DE QUOI LE « MOMENT GODRÈCHE » EST-IL LE NOM ?















« D’où le goût des petites filles pour les hommes tire-t-il son origine ? C’est là une question qui reste provisoirement insoluble pour moi et je vous abandonne le soin d’y répondre. En ce qui me concerne, je ne serais pas loin de supposer que la femme, dans son érotisme, a vis-à-vis des deux sexes une attitude beaucoup plus libre ; j’ai l’impression qu’elle est en possession d’une quantité sensiblement égale envers son propre sexe et le sexe opposé, et qu’elle en dispose à volonté sans grandes difficultés ».

Georg Groddeck (Le livre du ça)


« C’était quelqu’un qui réinventait la vie, vraiment ».

Judith Godrèche au sujet de Benoît Jacquot (émission télévisée « Thé ou café », 2010)





  D’autres « moments », dans ce même registre, l’ont certes précédé, en particulier ceux liés aux noms d’Adèle Haenel, de Vanessa Springora, de Camille Kouchner. Mais aucun de ceux-là ne peut être comparé à ce moment de sidération qu’a connu la société française durant l’hiver 2024 : celui des « révélations » par Judith Godrèche sur sa vie de couple avec le cinéaste Benoît Jacquot (entre 1986 et 1992), débouchant sur une plainte pour viol et agressions sexuelles trente ans plus tard. Ceci se trouvant amplifié par des accusations comparables, relatives à l’année 1987, portées par Judith Godrèche sur un autre cinéaste, Jacques Doillon, et par des témoignages sur le passé de Jacquot (celui par exemple d’Isild le Besco, autre ancienne amante du cinéaste, sans qu’une plainte soit déposée). Il est vrai que ce « moment Godrèche » venait après « l’affaire Depardieu », un feuilleton à épisodes déjà fortement médiatisé. Une « affaire » sur laquelle il n’y aurait pas lieu de s’attarder (« nous ne sommes pas contre les vieux, mais contre ce qui les fait vieillir », lisait-on sur les murs de Paris en mai 1968), si la volonté chez d’aucuns d’effacer l’acteur Depardieu du paysage cinématographique ne contribuait à censurer peu ou prou une partie non négligeable du cinéma des trente dernières années du XXe siècle. Tout comme je ne m’attarderai pas sur « l’affaire Gérard Miller », malgré le nombre conséquent de plaignantes : le psy le plus connu des français passera certainement à la postérité comme étant le praticien d’une « prédation par l’hypnose », confirmant plus encore la véracité du sobriquet « Divan le terrible » accolé auparavant à Gérard Miller.

  Ce « moment Godrèche », nous allons le documenter, se révèle d’une autre nature que ceux relevés précédemment. Nous avions déjà été confronté à de l’unanimisme (critique, médiatique, sociétal) avec les moments Springora et Kouchner (moins avec le « moment Haenel », en raison de la prise en charge de la comédienne par Médiapart). Mais là, en regard de ce qu’il faut bien appeler de la sidération, la seule voix, celle d’Anny Duperey, qui dans l’espace médiatique s’était aventurée à émettre une réserve (de bon sens pourtant, en s’interrogeant sur l’absence de consentement - dixit Godrèche - dans une relation de couple portant sur six ans), traitée de tous les noms sur les réseaux asociaux, sévèrement critiquée par les médias, sermonnée par une consoeur, dut finalement s’excuser auprès de l’intéressée et « à toutes les victimes que mes propos maladroits auraient blessées ». Le point culminant de ce « moment Godrèche » étant, juste après l’intervention de la comédienne lors de la cérémonie des Césars 2024, l’audition de Judith Godrèche devant la délégation sénatoriale aux droits des femmes. Une audition durant laquelle l’héroïne de cet hiver 2024 demandait la création d’une commission d’enquête sur les violences dans le cinéma, le retrait de Dominique Boutonnat du CNC, et le retour du juge Édouard Durand à la tête de la CIIVISE.


  La mention de ce dernier nom nous incite à revenir en arrière, 25 ans plus tôt. J’ai déjà eu l’occasion de traiter de ce qui suit dans des textes antérieurs, mis en ligne sur L’herbe entre les pavés. Je me contenterai ici d’en faire un résumé. J’appelle « lobby antipédophile » le réseau qui se constitue à la toute fin du XXe siècle, lors de « l’affaire Dutroux », autour d’un noyau dur de psychanalystes, psychiatres et thérapeutes familiaux dont les « thèses » ne sont pas sans rencontrer de larges échos auprès de magistrats, de travailleurs sociaux, de politiques, et surtout d’associations de défense de l’enfance. Ces thérapeutes et associatifs investissent prioritairement l’espace télévisuel dans des émissions traitant de la pédophilie, de l’inceste et des agressions sexuelles. Le second des procès d’Outreau, celui de Paris (après celui de Saint-Omer), change la donne. La justice reconnaissait sa faillite (avec l’écrasante responsabilité du juge Burgaud, de ses pairs et supérieurs). Ce qui était moins le cas des médias, pourtant coupables d’avoir amplifié les rumeurs les plus fantaisistes sur les protagonistes de cette « affaire », de s’être complus dans une vision misérabiliste d’Outreau, et de ne pas avoir rapporté des éléments susceptibles de remettre en cause l’enquête et l’instruction. Mis en quelque sorte sur la touche après le procès de Paris, ce « lobby » n’a jamais accepté, contrairement à ce qu’on a pu observer de manière implicite dans la société, les enseignements d’Outreau (dont le principal est résumé par : « Prendre au sérieux la parole de l’enfant ne signifie pas la prendre à la lettre »). C’est là, sans trop anticiper, l’une des clefs de ce « moment Godrèche ».

