“Un certain degré d’optimisme chez les imbéciles donne 
l’exacte mesure de leur lâcheté. Les propagandes
s’efforcent de développer cet optimisme, elles en
assurent la fabrication en série selon les méthodes
de M. Ford, elles y consacrent tous leurs efforts. 
Pour les colossales machines à slogans, le but n’est
pas de convaincre, opération trop délicate, mais de
détruire systématiquement l’esprit critique, de le
réduire à rien - ou, mieux encore, de le ridiculiser, de
le déshonorer, comme s’il était réellement une forme 
inférieure, suspecte, presque inavouable, de 
l’activité intellectuelle”

                                  Georges BERNANOS 

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Connaît-on véritablement Georges Bernanos ? Certes, le romancier est loin d’être confidentiel : ses ouvrages, régulièrement réédités, continuent de trouver de nouveaux lecteurs. Pourtant, là en l’occurrence, Bernanos ne fait-il pas de l’ombre à Bernanos ? Disons le : Sous le soleil de Satan a vieilli (tout comme les romans qui suivent), mais l’étonnant Monsieur Ouine n’a pas encore la place qui devrait lui revenir. Enfin Bernanos, pour rester dans ce registre romanesque, a mieux été servi que quiconque par le cinéma (surtout par Robert Bresson dans ses deux belles adaptations du Journal d’un curé de campagne et de Mouchette ).
Le Bernanos essayiste s’avère en revanche plus méconnu, à l’exception de La grande peur des biens pensants (qui comporte des pages bien discutables) et des Grands cimetières sous la lune. Mais ce n’est pas ce Bernanos là que nous allons commenter (et citer abondamment, car nul ne sert mieux Bernanos que son texte, et quel écrivain !). Encore faut-il préparer le terrain pour des lecteurs peu avertis que le nom, ou plutôt la personnalité de Bernanos pourrait indisposer pour des raisons compréhensibles (et qui correspondent aussi à une réalité que nous ne saurions démentir). C’est à dire : pourquoi accorder ce crédit à Bernanos quand on est, autant que nous sommes, éloigné du royalisme, du catholicisme, voire d’une posture que l’on pourrait qualifier “antidémocratique” ? Et pourtant ce Bernanos là ne nous gène pas. Nous n’en tenons pas compte dans la mesure où les textes au sujet desquels nous nous référerons, ceux écrits durant la Seconde guerre mondiale lors de l’exil brésilien de l’écrivain, Lettre aux anglais, Le chemin de la Croix-des-Ames et La France contre les robots constituent l’une des contributions essentielles à l’approfondissement de questions - la Révolution, le devenir de l’homme moderne, l’individu contre les totalitarismes - qui s’inscrivent en faux contre des idées “toutes faites” sur Bernanos, et confrontent le lecteur avec une pensée dont la radicalité fut en quelque sorte occultée pour un faisceau de raisons sur lesquelles nous reviendrons.
Peut-on d’ailleurs encore évoquer le royalisme ? Les références à la monarchie vont s’amenuisant durant ces années de guerre jusqu’à disparaître. Un prince - il s’agit du Comte de Paris - qui aurait soutenu Pétain (comme le disait alors la rumeur) ne représente plus rien pour Bernanos. Notre écrivain conseille, tandis que l’on signalait la présence de ce prince dans l’hexagone à la fin de 1944, d’accueillir le Comte de Paris à coups de fusil ! Et puis curieux monarchiste que celui qui dit être un “homme de 1789”, et dont le lyrisme n’est jamais pris en défaut lorsqu’il s’agit d’évoquer la nuit du 4 août, celle de l’abolition des privilèges, les figures de l’ouvrier de 1848 ou du communard.
En revanche le chrétien Bernanos ne désarme pas. C’est au nom d’une certaine idée du christianisme, celle des origines, qu’il concentre ses attaques contre ces catholiques pour qui “le mot de chrétien n’est plus qu’un nom équivoque, dont se réclament et se justifient toutes les servitudes, celles qui vont de la complaisance à la complicité, de la trahison des parjures à la résignation des lâches”. Bernanos dénonce inlassablement la collusion entre l’Église et les forces conservatrices, voire fascistes, et principalement la duplicité de ces “éminents catholiques” qui “n’ont jamais parlé aux ouvriers que de docilité, de soumission, de résignation”. Mais notre écrivain, que l’on a pu qualifier non sans raison “d’anticléricaliste forcené”, n’en reste pas là. Ces éminents catholiques, qui “n’ont ni coeur ni tête (...) sauront un jour, je le crains, qu’à certains moments de l’Histoire, c’est la tête qui paie pour le coeur et roule dans le panier”.
