comme pour n’importe quoi, les salaires, les voyages et le catéchisme : c’est ça et ce n’est pas ça ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> INCESTE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Qu’on ne se méprenne pas : il n’y a pas à proprement parler d’incestes dans les romans d’André Dhôtel mais des relations qui peuvent, avec toutes les nuances ou réserves que l’on voudra, être qualifiées d’incestueuses. Parlons plutôt de pulsions incestueuses, uniquement entre frères et soeurs, et oncles et nièces. Dans le premier cas (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) nous savons que Geoffroy Merandet a quitté la France pour se soustraire à « l’amour insensé » qu’éprouve pour lui sa soeur Jeanne (amour révélé par « la jalousie sauvage et inattendue d’une amante qui ne savait pas à quel point elle aimait »). Geoffroy n’étant pas d’ailleurs en reste. C’est pourquoi, confronté à l’amnésie de Geoffroy (qui, de retour en France, vagabonde dans la région sous le surnom d’Alfred), Gabriel Lafeuil finit par se demander s’il ne « vaudrait pas mieux que Geoffroy retrouve sa raison et qu’il devienne l’amant de sa soeur ». De suite après, toujours s’adressant à Isabelle, son interlocutrice, il ajoute « Il y a toi ». Ce à quoi la jaune fille répond : « Je serais plutôt une soeur pour lui. Tout est à l’envers malheureusement ». Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le plateau de Mazagran </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Juliette n’est pas sans informer ses deux prétendants, Maxime et Gabriel, de la passion jalouse de son jeune frère à son égard. Quant à l’Alcide Joras de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">L’homme de la scierie, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui aime sa soeur Éléonore, il reportera ensuite sa passion sur Virginie, la fille d’Éléonore. </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Cette dernière incidence permet de faire la liaison dans ce registre incestueux avec les relations oncles / nièces. Signalons surtout </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bonne nuit Barbara, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">roman dans lequel Barbara Semeur et son oncle Lazare se comportent comme des amants, cette relation étant avérée si l’on en croit la rumeur publique. L’attirance de Marc Fortan vers sa nièce Émilie (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le ciel du Faubourg</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">)</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">s’explique parce qu’en réalité la seconde n’est pas la nièce du premier comme tout le monde le croit (à l’exception bien évidemment d’Émilie et de sa sa mère). Une indécision que l’on retrouve dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le couvent des pinsons </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: Aurore est-elle la fille de Franck Devres ou de Lorgenais ? Citons : « Le plus grave ce fut que Franck éprouvait peut-être pour elle un amour qui n’était incestueux qu’en apparence, mais qui bouleversait la vie de la mère et de la fille ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> On ne saurait trop insister sur le fait que toutes ces attirances de nature incestueuses paraissent parfaitement aller de soi dans cet univers romanesque. Cela ne prend nullement un caractère transgressif avec Dhôtel. Ces inclinations « coupables » ne suscitent à l’égard des protagonistes ni véritable rejet, ni condamnation chez ceux qui y sont confrontés. Ceux et celles qui font état de ce genre de pulsion ne ressentent en retour nulle culpabilité. Pour certains cependant ne sont pas épargnés les affres de la jalousie.</span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> INSIGNIFIANCE</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Il existe deux façons de traiter l’insignifiance chez André Dhôtel. D’abord elle nous est donnée à travers des propos tenus par tel ou tel personnage secondaire. A l’instar de Gordique dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Le train du matin, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le rival de Gabriel Lefeuil dans le coeur de Jeanne Merandet, qui entend prouver à ce dernier qu’il n’est pas digne de Jeanne. Selon Gordique, Gabriel est un hypocrite, un imposteur, un manipulateur, et davantage encore un personnage insignifiant. Mais également, dans d’autres cas, l’un ou l’autre de ces personnages, principaux ceux là, prend le lecteur à témoin de son insignifiance. Par exemple dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Histoire d’un fonctionnaire, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Florent Dormel convaincu de longue date de son insignifiance, serait enclin à s’en satisfaire, et même, après une suite de déboires, à s’en féliciter : « Bien loin de s’en chagriner, il se félicite d’être enfin réduit à sa plus profonde nullité. C’est extraordinaire que puisse s’annuler une vie qui a toujours été nulle ». Une troisième façon pourrait être ici déclinée, intermédiaire en quelque sorte. Ce qui distingue le Désiré Belcourt de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Vaux étranges </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">du commun des mortels, à savoir sa manie de faire des phrases alambiquées impropres à la communication, devient la preuve de son insignifiance. On rapporte qu’il était un objet « de