BRÈVES DE CONFINEMENT



SUIVI DE



LE PROFESSEUR RAOULT À L’ÉPREUVE DE LA RAOULTMANIA

PAR   ROLAND BARTHES
















  Ce texte composé d’une série d’aphorismes et de courts fragments, appelé Brèves de confinement,  a été rédigé pendant la période de presque deux mois qui restera dans les annales comme celle du premier confinement d’une grande partie de la population de l’ère moderne. Il traduit le sentiment d’absurdité, voire de dérision du rédacteur devant une situation dont le caractère exceptionnel, inouï, presque irréel, se serait apparenté quelques mois plus tôt à un scénario de science-fiction. Il paraît possible que le traitement burlesque de cette séquence pandémique, en y incluant quelques uns des acteurs majeurs de cette année 2020, déplaise à ceux à qui cet aspect grotesque aurait en quelque sorte échappé. Ici l’auteur plaide coupable.


  Depuis sa dernière demeure Roland Barthes nous a adressé cette « mythologie posthume » (intitulée Le professeur Raoult à l’épreuve de la raoultmania)qui entend contribuer de manière critique à une meilleure compréhension du « phénomène Raoult ». Il nous a semblé utile et judicieux de la publier en complément à nos Brèves de confinement.

























BRÈVES DE CONFINEMENT














« En ces temps de confinement tout devient absurde, y compris l’absurde »

                                                                                                      Auteur non identifié


« Y’en aura pour tout le monde »

                                                  Coluche



  

  L’État vient de décréter que durant le confinement tous les nouveaux nés seraient appelés Covid. Le chef du gouvernement l’a justifié en avançant qu’il s’agissait ainsi de traiter le mal par le mal pour se donner les moyens d’immuniser les générations à venir contre le coronavirus.


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  Le PSG a déposé une réclamation après sa cuisante défaite au Stade Vélodrome devant l’Olympic de Marseille. Selon son président le ballon aurait été gonflé à la chloroquine.


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  On a arrêté Covid-19 à la frontière belge. Il avait cru pouvoir abuser les douaniers en prenant l’apparence du nuage de Tchernobyl.


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  On ne sait toujours pas pourquoi Marine le Pen a choisi l’un des EHPAD du Grand Est pour y placer son vieux père.


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  Les Gilets Jaunes ont décidé de transformer leur célèbre « Ahou ! Ahou ! Ahou ! » en « Raoult ! Raoult ! Raoult ! ».


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  Le ville de Bergame, la plus éprouvée en Italie par l’épidémie de Coronavirus, a tenu à réparer une injustice à l’égard de Gabriel Fauré en le nommant citoyen d’honneur de la ville (rappelons aux ignorants que Fauré est l’auteur de Masques et bergamasques, une délicieuse musique de scène créée en 1919).


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  Le général Macron et le colonel Philippe, en tournée d’inspection dans le Grand Est, sont venus vérifier la solidité de la ligne Maginot entre Sarrebourg et Belfort. Pas de chance, les armées du Coronavirus avaient déjà franchi la frontière française dans les Ardennes et s’apprêtaient à prendre Sedan.


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  Jacinthe de Corot-Navirus, la pétillante écuyère, en permanence moquée depuis le début de la pandémie dans les réseaux sociaux, vient de se séparer de son Navirus de mari.


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  A la veille de l’élection de miss Covid 2020 les États Unis et la Chine se partagent les faveurs du diagnostic. Cela n’a pas étonné Jean de la Fontaine : « Selon que vous serez puissants ou misérables… ».


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  Caroline de Monaco et Chloroquine de Marseille viennent d’annoncer leur prochain mariage. Interrogé, le professeur Raoult a fait part de son étonnement : « Je ne savais pas que ma fille ainée était lesbienne ».


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  Au sujet de son autre fille, Azithromycine, le professeur Raoult se désole : « Comment voulez-vous que je la marie avec un nom pareil ! ».


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  Depuis qu’il a appris que le ciel était confiné, Jésus n’en finit pas de se plaindre : « Et dire que j’avais l’occasion de prendre la poudre d’escampette lors de l’Ascension… C’est raté ! ».


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  En raison des obligations de distanciation sociale il a été demandé à Léonard de Vinci de repeindre La Cène en respectant les distances auxquelles chacun doit se conforter, apôtres ou pas. « Mais plusieurs d’entre eux vont sortir du cadre, a-t-il protesté, La Cène sans Barthélemy, Jacques le mineur, Thadée et Simon ce n’est plus La Cène ! ». On lui a fait remarquer que l’important était qu’y figurent Judas, Pierre, Thomas, et bien sûr Jésus : les autres n’étant que des comparses.


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  Le pape François a menacé d’excommunier tout catholique qui serait tenté de remplacer « le Christ ressuscité » par « Le Christ confiné ».


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  Au « Téléphone sonne » de France Inter un auditeur du nom de Joseph Staline a posé la question suivante : « Le coronavirus, combien de divisions ? ».


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  Puisqu’il serait question de prolonger les mesures de distanciation sociale à la fin de la période de confinement pour une période encore indéterminée, l’industrie du cinéma s’inquiète : quid des baisers et de tout rapport sexuel même simulé alors ! Comment faire ? Des voix autorisées ont évoqué dans le second cas de recourir à la masturbation, à condition qu’elle ne soit évidemment pas mutuelle.