Ainsi soit-il ! S’il faut chercher un modèle à Georges Bernanos, on le trouve principalement dans la chevalerie, l’honneur chevaleresque, “c’est à dire le renversement des valeurs du monde, le mépris de l’argent, l’exaltation de la pauvreté, la force ne tirant sa dignité que des services rendus aux faibles”. Soit l’exhumation d’une figure, celle du chevalier, dont Bernanos dit qu’elle a fleuri en son temps sur “l’égoïsme, la férocité et le désespoir du monde”, et qu’il lui parait utile de reconvoquer dans le contexte de ce second conflit mondial, celui de l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité. Et nous ne saurions oublier le Diable, au sujet duquel Bernanos propose la savoureuse explication suivante :”Il semble généralement acquis que le Diable est l’esprit de révolte - opinion très favorablement accueillie par les Conservateurs, puis qu’elle les autorise à mettre en Enfer tous les Mécontents, et au Paradis tous les gendarmes. Que le Diable soit révolté pour son propre compte, je ne le nie pas. Mais rien ne prouve qu’il ait formé le dessein de séduire les hommes de la même manière qu’il a séduit les anges. L’expérience démontrerait plutôt qu’il juge moins facile de nous perdre par l’Esprit de Révolte que de nous avilir par l’Esprit de Servitude, et que loin de se proposer de nous élever à la dignité satanique d’anges rebelles, sa haine clairvoyante médite de nous faire descendre à la condition des bêtes”.
Ceci n’est qu’une entrée en matière. Pour mieux situer le Bernanos de ces “années de guerre”, il convient de s’arrêter sur deux événements déterminants de la vie de l’écrivain. La guerre d’Espagne, tout d’abord. Georges Bernanos, dans un premier temps favorable au “movimiento nationaliste”, assiste de Majorque (où il vit alors) à l’épuration de l’île par les franquistes. Il entreprend dans Les grands cimetières sous la lune d’écrire le récit de cette “imposture”, cette croisade fasciste où les évêques bénissent la répression au nom du christ. Comme il l’écrira plus tard, au sujet des prêtres espagnols : “La vérité leur faisait plus peur que le crime”. Dés lors, dans les essais écrits ensuite, jusqu’en 1940, Bernanos va s’en prendre à la droite et aux nationalistes sans pour autant faire acte d’allégeance à une gauche dont il ne dit mot (nous ne voudrions pas passer sous silence le dernier de ces essais, Les enfants humiliés, sorte de journal que Bernanos tient à la fin de l’année 1939, et qui contient d’admirables pages, les plus intimes qu’il ait écrit).
Plus significatif encore : l’armistice de juin 1940 et l’installation du régime de Vichy vont radicaliser le propos de Bernanos. L’écrivain devient révolutionnaire et va même, dans des pages à proprement parler prophétiques, anticiper une critique dont l’esprit, sinon la lettre, sera au rendez-vous de l’Histoire vingt ans ou vingt-cinq ans plus tard. Là où certains, parmi les meilleurs, - André Breton, exilé aux États Unis, qui manque cruellement de l’oxygène que représentait la présence des membres du groupe surréaliste et d’un climat intellectuel dont Paris représentait la toile de fond mentale, se trouve condamné au silence ; Georges Bataille se “retire du monde” en élaborant, partant d’une “expérience intérieure”, les indispensables ouvrages qui constitueront la Somme Athéologique - se taisent ou ne se font plus entendre, Bernanos trouve dans le “chaos du monde” et le sentiment de déréliction que beaucoup éprouvent la force et la pugnacité nécessaires pour affronter ces “forces du mal” qui ne se confondent pas uniquement avec la barbarie nazie. Bernanos a été profondément affecté en juin 1940, blessé au plus profond de son être et de sa conscience. Il remerciera dans la préface de Lettre aux anglais les “amis brésiliens” qui le soutinrent alors, et furent pour quelque chose dans la transformation de “l’exilé” des livres précédents en un combattant et un résistant de l’extérieur. Les événements, d’une certaine façon, confirmaient les analyses précédentes de Bernanos sur la faillite des élites et la lâcheté d’une classe bourgeoise qui, telle un fruit pourri, finirait par tomber dans l’escarcelle d’un quelconque Pétain. La haine envers Vichy fera le reste : une haine viscérale qui d’emblée prend date en juin 1940 à travers la personne du Maréchal, et qui ne se démentira ensuite pas un seul instant.
Il ne faudrait pourtant pas croire que ce Bernanos là est devenu révolutionnaire de pied en cap à la “faveur” de la débâcle du printemps 40. La question s’avère plus complexe. Bernanos fit partie des Camelots du Roi entre 1908 et 1914. Cependant, comme il l’indique dans Les grands cimetières sous la lune : “Nous n’étions pas des gens de droite. Le cercle d’études sociales que nous avions fondé portait le nom de Cercle Proudhon, affichait ce patronage scandaleux. Nous formions des vœux pour le syndicalisme naissant. Nous préférions courir les chances d’une révolution ouvrière que compromettre la monarchie avec une classe demeurée depuis plus d’un siècle parfaitement étrangère à la tradition des aïeux, au sens profond de notre histoire, et dont l’égoïsme, la sottise et la cupidité avaient réussi à établir une espèce de servage plus inhumain que celui jadis aboli par nos rois. Lorsque les deux chambres unanimes approuvaient la répression brutale des grèves par M. Clémenceau, l’idée ne nous serait pas venue de nous allier, au nom de l’ordre, avec ce vieux radical réactionnaire contre les ouvriers français”.