  Ici un premier lien peut être fait depuis un ouvrage publié en 2016 (Danger en protection de l’enfance), puisqu’on y retrouve au sommaire les noms de Marie-Christine Gryson (l’un des experts psychologues nommés par le juge Burgaud, dont la grotesque déposition lors du procès de Saint-Omer semble bien oubliée : pour qui « la théorie des fantasmes sexuels oedipiens, sciemment inventée par Freud pour protéger les pères incestueux, n’est plus crédible »), Muriel Salmona et Édouard Durand. Avant de revenir sur ces deux personnages, mentionnons la parution en janvier 2020 du livre de Vanessa Springora Le consentement, dont le retentissement que l’on a mis trop rapidement sur le compte de #MeToo, a quelque peu occulté le fait suivant : cette « affaire Matzneff-Springora » s’avérait être le décalque presque exact, en dehors des protagonistes, d’une affaire vieille de vingt ans, liée au passé éducatif de Cohn-Bendit et aux accusations de complaisance envers la pédophilie portées contre lui. Mais là où, en 2001, on pouvait encore débattre mezza voce de ce genre de questions, pas la moindre voix en 2020 ne s’est élevée pour émettre des réserves sur le contenu et les « enseignements » du Consentement. Un unanimisme que l’on retrouve un an plus tard lors de la parution de l’ouvrage La Familia grande de Camille Kouchner. Ici le retentissement du livre était à l’origine de la création d’une Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (la CIIVISE), co-présidée par le juge Édouard Durand, et comptant parmi ses membres Muriel Salmona.

  Depuis la création en 2009 de l’association Mémoire traumatique et victimologie par Muriel Salmona, la pertinence des thèses de ce psychiatre est souvent remise en cause. Les chiffres avancés par cette association (40% des victimes ont une amnésie après un viol, 60% une amnésie partielle) proviennent d’un sondage « au doigt mouillé » peu convaincant. Encore faudrait-il prouver l’existence d’un lien causal entre le viol et l’amnésie. Des travaux, plus étayés sur le plan scientifique, partant du traumatisme créé par un viol ou une agression sexuelle, indiquent que les victimes n’oublient rien, malgré les efforts de nombre d’entre elles à vouloir les effacer. Il faut ici signaler que Muriel Salmona et son association, par-delà les raisons thérapeutiques invoquées, ont pour finalité de faire reconnaître par le législateur l’imprescriptibilité des crimes et agressions sexuelles, c’est-à-dire leur alignement sur les crimes contre l’humanité. Ce qui minore, relativise, ou banalise l’importance de ces derniers.

  Les répercussions de l’ouvrage La Camilia grande, livre écrit après que Camille Kouchner ait pris connaissance des « travaux » de Muriel Salmona, redonnent un nouvel élan à l’association Mémoire traumatique et victimologie. La lutte contre l’inceste devient une cause nationale. Deux mois après la parution de l’ouvrage, Salmona met en ligne une vidéo dans laquelle elle s’adresse à toute future victime d’inceste. Le Monde publie une tribune, signée par une centaine de magistrats, avocats et thérapeutes, dénonçant, en regard d’un message prétendument protecteur, l’aspect délétère d’une « prévision quasi inéluctable d’agressions sexuelles criminelles menaçant tous les enfants, mais aussi déconsidérant des adultes et des institutions ». Autre réaction, un texte signé par des psys et des juristes, publié sur le site Mezetulle (« Inceste : #MeToo et #Youtoo, Muriel Salmona voyante extra lucide »), se révèle encore plus critique. Une fois relevé l’aspect spectaculaire, démagogique et racoleur de la prestation d’un gourou s’adressant aux membres d’une secte, les signataires mentionnent l’une des fortes paroles du bon docteur : « La justice doit (…) cesser de brandir l’argument de la présomption d’innocence qui est lâche ». Enfin les lignes suivantes résument ce qu’il faut penser de la théorie de l’amnésie traumatique : « Il est plus que douteux par ailleurs que, dans une situation clinique, projeter par avance une interprétation aussi catastrophiquement déterministe sur des symptômes soit d’un grand secours pour les patients, victimes d’abus inclus, et conduise à les écouter d’une façon qui leur permette de se délivrer d’un destin de victime. En règle générale d’ailleurs, et même si des cas d’amnésie traumatique partielle ou complète peuvent se produire, les victimes de violence sexuelles ou autres, se souviennent de ce qui leur est arrivé, une amnésie pouvant bien sûr affecter d’autres pans de leur existence ».