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  Florence Foresti qui a accepté de présider la prochaine cérémonie des Covid, demande régulièrement : « Alors, avec pourtant l’âge qu’il a, il l’a pas encore attrapé le coronavirus, Polanski ? ». 


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  Vingt sept ans plus tard les autorités mirent fin au confinement. Contrairement à ce qu’elles supposaient les citoyens restèrent confinés : ils avaient oublié pourquoi ils l’étaient.


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  L’alcoolisme dû à l’absorption de gel hydro-alcoolique a été multiplié par cent depuis le début du confinement. L’industriel qui les fabrique et les commercialise a répondu non sans cynisme qu’il s’en lavait les mains.


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  Après trois ans cinq mois et neuf jours de confinement les loups sont entrés dans Paris. Serge Reggiani les attendait porte d’Ivry et il avait envoyé Albert Vidalie et Luis Bessières porte de Passy. Mais allez savoir pourquoi les loups sont entrés par la porte des Lilas ! Le problème étant que ni René Clair, ni Pierre Brasseur, ni Georges Brassens n’étaient là pour les accueillir.


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  Bertolt Brecht vient de déposer une plainte contre x pour « détournement et usurpation de concept ». Il ne décolère plus contre ceux, hommes d’État, médecins, journalistes, qui de surcroit ont cru bon accoler les adjectifs « sociale » et « physique » au nom distanciation.


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  Lors du prochain Tour de France les coureurs engagés seront tenus de respecter les règles de distanciation sociale. Les commissaires devront sanctionner tout coureur qui, dans le peloton ou une échappée, ne respecterait pas une distance d’au moins un mètre avec le coureur qui le précède. Le nouveau règlement introduit les sanctions suivantes : lors d’un premier non respect par une amende, en cas de récidive par une pénalisation d’une minute. Une troisième fois sanctionné le coureur sera exclu de la course.


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  Les mêmes règles de distanciation sociale posent maintes questions dans le monde du ballon ovale. Parce qu’un match de rugby sans mêlées et sans placages est-ce encore du rugby ?


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  Depuis le début du confinement les français regardent trois fois plus qu’auparavant les sites pornographiques. Ce qui a pour conséquence d’augmenter sensiblement la fréquence des rapports sexuels, voire leur durée chez les personnes vivant en couple. Suite aux doléances des associations de célibataires des deux sexes le gouvernement envisagerait de classer les poupées et baigneurs gonflables dans la liste des produits de première nécessité.


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En revanche il ne serait plus possible de commander sur Internet tous les instruments de type fouets, martinets, lanières diverses, en raison de la multiplication des violences conjugales et familiales. Ceci au conditionnel, parce que la décision que l’on croyait actée s’est trouvée repoussée en raison des vives protestations émises par les clubs sadomasochistes. Leurs représentants craignent cependant que l’arbitrage en question ne soit rendu en faveur de Marlène Schiappa. Selon l’un de ces représentants au micro de France Culture : « Castaner ne nous soutient qu’à 50 % : complètement certes sur le côté sado, mais pas du tout du côté maso ».


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Michel Onfray a fait savoir à grand renfort d’articles et de déclarations qu’il avait été infecté par le virus de la dengue et non par le coronavirus. Sur son blog on peut lire : « J’ai contribué à limiter la propagation des virus Freud, Sade, Thunberg, et tant d’autres. Le coronavirus a bien compris qu’il n’était pas de taille avec moi. C’est pas comme le peste, là respect ! ».


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  Selon une autre version Onfray aurait déclaré : « Comment se protéger efficacement ? Il faut mettre son gilet jaune. Cela ne protège pas des coups de matraque mais je vous garantis son efficacité contre le Covid-19 ». Cependant comme cette information nous parvient des réseaux sociaux nous ne garantissons nullement son authenticité.


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  Annoncé comme étant un remake des Sept samouraïs, ou encore des Sept mercenaires,  le film Les Sept confinés devrait sortir l’année prochaine. Son tournage vient de commencer en pleine période de confinement, il s’effectuera uniquement en studio. Pour notre envoyé spécial, Jean Paul Sartre, il s’agirait d’un huis clos. Selon lui, ceci précisé, le film aurait gagné à s’appeler Les Huit confinés.


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  Don Juan a été dans l’obligation de s’inscrire au chômage après une semaine de confinement. Molière, Da Ponte et Mozart viennent d’ouvrir une souscription en sa faveur. Il leur aurait sans doute été possible d’obtenir une dérogation dispensant Don Juan  du confinement mais on leur a fait savoir en haut lieu que les éventuelles conquêtes du séducteur ne sauraient elles y prétendre.


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  D’après Boris Johnson il était temps que le Royaume Uni sorte de l’Union Européenne. « Sinon, a-t-il ajouté, avec le coronavirus nous aurions été confiné par l’Europe pendant des années ». Selon une autre source Bojo aurait dit « niqué » (et non « confiné »).


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  Méfiez-vous des contrefaçons ! A l’instar des « Confinés ! Confinés ! Confinés ! » entendus ces jours derniers dans les rues de Toulouse.


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  Covid-19 vient de déclarer au micro de RTL que le nombre soi-disant important de morts dont il porte la responsabilité dans le monde depuis le début de l’année n’est que de la petite bière si on le compare au massacre dont sont chaque jour victimes ses frères, les virus informatiques, par les internautes des cinq continents.