On le voit, les convictions anti-bourgeoises de Georges Bernanos viennent de loin. Et aussi cette sympathie qu’il éprouve pour le monde ouvrier. Dans Autobiographie il écrira : “L’élite ouvrière française est la seule aristocratie qui nous reste, la seule que la bourgeoisie des XIXe et XXe siècles n’ait pas encore réussi à avilir”. Bernanos a toujours combattu les conservateurs, les “gens d’ordre”, “l’esprit de mesure”, et n’a eu de cesse de fustiger “l’embourgeoisement qui donne tant de fadeur, tant de banalité, à la vie, aux moeurs, au langage”. Le mot qui revient le plus souvent sous sa plume c’est “liberté”. On trouve, dans Lettre aux anglais, une admirable définition de “l’homme libre” aux forts accents nietzschéens : “Je dis l’homme libre, non le raisonneur ou la brute ; l’homme capable de s’imposer à lui-même sa propre discipline, mais qui n’en reçoit aveuglement de personne ; l’homme pour qui le suprême “confort “ est de faire, autant que possible, ce qu’il veut, à l’heure qu’il a choisie, dut-il payer de la solitude et de la pauvreté ce témoignage intérieur auquel il attache tant de prix ; l’homme qui se donne ou se refuse, mais qui ne se prête jamais”. Ce que Rilke écrivait au début du XIXe siècle à travers le personnage de Malte Laurids Brigge, “pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, etc.” peut ici s’appliquer à Bernanos. Pour écrire les lignes citées plus haut sur “l’homme libre” il fallait avoir auparavant vécu des expériences qui ne sont pas communes à tous les hommes (à condition d’en avoir évidemment tiré tous les enseignements nécessaires).
Celle de la prison, tout d’abord : “A la Santé où nous faisions des séjours, nous partagions fraternellement nos provisions avec les terrassiers, nous chantions ensemble tour à tour : Vive Henri IV ou L’Internationale “. Celle de l’infirmité, ensuite : victime d’un grave accident de motocyclette en 1933, Bernanos restera infirme le reste de sa vie et devra constamment s’aider de cannes. Celle de la pauvreté, encore : l’écrivain vivait de sa plume et devra s’exiler à Majorque en 1934, puis au Brésil quatre ans plus tard, deux pays où la vie était moins chère qu’en France pour nourrir ses six enfants. Celle de l’errance, également : de 1926 à 1948 Bernanos vécut à Ciboure, puis à Bagnères-de-Bigorre, Clermont-de-l’Oise, Toulon, puis le Brésil (Itaïpara, Vassouras, Pirapora, Barbacena), Sisteron, Bandol, La Capelle Vendômoise, puis la Tunisie (Hammamet, Gabès), avant de venir mourir à Paris. Celle de la solitude, enfin.
Dans ce Brésil d’où lui parviennent les échos de la débâcle des armées françaises, Georges Bernanos repart au combat. Il va régulièrement publier dans des journaux brésiliens les articles qui donneront naissance au recueil du Chemin de la Croix-des-Âmes (du nom de la colline de Barbacena où l’écrivain réside à partir de 1940). Bernanos retrouve la verve du pamphlétaire des Grands cimetières sous la lune. Il commente l’actualité, bien entendu, mais surtout y poursuit la réflexion ébauchée dans les essais précédents. Celle-ci, comme nous l’avons plus haut évoqué, ira se radicalisant. Par la “Résistance française”, par exemple, Bernanos ne désigne pas seulement la résistance à l’ennemi, au nazisme, à Vichy, ces “faits de guerre qui prendront fin avec la guerre elle-même”, mais entend également la situer dans la continuité de la “Révolution française”. Bernanos se félicite par ailleurs que cette Résistance “ait pris son origine, non pas dans les rangs rompus et dispersés de nos élites bourgeoises (...) mais en plein coeur du monde ouvrier”. Cette rencontre, à travers les siècles, nous vaut de belles pages, lyriques, quand l’écrivain évoque “le peuple des barricades”, “ces fils de la rue parisienne ou lyonnaise, de la rue grondante et chantante dont les cabarets rougeoient dans la nuit comme le four du boulanger, lorsqu’au bruit encore lointain des escadrons en marche, les pavés ont l’air de sauter tous seuls sur la barricade”. Bernanos y revient autant que possible en le modulant sur tous les tons : “On ne s’appuie que sur ce qui résiste”. L’ancien Camelot du Roi a choisi son camp. Les lignes suivantes, superbes, disent mieux qu’un long commentaire les raisons d’être de ce choix : “J’ai remis mon espoir entre les mains des insurgés. J’en appelle à l’esprit de Révolte, non par une haine irréfléchie, aveugle, contre le Conformisme, mais parce que j’aime encore mieux voir le monde risquer son âme que la renier”. Cet “esprit de révolte” pour Bernanos distingue les vrais révolutionnaires de ceux qui en usurpent le titre. Contre une Révolution “asservie et confisquée” il en appelle à la “révolte universelle de l’esprit. Le révolutionnaire, martèle Bernanos, ne peut être qu’un esprit libre. Lorsqu’il écrit, “il y a un siècle, c’était l’homme des barricades qui luttait non pour la masse, mais précisément contre cette prolétarisation qui absorbait, à un rythme sans cesse accru, les individus dans la masse”, il se réfère à la tradition libertaire et l’oppose à ce qui deviendra le marxisme-léninisme.