  On retrouve quelques mois plus tard Muriel Salmona parmi les membres de la CIIVISE. Mais avant d’en venir à cette commission, deux mots sur son charismatique co-président, Édouard Durand. Qui l’a vu ou entendu ne s’étonnera pas d’apprendre que ce juge avait un temps envisagé d’entrer dans les ordres. Sous couvert d’oeuvrer pour la plus noble des causes, le fanatisme de ce personnage rappelle celui des moines-soldats de l’époque médiévale. Le souci du bon et du bien, qui anime ce nouveau croisé, aurait pu jadis se mettre au service de la Sainte Inquisition. Sauf qu’aujourd’hui, autre temps autres moeurs, ce souci se confond avec l’éradication de l’inceste et des violences sexuelles. Il ne faudrait cependant pas croire que le personnage relève uniquement du genre rétrograde. Il est moderne à sa façon, puisque nous savons que le juge Durand acceptait de faire des selfies avec les personnes auditionnées par la CIIVISE.

  Cette commission publiait en octobre 2023 un volumineux rapport contenant 82 préconisations, précédées de 10 préconisations clefs, dont l’une (la quatrième), demande « Déclarer imprescriptibles les viols et agressions sexuelles commises contre des enfants » (signalons ici, j’y reviendrai, que pour la CIIVISE l’enfance cesse à 18 ans). Préalablement, dans ce rapport, la doctrine de la CIIVISE se trouve formulée à travers 25 articles. Je passe sur les articles 2 à 15 pour un venir à l’article 16, important à bien des égards, qui peut à lui seul résumer l’idéologie d’une telle doctrine. Je le cite entièrement : « Lorsqu’un groupe humain ne tolère pas la réalité, il crée une « réalité alternative ». Le passage de la première à la seconde et la persistance dans la seconde sont appelés déni. Au sujet des violences sexuelles faites aux enfants la réalité alternative est parfois appelée réalité psychique, vérité judiciaire, ou majorité sexuelle ». Une telle définition de la « réalité » correspond, on l’a compris, à ce qu’en pense et prétend la CIIVISE ; tandis que la « réalité alternative » se trouve elle défendue par tous ceux qui seraient dans le déni des violences faites aux dits enfants. Mais reprenons dans l’ordre ces trois « vérités alternatives ».

  D’abord la réalité psychique. S’en prendre à ce que Freud appelle la « réalité psychique », c’est tout simplement remettre en cause l’un des fondamentaux de la psychanalyse freudienne. Dans leur Vocabulaire de la psychanalyse, Laplanche et Pontalis indiquent qu’il s’agit « d’un terme souvent utilisé par Freud pour désigner ce qui dans le psychisme du sujet présente une cohérence et une résistance comparable à celle de la réalité matérielle ; il s’agit fondamentalement du désir inconscient et des fantasmes connexes ». L’herbe entre les pavés est revenu plusieurs fois sur ce révisionnisme, encore limité à des cercles analytiques au siècle dernier, puis renforcé par des relais  « militants », médiatiques et associatifs lors de l’onde de choc Dutroux, jusqu’à constituer ce « lobby antipédophile » qui, après des années de traversée de désert, suite à ses responsabilités dans le désastre judiciaire d’Outreau, est revenu en force une dizaine d’années plus tard jusqu’à inspirer in fine la doctrine de la CIIVISE.

  Mais revenons à l’origine de la querelle. On peut la dater d’un différend opposant en 1932 Freud à son disciple Ferenczi, lequel, dans un long et dense article (« Confusion de langue entre les adultes et l’enfant »), remettait indirectement en cause l’abandon en 1897 par Freud de « la théorie de la séduction » qu’il avait élaborée deux ans plus tôt. Et dont l’abandon représente un « pas décisif dans l’avènement de la théorie psychanalytique et dans la mise au premier plan des notions de fantasme inconscient, de réalité psychique, de sexualité infantile spontanée, etc » (Laplanche et Pontalis). Sachant que l’abandon de cette « théorie de la séduction » s’explique par la mise en cause par Freud de la véracité des scènes de séduction décrites par plusieurs de ses patients, celles-ci relevant d’une reconstitution fantasmatique, la voie se trouvait alors tracée pour creuser les fondations de ce qui deviendra le chantier de la « vie sexuelle », et plus particulièrement la sexualité infantile exposée dans Trois essais sur la théorie de la sexualité. Pourtant cette « théorie de la séduction » va refaire surface vers la fin du siècle dernier. Ceci dans une partie de la littérature analytique se rapportant à la pédophilie. Cette théorie n’étant reprise que pour mieux réhabiliter la notion « d’innocence sexuelle » de l’enfant.  C’est, pour ne citer que cet exemple, le cheval de bataille qu’enfourche en 1999 la pédopsychiatre Catherine Bonnet dans son livre L’enfant cassé. Freud devient responsable d’une « diabolisation de l’enfant » que Bonnet croit observer dans le monde contemporain. La pédopsychiatre désignant à la vindicte publique un courant « pro-agresseur », coupable, écrit-elle, de faire régner à nouveau « le temps des enfants menteurs et vicieux ». 