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  Cette semaine nous avons choisi de récompenser dans le cadre des « meilleurs concerts de 20 heures en soutien aux travailleurs du secteur hospitalier », les balcons du 43 boulevard de Charonne à Paris. Les habitants de l’immeuble, à l’instar des lauréats précédents, seront tous dépistés gratuitement durant la semaine suivante.


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  Les fidèles en provenance du monde entier, qui encore l’année dernière se rendaient en masse place Saint-Pierre à Rome pour y voir apparaître le Pape au balcon, ont déserté le Vatican pour se déplacer en très grand nombre devant l’Hôpital de la Timone à Marseille. Auparavant ces fidèles croyaient en Dieu, aujourd’hui ils croient en la chlroroquine. Avec modestie le professeur Raoult l’a commenté en ces termes : « Je ne suis que son serviteur ».


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  Un fabricant de déambulateurs vient de commercialiser un modèle permettant de séparer l’utilisateur du mètre de distanciation sociale requis envers toute personne croisée dans l’espace public. Un système ingénieux permet d’élargir le périmètre d’isolement si les pouvoirs publics décidaient d’augmenter cette zone de distanciation. Harvey Weinstein n’a pas daigné commenter cette information : « Qu’est ce que j’en ai à foutre, je suis tout seul dans ma cellule ! ».


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  Qui eut dit que le « jugement de Salomon », tant de siècles plus tard, serait chaque jour plébiscité à une heure de grande écoute par des millions de téléspectateurs ! 


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  En cette période de confinement les corbeaux reprennent du service. A la différence de la période de l’Occupation ne sont plus dénoncés les Juifs et les résistants, mais les médecins, infirmières, aides soignantes, ou le reste du personnel hospitalier, du moins ceux coupables de résider dans le même immeuble que l’un ou l’autre de ces délateurs.


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  A l’intention de ceux qui doutent de l’efficacité des « gestes barrières », ou qui évoquent leur instrumentalisation par les pouvoirs publics, le Ministre de la Culture a rétorqué que Ma vie et Elle était si jolie figuraient en bonne place dans le Top Ten de ces deux derniers mois.


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  Macron a déclaré la guerre au Covid-19, mais celui-ci ne lui avait pas adressé précédemment une déclaration de guerre, ni n’y a ensuite répondu. D’où le discours réitéré du gouvernement français dénonçant la fourberie et la duplicité de l’ennemi : il nous fait la guerre mais refuse de le reconnaitre. Depuis son Quartier général le Covid-19 s’est contenté de répondre : « Après tout je reproduis ce que faisaient les français en Algérie, c’est juste une opération de police. Et le bilan humain s’avère moins important ici en France qu’à l’époque en Algérie ».


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  Il a été souvent question dans tous les médias des nombreuses catégories de citoyens que le confinement et les mesures de distanciation sociale privent de toute activité. Cependant personne n’a signalé la situation des « frotteurs du métro ». Nous tenons à réparer cet oubli.


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  « J’avance masqué » écrivait Descartes. On a beau consulter l’édition en Pléiade de ses oeuvres complètes aucune note de bas de page ne nous indique s’il s’agit d’un masque chirurgical, FFP2 ou Grand public.


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  On apprend que Mme de la Fayette a été confinée avec Nicolas Sarkozy. Les lecteurs de La princesse de Clèves, comme les associations intervenant dans le cadre des violences conjugales ont fait part de leur inquiétude. Pour Dominique Besnehard il ne s’agit que d’une erreur de casting.


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  Il est recommandé aux radios musicales de respecter les mesures de distanciation sociale dans le choix des titres programmés à l’antenne. Dans la liste de chansons mises à l’index citons (parmi d’autres) : J’ai ta main dans ma main, Laisse mes mains sur tes hanches, Déshabillez-moi, Embrasse moi, Les baisers, Paris tu m’a pris dans tes bras. C’est également le cas de Voulez-vous danser grand mère (chanson pour laquelle la mention « recommandation » s’accompagne de l’adverbe « expressément »).


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  Il n’existe pour l’instant aucun masque susceptible de protéger le client durant ses repas, qui néanmoins lui permettrait de s’alimenter et de boire. Une PME a cependant proposé un modèle appelé « Cigogne », rejeté à ce jour par la quasi totalité des restaurateurs. Seule la chaîne de restauration A la bonne soupe, intéressée par le projet, compte s’équiper de « vases à long col et d’étroite embouchure ». Une longue paille remplacerait cuillère et fourchette, bien évidemment. 


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  Confrontées à l’hypothèse d’une double pandémie, coronavirus et grippe aviaire, des associations animalistes demandent que l’on équipe de masques sanitaires adaptés les populations de pigeons de nos villes. Une éventualité qui n’est pas sans occasionner de nombreuses prises de bec chez les intéressés, mais également parmi les défenseurs de la cause animale.


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  La personnalité de l’année 2020 pour le magazine Times est déjà trouvée. Pour la première fois le choix a été unanime : il s’agit bien entendu du coronavirus. Reste la question délicate de la photo qui figurera en première page : quel cliché choisir parmi ceux, nombreux, que Times a reçus. Pour l’instant le magazine n’est nullement certain de l’authenticité des photographies en sa possession.


