CONSIDÉRATIONS 
(INTEMPESTIVES ?) 
SUR LE « MOMENT  COVID-19 » 

Que dire du vertige qui fut le nôtre en mars 2020, alors que nous étions confrontés à une situation inouïe, sans précédent dans l’histoire moderne, un scénario auquel quelques mois plus tôt nous n’aurions pas accordé le moindre crédit ? Certains, parmi les commentateurs, avancèrent que le monde qui naitrait de l’après Covid-19 serait nécessairement différent de celui qui l’avait précédé, que de nombreuses remises en cause devaient en résulter (celle du capitalisme en premier lieu). Toute certitude mise de côté, l’hypothèse méritait néanmoins d’être retenue. Il faut reconnaître, cinq mois plus tard, que cette hypothèse se trouve sensiblement révisée à la baisse. Ce qui ne signifie pas qu’il faille abonder dans l’autre sens, pour reprendre le propos de ceux qui en mars ne se faisaient aucune illusion, déclarant même que le pire ne pourrait qu’advenir. Et force est de constater que la crise économique et sociale annoncée, dont il paraît difficile de prévoir à ce jour toutes les conséquences ne serait pas sans accréditer ce point de vue. A vrai dire nous retrouvons là l’éternelle querelle entre les optimistes et les pessimistes : les uns et les autres ayant à la fois tort et raison. Par conséquent il paraît préférable de ne pas se laisser enfermer dans ce genre de dilemme pour tenter de comprendre et d’analyser ce « moment Covid-19 ».

Nos remarques partent de cette indication fondamentale : la pandémie créée par le virus SARS-COVID-2 relève de ce que l’on appelle un « fait objectif ». Les États, les uns après les autres, ont été dans l’obligation de le reconnaître pour prendre, contraints et forcés, les mesures propres à pouvoir limiter la diffusion de l’épidémie : des mesures plus ou moins contraignantes et coercitives d’un pays à l’autre. Donc, phénomène sans précédent, de « privilégier la vie » au détriment de l’économie. Ce qui signifie que le capitalisme s’y est résolu parce que le contraire - ne pas en tenir compte - lui apparaissait encore plus préjudiciable du point de vue de sa pérennité. Il lui importait de guérir le mal par le mal pour repartir sur d’autres bases, voire se régénérer, avec le risque d’engendrer une crise économique et sociale de l’importance de celle de 1929, ou même pire.

Des commentateurs ont récusé l’importance ou encore l’existence du Covid-19, nous verrons plus loin à quelles fins. D’autres, sans pourtant reprendre ce discours, n’en ont pas moins remis en cause les mesures mises en place (le confinement d’une grande partie de la population, et ce qui en résultait) pour affirmer qu’elles auraient pu être évitées. Certes mais en réécrivant l’histoire. D’où la nécessité depuis l’exemple hexagonal de replacer les tribulations du Covid-19 dans un contexte d’abord général (celui bien connu d’un constat de « casse sanitaire » allant s’accroissant, conséquemment aux politiques néo-libérales des trente dernières années), et celui plus particulier de l’hiver 2020 (très peu commenté) pour démontrer si besoin était que ce qu’il aurait alors fallu faire (que ces commentateurs préconisaient depuis leur lieu de confinement) n’était tout simplement pas envisageable.

Ce qui nous ramène à la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement français. Elle ne peut être analysée indépendamment des raisons pour lesquelles l’exécutif en France souffre d’un discrédit sans équivalent dans les pays de l’Europe de l’ouest. Depuis cette antienne tout ce qui sera à juste titre reproché au gouvernement dans sa gestion de la crise sanitaire fait partie du problème, en est l’un des éléments les plus patent, mais n’est pas tout le problème. Ici nos considérations pourront paraître intempestives. Elles prolongent d’une certaine manière celles faites seize mois plus tôt sur le mouvement des Gilets Jaunes. Le populisme diffus propre à cette époque n’est pas sans incidence sur la façon d’interpréter ce « moment Covid-19 ». C’est en terme de tendance que nous relevons par exemple que le ressentiment et la perspective dégagiste prennent le pas sur l’esprit critique et la dimension émancipatrice. Les réseaux sociaux y concourent. Ce n’est que l’un des aspects d’une tendance plus générale - le dégagisme étant en d’autres lieux remplacé par la revendication communautariste - qu’illustrent le néoféministe et l’indigènisme (ou les décoloniaux).

Ceci précisé l’analyse serait à reprendre là où nous l’avions laissée quelques mois plus tôt, en ajoutant que ce « moment Covid-19 » ne l’a nullement démentie. D’où l’obligation de reprendre le problème à sa source, de le traiter prioritairement depuis ses causes : ce qui n’est pas nier ou éluder ses conséquences mais celles-ci ressortent d’une part d’un autre niveau d’analyse, d’autre part il ne paraît pas encore possible d’en faire un relevé exhaustif. Parmi les principaux enseignements de ces derniers mois, il en est un qui renvoie plus directement à notre mode de vie (plus particulièrement dans le monde occidental). Nous le savions déjà, mais le savons encore mieux eu égard la principale cause de décès due au Covid-19. L’âge à lui seul n’expliquait pas tout quand les patients infectés se trouvaient déjà fragilisés par l’une ou l’autre de ces affections principalement imputables à notre mode de vie. L’alimentation industrielle, en premier lieu, en porte la responsabilité. Cependant cette prise de conscience - à condition bien sûr qu’elle soit suivie d’effets - qu’ici la pandémie a renforcé ne peut concerner dans l’état actuel des choses que la partie la plus privilégiée de la population. Une question là encore, que ce « moment Covid-19 » a mis sous une lumière crue, qui ne peut être résolue en dehors d’une profonde transformation de la société.

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Nous ne saurions trop renvoyer au texte de Jérôme Baschet (« Qu’est ce qui nous arrive ? »), publié sur Lundi Matin en avril 2020, pour introduire ce « moment Covid-19 » (même si nous ne partageons pas certaines des conclusions de l’auteur). Ainsi Baschet propose la définition suivante : « Les pandémies sont des phénomènes qui transgressent la dissociation moderne entre nature et société, et qui dépendent en grande partie des interactions entre milieux naturels et mode d’organisation des collectifs humains ». Ce que l’on appelle la « révolution néolithique », poursuit Baschet, « a créé les condition d’une promiscuité tout à fait nouvelle entre humains, animaux domestiques et commensaux attirés par les stocks de denrée. C’est ce qui a favorisé la transmission à l’homme d’agents pathogènes jusque là propres à diverses espèces animales, provoquant ainsi l’émergence des grandes maladies infectieuses qui ont depuis affecté l’humanité ».

Venons en à la dernière en date. Déjà responsable de la diffusion rapide de la pandémie de Covid-19 sur tous les continents, et plus particulièrement en Europe sous sa forme mondialisée (ou globalisée) le capitalisme l’est plus structurellement à travers les effets délétères et destructeurs de l’alimentation industrialisée, lesquels sont généralement la cause de l’obésité, du diabète et de l’hypertension dont un tiers de l’humanité se trouve affectée. Ces trois maladies constituent la principale co-morbidité des décès de personnes atteintes par ce coronavirus. Ce qui doit être souligné. D’abord pour insister sur ce qui distingue fondamentalement le Covid-19 des virus qui l’ont précédé depuis un demi siècle. Ensuite pour indiquer que la lutte contre cette pandémie (et celles qui pourraient au XXIe siècle lui succéder) passe par la condamnation sans appel du capitalisme (et des modes de vie qu’il génère), à condition que celle-ci soit suivie d’effets. Ce qui signifie qu’il nous faut traiter le mal à sa racine et en tirer toutes les conséquences. C’est l’un des principaux enseignements de ces derniers mois : parmi toutes les raisons de vouloir en finir avec ce monde il convient d’ajouter celle-ci.