Fort bien, dira-t-on, mais cette Révolution contre qui et contre quoi se fera-t-elle ? C’est le “monde moderne” que vise Georges Bernanos : “Un monde qualifié bêtement de moderne, comme si le fait d’exister aujourd’hui était pour lui une justification suffisante”. Vaste question. D’abord, et pour éviter tout malentendu, Bernanos exercre avant tout les dictatures, le fascisme et les idéologies totalitaires. Il reprend souvent le terme “totalitarisme” (ce qui n’est pas si courant que cela au début des années 40), sans l’expliciter et le théoriser comme le fera plus tard Anna Arendt, mais en disant l’essentiel sur la nature de ces régimes. La formule “Est libre qui obéit, esclave qui lui résiste, en apporte la preuve, si besoin était. Ce qui n’incite nullement Bernanos à défendre le camp adverse, celui des démocraties. C’est d’ailleurs là que nous retrouvons la critique de ce “monde moderne” qui caractérise la “pensée Bernanos” ; que ses contemporains occultèrent car elle remettait en cause l’un des corollaires de la “France de la Libération”, l’idée d’un progrès libérateur. Un homme qui écrit, parlant du “naturel”, “nous ne souffrons guère d’en manquer, nous en avons perdu le besoin, comme, depuis tant d’années qu’on falsifie la farine de froment, nous avons perdu le goût du vrai pain”, ne peut être qu’un passéiste (et on ne se priva pas de le lui reprocher, imbéciles !).
Mais qu’entendons-nous pas “pensée Bernanos” ? Signalons d’abord ses liens de parenté avec l’anarchisme : antiétatique, anticapitaliste, l’ordre lui répugne : “Dans son évolution vers l’Étatisme, la Démocratie Universelle ne nous pardonne pas de proclamer que l’anarchie - c’est à dire l’absence d’ordre, le désordre spontané - vaut encore mieux qu’un ordre perverti ; que le désordre du désordre, si j’ose dire, est mille fois moins malfaisant que le désordre de l’ordre”. La critique que Bernanos fait de l’État est davantage proche de celle de Nietzsche (“L’État le plus froid de tous les monstres froids”) que de Marx. Et puis affirmer que l’État “n’est que la somme effrayante de nos ignorances, de nos paresses, de nos lâchetés, de nos terreurs et de nos convoitises” va rendre Bernanos détestable aux yeux des partisans de “l’État-Providence”. Si cette critique par certains aspects peut paraître datée (l’État garantissant les citoyens des conséquences de leurs “vices”) elle conduit néanmoins son auteur à faire de judicieux rapprochements entre “l’essor de l’État” et la “servitude volontaire”.
La critique du capitalisme, ensuite. Georges Bernanos dénonce là “l’absolutisme de la Production, la dictature du Profit, une civilisation unitaire”. L’anticapitalisme de Bernanos vient de loin (tout comme ses convictions antibourgeoises), mais les “écrits de guerre” vont bien au-delà d’une déclaration de principe. Un mot, ou plutôt un concept l’illustre : le système. Bernanos le définit comme une “organisation totalitaire et concentrationnaire du monde” et l’oppose à “civilisation”. Ce système se caractérise par la primauté de l’économique, la “machinerie”, et l’apparition de moyens inédits de propagande et de manipulation des masses. L’un des postulats du capitalisme moderne, selon Bernanos, réside dans la “primauté de l’économique” : “Dans un ordre fondé sur la primauté de l’économique, il est parfaitement naturel que des millions d’hommes soient sacrifiés de temps en temps à l’équilibre instable des marchés pour la conquête des puits de pétrole ou des mines de charbon. On me reproche de ne pas reconnaître cet ordre. Non seulement je ne le reconnais, mais je ne vois pas d’autre moyen de délivrer les hommes que de la briser”.