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  Le vengeur masqué a tenu à préciser qu’il ne portait que des masques FFP2 (renouvelés tous les trois heures, a ajouté son impresario).


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  Jean de la Fontaine vient de prendre position en faveur de l’Allemagne sur la question de la gestion de la crise sanitaire. A contrario, selon le fabuliste, de la France, l’Italie et l’Espagne, trois pays qui ont complètement failli. Je l’avais déjà anticipé dans l’une de mes fables, a-t-il ajouté, relisez La cigale et la fourmi.


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  Au mois de mars 2020 La peste d’Albert Camus était en tête des ventes de livres en ligne. Au mois d’avril le roman de Camus se faisait coiffer sur le poteau par Beau masque de Roger Vaillant. Déjà, en raison du frémissement qui accompagne la réédition d’un roman oublié de Charles Teste, Mes dépistages, certains commentateurs estiment qu’il ne faut pas aller plus loin pour trouver le prochain lauréat.


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  En raison de la pénurie de pain azyme, indispensable pour la confection des hosties, l’épiscopat français s’est dit soulagé après l’annonce de la fermeture des églises pour cause de confinement. Relevons la déclaration du Primat des Gaules : « Cela vaut mieux parce que la messe sans la communion, c’est plus la messe ». 


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  En rappelant que le prénom Covid est unisexe, les autorités tiennent à préciser que les prénoms orthographiés « Covide » ne sauraient être acceptés sur les registres d’État civil pour les nouveaux nés de sexe féminin. Plusieurs associations féministes ont déposé un recours devant le Conseil d’État.


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  Tout Marseille et alentours était présent lors de l’inauguration de l’avenue du Professeur Didier Raoult, anciennement appelée Canebière. Manquaient à l’appel César, Panisse, Monsieur Brun et Escartefigue, retenus par une partie de cartes. Et Paul Cézanne également, sans qu’on en connaisse la raison.


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  En période de confinement les mauvais élèves sont soumis à la double peine : ils doivent conjuguer vingt fois le verbe « se confiner » à tous les temps de l’indicatif.


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  Pourtant invités lors du couronnement de Covid-19, Louis XVIII et Charles IX n’ont pas jugé utile de se déplacer : « On ne mélange pas les chiffres arabes et les chiffres romains », ont-ils fait savoir dans un communiqué. Marine le Pen s’est déclarée en total accord avec cette déclaration.


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  Depuis que Giorgio Agamben nie l’existence du coronavirus ses lecteurs se divisent en deux camps : les déconfits et les confinés. On ignore pour l’instant la proportion de personnes infectées dans chacune des deux catégories.


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  Robert Faurisson vient de déclarer à ce sujet au micro de Radio Courtoisie : « J’aurais moi nié l’existence du coronavirus tout le monde me serait tombé sur le râble. Mais quand c’est Agamben… ».


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  Le programme du professeur Raoult pour les prochaines élections présidentielles tient en une seule phrase : « Chloroquine pour tout le monde ! »


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  Nous sommes toujours sans nouvelles de Gabriel Matzneff, confiné dans une localité non identifiée du nord ouest de l’Italie. Vanessa Springora et plusieurs associations féministes redoutent le pire. « Cette saloperie de coronavirus risque de nous priver d’un procès », expliquent-t-elles.


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  Chaque jour, sous couvert de faire le point sur la pandémie aux USA, Donald Trump nous distille en réalité, sans qu’il en soit conscient, des « brèves de confinement » qui sont  partout reprises dans le monde. Cela s’appelle de la concurrence déloyale. L’association des brèveurs de confinement, à laquelle l’auteur de ces lignes appartient, tient à émettre une vigoureuse protestation. Nous ne saurions nous contenter de prendre acte du fait que chez Trump la réalité dépasse la fiction.



Max Vincent

An 01, après 44 jours de confinement (anciennement avril 2020) 






  










LE PROFESSEUR RAOULT À L’ÉPREUVE DE LA RAOULTMANIA 


Par ROLAND BARTHES






« Cet homme (Didier Raoult) porte plus que lui, il est exactement ce que Hegel appelle un grand homme : un homme qui fait l’histoire en même temps que l’histoire le fait ».

                                                                                                                       Michel Onfray 


« Le professeur Raoult est un général Boulanger de la médecine, accaparant la science au profit d’un culte de la personnalité, rendant impossible la transmission de savoir ».

                                                                                                               Christian Lehmann


« Macron est un homme intelligent, qui comprend tout »

                                                                                      Didier Raoult




  


  Lors de la réédition en 1970 des Mythologies dans l’édition de poche, j’indiquais que « je ne pourrais donc dans leur forme passée (ici présente) écrire de nouvelles mythologies ». C’est encore plus vrai un demi-siècle plus tard. J’y précisais également que « l’ennemi capital » demeurait cette « norme bourgeoise » (ou « raison petite bourgeoise ») que je m’étais efforcé de déchiffrer au gré de l’actualité dans une cinquantaine d’articles écrits entre 1954 et 1956 (et regroupés en 1957 dans le volume Mythologies). Aujourd'hui je ne saurais tenir le même discours : le mythologue étant dans l’obligation de procéder depuis d’autres dévoilements pour conserver à l’analyse critique (idéologique et sémiologique) sa fonction « d’acte politique ». Cependant je reste pleinement en accord, pour en venir à cette nouvelle « mythologie » (« Le professeur Raoult à l’épreuve de la raoultmania »), avec la phrase conclusive de mon avant propos de 1957 : « Je réclame de vivre pleinement la contradiction de mon temps, qui peut faire d’un sarcasme la condition de la vérité ». Elle représente la meilleure introduction à cet article.