Cependant un large état des lieux s’impose préalablement. Et même, avant d’en venir à la manière dont les États ont réagi face à cette pandémie, il importe de bien distinguer deux points de vue antagonistes : le premier en reconnait la réalité, tandis que le second la nie. Comme on le verra plus loin, politiques, médecins et opinions publiques ont, à l’exception d’une partie du continent asiatique, largement sous-estimé l’importance de ce phénomène épidémique dans un premier temps, avant de changer radicalement de cap devant la progression exponentielle de la pandémie. Ce qui a pu conforter les partisans du second point de vue.

Parmi ceux-ci, qui donc récusent l’importance du Covid-19, voire son existence nous trouvons en premier lieu le philosophe italien Giorgio Agamben. Il y a quelque ironie à relever que dans un second temps Trump puis Bolsonaro ont emprunté ses pas. Non sans préciser que le propos d’Agamben - celui-ci l’illustrera ensuite de différentes manières - soulève bien évidemment des questions absentes de celles qui se rapportent aux deux chefs d’État américains, uniquement dictées par des considérations économiques. C’est à la date du 26 février qu’Agamben (dans un pays, l’Italie, le premier en Europe confronté au phénomène épidémique) signe un article retentissant dans lequel, s’abritant en partie derrière un rapport du Centre National de la Recherche italien, il évoque les « mesures d’urgence frénétiques, irrationnelles et totalement injustifiées, pour une supposée épidémie de coronavirus », et ajoute plus loin que « la disproportion face à ce que, selon le CNR, est une grippe normale, peu différente de celles qui se répètent chaque année est évidente. Il semblerait que le terrorisme étant épuisé comme cause de mesures d’exception, l’invention d’une épidémie puisse offrir le prétexte idéal pour les étendre au-delà de toutes les limites ».

D’autres textes d’Agamben suivront en mars et en avril, moins explicites en terme « d’invention d’une épidémie » mais qui néanmoins tenteront de l’accréditer. Y compris de façon complètement retorse dans un entretien accordé par Agamben en mars au Monde) : « Quand on parle d’invention dans un domaine politique, il ne faut pas oublier que cela ne doit pas s’entendre dans un sens uniquement subjectif. Les historiens savent qu’il y a des conspirations pour ainsi dire objectives qui semblent fonctionner en tant que telles sans qu’elles soient dirigées par un sujet identifiable ». En réaction à ce fragment d’entretien François Rastier répondait : « Ce propos singulier semble marquer une nouvelle étape dans l’histoire du conspirationnisme contemporain : alors que jusqu’ici une théorie de la conspiration visait à donner une interprétation fausse d’une situation objective, ici c’est la situation objective qui devient une conspiration ». Ce qui est bien vu.

Dans des Nouvelles réflexions datées du 22 avril, Agamben relativise la mortalité causée par le Covid-19 en Italie sans préciser que ce soi-disant faible nombre de décès est dû aux mesures de confinement qu’il critique. Certes Agamben ne fait pas preuve ici d’une grande originalité puisque ce discours est tenu par beaucoup de ceux qui, sans pourtant nier la réalité de la pandémie, remettent cependant en cause les mesures propres à la juguler. Par delà ce genre de constat le propos d’Agamben n’est que l’un des aspects au travers duquel le philosophe de manière constante, pour citer l’un de ses commentateurs, rejette la « science vue comme un dogme ». Ainsi Agamben reprend le discours selon lequel il serait « dangereux de confier aux médecins et scientifiques des décisions qui sont, en dernière analyse, éthiques et politiques ». Ce qui est un sujet très légitime de discussion à condition de bien indiquer que ces médecins et scientifiques n’avaient eu durant la période de confinement qu’un rôle consultatif en Italie comme en France. Les gouvernements avaient il est vrai suivi leurs préconisations avant de s’en affranchir dans un second temps. En tout cas cet « oubli » permet à Agamben d’assortir son propos de comparaisons déplacées sur le nazisme, puis de déclarer sans barguigner que « les virologues admettent ne pas savoir exactement ce qu’est un virus, mais en son nom ils prétendent décider comme doivent vivre les êtres humains ». Là encore Agamben déforme la réalité pour que ce qu’il en retient vienne étayer son postulat initial.

Pourtant le pire reste à venir. Le philosophe conclut ces Nouvelle réflexions par le constat suivant : « Et le contrôle qui vient s’exercer au moyens de caméras de vidéo-surveillance et maintenant, comme il a été proposé, avec les téléphones portables excède de très loin toute forme de contrôle exercée sous les régimes totalitaires comme le fascisme et le nazisme ». Un lien doit être établi entre le « déni dangereux, forme de négationnisme sanitaire » (François Rastier) de l’article du 26 février 2020, et ce que Agamben reformule deux mois plus tard : qui sidère d’autant plus que la comparaison, déjà totalement contestable, se trouve renforcée par la mention « excède de très loin ». C’est tellement outrancier qu’il n’y a pas lieu de le récuser (en s’étonnant, au passage, de l’absence du totalitarisme soviétique). On se contentera d’ajouter que ce genre de propos relativise la réalité de fascisme et plus encore du nazisme, autant qu’il les banalise. Ceci ne saurait cependant pas trop surprendre les lecteurs d’Agamben qui savent depuis Le pouvoir souverain de la vie nue et L’État d’exception, parmi d’autres ouvrages, que ce qui nous parait plus haut outrancier trouve un fondement théorique dans l’oeuvre d’un philosophe assurément post-moderne, mais plutôt classé à l’ultra-gauche. Après tout que peut-on attendre d’un penseur se référant principalement (à côté du dernier Foucault) à Carl Schmitt et à Heidegger.

Confrontés à l’irruption d’une épidémie virale du nom de SARS-COVID-2 pour laquelle il n’existait (pas plus qu’il n’existe en août 2020) ni traitement curatif efficace ni vaccin, les États ont pris des mesures, plus ou moins contraignantes et coercitives, visant à endiguer cette pandémie. Préalablement à la rapide description de ce qui sera mis en place d’un pays à l’autre indiquons que ces trains de mesures reposaient sur les trois stratégies suivantes (déjà connues, même si les secondes et troisièmes renvoient à de lointains exemples historiques). Premièrement laisser l’épidémie se propager en attendant que devienne effective une immunité de groupe. Deuxièmement mettre en oeuvre un confinement strict, impliquant l’arrêt de nombreuses activités économiques et le contrôle de la population. Troisièmement privilégier en amont des mesures de prévention sanitaire (renforcées par des confinements partiels et la limitation d’activités de tout ordre).