mépris et de raillerie, mais, comme le disait l’instituteur, il avait ainsi l’impression d’occuper une place dans un monde où on le voulait absent ». </span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans un article de la </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">NRF</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">, Dominique Aury, commentant </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mémoires de Sébastien, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">signalaient que les principaux protagonistes du roman (en particulier Sébastien et Marie-Jeanne) avaient « en commun l’insignifiance, ou plutôt la conviction de leur insignifiance ». Elle ajoutait que ces êtres « ne se croient rien dans le monde, et cependant ils vivent pour quelque chose d’absolument inconnu, un amour que rien n’arrête ni ne comble ». Dominique Aury concluait cet article par ces mots, que l’on aimerait prémonitoires : « Dans l’oeuvre d’André Dhôtel, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Mémoires de Sébastien </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">marque un feu de plus sur la route où tant de feux déjà brûlent et font digne dans le silence. Un jour une grande foule s’y réchauffera ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il ne faut cependant pas trop prendre le mot « insignifiance » au pied de la lettre. Elle renvoie aussi à une manière de se déresponsabiliser, de s’extraire des affaires du monde, d’affirmer son in-appartenance. Mais également de se reconnaître tel dans la mesure où ceux qui vous assignent de la sorte sont convaincus de leur signifiance (si l’on peut s’exprimer ainsi). Une signifiance dont la lecture de Dhôtel incline à penser qu’elle n’est en définitive qu’un leurre, un cache-sexe, ou une imposture.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span></p>
<p><strong style="font-weight:normal;"><br /><br /></strong></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> INSTABILITÉ</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nombreux sont les personnages des romans d’André Dhôtel qui se caractérisent par leur instabilité. Jacques Brostier dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">ouvre le bal. Le lecteur le découvre travaillant dans l’hôtel que sa tante dirige d’une main de fer (et dont il est le co-propriétaire). Des projets familiaux, concernant Jacques, seraient de nature à lui assurer un avenir enviable. Ce que l’intéressé va s’efforcer de démentir en refusant l’existence bourgeoise qui lui est proposée. Jacques s’acoquine alors avec de jeunes voyous : la belle équipe montera un commerce de « vendeurs à la sauvette ». Dans un entretien de 1978, interrogé par Laurence Paton sur </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Nulle part </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">(roman paru 35 ans plus tôt), Dhôtel affirme presque le contraire, du moins sous l’aspect d’une rupture avec son milieu, contre l’évidence même (du moins à mes yeux de lecteur). Est-ce dû aux nombreuses années le séparant de la rédaction de ce roman, ou d’un agacement vis à vis de l’intervieweuse (qui évoque le côté « irrécupérable », voire subversif de Jacques) ? Curieusement, pour étayer son point de vue, Dhôtel insiste sur l’application de son personnage à « toujours être poli », alors que cette « qualité », ajoute-t-il, « semble l’associer plus intimement à l’ordre admis plutôt que l’en éloigner » (ici Dhôtel semble oublier que dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">cette application, propre également à Bernard Casmin, se retourne contre ce dernier, devient la preuve même de la duplicité du jeune homme, quand Bernard devient indésirable pour la « bonne société » de Bautheuil).</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> L’instabilité dont il est généralement question avec Dhôtel renvoie le plus souvent à une instabilité professionnelle. Celle par exemple de Bernard Casmin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Bernard le paresseux</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">), qui après son renvoi de la Maison Barraudat est engagé par l’antiquaire Lourquin. La mauvaise réputation de Bernard finit par le rattraper et l’antiquaire le licencie. Puis Bernard se retrouve secrétaire et homme à tout faire dans une entreprise véreuse. S’ensuit alors une période d’inactivité, d’oisiveté, de dèche, de jours difficiles. Finalement Bernard accepte un poste de représentant dans la région. Ce qui, l’éloignant de Bautheuil, arrange tout le monde (ou presque). L’instabilité est en quelque sorte native chez Bertrand Lumin (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Lumineux rentre chez lui</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">). Il exerce après son service militaire diverses professions : citons « marchand de pendules », « secrétaire chez un négociant », « étalagiste », « employé de bureau », « libraire ». Bertrand connaît même la réussite sociale (et la considération qui va avec) en devenant le responsable du Comité des fêtes de la ville. Avec un tel personnage le naturel reprend le dessus et Bertrand va scier la branche sur laquelle il se trouve confortablement installé. Il échoue dans un village où il survit en effectuant des petits boulots. Bertrand en conclut que « la situation sociale ce n’est absolument rien » : il accepte généralement ce qu’on lui propose mais s’arrange pour transformer la moindre proposition en fiasco.