  Dans l’une de mes Mythologies (« Iconographie de l’Abbé Pierre ») je relevais d’emblée que « le mythe de l’abbé Pierre dispose d’un atout précieux : la tête de l’abbé ». Et j’expliquais assez longuement pourquoi. Il paraît loisible de tenir un discours équivalent avec la tête du professeur Raoult. C’est même encore plus évident à la lecture de certaines gazettes : la longue chevelure jaune argentée du professeur, sa barbe grise qu’il caresse en parlant, son look de rocker ou de biker (ou encore sa bague à tête de mort) y concourent. Toutes ces caractéristiques physiques le distinguent du tout venant des sommités scientifiques et des professeurs de médecine. Paris Match décrit « un druide aux yeux sioux » quand d’autres médias préfèrent évoquer l’image « rebelle » ou « christique » du professeur (ou encore, selon Michel Onfray, celle « du viking qui descend de son drakkar »). D’ailleurs les presses mainstream et people raffolent du personnage, et ont largement contribué à le faire connaître du grand public.

  Cette fascination d’une grande partie des médias envers Didier Raoult peut parfois prendre des aspects répulsifs (à l’instar de ces « journalistes philosophiques » comme Enthoven et consort qui détestent le professeur) mais ne saurait à elle seule expliquer la popularité de notre personnage. D’abord le professeur Raoult, pour parler le langage de l’époque, s’avère être un « excellent communicant ». En témoignent les vidéos postées depuis le début de la pandémie sur la chaîne you tube de l’IHU Méditerranée Infection. D’où ces commentaires sur la simplicité, la cohérence, la force de conviction, au travers desquelles un professeur de médecine encore inconnu du grand public au début du mois de mars s’exprime sur des questions épidémiologiques réputées difficiles, la principale étant la défense et illustration d’un médicament censé traiter l’affection de type Covid-19 de la manière la plus efficace. Cette pédagogie marquée au coin du bon sens n’étant pas sans parfois rimer avec un soupçon de démagogie : « les gens comprennent les choses simples, pas les journalistes ». Pourtant, ici encore, surtout même, cette explication resterait insuffisante si l’on n’ajoutait, d’abord en raison du positionnement de ce chef de service contre l’establishment médical, ensuite à travers son scepticisme ou ses réserves devant les mesures prises par les autorités pour lutter contre le Covid-19, que le discours du professeur Raoult avait été en capacité de séduire les secteurs de l’opinion les plus rétifs devant ces différents trains de mesures. De là cette image de « personnage anti-système » (envers l’un des virologues les plus réputés de la planète) qui va se retrouver rapidement popularisée par les réseaux sociaux.

  Le mythologue n’a pas à ce stade d’opinion sur les bienfaits on non de l’hydroxychloroquine. Comment pourrait-il en avoir une alors que la question posée, sujette à maintes controverses, ne relève pas de sa compétence. Il ne peut qu’attendre comme la majorité de ses concitoyens que la communauté scientifique se positionne de manière satisfaisante sur le médicament le plus efficace contre le Covid-19, ainsi qu’elle a pu le faire par le passé dans des cas similaires, au sujet desquels des scientifiques se trouvaient pareillement divisés. La différence étant que ces débats et polémiques ne se trouvaient pas rapportés et discutés sur la place publique à l’instar de ceux qui, sur la prescription de l’hydroxychloroquine, ont transformé en un temps record des millions de français en épidémiologues et virologues. Un tel emballement (en terme l’adhésion ou de rejet) devant une prescription médicale controversée s’avère sans commune mesure avec aucun des exemples passés qui pourraient lui être comparés. Le rôle et l’importance des réseaux sociaux l’explique en premier lieu. 

  Cependant, plus fondamentalement, c’est à travers la personnalité du professeur Raoult, depuis la diffusion sur you tube de ses prises de position, plus particulièrement celles concernant la prescription de l’hydroxychloroquine, mais également en regard de ses analyses sur la situation sanitaire présente qu’il faut trouver la principale explication à ce phénomène de raoultmania. Puisque Raoult dérange à ce point l’establishment médical, affirment ses partisans, il ne peut qu’avoir raison. Le traitement simple, bon marché, ayant fait ses preuves que le professeur préconise, se trouve contesté, ajoutent-ils, parce qu’il remet en cause maints intérêts d’une industrie pharmaceutique plus soucieuse d’un laboratoire à l’autre de promouvoir des molécules plus juteuses, meilleures en terme de profit. Puisque que l’on dispose d’un tel médicament et que nous sommes confrontés à cette masse de patients atteints du Covid-19 qui risquent de mourir, poursuivent-ils, il faut intervenir tout de suite car il est criminel d’attendre que l’on mette en place le protocole de contrôle en usage pour savoir si l’hydroxychloroquine répond aux attentes, celle d’une efficacité reconnue par la communauté scientifique contre le Covid-19.