  Ensuite la vérité judiciaire. Ici, comme on pouvait s’y attendre, il d’agit de remettre en cause les enseignements des deux procès d’Outreau, surtout du second. D’ailleurs le rapport de la CIIVISE le reconnaît implicitement. Je me suis exprimé plus haut sur Outreau et ses conséquences. J’ajoute juste que la CIIVISE entend haut et fort invalider  « prendre au sérieux la parole de l’enfant ne signifie pas la prendre à la lettre » pour lui substituer son credo : « On vous croit, on vous protège ». Là dessus vient se greffer l’hostilité de plusieurs de ses membres, antérieure à celle de l’existence de la commission, envers le « syndrome d’aliénation parentale » (que je préfère appeler « théorie de l’aliénation parentale »), et à travers lui Paul Bensoussan, qui était intervenu comme expert cité par la défense lors du procès de Saint-Omer en mettant en garde sur « cette exception sexuelle du droit au nom de laquelle aujourd’hui, parce qu’il faut éviter à tout pris une « douleur » à l’enfant, on porte atteinte aux droits élémentaires de la défense ». La théorie de l’aliénation parentale se trouvant accusée de protéger les pères au détriment des mères. Sur un plan plus général, ce qui semblait pourtant acquis après le fiasco d’Outreau serait totalement remis en question aujourd’hui. J’en veux pour preuve l’intervention de Sandrine Rousseau du 21 décembre dernier devant la représentation nationale : « Outreau, où la parole des enfants a été ridiculisée et qui a entraîné une chute des condamnations ». Les deux procès de St Omer, puis de Paris avaient pourtant prouvé l’innocence de treize des adultes inculpées (sur 17), puis incarcérées (certains l’ayant été durant plusieurs années et l’un d’eux s’étant suicidé).

  Enfin la majorité sexuelle. Celle-ci, fixée en France à 15 ans depuis 1945, n’est pas un critère de libre choix « dans une relation de subordination ». J’indique, à l’adresse d’un lecteur qui aimerait davantage d’explications sur la signification de l’article 1 de la doctrine de la CIIVISE (« Est appelé enfant un être humain qui n’a pas atteint l’âge de 18 ans »), qu’il ne lui sera pas répondu puisqu’à aucun moment le rapport de la CIIVISE ne l’explicite. Comme si cela allait de soi ! Donc à ce compte là, si les mots ont un sens, la majorité sexuelle n’a évidemment pas lieu d’être. Et il n’y a pas lieu de s’interroger davantage puisque l’on reste un enfant jusqu’à la majorité civile. Par conséquent, dans l’esprit de la CIIVISE, le dit enfant se trouve dépourvu de la moindre compétence, ou responsabilité sexuelle. Ceci est d’autant plus aberrant que personne, à ma connaissance, n’a commenté de manière critique un tel article (pas plus d’ailleurs que le fameux article 16). Car cela signifie, même si le rapport ensuite de la CIIVISE se garde bien d’apporter les précisions nécessaires, que toute personne majeure ayant des relations avec une personne mineure tomberait automatiquement sous le coup de la loi. C’est bien entendu implicite, mais un tel « implicite » représente le premier étage de la fusée. L’objectif, à demi avoué, étant de proscrire, condamner et criminaliser toutes relations sexuelles entre des personnes majeures et mineures.

  Il est vrai, en amont, que la composition de la CIIVISE, laquelle comprenait une bonne moitié de membres proches ou relevant de ce j’ai appelé originellement un « lobby antipédophile », devenu depuis quelques années un important groupe de pression, pareille composition donc laissait peu de place au doute en ce qui résulterait du contenu et de la teneur de ce volumineux rapport. La CIIVISE était reconduite en décembre 2023, mais sans sans la présence à sa tête du juge Durand (étant présidée par Sébastien Boueilh, avec comme vice présidente l’experte judiciaire Caroline Rey-Salmon) Douze des membres de cette commission démissionnaient en signe de protestation. Les voix qui se sont alors élevées contre la non reconduction du juge Durand à la tête de la CIIVISE, en arguant d’une « décision politique », n’avaient certainement pas lu le rapport d’octobre 2023, ou ne le connaissaient qu’à travers les déclarations des membres démissionnaires de la CIIVISE. On apprenait en février 2024 que Caroline Rey-Salmon faisait l’objet d’une plainte pour agression sexuelle par l’une de ses anciennes patientes, Des faits remontant selon la plaignante à l’année 2020, mais qui opportunément refaisaient surface : Rey-Salmon se mettra en retrait, puis Boueilh démissionnera.  J’ajoute qu’au début de l’année 2024, deux émissions de Sous les radars, de France Culture, ont offert une tribune à ceux qui au sein de la CIIVISE protestaient contre l’éviction du juge Durand, sans que leurs discours soient recontextualisés, ni historisés, pas plus qu’ils ne se sont trouvés confrontés à la moindre parole contradictoire. Ce qui s’appelle, en bon français, de la propagande.


