DU DÉCÈS D’HALLYDAY ET DE L’OVERDOSE MÉDIATIQUE

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  On savait certes à quoi s’attendre avec le décès de Johnny Hallyday mais pas au point d’imaginer cette hystérie et ce déferlement médiatique sans précédent, ou encore une telle surenchère pré-commémorative (de Johnny panthéonisé à Johnny l’égal de Victor Hugo, en passant par la date du 6 décembre comme jour férié, etc). A en croire le choeur (journalistes, hommes politiques, personnalités diverses) à l’unisson : « Tous les français aimaient Johnny ». Ce panégyrique (d’un chanteur au répertoire oubliable, qui plus que d’autres stars avait pourtant été souvent moqué tout au long de sa carrière) n’aurait a priori rien de bien particulier comparé à l’habituel traitement médiatique de nos « monstres sacrés » dans pareil cas de figure : comme le chante Brassens, « tous les morts sont de braves types ». Ce qu’il faut ici souligner avec Hallyday c’est l’accent mis par les médias sur « l’immense ferveur populaire » (ou prétendue telle), construite depuis des manifestations d’idolâtrie qui, dans un autre contexte, en temps ordinaire, ne susciteraient qu’un intérêt amusé ou de la commisération. Comme si les médias ressentaient le besoin, voire la nécessité de représenter un « peuple » selon leurs voeux, ainsi réuni autour de la dépouille d’un vieux chanteur, seule susceptible de rassembler les différentes classes d’âge, la droite et la gauche, les intellos et le populo, bourgeois et prolétaires (mais « peuple » uniment « blanc » selon d’aucuns lors des obsèques : certains s’en réjouissant quand d’autres tentaient de le justifier ou le déploraient).  Enfin un « peuple » plus rassurant, il va s’en dire, que celui qui lors d’un soir d’émeute pourrait s’en prendre non sans raisons à quelques journalistes ou médiatiques. Et puis, ne nous a-t-on dit et répété jusqu’à la nausée depuis la mort de l‘idole que nous aurions tous quelque chose de Johnny Hallyday. Une façon de rappeler la forte parole de l’intéressé selon lequel « On a tous quelque chose de Jacques Chirac ». Et façon aussi d’oublier que Johnny figurait parmi le carré d’as (Hallyday, Aznavour, Polnareff, Pagny) de nos exilés fiscaux. D’ailleurs, concernant le lieu de l’inhumation, maints commentateurs ont regretté l’éloignement de Saint Barthélémy (pour les fans). Sans ajouter que l’île figurait dans la liste des paradis fiscaux. Comme quoi dans la vie, comme dans la mort, Johnny aura su frauder le fisc.

  Un fait, tout juste remarqué, relie nos deux derniers « chers disparus » : la réputation  d’Hallyday, comme celle de d’Ormesson n’a jamais dépassé les limites de l’hexagone, voire des pays francophones. Malgré l’adulation dont le premier pouvait faire l’objet, malgré sa fortune dépensée somptueusement, malgré son adoubement tardif par les élites et autres édiles, malgré les « hit parade » et les récompenses, Hallyday sera passé complètement à côté de ce qui sans doute lui importait le plus : la reconnaissance par le pays qui le fascinait depuis son adolescence, les États-Unis. Certainement eût-il préféré, à l’instar du chanteur qui l’avait précédé sur scène en terme de « cassage de fauteuil par les fans », voir ses chansons reprises par Presley, Sinatra, Dylan, Nina Simone, plutôt que les entendre chanter par des Raffarin, Balkany, Sarkozy et consort à l’occasion d’agapes UMP. Ce qui parmi d’autres raisons relativise, pour ne pas dire plus, par delà l’aspect sidérant de la séquence médiatique évoquée ci-dessus, l’apport significatif de Johnny Hallyday, véritable caméléon de la chanson et des variétés, à sa discipline. D’ailleurs, obsèques pour obsèques, les comparaisons qui ont pu être faites, avec Édith Piaf par exemple en terme de « ferveur populaire », ne tenaient pas compte de ce qui pourtant indique que nous avons résolument basculé dans une toute autre époque : celle du storytelling.  Rappelons que Piaf décédait en pleine vague yé yé. Manière de souligner que l’avènement de la culture de masse réduisait celle encore qualifiée de « populaire » à l’état de coquille vide ou de peau de chagrin. La chanson certes se trouvait encore illustrée pour le mieux avec Brel, Brassens, Ferré, Nougaro (pour s’arrêter à ces quatre noms), mais comme le chantait l’un d’entre eux « les belles années passent vite ». Dans un second temps la substitution du terme variété à celui de chanson n’aura rien d’anodin. C’est là qu’il faut revenir à « l’événement Johnny ». Il n’aurait pas eu l’ampleur qui vient d’être rapportée si, en amont, le chanteur n’avait été transformé en firme ou en entreprise selon les techniques éprouvées du storytelling management :ses concerts prenant un aspect de plus en plus spectaculaire tandis qu’en coulisse, à l’attention des médias, la machine à raconter des histoires tournait à plein régime (l’enfance malheureuse de Johnny, la vie sentimentale de Johnny, les « creux de la vague » de Johnny, l’exceptionnelle longévité de Johnny), le cancer étant la dernière d’entre elles. Pas tout à fait puisque les obsèques, organisées par le « clan Hallyday », dans leur dimension, leur symbolique, leur retentissement, sans oublier la présence active du Président de la République, viendront conclure en apothéose une séquence de surenchères et d’excès  médiatiques encore inédits dans le genre, que leurs instigateurs justifieront par la très forte émotion populaire unanimement ressentie (à les en croire) après la mort de l’idole, mais qui pour l’auteur de ces lignes se trouve contenue dans les mots « bourrage de crâne », ou « sidération » et « aliénation ». Enfin, comme dirait l’autre, le Spectacle continue…

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Max Vincent

décembre 2017

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rappel :  Dictionnaire   « raisonné «  de la chanson française au XXe siècle          

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