La “Machinerie” (ou civilisation des machines) est l’un des apports essentiels de la “pensée Bernanos”. On peut difficilement dissocier cette critique de celle de la technique. Cependant, le risque existe, il importe de ne pas confondre Bernanos avec Heidegger (“la frénésie sinistre de la technique déchaînée”) ou avec quelques uns des actuels contempteurs de la technique. Bernanos avait déjà prévu l’objection quand il écrivait : “Ils me croiront ennemi de la technique et je souhaite seulement que les techniciens se mêlent de ce qui les regarde, alors que leur ridicule prétention ne connaît plus de bornes, qu’ils font ouvertement le projet de dominer le monde non seulement matériellement, mais spirituellement, de contrôler les forces spirituelles de ce monde grâce à une philosophie de la technique, une métaphysique de la technique, une métatechnique”. Bernanos ne s’oppose pas tant à la technique qu’à l’usage qui en est fait à des fins de domestication des individus. Il l’exprime ainsi : “Le danger n’est pas tant dans les machines, sinon nous devrions faire ce rêve absurde de les détruire par la force, à la matière des iconoclastes qui, en brisant les images, se flattaient d’anéantir aussi les croyances. Le danger n’est pas tant dans la multiplication des machines, mais dans le nombre sans cesse croissant d’hommes habitués, dés leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner. Le danger n’est pas que les machines fassent de vous des esclaves, mais qu’on restreigne indéfiniment votre liberté au nom des machines, de l’entretien, du perfectionnement de l’universelle machinerie. Le danger n’est pas que vous finissez par adorer les machines, mais que vous suiviez aveuglément la collectivité - dictateur, État ou parti - qui possède les machines, dispose des machines, vous donne ou vous refuse la production des machines. Non le danger n’est pas dans les machines, car il n’y a d’autre danger pour l’homme que l’homme même. Le danger est dans l’homme que cette civilisation s’efforce en ce moment de former”. C’est à une “conception technique du progrès, mille fois plus impitoyable que n’importe laquelle des mystiques qui ont ensanglanté les siècles” que s’oppose Bernanos. Et quand il nous dit que “la Machinerie ne crée pas seulement les machines, elle a aussi les moyens de créer artificiellement de nouveaux besoins qui assureront la vente de nouvelles machines” comment ne pas lire, par anticipation, une critique de ce qu’on appellera “la société de consommation”. Ces besoins, poursuit Bernanos, “constamment provoqués, entretenus, excités par cette forme abjecte de la Propagande qui s’appelle la Publicité”. Et puis, à relire ce paragraphe, ne retrouve-t-on pas quelques unes des thèses que Marcuse développera une vingtaine d’années plus tard dans L’homme unimenditionnel ?
Nul autre contemporain de Bernanos (à l’exception d’Orwell peut-être, et d’Adorno dans un autre registre) n’a réfléchi sur le devenir d’un monde qui, en période de conflit mondial, transforme la propagande, consubstantielle à l’état de guerre, en une méthode de manipulation et de dressage des esprits. Georges Bernanos distingue l’ancienne domination, celle où les citoyens “étant incapables de recevoir beaucoup d’idées à la fois”, n’en accueillaient pas moins, “par un naturel réflexe de défense, le petit nombre indispensable à l’entretien de leur vie, et à l’exercice de leur métier”, d’une domination sans partage que ces mêmes citoyens, privés des élémentaires mécanismes de défense, appelleraient de leurs vœux dés lors que cette domination se porterait en quelque sorte garante de l’élévation de leur niveau de vie. Ou, pour le dire autrement : “Tous les régimes, au cours de l’Histoire, ont tenté de former un type d’homme accordé à leur système, et présentant, par conséquent, la plus grande uniformité possible. Il est inutile de dire, une fois de plus, que la civilisation moderne dispose, pour atteindre ce but, de moyens énormes, incroyables, incomparables. Elle est parfaitement en mesure d’amener peu à peu le citoyen à troquer ses libertés supérieures contre la simple garantie des libertés intérieures, le droit à la liberté de penser - devenu inutile, puisqu’il paraîtra inutile de ne pas penser comme tout le monde - contre le droit à la radio ou au cinéma quotidien”. Bernanos observe que la politique, autrefois un art, relève d’un mode de fonctionnement qui l’apparente de plus en plus à l’industrie : “Avec les faibles moyens dont ils disposaient jadis pour la diffusion rapide de ce qui, en ce temps là, ne s’appellait pas encore des slogans, les gouvernements devaient agir avec prudence, car une fois le mensonge mis en circulation, il devenait presque impossible de lui en substituer un autre”, tandis que la politique, ainsi instrumentée, “inonde le marché de mensonges fabriqués en série, qui, dans l’opinion des fabricants, doivent servir partout, convenir à n’importe quelle opinion nationale, comme un film d’Hollywood à n’importe quel public in the world “. La “pensée Bernanos”, en quelque sorte, annonce “la société du spectacle”. Guy Debord n’était pas sans ignorer Georges Bernanos (cité dans Cette mauvaise réputation ), mais nous ne savons pas s’il avait lu, même en partie, ces “écrits de guerre”. Il parait en tout cas curieux que personne, à notre connaissance, n’ait fait ce rapprochement. En rappelant les cinq traits principaux, énumérés par Debord, qui par effet combiné caractérisent le “spectaculaire intégré” - le renouvellement technologique incessant (dont les pages sur la “Machinerie” font état), la fusion économico-étatique (indiquée dans la critique bernanosienne de la “primauté de l’économique”), “le secret généralisé”, “le faux sans réplique” et “un présent perpétuel” (ces trois derniers traits existant sous forme d’ébauche chez Bernanos) - nous laissons le soin aux lecteurs incrédules de le vérifier par eux-mêmes (sachant que les ouvrages de Bernanos référencés ici ne sont malheureusement disponibles quen Pléiade, du moins pour deux d’entre eux).