  Il fallait faire ce long détour pour mieux revenir à ce « moment Godrèche ». Reprenons  la biographie de notre héroïne. Après six ans de vie commune avec Benoît Jacquot, Judith Godrèche publie un roman à caractère autobiographique, Point de côté, racontant la relation d’une jeune fille mineure avec un homme plus âgé. Rien qui ne puisse alors scandaliser quiconque. Cela vaut à la jeune comédienne d’être invitée sur le plateau du Cercle de minuit par Laure Adler (« C’est l’histoire d’une fille qui a vécu très jeune avec un homme, et qui est restée assez longtemps avec lui, qui peut-être n’a pas eu d’adolescence, qui a été projetée très vite dans un monde où l’amour était sa seule raison d’être, et qui est décidée d’apprendre à découvrir la liberté » déclare-t-elle). Nous l’appellerons Godrèche saison Une. Celle-ci poursuit sa carrière de comédienne, puis passe à la réalisation en 2010 avec Toutes les filles pleurent. Elle accorde lors de la sortie du film un entretien à Figaro Madame. Nous apprenons que « ce rapport entre l’écriture et le cinéma a débuté avec Jacques Doillon lorsque je lui ai parlé d’un scénario qui racontait une histoire d’amour entre un frère et une soeur. Voilà comme s’est déclenchée l’idée de La fille de 15 ans. Jacques m’a ensuite demandé de participer à l’écriture du film. Nous passions les après midi ensemble, il notait ce que je disais, des tournures de phrases ». Pas la moindre allusion alors à l’agression sexuelle du cinéaste. Un autre entretien, la même année, télévisé celui-là (dans l’émission Thé ou café), attire encore plus l’attention. Il y est question de Benoît Jacquot, décrit comme « quelqu’un d’extrêmement séduisant (…) très habité, très intelligent, très brillant ». Judith Godrèche ajoute : « Pour moi qui vivais dans l’imaginaire, il représentait le romanesque, le romantique (…) C’était quelqu’un qui réinventait la vie, vraiment ». Et puis, cerise sur le gâteau : « J’étais en quelque sorte sous emprise, mais c’était une emprise extrêmement inspirante ». Nous l’appellerons Godrèche saison Deux.

  La comédienne s’expatrie aux États-Unis, puis revient en France en 2023 pour tourner Icon of French Cinéma, une série dont elle est la réalisatrice et l’actrice. La présentation du film par la productrice (« Une vision personnelle et unique du patriarcat et de la sororité à l’ère #MeToo ») annonce Godrèche saison Trois. La suite est bien connue. Je reviendrai juste sur les propos qui entrent le plus en contradiction avec les déclarations précédentes de Judith Godrèche : tels : « Je n’ai jamais été attirée par Benoît Jacquot », « Je ne voulais pas de son corps, très vite il me dégoûtait », « Je n’ai jamais donné mon consentement ». Durant un bon mois, ce « moment Godrèche » s’est intensifié jusqu’à ce point culminant de l’audition de la plaignante par une commission sénatoriale. Auparavant, Judith Godrèche, après ses passages dans maints médias, était intervenue en guest star lors de la cérémonie des Césars 2024 du cinéma. Ceci dans un climat d’unanimisme médiatique amplifié par les réseaux asociaux, qui dépassait ce que nous avions connu précédemment avec Haenel, Springora et Kouchner.

  On comprend que dans un tel contexte, nulle voix discordante ne risquait de troubler cet accord parfait, puisque la cause défendue par Judith Godrèche ne pouvait faire l’objet de la moindre critique, ni même être questionnée. D’ailleurs la seule voix dissonante, vite récusée comme je l’ai indiqué, provenait d’une actrice dont la carrière se trouvait derrière elle. De surcroît, l’autre protagoniste, Benoît Jacquot, devenait « l’homme à abattre », d’abord parce que son donjuanisme impénitent, aggravé par le fait que cet « homme à femmes » se révélait être prioritairement un « homme à jeunes filles », n’avait pas jugé bon de s’amender dans un temps où Don Juan doit rendre des comptes au centuple depuis une bonne vingtaine d’années, surtout après #MeToo. A ce sujet, pour éviter tout malentendu, si le mouvement #MeToo pouvait être défini comme une vaste et définitive remise en cause du pouvoir que des hommes exercent sur des femmes pour obtenir des satisfactions sexuelles, il y aurait tout lieu de s’en féliciter. Mais il s’agit également de tout autre chose comme on l’a déjà vu, ou comme on le verra plus loin. Pour revenir à Jacquot, en 2019 encore, un portrait du cinéaste dans Libération, intitulé « Benoît Jacquot, le dernier des Casanova », le présentait comme un « adolescent fugueur, dandy radical et intellectuel charmeur, le réalisateur de 72 ans ne renonce à rien d’une passion pour les films et les filles ». On ne saurait mieux dire. Dans l’enquête du Monde, ayant mis le feu au poudre, Jacquot revient sur des épisodes de violence datant de son adolescence, celle d’un blouson doré. Ce qui n’a pas manqué de faire écho à ce qui, par la suite, dans ses diverses relations de couple, correspondait à certains témoignages. Là aussi, Jacquot avouant que ces épisodes adolescents se sont révélés marquants « dans la construction de la sexualité d’un jeune homme », cela ne pouvait, à l’aune de ce bel aujourd’hui, qu’aggraver son cas. Mais le principal reproche (le mot est faible) se rapporte aux propos tenus par Benoît Jacquot dans un documentaire de 2012 (Les ruses du désir) réalisé par Gérard Miller : des propos en roue libre, complaisants, infatués, un rien cyniques (qu’aujourd’hui Jacquot dit regretter : « Je suis ridicule, nul, arrogant »). Et puis, dans un tout autre domaine, les contempteurs du cinéma dit d’auteur (français) se réjouissaient d’assister à la chute de la maison Jacquot (et cela valait pour Doillon, voire Garrel). 