On l’a dit et redit : des pays comme la France, l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne payent au prix fort leurs désastreuses politiques néo-libérales qui, dans le domaine sanitaire, les avaient conduit à faire des coupes sombres dans les budgets alloués à la santé depuis plusieurs décennies. Cela était aussi le cas de l’Allemagne mais dans une moindre mesure : sur la question devenue cruciale avec le Covid-19 des lits de réanimation l’Allemagne se trouvait mieux dotée que ses voisins de l’Europe de l’ouest à la veille de la pandémie. Ce n’était pas faute, en France, d’avoir été alerté depuis de longues années par le personnel hospitalier sur le manque accru de moyens, le problème récurrent des urgences, des dysfonctionnements de tous genres qui, cumulés avec la modicité des traitements des personnels, reléguaient l’hôpital au rang d’un parent pauvre de la société, malgré les réformes successives du système de santé jouant le rôle d’un pansement sur une jambe de bois.

En France donc, comme dans les autres pays européens cités, ainsi que la plupart des pays à travers le monde, aucun État (à de rares exceptions près) n’était en mesure d’affronter sans dommages la menace représentée par un virus encore inconnu quelques mois plus tôt. C’est bien parce que le Covid-19 les mettaient tous au pied du mur qu’il leur fallu prendre des mesures drastiques, plutôt acceptées par les populations dès lors qu’elles réalisaient qu’il s’agissait d’un moindre mal dans un contexte de crise sanitaire où ne rien faire aurait été encore pire. Bien entendu une telle analyse doit être affinée et modulée, remise en perspective, voire quelque peu corrigée en regard de situations locales précises. Cependant on n’insistera jamais trop sur notre méconnaissance (celle il va de soi des scientifiques, médecins épidémiologues en premier lieu) envers un virus que l’on apprendra à mieux connaître au fil des mois : ce déficit de connaissance étant l’un des éléments structurants au travers de laquelle cette acceptation, en plus des données objectives relevées plus haut, reposait sur la peur. J’ajoute que cette peur était fondée, en premier lieu chez les personnes les plus à risques, mais également de manière plus diffuse dans l’ensemble de la population qui, j’y reviens, n’avait pas à ce stade de réponses véritablement satisfaisantes, soit sur l’usage des masques, l’importance des tests, soit sur la nocivité même du virus (vis à vis des enfants en premier lieu). Une meilleure connaissance du Covid-19 permettra peu à peu de rectifier le tir en agissant de manière plus adaptée. Ce qui n’empêchera pas, bien au contraire, les frustrations de s’étaler de plus en plus au grand jour durant une période de confinement qui s’éternisait.

Parallèlement à ce qui vient d’être indiqué sur le plan sanitaire, le problème en France se trouve redoublé par une donnée qui certes l’excède mais que l’exemple suivant met particulièrement en valeur. Celui d’un sondage Odoxa réalisé le 10 mai dans les cinq principaux pays de l‘Europe de l’ouest : à la question posée (le gouvernement a-t-il été à la hauteur de la situation face à la crise liée à la pandémie de coronavirus ?), les espagnols répondent oui à 32 %, les français à 34 %, les italiens à 50 %, les allemands à 60 %, les britanniques à 63 %. C’est plus qu’étonnant de trouver un tel degré de confiance des britanniques envers un gouvernement dont la responsabilité dans la crise sanitaire parait plus engagée que celle des autres pays cités, principalement pour avoir privilégié dans un premier temps la stratégie d’immunité collective. Au point de dépasser successivement tous ses voisins européens dans la sinistre comptabilité des décès dus au Covid-19. Cette surprenante confiance (dans un pays où la presse n’a pas ménagé le gouvernement) ne s’explique qu’en partie par le fait que Boris Johnson avait été lui-même affecté par le coronavirus et hospitalisé plusieurs jours dans un service de soins intensifs. Sur l’ensemble des questions posées dans ce sondage, portant sur la confiance envers leurs gouvernants, nous retrouvons 23 à 25 % d’approbations positives chez les français contre 43 et 46 % pour la moyenne des sondés européens. La France étant le pays dont la population se montre la plus défiante envers son exécutif.

La gestion de la crise sanitaire en France n’a pas été plus calamiteuse qu’en Italie et en Belgique, voire moins qu’en Espagne, et moins qu’en Grande Bretagne (mais plus qu’en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas ). Dans chacun des premiers pays cités les autorités ont piloté à vue, en fonction de ce qu’elles apprenaient presque chaque jour sur la spécificité du virus (d’où cette gestion erratique), confrontées à l’obligation de trouver rapidement des solutions souvent insatisfaisantes en raison du sous-équipement des secteurs hospitaliers (manque de masques, de tests, de lits de réanimation). La question de l’impréparation, qui également y concourait, doit ici être remise en perspective. On s’est souvent référé à la Corée du sud comme exemple d’un pays où la population, mieux préparée, avait été en mesure de répondre de manière plus satisfaisant, plus efficace et plus concertée à une telle pandémie. Mais ce qui était envisageable dans ce pays asiatique, déjà confronté depuis le début de ce siècle à deux importants phénomènes épidémiques, dont les habitants d’avèrent moins rétifs sur les questions dites de « protection sanitaire » aux injonctions gouvernementales, ne pouvait l’être en Europe (à l’exception très relative de l’Allemagne). Et l’on ne saurait oublier, comme le rappelle l’économiste Pierre Velz, que « les maladies infectieuses, respiratoires en particulier, constituent dans nos pays riches une cause devenue très mineure de mortalité (moins de 2 % de décès), alors qu’ils sont toujours une cause essentielle dans les pays pauvres ». Velz ajoute, chiffres à l’appui : « Même si elle est « coupable », une certaine impréparation est donc explicable ».

Mais revenons à cette « exception française ». dont l’ampleur excède le cadre macronien. Le discrédit sans égal dans l’Europe de l’ouest des français envers l’actuel chef de l’État et son gouvernement, en y ajoutant les « élites », les médias, les institutions diverses, voire les partis politiques et les syndicats, si elle ne date pas des trois dernières années s’est cependant trouvée accentuée dans les lendemains de l’élection de Macron. Dans le monde d’avant, celui du XXe siècle, on relevait il va sans dire de profonds désaccords entre une forte minorité de français (sinon plus) et le gouvernement en place : avec l’alternative droite / gauche ce n’était d’ailleurs pas la même d’un septennat à l’autre (ou à l’intérieur d’un septennat en période de cohabitation). Mais dans un cas comme dans l’autre il s’agissait de mécontentements politiques bien identifiables, associés au rejet d’une politique de droite ou de gauche. Cette donne, qui avait le mérite de la clarté, s’est trouvée très progressivement remise en cause avec la seconde élection de Chirac. L’absence du candidat de gauche au second tour face au président sortant, inaugure une autre époque, plus confuse. Et pourtant, en 2003 encore, nous vivions dans « le monde d’avant ». Si l’on reprend dans le détail l’épisode de canicule de l’été 2003, l’observateur de ce printemps 2020 ne peut qu’être effaré par la légèreté de l’exécutif devant ce qui relevait certes d’une situation exceptionnelle, jamais vécue auparavant (nous ne parlions pas encore de « réchauffement climatique »). Alors que les médecins urgentistes dénonçaient un « désastre sanitaire » sans équivalent, le gouvernement lui restait en vacances. D’ailleurs le Ministre de la Santé n’avait pas jugé utile de quitter son lieu de villégiature lors de sa première et tardive intervention publique. Le Premier Ministre ne mettra fin à ses vacances que la veille du déclin de la canicule. Seul le Ministre de la Santé sera débarqué quelques moins plus tard lors d’un remaniement ministériel. Chirac, revenu plus tard lors de ses vacances québécoises, niera la responsabilité de l’exécutif dans ce désastre sanitaire (préférant incriminer un « manque de solidarité entre les citoyens »). En octobre il recueillait encore 50 % d’opinions positives. Ensuite, avec Sarkozy d’abord, Hollande puis Macron, ce discrédit déjà repérable vers la fin du quinquennat de Chirac, va peu à peu s’accentuer pour atteindre, lors du mouvement des Gilets Jaunes en 2019, puis celui contre le projet de réforme des retraites un an plus tard, un étiage encore inusité sous le Cinquième République.