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Il faudrait citer dans ce registre la Véronique Leverdier des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Disparus, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui abandonne ses études et passe d’un emploi à l’autre sans y attacher de l’importance. Ou le Félix Marceau de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Pays natal </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">qui préfère les chemins de traverse à ceux, balisés (c’est bien là le problème !), de la réussite sociale. Ou encore Lola et Pélagie, les petites filles du vieux Gildas (</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Je ne suis pas d’ici</span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">) pour qui, selon leur grand père, « la stabilité ça n’existe pas ». Lequel Gildas précisait auparavant à son interlocuteur : « Jamais elles ne croient qu’elles sont capables de se faire une situation comme tout un chacun ». Lola plus encore que Pélagie : elle « n’a pas voulu poursuivre ses études. Elle a trouvé une place de vendeuse et bientôt on l’a mise dehors pour avoir répondu à des clients avec brusquerie. Elle ne voulait pas faire le singe en se pliant à l’amabilité commerciale. Deux fois elle a perdu sa place. Enfin elle est apprentie dans un salon de coiffure ». La soeur, en quelque sorte, de la Rosemonde de </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">La Salamandre, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">le film d’Alain Tanner, sorti une dizaine d’années plus tôt.</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> C’est un autre type d’instabilité que présente le Sylvestre Baurand des </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Premiers temps, </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">puisque le lecteur fait la connaissance d’un homme rangé (Sylvestre a été jadis incarcéré à la suite de vols et d’escroqueries), qui depuis vit une existence sans histoire en exerçant la profession d’ébéniste. Pour préserver l’avenir de son fils (le passé des anciens « délinquants » n’en finissant pas de les rattraper dans les romans de Dhôtel), Sylvestre sera contraint de quitter le bourg où il s’était installé. L’occasion alors pour lui de vivre des aventures autant déraisonnables que dictées par la nécessité. Le fait d’enfreindre la loi leur étant subordonné. Comme l’écrit André Dhôtel : « Il y avait un Sylvestre merveilleusement hardi et insouciant, toujours prêt aux aventures et par surcroit patiemment attentif aux choses de la vie ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"><br /></span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> IRRÉGULIERS</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:15pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">A titre individuel il serait fastidieux de relever les nombreuses irrégularités que commettent d’un roman à l’autre maints personnages nés sous la plume d’André Dhôtel. Comme l’écrit Jean-Claude Pirotte dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Cavale </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">: « Tous ses personnages sont des contrebandiers, des adolescents en fuite, des apaches et des paresseux ». Ailleurs Pirotte précise : « Les gens réguliers et vertueux ça n’existe guère » chez Dhôtel. Ce n’est pas tout à fait par hasard si Antoine Marvaux dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Un jour viendra </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">se lie avec Vlaque et ses amis, qui vivent de petits trafics et se situent en permanence à la limite de la régularité. Le jeune Vlaque, considéré comme un voyou, explique à un Antoine hébété, qu’il est en réalité un bourgeois : « Un bourgeois ça vit avec des combines. Ca fait des bénéfices de cent pour cent et ça ne fiche rien du matin au soir ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"> Dans </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:italic;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">Les premiers temps </span><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;">la population de sous-prolétaires et de marginaux vivant dans la Cour des Choules, qui n’est pas sans ressembler à une cour des miracles, a toutes les bonnes raisons du monde de « craindre la police ». Cela suppose un certain type d’organisation. Dès qu’un individu douteux (selon les critères du lieu) pénétrait dans le passage menant à ce faubourg déshérité « ceux qui n’étaient pas en règle allaient se perdre du côté des greniers d’où ils pouvaient redescendre vers une autre cour, à travers des démolitions, non loin de l’avenue. Impossible de cerner ces lieux et personne n’y songeait. Les fonctionnaires, gendarmes, huissiers ou inspecteurs ne rencontraient là qu’une innocence pour ainsi dire infinie, ou bien le vide, par exemple une cambuse soudain sans mobilier ni habitant ».</span></p>
<p dir="ltr" style="line-height:1.44;margin-top:0;margin-bottom:0;text-align: justify;"><span style="font-size:12pt;font-family:'Helvetica Neue';color:#000000;background-color:transparent;font-weight:400;font-style:normal;font-variant:normal;text-decoration:none;vertical-align:baseline;white-space:pre;white-space:pre-wrap;"><strong style="font-weight:normal;" id="docs-internal-guid-69baa453-7fff-dc6b-c2cc-cdae15585ddb"><br /><br /></strong></span></p>