  Revenons à notre héroïne. Comment ne pas admettre, ou reconnaître, que lors de ses réponses à l’enquête du Monde évoquée plus haut, Judith Godrèche reconstituait ce lointain passé, celui de sa relation de couple avec Benoît Jacquot ? Car prétendre « je n’ai jamais consenti », ni même désiré ce compagnon durant six ans, qu’elle était toute entière sous l’emprise de cet homme, ne peut convaincre que celles et ceux pour qui toute relation de ce type, entre à l’origine un homme de 40 ans et une jeune fille de 14 ans, relève d’un interdit fondamental et doit être impérativement condamnée. Ensuite, sans préjuger de l’issue judiciaire du dépôt de plainte, un certain absolutisme se réclamant de #MeToo, selon lequel toute femme se disant « victime » d’un viol ou d’agressions sexuelles dit toujours la vérité, élimine de facto toute parole contradictoire. Ici, pour ne citer que ce contre exemple, ne lisait-on pas sur les murs de Paris au printemps 2018, « Solveig, on te croit ! », avant que que le parquet ne classe les accusations de viol contre Philippe Caubère sans suite, et que plus tard Solveig Halloin soit condamnée pour diffamation. De l’autre côté, les déclarations de Jacquot (toujours dans l’enquête du Monde), peuvent certes être questionnées, voire récusées. Parce que la mémoire, comme il en va généralement, élude ou minimise ce que l’on préfère oublier. Mais nous sommes dans un registre différent. Benoît Jacquot n’ayant pas dérogé, quarante années durant, à une ligne directrice que l’on retrouve dans l’entretien accordé en 2019 à Libération. Alors que les « révélations » de Judith Godrèche ont attendu une trentaine d’années avant d’être portées à la connaissance du public. Ce qui les a déclenchées serait, d’après l’intéressée, les propos tenus par Jacquot dans ce documentaire, Les ruses du désir, de 2012 (vu par l’actrice dix ans plus tard). 

  Judith Godrèche nous dit par ailleurs que la lecture du Consentement de Vanessa Springora lui avait ouvert les yeux sur ses six années de vie commune avec Benoît Jacquot. Ce qui est un élément de plus dans le processus de reconstruction mentionné plus haut. Et puis, lorsque nous apprenons que Camille Kouchner (je rappelle que La Familia grande a été inspiré par les « travaux » de Muriel Salmona), après avoir rencontré Judith Godrèche, lui avait présenté le juge Édouard Durand, nous disposons de la pièce supplémentaire qui nous permet de reconstituer in fine ce « moment Godrèche ». Je ne sais pas si Judith Godrèche a fini par croire à ce qu’elle nous présente comme une vérité qui se serait longtemps refusée à elle ; ou si, la fin justifiant les moyens, l’éradication de la pedocriminalité et des violences sexuelles faites aux femmes (plus le nettoyage des écuries d’Augias que serait le « cinéma d’auteur ») incitait à noircir le tableau des six années de vie commune avec Jacquot. Il y aurait une troisième explication, me dit-on, la seule à prendre en compte. Ce passé-là, traumatique selon ce qu’a dit et répété Judith Godrèche cet hiver 2024, longtemps refoulé, aurait ressurgi à la faveur des événements plus haut mentionnés. Sans, de nouveau faire état des réserves que m’inspirent les « thèses » de Muriel Salmona sur l’amnésie traumatique, pour donner un semblant de véracité à l’exercice, encore faudrait-il passer à la trappe Godrèche saison Un et surtout Godrèche saison Deux. Car c’est avec un large sourire, et en compagnie d’une journaliste bienveillante, que Judith Godrèche tressait une couronne de lauriers à Benoît Jacquot dans Thé ou café, comme nulle autre actrice j’imagine ne l’avait fait auparavant, ni ne le fera par la suite. Et puis, souvenons-nous, l’emprise était « inspirante » en ce temps-là. Cela a bien changé.