En cette année 2020 donc, pour prolonger ce qui a été indiqué plus haut, c'est principalement en amont que doit être posée la responsabilité de l’exécutif dans le bilan de sa gestion de crise. En mars, avril ou encore en mai, le pouvoir sur le plan sanitaire a géré tant bien que mal la situation la plus catastrophique que nous ayons connu depuis la Seconde guerre mondiale. Cela aurait-il pu être évité ? Il faudrait réécrire l’histoire pour y répondre. Quand par exemple le docteur Gérard Délépine écrit (pour reprendre un discours entendu maintes fois) : « La seule stratégie qui a prouvé qu’elle était efficace pour arrêter une épidémie est de fermer précocement les frontières, de dépister massivement, puis de confiner les contaminés et / ou les traiter, tout comme les cas à risques. La population non contaminée doit pouvoir se protéger (masques, gel) et poursuivre ses activités pour permettre à la nation de disposer de toutes les armes nécessaires pour combattre », il a bien entendu raison. Mais nous aurions aimé l’entendre au moment même où ces dispositions auraient dû être mises en place, plutôt qu’après de longues semaines de confinement. Le docteur Délépine et tant d’autres ne nous ont fait part de leurs certitudes en terme de « gestion de crise » qu’a posteriori. Ce qui n’est pas inutile puisque cela vaut comme enseignement pour les éventuelles pandémies à venir. Et puis, sans pourtant récuser pareille stratégie (la justesse du constat n’est pas mis en cause), tout simplement, je vais y venir, un tel programme on le regrette n’était pas auparavant envisageable.

D’abord re-contextualisons ce moment pro-épidémique. Tout le monde en France a minimisé dans un premier temps l’importance de ce qu’on n’appelait pas encore une pandémie : le pouvoir politique comme son opposition, les autorités médicales et les chefs de service hospitaliers (ce qui est plus problématique), l’auteur de ces lignes, ses amis, etc. En janvier et février des professeurs de médecine, majoritairement urgentistes et infectiologues, relayés par des « experts » et des journalistes médicaux, se sont succédés sur les plateaux de télévision pour relativiser la menace représentée par ce coronavirus inconnu. Il ne fallait pas s’inquiéter, nous répétait-on, la Chine étant la Chine et l’Europe l’Europe. En plus nous n’avions pas été infectés, ou à une moindre échelle, par les précédentes épidémies en provenance d’Asie. Quand le virus fit son apparition en Italie ce discours persista, même si des interrogations se firent entendre. Un peu moins cependant lorsque l’épidémie s’étendit à toute la Lombardie. Même les premiers cas de Covid-19 signalés en France ne changèrent pas véritablement la donne. Disons pour résumer que le souci de ne pas affoler la population prévalait. Un souci qui paraissait alors fondé.

Cependant cette re-contextualisation resterait insuffisante sans le rappel suivant. Dans l’hypothèse où en février 2020 (et même en janvier), le gouvernement informé à bon escient (mais par qui ?) ait cru bon nous alerter sur l’importance de l’épidémie et la nocivité du Covid-19, envisageant pour y répondre de prendre les mesures nécessaires pour affronter la pandémie en toute connaissance de cause (celles là mêmes préconisées ensuite par le docteur Délépine et compagnie depuis leurs lieux de confinement), que n’aurait-on alors entendu ! Le gouvernement eût été accusé par l’opposition de gauche, les syndicats, Médiapart (voire même le RN et les Républicains pour d’autres raisons), de se livrer à une opération de diversion pour détourner l’attention de la population de ses responsabilités dans la poursuite d’un conflit qui s’enlisait, ce mouvement contre la réforme des retraites pourtant soutenu par une majorité des français ; de jouer d’une façon indécente sur les ressorts de la peur, de vouloir créer un climat de panique. Edwy Plenel aurait sorti l’un de ces éditoriaux dont il est coutumier, que ses lecteurs attentifs peuvent imaginer sans trop de difficulté. Doit-on rappeler aussi que l’affaire Matzeff / Springora, celle associée à Polanski et aux Césars (avec Adèle Haenel en Guest-star), et auparavant l’affaire Griveaux volaient largement la vedette à ce coronavirus dont beaucoup prononçaient difficilement le nom.

Une fois le confinement mis en place, c’est surtout sur le problème de l’absence de masques sanitaires que ce sont concentrées les critiques envers l’exécutif. Précédemment les mêmes sommités médicales qui défilaient sur les plateaux TV ne les préconisaient que pour les seuls soignants du secteur hospitalier ou les personnels pouvant se trouver en contact avec des patients Covid. L’OMS tenait à l’époque le même discours. Confronté à la pénurie de masques le gouvernement a menti par omission. Une position qui devenait difficilement tenable dès lors que l’on apprenait à mieux connaître la nature de ce coronavirus. Sans parler des atermoiements, des maladresses ou des contradictions de l’exécutif durant une période de confinement de moins en moins supportée par une partie de la population. Nécessité aussi de se replacer dans le contexte du moment, en rappelant que le gouvernement, une semaine avant l’annonce du confinement, et jusqu’en mai, aura suivi à la lettre les préconisations du Conseil scientifique mis en place au début de mars, y compris en changeant de doctrine sur cette sempiternelle question du port de masque.