Un mot revient souvent dans ces “écrits de guerre”, celui de propagande : d’une propagande “dont la puissance, l’efficacité, l’universalité ne peut se comparer à rien de ce qu’à vu jusqu’ici - ou même imaginé - l’homme”. Là Georges Bernanos réactualise la “servitude volontaire” selon La Boétie, en des termes qui ne laisseront pas indifférents les lecteurs de Nietzsche : “Des millions d’hommes, dans le monde, paraissent victimes de la propagande, alors qu’ils en sont les complices. Ils croient à tout, pour la même raison qu’ils ne croient à rien. Si vous allez au fond de leur apparente crédulité, vous trouveriez qu’elle n’est qu’une forme du refus de juger, qu’ils souffrent d’une paralysie de la conscience. Lorsque vous réussissez, au prix de grands efforts, à réveiller un moment de sensibilité de cet organe, ils acceptent si facilement d’avoir été dupes, qu’on se saurait mettre en doute qu’ils ont été des dupes volontaires. Ils vous disent : “Hé bien ! Quoi ? Que voulez-vous ? Tout est bon pour finir la guerre”. Oui, tout est bon pour finir la guerre, mais tout est bon aussi pour gagner de l’argent, comme le prouve assez l’effroyable multiplication des spéculateurs grands et petits, la corruption presque totale et sans doute définitive des moeurs commerciales. Tout est bon pour vivre tranquille, tout est bon, même la servitude, si elle dispense de tout effort, et d’abord du plus douloureux, celui de choisir entre le vrai et le faux, le Bien et le Mal. Hélas ! A quoi bon détruire les dictateurs, si on continue, sous prétexte de discipline sociale et pour faciliter la tâche des gouvernements, à former des êtres faits pour vivre en troupeaux ? (...) Car ce n’est pas la servitude qui fait les esclaves, c’est l’acceptation de la servitude. Et il y a une chose pire que l’acceptation de la servitude, c’est d’y conformer sa vie au point d’y trouver ses aises, et, finalement, de l’ignorer”.
Une servitude que Georges Bernanos associe au besoin de sécurité. Il évoque, dans Le Chemin de la Croix-des-Ames, “les abjectes sécurités de la servitude”. On ne trouve pas l’expression “idéologie sécuritaire” sous sa plume, mais l’idée est là, déjà présente. A cette “demande sécuritaire” qui fait des assistés ou des esclaves Bernanos oppose le “risque”. Il n’y a pas d’ailleurs de terme plus bernanosien que celui de risque. Il semble indispensable de citer les lignes suivantes avant de poursuivre : “L’heure vient toujours où un écrivain digne de ce nom doit choisir entre un public et des amitiés. J’ai choisi les amitiés. Un public se gagne et s’entretient par des procédés qui ne diffèrent de ceux par lesquels un habile commerçant gagne et entretient une clientèle. On gagne un public ; mais il faut mériter les amitiés, il faut les mériter sans cesse, il faut courir chaque jour le risque de les contredire et de les perdre. La confiance dont m’honorent ceux qui me lisent est un bien précieux, mais je n’en ai que l’usufruit et ils sont toujours libres de la reprendre quand il leur plaît. J’aime mieux d’ailleurs mille fois la perdre que la trahir”. Ceci pour préciser, si besoin est, à quel genre d’homme et d’écrivain nous avons affaire. Car pour Bernanos la liberté est un risque, et devrait être “le plus magnifique des risques, le risque absolu”. Ce qui signifie qu’elle n’est jamais acquise, qu’il ne s’agit pas d’un bienfait tombé du ciel, qu’elle se trouve partout menacée là où on en ferait un fétiche. Bernanos ne s’adresse pas à ceux qui éprouveraient le besoin d’être rassurés, confortés dans leurs habitudes de penser, mais à ceux “qui veulent courir le risque de penser par eux-mêmes”. A ces derniers il n’a pas de “consignes à donner”, mais il essaie de leur “ouvrir un chemin”. La Révolution également est un risque. Sinon “c’est aux Maîtres, c’est aux Puissants, c’est aux Pourvus qu’il vous faut aller offrir vos formules, vos graphiques et vos statistiques, afin de leur éviter précisément des erreurs de manoeuvre”. Mieux vaut courir le risque d’une Révolution que d’être l’éternelle dupe du Réformisme. C’est là l’un des postulats de la “pensée Bernanos”.