  Première mesure de rétorsion envers Benoît Jacquot, la Cinémathèque française annulait la projection de deux de ses films. Tout porte à croire que la carrière du cinéaste est brisée : le courageux Guillaume Canet faisant savoir qu’il se retirait de la promotion du film Belle, le dernier opus de Jacquot, qui devait sortir en 2024. La sortie du dernier film de Jacques Doillon a elle été repoussée, mais il n’est pas du tout certain que CE2 sorte un jour sur les écrans hexagonaux. Au sujet de ce film, citons le propos de Judith Godrèche qui, lors de son audition devant le Sénat, ne risquait pas d’être contredite : « Doillon met en scène une petite fille qui a été harcelée à l’école dans son histoire. Je sais qu’il voulait que ce soit une petite fille qui, dans la vie, a été harcelée pour lui faire revivre l’errance qu’elle a vécu dans la vie. Pour que cette souffrance ait l’air vraie ». La société de production de CE2, la directrice de casting et la famille de la jeune comédienne ont démenti formellement ces allégations dans un communiqué se terminant par la phrase suivante : « Si madame Judith Godrèche se soucie de l’intérêt supérieur de ces enfants, nous l’encourageons à ne pas les exposer de la sorte, à les épargner de toute instrumentalisation, à respecter leur tranquillité et celle de leurs familles ». En d’autres temps, moins frileux, moins soumis à l’air du temps, une plainte en diffamation eut été portée contre Judith Godrèche. Mais là, en mars 2024, dans le contexte que l’on sait, pareille éventualité ne pouvait que susciter un concert de protestations, s’indignant que l’on bafoue ainsi les violences faites aux femmes et aux enfants.


  Notre époque a un problème avec la sexualité. Car la dénonciation, par les médias, les réseaux asociaux, plusieurs personnalités publiques, de cinéastes et d’artistes accusés ici d’emprise, là de prédation masculine, ici encore de relations illicites avec des mineures de 15 ans, entend, dans la continuité d’un processus de révision, liquider tout ce qui peu ou prou relevait un demi siècle plus tôt d’une « libération sexuelle » qui n’était que l’un des volets d’une émancipation plus générale, celle d’une transformation radicale de la société vers plus de liberté, d’égalité, de solidarité, et d’intelligence critique. Dans un monde où les inégalités sociales s’accroissent, où la destruction des bases biologiques de la vie perdure, où l’aliénation prend des aspects encore insoupçonnés cinquante ans plus tôt, ce « moment Godrèche » amplifie le discours selon lequel le mal, le pire et l’abject s’incarnent de nos jours, d’un positionnement à l’autre, à travers l’inceste, ou la pedocriminalité, ou la « culture du viol ». Un observateur, absent depuis un demi-siècle, qui reviendrait prendre le pouls de la douce France, serait effaré de constater à quel point ce qui tenait lieu avant son départ de « libération » se retrouve aujourd’hui logé à l’enseigne de l’indéfendable, de l’inadmissible ou du criminalisable. Sans doute serait-il plus qu’étonné d’apprendre que l’on peut déposer une plainte pour viol et agressions sexuelles en 2024 envers un homme avec qui l’on avait partagé la vie durant six années, trente cinq ans plus tôt. 

  Ce sont les années soixante-dix, et avant elles mai 68, qui se trouvent accusées de tous ces maux. Ce discours, que la droite tient depuis des lustres (récemment encore Éric Deschevanne, sur le site Atlantico, estimait que Godrèche et Springora avaient été victimes « de l’idéologie libertaire des années 70-80 » et ajoutait que « ce n’est pas seulement le cinéma mais aussi et surtout ce conformisme de la pensée « progressiste » qui a servi de couverture aux moeurs de Benoît Jacquot »), la gauche, désignée aussi sous l’appellation  « les progressistes », lui emboite le pas. C’est encore implicite mais, comme on l’a constaté tout au long de ce « moment Godrèche », le repentir et l’auto-critique ont rythmé l’existence des rédactions de Télérama, Libération, des Cahiers du cinéma parmi tant d’autres. Par ailleurs, le « mouvement de libération des femmes » de ces mêmes années soixante-dix n’échappe pas à cette condamnation quand l’une des prêtresses de ce nouvel évangile prétend que « #MeToo est la première remise en cause sérieuse du patriarcat ». Cela tient de l’article de foi et occulte allègrement les combats féministes des seventies. C’est là un discours tenu par ce courant féministe qui, de nos jours, jette un regard critique sur ces combats-là (accouchant de la loi sur l’IVG), lesquels, en garantissant la « liberté sexuelle » des intéressées (rendue alors possible par la maîtrise de leur fécondité) incitaient, nous dit-on, à minimiser machisme et sexisme. Ce qui contribuait à négliger le rôle des prédateurs dans ce contexte de libre circulation des désirs. Un discours bien ingrat envers celles (et ceux) qui luttaient concrètement contre le patriarcat sans dissocier égalité et liberté sexuelle.