Des enquêtes journalistiques ont souligné la responsabilité des gouvernements des quinquennats Sarkozy, Hollande, puis Macron dans la gestion des stocks de masques sanitaires ; auxquels venaient s’ajouter les pesanteurs de l’administration, rendant encore plus opaque cette gestion. Durant le confinement, et même après, cette pénurie de masques a joué le rôle de l’arbre cachant la forêt. La crise sanitaire l’a mise au premier plan alors qu’il ne s’agissait que la partie émergée de l’iceberg. En tout cas cette focalisation sur l’absence de masques n’a pas été sans provoquer maints commentaires critiques. Les plus outragés affirmant que cette pénurie serait responsable de plusieurs milliers de morts. Des affirmations nullement vérifiables puisque cette comptabilité, soumise à un principe de géométrie variable, n’entre pas dans la catégorie de ce qu’on appelle des « faits objectifs ». Comment la mesurer si l’on sait que les masques sanitaires, d’un modèle à l’autre, ne protègent pas à 100 %, qu’ils doivent recouvrir le menton, la bouche et le nez pour être efficaces, et que leur usage est limité à quatre heures. On a également dit, sans pouvoir en apporter la preuve, que les autres « gestes barrières » (la distanciation physique en premier lieu) s’avéraient davantage protecteurs. Pour prendre un exemple concret de « faits objectifs », nous pouvons précisément chiffrer les victimes des violences policières pendant les manifestations des Gilets Jaunes, en terme de blessures graves (perte d’un oeil), de blessures légères, ou d’incapacité de travail. Mais pareille comptabilité ne peut être rapportée dans le cas présent de pénurie de masques en l’absence de tout critère objectif. Dans le même registre d’autres commentateurs (ou parfois les mêmes) ont prétendu que le choix des autorités sanitaires, proscrivant la prescription de l’hydroxychloroquine aux malades Covid, serait la cause de milliers de décès (le professeur Perronne l’a même chiffré : 25 000 morts, affirmait-il en juin) : ces décès auraient pu être évitées si l’on avait, selon eux, prescrit massivement cette molécule. A lire ces différents commentaires on en déduit qu’il ne s’agirait pas nécessairement des mêmes victimes. Ce qui nous entraine, en additionnant le chiffrage des uns et des autres, du moins depuis les hypothèses les plus alarmistes, à trouver un nombre de décès dépassant le seuil des morts du Covid-19 comptabilisé à ce jour. L’illustration en quelque sorte de la célèbre pagnolade selon laquelle tel breuvage comporte « un tiers de curaçao, un tiers de citron, un tiers de picon, et un tiers d’eau ». Plus trivialement nous subodorons que le professeur Perronne et ses émules feraient en quelque sorte voter les morts.

Redevenons sérieux en indiquant que des commentateurs plus conséquents, en regard des mesures drastiques prises par les autorités de chaque pays pour enrayer la pandémie, ont relevé que l’intérêt du bien commun ne pouvait que restreindre durant une période variable nos libertés individuelles. Pour l’économiste Pierre Velz, comparant vers la fin du mois de mars les épidémies précédentes à celle-ci, cette différence spectaculaire de traitement indique que « nous avons augmenté la valeur de la vie humaine ». Ceci se trouvant corrélé par le souci de transparence dans une époque où les médias et Internet ont pris l’importance que l’on sait. Ce que résume l’un de ces experts médicaux présent sur un plateau de télévision pendant le confinement par la formule : « Pour la première fois nos sociétés ont choisi la vie plutôt que l’économie ». Un « refus de la mort évitable » qui pour Velz est « un immense progrès ». Sans pour l’instant discuter ou relativiser ce propos, notons qu’il traduit très précisément le caractère exceptionnel de la période que nous venons de traverser. Là où d’aucuns se réfèrent à un changement radical de paradigme, d’autres le mettent sur le compte d’une révolution anthropologique.

Pour prolonger le commentaire de Pierre Velz revenons sur une donnée essentielle du Covid-19 : la surmortalité des personnes âgées. Avant que la quasi totalité des pays européens choisissent pour lutter contre cette pandémie de confiner contraintes et forcées leurs populations, nous savions à travers l’exemple italien (confirmant ceux des pays asiatiques) que le Covid-19 pouvait infecter toutes les classes d’âge mais que, contrairement aux grippes classiques, seules dans leur grande majorité les personnes âgées décédaient de ce coronavirus. Cette donnée se trouvait-elle suffisamment étayée quand les États européens ont confiné les uns après les autres leurs populations ? Parce que sur le moment la question de savoir s’il ne fallait pas préférentiellement confiner les personnes âgées (ou plus généralement les personnes « à risque »), ceci pour éviter un arrêt brutal de l’économie, n’a pas été posée ; du moins publiquement. Devant les progrès spectaculaires de la pandémie le souci de reproduire ce qui avait été mis en place en Chine (avec un certain succès, semblait-il), puis en Italie, l’expliquait en partie. Sans parler du caractère impopulaire, ségrégationniste d’une telle mesure. Par la suite le confinement se prolongeant, la question devenait davantage recevable. Elle fut d’ailleurs posée en France au plus haut sommet de l’État, et de manière moins interrogative par la présidente de la Commission européenne. Devant la levée de boucliers provoquée par une telle éventualité, l’exécutif en France peu de temps après indiquait que le déconfinement concernait toutes les classes d’âges.

D’un point de vue que l’on qualifierait de rationnel, en confinant uniquement les personnes à risques (donc âgées) on évitait que la plus grande partie de la population, celle dite active, le soit. Les écoles, les commerces et les services restaient ouverts, les transports circulaient, les salariés se rendaient sur leur lieu de travail, ainsi l’économie n’était nullement paralysée. Cela n’excluait pas, bien au contraire, le virus continuant à circuler, l’obligation de mesures adéquates, préventives, donc le port de masques sanitaires et le respect strict de « gestes barrières ». Ce choix aurait pu s’imposer. Ce qui n’a pas été le cas puisque aucun État ne s’y est résolu, les raisons éthiques prenant alors le pas sur la raison économique. Cependant, ceci avancé, cette rationalité n’est-elle pas un trompe-l’oeil ? A vrai dire nous nous serions retrouvés dans une situation d’immunité de groupe dont on sait que seules en Europe la Grande Bretagne (durant peu de temps), et la Suède (depuis une formule mixte ) l’ont expérimentée. Et puis les hôpitaux auraient été débordés, pas tant du point de vue des seuls services de réanimation, que dans leur capacité d’admettre des personnes de tout âge. Soit l’hôpital implosait ; soit la médecine de ville, débordée, se trouvait dans l’incapacité de traiter de manière satisfaisante les malades Covid. Mais l’hypothèse d’une moindre mortalité paraît plus sérieuse (quoique l’exemple suédois l’infirmerait).

En réalité, on en revient toujours au même point, les États européens, et l’Italie en premier lieu étaient intervenus trop tard. Il n’y avait pas d’autre solution en mars que de confiner la population avec tout ce que cela supposait et impliquait. Disons, pour conclure provisoirement là-dessus, qu’il me paraissait essentiel de recontextualiser le propos selon lequel « pour la première fois nos sociétés ont choisi la vie plutôt que l’économie ». Certes, mais à leur corps défendant, et sous la pression des événements.

Ne nous ne méprenons pas cependant sur cette « augmentation de la valeur de la vie humaine » : ce constat n’a pas lieu d’être démenti mais on ne saurait s’en tenir là. La meilleure réponse à la question (« Comment en sommes nous arrivés là ? ») émane des responsables de deux des principales institutions mondiales, Kristalina Georgieva (Directrice du FMI) et Tedros Adhnom Ghebreyesus (Directeur de l’OMS), dans une tribune du 3 avril publiée dans Daily Telegraph. La contradiction entre des obligations à ce point opposées, le souci sanitaire contre l’impératif économique, donnant la primauté au premier (« Tous les pays se trouvent face à la nécessité de contenir la propagation du virus au prix d’une paralysie de leur société et de leur économie ») se trouve résorbée de la façon suivante : « Sauver des vies ou sauver des moyens de subsistance ? Contrôler le virus est, dans tous les cas, une condition préalable pour sauver des moyens de subsistance (…) Le cours de la crise sanitaire mondiale et le destin de l’économie mondiale sont inséparablement entrelacés. Combattre la pandémie est une nécessité pour que l’économie puisse récupérer ».