  Tout ce qui vient être avancé sur le rôle de l’industrie pharmaceutique en sous-main, et les profits pas toujours occultes qu’elle peut en retirer est vrai et vérifiable sur un plan général : les exemples ne manquent pas (conflits d’intérêt divers, pressions sur les pouvoirs publics, lobbying). Cela néanmoins semble plus problématique en ce qui concerne l’hydroxychloroquine. La preuve n’a pas été faite, malgré ce que prétendent certains soutiens de Didier Raoult, que ses détracteurs soient « achetés » par l’industrie pharmaceutique (avec l’exemple patent du professeur Lacombe). Et puis les protocoles établis par le professeur pour établir la primauté de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 se trouvent fort discutés, pour ne pas dire contestés par une majorité de scientifiques.

  Sinon, pour en venir à la seconde explication du phénomène de raoultmania, le discrédit de l’exécutif, à la veille de la vague épidémique, s’est trouvé renforcé dés lors qu’aux critiques récurrentes sur la politique sanitaire menées par tous les gouvernements depuis une quinzaine d’années sont venues s’ajouter celles relatives à l’impréparation de l’exécutif et sa gestion d’une crise sanitaire sans précédent. Le professeur Raoult s’en est fait plus ou moins l’écho sans toutefois reprendre le discours maximaliste de la plupart de ses partisans (« Quand on fait la guerre, indique-t-il en substance, on ne remet pas en cause les généraux durant le conflit. Ce n’est qu’après »). Cependant notre professeur « anti-système » a largement bénéficié du climat de défiance envers Macron et le gouvernement, ce phénomène s’accentuant durant le confinement.

  Un autre facteur, de moindre importance, mais plus significatif que le précédent sur « l’effet Raoult », illustre cette sempiternelle opposition entre Paris et Marseille : le dernier épisode en date opposant les élites médicales parisiennes au virologue marseillais. Ce qui explique en grande partie le soutien sans faille apportée par les droites (les Républicains) marseillaises et provençales au professeur Raoult et à l’hydroxychloroquine. En particulier celui de ce personnage burlesque, l’actuel maire de Nice, appelé « le motodicdacte » par ses « amis » politiques. On en conclut que la figure tutélaire de Didier Raoult protège aujourd’hui davantage Marseille que Notre-Dame de la Garde, cette influence bénéfique s’étendant à toute la Provence. En retour, lors de l’audition du professeur par les membres de la commission parlementaire consacrée au Covid-19, on observa que ceux-ci l’interrogeaient le petit doigt sur la couture du pantalon, ne lui posant aucune question embarrassante, à l’exception d’un député MODEM, un dénommé Berta, qui ayant l’audace de concentrer son tir sur le « protocole Raoult » demanda au professeur « Pourquoi n’avez vous pas fait des essais cliniques dignes de ce nom ? »,  sans obtenir de réponse, sinon celle passablement agacée « Je suis un très bon méthodologiste et un grand scientifique ».

  En avril la visite inattendue du Président Macron au professeur à Marseille, plus les déclarations de Raoult à Paris Match (« Macron est un homme intelligent, qui comprend tout ») n’ont pas été sans provoquer quelques flottements dans les rangs des partisans du professeur les plus hostiles à l’actuel président de la République. Une lune de miel qui, comme on pouvait s’y attendre, ne dura pas. Le professeur Raoult va corriger le tir comme en témoigne durant tout le mois de mai sa présence massive dans les grands médias. Son attitude souvent agressive, voire méprisante envers les journalistes a redonné du grain à moudre à ses partisans ; en même temps qu’elle accentuait les clivages concernant sa personne. Les prestations du professeur ont alors plus qu’auparavant relevé du jeu de massacre, les uns s’en félicitant quand les autres le lui reprochaient. Les premiers buvaient du petit lait en entendant Raoult fustiger le Paris d’aujourd’hui (comparé au Versailles de l’ancien régime), se moquer de l’ignorance de ses interlocuteurs, relever l’absence de crédibilité de la plupart de ses confrères médecins (dont celle de l’actuel ministre de la Santé), ou affirmer sur le ton de la plus grande certitude « les gens pensent comme moi », tandis que les seconds soulignaient l’arrogance, la mégalomanie ou l’égocentrisme du professeur. Comme tout jeu de massacre qui se respecte ceux qui s’y adonnent, ou dans le cas présent le vivent par procuration, éprouvent une pleine et entière satisfaction à voir dégommer les figurines des puissants sans pour autant remettre en cause le spectacle dans lequel pareil jeu de massacre fait fonction d’exutoire. 

  Le mythologue n’a pas également été sans remarquer que ces médias influents se rendaient les uns après les autres à Marseille. Raoult lui ne se déplace pas, on vient à lui y compris lorsqu’on est Président de la République. Ce qui renforce l’idée, même si elle ne se trouve pas formulée ainsi, que tous ces visiteurs « viennent à Canossa ». A ce compte le professeur Raoult serait devenu en quelques mois l’un des personnages les plus influents de l’hexagone, sinon le plus populaire (en dépit de sa personnalité clivante), du moins la seule personnalité ayant véritablement émergé durant toute cette période de pandémie.