  Dans un autre domaine, sous couvert de « violences et d’offenses faites aux femmes », l’on entend condamner, proscrire, voire censurer toute expression artistique censée, affirme-t-on, les illustrer et s’y rapporter. Ce qui, entre autres conséquences, détermine de nouveaux critères de moralité (indexés sur des « modèles culturels » en provenance des États-Unis), rarement revendiqués en tant que tels. Ceci et cela ne nous a pas vraiment éloigné des Jacquot et Doillon (en y ajoutant, peut-être, Garrel et Téchiné) et de leurs accusatrices. Parce que la parole de ses dernières reprend maints éléments de langage de l’évangile évoqué ci-dessus. Dont l’un (« Je suis contre la résilience », dixit Godrèche : aveu implicite de l’enfermement des jeunes victimes dans un traumatisme pour la vie), se réfère indirectement à l’association Mémoire traumatique et victimologie.

  Cependant, ce « moment Godrèche » maintenant passé, il importe de revenir ce qui reste actuellement en jeu, ceci dans le prolongement des « moments » antérieurs rapidement évoqués dans ce texte. Là un lien de nouveau doit être fait entre le « moment Springora » et celui que nous documentons ici, en indiquant que les féministes les plus maximalistes entendent utiliser ou s’appuyer sur ce « moment Godrèche » pour faire pression sur le législateur, afin que la loi définisse le viol et l’agression sexuelle par l’absence de consentement, du moins explicite. La version la plus outrancière, ou la plus caricaturale, se trouvant exprimée par Hélène Frappat dans un entretien à Figaro Madame du 9 février (dont les thématiques se trouveront ensuite reprises sous une forme atténuée dans une tribune du Monde), dans lequel cette philosophe s’interrogeait sinon plus sur l’absence de consentement dans toute relation hétérosexuelle. Ce qui laissait entendre que les femmes dans ce cadre-là étaient uniment violées depuis la nuit des temps. Sans aller jusque là, nos féministes maximalistes se réfèrent à l’histoire racontée cet hiver par Judith Grodèche sur son lointain passé (ce que j’appelle, en forçant le trait, une « fiction »), pour avancer que le consentement de l’adolescente, et même ensuite de la jeune femme ne saurait exister dans une relation d’emprise, celle des années de vie commune avec Benoît Jacquot. A ce compte là, si la loi le sanctionnait, la question de l’innocence de toute personne (des hommes très majoritairement) accusée de viol ou d’agressions sexuelles ne se poserait même plus.

  A l’instant de conclure, force est de constater que j’ai eu tort d’évoquer ce « moment Godrèche » au passé, puisque le même jour (le 27 mars), le dernier numéro des Inrockuptibles était presque entièrement consacré à Judith Godrèche, tandis que Télérama affichait en première page le couple de l’année (Judith Godrèche et le juge Durand), ceci assorti d’un entretien croisé dans les premières pages de l’hebdomadaire. Édouard Durand y déclare « Il n’y a pas si longtemps on se vantait publiquement de violer des enfants », puis plus loin demande : « voulons nous interdire ou autoriser qu’on viole des enfants ? ». Le lecteur de Télérama, que l’on imagine ici interloqué, choqué et plus encore scandalisé, ignore très certainement que l’on doit être déclaré « enfant » jusqu’à l’âge de 18 ans pour le juge Durand, et que par conséquent tout relation sexuelle d’un adulte avec une personne mineure est un viol. Godrèche et Durand se plaignent de n’être pas suffisamment entendus ou soutenus, mais ils ne savent pas à quel point leurs discours sont reçus au-delà de leurs espérances. Le 12 mars dernier, toujours devant la représentation nationale, Sandrine Rousseau affirmait haut et fort : « Je n’ai pas rencontré un seul enfant issu de l’ASE qui n’ait pas été violé dans sa famille d’origine ou au cours de son placement. Pas un seul ! ». C’est bien entendu faux : madame Rousseau s’étant certainement référé à un article d’un média en ligne féministe rendant compte de façon tronquée d’une information en provenance de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes. Mais en surfant sur ce « moment Godrèche », Sandrine Rousseau (dont son collègue Julien Bayou dénonçait il n’y a pas si longtemps le « maccarthysme ») peut ainsi s’autoriser à proférer les pires énormités sans trop être démentie. 

  Les limites de ce texte ne me permettent pas revenir plus en amont sur cette « libération sexuelle » de la seconde moitié du siècle dernier, si décriée aujourd’hui. A toutes fin utiles je signale que les textes suivants, tous publiés sur L’herbe entre les pavés, (www.lherbentrelespaves.fr/) s’y réfèrent plus directement (tout comme ils traitent de manière critique des assignations identitaires, de la moralisation de la société dans les arts et les lettres, ou des apories qui pervertissent l’idée d’émancipation : ceci et cela d’un point de vue libertaire) : Néoféminisme et ordre moral (février 2018), Néoféminisme et ordre moral, Deux : Adèle, Gabriel, Roman, Vanessa et les autres (février 2020), Sur l’ouvrage Le sexe polémique (quand la paranoïa s’empare des campus américains) de Laura Kipnis (octobre 2020), Apories de l’émancipation : féminisme, arts et lettres, sexualité (août 2023), Lolita pris en otage par les « faux amis » de Nabokov (janvier 2024).

  

Max Vincent

avril 2024