Tout est dit. Le capitalisme confronté à une menace dont seuls les ignorants récusent l’importance devait préférablement choisir une solution qui trois mois plus tôt aurait appartenu au registre de la science fiction : guérir le mal par le mal avec le risque de mettre l’économie mondiale à genoux, sans parler des conséquences sociales désastreuses pour les populations des pays les plus exposés. Mais c’était la seule solution qui puisse, à moyen ou long terme, permette au capitalisme de se régénérer (au prix d’une sévère crise économique et sociale à l’échelle de la planète). Ce qui suppose, comme l’indique Jérôme Baschet, « que derrière la conjonction des exigences sanitaires et économiques, se dessine une triple alliance des acteurs, du Capital, d’un pouvoir politique éclairé et des experts de la science ». Ceci bien évidemment au détriment des populations les plus défavorisées.

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Dans son commentaire sur le « refus de la mort évitable » (ou du « choix de la vie contre l’économie ») Pierre Velz ajoutait que cette donnée n’en comportait pas moins un « grand danger qui est de penser que toute mort est évitable ». Ce qui contribue à « faire des responsables politiques et sanitaires des boucs émissaires faciles » dès lors que ceux-ci ne seraient plus en mesure de répondre à cet impératif qui, comme pour les guerres modernes, rend de plus en plus intolérable toute perte humaine. Un discours déjà repris dans le courant de mars par les populistes, lesquels « risquent de tirer les marrons du feu. Au « tous pourris » s’ajoute, on l’entend déjà, les « tous nuls » ».

Ce qui est indéniable et vérifiable, mais reste néanmoins insuffisant. Ici, par souci de clarification, je préfère me cantonner à l’exemple hexagonal. Nous avons dans la première partie relevé qu’en France le phénomène de défiance envers l’exécutif, les gouvernements, voire les « élites » et certains corps constitués n’avait pas d’équivalent dans l’Europe de l’ouest. Une défiance encore accrue avec le mouvement des Gilets Jaunes, puis ravivée plus récemment lors du mouvement social opposé à la réforme des retraites. Elle marqua une pause, toute relative, lors de l’annonce du confinement, et jusqu’à la fin du mois de mars. Puis, rapidement, les critiques s’abattirent sur l’exécutif, les plus sévères concernant la pénurie de masques.

Les opposants politiques à Macron, toutes tendances confondues, reconnaissaient dans leur grande majorité - du moins les appareils - la réalité de la pandémie, et par conséquent le bien fondé des mesures (de confinement, gestes barrières, distanciation physique…) que ce constat nécessitait. Certaines modalités furent discutées, par exemple sur le contrôle de la population (et l’attitude d’une police trop zélée, arrogante ou revancharde). Sans parler du paternalisme de l’exécutif, estimé à juste titre déplacé ou insupportable. Mais l’essentiel des critiques porteront sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement à travers tous les problèmes relevés dans notre première partie. Notons ici que les critiques les plus virulentes provenaient des réseaux sociaux, d’une opposition plus diffuse au macronisme, qui ne recoupe que partiellement les courants politiques traditionnels.

Cependant il paraissait parfois difficile de retrouver une cohérence critique dans un ensemble où les causes de cette impéritie sanitaire différaient sensiblement chez tous ceux qui ne s’accordaient que pour incriminer l’exécutif. Je distinguerais trois tendances. La première, a priori la plus importante, vient d’être évoquée. Pour la seconde, dont les représentants reprenaient les thèses d’Agamben, le confinement et ce qui s’ensuivait ne s’imposait nullement puisque cette supposée épidémie de coronavirus permettait aux États de prendre des mesures d’exception à moindre frais, avec l’accord généralement des populations. Ce qui était tout à fait cohérent (mais complètement faux). Une troisième tendance allait chercher ses arguments dans les deux précédentes. D’une part en soulignant le fiasco de l’exécutif dans sa gestion de crise, d’autre part à travers la critique du confinement et des mesures d’exception qui en résultaient. Il manquait cependant un élément essentiel : en vertu de quoi le confinement se trouvait-il ainsi rejeté ? On a pu prendre connaissance de textes dont la virulence venait combler l’absence de causes de ce dont on s’indignait, en ne prenant en compte que les conséquences. Rien à dire sur le virus, en quelque sorte : grippette ou coronavirus ? On n’en savait rien. Au couteau de Lichtenberg il manquait soit la lame, soit le manche.

Dans un registre différent, pour d’autres commentateurs, qui entendaient eux dépasser le cadre hexagonal, la situation en tous points exceptionnelle provoquée par la pandémie de Covid-19 représentait néanmoins une chance pour l’humanité. Encore fallait-il la saisir en tirant toutes les conséquences de cette crise sanitaire mondiale, c’est à dire en remettant radicalement en cause un mode de vie qui sous de nombreux aspects avait indirectement provoqué une telle catastrophe. Cependant le confinement se prolongeant, il devenait de plus en plus certain que nous nous dirigions vers une crise économique et sociale sans précédent, si ce n’est celle de 1929. Ce qui révisait à la baisse le discours précédent, qui de ce fait recueillait moins l’adhésion de tous ceux pour qui un autre monde devait nécessairement accoucher de l’après Covid-19. Comme autre effet de la prolongation du confinement, le thème de la gestion de crise sanitaire par le gouvernement s’imposait dans l’espace public. Ce qui n’était pas moins le cas en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne, mais il nous faut revenir une fois de plus sur cette « spécificité française » pour tenter d’approfondir en terme d’analyse politique ce « moment Covid 19 ».

Ce dernier, sous certains aspects, possède des points communs avec le « moment Gilets Jaunes ». J’ai écrit et mis en ligne en avril 2019 des Remarques critiques sur le mouvement des gilets jaunes dans lesquelles, tout en soulignant les côtés positifs d’un mouvement ne ressemblant à nul autre, qui ne valaient que comme rappels, j’insistais davantage sur l’hétérogénéité d’un mouvement pouvant le cas échéant charrier tout et son contraire. L’extrême droite, contrairement à ce que parfois l’on prétendait, n’avait pas été absente de ce « moment Gilets Jaunes », en particulier au début du mouvement (dans les réseaux sociaux surtout, sur les ronds points et dans les manifestations en partie, moins à travers les assemblées générales issues de l’appel des Gilets Jaunes de Commercy). Ce qui se traduisait entre autres incidences par l’existence de thèmes complotistes au sein du mouvement ou la reprise de slogans du RN dans les manifestations. Un sondage effectué fin novembre 2018 parmi des « Gilets jaunes déclarés » indiquait que lors de la précédente élection présidentielle, 42 % d’entre eux avaient voté Marine le Pen au premier tour (loin devant Mélenchon (20 %). Ensuite, en relevant la présence récurrente d’une indéniable rhétorique populiste chez les Gilets Jaunes, je n’entendais pas pour autant réduire ce mouvement à cette seule dimension, eu égard son hétérogénéité. Enfin ce mouvement, surtout dans sa composante le plus orthodoxe (appelée « canal historique ») se distinguait sur le plan politique par son « dégagisme ». Les slogans « Macron démission ! » ou « Macron dégage ! » se révélaient plus fédérateurs que le catalogue hétéroclite des 42 revendications de janvier 2019. On avait commencé à parler de dégagisme au lendemain des « printemps arabes » de 2011, devant des mobilisations politiquement hétérogènes, popularisées par les réseaux sociaux, indépendantes des forces politiques et syndicales traditionnelles, qui avaient fait tomber plusieurs régimes autoritaires sans pour autant transformer ces mouvements en positivité révolutionnaire. D’ailleurs, pour en revenir aux Gilets Jaunes, je me demandais « si le dégagisme présent dans les rangs des GJ n’est pas l’un des principaux freins aux possibilités qu’aurait ce mouvement de se développer dans la perspective d’affrontements dépassant le cadre de « Macron démission ! » pour poser à tous les niveaux la question du pouvoir ».