  En tout état de cause les médias, même ceux qui s’attendent à être maltraités, s’avèrent très demandeur du moindre avis du professeur Raoult (puisqu’il dope l’audience ou les ventes, fait le buz, affole la toile…). Ce dernier les fascine, cette fascination se retrouvant même dans les pages des médias les plus critiques. On ne peut pas non plus exclure une certaine connivence entre les partenaires quand Raoult en « rajoute » sur le mode de l’agression simulée, histoire de ne pas rester en deçà du personnage que ses interlocuteurs s’attendent à trouver. Nous retrouvons-là l’un des ressorts classiques de l’âge d’or du cabaret Le Chat noir, lorsque le public bourgeois qui franchissait la porte de l’établissement savait à quoi s’en tenir sur l’accueil que lui réserverait Aristide Bruant, le maitre des lieux, et prenait grand plaisir à être copieusement insulté. On nous dit que seuls les naïfs prennent pour argent comptant toutes les saillies du professeur. En terme de spectacle, puisqu’il faut ainsi qualifier ces entretiens, nous ne serions donner tort à ces naïfs, ou prétendus tels. Je l’avais d’une certaine manière souligné en 1955 dans la première de mes Mythologies, « Le monde où l’on catche », dans laquelle je remarquais que le public présent dans la salle « se confie à la première vertu du spectacle, qui est d’abolir tout mobile et toute conséquence : ce qui lui importe n’est pas ce qu’il croit, c’est ce qu’il voit ». Lors de l’un de ces simulacres de pugilat qui oppose Didier Raoult à l’une  ou l’autre des vedettes du journalisme des presses écrites ou télévisées, le dit public, comme dans les salles de catch, « se moque complètement de savoir si le combat est truqué ou non, et il a raison ».

  L’un des enseignements de ce « moment Raoult », et non des moindres se trouve énoncé à travers le paradoxe suivant : les partisans du professeur dénoncent, soit les collusions entre le pouvoir politique et l’establishment médical, soit la corruption des pontes de la médecine par l’industrie pharmaceutique, soit l’orientation voire l’imposture de nombreuses études scientifiques, soit de façon plus générale la volonté de dissimuler ici et là ces collusions, corruptions ou manipulations. Ce qui, à certaines outrances rhétoriques près, n’est pas contestable à la condition expresse de replacer l’un ou l’autre de ces propos dénonciateurs dans le cadre plus global d’une critique du capitalisme. Je n’ai pas été sans observer que la notion de « corruption », devenue dans pareil cas de figure celle des « élites », est peu à peu devenue l’un des marqueurs de l’extrême droite, ou plus généralement des populistes de tout bord. D’ailleurs le discours pro Raoult, dans ce registre de dénonciation précisément, figure en bonne place parmi les éléments à charge au travers desquels le « peuple » intente un procès aux élites, discours qui en même temps valorise, quand il ne porte pas au pinacle les travaux, les recherches, ou tout simplement les opinions de l’une de ces sommités médicales, le professeur Raoult (par ailleurs directeur d’un IHU soutenu financièrement par de nombreux partenaires publics). C’est là, pour appeler les choses par leur nom, l’expression d’un populisme sanitaire que, second paradoxe, les presses mainstream et people encouragent, mais qui dépasse stricto sensu le cadre de cette crise pandémique si l’on entend analyser, par delà la personnalité singulière du professeur Raoult, de quoi celui-ci serait le nom.

  Nous remarquons que les partisans les plus virulents de Didier Raoult interviennent sur les réseaux sociaux (mode de communication par ailleurs valorisé ou plébiscité par l’intéressé). Indépendamment de ceux créés pour défendre le professeur Raoult et promouvoir l’hydoxychloroquine, nous relevons ceux de l’extrême droite (en y ajoutant les réseaux de Soral et Dieudonné), de LFI (davantage les mélenchoniens que le courant de Clémentine Autain), et ceux des Gilets jaunes. C’est peu dire que les théories complotistes circulent dans nombre de ces réseaux sociaux (du moins dans ceux de la nébuleuse extrême droitière et des Gilets jaunes). Elles ne datent pas d’aujourd’hui ni même d’hier mais leur diffusion s’est accélérée au fur et à mesure que la défiance envers l’exécutif, les gouvernements successifs, les élites, voire les opposants politiques et le monde syndical progressait comme l’indiquent les enquêtes d’opinion publique.

  Fin avril nous apprenions que le professeur Raoult venait de rejoindre l’équipe de la revue Front populaire, un projet impulsé par Michel Onfray. Ce dernier y « propose de construire une machine de guerre populiste susceptible d’être opposée à la machine de guerre populicide » en faisant appel aux souverainistes de droite comme de gauche (mais en excluant Mélenchon et Marine le Pen). C’est pourtant le même professeur Raoult, sa notoriété en moins, qui écrivait en 2015 dans Le Point : « L’histoire romaine doit nous apprendre à nous méfier du populisme, qui en dressant une partie de la population contre l’autre mène à la guerre civile, comme on l’a vu pour le nazisme ou le fascisme qui sont issus du mariage de la démocratie et du populisme ! ».  