Une question reste à traiter, celle de la démocratie. Elle parait essentielle pour qui veut bien prendre la pleine mesure de ces “écrits de guerre”. Jusqu’en 1940 Georges Bernanos se dira “antidémocrate”. Ceci en raison de convictions royalistes qui ne seront plus de saison après la débâcle de 1940. Une page est alors tournée, définitivement, et Lettre aux anglais en prend acte. Cependant Bernanos ne se rallie pas à la démocratie comme, par exemple, pourrait le faire un gauchiste repenti. Il l’accepte par défaut, la jugeant cependant mille fois préférable aux totalitarismes de droite ou de gauche, ou au national-populisme de Vichy. Il l’accepte certes, mais il la critique, voire la combat au nom d’une conception de la liberté au sujet de laquelle il ne veut surtout pas transiger. C’est d’ailleurs ce qui dans de nombreuses pages apparente cette pensée à celle des courants libertaires.
Bernanos, on l’a vu, précède son époque dans de nombreux domaines. Nous nous sommes chaque fois efforcé de le démontrer et d’en préciser les enjeux. En revanche, il n’est pas certain que sur la dernière question posée, celle de la démocratie, la réponse alors donnée puisse être entendue telle quelle par nos contemporains. Là aussi Bernanos possède quelque avance. Mais peut-être faut-il parler ici de démocratisme pour être mieux entendu. Qu’est-ce que le démocratisme, sinon la perversion de l’idéal démocratique. C’est l’affirmation répétée, à satiété, qu’en dehors de la démocratie (entendez “démocratie représentative”) il n’existe pas de salut. C’est la volonté, délibérée, de disqualifier la démocratie directe chaque fois que celle-ci remettrait en cause la “règle du jeu démocratique” (ou prétendue telle). C’est une division du travail intellectuel qui permet à certains de réfléchir sur les cotés “nobles” de la chose, à savoir le Droit, l’Histoire, la Justice, la Loi, et à d’autres de se pencher sur un aspect plus trivial, cette autre face du démocratisme qu’est l’économie de marché. C’est aussi décrire précisément la nature des sociétés occidentales en cette fin de siècle. Ce concept ne pouvait être opérant du vivant de Bernanos, la “question démocratique” passant au second plan. En tout cas elle ne suscitait pas de réflexions susceptibles de la mettre en procès dans la perspective qui nous importe ici. Bernanos, l’un des premiers, y a souscrit.
Avant de reprendre cette thématique sous un angle différent, il parait d’abord nécessaire de rappeler l’importance que revêt pour Georges Bernanos le mot “liberté”. C’est justement parce qu’il est particulièrement sourcilleux sur ce chapitre - l’extrait cité plus haut sur “l’homme libre” en administre la preuve - que Bernanos n’entend pas la voir galvaudée dés lors qu’elle serait “proclamée par la loi”. La “liberté de penser garantie par la Constitution” ne protège aucunement contre “le risque de ne plus penser du tout”. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen représente un moment important dans l’histoire des hommes comme rencontre entre la philosophie la plus avancée, celle du siècle des Lumières, et les aspirations d’un peuple à s’émanciper de la tutelle des rois et des puissants. Encore fallait-il cette être confronté à cette situation révolutionnaire là pour lui permettre de voir le jour. Aux lignes suivantes, “l’ouvrier du faubourg (...), le rêveur, l’incorrigible mourant content sur la barricade pour le bonheur du genre humain ressemblait certainement encore plus au garde national bourgeois, lecteur de Rousseau et de Voltaire, qui l’ajustait de l’autre coté de la rue, qu’à l’opulent gaillard américain, bien logé, bien vêtu, bourré de vitamines, touchant un salaire énorme et décidé à en toucher encore plus à la faveur de la guerre”, répondent celles-ci : “Chaque progrès de la technique vous éloigne un peu plus de la démocratie rêvée jadis par les ouvriers idéalistes du Faubourg Saint Antoine”. C’est l’un des enjeux de la démocratie que Bernanos pointe ici. Et il ajoute : “En parlant ainsi je me moque de scandaliser les esprits faibles qui opposent aux réalités des mots déjà dangereusement vidés de leur substance, comme par exemple celui de Démocratie”. Nous sommes au coeur du débat. Et l’évolution des sociétés n’incite pas Bernanos à l’optimisme. Ce qu’il voit se dessiner ce sont des “démocraties sans démocrates, des régimes libres sans hommes libres”. Nous retrouvons là le démocratisme. Nous le retrouvons d’autant plus que Bernanos rappelle, à qui veut bien l’entendre : “La Démocratie est la forme politique du Capitalisme, dans le même sens que l’âme est la Forme du corps selon Aristote, ou son Idée, selon Spinoza”. Quand il écrit : “Il apparaît de plus en plus clairement chaque jour, en effet, que le Capitalisme a été, jusqu’ici, le meilleur et le plus efficace instrument de totalitarisation du monde”, d’aucuns objecteront que le marché se sent davantage à l’aise, en démocratie, que dans un régime dictatorial ou totalitaire. Bien sûr, mais Bernanos parle de tout autre chose.