Une donnée - à la fois indispensable à la compréhension de ce « moment Covid-19 », et dernière illustration en date de cette « exception française » relevée plus haut, mais également en phase avec le mouvement décrit ci-dessus (le personnage dont il va maintenant être question n’a-t-il pas été qualifié de « médecin Gilet Jaune ») - n’a pas encore été traitée : le différend autour du professeur Raoult et de l’hydroxychloriquine. Je ne reviendrai pas sur le détail de cette querelle, elle est suffisamment connue. Je ne suis pas en mesure de me prononcer en faveur ou en défaveur de cette molécule, n’étant pas plus convaincu par les arguments du professeur Raoult (et de ses partisans) que par ceux de ses détracteurs (du moins ceux qui préconiseraient d’autres médicaments). J’observe cependant que le positionnement des uns et des autres, entre ceux qui sont persuadés que le traitement par l’hydroxychloroquine serait le seul susceptible de traiter efficacement le Covid-19, et ceux qui en doutent ou le récusent, n’est pas sans incidences sur l’appréciation en France de la crise sanitaire du printemps 2020. Elle s’avère même particulièrement clivante puisque pour les premiers, du moins dans leur grande majorité, il s’agit d’un « crime d’État ».

Ici les partisans du professeur Raoult dénoncent, soit les collusions entre le pouvoir politique et l’establishment médical, soit la corruption des pontes de la médecine par l’industrie pharmaceutique, soit l’orientation voire l’imposture de nombreuses études scientifiques, et donc la volonté de dissimuler ici ou là ces collusions, corruptions et manipulations. Ce tableau, dont j’ai gommé les nombreuses outrances rhétoriques, pour parler de manière euphémique, n’est pas inexact. Encore faut-il replacer tous ces éléments constitutifs dans le cadre plus général d’une critique du capitalisme pour savoir de quoi l’on parle. Et ne pas se contenter, par exemple, de dénoncer la course aux vaccins, Big Pharma, la fondation Gates, le professeur Lacombe, voire le milliardaire Soros et d’agiter le tout. La question de la prescription de l’hydroxychloroquine s’avère évidemment centrale : si le professeur Raoult dérange à ce point l’establishment médical, expliquent ses partisans, il ne peut qu’avoir raison. Le traitement simple, bon marché, ayant fait ses preuves que le professeur préconise se trouve contesté parce qu’il remet en cause, ajoutent-ils, les intérêts d’une industrie pharmaceutiques soucieuse de commercialiser une molécule plus rentable. Puisque nous disposons d’un médicament ayant fait ses preuves, poursuivent-ils, et que nous sommes confrontés à ces milliers de malades Covid qui risquent de mourir il faut prescrire rapidement de l’hydroxychloroquine car il est criminel d’attendre que l’on attende les résultats des différents études mises en place pour savoir si ce médicament-là répond aux attentes, celle d’une efficacité reconnue par la communauté scientifique pour traiter le Covid-19. C’est le discours que les partisans de Raoult tenaient durant ce printemps 2020. A partir du moment où l’on adhérait sans restriction au raisonnement précédent (lequel reposait sur la « croyance » envers un médicament contesté) les responsables de ce qui devenait un « crime d’État » devraient en rendre compte, y compris pénalement. Et par effet d’entrainement ce crime en recoupait d’autres (l’absence de masques, de tests, etc).

J’en reviens à des considérations plus générales, pour introduire ce qui suit. Un mécontentement diffus, qui sous certains aspects recoupait celui qui s’était exprimé plus d’un an plus tôt lors du mouvement des Gilets Jaunes, s’est progressivement fait entendre durant la période de confinement. Moins diffus certes, à partir du moment où la question de la responsabilité de l’exécutif dans la gestion de cette crise sanitaire se trouvait posée de manière plus explicite après plusieurs semaines de confinement. Disons le clairement. D’une part tout ce qui peut être à juste titre reproché ici au pouvoir fait partie du problème, en est l’un des éléments les plus patents, mais n’est pas tout le problème. D’autre part nous retrouvons en première ligne de ce mécontentement des courants politiques que l’on pouvait deux ans plus tôt qualifier « antagonistes » mais qui, d’abord lors du mouvement des Gilets Jaunes, puis durant ce « moment Covid-19 » seraient en mesure de se rapprocher sur de nombreux points. D’ailleurs la création ce printemps 2020 de la revue Front populaire par Michel Onfray venait crédibiliser ce qui pouvait pour beaucoup apparaître encore hypothétique. La volonté chez son animateur de réunir les souverainistes et populistes de droite comme de gauche dans un même projet commun n’étant pas sans trouver un certain écho auprès d’intellectuels non encartés (plutôt de droite d’ailleurs), et même dans l’opinion publique.

De ceci et cela il découle que le rapport à la politique, chez un certain nombre de gauchistes, de libertaires, voire de radicaux, s’est plus ou moins sensiblement modifié depuis quelques années. D’où l’obligation de s’interroger, par delà les mécontentements relevés ci-dessus, sur ce que ce cette « nouvelle donne » traduit et met en jeu. Trois données y concourent. D’abord l’investigation rend à occulter la dimension réflexive. Ensuite le ressentiment prend le pas sur l’esprit critique. Enfin, plus important, le dégagisme réduit à la portion congrue toute perspective émancipatrice.

En premier lieu, pour ne citer qu’un seul exemple, l’historique de la gestion des masques sanitaires par les gouvernements qui se sont succédés depuis une dizaine d’années est bien connu, alors que le Covid-19, ses causes et conséquences, sa dimension anthropologique (en terme d’écologie des relations) souffre d’un déficit de réflexion. Dans un autre registre la figure du « lanceur d’alerte » est incontestablement plus populaire, plus « sexy », plus « anti-système »

En second lieu, se focaliser sur le « mensonge d’État », ou le « scandale d’État », et plus encore sur le « crime d’État », c’est vouloir avant tout désigner des coupables et qu’ils paient pour leurs erreurs, leurs approximations, leurs mensonges, et surtout leurs crimes. Le ressentiment, selon Nietzsche, est « esprit de vengeance ». Il ne se contente pas, comme l’écrit l’un des exégètes du philosophe, « de dénoncer les crimes et les criminels » mais « veut des fautifs, des responsables ». Dans ce contexte de crise sanitaire l’interrogation prévaudrait si finalement pareille focalisation ne jouait dans l’histoire le rôle d’un écran de fumée. Faire preuve ici d’esprit critique c’est vouloir trouver la bonne distance face à tout événement, celle qui permet de privilégier l’analyse au ressenti. Donc de se donner les moyens de remettre globalement en cause un système social, la société capitaliste, le monde tel qu’il va. Les hommes qui en sont les agents, les représentants et les exécutants doivent être nécessairement combattus, mais toujours dans la mesure où ils incarnent et représentent le système social à abattre (et non pas à travers leurs seules personnes, qui seraient alors remplacées par d’autres sans changer la nature du pouvoir en place : les mêmes causes produisant régulièrement les mêmes effets). Voilà de quoi anticiper ce qui suit.