  Dans sa présentation de Front Populaire Onfray précisait vers la mi d’avril : « Notre revue ne porte aucune candidature cachée, elle souhaite travailler à un programme susceptible de faire émerger le jour venu le nom de celui qui pourrait porter la cause du peuple contre les populicides qui travaillent à sa mort depuis trop longtemps déjà ». Et il ajoutait : « Je prends dès à présent l’engagement que je ne serai pas l’homme de ce combat politicien ». Cette dernière formulation sonne curieusement : Onfray n’a-t-il pas plutôt voulu évoquer un « combat politique » ? Car cela parait contradictoire avec ce qui précède. S’il ne s’agit pas d’un lapsus peut-être doit-on revenir plus en arrière, dans un autre passage de cette présentation, pour mieux comprendre l’assertion selon laquelle « Pour constituer un Front populaire contemporain, il faut regarder ce qu’Emmanuel Macron a obtenu avec son élection à la présidence de la République : il est parvenu à cristalliser toutes les forces du Front populicide sous un seul nom ! ». On croit comprendre qu’il conviendrait de cristalliser ici toutes les forces populistes et souverainistes sous le nom évoqué précédemment pour obtenir un même résultat.

  Mais quel nom ? Onfray en avait-il déjà un en tête en rédigeant l’acte de naissance de Front populaire ? Nous pensons que oui. Cependant aucune des personnalités ayant pris  en marche le train de la locomotive pilotée par Michel Onfray depuis avril ne semble en mesure de répondre aux attentes du philosophe caennais. A l’exception de Didier Raoult (qualifié de « grand homme » par Onfray). Pourtant le professeur répète que la politique ne l’intéresse pas. A ce point même que toute question posée sur ce sujet lui parait relever de l’insulte. Comme il l’explique : c’est aberrant de vouloir prêter des ambitions politiques à un médecin qui comme lui n’a pas d’équivalent dans sa spécialité en Europe. Il n’y a pas à douter de la véracité des propos de Didier Raoult. Cependant nous le savons capable de dire une chose tel jour, et son contraire des mois plus tard avec le même ton de certitude. Prenons un seul exemple, mais le plus évocateur, de la nécessité de prescrire de l’hydroxychloriquine comme il le préconisait haut et fort dès février (ce serait « comme une faute médicale que de ne pas donner de la chloroquine contre le virus chinois »), une recommandation réitérée dans maints entretiens ou vidéos. Alors que lors de son audition  en juin devant la commission parlementaire chargée d’enquêter sur la crise sanitaire, le professeur Raoult affirmera benoîtement n’avoir « jamais recommandé » l’hydroxychloroquine, faisant valoir qu’il n’avait « pas le droit de recommander un traitement ». 

  Cette candidature reste donc à l’état d ‘hypothèse. Pour qu’elle soit validée cela dépend en grande partie de la capacité de Front populaire, qui déjà bénéficie d’une attention médiatique soutenue, à se transformer en un mouvement politique susceptible de représenter une alternative crédible à ce qui tient lieu d’opposition au macronisme. Le scénario alors pourrait être le suivant (à condition que la crise économique sévère qui s’annonce n’ait préalablement raison de Macron et du macronisme). La candidature de Didier Raoult à la présidence de la République (évidemment soutenu par Front populaire) serait présentée comme la seule capable de l’emporter au second tour contre Macron. Ce en quoi ni Marine le Pen ni Jean-Luc Mélenchon ne sont en capacité de réussir, ajouteraient-ils. C’est l’une des raisons pour lesquelles cette candidature susceptible de fédérer autour du nom Raoult les souverainistes et populistes de gauche et de droite ne peut évidemment provenir des rangs du RN comme de ceux de LFI. D’où l’obligation de présenter lors du premier tour  cette candidature comme étant le seul vote utile possible.  Pour ce faire la campagne électorale du candidat Raoult serait ponctuée de pétitions en provenance de la société civile ou des milieux intellectuels, les unes comme les autres appelant à voter dès le premier tour pour le seul candidat capable de battre Macron. Ceci ne pouvant réussir que si une bonne partie des électorats RN et LFI, auquel on peut ajouter la totalité de l’électorat Gilets jaunes, et un nombre conséquent d’abstentionnistes se reportaient sur le professeur Raoult. 

  D’ailleurs, je reviens au texte de présentation par Onfray de Front populaire, celui-ci se référait implicitement à un tel scénario en évoquant l’habileté de Macron au printemps 2017 à se présenter comme un candidat susceptible de rassembler sur son nom en dehors des partis, quitte à en créer un autour de sa personne. A la différence qu’il s’agissait du courant opposé : de tout ce qui à gauche comme à droite se voulait libéral, social, mondialiste, européaniste. Une fois de plus il s’agit d’une hypothèse. Parce qu’il ne parait pas certain que notre professeur veuille endosser ce rôle. Et puis comment concilier les deux égos (Onfray, Raoult) les plus démesurés de l’hexagone ? Mais après tout, pourquoi celui qui prétend être de loin le meilleur dans sa spécialité n’aurait-il pas la tentation, puisque beaucoup l’imaginent ou en rêvent, de se glisser dans les habits de « l’homme providentiel », un costume jamais trop grand pour lui. Car cela serait faire injure au professeur de citer ici à titre comparatif un Reagan ou un Zelensky. Enfin pour conclure, puisque l’histoire romaine n’a pas de secret pour le professeur Raoult, à quels empereurs penserait-il à l’heure de faire ce choix : à Auguste, Vespasien et Titus, ou à Caligula, Claude et Domitien ? 

Roland  Barthes

juillet 2020