Ceci nous renvoie à cette prémonition de “la société du spectacle” dont il était question plus haut. Dans ce constat, Georges Bernanos n’oublie pas ceux qui font profession de penser, c’est à dire les intellectuels : “Je dis l’intellectuel, l’homme qui se donne lui-même ce titre en raison des connaissances et des diplômes qu’il possède”. Il en exclut le savant, l’artiste et l’écrivain “dont la vocation est de créer”, pour qui l’intelligence n’est pas une profession mais une vocation”. Bernanos, en distinguant parmi les intellectuels ceux qu’il ne nomme pas des “experts” - mais nous le ferons à sa place - met en garde contre tout savoir spécialisé qui tendrait à se transformer en discours de maîtrise. C’est aujourd’hui qu’il nous est donné de lire les lignes suivantes en toute connaissance de cause : “Oh ! sans doute les petits intellectuels fanatiques et bornés qui sont parmi vous comme le vers dans le fruit, les petits cuistres à peu près vides de cervelle, mais les poches bourrées de programmes et de statistiques, vous diront demain que j’ai parlé un langage de poète et non de sociologue ou d’économiste. Je leur réponds par avance (...) depuis que les économistes se sont modestement attribués la direction des affaires de ce monde au nom de la primauté de l’économique, c’est à dire de la leur, les choses les plus nécessaires sont mises hors de la portée des pauvres, la spéculation bat son plein, et l’or se change en papier. Bref tout se passe comme si la société n’avait de pire ennemi que le sociologue, l’économie pire ennemi que l’économiste, le sociologue soutenant la société, l’économiste l’économie exactement comme la corde soutient le pendu”.
Ainsi parlait Georges Bernanos. A l’antienne qui veut qu’au fil des ans, en vieillissant, l’évolution se fasse toujours dans le sens de la modération, de l’apaisement, du conservatisme ou d’une réconciliation avec un monde autrefois honni Bernanos oppose un cinglant démenti. N’est ce pas également le cas de Maurice Blanchot, un ancien Camelot du Roi lui aussi ? Bernanos, pensons-nous, se serait trouvé chez lui en mai 68 : il aurait été en phase avec une jeunesse qu’il appelait de ses vœux. On peut également penser - car nul n’était moins démagogue que lui - qu’il serait aujourd’hui sans complaisance envers la jeunesse qui s’apprête à changer de millénaire. L’annonce de “l’américanisation du monde” eut à coup sûr constituée une bien mauvaise nouvelle pour Bernanos.
Pour conclure, c’est justement parce que certains, des “intellectuels de pouvoir” disons, s’efforcent de disqualifier ce qu’il nous a paru utile et nécessaire de souligner chez Georges Bernanos - la Révolution, autant discréditée par les mêmes que caricaturée par des Laguiller et consort ; l’anticipation d’une “société du spectacle” (à ce point citée qu’elle tend à devenir un lieu commun ou une formule creuse) ; la “primauté de l’économique”, “les aléas du culte de la technique”, le démocratisme, etc. - que cette lecture, celle des “écrits de guerre” de Bernanos, s’impose. Une lecture tonique, stimulante, parfois dérangeante, qui ne ménage pas le lecteur (lequel peut par moment décrocher, nous en convenons), mais jamais indifférente, la langue de Bernanos n’y étant pas pour rien. Nous pensons même que des esprits blasés, sceptiques, revenus de tout, gagneraient à s’immerger dans ces textes qui nous font entendre, comme rarement auparavant, une chanson que l’on croyait pourtant connue, à ce point connue que l’on s’excusait, presque, de reprendre un refrain usé jusqu’à la corde ou des couplets qu’on nous tolérait comme l’on tolérerait des espèces en voie de disparition, seraient-elles qualifiées de “nuisibles” par la société. Et qu’on vienne pas nous répondre que le monde a changé au point de rendre la critique de Bernanos obsolète. Les modes de domestication des esprits évoluent, assurément, et il convenait de rendre cette justice au vieux lutteur : d’avoir été l’un des premiers à dire en quoi résidait ce nouveau type de domestication, et de s’y être opposé dans la mesure de ses moyens.

                                                                                                                      Max Vincent

mars-avril 1999