En troisième lieu « dégager » tel chef d’État, de gouvernement, ou tout homme de pouvoir, c'est se débarrasser de celui qui apparait comme la cause du problème tout en conservant ce dernier. Et pour le remplacer par qui ? A ce jeu, compte tenu du discrédit de la classe politique, auquel la droite comme la gauche qui ont auparavant gouverné ce pays ne sont pas indemnes, en fonction aussi de la virginité dont peut se prévaloir le RN (plus que LFI) dans ce cas de figure, mais également parce que dans la confusion propre à cette époque les pires scénarios ne doivent pas être écartés, l’extrême droite serait en mesure de tirer de nombreux avantages d’une telle situation. Ce n’est qu’une hypothèse mais elle mérite néanmoins d’être prise au sérieux. Surtout si on remarque que par ailleurs le RN serait en passe de devenir un parti comme tous les autres (et l’extrême droite une expression politique parmi d’autres). Plus fondamentalement le dégagisme crée l’illusion d’un changement. Il appartient, en se référant principalement aux « printemps arabes », plus au registre de la contre-révolution que de la révolution. C’est toute la différence entre la volonté de « dégager » un pouvoir parce qu’il serait « pourri », « corrompu », « dépravé », et la volonté de transformer le monde. Le pouvoir en place n’est que le représentant, l’agent et le gestionnaire du Capital. Certes on le nuancera d’un pouvoir à l’autre, mais comme dirait l’un de mes amis : « on peut toujours trouver des nuances dans le fade ». Enfin, entre toutes les apories du dégagisme, la principale revient à nier toute perspective émancipatrice.

Ceci pour le contenu. D’un point de vue plus formel (en élargissant ces données à l’ensemble du corps social), il convient de souligner l’importance, voire la prédominance des réseaux sociaux. Comme l’observe Marie Peltier sans son ouvrage Obsession, dans les coulisses du récit complotiste, d’aucuns profitent de « la viralité qu’offre ce médium en proposant des idées simples, binaires, facilement reconnaissables et appropriables par le plus grand nombre ». Ce qui conduit par exemple à privilégier l’image au texte, et donc le format vidéo, plus enclin à « frapper les esprits », et à s’abstraire « de la complexité des situations, des nuances, de l’argumentation, et même des faits eux-mêmes ». Ce n’est pas un secret d’ajouter que l’extrême droite a très tôt compris l’avantage qu’elle pouvait tirer de ce mode de communication. Les réseaux sociaux ont, comme nous le savons, largement contribué aux élections de Trump et de Bolsonaro. Précisons, si besoin était, qu’il y a un monde entre l’usage contemporain du tweet et ce que l’aphorisme a produit de meilleur : de Lichtenberg à Cioran en passant par Chamfort et Leopardi.

Un second facteur, qui prolonge le premier, met encore plus l’accent sur l’aspect formel de la chose. L’anonymat au travers duquel très généralement les utilisateurs des réseaux sociaux s’expriment ne peut que renforcer le constat qui suit. A savoir que les mots pour le dire se distinguent souvent par leur virulence (ou leur véhémence ou leur violence). Ce qui n’a rien en soi de véritablement nouveau - de nombreux exemples historiques nous viennent à l’esprit, en particulier dans l’entre-deux guerres - n’en est pas moins l’un des marqueurs de cette époque, voire l’un des éléments signifiants. J’entends là souligner que la forme (la virulence d’un propos souvent anonyme) a tendance à prendre le pas sur le contenu, ou à l’occulter. Comme si cette virulence valait comme quitus pour ceux qui ne sont pas trop regardants sur la personnalité du destinateur. Là encore l’extrême-droite, et plus encore l’ultra droite sont en terrain de connaissance.

Quel bilan tirer de cet épisode Covid-19 en ce mois d’août 2020 ? Il est encore trop tôt pour tenter de mesurer les conséquences de la crise économique et sociale en cours. En se plaçant sur le seul terrain sanitaire, l’hypothèse d’une seconde vague épidémique, sans être révisée à la baisse, ne paraît plus vouloir être traitée de façon drastique comme en mars, en France ou ailleurs. Sur un autre plan, depuis le début du déconfinement, on observe que des voix, lesquelles relaient un sentiment présent chez une partie de la population, entendent réviser le discours selon lequel le confinement en mars s’imposait expressément compte tenu de l’urgence de la situation. Ceci sans pourtant nécessairement abonder dans le sens de ceux qui dénonçaient depuis de longues semaines un « scandale sanitaire ». Il n’est sans intérêt de signaler que l’une de ces voix, BHL (son dernier livre Le virus qui rend fou), imposture médiatique bien connue, mais surtout caisse de résonance de « la voix de son maître » depuis des lustres, aura comme à son ordinaire fait le tour de tous les médias pour tenir un discours que des auditeurs naïfs ont pu croire critique envers le pouvoir. D’ailleurs ce n’est pas tant le pouvoir politique qui se trouve remis en cause par BHL et consort que celui des scientifiques et médecins, et plus particulièrement le « Comité scientifique » mis en place au début de mars par l‘exécutif. Ce Comité n’avait qu’un rôle consultatif mais le pouvoir, en France comme ailleurs généralement, a suivi durant plusieurs semaines ses recommandations avant de s’en affranchir en partie sur la question du déconfinement. Le ton polémique de BHL envers le « Comité scientifique » ne doit cependant pas faire illusion. C’est principalement le choix de sacrifier l’économie que condamne plus subliminalement un BHL qui se fait en l’occurence l’avocat de ses amis milliardaires. Derrière l’explicite (le discours anti-médical qui rejoint sous certains aspects celui d’Agamben), l’implicite (les nombreux griefs de l’histrion envers l’écologisme) parait davantage avoir été à l’origine de ce livre : haro sur ces écologistes qui entendent culpabiliser ceux, à l’instar de BHL et compagnie, qui utilisent l’avion comme moyen de transport (et qui plus généralement entendraient détruire l’économie).

Comment conclure ? Ce que nous avons considéré tout au long de ce texte comme un « moment » semble pourtant perdurer. Dans un article (« Transmission d’un virus « ) publié en juin dernier sur Lundi Matin, Léo S. Ross dit tout haut ce que ces Remarques… suggèrent entre les lignes : « Cette crise éclaire cependant une dimension désagréable pour tout esprit épris de liberté et d’idéaux émancipateurs : il est des moments, et au-delà du local, où une certaine forme de coercition peut se justifier ». C’est évidemment particulièrement désagréable pour des esprits libertaires. Ross ajoute : « Il y aura toujours des connards qui voudront jouer les matamores de pacotille en refusant une mesure sanitaire collective ».

L’une des leçons que nous devrions tirer de ce « moment Covid 19 » est que l’on ne doit pas tout attendre de l’État et des gouvernements (y compris en se focalisant de la manière la plus critique sur leurs insuffisances), mais que certaines initiatives nées lors de la pandémie, basées sur la solidarité et l’entraide (à l’instar des Brigades de Solidarité Populaires), par-delà le fait d’apporter des réponses concrètes à des situations d’urgence plaident implicitement pour l’élaboration de nouvelles formes d’organisation collectives. A suivre…

Max Vincent

août 2020